Mercredi 6 avril 2016

- Présidence de M. Alain Milon, président -

Audition de Mme Catherine de Salins, candidate pressentie pour le poste de présidente du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

La réunion est ouverte à 9 h 30.

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin, à la demande du Gouvernement, Mme Catherine de Salins, dont la nomination est proposée pour la présidence du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Je rappelle que l'article L. 1451-1 du code de la santé publique prévoit l'audition préalable par les commissions concernées, avant leur nomination ou leur reconduction, des présidents ou directeurs d'une dizaine d'agence sanitaires.

Comme vous le savez, l'ANSM a pour mission d'assurer la sécurité des patients tout au long de la vie des produits de santé, de leur autorisation de mise sur le marché (AMM) à leur éventuel retrait. On peut dire que l'agence est de ce fait régulièrement sous le feu de l'actualité.

Au cours de nos derniers travaux, nous avons eu souvent l'occasion de traiter des sujets relatifs à l'ANSM. Je pense notamment aux débats budgétaires de l'automne, à l'adoption de la loi relative à la santé, ou plus récemment, à nos travaux sur les essais cliniques et sur la qualité de l'expertise dans le domaine de la santé.

Mme de Salins a effectué une carrière de magistrat dans les juridictions administratives, au cours de laquelle elle a notamment traité des questions de responsabilité hospitalière. Elle a exercé durant trois ans les fonctions de directrice des affaires juridiques pour les ministères chargés des affaires sociales et de la santé.

Je vais lui passer sans plus attendre la parole afin qu'elle puisse nous présenter son parcours et les compétences qu'elle pense pouvoir mettre au profit du poste de président du conseil d'administration de l'ANSM que le Gouvernement souhaite lui confier.

Elle répondra ensuite à nos questions, sachant qu'à l'heure où nous les formulons, n'étant pas encore en poste à l'ANSM, vous n'êtes pas en mesure de connaître l'intégralité de son fonctionnement. Néanmoins, les orientations que vous entendez mettre en avant sont pour nous très importantes.

Mme Catherine de Salins. - Pressentie par le Président de la République pour présider le conseil d'administration de l'ANSM, je souhaite vous exposer d'abord les motivations de ma candidature, le rôle de l'agence et de son conseil d'administration, et la conception que je me fais de sa présidence.

Fille, petite-fille, nièce et soeur de médecin, j'ai baigné dans un environnement médical, d'autant plus que mon père, praticien hospitalier, a dirigé un centre de transfusion sanguine de 1974 à sa retraite. Devenue magistrate, j'ai souvent échangé avec lui sur les causes qui avaient conduit à l'affaire du sang contaminé. J'ai moi-même été transfusée à deux reprises.

Ma carrière de magistrate m'a néanmoins éloignée des questions de santé. Au tribunal administratif de Paris puis à la Commission européenne, j'ai eu à traiter des aides d'Etat, du risque juridique et des dossiers contentieux. J'y ai appris à exposer mon point de vue avec clarté et à bâtir une solution parmi toutes celles possibles qui ne soit pas le plus petit dénominateur commun mais la meilleure au regard des textes. Je considère que lorsqu'une solution est dégagée, le juge doit prendre position.

Mon expertise en droit de l'union européenne et en droit de la concurrence s'accompagne d'une connaissance de l'intérieur des institutions européennes.

Lors de mon intégration au Conseil d'Etat, j'ai été chargée du contentieux des produits de santé. Certes, l'approche contentieuse n'est que partielle par rapport au fonctionnement de notre système de santé, mais elle est révélatrice des intérêts en présence et des éventuelles failles des processus mis en place.

J'ai également été chargée de dossiers qui concernent directement la politique de santé publique à l'occasion de l'examen en cassation de pourvois dans le domaine de la santé, ainsi par exemple en matière hospitalière, ou d'indemnisation suite à une transfusion.

A partir de 2010, j'ai été chargée de créer une direction juridique au sein du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales. L'affaire du Mediator venait d'éclater et la direction a été étroitement associée à la mise en place du système d'indemnisation des victimes auprès de l'Oniam. J'ai également souhaité que la direction se saisisse des questions de déontologie et de conflits d'intérêt à partir de 2011, et exerce une fonction de conseil après des ministères et des opérateurs. L'objectif était de créer une culture de lutte contre les conflits d'intérêts qui évite des recrutements problématiques mais qui s'exerce aussi tout au long du processus de décision.

J'ai également été particulièrement attachée à la transparence des décisions administratives et j'ai développé au sein de la direction une culture de la diffusion des documents.

C'est ce parcours qui explique mon intérêt pour l'ANSM et ma candidature.

L'ANSM aura quatre ans en 2016. Elle a été créée pour répondre à la crise du Mediator. Dans la continuité de l'Afssaps, elle demeure une structure d'expertise de très haut niveau mais elle est plus efficace et plus indépendante. Elle continue à avoir pour coeur de mission l'analyse des bénéfices et des risques liés aux produits de santé mais ses missions ont été élargies au soutien notamment de la recherche indépendante. Sa gouvernance a également été revue, les représentants de l'industrie ont été exclus et remplacés par des parlementaires et des représentants des associations de patients.

Le souci de rompre tout lien avec l'industrie a conduit à substituer au financement de l'agence par des taxes affectées une dotation de l'Etat.

De plus, les secrets protégés par la loi ne peuvent lui être opposés et elle dispose d'un accès aux données du système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (Sniram).

Les moyens de l'agence ont été accrus en 2012 et portés à 130 millions d'euros, 115 millions de dotation de l'Etat et le reste provenant de l'Agence européenne du médicament en rémunération des dossiers traités par l'ANSM.

L'agence a un programme important d'essais cliniques et a connu une mutation importante de son arborescence et une évolution de ses méthodes de travail. Des rapports de la Cour des comptes et de l'Igas ont souligné l'ampleur de la tâche accomplie et les points d'amélioration nécessaires.

Face à l'augmentation des missions de l'agence, il faut toutefois être vigilant pour ne pas être confronté à un effet ciseau si ces moyens restent constants.

Je tiens à souligner l'expertise de haut niveau qui est constitutive de l'ANSM.

Si je suis nommée à la présidence du conseil d'administration de l'ANSM, mon objectif sera d'exercer de façon efficace ce rôle en assurant une délibération collégiale, l'écoute et la qualité des débats. J'assurerais également les relations avec la direction juridique et les parties prenantes.

Je me fixe trois lignes directrices : prioriser les objectifs et les orientations stratégiques, l'adéquation des missions et des moyens, et la sécurité sanitaire.

La fonction du président du conseil d'administration est non exécutive et non rémunérée mais elle est lourde et je mettrai donc fin à un certain nombre de fonctions que j'exerce à titre annexe à celles que j'occupe au Conseil d'Etat.

Je serai attachée à la défense des valeurs collectives de l'agence, à son très haut niveau d'expertise et à sa déontologie sans faille dans le respect des secrets protégés par la loi. Le président du conseil d'administration exerce d'ailleurs la présidence du comité de déontologie de l'agence.

Je vous remercie.

M. Alain Milon, président. - Merci, vous avez mentionné le remplacement des taxes affectées à l'agence par une dotation budgétaire. Mais ces taxes étaient corrélées au travail de l'agence, et le Sénat avait d'ailleurs voté la mise en place d'une taxe en lien avec ses interventions en matière de cosmétovigilance. Sait-on si le montant de la dotation correspond bien au produit des taxes liées au travail de l'ANSM ?

Mme Catherine de Salins. - Je n'en suis pas sûre. Le passage à une dotation budgétaire découle du souci d'indépendance de l'agence mais la volonté n'était pas de réduire ses ressources. Il me semble en tous cas qu'il ne faudrait pas que la dotation soit complétement dissociée du rendement des taxes qui étaient affectées à l'agence.

Mme Laurence Cohen. - Je vous remercie de votre exposé car il n'est pas aisé de résumer les missions de l'ANSM et vous avez fait preuve d'un esprit de synthèse sur un sujet que je trouve passionnant. Je suis d'ailleurs membre du conseil d'administration de l'agence. J'ajoute que la question du président Alain Milon est très pertinente.

Au fil du temps, les missions de l'ANSM se sont multipliées et son amplitude d'action est particulièrement large aujourd'hui. On lui demande d'être très vigilante sur la sécurité dans un contexte de scandales sanitaires. Mon inquiétude porte sur l'affaiblissement des moyens humains et financiers de l'agence au nom d'économies budgétaires. Il en va de la qualité des productions et de la capacité de répondre aux demandes.

M. Gilbert Barbier. - Je remercie Madame de Salins de sa présentation alors qu'elle s'apprête probablement à présider le conseil d'administration de l'énorme machine que constitue l'ANSM.

Deux problèmes m'interpellent. Il s'agit tout d'abord des rapports entre la présidence et la direction générale de l'ANSM car il semble que le conseil d'administration passe souvent son temps à régler des problèmes internes, tels que les horaires des personnels par exemple, qui sont certes importants, mais, en tant que membre du conseil, je trouve que celui-ci a peu de choses à dire sur les orientations stratégiques poursuivies par l'agence. Je crois que les ministères représentent plus de la moitié des voix de l'ensemble des administrateurs. Le conseil d'administration est intéressant mais, compte tenu de sa composition, il n'est pas toujours possible d'infléchir les directives des ministères qui y sont représentés.

Le second problème concerne les rapports de l'ANSM avec d'autres structures du champ sanitaire, en particulier la commission de la transparence, le comité économique des produits de santé (Ceps), la Haute Autorité de santé (HAS). Cette dernière établit des directives pour la réalisation de protocoles. J'aurais souhaité qu'on rapproche ces différents organismes. La responsabilité s'avère très diverse, comme on a pu le voir à l'occasion des différents scandales sanitaires qui surviennent : est-ce l'ANSM, un autre organisme ou le ministère qui est défaillant ?

Je termine en vous demandant si vous avez des précisions à porter sur la perte de vitesse de l'ANSM à l'échelon européen, le nombre de dossiers lui étant confiées par l'agence européenne du médicament (EMA) semblant être en diminution.

M. Gérard Dériot. - Ma question porte sur les relations de l'ANSM avec les autres agences : ne pensez-vous pas qu'une clarification des actions de chacune soit nécessaire, voire qu'il serait opportun d'effectuer des regroupements ?

Mme Catherine de Salins. - Pour répondre à M. Barbier, je souhaite souligner l'importance d'avoir une très bonne fluidité entre le conseil d'administration et la direction générale. Le premier doit obtenir de la seconde toutes les informations nécessaires et utiles à la prise des décisions qui lui incombent.

Vous posez par ailleurs en somme la question de l'animation du conseil d'administration dont la composition est particulièrement nombreuse (26 membres). A elles seules, les administrations ministérielles disposent de la moitié des voix. Il est important qu'elles s'expriment et soient pleinement actives. La composition reflète le souci d'entendre les différentes parties prenantes à l'exception de l'industrie du médicament. Il est également important que les associations d'usagers y soient pleinement parties prenantes des débats.

En ce qui concerne l'architecture de notre dispositif de santé publique, il repose, selon une configuration « à la française », sur des agences satellites qui ont été construites autour du ministère qui centralisait il y a plus de vingt ans l'intégralité des compétences aujourd'hui exercées par elles. Il faut avoir bien en tête les missions de chacun afin que l'agence entretienne avec les autres structures qui interviennent aux frontières de ses propres compétences des relations lui permettant de disposer des informations nécessaires à l'accomplissement de ses propres missions. Je pense notamment à la veille sanitaire, aux questions de vaccination, aux futures relations avec l'agence nationale de santé publique. A intervalles réguliers, il faudra se demander si le découpage existant est pertinent et si certaines missions confiées à l'ANSM le sont à bon escient. En sens inverse, on peut comprendre qu'ayant un lieu d'expertise pour la sécurité sanitaire, le législateur et le Gouvernement continuent d'accroître les missions de l'ANSM pour profiter de son expertise et ne pas créer d'autres satellites. En tout état de cause, la réponse me semble davantage appartenir au législateur qu'au conseil d'administration.

M. Yves Daudigny. - Je vous remercie également. Pourriez-vous nous donner un éclairage sur les règles d'autorisation de mise sur le marché (AMM) aux échelles nationale et européenne ? Quelles évolutions voyez-vous dans les rapports entre ces deux niveaux ?

Mme Catherine de Salins. - Les textes européens prévoient une double procédure. D'un côté, la procédure centralisée organisée par un règlement européen, par laquelle l'EMA prend une décision d'AMM qui est automatiquement valable dans tous les Etats membres. De l'autre, la procédure décentralisée, par laquelle la décision d'AMM prise par un État membre est automatiquement valable dans les autres Etats membres par la voie de la reconnaissance mutuelle. Le choix de l'une ou l'autre de ces procédures, sous réserve des médicaments ayant un caractère particulièrement innovant, relève de l'industriel.

Mme Corinne Imbert. - Ne pensez-vous pas que l'agence va être sous tension avec les missions qui augmentent et les moyens qui baissent ? J'ai cru comprendre que l'agence devait puiser dans son fonds de roulement, qui n'est pas illimité. Quelles sont ses capacités d'adaptation ? De plus, le retard de l'agence dans la délivrance des AMM est-il rattrapable ? Je ne reviens pas sur la perte d'influence au niveau européen.

Mme Catherine de Salins. - Les chiffres semblent montrer que l'agence ne progresse pas en ce qui concerne le nombre des missions qui lui sont confiées par l'EMA. Cela renvoie entres autres à la nécessité pour l'agence de disposer d'une expertise incontestable et de qualité. S'agissant des ressources budgétaires de l'agence, elle a été attributaire en 2012 d'une dotation exceptionnelle qui n'a pas été entièrement consommée. Les années suivantes, le montant de sa subvention a été réduit et l'agence a mobilisé ses réserves. Le conseil d'administration devra tirer la sonnette d'alarme lorsque ce fonds de roulement ne suffira plus à autofinancer ce qui ne l'est plus par la subvention pour charge de services publics ou par les versements de l'agence européenne. Mais l'agence doit pouvoir montrer que son organisation actuelle est efficiente. Si ses missions augmentent, il n'est pas anormal que ses moyens augmentent à due concurrence.

S'agissant du retard effectivement constaté dans le traitement des demandes d'AMM, il est pris en compte par ses orientations stratégiques de l'agence. Une refonte complète des systèmes d'information est notamment prévue, qui permettra de contribuer au rattrapage.

M. Alain Milon, président. - Comment voyez-vous la place des associations d'usagers dans le conseil d'administration ? La loi garantit-elle suffisamment leur indépendance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique ?

Mme Catherine de Salins. - La loi ne garantit par leur indépendance. Elles peuvent être financées par les industries du secteur et il est vraisemblable qu'elles le sont. Cependant, comme tous les autres membres du conseil d'administration, les membres représentant les usagers remplissent une déclaration publique d'intérêts et doivent s'abstenir de siéger si un conflit d'intérêts apparaît sur une question traitée par le conseil d'administration. Les associations d'usagers et de patients sont également représentées au sein de commissions de l'agence et d'un comité de liaison mis en place par l'agence avec ces associations. En ce qui concerne les commissions de l'agence, je pense qu'il faudrait que la déclaration publique d'intérêts porte non seulement sur la personne présente mais aussi sur le financement de l'association concernée afin de garantir une pleine transparence.

M. Alain Milon, président. - Nous vous remercions pour vos réponses.

Nomination d'un rapporteur

La commission nomme Mme Corinne Imbert, rapporteure sur la proposition de loi n° 89 (2015-2016) visant à améliorer l'accès aux droits et à lutter contre la fraude fiscale.

La réunion est levée à 10 heures 20.