Mercredi 22 juin 2016

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi

La commission auditionne M. Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin le président du conseil de surveillance de Vivendi, M. Vincent Bolloré, que je remercie de sa présence.

Il est accompagné du président du directoire de Vivendi, M. Arnaud de Puyfontaine, du président du conseil de surveillance du groupe Canal+, M. Jean-Christophe Thiery et du directeur général du groupe Canal+, M. Maxime Saada, que nous saluons également.

Monsieur le président, j'ai souhaité de longue date que notre commission puisse vous entendre. Cette audition a été quelque peu difficile à organiser du fait du calendrier parlementaire et de vos propres contraintes, mais nous y sommes parvenus.

Je voulais vous dire toute l'attention que nous portons au paysage audiovisuel français, à ses évolutions, à ses mutations extrêmement rapides qui redistribuent un certain nombre de cartes. Notre commission, de toute éternité, et plus encore au cours de l'année écoulée, a eu fort à faire dans ce domaine.

Nous auditionnons très régulièrement les présidents de chaînes, le régulateur, qui vient rendre compte de ses travaux devant notre assemblée, et les principaux acteurs de cette grande famille de la télévision - journalistes, producteurs, techniciens... Nous tenons particulièrement à ce travail de suivi et de contrôle.

Bien que cette audition se tienne plus tard que nous l'avions imaginé, l'intérêt de cet échange n'a pas faibli, bien au contraire. Nous avons remarqué que Canal+ a été l'objet de beaucoup d'attentions, et ce pour plusieurs raisons.

Je pense tout d'abord au changement d'actionnaire de référence, voilà un peu plus d'un an, et au renouvellement profond du management de la société.

Sont ensuite intervenues des décisions importantes concernant les programmes, les animateurs et, au final, l'identité même de la chaîne dont vous semblez souhaiter qu'elle évolue sensiblement.

Je songe aussi aux difficultés économiques invoquées par les dirigeants du groupe Canal+, confronté à une nouvelle concurrence de chaînes premium et de plateformes de vidéo à la demande par abonnement, ou SVOD, disposant de moyens très importants telles que Netflix ou Amazon, par exemple.

Enfin, la chaîne iTELE, qui appartient au groupe Canal+, a été confrontée à un certain nombre de bouleversements. Qu'en est-il de sa ligne éditoriale, aujourd'hui et demain ?

Dans ces conditions, l'attention du législateur apparaît à la fois légitime et nécessaire.

Légitime, parce que les fréquences utilisées par Canal+, comme par l'ensemble des chaînes, appartiennent au domaine public et sont octroyées en contrepartie d'obligations.

Nécessaire, parce que certaines de vos annonces ont quelque peu semé le trouble sur la pérennité du rôle de Canal+ en tant que financeur de la création et du cinéma et diffuseur des grands événements sportifs.

Permettez-moi, monsieur le président, de rappeler quelles sont les missions de Canal+ en me référant à l'article 1er de la convention conclue entre cette société et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) : Canal+ y est définie comme « un service de cinéma de premières diffusions à programmation multiple » dont l'objet principal est « la programmation d'oeuvres cinématographiques et d'émissions consacrées au cinéma et à son histoire. Cette programmation est notamment complétée par des oeuvres audiovisuelles et des retransmissions sportives ».

Le cinéma est donc au coeur de la vocation de Canal+ et, inversement, le cinéma français est devenu dépendant de Canal+. Dans ces conditions, monsieur le président, vous comprendrez que beaucoup des questions qui vont vous être posées tourneront autour de ce rôle de financeur du cinéma français et, plus généralement, sur votre vision de l'avenir de Canal+, sachant que la convention vous fixe pour obligation d'émettre à 75 % pour vos abonnés tout en conservant des plages en clair « réparties entre le matin, la mi-journée et l'avant-soirée ».

Nous voudrions savoir pourquoi vous avez décidé d'investir dans ce groupe de médias qui a un rôle central dans la création. Quel est votre projet ?

Pouvez nous rassurer sur l'implication de Canal+ aux côtés du cinéma français, au moment où l'on vous prête l'intention de vous désengager du soutien à la diversité et à l'originalité des oeuvres ?

Au-delà de la question du cinéma, nous souhaitons également connaître votre avis sur le cadre réglementaire dans lequel évolue votre groupe. La question de la concentration est devenue un sujet d'actualité, tant sur le plan horizontal - développement de bouquets de chaînes - que vertical - je pense en particulier aux accords signés entre les diffuseurs et les producteurs, sous l'impulsion du Sénat et de notre collègue Jean-Pierre Leleux, rapporteur du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine

Je souhaiterais enfin vous interroger sur votre rôle au sein de Canal+. Nous commission est très attachée à la liberté de l'information et à son corollaire, la liberté du public à être informé, ainsi qu'à l'indépendance de la création. À cet égard, comment envisagez-vous votre rôle ?

Nul ne saurait contester les prérogatives de l'actionnaire, qui doit veiller à la bonne santé économique et financière de l'entreprise. Toutefois, certains observateurs, y compris au sein du Parlement, ont pu avoir le sentiment que vous agissiez également en tant que directeur des programmes, voire même en tant que directeur de l'information. Pouvez-vous nous dire où en sont les choses et nous expliquer comment les compétences actionnariales et éditoriales sont distinguées au sein du groupe Canal+, ou comment vous comptez qu'elles le soient à l'avenir, notamment à la suite des remarques formulées par le CSA ?

Monsieur le président, je vais vous céder la parole pour une intervention liminaire. Vous serez ensuite interrogé par nos trois rapporteurs pour avis.

Je rappelle que cette audition est captée et diffusée sur internet et par Public Sénat.

M. Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi. - Madame la présidente, je vais m'efforcer de répondre à l'ensemble de vos questions.

C'est la première fois que j'ai l'honneur d'être auditionné par le Sénat, je vais donc commencer par me présenter.

Je viens d'une vieille famille bretonne. Après avoir passé dix ans dans la banque, j'ai repris, voilà trente-cinq ans, un groupe plutôt petit, devenu aujourd'hui l'un des premiers groupes au monde. Avec plus de 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires et plus de 50 000 personnes travaillant avec nous, nous faisons partie des 200 premiers groupes mondiaux. Nous sommes toujours basés à Ergué-Gabéric, à côté de Quimper.

Nous avons trois métiers. Tout d'abord, la logistique et le transport. En une trentaine d'années, nous sommes devenus le quatrième opérateur mondial et le premier opérateur privé français.

Nous sommes également présents dans le domaine du stockage de l'électricité. Là encore, nous sommes l'un des plus grands groupes mondiaux, ce qui nous permet à la fois de produire des véhicules roulant à l'électricité - voitures, bus tramways... - et d'offrir des solutions de stockage des énergies nouvelles - solaire et éolienne -, par définition intermittentes, mais qui deviennent permanentes grâce au stockage.

C'est bien évidemment notre troisième métier qui intéresse votre commission, celui des médias, des contenus, que nous avons développé depuis une quinzaine d'années.

Nous possédons aujourd'hui le deuxième journal français en audience, Direct matin, diffusé à près d'un million d'exemplaires et lu par environ 2,5 millions de personnes.

Nous avons la cinquième agence mondiale de publicité, Havas.

Voilà un peu plus de trois ans et demi, nous avons accepté l'offre de Vivendi d'apporter nos chaînes, D8 et D17, contre 2,5 % du capital de ce groupe.

Vivendi est lui-même issu de la fusion d'un premier groupe plus que centenaire, la Générale des Eaux, avec Havas, au début des années 2000. Sous l'impulsion de son président, Jean-Marie Messier, Vivendi a alors revendu l'ensemble de ses activités non médias et s'est beaucoup développé.

Puis, voilà une douzaine d'années, l'endettement de Vivendi a entraîné le départ de Jean-Marie Messier et l'arrivée d'une nouvelle équipe, qui a géré l'endettement et transformé le groupe en société financière.

Le groupe Bolloré est entré dans Vivendi avec une idée assez simple : à côté de la culture américaine, aujourd'hui assez marquée, sinon invasive - Batman, Superman, de l'action de la force... -, et de la culture asiatique, sans doute un peu hermétique pour certains, la culture européenne a une place à prendre dans les médias à travers le monde.

Le développement de la digitalisation permet aujourd'hui à un diffuseur d'émettre des programmes partout dans le monde, où qu'il se trouve.

De la même façon que les géants du numérique, les fameux « GAFA » - Google, Apple, Facebook, Amazon -, dont on redoute l'arrivée en France, les Français peuvent aller à l'étranger : il suffit de connecter un petit instrument à votre téléviseur et vous recevez les chaînes du monde entier, sans passer par les réseaux classiques comme autrefois.

C'est ce pari que nous avons fait en partant du constat qu'aucun groupe en France n'avait envie de devenir le champion de cette culture dans le monde : le groupe Lagardère est limité dans ses expansions internationales pour des raisons financières ; le groupe TF1, qui a toujours choisi de rester en France, a revendu ses activités internationales comme Eurosport ; les chaînes publiques sont limitées par leur mode de financement ; quant au groupe M6, il est contrôlé par l'allemand Bertelsmann.

Nous sommes donc montés à 5 % du capital de Vivendi, en rajoutant environ 500 millions d'euros, avec l'ambition de développer la culture française à travers le monde.

J'ai d'abord été nommé au conseil de surveillance, avant que le précédent président et l'ensemble des membres de ce conseil ne me proposent d'en prendre la présidence. Notre objectif est de faire de Vivendi ce fameux groupe de contenus distribués à travers le monde.

Vous m'interrogiez sur mon rôle, madame la présidente. Il consiste simplement à fixer un cap, à nommer des équipes, à parler avec elles pour s'assurer qu'elles suivent toujours ce cap et à répondre à leurs questions.

Nous avons donc nommé une équipe à Vivendi, animée par Arnaud de Puyfontaine, qui me fait l'amitié et l'honneur d'être présent parmi nous, et qui est aujourd'hui président du directoire de Vivendi, composé de quatre autres membres - trois Français et un Britannique, qui habite en France depuis une vingtaine d'années.

Ce directoire, en lien avec le conseil de surveillance que je préside, a eu pour mission de transformer cette société financière en un groupe industriel intégré.

Une société financière s'intéresse davantage aux dividendes qui remontent de ses filiales qu'à leur activité industrielle. Elle les gère de façon séparée, chacune étant autonome par rapport aux autres, un peu comme le royaume de France au temps des grands seigneurs à la tête de puissants domaines.

Un groupe industriel intégré fait exactement l'inverse : les différents éléments qui le composent travaillent ensemble. Au moment de notre arrivée dans Vivendi, le pôle musical du groupe travaillait peu avec les chaînes de télévision, par exemple. De même, les chaînes cryptées ne travaillaient pas particulièrement avec les chaînes gratuites... Nos premières décisions ont donc consisté à nommer des gens dans différents endroits pour les faire travailler ensemble.

L'histoire de Canal+, souvent résumée et synthétisée, laisse à penser que je suis arrivé et que les problèmes ont commencé. Malheureusement, les problèmes ont commencé bien avant moi. Il n'est que de regarder les différents documents qui l'attestent. Je ne suis pas la cause des pertes de Canal+ ; j'en suis la conséquence et peut-être la solution.

Je parle à la première personne, mais c'est bien évidemment l'équipe nommée à la tête de Vivendi qui a pris les choses en main. Elle s'est d'abord occupée d'Universal Music.

Le premier contenu au monde, c'est la musique. Avec Universal Music, nous avons la chance d'avoir le numéro un mondial qui représente 40 % de la musique dans le monde - les Beatles, les Rolling Stones, U2, les Beach Boys, Rihanna, Cathy Perry, Justin Bieber et plein d'autres artistes appartiennent à 100 % à ce groupe français.

Nous nous sommes ensuite intéressés à Canal+. C'est malheureusement un fait, les résultats de l'exercice 2015 enregistrent une perte de plus de 260 millions d'euros et le budget de l'exercice 2016 est en déficit de 400 millions d'euros.

Une petite confusion s'installe dans l'esprit des gens. Certes, le groupe Canal+, dans son ensemble, gagne de l'argent. Jean-Christophe Thiery tient à la disposition des sénatrices et des sénateurs intéressés les chiffres précis.

L'activité cinéma, complètement indépendante de ce que fait Canal+, réalise un chiffre d'affaires d'environ 600 millions d'euros et un résultat net de 60 millions d'euros.

L'activité internationale représente à peu près 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour un résultat positif de 250 millions d'euros.

Canalsat réalise un chiffre d'affaires d'environ 1,5 milliard d'euros et dégage entre 200 et 250 millions d'euros de bénéfice. Canalsat achète des chaînes à l'extérieur - Eurosport, Lagardère, Disney... - et les revend à des abonnés.

Viennent enfin les chaînes Canal+, celles dont vous avez parlé, madame la présidente, celles pour lesquelles nous sommes en relation avec l'État, qui nous a accordé des fréquences.

Ces chaînes ont perdu 260 millions d'euros en 2015, vont perdre 400 millions d'euros en 2016 et, si rien n'est fait, perdront mécaniquement, en raison des droits sportifs acquis en 2013 ou en 2014, plus de 460 millions d'euros en 2017.

Ces chiffres sont malheureusement irréfutables. Vivendi est un groupe coté dont les comptes sont certifiés par des commissaires aux comptes. Entendre des gens déclarer que le problème n'est pas là est assez risible. Les pertes augmentaient de telle manière que Vivendi était obligé d'intervenir - et rapidement -, même si la maison en elle-même n'était pas tout à fait en perte.

Ces pertes ne sont pas des pertes comptables, ce ne sont pas des opérations du passé qui n'auraient pas été provisionnées. Ces pertes entraînent des besoins en cash. Vivendi, en tant qu'actionnaire des chaînes Canal+, se devait donc de remettre de l'argent au pot pour couvrir ces pertes, étant entendu que le groupe Canal+ dans son ensemble est déjà endetté à hauteur d'un peu plus de 1 milliard d'euros et qu'il n'a pas les moyens de s'endetter davantage, eu égard à ses résultats.

Cette situation grave n'avait pas été révélée par l'équipe précédente pour une raison très louable : chaque fois que l'on dit que Canal+ ne va pas bien, son image en pâtit, ce qui n'est pas bon pour les abonnements.

Et puis, comme Vivendi ne contrôlait pas en détail ce qui se passait, la vie a continué de la même façon, pendant plusieurs années. Les pertes de Canal+, en France, ont en effet commencé en 2011 ou en 2012, au moment de l'arrivée de concurrents puissants et importants dont vous avez parlé, madame la présidente.

Nous sommes intervenus à la fois pour mettre fin à ces pertes - ce que doit faire toute entité sociale responsable - et pour ne pas mettre en péril l'une des pièces essentielles de notre stratégie en matière de distribution gratuite et payante de contenus. Canal+ fait partie d'un ensemble industriel cohérent.

Qu'avons-nous fait ? Nous n'avons pas engagé de plan social. Sur les 8 000 collaborateurs du groupe Canal+, nous n'avons changé que 21 dirigeants, qui ont bénéficié de conditions financières extraordinairement agréables.

Nous avons estimé qu'il était nécessaire de remplacer ces dirigeants par d'autres personnes, capables d'apporter un regard neuf et de travailler davantage ensemble. Nous avons tout de même gardé certains des dirigeants déjà en place : Maxime Saada, le directeur général du groupe Canal+, était auparavant le numéro trois ou le numéro quatre, il est aujourd'hui le numéro un opérationnel ; le directeur financier, Grégoire Castaing, normalien, est également là depuis une douzaine d'années. C'est lui qui m'a fourni les chiffres que je vous ai présentés.

Le programme est assez simple : vous vous trouvez devant une société qui perd de l'argent et qu'il faut redresser le plus vite possible, car plus vous attendez, plus les trous se creusent. Et c'est ce que l'équipe en place est en train de faire.

Je comprends tout à fait l'émotion des passagers d'un avion qui apprennent qu'il n'y a plus de kérosène et qu'il faut remettre de l'essence, alors qu'ils pensaient que tout allait bien. Je comprends l'émoi, mais je ne peux malheureusement pas, en tant que responsable, fermer les yeux sur une telle situation.

Si la valorisation du groupe Bolloré, que je dirige depuis trente-cinq ans, est passée de un franc à plus d'une dizaine de milliards d'euros sans la moindre augmentation de capital, c'est parce que nous avons toujours appliqué les mêmes méthodes : essayer de construire sur des axes stratégiques bien clairs, avec des équipes compétentes qui travaillent ensemble.

C'est exactement ce que font aujourd'hui Arnaud de Puyfontaine et le directoire du groupe Vivendi. C'est aussi ce que font Jean-Christophe Thiery, le président du directoire du groupe Canal+, Maxime Saada et les différents membres du directoire et du comité exécutif.

Je ne suis là que pour prendre les coups, pour attirer la foudre sur moi, ce qui peut s'avérer assez utile pour les autres, et pour assurer une certaine continuité.

Le problème, dans certaines entreprises, c'est que les actionnaires financiers ne vous permettent pas toujours d'aller au bout de vos projets industriels. C'est ce qui est arrivé à Jean-Marie Messier.

Personne ne peut dire s'il avait raison ou tort. Ce qui est certain, c'est qu'il a été arrêté avant de pouvoir le démontrer. C'est sans doute ce qui me serait arrivé au moment où Bertrand Delanoë a décidé d'équiper Paris de voitures électriques si je n'avais pas contrôlé mon groupe familial. Tout le monde disait que c'était une folie et j'aurais sans doute été jeté dehors. De même, nous avons repris Havas, alors que tout le monde expliquait que les créatifs allaient partir. Au final, Havas est l'un des groupes publicitaires qui se porte le mieux au monde.

Il peut en être de même du groupe Canal+. Je pense que le travail mené va permettre de redresser cette société. Ce dont je suis certain, en tout cas, c'est qu'il fallait le mener pour éviter à ces 8 000 collaborateurs de connaître de grandes difficultés.

J'ajoute que nous ne contrôlons que 15 % du capital de Vivendi et 25 % des droits de vote. L'essentiel de l'actionnariat est entre les mains de fonds, principalement anglo-saxons - anglais, américains ou autres... Ces fonds ne sont pas intéressés par ce qui se passe dans un pays par rapport à un autre. Ils sont intéressés par les résultats.

Arnaud de Puyfontaine pourra vous en dire un mot tout à l'heure, l'ensemble des grands actionnaires, qui sont d'ailleurs les mêmes grands actionnaires de la plupart des groupes français - Fidelity, Legal and General... - n'ont aucune envie de remettre 400 millions d'euros par an dans Canal+.

Cette diète nécessaire va bientôt porter ses fruits. Tout le monde sait d'ailleurs intuitivement que le groupe Canal+ était arrivé au bout de son modèle. Comme je l'ai dit, je sers de paratonnerre. À mon âge, il est bon d'avoir cette utilité. Cela permet aux équipes de travailler en toute tranquillité.

Le cinéma est l'axe essentiel de notre stratégie sur les chaînes gratuites du groupe Canal+. Comme vous le savez, le groupe finance le cinéma à hauteur de 500 millions d'euros par an, dont 200 millions pour le cinéma français. Nous produisons à peu près 200 films par an, des grands, des moyens et beaucoup de petits.

En tant que représentant de l'actionnaire de référence, j'ai été auditionné à plusieurs reprises par le monde du cinéma. Nous nous reverrons encore la semaine prochaine. Nous ne cessons d'affirmer urbi et orbi, ne varietur, que nous continuerons de soutenir le développement du cinéma français ; nous souhaitons même accentuer encore notre soutien.

Le cinéma est au coeur de notre stratégie. Il s'agit de l'une de nos forces par rapport aux grands groupes américains que sont Disney, Time Warner, Facebook, Google, Amazon ou encore Netflix. Il s'agit même d'une carte essentielle. Les droits sportifs sont importants, mais ils comptent moins que le développement du cinéma dans la mise en oeuvre de notre stratégie.

Il ne s'agit d'ailleurs pas seulement du cinéma, mais aussi des séries. Canal+ investit énormément dans les séries. Nous venons de nous lancer dans le développement de mini-séries, via notre nouvelle filiale Studio+, qui seront notamment diffusées sur les compagnies de téléphone avec lesquelles nous avons conclu des alliances, soit purement commerciales et techniques, soit capitalistiques, comme avec Telefonica et Telecom Italia.

La politique de Vivendi consiste donc à développer des contenus, au premier rang desquels figure la musique. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur le numéro un mondial dans ce domaine.

Le deuxième contenu au monde, en termes d'utilisation, ce sont les jeux vidéo. Nous sommes revenus sur cette case en acquérant un peu plus de 95 % d'une affaire française à laquelle nous croyons beaucoup, Gameloft, qui développe un grand nombre de jeux vidéo pour les mobiles.

Le troisième contenu, c'est ce que l'on appelle le stock, c'est-à-dire les films, les séries, les mini-séries, tout ce que l'on peut passer et repasser. Nous sommes assez puissants dans ce domaine en Europe grâce à Studio Canal, mais nous ne sommes pas encore assez puissants dans le monde. Vivendi souhaite réaliser des acquisitions ou des développements à objectif mondial, à l'instar de ce que nous faisons dans les mini-séries.

Le quatrième contenu, ce sont les flux, c'est-à-dire des émissions diverses sur lesquelles le groupe Canal+ a beaucoup d'expérience. Nous nous sommes encore renforcés en entrant dans le capital du troisième groupe mondial, Banijay - le premier et le deuxième appartenant respectivement au groupe Murdoch et au groupe Bertelsmann.

De la même façon que le groupe Bolloré est devenu l'un des premiers groupes de transport et de logistique ou de stockage d'électricité au monde, nous espérons bâtir un champion des médias à travers cette construction patiente des contenus.

Encore faut-il pouvoir distribuer ces contenus. C'est la raison pour laquelle Canal+, via ses chaînes gratuites et payantes en France et dans le monde, est un élément essentiel de notre stratégie. Nous avons une ambition mondiale.

Bien évidemment, vous vous intéressez surtout à une partie des 5 milliards d'euros du chiffre d'affaires du groupe Canal+. Notre vocation est de nous occuper de ces chaînes de télévision de manière globale, au moment où le digital nous permet de passer en over-the-top, ou OTT, un peu partout dans le monde.

Nous pensons que les téléviseurs ne sont pas l'unique moyen de passage. C'est la raison pour laquelle nous sommes rentrés dans des plateformes : nous avons repris Dailymotion, deuxième ou troisième plateforme de partage de vidéos au monde, que nous développons. La même équipe est en charge des télévisions et des plateformes. Maxime Saada est donc aussi président de Dailymotion, de la même façon qu'il est présent sur l'ensemble des contenus du groupe. Tout cela fonctionne ensemble.

Nous développons également un autre projet, Watch, dont j'ai lu dans la presse qu'il serait localisé en Allemagne. Je ne sais pas d'où provient cette information. Le directoire ne m'en a pas fait part... M. Arnaud de Puyfontaine vous dira ce qu'il en est.

Notre groupe est à Ergué-Gabéric depuis 195 ans. Nous fêterons cet anniversaire le 17 février prochain. Je ne vois pas bien pourquoi nous souhaiterions aller à l'étranger, même si c'est au directoire d'en décider...

Arnaud de Puyfontaine s'est longuement exprimé sur notre politique en matière de télécommunication. Nous n'avons pas vocation à devenir opérateurs de télécommunications. Nous ne voyons pas de synergies possibles avec un groupe de notre taille. Cela ne nous empêche pas de passer des accords avec un certain nombre de partenaires. Nous le ferons sûrement avec des opérateurs français.

Vient enfin ce que l'on appelle le « physique ». Nous sommes rentrés dans la Fnac, parce qu'elle dispose d'un grand nombre de points de vente. Notre investissement de 159 millions d'euros a permis d'aider la Fnac à devenir un champion, face à un concurrent britannique, en prenant le contrôle de Darty et en développant un ensemble de distribution présent dans les pays où Vivendi a décidé de se développer en priorité, c'est-à-dire sur un axe partant de la France vers l'Italie, l'Espagne et l'Afrique.

Cela ne nous empêche pas d'être également présents en Asie, notamment au Vietnam. Nous étudions d'autres opportunités d'investissements en Asie.

Nous nous développons aussi dans les salles de cinéma. C'est ce que nous avons fait avec CanalOlympia. Notre groupe a la chance, grâce à l'héritage de Jean-Marie Messier, de disposer de très belles salles comme l'Olympia, première salle française, et de très beaux studios comme Abbey Road, à Londres, ou Capitol à Los Angeles.

Nous disposons donc d'un ensemble d'endroits où repérer les talents, leur permettre de se produire avant de passer ensuite sur les télévisions, les plates-formes ou les telco, les compagnies de télécommunication.

Voilà, en quelques mots, madame la présidente, quel est mon rôle, quel est le rôle de l'équipe et quel est notre objectif.

Je suis toujours très flatté d'entendre que je fais tout : dans les voitures électriques, dans le transport, même en Afrique... Mais je ne suis pas un surhomme ; je suis un monsieur dans sa soixante-cinquième année qui a hérité d'un groupe. Je représente la sixième génération et je m'efforce de préparer l'arrivée de la septième, heureusement déjà très présente à l'intérieur du groupe, ce qui permet de mettre en place des politiques de long terme.

Je souhaite permettre au groupe Vivendi, notamment à travers Canal+, de devenir un champion français de notre culture. Je ne suis plus un enfant de quatre ans et je lis ce qui s'écrit avec beaucoup d'intérêt. Il y a toujours quelque chose d'intéressant à retirer des critiques, même des plus désagréables. Je viens de l'Ouest, là où l'huître, sous le citron, bouge, même si l'huître reste l'huître.

Nous avançons avec détermination. Nous sommes arrivés à la conclusion, avec les équipes du directoire de Vivendi, qu'il fallait intervenir assez rapidement dans le groupe Canal+. Les politiques disent souvent qu'il faut tout faire dans les cent premiers jours. Mais quand les autres le font, ils trouvent cela épouvantable, violent... Quand nous avons décidé cette diète, les gens se sont effrayés, car ils ignoraient la situation du groupe Canal+.

J'ai aujourd'hui la joie, ou la tristesse, cela dépend du point de vue des uns et des autres, de penser que Canal+ se redresse. Il me suffit de voir les équipes travailler ensemble, de voir le travail qu'elles abattent et le cap qu'elles suivent pour m'en convaincre.

On ne voit pas ce qui se passe sous la terre, mais quand vous avez retiré les cailloux et les racines, quand vous avez bêché, mis des engrais et des graines et qu'il y a l'eau et le soleil qu'il faut, les choses vont pousser à un moment. Je crois qu'il en va de même pour Canal.

De la même façon que les gens se sont inquiétés trop tard, ils ignorent qu'ils pourront bientôt se réjouir. Je pense que les résultats seront visibles assez rapidement, tout du moins je l'espère.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, monsieur le président, d'avoir resitué cette audition dans un cadre plus large, celui du groupe Vivendi.

Certaines de mes questions demeurent sans réponse, mais nous aurons l'occasion d'y revenir.

Je vais laisser la parole à nos rapporteurs.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Monsieur le président, merci de cet exposé. Je salue votre volonté, dans une situation de crise, d'opter pour le développement et non pour le repli sur soi. Cela n'est pas pour nous déplaire au regard du contexte compliqué dans lequel notre pays et l'Europe se trouvent.

Tout le monde s'interroge sur le phénomène de concentration à la fois verticale et horizontale évoqué par Mme la présidente. À cet égard, je souhaiterais que vous nous précisiez votre stratégie en matière de production audiovisuelle.

Vous avez acquis une part significative du capital de la société de production Banijay. Dans quelle mesure souhaitez-vous développer la production dépendante ? Quelles sont vos ambitions en matière de production en France, en Europe et aux États-Unis ?

Ces derniers mois, France Télévisions et TF1 ont respectivement négocié avec le monde de la production pour faire bouger la réglementation sur la production indépendante. Des accords ont été conclus. Que pensez-vous de ces négociations ?

Toujours en matière de concentration - horizontale, cette fois -, nous constatons qu'un groupe intégré est en train de se constituer autour de SFR, ancienne filiale de Vivendi. Croyez-vous à cette convergence des contenus et aux rapprochements capitalistiques des diffuseurs de programmes et des groupes de télécommunication ? Vivendi pourrait-il être un acteur de ces rapprochements en France et en Europe ?

Le Parlement vient de débattre d'une proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias. Or, vous êtes au coeur des polémiques qui ont pu se cristalliser sur plusieurs sujets, notamment celui de l'intervention de la direction et de l'actionnaire de référence sur les rédactions et le contenu d'émissions qui ont pu être diffusées.

Je ne pense pas que l'on puisse éluder le sujet. Il est important que la représentation nationale vous entende sur ces questions. Nous ne sommes pas là pour rendre la justice, mais pour connaître votre position sur les rapports entre pouvoir capitalistique et information indépendante, objective.

Un premier cas a fait couler beaucoup d'encre : la déprogrammation d'un documentaire consacré au Crédit Mutuel. À la suite de cette affaire, vous avez été reçu par le CSA. Quels engagements avez-vous pris pour garantir à vos journalistes, à vos directeurs d'émission la neutralité nécessaire ? Comment faire en sorte que certains intérêts de votre groupe ne viennent altérer la perception du téléspectateur sur l'objectivité de l'émission ?

Nous nous sommes également interrogés sur les publicités déguisées sous forme de publireportages, présentés comme des documentaires. Ne pensez-vous pas que des mesures doivent être prises pour permettre aux téléspectateurs de différencier ce qui relève d'un publireportage, financé par une marque, d'un documentaire indépendant ?

Ces sujets, qui intéressent notre commission, sont souvent évoqués dans les couloirs. Autant en parler directement avec vous afin de connaître votre vision des choses.

Ma dernière question porte sur votre projet de lancement d'une plateforme SVOD européenne, concurrente de Netflix. Où en êtes-vous et quelles sont les caractéristiques de ce projet ?

M. Vincent Bolloré. - Je laisserai Maxime Saada, patron des antennes, répondre à votre dernière question.

Je pense que les gens ont crié au loup, parce qu'ils ne veulent pas faire la diète ! Pourquoi ma popularité n'est-elle pas très élevée chez Canal, alors que nous n'avons touché qu'à 21 personnes sur 8 000 et que nous n'avons engagé aucun plan social, contrairement à ce qu'aurait fait n'importe quel investisseur en arrivant dans un groupe essuyant autant de pertes ? Tout simplement parce que nous avons réduit les trains de vie !

Il y a eu une grosse polémique sur Cannes, mais je vous assure que nos abonnés ont trouvé notre couverture du festival plutôt meilleure que celles des années précédentes. Il y a eu des polémiques sur les Césars, mais la dernière émission a été plutôt meilleure que les précédentes. Le dernier championnat de Formule 1 a été couvert par sept personnes au lieu de vingt-huit... Nous suivons avec intérêt ce que nous disent nos abonnés et ils ne se plaignent pas. Comme dit le proverbe, « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage »...

Je n'ai jamais vu le documentaire sur le Crédit Mutuel et je ne sais rien des publireportages dont vous parlez, monsieur le rapporteur. Je laisserai donc Maxime Saada vous répondre sur ces questions.

Pour autant, je n'ai pas le pouvoir physique ou moral de demander à qui que ce soit de retirer quoi que ce soit. Je suis obligé de passer par « la voie hiérarchique » ; je ne vais pas me présenter dans une régie en demandant de supprimer un sujet. Toutes ces histoires, ce sont des blagues ! Elles ont été mises en avant pour éviter la diète. Quand on a été un groupe tout-puissant, que l'on faisait beaucoup d'entre soi, il n'est pas très agréable de devoir faire comme les autres, c'est-à-dire faire attention à ce que l'on dépense !

Le premier problème est de savoir si vous voulez un champion national ou non. Les parlementaires ont à se prononcer sur cette question. Si vous ne voulez pas d'un champion national, c'est assez simple : il suffit d'instaurer des mesures anti-concentration et les choses continueront comme aujourd'hui. Aucun groupe français n'essaiera de porter la culture française à l'extérieur et tous les acteurs de ce secteur mourront petit à petit. Je laisserai Arnaud de Puyfontaine parler de tout cela. Il a été recruté pour diriger ce groupe en raison de sa grande connaissance des médias internationaux.

Le débat sur le fait de mettre en valeur les contenus que nous produisons me semble quelque peu surréaliste. C'est un peu comme demander au groupe Disney de ne pas se servir de la souris Mickey dans ses parcs d'attraction ! Tous les groupes qui cherchent à se développer partent des synergies industrielles.

Il faut aller en Afrique, parce que c'est un continent qui va bientôt compter 2 milliards d'habitants dont une grande partie parlera français. Nous y avons des bases fortes. Ce serait une folie de dire à Vivendi de ne pas y aller parce que le groupe Bolloré y est déjà ! Ce serait une folie de ne pas passer la musique d'Universal, parce que cette société nous appartient ; ce serait une folie de ne pas développer Gameloft ou de ne pas travailler avec Havas ! Dire le contraire n'est ni réaliste ni souhaitable.

S'agissant de SFR, il est évident que la convergence entre les contenus et les tuyaux est en train de se faire partout dans le monde. Patrick Drahi réussira-t-il son pari ? Je l'ignore, mais je lui souhaite.

Beaucoup de rapprochements ont lieu aujourd'hui. En ce qui me concerne - mais ce n'est pas moi qui dirige le groupe -, en tant qu'actionnaire de référence et président du conseil de surveillance, je pense qu'il n'est pas souhaitable de faire à la fois le téléphone et les contenus. Je crois que c'est quasi impossible à réussir. Mieux vaut conclure des accords sur mesure avec des opérateurs de télécommunication, ce dont nous parlera M. de Puyfontaine, plutôt que d'essayer de faire d'abord le téléphone et ensuite les contenus. Je pense que ce serait très difficile et très coûteux. Il est plus simple de faire ce que nous faisons.

Toujours est-il que la convergence est en train d'arriver. La concurrence ne fait que commencer. La valorisation boursière de M6 est de 1 milliard d'euros, celle de TF1 de 2 milliards, celle de Lagardère de 3 milliards et celle de Vivendi de 25 milliards. La valorisation des GAFA, c'est 500 milliards de dollars ! C'est un peu comme les invasions des années 400, la vague à venir est toujours plus forte que la précédente.

Vous allez voir arriver, hors de tout contrôle, car ne passant pas par les réseaux hertziens, de nouveaux concurrents dont certains sont déjà là : Netflix a investi cette année 6 milliards d'euros dans les contenus ; Amazon est en train de réaliser des choses considérables.

Il s'agit de groupes puissants, contrôlés par des dirigeants qui ne détiennent qu'une petite partie du capital, mais qui peuvent s'appuyer sur de multiples droits de vote. Ce sont des gens jeunes, agiles, puissants, qui viennent de la technologie. Si vous voulez un champion français, voire européen, vous avez plutôt intérêt, si je peux me permettre, à le favoriser. Je ne sais pas qui va venir, mais je sais que la concurrence va être extraordinairement rude.

M. Maxime Saada, directeur général du groupe Canal+. - Cela fait quatorze ans que je suis chez Canal+. Je m'occupe des programmes depuis un peu plus de trois ans. J'ai succédé à Rodolphe Belmer dans ce rôle.

Je travaille très directement avec Vincent Bolloré et Jean-Christophe Thiery depuis un an. Que les choses soient très claires : il n'y a jamais eu la moindre intervention, quelle qu'elle soit, de la part de Jean-Christophe Thiery, de Vincent Bolloré, du directoire de Vivendi sur un programme, quel qu'il soit, dans la galaxie des chaînes Canal+ - chaîne d'information, chaînes payantes ou chaînes gratuites.

L'histoire du Crédit Mutuel précède l'arrivée de Vincent Bolloré chez Canal. Nous avons créé, voilà trois ans, sur l'initiative de Rodolphe Belmer, un comité d'investigation, que je préside. Il se réunit chaque mois pour examiner tous les dossiers d'investigation possibles, reportages et documentaires.

Nous avions validé le documentaire sur le Crédit Mutuel. KM, la société qui coproduisait ce documentaire - et qui produisait aussi Le grand journal - avec Mediapart m'a averti que nous ne serions pas livrés dans les temps. Quand Mediapart a révélé les informations contenues dans ce documentaire qui ne m'était pas livré et que nous avions financé, j'ai jugé tout seul qu'il ne nous intéressait plus. L'intérêt d'un documentaire d'investigation, pour nos abonnés, tient aux révélations qu'il apporte. Quand ces révélations sont déjà sorties, cet intérêt disparaît.

Le comité n'a jamais changé de fonctionnement. Les personnes qui ont mis en doute ce processus ne participent pas à ce comité et aucune des personnes citées sur ce sujet n'y participe non plus.

Nous procédons toujours de la même façon : soit nous acceptons les sujets qui nous sont proposés parce qu'ils sont intéressants et susceptibles de contenir des révélations, soit nous ne les acceptons pas, faute d'intérêt, c'est-à-dire de révélations. Nous pouvons aussi avoir des doutes : y aura-t-il des révélations ? Aurons-nous accès aux personnes clés du dossier ?...

Personne ne parle des documentaires qui nous ont créé des difficultés, y compris depuis l'arrivée de Vincent Bolloré. En tant que directeur de la publication, je suis pénalement responsable de ce que nous diffusons. C'est la raison pour laquelle, par exemple, j'ai été attaqué par H&M, qui n'a pas aimé un documentaire que nous avons diffusé.

En revanche, on a cité l'exemple d'une investigation que j'avais refusée sur YouTube. En effet, un mois après que le directoire de Vivendi et Vincent Bolloré m'ont nommé à la tête de Dailymotion, on m'a proposé une enquête sur YouTube, principal concurrent de Dailymotion. Il m'a semblé normal de refuser ce programme.

Je ne crois pas qu'existe, dans le paysage audiovisuel français, une autre chaîne qui se moque, sur une base quasi quotidienne, de ses dirigeants. Je ne comprends pas que l'on doute, ici ou ailleurs, de la liberté éditoriale des équipes de Canal+, et notamment de CNews, anciennement iTELE, dont les journalistes nous ont dit eux-mêmes qu'ils étaient parfois presque trop libres. Quand on voit Les Guignols, Groland, toutes les émissions de Canal+ qui raillent la direction ou les hommes politiques, et dont vous êtes parfois vous-même les victimes, je m'étonne que l'on questionne encore la liberté éditoriale de Canal.

Nous considérons en effet qu'il s'agit d'un élément-clé. D'abord pour nos abonnés, qui sont notre premier sujet de préoccupation, et non simplement par conviction personnelle.

Par ailleurs, nous avons la capacité d'assumer cette indépendance, parce que les recettes de Canal+ ne dépendent pas des revenus publicitaires, contrairement à d'autres chaînes, notamment hertziennes. Le seul sujet qui nous intéresse, c'est la valeur procurée à nos abonnés.

Je voudrais revenir sur la question des synergies à travers quelques exemples concrets.

Grâce à Vivendi, nous avons pu remporter deux appels d'offres : le droit de diffuser en exclusivité les cérémonies du festival de Cannes et les droits sportifs du top 14, compétition majeure du rugby en France.

Dans les deux cas, nous avons remporté ces appels d'offre - les ayants droit nous l'ont confirmé -, parce que notre proposition globale allait bien au-delà des chaînes Canal+.

Grâce à Dailymotion, qui compte 400 millions de visiteurs par mois sur une base mondiale, dont 25 millions aux États-Unis, nous avions la capacité de porter l'image du festival de Cannes, le plus grand festival de cinéma du monde, à l'international. Comme l'a souligné Vincent Bolloré, l'objectif de Vivendi est d'exporter cette culture dans le monde, et le rôle d'une plateforme comme Dailymotion est essentiel.

De la même façon, les artistes d'Universal Music représentent un fantastique pouvoir d'attraction. Certains artistes français, comme Kenji ou Louane, ont d'ailleurs remporté des succès phénoménaux à l'étranger.

Canal+ va diffuser dans quelques jours la finale du top 14, à Barcelone. C'est la première fois que cette finale va s'expatrier, faute de stades disponibles en France, Euro de football oblige. Le rugby est un sport très populaire, en pleine croissance, mais nous n'aurions certainement pas réussi à remplir aussi rapidement les 92 000 places du stade de Barcelone sans l'apport d'un artiste comme Bob Sinclar.

Je voudrais aussi revenir sur la stratégie de production audiovisuelle. Certaines optimisations économiques peuvent guider des choix d'intégration. Banijay produit l'émission la plus populaire des chaînes Canal+, Touche pas à mon poste.

Dans la mesure où nous travaillons énormément avec eux, il était assez logique de nous rapprocher. De même, nous avons intégré la société Flab, qui produisait Le grand journal, le Tube et le Canal football club, l'émission la plus populaire de Canal+.

La question de la propriété des droits est aussi un élément très important de ce jeu mondial. Nous ne disposons aujourd'hui que de très peu de droits par rapport à notre contribution à la création. Il ne s'agit pas du tout, pour Canal+ ou pour Vivendi, de chercher à produire tout ce que nous diffusons sur nos chaînes ou nos plateformes. Cela n'aurait évidemment aucun sens.

Nous voulons d'abord, comme l'a souligné Vincent Bolloré, favoriser le développement de projets qui viennent de toutes parts, de toute société de production. Nous travaillons avec plus de 60 sociétés de production dans le cinéma français. Il est très important pour nous de recueillir et de diffuser les meilleurs projets possible, qu'ils viennent ou non de Canal+.

Comme l'a souligné Vincent Bolloré, se développer à l'international est devenu une nécessité. Pour faire face à ces concurrents mondiaux, nous devons aussi être capables d'exporter des programmes à haute valeur ajoutée culturelle et d'en détenir au moins une partie des droits.

C'est tout l'enjeu pour faire face à ces acteurs mondiaux. Aujourd'hui, nous finançons une série qui s'appelle Versailles et qui coûte un peu plus de 30 millions d'euros. Or nous n'avons aucun droit sur Versailles, nous n'avons aucunement la capacité de favoriser son développement à l'international. Dans le même temps, Netflix va pouvoir obtenir les droits de la série Marseille, par exemple, et la diffuser partout dans le monde sur ses 160 localisations.

M. Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi. - Sur la question des plateformes, de notre projet OTT, évoqué par M. le rapporteur, de la relation entre les producteurs de contenus que nous sommes et les opérateurs de télécommunication, le plus grand dénominateur commun est de savoir si la représentation nationale souhaite soutenir la création d'un groupe français à ambition mondiale dans le domaine de la distribution de contenus.

Vivendi se développe sur l'OTT, par exemple, à travers ses chaînes payantes et son service de SVOD, Canalplay. Netflix, le concurrent de Canalplay, a longuement discuté avec les différents représentants de l'écosystème média français afin de connaître les conditions de son arrivée sur le marché français. Or Netflix émet son signal depuis le Luxembourg et fait transiter ses flux économiques dans d'autres pays européens. Il ne respecte donc pas les règles du jeu d'un opérateur local. Dès lors, il est tout à fait important de se demander si notre appareil réglementaire, nos règles du jeu, permettent à un groupe tel que Vivendi de porter ce projet et de concurrencer les grands acteurs mondiaux que l'on voit émerger.

Netflix est basé sur la côte ouest des États-Unis et compte aujourd'hui 75 millions de clients dans le monde. Sa masse critique lui permet de financer des contenus, d'investir globalement dans des séries de télévision. Le budget horaire d'une production de Netflix se situe entre 5 et 6 millions de dollars, celui d'une série européenne ou française est d'environ 600 000 ou 700 000 euros. Bien évidemment, le plus important est de faire preuve de la meilleure créativité possible. Mais si l'argent ne fait pas tout, il permet de servir une ambition mondiale.

Il est essentiel, monsieur le rapporteur, que Vivendi puisse s'appuyer sur cet effet de taille afin de créer un véhicule qui profitera à l'ensemble de la chaîne de valeur et des acteurs de la production. Il ne s'agit pas aujourd'hui d'un débat opposant les gros aux petits. Il s'agit simplement de regarder le principe de réalité et de se demander si nous disposons d'une bonne vision de notre environnement concurrentiel, d'une bonne stratégie pour défendre nos intérêts dans cette compétition mondiale et de créer les conditions qui nous permettront de gagner et de mener à bien le projet stratégique qui vous a été présenté.

Certains exemples internationaux sont intéressants. ITV, l'équivalent anglais de TF1, était dans un état critique, au sens économique du terme, en 2009. Ce groupe, restructuré par l'ancien patron de la poste, Adam Crozier, a multiplié sa valeur par cinq en l'espace de six ans. Une nouvelle structure, dénommée ITV studio est à l'origine de 80 % de cette valeur. Ce producteur, basé en Angleterre, aux États-Unis, et dans d'autres pays, dont la France, s'est intégré dans cette évolution quasiment darwinienne d'un acteur de la communication. Imaginer que, demain, un diffuseur puisse croître et connaître une certaine pérennité économique sans pouvoir intégrer la production est une hérésie.

Nous avons entamé un processus de partenariat stratégique avec certains opérateurs de télécommunication, notamment Telecom Italia et Telefonica. Nous avons des liens privilégiés de nature commerciale avec d'autres opérateurs.

Nous souhaitons tisser un maillage qui nous permette de construire une base d'accès à la clientèle. C'est notre réponse à Netflix et à ses 75 millions de clients, par exemple, qui ambitionne d'atteindre 120 millions d'abonnés mondiaux d'ici à trois ans, ou à Amazon qui a décidé de se lancer dans le streaming et le SVOD.

Notre réponse à la dimension mondiale de notre environnement concurrentiel passe notamment par ces accords avec les opérateurs de télécommunication. Cela nous permet d'avoir des liens privilégiés avec ces derniers, de développer nos contenus et de répondre à cette convergence.

Il nous semble préférable d'être excellent dans notre métier d'éditeur de contenus, sous toutes ses formes, et d'avoir un accès privilégié à des opérateurs de télécommunication que de faire les deux métiers en même temps. Vivendi a fait le choix du contenu, de la créativité, des talents, des médias.

Mme Claudine Lepage, rapporteure pour avis des crédits de l'audiovisuel extérieur. - Je vous remercie également, monsieur le président, et de votre présence et de votre présentation.

Comme l'a souligné Mme la présidente, nous sommes attentifs à l'évolution du panorama audiovisuel en France, mais aussi à celle de notre audiovisuel extérieur. Nous sommes également attachés à la défense de la francophonie.

Canal+ finance la création francophone, mais aussi - de plus en plus - anglophone. Je pense, par exemple, à la série Versailles, tournée en anglais. Nous pouvons dès lors nous inquiéter qu'internationalisation ne rime avec standardisation. Pouvez-vous nous rassurer sur le fait que Canal+ continuera de défendre la francophonie et la diversité du patrimoine culturel européen, et notamment ses langues, dans tous les pays où le groupe entend se développer ?

L'Afrique, où vous avez de nombreuses activités, apparaît être une priorité du développement de Canal+. Pouvez-vous nous présenter votre stratégie ? Quelles sont vos relations avec TV5 Monde et France Médias Monde, qui sont très actifs sur ce continent ?

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits « Création et cinéma ». - Je vous remercie, monsieur Bolloré, d'avoir accepté cette audition très attendue. Vous jouez en effet un rôle majeur sur le plan économique et industriel. Vous avez décidé de vous investir dans le domaine des médias et de la culture. C'est là que mes interrogations vont porter.

J'espère, par mes questions, montrer l'utilité du Sénat à ceux qui disent, en s'amusant, que nous ne servons à rien.

Nous avons toujours pensé que le monde de l'audiovisuel français souffrait de l'absence d'un grand groupe spécifique de médias comme il en existe chez nos partenaires européens. Des groupes de bâtiment et travaux publics (BTP), par exemple, ou votre groupe, s'intéressent à un moment aux médias, ce qui crée de la concentration et, à tout le moins, des risques de confusion.

Certains diront que cette confusion est inévitable. Je ne le crois pas. Encore faut-il bien délimiter les frontières et faire en sorte que ce qui relève du domaine de l'information ne souffre d'aucune influence, notamment en raison des intérêts financiers de l'actionnaire, par exemple, et que ce qui relève de la culture, de la création ne soit pas considéré comme une simple marchandise au pays de l'exception culturelle.

Or ces craintes semblent s'être matérialisées depuis votre arrivée à la tête du groupe Vivendi, l'été dernier. Vous nous dites que tout cela est mensonge, mais les faits sont là.

Un reportage sur le Crédit Mutuel, validé par vos équipes juridiques, a été déprogrammé alors que cette banque a des intérêts en commun avec le groupe Vivendi. M. Saada a beau nous nous dire qu'il a refusé de diffuser ce documentaire parce que les révélations étaient déjà sorties dans la presse, cet argument ne me convainc pas.

Nous ne pouvons accepter, au nom de notre combat d'intérêt général pour la liberté de l'information, que l'on censure un reportage critiquant des clients ou des partenaires financiers. Or c'est cette confusion congénitale du système français qui le permet. C'est la raison pour laquelle il faut mettre en place des garde-fous et demander aux actionnaires de ne pas intervenir sur les contenus de l'information. Le journalisme est un métier.

Il faut aussi que les engagements pris en matière de création soient respectés. Or l'inquiétude est grande dans le cinéma français, dont Canal+ est le poumon. Allez-vous maintenir le niveau d'investissement de la société que vous dirigez ? Vous avez toujours dit que l'équilibre entre sport et cinéma était essentiel pour maintenir ce niveau d'investissement. Quelles peuvent être les conséquences, pour le cinéma, de l'échec du rapprochement avec BeIN Sport ?

J'ai lu dans Le Figaro que vous vous interrogiez sur vos obligations. Vous souhaiteriez notamment vous concentrer sur les films à gros budget. Cela se fera-t-il au détriment de la diversité, que vous vous êtes engagé à promouvoir dans le cadre des conventions conclues avec le CSA et le monde du cinéma ?

Vous souhaiteriez également coproduire les films et moduler vos investissements en fonction du succès des films dans les salles, ce qui dérogerait aux accords existants. Pouvez-vous nous confirmer ces informations ? Souhaitez-vous renégocier les accords de 2015 ? Quel sera votre niveau d'investissement dans le cinéma ?

J'ai commencé mon propos en parlant du Crédit mutuel, j'aimerais le conclure en évoquant le reportage diffusé par France Télévisions.

Vous avez déclaré qu'un journaliste de France Télévisions aurait soudoyé un jeune Africain de 14 ans pour qu'il témoigne à charge contre une société dont vous êtes actionnaire, au Cameroun. C'est une accusation grave. Vous auriez même dépêché des huissiers sur place.

Or j'ai lu dans Le Canard enchaîné que cet enfant, moyennant finances, aurait été incité à déclarer qu'il avait été soudoyé par un journaliste de France Télévisions. Vous pouvez nous dire que c'est n'importe quoi, mais comprenez que nous ayons besoin de l'entendre de votre bouche.

Vous avez déclaré, devant la rédaction d'iTELE, que vous n'aviez jamais, en trente-cinq ans, cherché à taper dans les coûts au moment de développer ou de redresser une société. Or, on aurait annoncé hier, lors de la réunion du comité d'entreprise d'iTELE, la suppression de 50 contrats à durée déterminée (CDD). Un tel nombre de suppressions, ce n'est pas rien ; à ce niveau, c'est même la destruction d'une rédaction.

M. Leleux a évoqué la question des publireportages confiés à des journalistes d'iTELE. Il s'agit bien d'une confusion entre journalisme et communication, voire publicité.

Comme vous le voyez, je mets tout sur la table. Je sais que vous êtes un homme connu pour assumer ses actes. J'ai toujours pensé que l'enceinte parlementaire était le lieu du débat contradictoire, clair, dans l'espace public.

Nous avons besoin d'explications précises pour nous forger une opinion. Quand vous êtes arrivé à la tête du groupe Vivendi, je n'ai pas souvenir de vous entendre dire que Canal+ était en train de couler, que le niveau de déficit était exorbitant et que les 8 000 salariés du groupe étaient en danger. Vous nous dites l'avoir découvert en arrivant aux commandes, mais je vous sais suffisamment averti pour savoir où vous mettez les pieds au moment d'investir...

M. Vincent Bolloré. - Je vais commencer par répondre à cette charge quelque peu étonnante.

Je pense tout d'abord, monsieur Assouline, que vous auriez pu faire preuve d'une écoute plus attentive. Quand je suis arrivé chez Canal, le 3 septembre dernier - le discours est enregistré -, j'ai aussitôt dit, et je parle sous le contrôle du président du directoire de Vivendi, quelle était la situation.

Cette situation était d'ailleurs connue du médiateur, les pertes de Canal+, je parle, cette fois, sous le contrôle de Maxime Saada, étant publiées dans le cadre d'une procédure d'injonction.

Je voudrais dire quelques mots des accusations assez graves que vous avez évoquées.

Premièrement, la plantation en question ne nous appartient pas. Aucun cadre du groupe Bolloré ne travaille dans les plantations sur lesquelles le service public a enquêté pendant six mois. Nous ne sommes que des actionnaires minoritaires. Les gens qui ont réalisé ce reportage le savent très bien. Il s'agit d'un amalgame particulier.

Deuxièmement, les journalistes affirment ne pas avoir été reçus. C'est inexact : ils ont été filmés et ont signé des papiers qui le prouvent. De toute façon, le procès que vont intenter les responsables de la société nous permettra d'y voir plus clair.

Troisièmement, ces mêmes responsables m'ont envoyé un exploit d'huissier - encore une fois, il ne s'agit pas d'employés du groupe Bolloré - constatant que cette personne, qui déclarait avoir 14 ans, en avait 20. Le procès dira ce qu'il en est. Il ne me semble pas très compliqué de vérifier l'âge d'une personne...

Il ne s'agit pas de journalistes pris par hasard en défaut. Nous parlons d'un travail de six mois. Comme je l'ai dit, je suis là pour servir de paratonnerre. Tant mieux si je peux être utile, mais tout cela me semble quelque peu exagéré.

Quand vous avez construit quelque chose pendant trente-cinq ans, votre passé plaide pour votre futur. On a souvent dit de moi que je n'y connaissais rien, que j'allais me casser la figure, que les voitures électriques, ça ne marcherait jamais ! Après trente-cinq ans d'activité, on peut s'appuyer sur ce que les Anglais appellent un track record - pardon pour la francophonie. Pourquoi, après tout ce temps, touché par je ne sais quoi, commencerais-je à agir différemment de ce que j'ai toujours fait ?

Votre distinguo entre les groupes qui ne travaillent que dans les médias et les autres ne correspond à rien. Nicolas de Tavernost, qui fait pourtant partie d'un groupe purement médiatique, a déclaré en public qu'il ne voulait pas diffuser de documentaires ou d'enquêtes à charge contre ses propres annonceurs. Nous, nous n'avons jamais dit une chose pareille. Je ne vois donc pas à quel titre, sur quelles bases, vous pouvez dire qu'il y a, d'un côté, les bons groupes, ceux qui ne font que des médias et, de l'autre, les mauvais groupes, ceux qui font autre chose.

J'ajoute, pour finir, que le Crédit Mutuel n'est pas particulièrement lié avec Vivendi, Bolloré ou qui que ce soit. Il ne l'est pas davantage que BNP-Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole et l'ensemble des grandes institutions françaises.

Ces procès d'intention, que vous pouvez reprendre en toute bonne foi, dans la mesure où je ne passe pas mon temps à tout dénoncer, ont commencé, pour l'essentiel, au moment de mon arrivée à Canal+.

J'ajoute un dernier élément : je lis toujours avec intérêt, dans les articles de Mediapart que vous citez, les informations concernant M. Dupuydauby, un de nos anciens employés qui a détourné des actifs du groupe Bolloré. La Cour suprême espagnole vient de confirmer sa condamnation à trois ans et demi de prison ferme et à 1 million d'euros d'amende. Or ces articles continuent de le présenter comme un ancien concurrent du groupe Bolloré. Pardonnez-moi, monsieur Assouline, mais, à un moment donné, je pense qu'il est intéressant d'aller voir la réalité.

M. Maxime Saada. - Si France Télévisions a pu diffuser le reportage sur le Crédit Mutuel, c'est parce que nous l'y avons autorisé. De la part de censeurs, c'est tout de même étonnant.

Aucune instruction n'a été donnée aux journalistes d'iTELE de faire du publireportage. Cela n'aurait aucun sens. Sur un plan éditorial, je ne comprends même pas comment cela pourrait fonctionner.

La situation d'iTELE, que Jean-Christophe Thiery pourra peut-être évoquer, est critique. La chaîne a perdu 16 millions d'euros voilà deux ans, perdra 20 millions cette année et environ 25 millions l'année prochaine.

Cette situation n'est pas durable. Elle met en péril l'existence même de la chaîne dans un contexte de concurrence exacerbé. Grosso modo, en Europe, on dénombre deux chaînes d'information par pays. En France, nous allons avoir le privilège d'en compter quatre. Les choses vont donc encore se compliquer.

La pression sur le marché publicitaire est telle que les revenus d'iTELE, qui a pourtant tiré son épingle du jeu en termes d'audience, ne cessent de décroître. Tout comme pour Canal+, nous devons rationaliser les dépenses de cette chaîne d'information, à laquelle nous sommes très attachés. Il y va de sa pérennité.

Contrairement à vous, monsieur Assouline, nous ne pensons pas que la non-reconduction de 50 contrats à durée déterminée d'usage, ou CDDU, mette en péril l'existence de la rédaction. La nature même d'un tel contrat est de ne pas être reconduit. Ces personnes n'avaient vocation à travailler pour nous que durant une saison. Il ne s'agit donc pas de licenciements, mais de non-reconductions, compte tenu des difficultés que connaît iTELE.

Le groupe Canal+ dispose de l'une des plus importantes rédactions des sports de France, voire d'Europe, avec près de 200 journalistes, répartis entre Canal+ et Infosport. Nous avons décidé de tirer parti de ces forces vives et de les mettre à contribution. Il s'agit d'un axe de différenciation très intéressant pour iTELE dans un contexte de rationalisation des dépenses.

Nous souhaitons développer cet esprit de collaboration entre toutes les chaînes du groupe, et notamment dans le domaine du sport, du cinéma et de la culture, dans lesquels nous pouvons disposer d'un avantage comparatif.

Cela nous permet également de réaliser des économies, y compris en termes d'emplois de type CDDU, ce qui me semble assez naturel. Emprunter cette voie peut nous permettre de sauver iTELE.

M. Jean-Christophe Thiery. - Comment peut-on laisser entendre que notre actionnaire laisse tomber iTELE, alors que Vivendi a dû investir 60 millions d'euros ces trois dernières années pour la soutenir ? Tous les actionnaires ne feraient pas de même...

Nous ne reconduisons pas ces CDDU pour deux raisons. D'abord, parce qu'il faut que cette chaîne revienne à l'équilibre. Nous avons donc décidé de réaliser des économies et de rechercher des avantages concurrentiels en nous appuyant sur les forces internes du groupe, à commencer par le sport.

Le groupe Canal+, c'est 8 000 heures de sport par an, une rédaction de 200 journalistes. Mais c'est aussi la culture et le cinéma. Il nous semble donc normal que notre chaîne d'information soit la chaîne d'information spécialisée dans le cinéma.

De même, à l'heure où 20 % de l'information est consommée à travers les réseaux sociaux, on voit tout le potentiel que peut représenter, pour iTELE, une pépite comme Dailymotion, deuxième plate-forme de partage de vidéos dans le monde.

Il y a un avenir pour iTELE au sein du groupe Canal+, ce qu'a confirmé notre actionnaire en nous demandant de développer nos synergies.

Nous ne reconduisons pas ces CDDU en raison du nécessaire rétablissement de l'exploitation d'iTELE dans un univers incroyablement complexe - quatre chaînes d'information, cela ne se voit nulle part ailleurs ! - ; mais aussi à la demande expresse de l'inspection du travail, qui nous a indiqué que nous ne pouvions conclure de CDDU sur ce type d'emplois. Nous sommes donc obligés de nous mettre en règle avec la loi.

M. Maxime Saada. - S'agissant de l'Afrique, nos relations sont très bonnes avec France Médias Monde et TV5 monde. Nous diffusons partout, sur tout le territoire francophone, TV5 monde et France 24. Nous avons même pris l'engagement de diffuser la nouvelle chaîne jeunesse Tivi5. Nous travaillons également au Vietnam, avec France Médias Monde.

Concernant le cinéma français, nous avons pris des engagements très précis de diversité et de financement de films qui ne pourraient exister sans Canal+. Nous sommes au contraire très attachés à ce que des petits films, comme l'évoquait Vincent Bolloré, émergent.

Nous avons été très attentifs aux budgets, notamment aux gros budgets. C'est donc tout l'inverse de ce que vous semblez redouter : nous voulons éviter que de gros films ne monopolisent l'essentiel de l'engagement du groupe Canal+ sur le cinéma. Au contraire, nous sommes très attachés à la diversité, au financement de petits films, à la découverte de jeunes talents, de jeunes réalisateurs...

En réalité, la principale menace qui pèse sur le cinéma français est celle qu'évoquait Vincent Bolloré : ce n'est pas la pérennité du rôle de Canal+ dans le cinéma qui était un moment en question, mais tout simplement celle de Canal+.

Quand le chiffre d'affaires de Canal+ décroît, le cinéma français est lui-même pénalisé, puisque nous reversons un pourcentage fondé sur l'assiette de notre chiffre d'affaires abonnements.

Vincent Bolloré rappelait que nous nous soumettons à une injonction de l'Autorité de la concurrence qui nous impose de bien distinguer, depuis plusieurs années, les activités d'édition des activités de distribution au sein du groupe Canal+.

Laissez-moi vous donner quelques chiffres. Nous avons perdu près de 500 000 abonnés depuis 2012. De 4 415 000 abonnés fin 2012, nous sommes passés à 4 360 000 abonnés fin 2013 et à 4 026 000 fin 2015. Nous prévoyons malheureusement de passer sous la barre des 4 000 000 à la fin de l'année 2016.

Il s'agit d'une réalité. La perte de recettes liée à ces désabonnements constitue potentiellement la principale menace pesant sur le cinéma français. C'est donc aussi pour lui que nous devons nous efforcer de continuer de développer le chiffre d'affaires de Canal+. Pour autant, il n'est pas question de revenir sur les engagements financiers que nous avons pris auprès du cinéma français.

M. Vincent Bolloré. - En réalité, nous avons rattrapé, au cours de l'exercice 2016, un retard qui avait été pris en 2015. Le monde du cinéma le sait très bien.

Je voudrais revenir quelques instants sur la francophonie. Il s'agit de l'un de nos principaux axes de développement. Non pas pour vous faire plaisir, madame, mais parce que nous pensons que l'avenir du monde, l'avenir de notre pays, repose aussi sur la francophonie. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire de contenus en anglais, mais qu'il faut en faire beaucoup en français.

Les investissements que réalise notre groupe dans des pays francophones sont considérables. Ils ne visent pas qu'à augmenter le nombre d'abonnés - Canal+ a pratiquement plus d'abonnés à l'étranger qu'en France. Le développement international, sous la direction de Jacques du Puy et de ses équipes, a été remarquable. Nous sommes tous convaincus de son succès et de ses succès futurs.

Nous développons aussi sur place beaucoup de contenus en français qui ont vocation à être envoyés dans le monde entier, avec ou sans sous-titres. Vous pouvez d'ailleurs constater que beaucoup de personnes à l'étranger, en particulier aux États-Unis, se mettent à apprendre le français.

Nous pensons que notre groupe doit non seulement soutenir l'exception culturelle, mais aussi l'exporter. Le rôle de Vivendi et de Canal+ est donc essentiel : si vous n'avez pas un champion pour exporter ces contenus en français, vous serez diminués.

Mme Colette Mélot. - Merci de votre exposé très intéressant, monsieur le président.

Nous le savons tous, la révolution numérique affecte toutes les industries culturelles.

Votre groupe est éditeur de contenus sous toutes les formes. Vous êtes le deuxième actionnaire de la Fnac, distributeur de produits culturels, et vous avez également investi dans des salles de spectacles.

Vous avez évoqué la concurrence inéluctable des GAFA. Je pense que nous partageons tous plus ou moins ce point de vue.

Ma question concerne le livre. Quelle est votre vision de l'avenir du livre et de sa diffusion ?

Mme Marie-Christine Blandin. - Monsieur le président, vous êtes un capitaine d'industrie. On ne passe pas d'une entreprise de papier à cigarette à un des plus grands groupes du monde sans avoir de talent.

Le groupe Canal+ était en mauvais état. Votre choix de diversification correspond-il à une volonté de rentabilité ou à un attachement personnel à la sauvegarde de la culture ? La culture, la communication, la formation sont-elles des marchandises comme les autres ?

La présidente a rappelé quelques contraintes : les fréquences appartiennent au domaine public, le journalisme s'inscrit dans un cadre éthique, protecteur de la liberté de la presse.

À cet égard, que pensez-vous de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias en cours de discussion au Parlement et dont certaines dispositions renforcent la protection des journalistes ? Que pensez-vous des « chartes maisons » détaillant les droits et devoirs des journalistes et, éventuellement, de la charte de Munich ? Que vous inspire la création d'une entité juridique des rédactions, ce qui ne figure pas dans ce texte ?

Vous vous êtes comparé à un paratonnerre. En tant que physicienne, je tiens à rappeler qu'un paratonnerre fait baisser la tension (Sourires.). Or ce qu'on lit de vous dans les médias aurait plutôt tendance à faire monter la tension.

Pouvez-vous, les yeux dans les yeux, me dire, sans faire appel à M. Saada, votre fusible de réponse, que vous n'intervenez pas sur le choix des thématiques d'investigation ? Vous n'empêcheriez pas une enquête sur le Nutella, par exemple ?

Enfin, monsieur le président, êtes-vous partie au procès des journalistes de Basta ! ou de France Télévisions qui ont agi contre vos intérêts ? Je ne parle pas d'intérêts financiers, mais d'intérêts liés, par exemple dans le Nutella, l'huile de palme, ou l'hévéa...

M. Philippe Bonnecarrère. - Merci à M. Bolloré et à son équipe de cette présentation stratégique claire, ferme et structurée.

Je voudrais essentiellement m'attacher à la notion de champion mondial de la culture française que vous avez placé au coeur de votre présentation.

Quelle est votre motivation ? S'agit-il seulement de décliner le thème du « croître ou mourir », l'idée que pour continuer d'exister il faut être sur le podium olympique mondial ? S'agit-il d'un rêve d'enfant ou du développement logique de votre business ?

En d'autres termes, êtes-vous en train de créer un groupe mondial, contrôlé par des capitaux français et des décideurs français, ou un groupe mondial qui puisse avoir du sens pour la culture française ? En quoi le projet économique de votre groupe a-t-il du sens pour la culture française ?

M. Pierre Laurent. - Merci à M. Bolloré et à son équipe de bien vouloir répondre à nos questions.

Vous dites vouloir bâtir un grand groupe de contenus, mais vous nous avez assez peu parlé de contenus. Bien évidemment, vous dites vouloir développer leur volume, leur profitabilité, mais il ne s'agit pas que de cela. Les contenus culturels ont du sens. Nous avons toujours cherché à défendre la diversité et la liberté de création.

Le Festival de Cannes est l'un des plus grands festivals de cinéma au monde. Son originalité ne tient pas seulement à sa taille, mais à son audace en matière de programmation et de distinctions. Nous sommes très attachés à la défense de cette diversité, laquelle doit comprendre une protection de la liberté de création dans tous les domaines. Les engagements que vous prenez sont très importants à nos yeux, eu égard à l'importance du groupe que vous dirigez en matière de musique et de cinéma.

Je suis le premier à considérer que l'on ne peut balayer d'un revers de main le débat sur la question d'un champion national dans une époque de mondialisation. Mais vous semblez vouloir occulter, si j'ai bien compris votre argumentation, tout débat sur la concentration, comme s'il s'agissait d'un obstacle à la construction de tels champions.

La question est alors pour nous de savoir quel champion vous voulez bâtir ? Le champion des dividendes, le champion de la taille ou le champion d'une certaine idée de la culture ?

La question de la concentration, dont nous avons discuté ces derniers temps au sein de notre commission, est un vrai sujet.

Vous avez cité quelques chiffres pour mettre en évidence les rapports de force entre grands groupes mondiaux. Comment nous protégerons-nous de cet inexorable phénomène de concentration et de son corollaire, l'uniformisation des contenus, si nous laissons faire les choses ?

Vous nous demandez de vous soutenir, en tant que champion national, comme l'ont fait les autres groupes audiovisuels français que nous avons entendus. N'oubliez pas qu'il existe un groupe de service public dans le paysage audiovisuel français. Construire des positions françaises fortes en matière culturelle suppose aussi de réfléchir à la question des synergies et de la coopération, et pas seulement de nous demander de soutenir tel ou tel groupe.

Je pense que nous avons tous conscience que les bouleversements technologiques et ceux de la mondialisation nous poussent à repenser les questions de la diversité et de la concentration.

Mme Mireille Jouve. - Merci à M. Bolloré de sa présentation.

La stratégie industrielle de Vivendi et les synergies à trouver avec le groupe Canal+ ont été bien exposées. Nous pouvons vous remercier d'avoir été très clair sur ce sujet.

Mes questions vont peut-être paraître triviales, mais elles correspondront peut-être davantage à celles que se posent les téléspectateurs et les abonnés.

Vous avez déclaré vouloir faire de Canal+ une chaîne premium dont la plupart des contenus seraient réservés aux abonnés. Quelle place accorderez-vous aux émissions en clair à la rentrée ? Elles ont toujours été une vitrine pour Canal+ et un produit d'appel pour les abonnés.

Ma deuxième question porte également sur l'identité de Canal+. Quel avenir pour les émissions satiriques ou celles qui portent un regard décalé sur l'actualité ? Les auteurs des Guignols sont partis et l'émission est aujourd'hui cryptée ; le Petit journal et sa société de production s'en vont chez TF1 ; si l'on en croit plusieurs articles, le zapping serait également sur un siège éjectable. Qu'en est-il de l'avenir de ces émissions ?

Par ailleurs, Télérama a publié hier un article selon lequel l'émission Spécial investigation serait sur le point soit d'être abandonnée par Canal+ soit de ne plus être diffusée sur une base hebdomadaire. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Vincent Bolloré. - Ma mère a été lectrice chez Gallimard pendant cinquante ans. C'est dire si le livre avait une place importante dans l'éducation que j'ai reçue.

Vivendi, qui était le premier éditeur de livres, est sorti de cette activité. Je peux toutefois vous dire qu'Arnaud de Puyfontaine n'a qu'une idée en tête : y retourner !

Je l'appuierai dans sa démarche, parce que je pense qu'il s'agit d'un élément essentiel de notre offre de contenus. Quelques auteurs gagnent beaucoup d'argent, mais la plupart auraient besoin d'un grand groupe pour les soutenir.

Vous avez tendance à opposer culture et profit en pensant que la création d'un grand groupe pourrait aller à l'encontre de la culture. Je pense que c'est exactement l'inverse : c'est en développant cette culture que vous deviendrez puissant et que vous deviendrez rentables.

Énormément d'auteurs, d'acteurs, d'écrivains, d'artistes divers ont des talents et ne peuvent les exprimer. C'est le rôle d'un grand groupe comme Vivendi, s'il est puissant, de les présenter au monde entier. La création d'un champion permettra de concilier défense du patrimoine et rentabilité. Vivendi est en train de conclure des accords avec la Fémis et d'autres accords de toutes sortes pour soutenir la création.

Je ne pourrai répondre à un certain nombre de questions sur la programmation dans la mesure où les grilles de rentrée n'ont pas encore été arrêtées. Sur le principe, je peux vous dire qu'il y aura beaucoup de nouveaux talents.

Je ne crois pas que le Sénat, et les parlementaires en général, puisse croire que développement de la culture et profits sont antinomiques. Au contraire, les deux vont ensemble. C'est parce que vous aurez un avantage sur les autres que vous ferez des profits. Vous n'allez pas pouvoir combattre les Américains sur des films d'action. Vous n'allez pas pouvoir combattre les Asiatiques sur les mangas et leurs spécialités.

Nous pouvons les combattre sur ce que nous avons de plus fort, sur notre patrimoine. Ce n'est pas un hasard si la France est encore la première destination touristique du monde. Notre groupe s'est beaucoup penché sur la question : nous représentons ce qu'ont construit nos aïeux et ce que nous construisons. Cet ensemble constitue un formidable passé qui continue d'évoluer. Et c'est cela qui plaît aux étrangers : au milieu du Louvre, nous construisons une pyramide ; au milieu du Vieux Paris, nous construisons Beaubourg. Certes, sous les cris des gens, mais, après quelques années, nous réalisons qu'il s'agit d'une bonne chose. Cette culture qui évolue fait notre force.

Au moment des attentats, la presse internationale s'est demandé pourquoi les gens aimaient autant Paris et la France. Pour l'ambiance de nos cafés, pour notre art de vivre... Et je crois que Vivendi, c'est un peu tout ça : la défense de cet esprit français, de cette culture, de cette évolution que nous pouvons mettre au service de la réussite économique. Les deux ne sont pas opposés, comme le progrès social n'est pas opposé au profit : les gens qui travaillent dans nos usines en Bretagne ne sont pas malheureux de gagner de l'argent. Au contraire, il vous est moins facile d'aider les autres quand vous êtes vous-même en difficulté.

Nous ne demandons pas particulièrement votre aide, monsieur Laurent. Nous nous contenterions de ne pas être tout le temps attaqués ! Primum non nocere, disait le savant autrefois...

Nous ne demandons pas de soutien public et, à ma connaissance, nous ne recevons pas d'argent public. Nous finançons le cinéma et un certain nombre de choses, soit pour des raisons réglementaires, soit parce que nous pensons que c'est utile.

Je crois que ce groupe a les moyens, de par sa taille, de développer cette culture exceptionnelle de la France et d'en faire un atout particulier qui fera sa réussite.

Il ne s'agit pas du tout d'un rêve de jeunesse. La genèse de ce projet n'est pas à chercher dans ma psychologie personnelle. Nous sommes partis d'un constat : la culture française plaît. Si 90 millions de touristes viennent chaque année en France, ce n'est pas pour le sourire des taxis ni la vélocité des services publics (Sourires.). C'est parce que nous avons autre chose à offrir, parce que tout peut arriver chez nous, parce que c'est un endroit où il fait bon vivre.

C'est en raison de cette appétence du marché mondial pour notre culture et de l'absence de champion français suffisamment développé que nous nous sommes engagés dans ce projet qui concilie ce que j'aime - la littérature, le cinéma, la culture... - avec les ambitions d'un grand groupe qui avance.

Comme je l'ai dit, je partirai assez prochainement de la tête ce groupe. La septième génération est déjà en place, aux côtés des grands patrons qui m'accompagnent. Si vous voulez passer des générations, si vous voulez des entreprises qui s'inscrivent dans la durée, il faut leur fixer un cap.

Développer un groupe de médias français présent dans le monde entier, grâce aux nouvelles technologies, peut permettre de concilier intérêts culturels et intérêts économiques. C'est grâce à ces intérêts économiques que nous pourrons investir dans des intérêts culturels.

À part quelques personnes qui gagnent beaucoup d'argent, la plupart des gens qui travaillent dans l'édition ne gagnent rien, n'arrivent pas à vivre. Un groupe comme Vivendi, qui peut faire une école, qui peut aider les gens à participer, qui peut financer des salles de spectacles, c'est important.

Vous voyez bien qu'en finançant des salles de spectacles, des écrivains ou des metteurs en scène, nous leur rendons service, nous rendons service à notre pays, mais nous rendons service à notre groupe, qui va ensuite payer des impôts. N'opposons pas ces deux notions, je crois qu'il n'y a pas lieu de le faire.

Je peux assurer à Mme Blandin, éminente physicienne, que Maxime Saada n'est pas un fusible ; Maxime Saada est proprio motu. (Sourires.)

Les yeux dans les yeux, je ne suis pas capable d'interdire ou de faire faire des choses. Je ne saurais pas comment m'y prendre. Et puis, je ne peux être à la fois dans tous les endroits du monde en même temps.

Je ne vois pas en plus l'intérêt pour moi d'aller défendre une campagne anti-Nutella ou pro-Nutella. Je n'ai pas d'intérêts particuliers dans le Nutella. Une société que je ne gère pas, fait de l'huile de palme qui doit représenter 1 % du Nutella... Dès lors, pourquoi ne pas me reprocher de favoriser le Sénat en venant répondre à vos questions ou de favoriser tel organe de presse en répondant à un journaliste ?

Je crois sincèrement que toutes ces critiques se sont abattues sur moi parce que ce que nous faisons chez Canal+ n'est pas très populaire. Personne n'aime faire la diète. Nous n'avons pourtant mis en oeuvre aucun plan social. La non-reconduction des CDDU s'est faite à la demande de l'inspection du travail. Le groupe Vivendi recrute, le groupe Canal+ recrute aussi.

Je suis très honoré d'être reçu au Sénat. Je n'y avais encore jamais été invité, ni pour parler des véhicules électriques, alors que la pollution est responsable de 48 000 morts par an dans les villes, ni pour parler du développement de la publicité, ni pour parler de mes activités de transport et de logistique, ni pour parler du développement de la bande 3,5 GHz pour un nouveau service Internet haut débit que nous développons ou encore du wifi dont nous sommes l'un des principaux acteurs au monde. Par contre, Canal+, c'est intéressant. Il est vrai que ce groupe a toujours eu une histoire quelque peu « électrique ».

Madame, je vous réponds les yeux dans les yeux. Tout cela n'est que prétextes pour éviter de faire la diète. Peut-être aurait-il fallu montrer autant d'inquiétude pour les 8 000 personnes qui travaillent chez Canal+ et pour s'assurer que Vivendi continue de donner 400 millions d'euros par an contre l'avis de ses actionnaires, à l'exception du groupe Bolloré.

Vous voulez vous protéger, monsieur Laurent ? Je crois sincèrement que ce ne sera pas possible.

M. Maxime Saada. - J'ai même envie de dire qu'il est déjà trop tard.

Aujourd'hui, nous perdons régulièrement des séries étrangères, achetées par Netflix sur une base mondiale de 80 pays, même si notre offre sur le territoire français est mieux-disante. Cela arrive aussi à Sky, beaucoup plus grand que nous et présent dans trois pays.

Il est déjà trop tard pour s'opposer à cette concentration mondiale. La seule question qui importe est de savoir si nous sommes capables de développer des groupes - je ne dis pas un groupe - à même de lutter sur une base mondiale.

Nous tournons la série Versailles en anglais - j'aurais très nettement préféré que ce soit en français -, parce que nous sommes obligés de nous associer à d'autres partenaires pour financer des créations ambitieuses, capables de rivaliser avec les créations américaines.

Nous récoltons nos premiers succès concrets : Versailles a réalisé un record d'audience sur la BBC, voilà dix jours, avec 1,8 million de téléspectateurs en Angleterre. Le précédent record d'une série française appartenait aux Revenants, également produite par Canal+.

Le documentaire Relève, auquel nous sommes très attachés, a gagné trois prix aux États-Unis, dont un au prestigieux festival de Tribeca.

Le Bureau des légendes, dont nous venons de valider la troisième saison, a été sélectionné par iTunes Store, aux États-Unis, comme série de la semaine. C'est la première fois qu'une série française est sélectionnée par un magasin américain en tant que série de la semaine.

Nous récoltons les premiers fruits de ce travail de développement de la culture française. Face à une culture américaine qui « s'américanise » de plus en plus - nous avons des accords de long terme avec les studios de cinéma hollywoodien, et je peux vous dire que nous allons avoir les suites des super héros, les enfants des super héros... - certaines populations, y compris aux États-Unis, sont très demandeuses de ces produits à haute valeur ajoutée culturelle qu'évoquait Vincent Bolloré.

M. Vincent Bolloré. - Vous n'arrêterez pas la concurrence étrangère. La technologie leur permet de passer à l'extérieur, sans emprunter les fréquences hertziennes. Vous ne pourrez pas empêcher les gens de regarder leur téléphone mobile...

La seule chose à faire, et c'est ce à quoi nous nous attelons, est d'essayer de faire en sorte que des groupes, des champions se lèvent et poussent notre culture à l'étranger.

Je voudrais dire un mot des émissions en clair, sur lesquelles on raconte beaucoup de choses fausses.

Premièrement, les abonnés rapportent 1,5 milliard d'euros au groupe Canal+, les émissions en clair, 60 millions d'euros, c'est-à-dire moins de 5 % des recettes.

Deuxièmement, si vous faites du clair toute la journée, il est certain que vous perdrez vos abonnés. Canal+ diffuse six à sept heures de clair le weekend. Pensez-vous que les abonnés qui voient leurs voisins regarder les mêmes programmes qu'eux, sans rien payer, vont continuer de payer leur abonnement très longtemps ? Non ! Les désabonnements n'ont pas commencé le 3 septembre 2015, jour de mon arrivée à la tête du groupe. Je le redis : je suis la conséquence des pertes de Canal+.

Maxime Saada, qui est dans la maison depuis longtemps, n'a jamais réussi à démontrer que les émissions en clair, que vous présentez comme une vitrine, aient fait souscrire le moindre abonnement. Il s'agit de blagues, d'histoires... C'est juste qu'il est plus agréable de faire du clair, de voir des gens...

M. Maxime Saada. - Je me suis attaché personnellement à cette question, bien avant l'arrivée de Vincent Bolloré.

Même au plus fort des émissions en clair, c'est-à-dire au moment de la plus forte notoriété, du plus grand succès d'audience à la fois pour le Grand journal et Le petit journal, on n'a jamais réussi à démontrer que ces émissions motivaient un abonnement.

Cela contribue certainement à la notoriété d'un certain nombre d'incarnations de Canal+ et à la notoriété de Canal+, mais dans quelle mesure cette notoriété se traduisait-elle en abonnements supplémentaires ?

Au contraire, y compris durant cette période faste des programmes en clair en termes de notoriété, de puissance, de légitimité, les pertes d'abonnements ont continué de s'accélérer. Pourquoi ? Parce que les gens préfèrent s'abonner à un acteur comme BeIN Sports, qui détient de plus en plus de droits sportifs, qu'à Canal+, qui en perd de plus en plus.

M. Vincent Bolloré. - Sachez que pas un groupe de télévision cryptée dans le monde ne fait du clair. Les chaînes cryptées font toutes du crypté.

Quand on est le seul à faire quelque chose et que l'on perd 400 millions d'euros par an, peut-être vaudrait-il mieux s'interroger sur la pertinence de son propre modèle plutôt que de vouloir donner des leçons au monde.

Mme Sylvie Robert. - Merci, monsieur Bolloré, de nous avoir présenté votre stratégie industrielle et économique.

Vous avez parlé des abonnés. L'histoire de Canal+, est tout de même incroyable. Il s'agit d'un modèle innovant, qui a reposé sur l'image de marque de la chaîne, sur une forme d'histoire d'amour entre les abonnés et cette chaîne atypique.

Les abonnés, qui représentent 1,5 milliard d'euros de recettes, sont très attachés à cette image et à cette histoire faite d'émissions cultes, de cinéma et d'événements sportifs. Je vous sens attaché à ces abonnés même si, comme vous, je pense qu'une histoire n'a pas à se poursuivre mais à évoluer.

J'aimerais connaître votre projet éditorial. Comment comptez-vous faire revenir les abonnés ? Avez-vous envie de continuer cette « histoire d'amour » entre une chaîne et son public, même si l'image actuelle de Canal+ ne s'y prête guère selon moi ?

Au-delà de la stratégie industrielle et économique, qu'avez-vous envie de donner à voir à ces abonnés qui n'ont plus très envie de continuer ?

S'abonner est un geste qui a du sens au-delà du simple fait de soutenir une chaîne. Nous avons parlé stratégie économique et industrielle, parlons un peu contenu et culture.

M. Vincent Bolloré. - Je suis bien évidemment là pour faire remonter le nombre d'abonnés. Pour la première fois depuis bien longtemps, ce nombre est en forte augmentation en juin par rapport à l'année dernière.

Canal+, ce n'est pas cher. Acheter un journal chaque jour vous coûtera environ 40 euros par mois. Même s'il s'agit d'un très, très bon journal et que vous le lisez de la première à la dernière ligne, vous aurez moins de contenus que sur Canal+...

Les abonnés ne venaient pas pour regarder les programmes en clair, bien au contraire. Beaucoup d'abonnés sont très heureux de notre nouvelle politique.

Il est beaucoup question de BeIN Sports, mais je vous rappelle que nous possédons deux fois plus de droits que BeIN dans le football : nous dépensons 600 millions d'euros quand ils dépensent 250 à 300 millions. Nous venons de regagner le rugby, de gagner le golf et nous nous battons pour développer le sport dans beaucoup de secteurs.

Canal+, aujourd'hui, c'est les grands films en priorité, longtemps avant les autres chaînes, et c'est aussi des séries uniques. Maxime vous a parlé de Versailles, du Bureau des légendes, et de toutes celles qui sont en cours et qui sont de grands succès mondiaux.

Et puis, toujours dans l'esprit Canal, de nouveaux animateurs vont arriver à la rentrée. Encore une fois, je ne peux vous en dire davantage tant que les grilles ne sont pas arrêtées.

Le groupe Bolloré a investi 4,5 milliards d'euros dans le groupe Vivendi et Vivendi a placé environ 20 % de ses actifs dans le groupe Canal+. Vous pouvez donc me croire quand je vous dis que nous sommes intéressés par le développement de Canal+, que nous voulons réussir.

Je vous rappelle aussi que le groupe Canal+, ce n'est pas que du crypté ; c'est aussi des chaînes en clair : Canal huit, Canal news, Canal Star... C'est la capacité de trouver des tas de talent et de leur permettre de s'exprimer.

Je crois que vous allez être surpris, un peu comme M. Assouline qui ne m'avait pas entendu dire que la situation de Canal+ n'était pas bonne en septembre dernier, par la remontée du nombre d'abonnés de Canal+ et par sa réussite.

Le travail de la nouvelle équipe, le fait de ne plus être dans le déni, de dire la vérité et de faire les efforts nécessaires, tout cela va porter ses fruits. En outre, il s'agit d'efforts particulièrement ténus : on a fait toute une pendule parce qu'il n'y avait que 50 personnes à Cannes au lieu des 450 habituelles ! Personne n'est mort de n'avoir pas été à Cannes, que je sache. De nombreux abonnés voient d'un bon oeil ces économies. Ils préfèrent avoir des choses à l'écran que des gens en dehors de l'écran.

Canal+ doit diffuser du premium, ce que l'on ne trouve pas ailleurs en termes de sport, de films, de séries, d'émissions. Il faut de l'émerveillement, des nouveaux talents... Ce n'est pas moi qui vais le faire, je n'en ai pas la compétence. Mais des centaines de personnes dans le groupe ont ces compétences, il suffisait de les remettre sur le droit chemin.

M. Claude Kern. - Monsieur le président, vous avez en partie déjà répondu à la question que je voulais poser sur les événements sportifs.

Si le coût financier est loin d'être négligeable, la diffusion de grands événements sportifs est souvent le critère décisif pour s'abonner à Canal+.

Pouvez-vous nous dire pourquoi votre rapprochement avec BeIN Sports a échoué ?

Dès lors, comment envisagez-vous la diffusion des grands événements sportifs en sachant que les enchères sont de plus en plus importantes ?

Enfin, pensez-vous acquérir les droits de retransmission de sports moins populaires, tels que le handball, le volley-ball ou le basket-ball auprès de leurs fédérations respectives ?

M. Michel Savin. - Beaucoup d'abonnés s'interrogent sur les conséquences du rejet, par l'Autorité de la concurrence, du projet d'accord entre Canal+ et BeIN Sports. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Quelles peuvent être les conséquences de la perte des droits de la Premier League anglaise pour Canal+ ? Il s'agit d'un coup très rude. Envisagez-vous de rebondir en revenant vers d'autres sports que Canal+ portait autrefois pour le plus grand bien de leurs fédérations et du mouvement sportif ? Je pense notamment au basket-ball, l'un des points forts de Canal+ voilà quelques années, et à la boxe qui motivaient des abonnements.

M. Vincent Bolloré. - L'accord trouvé avec BeIN Sports était intéressant pour nos deux groupes. BeIN perd autant d'argent que nous, et peut-être même davantage au prorata. - ils perdent 300 millions d'euros quand nous perdons 400 millions -, alors même que je n'y suis pas... (Sourires.)

Canal+ devrait pouvoir distribuer BeIN Sports sans demander d'autorisation. Il n'existe aucune loi pour nous l'interdire. Le problème est qu'en 2006 - je n'étais pas là non plus - Canal+ aurait fait des choses terribles. Il aurait donc fallu, pour valider cet accord, que le régulateur lève une injonction qui nous est imposée depuis 2012 et dont l'effet durera jusqu'en 2017, voire 2022, c'est-à-dire bien après que je serai parti.

Ce qui est certain, c'est que ces injonctions rendent le groupe Canal+ beaucoup moins manoeuvrant que ses concurrents étrangers.

Cela étant dit, je respecte non seulement le Parlement et la démocratie, mais aussi les autorités de régulation. Je pense qu'elles sont nécessaires.

Si elles ont décidé de ne pas lever cette injonction, ce que nous regrettons, il n'y a rien à dire. Elles nous ont dit qu'elles réexamineraient la situation dans un an, ce qui nous laisse donc une année pour améliorer les choses.

Quand vous possédez un restaurant ou une boutique de vêtements et qu'un autre restaurant ou une autre boutique ouvrent dans la même rue que vous, c'est bon pour la concurrence et donc pour vous. Cet accord était intéressant parce que le consommateur ne sait plus vraiment quel abonnement souscrire pour accéder à l'ensemble des matchs qui l'intéressent.

C'est la raison pour laquelle l'idée d'avoir une vitrine commune nous paraissait intéressante. Nous n'avons pu le faire, ce que je regrette. Nous devrons nous imposer un peu plus de diète que prévu et faire preuve de davantage d'imagination. Bruno Lasserre nous surestime en déclarant que nous avons sûrement un plan B. Nous n'en avons pas, mais nous allons en chercher un.

Comme je vous l'ai dit, nous avons imposé une diète à Canal+ pour en finir avec des excès bien connus. Sur les 8 000 employés du groupe, il y en a peut-être 200 qui ne sont pas contents et 7 800 qui sont très contents. Certains d'entre eux me remercient, me félicitent d'avoir eu le courage de dire les choses et de prendre les mesures qui s'imposaient pour éviter d'aller dans le mur et permettre à Canal+ de se redresser.

Nous allons bien évidemment revenir sur d'autres sports. Une des erreurs de Canal+ a été de se concentrer uniquement sur quelques grandes vitrines.

J'ai fait référence aux grandes invasions. C'est un peu la même chose ici. Vous ne pouvez empêcher certains acteurs, qui n'ont pas les mêmes contraintes économiques que vous, de s'intéresser au cinéma, aux droits sportifs...

Le Qatar, lorsque le baril de pétrole était à 100 dollars, c'est-à-dire voilà encore six mois, dégageait un excédent commercial de 70 milliards de dollars par an. M. Patrick Drahi n'a pas fixé de limite à son endettement. Nous, nous n'avons pas d'excédent commercial et nous avons fixé une limite à notre endettement.

Après-demain, vous aurez sans doute de nouveaux intervenants - chinois, coréens ou autres. Le groupe Canal+ doit être prêt à faire face à cette nouvelle concurrence, un peu comme un alpiniste sait qu'il peut compter sur ses autres prises si l'une d'entre elles s'en vient à lâcher.

Quand vous êtes à la tête d'un groupe qui a 195 ans, vous savez que les concurrents tout-puissants ne le restent pas indéfiniment. Si vous avez la force, le courage, et les équipes suffisamment unies pour tenir, vous vous en sortirez. C'est ce que nous devons faire.

Nous devons nous battre pour diffuser tous ces sports, mais aussi pour aider les fédérations à développer ces sports. Nous devons aussi aller vers les amateurs et les clubs formateurs.

De la même façon, nous devrions davantage éditorialiser le cinéma. Il serait intéressant de mettre en valeur les choix de films, de réalisateurs, de casting de nos équipes. Canal+ est à la base de la création des films, ce n'est pas qu'un robinet.

Ce que j'ai dit des auteurs ou des films vaut aussi pour le sport. BeIN Sports a le Paris-Saint-Germain, ce serait amusant pour nous de prendre le plus petit des clubs et de voir où nous pourrions l'emmener.

M. Arnaud de Puyfontaine. - Nous soutenons déjà l'équipe de rugby de Brive dans le Top 14.

J'ajouterai, pour illustrer les collaborations et le projet stratégique de Vivendi et de Canal+, que nous sommes très attachés aux sports. C'est la raison pour laquelle Vivendi soutient la candidature de Paris à l'organisation des Jeux olympiques de 2024.

M. Patrick Abate. - Monsieur Bolloré, si vous le permettez, j'aimerais que nous inversions nos rôles l'espace d'un instant : avant de poser ma question, c'est moi qui vais vous répondre.

Vous regrettez de n'avoir jamais été invité au Sénat pour parler stockage d'électricité, transport ou logistique, et je vous crois sincère. Mais il est normal que les élus fassent preuve d'une exigence démocratique particulière sur les médias, la culture et la presse qui ne sont pas des marchandises comme les autres.

Il a été fait état de la convergence entre le contenu et les tuyaux, partout dans le monde. Or, en matière de presse, la neutralité du tuyau est une condition sine qua non d'indépendance du contenu.

On comprend plus ou moins ce qu'entend faire M. Patrick Drahi avec le groupe Altice et SFR. Pourriez-vous nous expliquer les raisons du rachat de Telecom Italia par Vivendi ? Quelle est la stratégie suivie à travers cette opération ?

J'aimerais également connaître votre vision des choses sur la question de la neutralité des tuyaux, essentielle en matière de presse.

M. Vincent Bolloré. - Bien évidemment, la neutralité est essentielle.

Ceux d'entre vous qui prennent les transports en commun ont l'occasion de lire l'excellent journal qu'est Direct matin et ils n'y trouvent pas tous les jours un truc pour Sarkozy ou un machin contre untel !

C'est un journal parfaitement neutre, objectif. Je crois qu'en dix ans, c'est-à-dire en 3 000 numéros, nous n'avons essuyé des critiques qu'à deux reprises - je parle sous le contrôle de Jean-Christophe Thiery, qui dirige ce journal

Notre famille s'est battue pour la liberté, comme la plupart de vos familles. Nous n'allons pas aujourd'hui revenir en arrière.

Telecom Italia est un sujet quelque peu différent. Nous avions une très grosse affaire de télécommunications au Brésil que nous avons échangée pour partie contre Telecom Italia.

Je vais laisser la parole à Arnaud de Puyfontaine, qui dirige cette société.

M. Arnaud de Puyfontaine. - Plutôt qu'une vision, c'est d'abord l'opportunité de prendre une participation dans Telecom Italia et de pouvoir distribuer nos contenus qui nous a guidés.

Nous avons augmenté notre participation pour devenir le premier actionnaire de ce groupe, avec 24,9 % du capital.

L'Italie fait partie du projet latin du groupe. Cette prise de participation est une première étape vers la réalisation de ce projet alliant contenus et distribution dont j'ai parlé voilà quelques instants. Parallèlement, nous regardons les opportunités qui pourraient se présenter via la consolidation du secteur des médias.

J'en reviens à ce projet et à l'importance de la taille. Nous nous sommes aussi rapprochés du groupe Mediaset. Nous voulons bâtir un projet français, mais à ambition internationale. Telecom Italia doit être l'un des éléments de ce que nous sommes peu à peu en train de construire.

Nos modes de consommation des médias connaissent une profonde révolution. Il peut être intéressant de regarder ce qui se passe chez nos voisins allemands, anglais, espagnols, italiens...

J'ai passé de nombreuses années dans le secteur de la presse, c'est un secteur que j'adore. Force est de constater que la presse en France a les plus grandes difficultés - en dehors de cet excellent journal qu'est Direct matin - à s'adapter aux mutations en cours, notamment dans le domaine de la distribution.

Il faut parfois se référer au principe de réalité pour défendre un secteur en danger et prendre les mesures qui s'imposent. La presse est soumise à des ruptures stratégiques partout dans le monde, mais elle semble souffrir bien davantage en France que chez nos voisins. Peut-être est-il temps de s'interroger pour prendre les bonnes décisions ?

Gardons cette idée en tête pour créer un environnement qui permette à des groupes tels que le nôtre de pouvoir gagner.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur le président, je tiens tout d'abord à vous remercier, ainsi que votre équipe, d'avoir passé ces deux heures en notre compagnie.

Vous aurez compris que cette audition était très attendue de mes collègues. J'en veux pour preuve le grand nombre de questions précises, exigeantes et franches qui vous ont été posées. Vous y avez répondu de la même manière, ce dont nous vous remercions.

Vous avez affirmé à plusieurs reprises votre soutien au cinéma, dans le respect de la diversité des petits films. Je retiens aussi votre engagement en faveur du sport.

Vous avez affirmé votre volonté et votre ambition de construire un groupe industriel qui soit le fer de lance de la culture française et de la francophonie, à laquelle notre commission est très attachée, comme l'a rappelé Claudine Lepage. Nous ne pouvons que soutenir cette ambition.

M. de Puyfontaine s'est demandé si nous avions conscience de la réalité de la concurrence mondiale. Le Sénat travaille bien évidemment sur ces sujets. Nous comprenons combien la mutation numérique bouleverse les cartes.

Face à la puissance et aux comportements monopolistiques des entreprises extra-européennes dont nous dénonçons régulièrement les abus de position dominante à Bruxelles, il est plus qu'urgent de s'organiser à l'échelle française et européenne. Il s'agit d'un enjeu de civilisation.

Si nous voulons que l'expression d'une culture française et européenne qui véhicule des valeurs particulières puisse survivre dans ce monde globalisé, nous devons nous donner les moyens d'une ambition industrielle forte.

Pour autant, il faudra disposer sur le plan national et européen d'un vrai schéma de croissance de nos entreprises et revoir sans doute un certain nombre de règles fiscales à Bruxelles. Voilà un chantier important qui nous attend !

Le groupe d'études Société numérique, rattaché à notre commission, s'est réuni hier. Nous avons auditionné des personnalités éminentes pour parler de la gouvernance mondiale de l'Internet et de la gestion des organismes techniques de l'Internet qui ont un impact non négligeable sur la structuration de l'écosystème internet.

Nous avons également conscience de l'importance de l'effet de taille, monsieur de Puyfontaine. Nous comprenons qu'il est important de s'organiser face à la concurrence mondiale. À cet égard, je me réjouis que Dailymotion ait été racheté par Vivendi voilà quelques années plutôt que par une entreprise chinoise ou américaine. De la même manière, et malgré les questions soulevées à l'époque, je me réjouis que Newen ait été rachetée par TF1 plutôt que par ITV.

Pour autant, il était légitime que nous posions un certain nombre de questions, les effets de concentration générant des risques plus prégnants de conflit d'intérêts ou de confusion des rôles.

Ces questions ayant été posées sur la place publique, il nous semblait important et légitime que les sénateurs puissent les reprendre.

Vous avez répondu à notre question sur la clarification des rôles entre l'actionnaire et la direction des antennes et des programmes. Nous en prenons acte.

M. Saada s'est également exprimé sur ces sujets. Si nous vous avons été exigeants, c'est en raison de notre grand attachement à Canal+, à sa spécificité. À titre personnel, j'étais très attachée aux Guignols. Cette légèreté de ton constitue l'identité de Canal+. Un lien affectif nous lie à cette chaîne atypique.

Nous prenons note de vos projets ambitieux pour Canal+. Nous avons été la première commission à vous inviter, peut-être serons-nous la prochaine à vous inviter de nouveau pour suivre les engagements que vous avez pris devant nous. Telle est l'exigence que les parlementaires doivent à la nation.

La réunion est levée à midi.