Mardi 24 mai 2016

- Présidence de Mme Colette Giudicelli, présidente d'âge -

La réunion est ouverte à 14 h 35

Audition de M. Franck Jarno, sous-directeur des formations et de l'insertion professionnelle, Mme Catherine Malinie, cheffe du département des écoles supérieures et de l'enseignement supérieur privé, MM. Sébastien Colliat (sous-direction de l'enseignement privé) et Thomas Lewin (direction des affaires financières) du ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Mme Colette Giudicelli, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui les représentants du ministère de l'éducation nationale. Nous avons, lors de nos précédentes auditions, entendu les représentants de l'institut de formation des imams de Château-Chinon, l'IESH (Institut européen des sciences humaines), de l'institut Al-Ghazali de la mosquée de Paris, ainsi que M. Mamèche, président de l'Association de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman, la FNEM, et M. Soussan, qui s'est investi dans la mise en place du lycée Averroès de Lille.

À l'issue de ces auditions, plusieurs questionnements sont apparus. C'est pourquoi nous avons décidé d'entendre des représentants du ministère de l'éducation nationale chargés des questions de l'enseignement privé, et des représentants de l'enseignement supérieur : MM. Sébastien Colliat et Thomas Lewin, de la direction des affaires financières de l'éducation nationale, direction chargée du suivi de l'enseignement privé, ainsi que Mme Catherine Malinie, cheffe du département des écoles supérieures et de l'enseignement supérieur privé, et M. Franck Jarno, sous-directeur des formations et de l'insertion professionnelle au sein de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle.

Madame, Messieurs, je vous remercie de vous être rendus disponibles. Si vous en êtes d'accord, je propose de nous présenter, dans vos domaines respectifs, le cadre d'action du ministère de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur sur l'école privée, et plus particulièrement les écoles privées musulmanes : quelles sont les modalités de contrôle de ces écoles, qu'elles soient ou non conventionnées, et notamment du respect des programmes ? Quelles sont les modalités du conventionnement ?

En ce qui concerne l'enseignement supérieur, nous nous interrogeons sur la possibilité, pour les étudiants des centres de formation de théologie musulmane, d'obtenir le statut d'étudiant, ainsi que sur la reconnaissance des diplômes. Enfin, est-il juridiquement envisageable d'instaurer au sein de l'université publique une formation de théologie musulmane et une formation des imams ?

Ensuite, les rapporteurs et mes autres collègues pourront vous poser leurs questions.

Je propose que nous suivions pour ainsi dire le cycle scolaire (Sourires), en commençant par les questions relatives à l'école primaire et secondaire, avant de nous tourner vers l'université.

Madame, Messieurs, vous avez la parole.

M. Sébastien Colliat, sous-direction de l'enseignement privé du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - L'enseignement privé musulman s'inscrit dans le cadre plus large de l'enseignement privé, au sein de l'équilibre désormais pluriséculaire entre droit à l'éducation et liberté de l'enseignement, deux principes fondateurs qui guident l'action du ministère de l'éducation nationale.

Le principe de la liberté de l'enseignement est prévu à l'article L. 151-1 du code de l'éducation, lui-même issu de la loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés, dite « loi Debré ». Il s'agit d'un principe absolu : on peut, aux termes de cet article, éduquer son enfant dans la famille, dans un établissement privé hors contrat ou sous contrat, ou dans un établissement d'enseignement public.

Ce principe fort est garanti, à la fois, par la Constitution et par des traités internationaux auxquels la France est partie, et toute l'action de l'État dans le domaine de l'enseignement en découle.

Le second principe, également très fort, est le droit à l'éducation. Il est prévu aux articles L. 111-1 et L. 131-1 et suivants du code de l'éducation, qui définissent la mission de l'éducation, ainsi que le socle commun de connaissances, de compétences et de culture que chaque jeune suivant une voie du système éducatif français a vocation à maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire.

Tels sont les deux fils conducteurs de l'action de l'État dans ce domaine.

L'enseignement musulman est, en France, un acteur émergent au sein du cadre général de l'enseignement privé.

L'enseignement privé sous contrat regroupe aujourd'hui 2,1 millions d'élèves : 877 000 dans le premier degré et à peu près 1,2 million dans le second. L'enseignement catholique - premier réseau et, historiquement, le plus important - représente 96 % de l'ensemble, les 4 % restants regroupant les réseaux laïc, protestant et musulman. Ce dernier réseau occupe une part très modeste, mais émergente, dont la dynamique ces dernières années est remarquable.

Je rappellerai quelques données historiques sur la progression de ce réseau musulman en France.

Le premier établissement d'enseignement privé musulman fut ouvert en 1948, à La Réunion : l'École de La Medersa, établissement du premier degré sous contrat. Les ouvertures suivantes n'eurent lieu que dans les années 2002 à 2004. Ces établissements étaient au nombre de 4 en 2007, de 24 en 2012, de 34 en 2013 - soit 145 classes, dont 30 sous contrat -, avec 2 767 élèves scolarisés, dont 675 dans les classes sous contrat.

On observe donc une progression rapide, qui se poursuit en 2015 avec 49 établissements, dont 5 sous contrat. Sur plus de 5 000 élèves scolarisés, 4 343 le sont dans des établissements hors contrat, et 862 dans les établissements sous contrat. Le nombre d'élèves y a donc presque doublé depuis 2013.

Les 49 établissements se répartissent dans 15 académies, 80 % de l'effectif d'élèves se trouvant dans 4 d'entre elles seulement. Il s'agit de Versailles (1 443 élèves), Lyon (802), Lille (727), Créteil (611). Les établissements sous contrat se trouvent majoritairement dans les académies de Lille - rien d'étonnant, car le lycée Averroès est le plus important établissement du réseau musulman de France - et de La Réunion, qui compte 234 élèves du premier degré. Dans les académies de Lyon, Aix-Marseille et Versailles, il y a quelques classes sous contrat au sein d'établissements majoritairement hors contrat.

Le réseau d'enseignement musulman compte donc essentiellement des établissements hors contrat, c'est-à-dire dont l'ouverture est subordonnée à une simple déclaration : leur association au service public n'est donc pas formalisée sous une forme contractuelle. Si ce réseau a une dynamique forte, sa structuration et son unité autour d'une tête de réseau restent à construire, à l'instar de ce que l'on a pu connaître il y a quelques années pour l'enseignement des langues régionales ou, plus récemment, pour les pédagogies alternatives. La FNEM se pose toutefois en tête de réseau et tente de fédérer les actions des porteurs de projets.

Mme Colette Giudicelli, présidente. - Comment ces établissements sont-ils financés ?

M. Sébastien Colliat. - Les établissements hors contrat ne sont pas du tout financés par l'État. Il existe des financements participatifs à la charge des familles, d'autres assurés par des regroupements d'associations,...

Mme Colette Giudicelli, présidente. - Des financements extérieurs ?

M. Sébastien Colliat. - Parfois en effet des financements extérieurs.

Une déclaration est cependant nécessaire pour ouvrir une école. Une fois cette démarche accomplie, l'établissement entame un parcours qui le conduira, ou non, vers le régime du contrat. Tout dépendra du résultat des contrôles et des modalités d'inspection.

M. Rachel Mazuir. - Ces établissements hors contrat, donc « autorisés » sur la base d'une simple déclaration, accueillent-ils des élèves de certaines nationalités en particulier, ou bien des enfants de toutes les origines - marocaine, algérienne, turque... ?

M. Sébastien Colliat. - Le réseau d'enseignement musulman accueille des enfants de toutes les communautés. Ses établissements ne sont pas représentatifs d'un pays ou d'un État. La structure qui les porte est généralement de nature associative, et ils relèvent d'un régime de déclaration. Le régime d'autorisation n'existe qu'en Alsace-Moselle, du fait du régime concordataire, que l'on taxe souvent sur ce point d'être liberticide, mais qui fonctionne de manière plutôt satisfaisante.

Quant aux procédures applicables aux établissements du réseau musulman, elles s'appliquent aussi à tous les établissements hors contrat, qu'ils soient catholiques, protestants, laïcs, relevant de pédagogies alternatives ou dispensant l'enseignement des langues régionales.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Les directeurs de ces établissements peuvent-ils refuser certains élèves ?

M. Sébastien Colliat. - Ils peuvent toujours le faire au vu de leurs propres conditions d'admission, mais aucune exclusion a priori ne figure dans leurs règlements intérieurs.

M. André Reichardt, co-rapporteur. Chez moi, dans le Bas-Rhin, des élèves juifs fréquentent souvent des écoles catholiques...

M. Rachel Mazuir. - Ces écoles sont-elles majoritairement sunnites ?

M. Sébastien Colliat. - Nous n'allons pas nier la dimension confessionnelle de ces écoles. Cependant, les statistiques confessionnelles sont interdites - les décomptes que je vous ai présentés émanent des établissements eux-mêmes - et nous n'avons pas à contrôler s'il y a plus, ici, de chiites ou, là, de sunnites. En revanche, je peux vous dire que de nombreux élèves musulmans, protestants et laïcs fréquentent des établissements confessionnels, notamment catholiques, parce qu'ils en sont plus proches ou parce que les parents estiment, à tort ou à raison, que l'enseignement dispensé y est de meilleure qualité.

M. Thomas Lewin, direction des affaires financières du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Comment crée-t-on une école ? Quelle est la différence entre un établissement hors contrat et un établissement sous contrat ?

Le principe de liberté a guidé le législateur, dès 1850 et jusqu'en 1919, lorsqu'il a créé les trois régimes d'enseignement - à peu près comparables, mais tout est dans l'« à peu près » -, lesquels ont été codifiés à droit constant dans le code de l'éducation.

Pour obtenir le passage sous contrat, il faut d'abord avoir « fait tourner » l'établissement hors contrat pendant cinq ans.

Pour créer un établissement hors contrat, il faut déposer un dossier auprès de l'administration, c'est-à-dire le maire - pour le premier degré -, le recteur, le préfet et le procureur de la République. Les pièces fournies à cette occasion permettent de vérifier si l'équipe requérante est à même d'exercer des fonctions au sein d'un établissement scolaire, conformément aux conditions posées par la loi.

Il faut ainsi remplir des conditions de moralité, de diplômes, d'âge et d'expérience. Le millefeuille est assez complexe, car les dispositions varient suivant la date de leur élaboration.

Si les conditions prévues ne sont pas remplies par l'équipe, l'administration ne peut pas opposer directement un refus, mais doit avertir qu'en cas d'ouverture, elle saisira le procureur de la République aux fins de fermeture. En revanche, elle peut empêcher cette ouverture pour des raisons de bonnes moeurs ou d'hygiène. Ce régime de déclaration s'apparente donc beaucoup à un régime d'autorisation, dans la mesure où l'administration peut refuser l'ouverture ou la soumettre à l'appréciation du juge, ce qui n'est pas le cas pour la création d'associations, par exemple.

Une fois qu'ils sont ouverts, le code de l'éducation prévoit que les établissements hors contrat peuvent être inspectés. Il s'agit de vérifier que l'équipe qui fait fonctionner l'établissement remplit les conditions afférentes et que les obligations pédagogiques sont respectées. L'enseignement dispensé doit ainsi permettre aux enfants de 6 à 16 ans d'acquérir le socle commun de connaissances, d'une part, et les données essentielles relatives aux valeurs de la République, d'autre part.

Un établissement hors contrat qui a fonctionné dans de bonnes conditions pendant cinq ans peut demander à passer sous contrat.

M. Sébastien Colliat. - La procédure d'activation du « hors contrat » ayant été rénovée, l'équipe de Thomas Lewin a produit en juillet 2015 une circulaire récapitulant, pour l'ensemble des services académiques, les modalités de déclaration et d'instruction de ces déclarations. Les inspections ont également formalisé les procédures d'inspection pour tenir compte des nouveaux enjeux liés au « hors contrat ». La dynamique que je vous ai décrite ne concerne pas, en effet, le seul réseau musulman.

Avions-nous des raisons de nous alarmer devant cette nouvelle vague d'ouvertures ? Les rapports d'inspection n'ont pas mis en évidence de dérives graves, comme la radicalisation, par exemple, mais ils montrent que les porteurs de projet des différents réseaux - et pas seulement le réseau musulman, j'y insiste - méconnaissent totalement les attendus du socle commun de connaissances, ainsi que les méthodes minimales d'apprentissage permettant de l'acquérir ; ils privilégient trop la répétition, la lecture circulaire ou l'apprentissage par coeur. Cette méconnaissance conduit à s'interroger sur le sérieux de certains projets, sans que l'on puisse pour autant parler de sectes ou de radicalisation.

Les établissements hors contrat sont inspectés un an après leur ouverture, mais il arrive que des inspections à mi-parcours aient lieu pour s'assurer que le cap est tenu dans la perspective du passage au régime sous contrat, et donc à un niveau d'exigence accru.

Pour passer sous contrat, il faut au moins faire référence aux programmes et aux méthodes de l'enseignement public. Une fois que l'établissement a changé de statut, la rémunération des enseignants est prise en charge par l'État et les dépenses de fonctionnement des classes sont assumées, via une mécanique forfaitaire du type « forfait d'externat », par l'État et ou par les collectivités locales. Par ailleurs, des inspections ont lieu régulièrement.

Les établissements privés musulmans sous contrat sont au nombre de 5 seulement : le plus emblématique le lycée Averroès de Lille, qui compte 360 élèves et 36 enseignants, le collège Al Kindi de Lyon - 22 enseignants -, le collège et lycée Ibn Khaldoun de Marseille - 8 professeurs - et l'école La Medersa de La Réunion - 8 enseignants.

Dans leur ensemble, ces 5 établissements emploient 83 enseignants.

Les trois inspections menées au lycée Averroès de Lille ont montré que l'enseignement dispensé y était plutôt de qualité, même si, comme partout, il est perfectible. Les inspecteurs n'ont pas observé de tendance à la radicalisation ; la dernière inspection, en 2014, avait été déclenchée à la suite d'une plainte en ce sens déposée par un enseignant. L'inspection n'a pas constaté de radicalisation ou de discours excessifs, mais a souhaité une séparation plus nette dans l'emploi du temps entre ce qui relève de l'enseignement sous contrat et ce qui relève de l'enseignement religieux.

M. Mamèche, président de la FNEM, s'est plaint de difficultés, retards et demandes non satisfaites lors du passage, au terme du délai de cinq ans, au régime sous contrat. Il a pris l'exemple d'élèves de troisième qui, au sein d'un même établissement, selon que la classe est sous contrat ou non, bénéficient ou non du contrôle continu pour le BEPC. Les établissements eux-mêmes peuvent cependant prévenir ce problème, en n'ouvrant pas simultanément des classes hors contrat et sous contrat de même niveau : cela évitera de placer les pouvoirs publics devant le fait accompli.

Outre le délai - cinq années d'exercice, condition à laquelle seul le préfet peut accorder une dérogation en considération d'opérations d'urbanisme importantes - les effectifs des classes doivent être comparables à ceux du public, les titres et capacités des enseignants conformes à la réglementation, et les locaux, appropriés. Enfin, il faut un besoin scolaire reconnu, notion importante qui signifie que l'établissement demandeur doit avoir une offre correspondant aux attentes des familles et qui présente un caractère propre.

Le passage sous contrat est également lié à la question des moyens. Compte tenu du principe, inscrit dans la loi Debré, de parité par rapport à l'enseignement public, l'enveloppe est contrainte : l'État doit satisfaire les demandes de tous les réseaux, sachant que le réseau catholique reçoit mécaniquement une grande part de l'enveloppe. On attribuera donc à un établissement musulman, d'abord une classe sous contrat, et non plusieurs d'un coup. Les moyens sont ensuite alloués au gré des montées pédagogiques.

Même après passage sous contrat d'une classe, les inspections peuvent révéler que les conditions posées, notamment pédagogiques, ne sont pas parfaitement respectées - je pense à un établissement de l'académie de Versailles.

Le passage au régime sous contrat se fait donc au terme d'un parcours progressif jalonné de points de contrôle. De ce point de vue, les établissements musulmans ne font pas l'objet d'un traitement particulier.

Mme Chantal Deseyne. Le préfet d'Évry, que nous avons rencontré, nous disait s'inquiéter du nombre d'enfants déscolarisés ou non scolarisés dans son département. Existe-t-il, à votre connaissance, des micro-écoles, des écoles clandestines impossibles à contrôler ? Nous avons tous vu des reportages sur des parents, de toute confession, ayant fait le choix d'enseigner eux-mêmes à leurs enfants ; ils sont soumis à des contrôles portant sur le contenu de cet enseignement...

Qu'en est-il, par ailleurs, de la mixité dans les établissements privés musulmans ?

M. Sébastien Colliat. - Le principe de liberté de l'enseignement peut aller jusqu'à l'enseignement au sein de la famille. Pour ce dernier, il arrive que des familles se regroupent et créent, de fait, une école qui n'a donc pas respecté l'obligation de déclaration. En cas de signalement, l'inspection peut intervenir, même si les contrôles ne sont pas systématiques. Il ne me semble pas que de telles situations puissent perdurer plusieurs années.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Ces pratiques sont-elles plus fréquentes chez les musulmans ?

M. Sébastien Colliat. - Nous ne disposons pas de statistiques.

Quoi qu'il en soit, aux termes du code de l'éducation, les enfants instruits dans le cadre familial doivent, eux aussi, assimiler le socle commun de connaissances. Par ailleurs, certaines personnes ouvrent de bonne foi des écoles de fait, simplement par méconnaissance de la réglementation.

Quant à la mixité, elle est certes inscrite dans les valeurs de la République, mais elle n'est pas obligatoire dans les établissements d'enseignement, si hautement souhaitable qu'elle puisse être. Il existe encore quelques établissements privés sous contrat non mixtes, mais pour ce que j'en sais, il n'y en a plus du tout dans le public. Ça n'est pas si ancien : je ne suis pas très âgé, or même après la loi Haby, j'ai suivi une partie de ma scolarité dans une école publique de garçons !

M. Thomas Lewin. - Il existe encore un établissement public non mixte : la Maison d'éducation de la Légion d'honneur, réservée aux filles !

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Tout est-il possible en termes de cours de religion, du moment que le socle de connaissances est respecté ?

M. Sébastien Colliat. - Dans les établissements hors contrat, le principe est celui de la liberté pédagogique, rappelé dans le code de l'éducation, mais les inspecteurs les invitent cependant à séparer les temps éducatifs et à ne pas mélanger les genres.

Quant aux établissements sous contrat, eu égard au contrat d'association qui les lie à l'éducation nationale, ils doivent séparer les cours de religion de l'enseignement strictement éducatif : pas d'enseignement.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Lors d'une visite à Rabat, nous avons appris que, dans certaines madrassas marocaines, des écoles normalement destinées à des enfants de moins de six ans, est dispensé en premier lieu un enseignement confessionnel. Les élèves doivent y apprendre le Coran par coeur en le rabâchant, et ce même après l'âge de six ans.

De telles écoles peuvent-elles s'ouvrir en France ? Des enseignements mélangeant théologie - en arabe, s'agissant d'écoles musulmanes - et socle de connaissances pourraient-ils voir le jour au sein d'établissements hors contrat et perdurer au moins une année, par exemple pour des enfants entre six et sept ans ? Si l'enfant doit subir à un si jeune âge - parfois avant 4 ans - ce type d'enseignement, il est important de le savoir.

M. Sébastien Colliat. - Des rapports d'inspection ont en effet mis en lumière certaines pratiques pédagogiques reposant trop largement sur la lecture de textes religieux. Toutefois, nous avons des moyens de contrôle. Même les établissements hors contrats sont inspectés et doivent respecter le socle commun des enseignements. Récemment, un établissement catholique a été épinglé pour la part excessive qu'il accordait à l'enseignement religieux. Nous ne pouvons garantir l'absence totale de telles pratiques mais les moyens de contrôle existent. De plus, ces contrôles seront renforcés par la circulaire récemment publiée et un vademecum de l'inspection qui sera diffusé prochainement.

M. Franck Jarno. - Comme pour les établissements du secondaire, l'ouverture des établissements d'enseignement supérieur est libre, sous un régime de déclaration. En revanche, la situation n'est pas exactement comparable car le public cible est constitué de jeunes adultes, et la contractualisation se déroule de manière différente.

La formation des imams - mais plus largement celle des aumôniers de toute confession - relève de la direction des cultes du ministère de l'intérieur. Le ministère a souhaité la mise en place d'un diplôme de formation civique et civile, condition d'accès aux aumôneries pénitentiaires, des hôpitaux et des armées. Notre ministère a été consulté pour la rédaction du décret ; le cahier des charges sera publié sous forme d'arrêté, et un appel d'offres sera adressé aux établissements d'enseignement supérieur. Il existe déjà des diplômes universitaires (DU), souvent mis en place avec le soutien financier du ministère de l'Intérieur, délivrés dans les établissements suivants : l'université de Lorraine, Paris Sud, Paris I, Bordeaux, Toulouse Capitole, La Réunion, Strasbourg, Lyon 3, l'Institut catholique de Lyon, Lille 2, Nantes, Rennes 1, l'Institut catholique de Paris, l'université de Provence et Montpellier. Le territoire est donc bien maillé.

À ces formations délivrées sous la tutelle du bureau des cultes s'ajoutent des diplômes nationaux : un cursus complet de théologie catholique et protestante est proposé par l'université de Strasbourg, et un cursus d'islamologie y verra le jour en 2018.

Mme Catherine Malinie, chef du département des écoles supérieures et de l'enseignement supérieur privé au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - La qualification des établissements privés du supérieur présente certaines spécificités. Il appartient au recteur d'académie, en tant que représentant de l'État au niveau régional, de déterminer le statut de l'établissement : supérieur technique ou supérieur libre. Si tout établissement du supérieur peut proposer des enseignements, en revanche il ne peut pas délivrer de diplômes nationaux - licence, master ou doctorat - à moins de passer une convention avec une université ; il existe une autre voie : les étudiants diplômés de ces établissements ont la possibilité de faire valider les enseignements suivis par un jury rectoral sous la présidence du recteur d'académie. Nous n'avons pas connaissance de tels accords passés par des établissements musulmans, mais il est vrai que le champ est limité.

La contractualisation prend dans l'enseignement supérieur une forme spécifique. Le dispositif existant dans les établissements publics a été étendu au privé par la loi de juillet 2013 créant le statut d'établissements d'enseignement supérieur privés d'intérêt général (EESPIG). Ces derniers répondent à plusieurs conditions : avoir le statut d'association ou d'établissement à but non lucratif, avoir un fonctionnement indépendant, et contribuer, à travers leur organisation pédagogique et la délivrance de diplômes reconnus par l'État, aux missions du service public de l'enseignement supérieur telles que la loi les définit.

Dans ce dispositif récemment mis en place, la contractualisation est réservée aux EESPIG. Avec les instituts catholiques, nous avons signé un contrat pluriannuel fixant des objectifs de développement partagé et prévoyant un apport de l'État aux crédits de fonctionnement.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - De quel statut relèvent l'Institut al-Ghazali, rattaché à la mosquée de Paris, et l'Institut européen des sciences humaines de Chateau-Chinon ? S'agit-il d'établissements privés d'enseignement supérieur ? Sont-ils reconnus d'intérêt général comme les instituts catholiques que vous évoquez ?

M. Franck Jarno. - Pour les établissements privés d'enseignement supérieur technique, le statut emporte la reconnaissance de l'État et, à ce titre, la possibilité d'obtenir un visa pour leurs diplômes et de recevoir des boursiers, ce qui n'est pas le cas pour les autres établissements d'enseignement libre.

Nous tentons de clarifier un paysage de l'enseignement supérieur privé en pleine évolution. La loi de 2013 a créé les EESPIG, auxquels serait réservée la contractualisation avec l'État. Dans l'architecture actuelle coexistent le régime de déclaration simple et, pour l'enseignement technique, la procédure de reconnaissance par l'État permettant de recevoir des étudiants boursiers et, désormais, d'accéder au statut d'EESPIG. Nous allons revoir cette disposition, car la distinction entre établissements d'enseignement libre et technique n'est pas tout à fait opérante : des établissements supérieurs libres se sont vu attribuer le label.

L'IESH a déposé une déclaration d'ouverture. Après expertise, il a été reconnu comme un établissement d'enseignement supérieur de niveau premier cycle universitaire ; une partie de ses enseignements porte sur la langue arabe, une autre sur la théologie musulmane. Concernant l'Institut al-Ghazali, je ne suis pas en mesure de vous répondre.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Un établissement émanant de la communauté turque a souhaité passer une convention avec l'université de Strasbourg pour délivrer des diplômes nationaux ; pourquoi la démarche n'a-t-elle pas abouti ?

Mme Catherine Malinie. - La contractualisation avec l'État requiert une initiative des établissements eux-mêmes, en fonction de leur stratégie de développement.

Les conventions de partenariat sont décidées par le conseil d'administration des universités après examen des programmes et formations dispensés par l'établissement, qui doivent être similaires à ceux que délivre l'université. Au niveau central, nous n'avons pas connaissance de l'ensemble des conventions passées.

M. Franck Jarno. - Je précise que l'offre de formation est mise en place par l'université de manière autonome et n'est remontée à l'administration centrale que dans le cadre du processus d'accréditation conduit tous les cinq ans. Si la convention n'est pas passée, le ministère n'en est pas toujours informé ; si elle est passée, le ministère est avisé et examine le diplôme délivré.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - C'est fondamental. Dans la perspective de l'émergence d'un Islam de France, les imams doivent être formés sur notre territoire - or nous en sommes loin ; et pour que ces derniers soient de véritables sachants, il convient qu'ils soient formés dans des établissements privés dans le cadre de conventions avec des universités. Sans remettre en cause l'autonomie de ces dernières, ne pourrait-on établir un vademecum définissant un ensemble de critères pour ce type de conventionnement ?

M. Franck Jarno. - Le principe de liberté de l'enseignement supérieur s'impose à nous.

Le futur cahier des charges de formation des aumôniers servira probablement de modèle aux instituts de formation privés pour la formation des imams, prêtres et rabbins, voire des personnes simplement intéressées par la théologie.

À quel niveau recruter les étudiants qui recevront la formation d'aumônier ? Je laisse la question ouverte ; il appartient au ministère de l'intérieur d'y réfléchir. Cependant, l'exigence doit être élevée, dans la sphère privée comme dans la sphère publique.

Mme Colette Giudicelli, présidente. - Votre audition a été très instructive. Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré.

La réunion est suspendue et reprend à 15 h 30

Audition de M. Thomas Campeaux, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, M. Éric Tison sous-directeur des libertés publiques, M. Patrick Audebert, chef du bureau des associations et fondations, M. Arnaud Schaumasse, chef du bureau central des cultes

Mme Colette Giudicelli, présidente. - Monsieur le directeur, vous avez succédé dans vos fonctions de directeur des libertés publiques et des affaires juridiques à M. Thomas Andrieu, que nous avions reçu au début de nos travaux. Nous souhaitons avoir quelques compléments d'information sur le statut des associations gérant les lieux de culte et les habilitations délivrées à trois mosquées pour la formation des sacrificateurs halal.

M. Thomas Campeaux, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques. - Je suis accompagné du sous-directeur des libertés publiques, Éric Tison, du chef du bureau des associations et fondations, Patrick Audebert et du chef du bureau central des cultes, Arnaud Schaumasse, qui seront mieux à même de répondre à certaines de vos questions.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Il nous a été indiqué que 150 imams turcs, 120 algériens, 30 marocains exerçaient en France ; mais l'ambassadeur d'Arabie saoudite nous a aussi rapporté que quatorze imams saoudiens étaient présents sur le territoire. Ces chiffres sont-ils exhaustifs ? Il semble également que le nombre d'imams accueillis en France augmente fortement au moment du ramadan. Êtes-vous informés de leur arrivée et de leur départ, de leur niveau de formation et du discours qu'ils véhiculent ? Quels sont les mécanismes de désignation des membres de l'Instance de dialogue avec l'Islam de France ? Nous avons eu des réponses très diverses sur ce point.

La Fondation des oeuvres de l'Islam de France posséderait un important bas de laine. Quelles sont les intentions de votre ministère à cet égard ?

Quelles considérations ont conduit à confier à trois mosquées le droit de délivrer des cartes de sacrificateur halal ? Le dispositif pourrait-il être étendu à d'autres mosquées ou institutions ?

Enfin, le financement confessionnel se caractérise par une grande opacité. Dans son rapport sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, notre collègue Hervé Maurey a formulé plusieurs recommandations à cet égard : est-il envisageable d'exiger des associations gérant un lieu de culte une comptabilité et des indications sur leurs sources de financement ?

M. Thomas Campeaux. - Alors que les juifs et les protestants ont constitué des associations cultuelles dès la promulgation de la loi de 1905, les catholiques, d'abord très réticents, ont attendu 1924. Les associations cultuelles, formées « pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice public d'un culte » (article 18), relèvent de la loi de 1901 mais ont pour objet exclusif l'exercice de ce culte. La jurisprudence a défini la notion d'exercice du culte de manière incomplète. Elle ne peut être contrôlée ab initio : lors de la déclaration, le Préfet ne peut s'opposer à la délivrance du récépissé d'enregistrement ; il peut toutefois saisir le juge civil. Le contrôle de la qualification cultuelle ne s'exerce que dans le cadre de l'attribution des avantages auxquels ce statut donne droit.

Depuis 2009, le Préfet a la possibilité de délivrer un rescrit administratif confirmant la vocation cultuelle de l'association. En revanche, les associations dites mixtes, c'est-à-dire dont l'objet est à la fois cultuel mais aussi culturel ou linguistique, par exemple, ne bénéficient pas des avantages prévus par la loi de 1905.

Les associations cultuelles peuvent ainsi recevoir des libéralités, sous la forme d'une donation ou d'un legs testamentaire ; de plus, l'article 200 du code général des impôts prévoit une déductibilité de 66 % des dons de personnes physiques à un ensemble d'organismes - notamment aux associations et fondations reconnues d'utilité publique et aux oeuvres et organismes d'intérêt général, dont je rappelle que les associations mixtes ne font pas partie.

L'exercice du culte ne relève pas obligatoirement d'une association cultuelle : dès 1907, le législateur a prévu la possibilité d'un exercice dans le cadre d'une association loi 1901, voire d'une simple personnalité morale. Les musulmans, probablement par manque d'information, ne constituent que très peu d'associations cultuelles, en dépit des avantages attachés à ce statut.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Quel est l'intérêt pour les associations musulmanes d'en rester au simple statut prévu par la loi de 1901, renonçant ainsi à la déductibilité fiscale de l'aumône - la zakat - qui constitue l'un des cinq piliers de l'Islam ?

M. Thomas Campeaux. - Ce recours limité s'explique d'abord par une méconnaissance de la loi, bien que la circulaire du 23 juin 2010 rappelle les différents statuts et procédures applicables. De plus, nombre de ces associations ont aussi un objet culturel, qui apparaît souvent dans leur dénomination : « association cultuelle et culturelle » ; leur lieu de culte est aussi un lieu de vie, avec des activités de loisirs ou sportives. Il est vrai, aussi, que l'intérêt de la déductibilité des dons aux associations est proportionnel au revenu imposable ; or ceux des populations concernées sont modestes.

Enfin, le statut d'association cultuelle implique aussi un contrôle plus important. Les obligations s'imposant aux associations loi 1901 sont minimales : celles qui reçoivent plus de 153 000 euros de dons ou de subventions doivent publier des comptes annuels certifiés par un commissaire ; celles qui lancent un appel public à la générosité relèvent d'un régime distinct prévoyant une déclaration en préfecture et la publication d'un compte d'emploi des ressources (c'est le cas des fondations d'utilité publique, régulièrement contrôlées par la Cour des comptes) ; enfin, au-delà de 23 000 euros de financement public, elles doivent passer une convention d'objectif avec l'organisme financeur.

Quant aux associations cultuelles, elles doivent transmettre leurs comptes annuels à la Préfecture - la publication de l'état des recettes et dépenses a été supprimée par l'ordonnance de simplification de 2015 ; et la loi de 1905 prévoit un contrôle financier par le ministère des finances ou l'inspection générale des finances.

M. Patrick Audebert, chef du bureau des associations et fondations à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. - Globalement, les contraintes pesant sur une association loi 1901 sont assez limitées.

Mme Colette Giudicelli, présidente. - Les associations font-elles le nécessaire ? La provenance des ressources des associations apparaît-elle dans leurs comptes ? C'est une question qui nous est souvent posée.

M. Thomas Campeaux. - La certification des comptes n'est pas systématique. Le compte financier déposé en préfecture peut à l'occasion faire l'objet d'un contrôle, notamment en cas d'aberration dans les montants présentés ; mais je n'ai pas eu de remontées de cette nature.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Les mosquées qui ont répondu à nos sollicitations ont souligné qu'elles n'avaient pas les moyens de salarier les imams qu'elles recrutent. Or certaines mosquées encaissent des montants de zakat très importants, jusqu'à 1,5 million d'euros sur trois jours durant le ramadan. Passer sous le statut d'association cultuelle faciliterait l'obtention de fonds : parmi les contributeurs de la zakat se trouvent aussi des personnes aisées. Il est important que les imams bénéficient d'un statut et qu'ils soient rémunérés ; faute de quoi nous en resterons aux imams autoproclamés.

M. Thomas Campeaux. - Les préfectures peuvent aider les associations à bâtir leur régime juridique. Dans le cas des associations mixtes, on peut envisager une séparation des activités et la création de deux personnes morales.

La première serait exclusivement consacrée à l'exercice du culte. Pour le moment, la jurisprudence du Conseil d'État n'a identifié dans ce périmètre que la formation et la rémunération du ministre du culte, ainsi que la construction et l'entretien des édifices. La seconde serait chargée des activités culturelles, scientifiques, scolaires ou philanthropiques. C'est la solution très simple recommandée par la circulaire de 2010. Il appartient aux préfets d'aider les représentants du culte musulman à se structurer de la manière la plus efficiente possible.

Au-delà de l'interdiction des subventions aux cultes, l'impossibilité de tracer les financements une fois attribués pose une difficulté particulière.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Cette solution nous aiderait à faire la part du cultuel et du non cultuel dans les financements étrangers.

M. Thomas Campeaux. - La destination des fonds est en effet une question récurrente. Rien ne fait obstacle, en droit, à la perception de financements étrangers par des associations, qu'elles soient ou non cultuelles. L'administration ne peut diligenter de contrôles sans le motif d'une suspicion d'infraction - blanchiment d'argent ou terrorisme, par exemple. Le cadre est alors le droit commun.

L'extension du champ des obligations déclaratives des associations, telle qu'a pu l'envisager le directeur de Tracfin, me semblerait délicate : soit, en ne visant que les associations cultuelles, on dissuade les associations mixtes de basculer dans ce régime ; soit l'on étend ces obligations à l'ensemble des associations, mais les moyens de l'administration seraient alors rapidement dépassés. Il convient de trouver une articulation fine.

J'en viens à la question du halal, qui fait débat en ce moment dans d'autres enceintes, en lien avec les pratiques relevées dans certains abattoirs. Les sacrificateurs sont habilités par des organismes religieux agréés qui, eux-mêmes, le sont par le ministère de l'agriculture sur proposition du ministère de l'intérieur. Pour ce qui concerne le culte israélite, la situation est monopolistique, puisque seul le Consistoire central est habilité à délivrer les cartes de sacrificateurs. Pour le culte musulman, la situation est oligopolistique : en 1994, la Grande mosquée de Paris puis, en 1996, la mosquée de Lyon et la mosquée d'Ivry ont reçu une habilitation à délivrer des cartes de sacrificateurs.

Le ministère de l'intérieur vérifie qu'il s'agit bien d'organismes religieux qui ont la légitimité à délivrer ces cartes. Il ne s'intéresse pas directement aux questions d'ordre sanitaire. Au niveau communautaire et au niveau national, il existe des dérogations à la règlementation sur l'abattage afin de préserver l'abattage rituel.

Le ministère de l'intérieur n'a aucune volonté de maintenir une situation de monopole : il n'a pas d'opposition de principe à ce que -comme vous le suggérez- d'autres institutions ou mosquées musulmanes puissent être agréées, à condition de remplir les critères qui, comme je l'ai dit, ne sont pas écrits. Il s'agit, en fait, d'un contrôle a minima par les pouvoirs publics afin que les cartes de sacrificateurs ne soient pas délivrées par n'importe qui.

Concernant la mosquée de Strasbourg, il semble en effet qu'elle souhaiterait être agréée, mais j'en ignore la raison : à ma connaissance, elle n'a jamais eu la moindre difficulté à obtenir les cartes de sacrificateur qu'elle demande ; en tout cas, à ce jour, nous n'avons pas reçu de sa part de demande formelle d'habilitation.

M. Rachel Mazuir. - L'étourdissement est-il accepté par certains scarificateurs ? L'abattage rituel fait débat en France et il semble avoir été interdit en Suisse : est-ce le cas ?

M. Thomas Campeaux. - La question centrale est en effet celle de l'étourdissement préalable. Le problème n'est pas d'ordre juridique mais théologique : or, il n'y a pas de dogme unique dans l'Islam : les textes sacrés sont interprétés de façon diverse malgré l'actuelle tentative du Conseil français du culte musulman (CFCM) de définir le halal.

M. Arnaud Schaumasse, chef du bureau central des cultes. - C''est une question complexe. Le CFCM tente de parvenir à un référentiel commun aux trois mosquées. Le président du CFCM nous a dit que ce référentiel ne serait pas exclusif : d'autres pratiques seront également admises et considérées comme halal. L'enjeu commercial est énorme et la pression sur la certification et la normalisation du halal ne vient ni de France, ni du Golfe, mais d'Asie du sud-est où les intérêts commerciaux sont très importants. Il y a par exemple en Malaisie des producteurs d'eau halal. Les producteurs de ce pays demandent d'ailleurs une normalisation internationale. Nous sommes donc bien loin des pratiques quotidiennes des sacrificateurs dans les abattoirs.

Concernant l'étourdissement pratiqué dans le cadre de l'abattage rituel, il en existe deux formes : l'électronarcose, remise en cause par la vision rigoriste du culte, et le bain électrifié, qui n'est pas dénoncé par les acteurs ni par les clients du Golfe.

Nous savons que dans les trois mosquées, les pratiques diffèrent, mais je ne peux pas vous en dire plus.

Mme Colette Giudicelli, présidente. - Au cours de nos auditions, une spécialiste s'est dite scandalisée par ces pratiques.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - D'une mosquée à l'autre, l'endormissement est différent, tout autant que les circuits financiers et les contrôles.

Une seule entité ne pourrait-elle pas délivrer des cartes de sacrificateurs ? Pourquoi ne pas imaginer un Consistoire central agréé par le CFCM ? Aujourd'hui, impossible de percevoir une quelconque redevance.

M. Thomas Campeaux. - Vous appelez de vos voeux un système très centralisé, hiérarchisé, avec un Consistoire central, qui permettrait de récolter des fonds pour financer l'Islam en France. Mais la réalité est bien différente entre le culte musulman et le culte israélite. La notion de halal n'est pas uniforme et les interprétations diffèrent d'une mosquée à l'autre.

Nous mesurons l'intérêt d'un tel organisme qui permettrait d'identifier les financements des lieux de culte et des imams, mais ce n'est pas à l'État d'imposer de telles évolutions. Les représentants du culte musulman doivent s'organiser. La filière halal est beaucoup moins structurée que la filière kacher : pour percevoir une « taxe halal », il faudrait que chaque élément de cette filière y consente. Nous en sommes encore très loin. L'État ne peut intervenir de manière normative dans cette affaire et il ne peut réduire le nombre de mosquées habilitées.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - A partir du moment où l'État, par arrêté, a habilité la Grande mosquée de Paris, puis les mosquées d'Ivry et de Lyon à délivrer des cartes de sacrificateur, pourquoi ne pourrait-il dire aujourd'hui qu'il souhaite qu'il n'y ait plus qu'un organisme central ?

M. Thomas Campeaux. - Il pourrait le souhaiter, mais non l'imposer. L'État ne peut s'opposer à la délivrance de ces habilitations.

Mme Colette Giudicelli, présidente. - Des modifications s'imposent si on veut que les choses se passent bien.

M. Arnaud Schaumasse. - Les cartes de sacrificateurs ne représentent que la partie visible de l'iceberg et, économiquement, elles ont peu d'importance.

En aval des certifications, les acteurs privés ont une surface commerciale importante et ils représentent les principaux leviers d'une ressource éventuelle. Même si nous arrivions à instaurer un Consistoire central pour la délivrance des cartes, il n'est pas certain que la filière dans son entier suivrait, d'autant que certains commerçants ne sont pas musulmans.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Certes, il faut dépasser le cadre étroit des cartes, mais quid du contrôle ? Les clients musulmans veulent être certains de manger halal, or tel n'est pas le cas. Pour l'instant, ce sont les sous-traitants des trois mosquées qui pratiquent les contrôles. À Paris, les cartes de sacrificateur ne coûtent que 160 euros par an, à multiplier par les 300 ou 400 sacrificateurs, soit un montant global relativement faible.

La crédibilité de tout l'édifice repose sur la qualité des contrôles. Ne serait-il pas possible qu'un Consistoire central musulman, qui aurait l'aval de la communauté, crée lui-même son organisme de contrôle, le cas échéant décentralisé ? Le chiffre d'affaires du halal se monterait à 5 ou 6 milliards en France, mais personne ne le sait avec certitude.

M. Thomas Campeaux. - La certification ne peut être le fait des pouvoirs publics puisqu'il s'agit d'une norme de nature religieuse : la loi de 1905 et le principe constitutionnel de laïcité l'interdisent. La définition de la norme elle-même ne peut être le fait que des représentants du culte musulman. N'oublions pas non plus les implications pratiques. Le président du CFCM, Anouar Kbibech, a élaboré une charte du halal. Le problème est de savoir quelle utilisation en sera faite. Il ne semble pas que le CFCM ait l'intention de mettre en place une structure chargée des contrôles, qui ne pourraient d'ailleurs être effectués par l'État. Cette charte n'a pas vocation à être rendue obligatoire et n'exclura pas d'autres interprétations du halal. Le CFCM, qui n'est pas un organisme de nature religieuse ni une association cultuelle, pourrait difficilement soutenir que seule sa lecture est valable. En revanche, il y a une tentative d'uniformiser le contenu du halal. Une certification propre aux musulmans français pourrait, à terme, se développer avec, in fine, des contrôles.

M. Rachel Mazuir. - Les pouvoirs publics sont interpelés par la situation dans certains abattoirs et le Sénat va publier un rapport sur le sujet. Ne pourrait-on en profiter pour faire avancer les choses ? Les abattages rituels seront-ils encore longtemps acceptés par l'opinion publique ?

En outre, les professionnels estiment que les viandes qui sortent de nos abattoirs sont d'avantage halal que celles qui sont certifiées.

Ces questions mériteraient d'être posées dans notre rapport.

M. Thomas Campeaux. - J'en viens aux imams : l'État ne reconnaissant aucun culte et ne salariant aucun représentant de culte, hormis en Alsace et Moselle, les imams n'ont pas de statut spécifique.

Au plan théologique, il n'y a pas de définition normative des imams et l'Islam n'a pas d'organisation hiérarchisée propre.

La situation est donc très disparate en fonction des mosquées. La plupart des 2 500 lieux de culte musulmans recensés en France comptent un officiant pour la prière du vendredi.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Certaines mosquées en comptent plusieurs. Parfois, il y a jusqu'à cinq imams dans les mosquées.

M. Thomas Campeaux. - Le nombre de 2 500 imams est en effet un minimum, mais il n'existe aucun recensement.

En revanche, nous disposons d'informations précises sur les imams détachés puisque nous avons conclu des accords bilatéraux avec les États qui les envoient. Ainsi, la France compte 120 imams d'Algérie, 30 du Maroc et 150 de Turquie.

Mme Colette Giudicelli, présidente. - Et cinq de l'Arabie Saoudite.

M. Thomas Campeaux. - Nous n'avons pas d'accord bilatéral avec l'Arabie Saoudite. En revanche, un pays ou un particulier peut subventionner une association qui recrute, selon les règles du droit commun, des personnes qui officient comme imams.

Durant le ramadan, des psalmodieurs sont détachés par le Maroc (environ 150) et l'Algérie (environ 100) pour la récitation du Coran. Ils viennent en France dotés d'un visa permettant l'exercice d'une activité salariée d'une durée limitée à celle du ramadan et, parfois, à quelques jours supplémentaires. Nous n'avons pas de précision concernant leur départ, pas plus que pour le départ de n'importe quel étranger autorisé à séjourner en France.

M. Arnaud Schaumasse. - Il y a d'une part des quasi-fonctionnaires étrangers qui exercent en France et d'autre part des Français dont le salaire peut être en partie versé par une structure étrangère. Vous avez évoqué les cinq Français salariés à 50 % par l'Arabie Saoudite. De même, la Grande mosquée de Paris, dont le budget est en partie alimenté par l'Algérie, rémunère directement des imams français, franco-algériens ou algériens, en plus des 150 imams dont nous avons parlé.

Pour l'Arabie Saoudite, l'ambassade déclare les fonds qu'elle verse. Pour le reste, elle n'est pas à même de contrôler les dons privés non déclarés.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Est-il possible d'avoir des exigences en matière de formation et de maîtrise de la langue pour les imams détachés ?

M. Thomas Campeaux. - Dès lors que leur revenu et leur exercice en France s'inscrivent dans le cadre d'accords bilatéraux, l'Algérie, le Maroc et la Turquie détachent des imams avec un niveau suffisant de langue et de culture française. Ils doivent également comprendre les fondamentaux de la loi républicaine et le principe même de laïcité. À leur arrivée, nous les incitons à suivre un diplôme universitaire (DU) d'enseignement civil et civique. Ces formations connaissent d'ailleurs un certain succès et pas seulement auprès des ministres du culte musulmans. La connaissance du français par les imams de la mosquée de Paris étant insuffisantes pour leur permettre de suivre ces enseignements avec profit, mon prédécesseur s'est rendu à Alger pour évoquer ce problème.

Ces formations sont dispensées dans treize universités habilitées à délivrer ce diplôme.

M. Arnaud Schaumasse. - Pour la Turquie et l'Algérie, le niveau A2 en français est exigé à l'arrivée sur notre territoire. Si ces personnes n'ont que le niveau A2, elles doivent suivre une formation linguistique complémentaire pour les amener au niveau B1, défini comme le minimum requis pour profiter du DU formation civile et civique. Cette formation linguistique est assurée en France par des opérateurs spécialisés. Il s'agit d'une obligation. Une fois le niveau B1 acquis, les imams détachés pourront s'inscrire au DU qui dure entre 125 et 180 heures et qui comprend des modules juridiques, d'éducation civique et de dialogue interculturel et inter-religieux. Actuellement, quinze universités françaises sont soutenues par le ministère de l'intérieur pour mettre en place ces DU. D'ici deux ans, elles devraient être une vingtaine.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Les psalmodieurs qui font les prières ne semblent soumis à aucune exigence particulière.

M. Thomas Campeaux. - Non, eu égard à la brièveté de leur séjour. En revanche, les consulats examinent leurs demandes de visa pour prévenir les troubles à l'ordre public.

J'en viens à l'instance de dialogue : le ministre de l'intérieur a souhaité ne pas en faire une véritable institution afin de ne pas se substituer aux instances représentatives du culte. Cette formule n'a connu que deux éditions, en juin 2015 et en mars 2016. L'objet est d'élargir le cercle des intervenants en fonction des thèmes évoqués. Lors de la première édition, le choix avait été fait de ne pas parler de la radicalisation alors que ce fut exactement l'inverse lors de la deuxième réunion. Nous avons choisi les intervenants pour avoir des échanges nourris, riches, ouverts : outre les incontournables, à savoir les représentants des institutions musulmanes, nous avons élargi notre choix à des personnalités comme des chercheurs, des universitaires, des fonctionnaires autres que ceux du ministère de l'intérieur. Ainsi, lors de la deuxième réunion, nous avons convié les représentants des aumôniers. Les deux premières éditions ont été des succès.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Certains ont estimé que cette instance n'était absolument pas représentative.

M. Arnaud Schaumasse. - Un tiers des participants a siégé aux deux instances.

M. Thomas Campeaux. - Vous m'avez également interrogé sur la fédération des oeuvres de l'Islam de France. Lors de sa création en 2005, nous n'avons pas fait de distinction entre le culturel et le cultuel. En outre, la composition à l'époque avait pour but de reproduire les équilibres au sein du CFCM mais, depuis, la composition du Conseil a évolué. L'absence totale d'action de cette structure est en partie imputable à cette composition qui ne répond plus à la réalité. Suite au rassemblement des musulmans qui a suivi l'attentat du 13 novembre, le ministre de l'intérieur a souhaité relancer la fondation après avoir procédé aux réformes nécessaire pour en assurer le fonctionnement. Nous travaillons à la réforme des statuts de cette fondation et nous souhaitons mieux distinguer ce qui relève des activités cultuelles, qui s'accommodent mal du statut de fondation reconnue d'utilité publique, des autres activités de nature philanthropiques, culturelles, artistiques ou autres. Le modèle en deux structures que nous évoquions tout à l'heure pour les mosquées pourrait servir à cette fondation. Si les statuts ont été approuvés à l'époque par le Conseil d'État, il n'est pas certain qu'il accepterait aujourd'hui une fondation qui, au regard de sa jurisprudence contentieuse, sera qualifiée de cultuelle. Cette évolution ne peut être que le fait des musulmans eux-mêmes : l'État ne peut que proposer, impulser, accompagner par son expertise juridique un tel changement mais il ne peut en aucun cas l'imposer.

Pour être qualifiée d'utilité publique, une fondation doit disposer d'au moins 1,5 million : telle est la règle d'usage qu'applique le Conseil d'État dans sa fonction consultative. La fondation des oeuvres de l'Islam de France n'a pas cette somme : elle dispose à l'heure actuelle d'un million, issu d'une donation, qui a dû être placé sur un compte de la Caisse des dépôts.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Que pouvez-vous nous dire de la formation des aumôniers ? Un cahier des charges serait en cours d'élaboration et on nous a dit qu'il pourrait servir de base pour la formation des imams.

M. Thomas Campeaux. - Il s'agit du diplôme universitaire dont nous avons déjà parlé, à savoir le DU de formation civile et civique. Un prochain décret devrait le rendre obligatoire pour tous les aumôniers. Le problème est qu'il n'existe pas de statut officiel des aumôniers dans notre droit. La loi de 1905 évoque des dérogations à la séparation de l'église et de l'État au titre des réparations et de l'entretien des édifices cultuels et du service des aumôneries. Pour ce qui est de l'armée, les aumôniers sont des militaires sous contrat ; dans les hôpitaux, ils sont recrutés comme agents contractuels de la fonction publique hospitalière. En revanche, il n'y a rien pour les prisons : les aumôniers sont embauchés par les directions régionales sous contrat.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Merci : cette audition fut fort instructive.

La réunion est levée à 17 h 15