Mardi 8 mars 2016

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05

Permettre le maintien des communes associées en cas de création d'une commune nouvelle - Examen des amendements au texte de la commission

La commission examine les amendements sur son texte n° 433 (2015-2016) pour la proposition de loi n° 181 (2015-2016), présentée par M. Bruno Sido et plusieurs de ses collègues, tendant à permettre le maintien des communes associés en cas de création d'une commune nouvelle.

M. Philippe Bas, président. - Notre rapporteur M. Grosdidier étant retardé, je vous propose, avec son accord, de présenter ses avis sur les amendements.

Il nous propose tout d'abord un nouvel amendement.

Article 1er

L'amendement rédactionnel n° 11 est adopté.

M. Philippe Bas, président. - Nous en venons à l'examen des amendements au texte de la proposition de loi.

Articles additionnels après l'article 1er

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié quinquies.

La commission émet un avis favorable aux amendements nos 3 rectifié, 4 rectifié, 2 rectifié et 5 rectifié.

M. Philippe Bas, président. - L'amendement n° 10 est irrecevable.

Il pose un problème de constitutionalité, notamment parce qu'il remet en cause la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 dite commune de Salbris. Il n'a en outre pas de lien, même indirect, avec l'objet de la proposition de loi.

L'amendement n° 10 est déclaré irrecevable au regard de l'article 48-3 du Règlement.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 6 rectifié.

Article 2

M. Philippe Bas, président. - L'amendement n° 7 porte sur le régime de désignation des délégués sénatoriaux des communes nouvelles durant la période transitoire de composition de leur conseil municipal : le Gouvernement reprend ce que notre commission avait arrêté la semaine dernière en clarifiant la rédaction. Notre rapporteur propose donc un avis favorable, sous réserve de l'adoption de son sous-amendement n° 12. Le Gouvernement limite le système transitoire au 31 décembre 2025, or il s'éteindra de lui-même après le deuxième renouvellement du conseil municipal quelle que soit la date de création de la commune nouvelle, c'est-à-dire pour celles créées cette année au plus tard en mars 2026. Ce sous-amendement apporte aussi quelques précisions rédactionnelles.

M. René Vandierendonck. - Très bien.

Le sous-amendement n° 12 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 7 ainsi sous-amendé.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.

M. Philippe Bas, président. - L'amendement n° 9 de M. Collombat porte sur l'intitulé de la proposition de loi. Notre rapporteur en demande le retrait.

M. Alain Richard. - Il est pourtant justifié.

M. Philippe Bas, président. - Notre commission a déjà modifié le titre de la proposition de loi dans un sens analogue. Nous aurons le débat en séance : ne nous disputons pas pour si peu !

La commission émet une demande de retrait de l'amendement n° 9.

La commission donne les avis suivants 

AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Auteur

Avis de la commission

Article 1er
Maintien des communes associées sous forme de commines déléguées en cas de création d'une commune nouvelle

M. GROSDIDIER, rapporteur

11

Adopté

Article 2

M. GROSDIDIER, rapporteur

Sous-amt 12
à l'amdt 7

Adopté

AUTRES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Auteur

Avis de la commission

Articles additionnels après l'article 1er

Mme N. GOULET

1 rect. quinquies

Défavorable

M. GUENÉ

3 rect.

Favorable

M. GUENÉ

4 rect.

Favorable

M. GUENÉ

2 rect.

Favorable

M. GUENÉ

5 rect.

Favorable

M. POINTEREAU

10

Irrecevable

M. GUENÉ

6 rect.

Favorable

Article 2
Coordinations pour la détermination du nombre de délégués sénatoriaux
de la commune nouvelle durant la période transitoire de la composition
de son conseil municipal

Le Gouvernement

7 rect.

Favorable sous réserve de l'adoption du sous-amendement de la commission

M. COLLOMBAT

8

Défavorable

Intitulé de la proposition de loi

Auteur

Avis de la commission

M. COLLOMBAT

9

Demande de retrait

Augmenter de deux candidats remplaçants la liste des candidats au conseil municipal - Examen des amendements au texte de la commission

La commission examine les amendements sur son texte n° 435 (2015-2016) pour la proposition de loi n° 591 (2014-2015), présentée par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues, visant à augmenter de deux candidats remplaçants la liste des candidats au conseil municipal.

Article additionnel avant l'article unique

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

Article additionnel après l'article unique

M. Philippe Bas, président. - L'amendement n° 3 n'a pas de lien direct avec l'objet de la proposition de loi. Notre rapporteur en demande donc le retrait.

M. Alain Richard. - Je loue votre cohérence et votre souci du rythme de nos travaux, mais la question posée par cet amendement mérite notre considération. Nous avons étendu les incompatibilités entre le statut de salarié d'une commune et celui d'élu à son conseil municipal : désormais, tout salarié d'une commune membre ne peut plus être membre du conseil communautaire de l'EPCI à laquelle la commune est membre, ce qui interdit pratiquement à un salarié de la fonction publique territoriale d'être élu au conseil communautaire. Certes, l'amendement de M. Grand a peu de lien avec l'objet de la proposition de loi, mais n'enterrons pas la question sans avoir examiné toutes les conséquences de cette extension des incompatibilités.

M. Philippe Bas, président. - Nous désignerons demain un rapporteur sur la proposition de loi présentée par M. Jacques Mézard modifiant la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République pour allonger d'un an le délai d'entrée en vigueur des nouvelles intercommunalités. Ce sera l'occasion d'avoir ce débat.

M. René Vandierendonck. - M. Darnaud et moi-même avons été chargés d'une mission d'information et de contrôle sur la mise en oeuvre de cette loi. Attendons les conclusions de cette mission au lieu de déposer des propositions de loi pour modifier la loi à la sauvette, hors contexte et à rebours de toute méthodologie participative et collective !

M. François Pillet. - C'est le bon sens.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 3 et, à défaut, y sera défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous avions décidé que dans les communes de moins de 1 000 habitants, les indemnités de fonction soient automatiquement attribuées aux maires à leur taux maximal, sans vote du conseil municipal, afin d'éviter des débats illégitimes, compte tenu de la charge de travail fournie par ces élus et de la modicité des sommes en cause. Cela pose un problème dans ces communes, où certains maires souhaitent ne pas percevoir leur indemnité de fonction ou n'en percevoir qu'une partie - ce que la loi ne permet pas aujourd'hui. Bien sûr, ils peuvent la reverser au centre communal d'action sociale (CCAS), mais cela oblige la commune à payer des charges sociales... L'amendement n° 2 prévoit donc que dans les communes de moins de 1 000 habitants, les indemnités de fonction de maire demeureraient de plein droit fixées à leur taux maximal, sauf délibération du conseil municipal, à la demande du maire lui-même, pour en baisser le montant.

M. Jean-Pierre Sueur. - À la suite des états généraux de la démocratie locale d'octobre 2012, Mme Gourault et moi-même avons préparé deux propositions de loi, dont l'une comportait - à la demande expresse de l'Association des maires de France (AMF) - la disposition en question. Elle a été adoptée unanimement au Sénat et à l'Assemblée nationale, et l'AMF s'en est publiquement réjouie. Et voilà que quelques protestations sporadiques l'amènent à nous demander d'y revenir ? Curieuse méthode !

M. René Vandierendonck. - Nos murs résonnent encore du scepticisme que vous aviez exprimé, monsieur le Président, lorsque ce texte a été voté. Son application fait l'objet de notre mission. N'allons donc pas prendre de décisions à ce sujet ! Il serait indigne de nous que des propositions de lois ou des amendements jaillissent à l'approche des élections sénatoriales pour amodier ce texte.

M. François Pillet. - Entièrement d'accord. Ne nous laissons pas trop influencer par « Radio Mairie ». Il est inexact de dire que de nombreux maires de petites communes demandent à ne pas percevoir leurs indemnités de fonction. Ils ne sont qu'une minorité dans ce cas. Souvent, c'est qu'ils ont une activité professionnelle ou qu'ils touchent une retraite qui leur permet d'exercer leur mandat à titre totalement bénévole...

Mme Jacqueline Gourault. - Ou qu'ils sont parlementaires !

M. François Pillet. - Pour un agriculteur retraité, les quelque 500 euros d'indemnités ne sont pas superflus, d'autant qu'il ne demande généralement pas à être remboursé de ses frais d'essence pour se rendre à la sous-préfecture ou aux multiples réunions imposées par le millefeuille territorial. Nous avons pris cette décision pour empêcher les débats populistes et démagogiques. Que ceux qui veulent renoncer à leurs indemnités les reversent à leur CCAS ! Elles seront même déductibles fiscalement.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Je vous propose d'émettre un avis de sagesse. L'amendement n'enlève rien aux dispositions actuelles, il ouvre une possibilité, demandée par des élus de très petites communes. Nous devrons traiter ce problème avant le prochain renouvellement ; dans le présent texte, c'est effectivement un cavalier.

M. Alain Richard. - Considérons simplement que cet amendement relève du code général des collectivités territoriales, quand la proposition de loi concerne le code électoral. Il est donc irrecevable, faute de lien avec l'objet du texte.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Certes, l'élu peut toujours reverser son indemnité à la commune, mais cela suppose de la budgétiser, de payer des cotisations. Il existe, je crois, une dotation de l'État... Est-elle versée si l'élu renonce à son indemnité ?

Mme Jacqueline Gourault. - La dotation de l'élu local est versée automatiquement, sous certaines conditions fiscales.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Cette question mérite d'être approfondie avant les prochaines élections municipales. En tout état de cause, l'amendement n'a pas de lien direct avec le texte.

M. François Pillet. - Il convient de se rallier à l'avis, procédural mais astucieux, d'Alain Richard, et de ne pas nous prononcer sur ce cavalier, en attendant les conclusions de la mission Darnaud-Vandierendonck. Pour ma part, je n'ai entendu aucun maire demander une telle mesure. La grande majorité des maires est parfaitement satisfaite par la réforme ! Pourquoi changer une loi toute récente sous la pression - démagogique - de quelques-uns ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Je préconise que la commission émette un avis défavorable. Ne légiférons pas par foucades ! Je n'ai pas non plus entendu la moindre réaction, dans mon département, de la part des maires de petites communes. Revenir sur ce que nous avons voté il y a un an ne serait pas du bon travail législatif. S'il y a un vrai problème, nous le traiterons posément, après avoir entendu les conclusions de la mission.

Mme Jacqueline Gourault. - Je rejoins MM. Pillet et Sueur. La difficulté vient surtout de ce que cette réforme a été introduite en cours de mandat...

M. Jean-Pierre Sueur. - La faute à l'Assemblée nationale, qu'il a fallu supplier d'inscrire notre proposition de loi à son ordre du jour !

Mme Jacqueline Gourault. - J'avais déposé naguère une proposition de loi semblable, à la demande de l'AMF, dont j'étais vice-présidente. Elle n'avait pas prospéré à l'Assemblée nationale, mais le Sénat l'avait votée à l'unanimité - déjà !

M. Yves Détraigne. - Je préside l'association des maires de mon département : aucun ne m'a jamais dit souhaiter une mesure telle que celle proposée dans cet amendement.

Mme Catherine Di Folco. - Cette question avait fait dériver le débat de la proposition sur le droit individuel à la formation des élus. En tant que rapporteur, je m'étais engagée à y retravailler, par exemple avec MM. Darnaud et Vandierendonck, mais pas voter un tel amendement dans l'urgence.

M. Philippe Bas, président. - Il semble que la commission s'oriente donc vers un avis défavorable - qu'il faudrait motiver par notre souci d'évaluer la mise en oeuvre d'un dispositif dont l'encre est à peine sèche.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Je motiverai cet avis défavorable en soulignant que le lien ténu de l'amendement avec la proposition de loi et en indiquant que, sur le fond, un bilan s'impose avant les prochaines élections municipales. Reste que l'amendement ne fait qu'ouvrir une possibilité : l'indemnité de fonction des maires demeure fixée automatiquement à son taux maximal. Renvoyons cette question à un texte traitant du statut de l'élu.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.

M. François Grosdidier, rapporteur. - Nous avons modifié la présente proposition de loi pour viser également les démissions contraintes pour cause de cumul. Or l'incompatibilité sera effective dès 2017, alors que la loi ne sera opératoire qu'à partir de 2020. L'amendement n° 5 de M. Maurey est pertinent, en ce qu'il propose, durant la période transitoire, que le conseil municipal est réputé complet et peut procéder à l'élection du maire si moins d'un dixième des sièges du conseil municipal est vacant.

Mme Catherine Di Folco. - Le dixième d'un conseil municipal de 23 membres, cela donne 2,3 sièges... Retient-on l'entier inférieur ou supérieur ?

M. François Grosdidier, rapporteur. - Inférieur : le dixième est une limite.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 5.

La commission donne les avis suivants :

Auteur

Avis de la commission

Article additionnel avant l'article unique

M. MASSON

1

Défavorable

Article additionnel après l'article unique

M. GRAND

3 rect.

Demande de retrait, à défaut avis défavorable

M. GRAND

4 rect.

Défavorable

M. LEMOYNE

2

Défavorable

M. MAUREY

5

Favorable

La réunion, suspendue à 9 h 25, est reprise à 9 h 30

Protection de la Nation - Audition de M. Manuel Valls, Premier ministre, et de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

La commission entend M. Manuel Valls, Premier ministre, et M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Philippe Bas, président. - Je salue M. le Premier ministre et M. le garde des sceaux et vous propose de nous exposer les raisons qui ont conduit le Président de la République à prendre l'initiative de cette révision constitutionnelle ainsi que son contenu.

M. Manuel Valls, Premier ministre. - Notre pays fait face à une menace terroriste d'une ampleur sans précédent, plus forte encore qu'en janvier et novembre derniers. Il n'est pas le seul - la Tunisie, ce pays si proche de nous, vient encore d'être frappée. En attaquant la Tunisie, les terroristes s'en prennent à la transition démocratique unique dans le monde arabe ; ils s'attaquent aux valeurs de liberté et d'ouverture que porte ce peuple ami. Nous avons un devoir : ne jamais laisser tomber la Tunisie et combattre, ensemble, le terrorisme.

Face à cela, au djihadisme, à l'islamisme radical, à cette contestation totale de ce qui fait notre humanité, la France ne doit à aucun moment baisser la garde. Faiblir serait faillir. Notre responsabilité à tous est donc immense. Nous sommes entrés dans une nouvelle époque. Nous avons changé de monde. Face à nous se dresse une armée, avec ses bastions au Levant et au Sahel. Elle contrôle des territoires, se structure comme un État. Elle a sa stratégie d'embrigadement, d'expansion, d'asservissement des peuples, et ses sources de financement.

Face à nous, il y a aussi des individus isolés, qui basculent dans la radicalisation, agissant de manière plus ou moins autonome, avec la volonté de frapper au coeur même de nos sociétés, de retourner les armes contre leur propre pays. Daech, comme les succursales les plus actives d'Al Qaida, dispose de cellules de planification d'attentats chargées de sélectionner et de préparer les terroristes. L'implantation de plus en plus forte de l'État islamique au Maghreb et en Libye, la dégradation sérieuse de la situation dans ce pays et l'enracinement djihadiste à Syrte constituent une source de très grande préoccupation.

Face à ce totalitarisme nouveau, nous devons renforcer nos moyens d'action et veiller à l'unité de notre Nation. N'ayons pas la mémoire courte ! Nous avons une propension à oublier les événements et les propos qu'ils nous ont fait tenir. Renforcer notre efficacité, garantir notre unité : c'est le but de cette réforme constitutionnelle, annoncée le 16 novembre dernier par le Président de la République devant le Congrès. Une réforme qui arrive devant le Sénat après son adoption, à plus des trois cinquièmes, par l'Assemblée nationale.

Alors que vos travaux en commission débutent, je veux insister sur l'exigence qui s'impose à nous. Dans un monde où l'événement a trop tendance à chasser l'événement, nos compatriotes n'ont rien oublié de l'horreur, des 149 vies qui ont été volées, ni des centaines de blessés, qui le seront à jamais. Nos compatriotes attendent de nous que nous soyons, collectivement, à la hauteur, que nous n'hésitions pas dans les réponses que nous apportons.

L'article 1er de ce projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation vise à inscrire l'état d'urgence dans notre Constitution. Il s'agit d'une mesure à l'effet juridique utile, selon l'avis du Conseil d'État du 11 décembre dernier, et j'ajouterais même nécessaire. Le comité de réflexion constitutionnelle présidé en 2007 par Édouard Balladur l'avait déjà proposée, car les deux régimes particuliers destinés à faire face aux situations les plus graves - l'article 16 et l'article 36 sur l'état de siège - ne correspondent pas au type de crises que la France a traversées - et peut traverser à nouveau.

Oui, le régime de circonstances exceptionnelles le plus fréquemment utilisé sous la Vème République doit figurer dans notre Constitution. Inscrire l'état d'urgence dans la norme suprême permettra également d'encadrer davantage son application, de la subordonner au droit et à la proportionnalité. En gravant dans le marbre le caractère exceptionnel de l'état d'urgence - c'est la définition même de l'État de droit - nous garantissons que ses conditions de déclenchement et de contrôle ne pourront être allégées, demain, sans l'accord d'une majorité qualifiée au Parlement.

Le débat parlementaire a permis d'enrichir ce projet de révision constitutionnelle sur plusieurs points. Plusieurs garanties fondamentales ont ainsi été introduites à l'Assemblée nationale, avec l'avis favorable du Gouvernement : la limitation à quatre mois maximum de toute autorisation législative de prorogation, l'obligation pour le Gouvernement d'informer le Parlement sans délai des mesures prises, la constitutionnalisation des pouvoirs de contrôle du Parlement et la possibilité pour le Parlement de siéger de plein droit pendant toute la durée de l'état d'urgence. Chaque prolongation devra se traduire par un projet de loi, examiné au préalable par le Conseil d'État et pouvant faire l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel. Ce projet de révision met donc en place des mécanismes de contrôle très stricts, sur le plan politique comme sur le plan juridictionnel.

La loi de 1955 sur l'état d'urgence pourra elle aussi être précisée. Nous l'avons déjà améliorée ensemble, en l'adaptant à la menace terroriste tout en préservant la liberté de la presse et du débat public. Vous avez, le 20 novembre dernier, adopté ce texte de modernisation à l'unanimité et les décisions récentes, intervenues par le biais de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), ont enrichi encore la jurisprudence. Mais il était difficile de fonder un régime de saisie administrative sans mention préalable de l'état d'urgence dans la Constitution. La décision de censure partielle prise par le Conseil constitutionnelle le 19 février, suite à une QPC, étaye notre position.

Le Gouvernement a donc préparé un avant-projet de loi pour compléter notre texte sur l'état d'urgence, qu'il a rendu public par souci de transparence. Il comportera une disposition supplémentaire pour répondre au cas précis de la copie de données informatiques. Le Conseil constitutionnel a en effet décidé d'étendre à ces copies le régime protecteur applicable aux saisies - et le Gouvernement se conformera pleinement à cette décision -, alors même qu'il n'est pas toujours matériellement possible d'exploiter certains documents dans le temps très réduit d'une perquisition, surtout lorsqu'ils sont écrits dans une langue étrangère. Le projet vous sera transmis officiellement à l'issue de la procédure de révision constitutionnelle.

Un tel sujet doit nous réunir. C'est dans cet esprit de rassemblement que le Gouvernement a accueilli la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste, déposée par le président Bas et les sénateurs Retailleau, Mercier et Zocchetto. Nous continuerons le dialogue dans le cadre du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, qui devrait être adopté par l'Assemblée nationale cet après-midi.

Le 10 février dernier, l'Assemblée nationale a également voté l'article 2 du projet de loi de révision constitutionnelle, tel qu'amendé par le Gouvernement. L'article 34 de la Constitution ainsi modifié permettra à la loi d'organiser les conditions dans lesquelles une personne française peut être déchue de sa nationalité ou des droits qui y sont attachés, lorsqu'elle a été condamnée pour crime ou délit portant gravement atteinte à la vie de la Nation.

Le Gouvernement vous invite, dans le respect de la parole donnée par le Président de la République, à adopter l'article 2 de cette révision constitutionnelle dans les mêmes termes. L'enjeu est d'inscrire au coeur de notre Constitution une garantie nécessaire. Face à la barbarie des 7, 8 et 9 janvier et du 13 novembre, face à la menace, omniprésente, durable, face au risque que la France soit à nouveau frappée, nous devons faire preuve de la plus grande fermeté et de la plus grande détermination. Alors que des Français frappent d'autres Français et déchirent le pacte républicain, l'État doit rappeler ce que signifie être une Nation, être français : non pas une origine mais une exigence, celle de défendre l'égalité, la liberté, la fraternité, la laïcité. Être citoyen français, c'est partager les mêmes valeurs, les mêmes droits et les mêmes devoirs. Partager une même envie de construire l'avenir ensemble, un même destin, un même amour de la patrie. L'État, en ces temps difficiles, doit réaffirmer ce qui nous rassemble.

C'est pour cela que ceux qui résident sur le sol français et se comportent comme des Français doivent pouvoir devenir français - et j'ai oeuvré, comme ministre de l'intérieur, à ce que l'accès à la naturalisation soit garanti à tous ceux qui, durablement installés sur notre sol, remplissent les conditions. Ces décisions ont bénéficié à des milliers de personnes, devenues nos compatriotes, pour beaucoup binationales. Mais c'est aussi pour réaffirmer ce qui fait notre communauté nationale que des terroristes condamnés, tentant de briser notre destin commun, doivent être déchus de leur nationalité. Nous savons qui nous visons.

Le débat sur cet article a été riche, et le Gouvernement - qui avait respecté l'avis du Conseil d'État - a fait évoluer son projet pour en tenir compte, avec l'accord du Président de la République. Parce que la Constitution a une force solennelle, le Gouvernement s'est rallié à une écriture qui ne distingue aucune catégorie de Français par rapport à une autre. Pour que la déchéance de nationalité rassemble la communauté nationale contre les terroristes, il fallait qu'elle s'applique à tous les Français. Pour qu'il y ait responsabilité égale de chacun, il doit y avoir égalité devant la sanction. L'exigence républicaine ne peut être à géométrie variable. Or notre droit ne répond pas pleinement à cette exigence républicaine d'égale responsabilité. L'article 25 du code civil fait ainsi une distinction entre les Français selon qu'ils sont nés français ou ont acquis la nationalité française : seuls ceux qui ont été naturalisés peuvent être déchus de leur nationalité.

Pour pouvoir en déchoir, aussi, une personne née française, le Conseil d'État a indiqué clairement, dans son avis du 11 décembre 2015, qu'il fallait une loi constitutionnelle. Il est légitime qu'une mesure d'une telle gravité relève de notre premier texte juridique. J'entends qu'il s'agirait d'une remise en cause du droit du sol... Balivernes ! C'est une erreur. Remettre en cause le droit d'un Français de naissance à conserver sa nationalité s'il prend les armes contre son propre pays n'est pas une remise en cause du droit du sol. C'est une remise en cause du droit du sang, et cela, je l'assume. Car notre Nation n'est fondée ni sur le droit du sol, ni sur celui du sang : elle est fondée sur un pacte citoyen de valeurs républicaines.

L'article 25 du code civil fait aussi une distinction entre ceux qui disposent d'une autre nationalité et ceux qui n'en disposent pas, seuls les premiers pouvant être déchus. Pallier ces manques de notre droit, c'est le sens de la rédaction de l'article 2 que le Gouvernement vous propose d'adopter. Je sais qu'elle suscite des interrogations, en raison du risque d'apatridie qui sera, en conséquence, encouru. Mais face à une menace en constante évolution, il faut constamment faire évoluer nos réponses - avec sang-froid, dans le respect de nos valeurs et de l'État de droit. La formulation adoptée par l'Assemblée nationale, avec l'accord du Gouvernement, est, en tous points, compatible avec la position historique de votre assemblée. Les débats tenus aussi bien dans votre commission en décembre 1997 que dans l'hémicycle en janvier 1998 en témoignent. Ce doit être un gage de sérénité de nos débats collectifs, et, je l'espère, de convergence presque complète.

Priver un individu de sa nationalité, élément constitutif de la personne, consacrant son appartenance à la communauté nationale, est par essence une décision grave. C'est pour cela que cette rédaction exige une condamnation pénale préalable : pas de déchéance de nationalité sans l'intervention préalable du juge pénal et un procès équitable. C'est aussi pour cela que l'article 2 limite la déchéance aux seuls crimes et délits constitutifs d'une atteinte à la vie de la Nation - atteinte qualifiée, de surcroît, de grave. C'est pour cela, enfin, que nous proposons la possibilité de déchoir non seulement de la nationalité, mais aussi des droits qui y sont attachés. Nous agissons, ce faisant, dans le strict respect de nos engagements internationaux comme des libertés fondamentales garanties par la convention européenne des droits de l'homme.

L'avant-projet de loi ordinaire définit, d'abord, ce qui constitue une atteinte à la vie de la Nation, c'est-à-dire les crimes et délits constitutifs d'actes terroristes ou attentatoires aux intérêts fondamentaux de la Nation, prévus au livre 4 du code pénal. Seuls ont été retenus les délits les plus graves, qui encourent une peine de dix ans d'emprisonnement. C'est cohérent avec les six déchéances prononcées depuis 2014, pour des délits d'association de malfaiteurs à visée terroriste - déchéances qui n'ont pas suscité de protestations, d'ailleurs. Elles ne concernaient que des binationaux ayant acquis la nationalité française. Pourquoi cette inégalité ? Ces binationaux sont aussi français que les autres. Certains peuvent même devenir Premier ministre !

Le texte d'application modifie, ensuite, le régime de la déchéance. Nous proposons ainsi que la compétence de prononcer cette sanction, qui revient aujourd'hui à l'autorité administrative après avis conforme du Conseil d'État, revienne à l'autorité judiciaire. Plusieurs raisons à ce choix, qui renoue avec notre tradition républicaine. D'abord, un souci d'efficacité : cette peine sera prononcée immédiatement, au moment de la condamnation. Deuxième raison, le respect de l'exigence d'individualisation de la peine : la déchéance de nationalité est une peine lourde de conséquences, qui nécessite un examen rigoureux et approfondi, au cas par cas. Il n'y aura, comme dans le droit actuel, aucune automaticité. La dernière raison, c'est la volonté de construire une sanction globale, prononcée en même temps que la peine principale, par des juges disposant de tous les éléments de fait et de droit.

Lorsque la déchéance de la nationalité ne sera pas souhaitable, le juge pénal pourra déchoir la personne condamnée des droits attachés à la nationalité. Si ces privations de droits existent déjà dans le code pénal, mais souvent avec des durées limitées, nous proposons de leur conférer un caractère définitif - avec une possibilité de relèvement au terme d'un délai de dix ans. Contrairement à la déchéance de nationalité, cette sanction ne privera pas les personnes concernées du droit d'entrer et de séjourner en France.

Cette révision constitutionnelle nous permet, en un mot, de réaffirmer des principes simples mais essentiels à la définition de ce que nous sommes. Être français est une exigence républicaine : défendre les valeurs de notre devise nationale. C'est l'inscription assumée dans un destin commun. Et être français est une exigence, un devoir auquel rien, pas même le droit du sang, pas même la naissance, ne doit permettre de se soustraire.

Voilà, au terme de débats qui ont été très riches à l'Assemblée nationale, l'état de la réflexion du Gouvernement. Je ne doute pas que les débats ne soient aussi particulièrement riches au Sénat, dont je connais l'attachement aux libertés, et qu'ils aboutiront à un accord. C'est l'exigence des Français.

M. Philippe Bas, président. - Merci. Je crois pouvoir dire que, pour l'essentiel, vos conceptions et vos convictions sont voisines des nôtres. Le Sénat a su marquer son émotion et son désir de rassemblement après les actes de barbarie que nous avons subis en 2015. Nous n'oublions pas. Le Sénat a constamment manifesté sa volonté de renforcer les instruments de lutte contre le terrorisme. Il a répondu présent pour adopter la loi de novembre 2014 et a assumé ses responsabilités lors du débat sur celle relative au renseignement. En novembre 2015, le Sénat a prorogé l'état d'urgence et étendu les pouvoirs du ministre de l'intérieur et des préfets dans sa mise en oeuvre. Dès février 2015, je vous ai fait des propositions écrites, qui ont donné lieu à la proposition de loi que j'ai déposée avec MM. Retailleau, Zocchetto et Mercier. Nous avons travaillé avec le garde des sceaux dans d'excellentes conditions, et je me réjouis d'en voir les dispositions largement reprises dans le texte qui vient d'être délibéré par l'Assemblée nationale.

L'essentiel pour nous est de fournir à l'État, dans le respect de l'État de droit, des instruments d'action supplémentaires lorsqu'ils sont nécessaires. Vous nous demandez d'être à la hauteur : nous n'avons pas l'habitude de nous dérober. L'efficacité de la lutte contre le terrorisme nous préoccupera tout autant que la défense des droits et libertés, vocation du Sénat. Nous ne souhaitons pas donner au législateur de demain des pouvoirs que nous pourrions nous reprocher d'avoir inscrits dans la Constitution s'ils devaient lui permettre de limiter certaines garanties fondamentales.

Dans une révision constitutionnelle, aucune des deux chambres n'a à se conformer au vote de l'autre. Nous ferons notre travail dans un esprit constructif, en nous inscrivant dans la volonté exprimée par le Président de la République de nouer un pacte national dans la lutte contre le terrorisme, et sans nous écarter de la ligne tracée le 16 novembre.

Mme Éliane Assassi. - Merci de votre présence. Nous sommes tous attachés à la protection de notre pays et de son peuple, et convaincus de la nécessité de prendre les mesures adaptées pour l'assurer de façon constante. Pour autant, je ne peux adhérer à ce projet de loi constitutionnelle. Il ne s'agit nullement de posture ou de positionnement moral, mais bien d'un désaccord politique de fond. D'ailleurs, je n'ai pas voté la prolongation de l'état d'urgence. Son inscription dans la Constitution comme celle de la déchéance de nationalité ne sont pas des idées de gauche. L'une des mesures de ce texte a été proposée en son temps par le Front national ! Il y a eu, dans notre histoire, des individus pour résister, pour dire non. Avec mes camarades, je dis non à ce texte. Nombre de juristes, de constitutionnalistes, d'historiens, de sociologues et de simples citoyens partagent notre avis.

Inscrire l'état d'urgence dans la Constitution est dangereux, car cela crée une possibilité large de déroger au fonctionnement normal des pouvoirs dans la durée, hors du contrôle du juge judiciaire. Le cas de « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » traduit une volonté d'instaurer un régime permanent d'exception. Pourtant, en janvier 2015, vous aviez affirmé que l'État ne plierait jamais, qu'il prendrait des mesures exceptionnelles mais pas des mesures d'exception.

Pourquoi n'avoir pas remplacé le cas de péril imminent par celui d'attaque contre le sol français ou de danger clair et présent, comme cela vous a été proposé par des juristes ? Ces conditions seraient plus objectives. Quant à la déchéance de nationalité, M. Badinter a tout dit en demandant : « Comment la France, qui s'était honorée en supprimant la peine de mort, peut-elle aujourd'hui créer une mort civile avec la déchéance de nationalité ? » La déchéance de nationalité a été appliquée avant ou pendant des conflits - même des communistes en ont fait les frais. Vous proposez la déchéance pour tous, au risque de créer des cas d'apatridie. Certes, la France n'a pas ratifié la convention de 1961 ni celle de 1997, mais l'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme dispose que « tout individu a droit à une nationalité » et que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité ». Cette déclaration n'a pas de valeur juridique, certes, mais elle a une portée internationale que vous ne retenez pas.

Enfin, la déchéance de nationalité est une sanction qui s'ajoute à celles déjà prévues dans le code civil et dans le code pénal à l'encontre des terroristes. Pourquoi inscrire une sanction dans la Constitution ?

M. Jean-Yves Leconte. - Dans la mesure où la menace contre la Nation est urgente et importante, nous ne pouvons pas nous disperser. Comment, dans ces conditions, l'article 2 nous protège-t-il ? Comment sert-il la coopération internationale en matière de terrorisme ? Il s'inscrit en complète contradiction avec les principes et fondements du droit que nous avons construit en Europe et dans le monde depuis la deuxième guerre mondiale, pour ne plus avoir d'apatrides et pour constituer des droits pour tous. Comment appeler à la coopération internationale en matière de terrorisme si nous renvoyons aux pays avec lesquels nous coopérons les binationaux que nous aurons déchus ? Bref, comment coopérer si le reste du monde devient la poubelle de la France ? La force d'une nation est d'assumer ses criminels plutôt que de les renvoyer dans la nature.

Vous présentez la déchéance de nationalité comme une peine complémentaire. Or l'article 2 ne prévoit que la possibilité de cette déchéance. La manière dont la peine s'appliquera sera fixée par la loi ordinaire : rien ne garantit qu'elle sera prononcée par le juge judiciaire. En ajoutant les délits - champ bien plus large que les actes de terrorisme, et qui dépendra, qui plus est, du législateur ordinaire ! -, l'Assemblée nationale a affaibli le lien entre les citoyens et la Nation. C'est dangereux dans les circonstances actuelles.

Le Conseil constitutionnel n'a pas considéré comme une inégalité la différence de statut entre les Français naturalisés et les autres : une naturalisation n'est pas un constat d'assimilation, mais un pari sur l'intégration. Enfin, l'article 23-7 du code civil rend déjà possible la déchéance de nationalité : vous ne l'avez pas évoqué.

M. Jacques Mézard. - Je ne voterai pas ce texte, pas plus celui du Gouvernement que celui qui résulterait des amendements proposés par la commission. Je ne veux ni hurler avec les loups, ni bêler avec les moutons.

Monsieur le Premier ministre, je respecte votre position. Ce texte porte un message politique pour rassurer les Français et pour les rassembler, ce qui est légitime de la part du Gouvernement, même s'il n'a pas choisi le meilleur moyen. Je souhaiterais que l'on respecte aussi la position de ceux qui ne sont pas d'accord.

J'ai été rapporteur de votre premier texte sur le terrorisme, quand vous étiez ministre de l'intérieur, et je ne le regrette pas. Toutes les nations doivent se donner les moyens de combattre le terrorisme et ce qui menace leur sécurité, y compris les moyens financiers et humains, à condition que cela se fasse dans le respect des libertés. Quant à l'état d'urgence, s'il est constitutionnalisé, on pourra y recourir à chaque fois que les services de sécurité considéreront que la situation relève du péril imminent. Cela pose problème, comme l'ont montré un certain nombre d'universitaires et de juristes. Enfin, sur la déchéance de nationalité, la position de Robert Badinter est parfaite, c'est la voix de la sagesse.

M. Michel Mercier. - Merci, Monsieur le Premier ministre, de nous avoir expliqué votre choix de la voie constitutionnelle, après les attentats que notre pays a subis. Le Sénat a toujours veillé à aider l'exécutif à s'armer contre le péril terroriste. Faut-il aller jusqu'à une révision constitutionnelle ? Le droit constitutionnel est aussi un droit politique. Il y a deux façons d'organiser notre vie en commun : en donnant des signes et en prévoyant des dispositions juridiques.

Le Conseil constitutionnel vient de répondre aux questions sur la constitutionnalité des mesures liées à la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Inscrire l'état d'urgence dans la Constitution n'ajoute donc pas grand-chose, mais je reconnais que l'état de siège n'est plus que symbolique et que l'article 16 est peu pratique pour lutter contre la guérilla terroriste. Il ne serait par conséquent pas anormal d'inscrire l'état d'urgence dans la Constitution.

Nous avons eu l'occasion d'entendre à plusieurs reprises le premier président de la Cour de cassation rappeler son interprétation de l'article 66 de la Constitution. Je sais que le juge administratif est le juge des libertés publiques, depuis longtemps, mais il n'en reste pas moins nécessaire de réaffirmer le rôle de l'autorité judiciaire comme gardienne de la liberté individuelle. C'est ainsi que l'on retrouvera l'unité de la Nation.

La déchéance de nationalité existe depuis longtemps dans notre droit. Depuis la première guerre mondiale, il y a toujours eu des textes relatifs à la déchéance ou à la perte de la nationalité ; pour le Conseil d'État, l'une comme l'autre est une sanction. Il est normal de priver de la protection de l'État un Français qui lui manquerait de loyauté. L'article 25 du code civil vise uniquement la catégorie des binationaux qui ont acquis la nationalité française. Je partage votre souci de ne pas distinguer entre binationaux, car nos principes juridiques impliquent que nous traitions tous les citoyens de la même manière. Le texte issu de l'Assemblée nationale n'est pas d'une clarté extrême sur ce point. Il ne mentionne pas la possibilité de déchoir de leur nationalité ceux qui n'ont que la nationalité française. Vous avez habilement renvoyé ce point à la ratification d'un texte international. En effet, en matière d'apatridie, la France n'a pas d'obligation juridique internationale ; il n'existe qu'une mesure de droit interne.

Selon l'article 34 de la Constitution, le Parlement fixe les règles en matière de nationalité. Si la réforme est votée, le Parlement verra son rôle limité, puisque l'article 34 précisera les circonstances dans lesquelles la déchéance de nationalité pourra s'appliquer. Si vous ne prévoyez pas explicitement la possibilité de l'apatridie, vous imposerez au Parlement un contrôle de conventionalité qui s'ajoutera au contrôle de constitutionnalité. Cela fait beaucoup.

La nationalité est une manifestation de l'État, qui décide des conditions de son attribution ou de son retrait. C'est pourquoi l'idée de faire de la déchéance une peine complémentaire ne me convainc pas. Une fois prononcée la condamnation définitive, il appartient au pouvoir exécutif de prononcer la déchéance de nationalité, après avis conforme du Conseil d'État, car cela relève des attributions de l'État. Il n'est pas souhaitable d'inscrire dans la Constitution une peine complémentaire qui s'apparente à une diminutio capitis et qui met en cause la puissance et l'imperium de l'État.

M. Alain Richard. - J'ai écouté avec intérêt et respect mes collègues exprimer leur désaccord avec le texte du Gouvernement. En ce qui concerne l'état d'urgence, il est vrai que nous pourrions conserver la loi de 1955 avec tout ce qu'elle comporte de souvenirs et d'effets de circonstances. Elle a déjà été modifiée pour effacer les séquelles liées à une situation de guerre interne où la censure, par exemple, était autorisée. Cette loi continuera à évoluer, car elle constitue une réponse efficace aux menaces. L'enserrer dans un cadre constitutionnel pour en alourdir les effets, quand bien même cela limiterait la marge d'initiative du législateur, me paraît être un acte favorable aux libertés. On peut y introduire des dispositions limitatives, à l'image de ce qu'a fait l'Assemblée nationale.

Quant aux conditions d'ouverture de l'état d'urgence, faut-il substituer une expression plus précise à celle de « péril imminent » ? Le débat mérite d'être poursuivi. Pour l'instant, les expressions proposées n'apportent pas un cadre juridique plus contraignant. La notion de « péril grave imminent » a le mérite d'être claire. On peut introduire des mesures supplémentaires d'encadrement du législateur. Fixer des bornes à l'action de l'exécutif pendant l'état d'urgence, telle est la mission première de la Constitution. Qu'une loi ordinaire traite des pouvoirs de contrôle du Parlement sur l'exécutif, comme nous l'avons fait avec la loi du 20 novembre 2015, est d'ailleurs une anomalie !

Je reste préoccupé par les conséquences qui pourraient être tirées des positions de la conférence des premiers présidents de cours d'appel, portées par la voix du premier président de la Cour de cassation : on pourrait aller jusqu'à faire disparaître la notion de police administrative ! Si l'on place la protection des correspondances sous l'autorité du juge judiciaire, il n'y aura plus d'écoutes administratives possibles autrement que par l'autorisation d'un juge. J'invite mes collègues à se montrer conséquents.

Enfin, la déchéance de nationalité est une mission de l'État souverain. Je diverge de la position de Michel Mercier en ce que, de mon point de vue, l'autorité judiciaire s'exprime aussi au nom de l'État.

M. Michel Mercier. - Si je suis parvenu à vous le faire dire, c'est parfait !

M. Alain Richard. - L'État peut-il prendre la décision de priver ses ressortissants de leur nationalité ? Certains d'entre nous sont convaincus que oui. La nationalité n'est pas seulement un support administratif, mais l'adhésion à des valeurs et à des exigences. Peut-on aller jusqu'à créer un cas d'apatridie ? Au premier alinéa de l'article 15 la Déclaration universelle des droits de l'homme, il est indiqué que tout homme doit avoir une nationalité. Le deuxième alinéa précise qu'on ne peut priver arbitrairement quelqu'un de sa nationalité - c'est reconnaître, implicitement, qu'une procédure légitime le peut. La convention de l'ONU dit qu'un État peut conserver la faculté de priver un individu de sa nationalité en cas de manque de loyalisme ou de comportement portant préjudice grave aux intérêts de l'État.

Une autre convention des Nations unies prévoit un socle de droits pour les apatrides. Il est par conséquent inexact de prétendre que nous créerions des êtres sans droits, comme l'a dit Patrick Weil la semaine dernière. Peut-être serait-il bon de préciser la situation des apatrides en droit français. Dans les moments les plus dramatiques de notre histoire, il a toujours paru légitime de priver un citoyen de sa nationalité en cas de préjudice grave contre l'État. Reste évidemment le débat sur crime ou délit...

Mme Éliane Assassi. - Eh oui !

M. Alain Richard. - En tout cas, aucun texte des Nations unies n'exige que l'on s'abstienne de créer des cas d'apatridie. Preuve en est la convention de 1961 qui porte sur la « réduction » des cas d'apatridie. À l'époque, il s'agissait d'un fait collectif, qui résultait des changements de territoires. Le débat actuel concerne une sanction individuelle contre des gens que l'on souhaite mettre au ban d'une société démocratique.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je remercie les parlementaires pour la qualité de ces échanges. M. Mercier a évoqué la place de l'autorité judiciaire. Un certain nombre de magistrats ont pris part aux échanges, j'entends les inquiétudes.

Les articles 64 et 66 de la Constitution ne sont pas anodins : pour la première fois dans l'histoire de la Constitution française, on a inscrit l'indépendance de l'ordre judiciaire au rang le plus haut. C'est le 4° de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 qui dote l'autorité judiciaire d'une mission - protéger la liberté individuelle - assise sur une garantie - l'indépendance de l'autorité judiciaire. C'est l'Habeas corpus à la française. Le Gouvernement propose de conforter l'indépendance de l'autorité judiciaire en inscrivant à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, le 6 avril prochain, le texte adopté par le Sénat pour la révision constitutionnelle relative au Conseil supérieur de la magistrature, et le Président de la République a affirmé, lors de sa visite à l'École nationale de la magistrature, qu'il souhaitait un vote conforme de l'Assemblée. Cela manifeste tout son respect pour l'autorité judiciaire.

Notre histoire juridique voit les deux ordres de juridiction cheminer parallèlement. On n'est jamais trop nombreux pour préserver les libertés ! Je crois au dialogue des juges plus qu'à leur affrontement. Personne n'envisage de réviser l'article 66 de la Constitution. L'autorité judiciaire est bien la gardienne des libertés - même si l'on peut toujours avoir des débats byzantins pour savoir s'il faut mettre le mot « liberté » au singulier ou au pluriel. Le Sénat organise prochainement un débat sur la place des juges, avec le premier président de la Cour de cassation. Le Gouvernement sera ravi d'y contribuer.

M. Manuel Valls, Premier ministre. - En effet, monsieur le président Bas, le Sénat a toujours pris ses responsabilités : qu'il s'agisse des deux lois antiterroristes, de la mise en oeuvre de l'état d'urgence ou de vos propositions - que l'on retrouve dans le texte défendu à l'Assemblée nationale par M. Urvoas -, le Sénat s'est toujours montré un défenseur intransigeant des droits et des libertés fondamentales. Les textes que j'ai défendus en matière de sécurité ou d'immigration en ont également donné la preuve. Une révision constitutionnelle implique que toute modification votée par le Sénat, aussi légitime soit-elle, puisse être approuvée par l'Assemblée nationale. Traçons ce chemin ensemble.

Madame Assassi, je sais que vous n'exprimez pas une posture mais une conviction. Dire que la déchéance de nationalité n'est pas une mesure de gauche est inexact au regard de l'histoire. Il suffit de rappeler 1848 et toute la première partie du XXème siècle, l'ordonnance de 1945 qui instaure un régime républicain de déchéance de nationalité, les lois de 1973 et de 1993 qui définissent le régime actuel, celles de 1996, de 2003 et de 2006 qui le modifient. Toutes sont des lois de la République et la République transcende le clivage entre gauche et droite. Vous avez fait allusion à la proposition de M. Sarkozy de déchoir de leur nationalité les auteurs de crimes contre des policiers et gendarmes. La déchéance de nationalité est une arme à utiliser avec précaution. Si elle est employée contre ceux qui rompent avec la Nation, elle ne peut plus sanctionner d'autres crimes, aussi atroces soient-ils. Lorsqu'elle s'applique contre les terroristes, la mesure n'est ni de gauche, ni de droite. La gauche se confond aussi avec l'histoire de la République !

La déchéance de nationalité n'est pas une « mort écrite » : c'est une mise à l'écart de la République, à titre de peine complémentaire, qui peut être levée au bout de dix ans. Malgré tout le respect que j'ai pour M. Badinter, elle n'a rien à voir avec la peine de mort. L'avis du Conseil d'État du 11 décembre 2015 est clair : pour pouvoir prononcer la déchéance de nationalité contre des personnes nées françaises, il faut l'inscrire dans la Constitution.

La notion de « péril imminent » vous paraît floue. Les juristes du Conseil d'État ont rappelé qu'il était préférable de conserver des notions stabilisées, dotées d'une valeur sémantique et juridique forte. Je fais confiance au Conseil constitutionnel pour enrichir et préciser sa jurisprudence.

Monsieur Leconte, la déchéance de nationalité a un objectif de principe, celui du droit de la Nation à sanctionner celui qui se retourne contre elle. Elle n'est pas pour autant dépourvue d'efficacité en matière de lutte contre le terrorisme international. La coopération internationale, les lois que nous votons, les moyens donnés aux armées, à la justice, à nos services de renseignement, à la pénitentiaire restent essentiels. Il n'en reste pas moins que la Nation a symboliquement le droit de se défendre. Une nationalité est un droit inconditionnel à voyager, à entrer ou à sortir de France. La privation de nationalité ne fait pas obstacle à l'intégralité du parcours pénal et pénitentiaire. Nous combinons le régime de la déchéance avec les exigences de la Cour européenne des droits de l'homme.

Nous assumons parfaitement nos criminels. La coopération judiciaire et policière internationale nous aide à les combattre. La déchéance de nationalité est une sanction qui intervient au terme d'un processus de coopération qu'elle ne compromet pas.

Quant à la notion de peine complémentaire, il faudra en débattre. L'article 2 ne la mentionne pas, mais elle apparaît dans l'avant-projet de loi. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que l'on précise les choses, dans le cadre d'un débat transparent.

Le Conseil d'État nous a proposé de retirer les délits, qui figuraient dans le texte initial, inspiré du code civil, créant ainsi des régimes différents entre crimes et délits. À l'Assemblée nationale, le Gouvernement a accepté un amendement qui les réintroduit pour satisfaire une demande de l'opposition. Je comprends vos interrogations, et nous pourrons avancer ensemble sur cette question. Depuis 2012, la déchéance de nationalité a été prononcée sur la base de délits terroristes.

MM. Mercier et Richard ont mentionné la convention du 30 août 1961, dont l'article 8 ter autorise un État à se réserver le droit de créer des apatrides, notamment en cas d'atteinte à ses intérêts essentiels ou d'allégeance à un autre État. L'apatridie a été au coeur du débat ; nous avons évolué collectivement pour sortir d'une contradiction : soit nous visions expressément les binationaux, soit nous interdisions toute possibilité d'apatridie, avec le même résultat implicite. Si l'on souhaite que la déchéance de nationalité puisse s'appliquer à tout terroriste, qu'il soit plurinational ou non, cela implique que nous acceptions de créer des apatrides, dans la limite des traités internationaux. Toute la question consiste à savoir si l'État réitérera ou pas les réserves permises par l'article 8 ter, en ratifiant la convention de 1961. C'est la question que vous m'avez posée, Monsieur Bas, dans le courrier que vous m'avez adressé - et à laquelle je n'ai toujours pas répondu.

M. Philippe Bas, président. - En effet...

M. Manuel Valls, Premier ministre. - Première solution : nous indiquons que la France ne réitérera pas la déclaration de 1962 en ratifiant la convention de 1961, ce qui serait contradictoire avec le compromis voté à l'Assemblée nationale. On consacrerait ainsi le refus de l'apatridie au prix de l'égalité devant la sanction. Deuxième solution : nous indiquons que la France réitérera la déclaration de 1962, en ratifiant la convention de 1961. Nous assumerons alors de créer des apatrides dans certains cas très limitativement énumérés et avec les garanties apportées par le transfert de compétence à l'autorité judiciaire comme prévu par l'avant-projet de loi ordinaire. C'est notre ligne actuelle. Vous pourriez objecter que la Cour de justice de l'Union européenne accepte que le retrait de nationalité ait pour conséquence l'apatridie, dès lors que les juges ont respecté l'exigence de proportionnalité : c'est l'arrêt Rottmann. Parmi les 65 États qui ont ratifié la convention de 1961, beaucoup l'ont accompagnée de déclarations. La Belgique, en juillet 2014, s'est réservé la possibilité de créer des apatrides quand la personne a été condamnée pour certains crimes et délits allant de l'attentat contre la famille royale jusqu'aux actes terroristes en passant par la violation du droit humanitaire, les vols en matière nucléaire, la traite des êtres humains, etc. C'est aller beaucoup plus loin que nous ! En exigeant une condamnation pénale préalable, la France ajoute une garantie au texte de 1961, qui se contente de mentionner un « comportement ».

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. - J'insiste sur ce point. Le compromis adopté à l'Assemblée nationale est beaucoup plus restrictif que le texte préalable : alors qu'un comportement suffisait à justifier l'apatridie dans le texte de 1961, il faudrait désormais une condamnation.

M. Manuel Valls, Premier ministre. - Troisième solution : nous indiquons que la France, en ratifiant la convention de 1961, réitère cette déclaration, et nous proposons de constitutionnaliser l'intervention judiciaire pour prononcer la déchéance de nationalité. Voilà où nous en sommes dans notre réflexion. Je comprends vos interrogations sur l'article 2.

MM. Mercier et Richard ont rappelé l'essentiel sur l'article 1er. En constitutionnalisant l'état d'urgence, nous apportons une garantie supplémentaire. Je ne comprends pas que l'on puisse rejeter cette idée au nom des libertés publiques. Le Gouvernement vient devant vous avec la volonté de trouver le bon chemin.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, nous vous remercions.

La réunion est levée à 11 h 10

Mercredi 9 mars 2016

- Présidence de M. Philippe Bas -

Nomination de rapporteurs

Mme Catherine Troendlé est nommée rapporteur sur la proposition de loi n° 373 (2015-2016), adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant le dialogue avec les supporteurs et la lutte contre le hooliganisme.

M. Patrick Masclet est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 415 rectifié (2015-2016), présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues modifiant la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République pour permettre de rallonger d'un an le délai d'entrée en vigueur des nouvelles intercommunalités.

M. Philippe Bas, président. - J'ai moi-même déposé une proposition de loi sur ce point, qui n'est pas encore inscrite à l'ordre du jour : un signe de convergence entre M. Mézard et moi-même !

M. Jean-Pierre Sueur. - Nous avons un problème d'hémisphère dans la désignation des rapporteurs.

M. Philippe Bas, président. - Je n'ai pas le sentiment de favoriser un quelconque hégémonisme, d'autant qu'il y a eu dernièrement une très large distribution des rapports.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je prends date pour l'avenir.

- Présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente -

Protection de la Nation - Examen du rapport

La commission examine le rapport de M. Philippe Bas sur le projet de loi constitutionnelle n° 395 (2015-2016), adopté par l'Assemblée nationale, de protection de la Nation.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Quelques rappels sur ce texte que nous connaissons tous.

Devant la gravité de la situation à laquelle nous sommes confrontés depuis les attentats de janvier puis de novembre 2015, l'état d'urgence a été déclaré et le Président de la République a réuni la représentation nationale à Versailles. Dans son discours, il a annoncé une révision constitutionnelle pour permettre « aux pouvoirs publics d'agir contre le terrorisme de guerre, en conformité avec les principes de l'État de droit ». Jugeant l'article 16 et l'état de siège inadaptés à la situation, il a considéré que « cette guerre d'un autre type, face à un adversaire nouveau, appelle un régime constitutionnel permettant de gérer l'état de crise ». Il fallait « disposer d'un outil approprié afin que des mesures exceptionnelles puissent être prises pour une certaine durée, sans recourir à l'état d'urgence ni compromettre l'exercice des libertés publiques ».

Dans le même discours, le Président a annoncé - sans envisager, alors, de l'inclure dans une révision constitutionnelle - sa décision de proposer au Parlement l'extension de la peine de déchéance de nationalité pour actes de terrorisme aux Français de naissance possédant une autre nationalité. Il a décidé, postérieurement, que la révision porterait également sur cette question.

C'est sur cette base que le Conseil d'État a été saisi par le Premier ministre. Ses travaux ont conduit à ne pas retenir la proposition présidentielle de mettre en place un « outil approprié » permettant de prendre des mesures exceptionnelles sans recourir à l'état d'urgence. Dès lors, ne restait plus que la constitutionnalisation de l'état d'urgence, mis en place par la loi de 1955.

En revanche, le Conseil d'État a statué favorablement sur la question de la déchéance de nationalité. Le projet de révision constitutionnelle présenté au conseil des ministres est par conséquent double : constitutionnalisation de l'état d'urgence d'une part, possibilité de prononcer la déchéance de nationalité pour les Français de naissance détenteurs d'une autre nationalité d'autre part. L'inscription de ces deux dispositions dans le texte fondamental qui unit tous les Français est une initiative prise par le Président au nom de la lutte contre le terrorisme. Le texte a ensuite évolué devant l'Assemblée nationale, j'y reviendrai.

Première question : cette révision constitutionnelle est-elle nécessaire ? Si nous étions des universitaires appelés à donner un point de vue juridique, nous aurions les plus grands doutes. Mais il ne s'agit pas ici que de droit. Une révision constitutionnelle peut n'être pas nécessaire, mais utile. Il convient par conséquent d'élargir notre point de vue.

Je dois cependant développer les points de droit soulevés par ce texte.

D'abord, l'état d'urgence. Lors du débat sur la première loi de prorogation de l'état d'urgence, j'avais demandé au Premier ministre de saisir le Conseil constitutionnel afin de s'assurer que le système mis en place par la loi de 1955, et modifié depuis, était conforme à la Constitution. On aurait ainsi vidé d'emblée le débat sur cette question. Le Premier ministre a refusé. Néanmoins, le Conseil constitutionnel a depuis été saisi à trois reprises par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité. Il avait, auparavant, déjà estimé que la Constitution de 1958 n'avait pas pour effet implicite d'abroger l'état d'urgence ; cette fois, il a jugé conformes à la Constitution les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence depuis novembre, qu'il s'agisse des assignations à résidence, des limitations apportées à la liberté de réunion et de manifester ou des perquisitions ; seule la possibilité de saisir des données informatiques a été censurée car jugée trop intrusive.

Par conséquent, l'état d'urgence ne présente clairement aucun risque d'inconstitutionnalité. Et pourtant, le comité Vedel en 1993 puis le comité Balladur en 2007 ont proposé son inscription dans la Constitution. Il est vrai qu'y figure l'état de siège : soit l'état de siège est de trop, soit l'absence de l'état d'urgence est problématique. C'est avant tout une difficulté de nature intellectuelle.

Notre Constitution comprend des dispositions dont la présence s'impose pour des raisons non pas juridiques mais politiques. Dans les circonstances actuelles, on peut considérer qu'il y a un intérêt à constitutionnaliser l'état d'urgence - non pas pour donner des armes au Gouvernement dans la lutte contre le terrorisme, paradoxalement, mais au contraire pour mieux encadrer l'état d'urgence et empêcher que l'on déroge à un certain nombre de garanties fondamentales. C'est la seule raison qui me pousse à vous proposer d'admettre son inscription dans la Constitution - outre l'exigence politique de marquer le rassemblement des Français et l'unité de la représentation nationale par un acte symbolique fort.

Estimant que le texte de l'Assemblée nationale n'apportait pas assez de garanties, j'ai déposé plusieurs amendements pour en apporter de nouvelles.

La question de la déchéance de nationalité est plus délicate. Comme pour l'état d'urgence, on peut la trancher en invoquant l'absence de nécessité juridique. Le Conseil d'État s'est borné à soulever un risque d'inconstitutionnalité ; seul le Conseil constitutionnel en est juge. À la vérité, je crois ce risque faible. L'audition des professeurs de droit constitutionnel comme celle de Patrick Weil nous ont confirmé que la déchéance de nationalité des Français de naissance possédant une autre nationalité ne dérogeait pas aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République : en témoignent une loi de 1848, souvent modifiée, et plusieurs textes du début du XXème siècle permettant le retrait de la nationalité comme sanction d'un comportement, qui n'ont jamais été contestés - et sont, au demeurant, peu appliqués.

Je n'ignore pas la discussion juridique sur la conformité de cette mesure à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel « toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». La nationalité, qui fait partie de l'identité du citoyen, ferait partie de ces droits essentiels. Je ne crois pas à cette appréciation, dès lors que la jurisprudence reconnaît certains comportements - trahison, fait de rejoindre une armée étrangère en temps de guerre - comme incompatibles avec le maintien de la nationalité. L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme limite la déchéance de nationalité, mais ne l'interdit pas.

Par conséquent, l'inscription de cette mesure dans la Constitution ne répond pas à un besoin. Le 16 novembre, le Président lui-même ne l'envisageait pas, alors qu'il lui aurait été aisé de l'associer dès le départ à l'état d'urgence dans le projet de révision.

Je suis donc plus embarrassé pour la déchéance de nationalité que pour l'état d'urgence : admettre son inscription dans la Constitution me demande un effort.

M. Pierre-Yves Collombat. - Ne vous faites pas du mal !

M. Philippe Bas, rapporteur. - Il est de la responsabilité politique du Sénat de ne pas être un frein à l'adoption d'une révision constitutionnelle présentée au pays comme un moyen de nous rassembler dans la lutte contre le terrorisme. Mais l'une des raisons de ma réticence est que, si la constitutionnalisation de l'état d'urgence augmentera les garanties relatives aux libertés publiques, une mesure analogue pour la déchéance de nationalité apporterait, de l'aveu même du Conseil d'État et du Gouvernement, des restrictions à des principes fondamentaux de la République. Je n'en ai pas l'habitude, et les révisions constitutionnelles du passé n'offrent pas l'exemple de telles restrictions.

Je ne peux pas vous dire à la fois que l'inscription dans la Constitution de la déchéance de nationalité ne s'imposait pas pour des raisons juridiques - puisqu'elle ne contredit ni les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ni l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - et que son inscription dans la Constitution va limiter ces principes. Si la déchéance de nationalité est possible par une loi simple, cela signifie que l'inscrire dans la Constitution ne porte pas atteinte à des principes fondamentaux. Le raisonnement est subtil, mais je fais un gros effort ! Il n'est acceptable qu'à la condition de circonscrire au maximum l'extension de la déchéance de nationalité.

J'avais pensé, dans un premier élan, reprendre la rédaction présentée en conseil des ministres, inspirée de la pensée du Président de la République. Le Conseil constitutionnel ayant validé, dans certaines limites, la déchéance de nationalité des binationaux français par acquisition, la révision constitutionnelle ne devrait en toute logique traiter que des binationaux français de naissance. Mais entrer dans un tel niveau de détail, c'est abaisser la Constitution.

Nourri par mes discussions avec l'ancien garde des sceaux, notre collègue Michel Mercier, j'ai préféré une rédaction plus générale, avec néanmoins une borne : l'apatridie. Il n'est pas digne d'un pays comme la France de créer des apatrides. Le Gouvernement nous a annoncé qu'il réglerait le problème en nous demandant d'autoriser la ratification de la convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie. Démarche pour le moins étrange, qui consiste à introduire des garanties postérieurement, à travers un texte subordonné, alors qu'il convient de le faire dans la Constitution même. Quelle surprise de constater que le Gouvernement n'est pas du tout décidé à empêcher la création d'apatrides ! Le Premier ministre a dit hier n'avoir pas décidé s'il maintiendrait ou non les réserves apportées par la France à la convention de 1961... C'est pourquoi je proposerai un amendement faisant de l'apatridie un obstacle à la déchéance de nationalité. Le cas peut concerner des Français par acquisition ayant perdu leur nationalité d'origine, par exemple, ou d'anciens apatrides devenus Français. La règle doit être la même pour tous. La France s'honore d'être une terre d'asile et de refuge. Créer des apatrides serait faire offense à des décennies de tradition républicaine.

Je souhaite que le Sénat soit au rendez-vous de cette révision constitutionnelle et se montre coopératif, mais aussi qu'il inscrive la rédaction qu'il soutiendra dans sa tradition, qui est celle d'une assemblée parlementaire gardienne des libertés.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Ce projet de loi constitutionnelle a déjà fait couler beaucoup d'encre. Notre président-rapporteur vient de rappeler la responsabilité de notre assemblée, celle de prendre une position claire sur le texte. Le débat est ouvert.

M. François Pillet. - Ce remarquable rapport nous a fourni les données juridiques et intellectuelles nécessaires à un débat éclairé. Toutes les opinions seront humainement légitimes. La mienne est très réservée quant à l'utilité de cette réforme constitutionnelle.

D'abord, elle nous oblige à nous prononcer sur un texte qui traite de deux questions entièrement différentes. Or, si je veux bien faire preuve de souplesse sur l'état d'urgence, c'est beaucoup moins le cas pour la déchéance de nationalité. Je ne me prononcerai que sur le texte définitif soumis au vote du Parlement. Il serait dommage que les opposants au texte - dont je pourrais être - viennent désavouer l'unité nationale manifestée après le discours du Président de la République.

M. Jacques Mézard. - C'est extraordinaire !

M. François Pillet. - On pourrait, par facétie, relever que les difficultés viennent surtout de la majorité présidentielle... Attendons le texte final pour nous opposer, ou non. La discussion doit continuer, d'autant que je ne désespère pas que nous aboutissions à une rédaction acceptable sur l'état d'urgence.

Ma position n'est pas un blanc-seing. Dans l'esprit du rapporteur, en constitutionnalisant l'état d'urgence, on l'encadre. Cette technique me convient et ses amendements s'inscrivent dans l'histoire de notre assemblée. Je lui sais également gré de proposer sur la déchéance de nationalité une rédaction qui me heurte moins, en apportant des précisions sur des points à propos desquels nous n'avons, à l'heure actuelle, aucune certitude.

L'objet de l'amendement du rapporteur, à l'article 2, m'incite lui aussi à poursuivre ma réflexion. L'apatridie est contraire à tout ce que la France incarne : je ne transige pas sur ce point. De même, il faut supprimer la mention des délits comme motivation possible de la déchéance de nationalité : sinon, on permettrait qu'une loi ordinaire étende la déchéance à des infractions passibles de dix ans de prison au plus ! Enfin, autant le prononcé de la peine est de la compétence du juge judiciaire, autant ses conséquences en matière de nationalité relèvent des prérogatives de la puissance publique : il appartient à l'État et non au juge de prononcer la déchéance de nationalité. L'amendement conforte par conséquent ma position, et je voterai pour les amendements proposés par le rapporteur de sorte que le texte poursuive son parcours.

M. Pierre-Yves Collombat. - J'ai noté la souffrance de notre rapporteur. Le mieux, pour la faire cesser, est de vous détourner de ce projet de loi !

Sur l'état d'urgence, la rédaction proposée par le rapporteur est incontestablement meilleure que celle du projet gouvernemental, mais le problème subsiste : pourquoi constitutionnaliser un outil qui existe et qui fonctionne bien ? Le ministre de l'intérieur nous a lui-même détaillé tout ce qui avait été fait sous ce régime.

Cela permettrait d'améliorer la précision juridique et le contrôle constitutionnel ? Curieux argument ! Le Gouvernement, s'appuyant sur l'avis du Conseil d'État, invoque le risque d'inconstitutionnalité pour justifier la révision, mais on pourrait tout aussi bien faire valoir qu'en l'état, le Conseil constitutionnel fait son travail : les garanties sont là ! L'argument peut donc être retourné.

On ne constitutionnalise pas l'exception ; l'état d'urgence n'a rien à voir avec l'article 16 ou l'état de siège. Au cours des événements d'Algérie, il y avait des sacs de sable devant les bâtiments officiels : nous en sommes très loin !

Quant à la déchéance de nationalité, la Constitution n'est pas le code pénal. La rédaction du rapporteur n'est pas meilleure, même si elle est plus claire : le texte revient toujours à établir différentes catégories de Français. Certains sont dispensés de déchéance parce que plus exposés au risque d'apatridie... Cela ne tient pas debout. La déchéance de nationalité peut être prononcée au titre du code civil : inutile de la constitutionnaliser.

« Terroriser les terroristes » ? Cette mesure de déchéance n'est pas un message adressé aux terroristes, qui ne se reconnaissent pas dans la nationalité française, mais à l'opinion. On dit que c'est un symbole, mais lequel ? J'ai vu un peuple français rassemblé autour de la République : voilà le symbole, pas besoin de gesticulations. Cette mesure ne concernerait que quelques individus ? Le message envoyé est que certains Français le sont moins que d'autres.

Je ne voterai pas ce texte inutile, dont les effets sont beaucoup plus négatifs qu'on ne le croit, notamment vis-à-vis de l'étranger. Nous ouvrons une boîte de Pandore !

M. François Zocchetto. - Le rapporteur nous a livré un exposé complet et éclairant sur un sujet qui nous plonge dans la perplexité. Convaincu initialement que cette révision n'était ni nécessaire, ni utile, j'adhère aujourd'hui aux propos du rapporteur. Le Sénat n'a aucun avantage à abandonner son rôle de constituant en laissant l'état d'urgence dans le champ de la loi ordinaire. Jusqu'ici, le législateur s'est montré bien inspiré, mais les circonstances politiques nous obligent à réfléchir. Je suis désormais acquis à l'idée qu'il vaut mieux une constitutionnalisation de l'état d'urgence inspirée par le Sénat que l'aléa d'une loi ordinaire.

Concernant l'article 2, je pense d'abord qu'il faut faire cesser la discrimination intolérable entre Français de naissance et Français par acquisition. L'amendement proposé y pourvoit. Ensuite, le législateur français ne peut créer d'apatrides. Enfin, je partage l'idée que la nationalité ne relève pas du juge mais du pouvoir exécutif.

Mme Éliane Assassi. - Je remercie le rapporteur de son exposé. Je ne redirai pas ce que j'ai dit hier devant le Premier ministre et le garde des sceaux. Il n'est pas question pour nous de voter ce texte. J'entends que les articles 1er et 2 sont sans lien l'un avec l'autre, mais pour moi le lien existe : il est politique et illustre bien certains choix. Certaines des réserves exprimées par le rapporteur se retrouvent dans les amendements, d'autres non, nous y reviendrons.

Nous voterons contre ce texte inutile et dangereux ; mais en tant que parlementaires de la République - certes communistes...

M. Pierre-Yves Collombat. - Vous connaissez la déchéance de la nationalité !

Mme Éliane Assassi. - En effet, nous y avons eu droit !

En tant que parlementaires, donc, nous avons décidé de participer pleinement au débat et nous ne nous contenterons pas de proposer des amendements de suppression.

Mme Esther Benbassa. - Je constate avec plaisir que l'intellectualisation des impasses permet de s'en sortir la tête haute. Les politiciens ont en général peu d'égards envers l'intellectualité : raison de plus pour féliciter le rapporteur !

Un rappel historique s'impose. Le 30 mars 1955, au cours des discussions sur le projet de loi instaurant l'état d'urgence, destiné à s'appliquer en Algérie, un député socialiste de l'Aude clame son opposition à ce texte qu'il juge liberticide : « L'état d'urgence est un état de siège fictif aggravé. C'est une mesure politique qui étend à des territoires entiers les conséquences de l'état de siège véritable. » En 1878, le garde des sceaux déclarait : « L'état de siège est une mesure nécessaire mais dangereuse. C'est une dictature. »

Non seulement nous conservons l'article 16 et l'article 36 sur l'état de siège, mais nous y ajoutons l'état d'urgence, faisant de la Constitution un texte de plus en plus liberticide. Ce n'est pourtant pas son but.

Concernant la déchéance, je comprends les motivations qui poussent le Gouvernement à ces acrobaties rhétoriques, laissant la porte ouverte à l'apatridie. C'est la mesure contre les binationaux qui me choque le plus : c'est une véritable atteinte aux droits de l'homme et à l'égalité des citoyens. Qu'on soit né Français ou Français par acquisition, ce texte est insultant pour ceux, dont je suis, qui ont plusieurs nationalités. La nationalité est une marque de l'histoire de la personne, de son parcours. Comment imaginer m'enlever ma nationalité française, que j'ai acquise parce que je l'ai aimée ?

Il s'agit de rassurer la population, qui ne comprend rien à nos tergiversations, d'autant plus que les terroristes se moquent bien de leur nationalité. Il serait plus utile et plus symbolique de partager les valeurs de la République entre tous les citoyens.

Je ne suis pas toujours d'accord avec vous, monsieur le président-rapporteur
- même jamais ! -, néanmoins je partage votre amour de la liberté et votre libéralisme, au sens des droits de l'homme. Je rejoins vos réflexions sur ce texte, en particulier sur la déchéance de nationalité. Le groupe écologiste votera contre.

M. Jacques Mézard. - Je remercie le président-rapporteur pour la qualité de son rapport, dans lequel j'ai trouvé tous les éléments confortant ma décision de voter contre.

M. André Reichardt. - Ce n'était pas le but !

M. Jacques Mézard. - Après l'horreur des attentats, contraires à toute humanité, commis par des Français, le peuple de France n'a pas eu besoin de texte constitutionnel pour s'unir dans un même élan, pour dire sa solidarité avec les victimes et son opprobre envers les auteurs des attentats, leurs complices et ceux qui les ont manipulés.

Fallait-il cristalliser cette union dans un texte constitutionnel ? Ce texte était-il nécessaire pour mieux lutter contre le terrorisme ? La réponse, sans équivoque, est non. Correspond-il à une demande de nos concitoyens ? Pas davantage.

Ce texte peut répondre à deux objectifs : rassurer et rassembler les Français ou
- mais je n'ose l'imaginer - faire passer une opération de politique intérieure, avec à la manoeuvre les deux présidents qui se sont succédés depuis 2007, un bal des hypocrites, majorité et opposition cherchant mutuellement à se piéger...

La très grande majorité du groupe RDSE ne voit pas dans ce texte un moyen de rassembler, mais plutôt un instrument pour diviser. Un texte de rassemblement nécessitait rapidité et concertation préalable avec les groupes politiques, et non un consensus ambigu entre MM. Hollande et Sarkozy. Triturer la Constitution pour la modifier en suivant des arguments contestés n'est pas plus rassembleur. Il faudrait arrêter de faire du droit ? Au contraire, quand on abandonne certains de nos principes les plus fondamentaux, je dis : faisons du droit ! En touchant à ce qu'a fait la Nation, ce texte, qui n'est pas de déchéance mais de dégradation, serait une victoire des terroristes.

Sur la constitutionnalisation de l'état d'urgence, je partage l'analyse du professeur Beaud. Que des personnalités comme les présidents Badinter et Mazeaud se soient exprimés contre ce texte devrait nous faire réfléchir ! Le rapporteur nous a donné un argument intéressant en rappelant les trois réponses du Conseil constitutionnel sur l'état d'urgence, faisant ainsi la démonstration de l'inutilité juridique de cette constitutionnalisation.

Sur la déchéance de nationalité, j'ai noté les efforts intellectuels qu'il vous a fallu déployer pour parvenir à votre conclusion...

Nous ne voterons pas davantage les amendements du rapporteur que le texte du Gouvernement ou de l'Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Sueur. - Il y a une rationalité à inscrire l'état d'urgence dans la Constitution. J'apprécie à cet égard le travail du président-rapporteur.

La déchéance de nationalité ne concerne que des criminels qui se sont exclus du consensus citoyen, en tournant leurs armes contre leurs concitoyens. Le problème vient de l'effet collatéral de la distinction entre les binationaux et les mononationaux. Des efforts ont été faits, mais ce que nous propose l'amendement du rapporteur - dont la rédaction témoigne d'une grande habileté - a pour effet concret de n'appliquer la mesure qu'aux binationaux, l'apatridie étant formellement exclue.

M. Christophe Béchu. - Je me joins aux félicitations adressées au rapporteur. Même si le projet de loi a été replacé dans le contexte des attentats, il faut l'examiner en droit, sans penser à la guerre d'Algérie, sans se tourner vers le passé, mais vers ce qui est susceptible de se passer à l'avenir. A-t-on besoin de constitutionnaliser l'état d'urgence ? Je pense que oui, en suivant la proposition de Philippe Bas : le limiter à trois mois, accorder une place à l'autorité judiciaire et fournir des garanties absentes de la rédaction de l'Assemblée nationale.

Il est surréaliste de consacrer autant de temps au débat autour de la déchéance de nationalité, qui découle d'une manoeuvre politicienne. Le Président de la République a obtenu un effet d'annonce à Versailles en provoquant la sidération des parlementaires, qui n'y avaient pas été préparés. Dans l'émotion, ne pas applaudir le Président de la République, non pour ses propos mais pour sa fonction et pour le symbole de l'unité, aurait été impossible. Or les applaudissements ont été perçus comme un blanc-seing : parce que nous avons applaudi, nous serions tenus de voter le projet de révision ! Si le processus va jusqu'au Congrès, à titre personnel, je ne voterai pas la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité.

Je suis extrêmement choqué par la rédaction issue de l'Assemblée nationale et d'abord par la référence aux délits. Soit cette mesure, censée participer de la lutte contre le terrorisme, ne concerne que des actes de la plus grande gravité, soit c'est un cheval de Troie juridique ! Je soutiendrai l'amendement supprimant la référence aux délits.

Le débat sur l'égalité n'est que faux-semblants. Quelle que soit la rédaction, il y aura une inégalité à la fin. Si on mentionne seulement les binationaux dans le texte, ils seront les seuls concernés par la déchéance ; si on prévoit la déchéance pour tous, l'apatridie concernera les seuls mononationaux ! Nous avons le choix entre deux rédactions distinctes, mais qui aboutissent toutes les deux à une situation d'inégalité. Les binationaux et les mononationaux ne sont pas dans la même situation de départ et, quelle que soit la rédaction, ils ne seront pas dans la même situation à l'arrivée. Les deux me rendent mal à l'aise.

Rien ne serait pire que d'avoir à nous prononcer in fine sur le texte de l'Assemblée nationale. Dans l'intervalle, je préfère celui qui résulterait des amendements proposés par Philippe Bas, mais je ne transigerai pas sur l'article 2.

M. René Vandierendonck. - Après avoir entendu les deux brillants constitutionnalistes que nous recevions la semaine dernière, je trouve très intéressantes les garanties apportées par le rapporteur pour encadrer l'état d'urgence. Si nous laissons l'état d'urgence dans le champ de la loi ordinaire, n'importe quelle législation pourra revenir sur son contenu. Dès lors que les libertés publiques sont renforcées, il est important de l'inscrire dans la Constitution. Les précisions qu'apporte le rapporteur vont toutes dans le bon sens. Je voterai son texte sans état d'âme.

En revanche, la déchéance de nationalité me pose problème, non comme sanction - qui doit à mon sens être prononcée par le juge, et non relever de l'apanage régalien -, mais parce que j'aurais préféré que l'on renforce d'abord la loi pénale sur ce point, en attendant que le Conseil constitutionnel se prononce le cas échéant, plutôt que de réviser la Constitution.

À Roubaix, j'ai passé beaucoup de temps avec des harkis ou des personnes qui avaient du mal à accéder à la nationalité française. La signification de ce texte dépasse largement son sujet. Sa valeur symbolique fragilise cinq millions de binationaux ! Rappelez-vous, dans L'Étranger de Camus, la distinction entre les Français et les Arabes. Le Premier ministre soutient ces jours-ci Kamel Daoud, menacé en Algérie. Celui-ci a su répondre à Camus. Quand on touche à la nationalité, qui fait l'identité de la personne, il faut rester dans le domaine de la loi et faire confiance au juge. Comment expliquer que l'on retire l'état d'urgence de sa gangue algérienne à l'article 1er, pour y revenir à nouveau à l'article 2 ?

Mme Catherine Tasca. - Je remercie le rapporteur pour son travail d'une grande rigueur et d'une grande subtilité. L'article 1er amendé dans le sens qu'il propose me convient, car la constitutionnalisation de l'état d'urgence renforce la protection des libertés.

Sur le reste du texte, je reste dans l'embarras. Je rejoins François Pillet : les deux articles sont contradictoires puisqu'ils visent deux objectifs inconciliables. L'article 1er veut garantir les libertés dans la mise en oeuvre de l'état d'urgence tandis que l'article 2 y porte atteinte. La réunion de ces deux objectifs dans un même texte met en péril son adoption.

La responsabilité du Sénat est lourde. À nous de peser dans le dialogue entre les deux assemblées. Il n'est pas possible de compter sur une conclusion rapide donnant la main à l'Assemblée nationale. Je garde confiance en la capacité d'écoute des acteurs.

Certains évoquent les attentes de nos concitoyens. Attention : ils ne comprennent guère nos débats juridiques et sont très divisés sur le plan politique. Ne prétendons pas satisfaire à leur demande : ils n'ont pas attendu la révision constitutionnelle pour exprimer l'unité nationale. Cet argument ne me convainc pas ; il me gêne profondément.

M. Alain Anziani. - Nous sommes tous pour l'unité nationale, tous contre le terrorisme. Y parvient-on en modifiant la Constitution ? Elle fixe des normes, rappelle des valeurs, définit des règles institutionnelles. Je ne suis pas choqué qu'on constitutionnaliste l'état d'urgence, qui est la mesure d'exception la plus fréquemment utilisée.

La déchéance de nationalité est une sanction. Or la Constitution n'a pas vocation à énoncer des peines. L'interdiction de la peine de mort est plutôt l'affirmation d'une valeur... C'est à la loi ordinaire de fixer les peines. L'article 25 du code civil règle la question de la déchéance de nationalité, appliquée depuis plusieurs années. Il concerne les crimes et les délits. L'article 23-7 vise les Français de naissance ; sans doute faut-il le réécrire. En droit, la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité est inutile. Effraie-t-elle les terroristes ? Personne ne le pense. Est-elle un symbole ? C'est plutôt générateur de divisions. Elle soulève la question de l'apatridie. Bref, je n'y vois que des inconvénients.

M. Jean-Yves Leconte. - Merci au rapporteur. La Constitution est ce qui nous unit, ce que nous sommes. Quelle que soit l'émotion suscitée par les attentats, notre devoir est de rester rationnels. Je me suis déjà exprimé sur l'article 2, et partage ce qui a été dit.

Constitutionnaliser l'état d'urgence, c'est avoir la capacité de l'encadrer, ce qui est important. On inscrirait dans la Constitution un état d'exception plus proportionné et plus flexible que ceux qui y existent actuellement. L'exécutif pourra répondre à la menace de manière proportionnée et évolutive, sans courir de risque juridique. Le 20 novembre, le Premier ministre a estimé qu'il fallait surtout éviter de passer devant le Conseil constitutionnel. Le pouvoir constituant n'a pas à laisser le juge définir les limites constitutionnelles de telle ou telle mesure. À nous d'encadrer l'état d'urgence.

L'impossibilité de dissoudre l'Assemblée nationale pendant l'état d'urgence a fait l'objet d'allers et retours. La question de la conjugaison entre droit de dissolution et effectivité du contrôle parlementaire de l'état d'urgence se pose.

Actuellement, aucune loi organique n'encadre la police administrative. Ce serait important. L'alinéa 3 de l'article 1er dispose que « la loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements ». Une loi organique suffit-elle pour caractériser les finalités de l'état d'urgence et le périmètre des actions de la police administrative ?

La responsabilité du Sénat serait de constater la relative unanimité autour de l'article 1er et de proposer une réforme constitutionnelle ne portant que sur cet article.

M. Michel Mercier. - Je remercie Philippe Bas de placer le débat au niveau où il doit l'être. Nous sommes légistes mais aussi constituants, parce que le Président de la République l'a voulu en choisissant la voie du Congrès plutôt que celle du référendum. En tant que constituants, nous ne pouvons pas raisonner comme des légistes. Il est vrai que tout est dans la loi - mais nous ne parlons pas de cela !

La déchéance de nationalité est inscrite dans notre droit depuis 1803, quand Tronchet l'a emporté contre Bonaparte. Le constituant ne ferait pas du droit ? Il fait du droit... constitutionnel. C'est ce qui reste dans l'histoire : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, pas la loi créant le tribunal révolutionnaire.

Si la réforme constitutionnelle aboutit, les articles 23 et 25 du code civil devront être revus. Le rapporteur a souligné que nous fixions un cadre constitutionnel affirmant les libertés publiques et leur exercice. À l'article 1er, nous précisons les relations entre le Parlement et le Gouvernement dans la mise en oeuvre de l'état d'urgence, que la loi de novembre 2015 a traitées au mauvais échelon : ce doit être dans la Constitution.

La déchéance de nationalité relève d'une loi ordinaire depuis 1803, sans que personne ne s'en soit offusqué. L'exercice de ce pouvoir sera encadré : la déchéance sera impossible sans condamnation définitive. Cela n'a pas toujours été le cas, à certaines périodes de l'histoire... Le rapporteur propose d'empêcher la création d'apatrides. Qui voudrait en créer ?

Faire du droit, c'est aussi classer. Les lois ordinaires peuvent être modifiées à l'intérieur du cadre constitutionnel. Disposer d'une part du pouvoir constituant est un privilège rare ! Au Moyen Âge, le Parlement de Toulouse s'est déclaré pars corporis regis, membre du corps du roi, déterminant les règles fondamentales du royaume. Le Parlement de Paris l'a fait juste après. Nous faisons pareil ! Si la réforme aboutit, nous aurons encadré le pouvoir législatif.

M. Alain Vasselle. - N'étant pas juriste de formation, contrairement à d'autres membres de cette commission, je réagis avec mon bon sens.

Cette réforme constitutionnelle était-elle nécessaire ? Je remercie Michel Mercier de sa réponse claire et pédagogique. J'adhère totalement aux amendements pertinents du président-rapporteur sur la constitutionnalisation de l'état d'urgence.

Je suis plus interrogatif sur l'article 2. La loi constitutionnelle précisera que la déchéance de nationalité ne s'appliquera qu'après une condamnation définitive, ce que la loi civile ne prévoit pas expressément. Une modification de la Constitution est-elle nécessaire pour apporter cette précision ? Le Président de la République ne cherche-t-il pas à mener une pure opération de communication ?

Nos concitoyens veulent être protégés. La loi constitutionnelle le garantit-elle ?

Le président-rapporteur a-t-il connaissance de mesures d'accompagnement pour l'application effective de ces dispositions ? Quelle sera l'effectivité du contrôle judiciaire d'un condamné pour délit ou crime terroriste, son expulsion du territoire n'étant pas toujours possible ? Si je vote cette réforme constitutionnelle, ai-je l'assurance que la protection qu'attendent nos concitoyens sera effective ?

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Dans sa démonstration, le président-rapporteur a apporté de nombreuses réponses à vos questionnements.

M. André Reichardt. - Comme M. Béchu, j'ai d'abord vu dans ce projet de loi constitutionnelle une manoeuvre de politique politicienne, un écran de fumée. Je n'envisageais en aucun cas de le voter - mais il y une ardente nécessité pour le Sénat de se positionner clairement, de faire son travail. Je remercie le président-rapporteur de nous proposer d'enrichir un texte qui, dans l'état actuel, ne correspond pas aux « standards » du Sénat. J'approuve sans réserve ses amendements. À ce stade, tous les membres de la commission doivent enrichir le texte, dans le sens de nos valeurs.

Pour autant, mes réserves restent grandes sur l'article 2. Tous les cas de figure aboutissent à une inégalité. Chaque chose en son temps : je voterai les amendements du rapporteur, mais cela ne signifie pas que je voterai in fine l'article 2, même modifié.

M. Yves Détraigne. - N'étant pas aussi fin juriste que la plupart des membres de cette commission, je n'avais pas prévu d'intervenir.

Je suis surpris : alors qu'à Versailles, nous étions unanimes pour applaudir le Président de la République, voilà que nous retombons dans nos chamailleries habituelles. Bien sûr, certains arguments ont leur valeur. Rappelons-nous cependant que, sur ce texte, nous ne sommes pas des législateurs ordinaires mais des constituants. Le message que nous adresserons à la Nation ne peut aller à rebours de celui que nous avions envoyé à Versailles. Nous assumons notre rôle en proposant des amendements. Si nous jetons tout par-dessus bord, nous ne serons pas à la hauteur de notre rôle de constituant et nous décevrons nos concitoyens par rapport à la belle unanimité affichée à Versailles.

Mme Sophie Joissains. - Ce texte est catastrophique. Je suis fermement opposée à la constitutionnalisation de l'état d'urgence et encore plus à la déchéance de nationalité. Je salue cependant l'excellent travail du rapporteur. Je voterai in fine contre les deux versions du texte, même si celle du président Bas, meilleure, mériterait d'avoir une chance de prospérer.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Je considère toutes vos interventions comme déclaratives. Vous avez tous été destinataires des amendements.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Merci pour ce débat de haute tenue. Je répondrai à certaines de vos observations lors de l'examen des amendements. De manière générale, c'est la déchéance de nationalité qui suscite le plus de difficultés. L'analyse faite par M. Béchu est la bonne : la question de l'égal traitement de tous les criminels terroristes français au regard de la déchéance de nationalité est impossible à résoudre.

Si on l'applique indistinctement aux mononationaux et aux binationaux, leur situation restera inégale, puisque les uns continueront à bénéficier de la protection d'un État, mais pas les autres. On ne règle le problème qu'en excluant l'apatridie. En dépit des propos du Premier ministre sur la convention de 1961, le texte ordinaire proposé par le Gouvernement prévoit explicitement que la déchéance de nationalité n'est pas possible si elle entraîne l'apatridie. Mieux vaudrait inscrire cette garantie fondamentale dans la Constitution. Elle crée cependant une nouvelle inégalité de traitement, entre binationaux et mononationaux. Nous ne pourrons y échapper : il nous faut choisir entre deux inégalités. La France s'honore à ne pas créer d'apatrides.

Il faut exercer jusqu'au bout nos capacités de dialogue avec l'Assemblée nationale, a dit Mme Tasca. Je vous prends au mot : donnons une chance à ce dialogue, en adoptant un texte qui en permette la poursuite.

M. Pierre-Yves Collombat. - C'est beau, le dialogue !

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 1er

M. Philippe Bas, rapporteur. - En 1955, le Gouvernement souhaitait montrer que l'état d'urgence n'était pas seulement destiné à faire face aux événements d'Algérie. D'où l'introduction d'une référence aux « calamités publiques », que nous n'avons aucune raison de faire figurer dans la Constitution. Cela ne mérite pas tant d'honneurs. Par conséquent, mon amendement n° 6 supprime cette référence.

M. Alain Marc. - Cela signifie-t-il qu'on ne pourra déclencher l'état d'urgence qu'en cas d'attentat constaté ? Que se passera-t-il si les services de renseignements ont des indices graves et concordants, sans qu'un attentat ait eu lieu ? Tel que l'amendement est rédigé, on ne pourra pas décréter l'état d'urgence.

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'écriture, strictement reprise de la loi de 1955, est suffisamment large pour avoir permis de décréter l'état d'urgence après des émeutes en banlieue. C'est une question d'appréciation.

M. Alain Marc. - Que se passe-t-il quand il n'y a rien de visible, ni émeute, ni attentat, mais seulement des indices graves et concordants de péril imminent ?

M. Philippe Bas, rapporteur. - D'autres moyens que l'état d'urgence existent pour faire face à un péril imminent. On peut arrêter ceux qui complotent. Le texte est assez large pour permettre toute initiative du Gouvernement, pour peu qu'elle soit nécessaire.

M. Jacques Mézard. - Sans remettre en cause notre position de fond, nous considérons que vos amendements sur l'état d'urgence améliorent le texte de l'Assemblée nationale et celui du Gouvernement.

Monsieur Détraigne, ce n'est pas parce qu'on se lève et qu'on chante la Marseillaise au Congrès qu'on est en totale harmonie avec ce qui y est dit. Je n'avais pas eu connaissance au préalable des annonces du Président de la République, mais j'avais clairement exposé ma position à Versailles, en me disant opposé à tout nouveau texte sur la lutte contre le terrorisme. Ma position n'a pas changé.

M. Jacques Bigot. - L'Assemblée nationale a soulevé la question de la calamité publique sous un angle particulier : celui du péril imminent lié à une catastrophe naturelle gravissime, entraînant la nécessité des prendre des mesures d'exception sur une partie du territoire. De ce point de vue, la motivation de votre amendement est insuffisante.

M. Alain Vasselle. - De très nombreux réfugiés entrent actuellement sur notre territoire. Les contrôles aux frontières ne nous garantissent pas contre une éventuelle infiltration de terroristes en leur sein. Peut-on faire valoir ces circonstances pour déclencher l'état d'urgence ?

Mme Cécile Cukierman. - Ce débat montre toute la difficulté qu'il y a à modifier la Constitution alors que nous sommes encore dans l'émotion. Les amendements à l'article 1er améliorent le texte de l'Assemblée nationale - ou le rendent moins pire... Nous restons opposés à la constitutionnalisation de l'état d'urgence et au principe de la déchéance de nationalité. Par conséquent, nous ne prendrons pas part au vote. L'argument selon lequel on valoriserait le Sénat en produisant un texte coûte que coûte ne nous convainc pas.

M. Alain Richard. - La question posée par Alain Marc est judicieuse. La notion d'atteinte grave à l'ordre public doit-elle forcément recouvrir des faits publics ? Si un service de police avait eu connaissance de la préparation des attentats du 13 novembre, cela aurait-il constitué une base légale suffisante pour déclencher l'état d'urgence ? J'aurais tendance à répondre que oui. L'ordre public est une notion vaste. Les préparatifs d'un attentat, qui se manifestent par des actes, peuvent être qualifiés d'atteinte grave à l'ordre public. Il serait judicieux que cette question fasse l'objet d'un dialogue interprétatif entre le rapporteur et le Gouvernement lors de la séance publique.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous ne sommes pas dépourvus de moyens d'action pour faire face aux calamités publiques. Jusqu'ici, l'État n'a jamais eu besoin de recourir à l'état d'urgence face à une catastrophe naturelle. En outre, l'autorité publique a toujours la possibilité de déroger au droit commun en application de la théorie des circonstances exceptionnelles. Je remercie Alain Richard de sa réflexion précise sur le périmètre très large de la notion d'ordre public. Je suis d'accord pour demander au Gouvernement de préciser son interprétation sur ce point en séance publique.

Bien sûr, les flux migratoires peuvent faciliter l'entrée sur le territoire de personnes mal intentionnées. La création de hotspots en Grèce, que nous avons vus récemment, sert à renforcer la surveillance aux frontières. L'état d'urgence n'a pas réponse à tout. Il est d'ailleurs provisoire, alors que les flux migratoires sont continus...

L'amendement n° 6 est adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n° 7 apporte une garantie importante. Nous ne l'inventons pas, puisque c'est le rôle du Conseil constitutionnel, lorsqu'il est chargé d'apprécier la constitutionnalité de la législation en matière d'état d'urgence, de vérifier que les mesures susceptibles d'être prises à ce titre sont strictement adaptées, nécessaires et proportionnées. Mais les principes dégagés par la jurisprudence seront encore mieux garantis, et intangibles, s'ils sont inscrits dans la Constitution.

M. Alain Richard. - Je n'ai pas d'objection à ces termes, qui sont usuels en matière d'encadrement des mesures de contrainte. Cependant, il est curieux de ne pas reprendre explicitement la notion de mesures de police administrative, dans la mesure où l'état d'urgence ne permet en réalité que cela ! Sans doute a-t-on estimé que ce n'était pas nécessaire. Mieux vaut toutefois s'assurer que nous sommes bien d'accord, d'autant qu'un autre amendement porte sur le maintien du périmètre d'intervention du juge judiciaire. La dernière décision du Conseil constitutionnel sépare clairement les mesures restrictives des mesures privatives de liberté. La jurisprudence constitutionnelle est claire : les mesures de police administrative ne font pas l'objet d'une censure par le magistrat de l'ordre judiciaire. Confirmez-vous bien cette lecture ?

M. Jacques Bigot. - Cette nouvelle rédaction est intéressante, mais pourquoi supprimez-vous l'alinéa 3 ? Nous pourrions le maintenir en l'enrichissant des précisions que vous souhaitez apporter.

M. Jean-Yves Leconte. - Il serait encore plus précis de dire que les mesures de police administrative sont prévues par la loi organique.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je réponds oui à Alain Richard.

Monsieur Bigot, vous êtes libre de présenter un amendement pour rétablir l'alinéa 3. À mon sens, de même que la Constitution n'a pas à établir de sanction pénale, elle n'a pas non plus à entrer dans de tels détails. L'alinéa 3 n'apporte pas de garantie particulière.

L'amendement n° 7 est adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n° 8 peut donner lieu à des débats sans fin... Depuis la loi sur le renseignement jusqu'à celle sur l'état d'urgence en novembre dernier, le Sénat a toujours veillé à ce que la frontière entre autorité judiciaire et autorité administrative soit strictement respectée. Il convient de le réaffirmer de la manière la plus nette possible. L'article 66 pourrait se suffire à lui-même. Cependant, notre exercice actuel consiste à inscrire dans la Constitution des éléments qui ne sont pas indispensables juridiquement, mais qui sont essentiels pour trancher des débats qui n'ont que trop duré. Les mesures restrictives des libertés relèvent de la police administrative et du Conseil d'État. Les mesures privatives de liberté relèvent de la police judiciaire et de la Cour de cassation. Saisissons l'occasion de le réaffirmer clairement.

M. Alain Richard. - Utile réponse à une récente déclaration...

L'amendement n° 8 est adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Mes amendements nos 9, 10 et 11 défendent les prérogatives du Parlement pendant l'état d'urgence. Ils donnent une portée effective à l'amendement adopté par l'Assemblée nationale, qui se borne à dire que « le Parlement se réunit de plein droit ». Or cela ne veut rien dire...

M. Alain Richard. - Cela signifie qu'on est en session.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Oui, mais qu'y fait-on ? C'est très variable. Quand le Parlement s'est réuni de plein droit au titre de l'article 16, le président de l'Assemblée nationale a considéré que les parlementaires n'avaient pas le droit de légiférer, dans la mesure où le Président de la République ne disposait pas du pouvoir de dissolution
- ce qui interdisait de mettre en jeu la responsabilité du Gouvernement, qui en est le corollaire. Par conséquent, comment garantir que le Parlement pourra contrôler l'application de l'état d'urgence à tout moment ? Pendant les sessions extraordinaires, nous ne pouvons faire délibérer de propositions de loi puisque l'ordre du jour est fixé par le seul Gouvernement. Les amendements nos 9 et 10 garantissent que les parlementaires pourront toujours examiner et voter une proposition de loi pour mettre fin à l'état d'urgence, quelle que soit la saison, y compris en session extraordinaire.

M. Jean-Yves Leconte. - Comment la possibilité de dissolution se conjugue-t-elle avec le contrôle parlementaire ?

M. Alain Richard. - Cette disposition précise le déroulement des procédures pré-législatives d'entrée dans l'ordre du jour pendant l'état d'urgence. Il s'agit du règlement des rapports entre le Gouvernement et le Parlement. On crée un droit de priorité autre que ceux qui existent déjà dans l'article 48. Ne faudrait-il pas prévoir un dispositif de coordination avec l'article 48 ?

M. Yves Détraigne. - Je comprends l'intérêt de la disposition, mais la rédaction est alambiquée, avec la mention de la Conférence des présidents. Peut-on l'améliorer ?

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Dans la mesure où il n'y a pas d'inscription à l'ordre du jour de plein droit, la Conférence des présidents doit délibérer.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Pour répondre à Alain Richard, le dernier alinéa de l'article 42 mentionne les états de crise et régit la procédure de discussion des textes. Quant à l'article 48, il régit l'ordre du jour. Mon amendement n° 13 est en miroir de l'amendement n° 9, de sorte qu'on n'a pas d'angle mort. Monsieur Détraigne, il est vrai que l'écriture n'est pas très élégante. En matière de procédure législative, c'est la précision qui compte. Même si nous voulons échapper à la tyrannie de l'ordre du jour prioritaire, il faut obligatoirement passer par la Conférence des présidents.

M. Yves Détraigne. - Si une proposition de loi est déposée, elle est prioritaire ?

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Elle le devient si la Conférence des présidents en décide ainsi.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Elle peut être inscrite à l'ordre du jour de la discussion parlementaire, quelle que soit la session, sur décision de la Conférence des présidents. On ne peut pas considérer que toute proposition de loi relative à l'état d'urgence devrait être inscrite d'office à l'ordre du jour.

M. Michel Mercier. - Il s'agit de faire échec à la règle selon laquelle seuls les textes énumérés par le décret de convocation peuvent être discutés au cours de la session extraordinaire.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Monsieur Leconte, la dissolution peut être dans certains cas le moyen de dénouer une crise très grave coïncidant avec l'état d'urgence. Nous ne savons pas ce que l'histoire nous réserve ! Il serait imprudent d'interdire la dissolution pendant l'état d'urgence. En 1961, M. Chaban-Delmas considérait qu'interdire la dissolution impliquait d'interdire également l'engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale. Or le contrôle du Gouvernement pendant l'état d'urgence peut aboutir à une motion de censure. Si l'on veut pouvoir mettre en cause la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, il faut préserver la faculté de dissoudre.

M. René Vandierendonck. - Vous avez raison.

M. Jean-Yves Leconte. - Il y a tout de même une possibilité de suspension du contrôle parlementaire.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Et le Sénat demeure en cas de dissolution de l'Assemblée nationale.

M. Jacques Mézard. - Actuellement, la majorité de l'Assemblée nationale n'est pas la même que celle du Sénat. Il peut arriver qu'elles coïncident. Dans ce cas, il serait bon de permettre à un ou deux groupes de demander l'inscription prioritaire de cette réunion à l'ordre du jour. Je déposerai un amendement en ce sens.

M. Philippe Bas, rapporteur. - C'est une initiative tout à fait intéressante.

Les amendements nos 9 et 10 sont adoptés.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Inscrire l'état d'urgence dans la Constitution nous permet d'apporter des garanties. L'Assemblée nationale a fixé à quatre mois le délai maximal de prorogation de l'état d'urgence par le législateur. Il n'y a actuellement aucune règle. Mon amendement n° 11 réduit ce délai à trois mois, comme nous l'avons fait en novembre puis en février derniers.

L'amendement n° 11 est adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur. - En novembre, le Premier ministre n'avait pas voulu saisir le Conseil constitutionnel avant la promulgation de la loi étendant les pouvoirs de l'état d'urgence. Nous n'avons eu le verdict du Conseil qu'à la faveur de QPC. Pour éviter que la situation se reproduise, je préfère que la loi soit dorénavant organique, ce qui suppose la saisine obligatoire du Conseil constitutionnel. C'est une garantie importante qu'apporte mon amendement n° 12.

M. Alain Richard. - Le terme de « loi organique » ne procède que de la Constitution de 1958. Il désigne un dispositif d'application d'une règle constitutionnelle strictement nécessaire au fonctionnement des institutions. Il doit y avoir une limite claire entre ce qui relève de la loi ordinaire, dans la limite de l'article 34, et ce qui entre dans le champ de la loi organique, objet d'une habilitation expresse de la Constitution.

Les mesures de la loi de 1955 sur les modalités d'application de l'état d'urgence - perquisition, assignation à résidence - n'ont guère le caractère de dispositions organiques. Bien sûr, on s'assurerait ainsi de la saisine du Conseil constitutionnel. Lorsque celui-ci est saisi d'une loi ordinaire, il a pris l'habitude de ne statuer que sur les arguments développés, ce qui laisse ouverte la possibilité d'une contestation sur d'autres bases, via la QPC. En revanche, dans le cas d'une loi organique, le Conseil constitutionnel est tenu à l'exhaustivité. Le Premier ministre, les présidents des deux chambres ou soixante parlementaires peuvent saisir préventivement le Conseil constitutionnel de la loi ordinaire réorganisant l'état d'urgence après la réforme constitutionnelle. En faire une loi organique uniquement pour obtenir l'assentiment préalable du Conseil n'est pas vraiment dans l'esprit des institutions de 1958.

M. Philippe Bas, rapporteur. - La Constitution détermine ce qui relève ou pas de la loi organique. Il existe des précédents de lois organiques là où une loi ordinaire aurait suffi : les garanties offertes aux magistrats, par exemple, ou la procédure des QPC. S'agissant d'une législation qui déroge au droit commun et qui est potentiellement attentatoire aux libertés, il n'est pas excessif de prévoir une intervention préventive du Conseil constitutionnel...

M. Jacques Bigot. - Nous sommes tous convaincus de la nécessité d'entourer ces dispositions exceptionnelles des plus grandes précautions. Cependant, passer par une loi organique prendra plus de temps. N'est-ce pas antinomique avec la mise en place de mesures d'urgence ?

M. Jean-Yves Leconte. - Je souscris à ce qu'a dit le rapporteur. Cependant, vous auriez pu inscrire cela à l'alinéa 3, qui aurait ainsi encadré préventivement toutes les mesures de police administrative. Autrement, on ne pourra plus comme en novembre adapter les dispositions ou n'en autoriser qu'une partie. On perd en flexibilité.

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'objectif est précisément d'éviter un excès de flexibilité. Je préfère que la législation sur l'état d'urgence ne soit pas indéfiniment enrichie de mesures restrictives des libertés : elle a aujourd'hui atteint sa maturité, me semble-t-il. C'est un choix politique.

J'ai placé cette disposition au dernier alinéa, car c'est l'usage dans la Constitution. La hiérarchie des normes est respectée : Constitution, loi organique, loi de prorogation de l'état d'urgence, chacun est à sa place dans le dispositif que je propose.

M. Alain Richard. - Sauf que la loi ordinaire n'est plus mentionnée. La mise en jeu de l'état d'urgence relève entièrement d'une loi organique.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Non. L'alinéa 6 reste inchangé sur ce point : la prorogation de l'état d'urgence ne peut être décidée que par la loi ordinaire.

M. Alain Richard. - Donc toutes les conditions d'application relèvent de la loi organique - sauf celle-là !

M. Philippe Bas, rapporteur. - La loi organique détermine le régime d'application de l'état d'urgence. Au moment de sa prorogation, la loi autorise le maintien de tout ou partie des mesures décrétées au titre de l'état d'urgence. Ce qui détermine le périmètre et les mesures de l'état d'urgence, c'est le décret d'application, puis la loi de prorogation.

M. Jean-Yves Leconte. - Le décret ne fait que définir l'espace où s'applique l'état d'urgence.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Il précise aussi les mesures mises en oeuvre.

M. Jean-Yves Leconte. - Où cela figure-t-il ?

M. Philippe Bas, rapporteur. - Cela sera dans la loi organique qui reprendra, j'imagine, le dispositif de la loi de 1955, lequel prévoit des mesures appliquées sur l'ensemble du territoire national et d'autres qui ne sont appliquées que sur une partie du territoire après décision particulière.

L'amendement n° 12 est adopté.

Article 1er bis

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n° 13 évite qu'une éventuelle proposition de loi mettant fin à l'état d'urgence se voie opposer le délai de six semaines entre son dépôt et sa discussion en séance publique, pour rendre effective la priorité d'inscription à l'ordre du jour que nous avons votée.

L'amendement n° 13 est adopté.

Article 2

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n° 14 m'a demandé un effort considérable. La rédaction de l'Assemblée nationale s'écarte très largement de ce que le Président de la République a proposé au pays le 16 novembre, tout comme du texte adopté en conseil des ministres le 23 décembre, conformément à l'avis du Conseil d'État. Qui plus est, il ouvre au législateur un champ de prérogatives considérable que je ne souhaite pas lui donner, car nul ne sait qui sera le législateur de demain. Il est excessif d'autoriser le législateur à prononcer la déchéance de nationalité et des droits qui y sont attachés pour des délits. Aucune limite n'est fixée pour empêcher qu'un Français devienne apatride. Je souhaite restreindre la portée de cet article. Mon amendement prévoit en outre que la déchéance de nationalité ne peut être prononcée que par une décision de souveraineté, prise par l'autorité gouvernementale, comme c'est le cas dans la législation actuelle.

M. Alain Vasselle. - Je voterai cet amendement, mais je réserve mon vote final, car j'ai des doutes sur la pertinence de réformer notre Constitution sur ce point. La loi ordinaire suffirait.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je suis contre cet amendement. Nonobstant les efforts rédactionnels, il aboutit à ce que la déchéance de nationalité ne s'applique qu'aux binationaux. Je ne développe pas davantage.

M. Alain Richard. - Je n'ai pas cru nécessaire de participer au débat général. Je reconnais la clairvoyance de Christophe Béchu : dans un cas comme dans l'autre, la déchéance de nationalité entraîne une différenciation - à chaque fois justifiable, puisque le principe d'égalité ne s'applique qu'aux personnes placées dans des situations comparables.

Après avoir écouté les arguments, eu égard à la dureté des menaces terroristes qui pèsent sur notre pays et au droit de notre Nation à disposer de sa nationalité dans les cas les plus extrêmes, je considère qu'il est soutenable d'admettre le cas d'apatridie par décision judiciaire mûrement réfléchie. Par conséquent, je ne soutiens pas cet amendement.

L'amendement n° 14 est adopté.

Article additionnel après l'article 2

L'amendement de coordination n° 15 est adopté.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Nous n'adoptons pas le texte de la commission, en vertu de l'article 42 de la Constitution qui nous impose de délibérer en séance publique sur le texte de l'Assemblée nationale, en cas de projet de révision constitutionnelle. Nous y défendrons donc les amendements adoptés par la commission ce matin.

M. Alain Richard. - Y aura-t-il un vote sur l'ensemble du texte en séance publique ? L'Assemblée nationale et le Sénat doivent arriver à un texte identique. Le vrai vote sur l'ensemble sera validé par la convocation du Congrès ou par le référendum.

Mme Catherine Troendlé, présidente. - Il y aura, bien sûr, un vote sur l'ensemble du texte en séance publique.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Le Président de la République n'a pas choisi la voie de l'article 11 pour réviser la Constitution. Pour autant, la procédure de droit commun de l'article 89 n'est pas la réunion du Congrès, mais le référendum. À ce jour, le Président de la République ne s'est pas prononcé publiquement sur le choix qui s'offre à lui de suivre la voie normale de l'article 89 ou d'y déroger en réunissant le Congrès. Ce n'est pas tout à fait un point de détail.

M. Jacques Mézard. - Excellente remarque.

Questions diverses

M. Christophe-André Frassa. - Outre la nôtre, le projet de loi pour une République numérique intéresse quatre autres commissions qui se sont saisies pour avis : la commission des affaires économiques, la commission de l'aménagement du territoire, la commission de la culture et la commission des finances.

Je vous propose de leur déléguer au fond les articles qui ne relèvent manifestement pas du domaine de compétence de la commission des lois. Nous pourrons nous en remettre à leur position sur les articles délégués au fond et, le cas échéant, intégrer leurs amendements dans le texte que nous adopterons. Ces propositions de délégation concernent 23 articles sur 99 et ne suscitent pas de conflits de compétence ou de contestations de la part des autres commissions. Notre commission resterait compétente sur 76 articles. Vous en trouverez la liste dans le document qui vous a été remis.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est levée à 12 h 10