Mardi 17 novembre 2015

- Présidence de M. Hervé Maurey, président, de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, et de M. Jean Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques -

Audition de M. Miguel Arias Canete, commissaire européen « Action climat et énergie »

La réunion est ouverte à 18 heures.

M. Jean Bizet, président. - Monsieur le commissaire, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation, respectant ainsi la feuille de route établie par le premier vice-président de la Commission européenne, Franz Timmermans, incitant les commissaires à se rapprocher des parlements nationaux.

Notre pays vient d'être frappé à nouveau par le terrorisme djihadiste avec une violence sans précédent. Toutes nos pensées vont vers les victimes et leurs familles. Notre pays s'est rassemblé pour afficher son unité et son attachement à ses valeurs. Dans l'épreuve, nos concitoyens attendent les réponses aux menaces qui pèsent sur leur sécurité. La minute de silence de lundi midi a été déclinée dans les 28 capitales de l'Union européenne, ce qui souligne la dimension européenne de ce drame ; chaque citoyen européen est désormais une cible potentielle. La réponse à ce fléau doit être européenne. Nous attendons désormais des actions concrètes en la matière. Il faut agir, et vite. Merci, Monsieur le commissaire européen, de relayer notre message au sein des institutions européennes. Nous serons sans doute nombreux à souligner, jeudi après-midi en séance, qu'un budget équivalent à 1 % du PNB est un peu faible, compte tenu des défis que l'Union européenne doit relever.

La conférence de Paris sur le climat aura bien lieu. Nous espérons qu'elle attestera une mobilisation internationale sur ces enjeux d'avenir. Le Sénat, grâce à la proposition de résolution déposée par Jérôme Bignon, a arrêté hier soir une position ambitieuse insistant sur le rôle des collectivités territoriales : c'est d'elles que naîtront les comportements collectifs nouveaux ; c'est à elles qu'il reviendra de mobiliser chacun d'entre nous au quotidien en faveur de l'environnement.

Au sein de la commission des affaires européennes, nous avons salué le haut niveau d'exigence des actions de la Commission européenne, notamment avec le dispositif des quotas d'émissions de gaz à effet de serre. Elle affiche également avec une audace réaliste de fortes ambitions dans le domaine des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique. Le fonds Juncker oriente d'ores et déjà les investissements vers le secteur industriel bas carbone ; les fonds structurels y consacreront 47 milliards d'euros entre 2014 et 2020 - c'est le deuxième poste budgétaire après la PAC. Nous avons insisté - le président Lenoir au premier chef - sur la nécessité de fixer, grâce à un marché réformé, un prix du carbone suffisamment élevé. Les acteurs financiers publics et privés devront aussi orienter leurs prêts et leurs investissements vers une industrie sobre en carbone. Sur tous ces éléments, nous aimerions connaître votre analyse.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Monsieur le commissaire, je m'associe aux propos de Jean Bizet, et vous souhaite la bienvenue parmi nous. Je me réjouis de la solidarité européenne dans les moments tragiques que nous vivons, et salue la décision de maintenir la COP21. Vous êtes vous-même très impliqué dans sa préparation puisque la Commission européenne a été la deuxième puissance à transmettre le 6 mars dernier sa contribution. Celle-ci est ambitieuse puisqu'elle reprend les engagements pris dans le paquet Énergie-climat adopté en octobre 2014, avec une réduction de 40 % d'ici 2030 des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Le précédent objectif, une réduction à l'horizon 2020 de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, semble quant à lui en voie d'être largement atteint. Comment y parvenir ? Quelles sont les priorités ? Où se situe la France dans cette trajectoire
- autrement dit, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte est-elle à la hauteur de l'enjeu ? Que penser des États pour lesquels cet objectif n'apparaît pas encore comme une priorité ? La conférence de Paris a-t-elle des chances de parvenir à un accord ?

Il y a quelques semaines, vous vous êtes inquiété publiquement de la « lenteur désespérante » des négociations... Vous avez identifié quatre prérequis à un succès de la conférence : l'engagement de tous les grands émetteurs pour contribuer réellement à l'atténuation des changements climatiques ; la nécessité d'une révision dynamique, sans doute tous les cinq ans ; la fixation d'un objectif de long terme, la décarbonisation complète de l'économie mondiale en 2100 ; et la définition de règles de transparence et de responsabilité applicables à tous les États. À quelques jours de l'ouverture de la conférence, ces prérequis sont-ils remplis ? Vous vous êtes en outre inquiété récemment dans un quotidien français de la position des États-Unis, hostiles à tout accord contraignant...

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - Monsieur le commissaire, je vous dis à mon tour notre plaisir de vous accueillir. L'Espagne a payé un très lourd tribut aux terroristes il y a une dizaine d'années. À vous qui représentez l'Europe mais êtes aussi citoyen espagnol, nous voulons dire que nous ne l'avons pas oublié ; notre solidarité est totale au niveau européen, et même au-delà.

Le Sénat est pleinement engagé dans le débat sur le climat, et nous préparons depuis de longs mois la conférence qui se réunira à Paris dans une quinzaine de jours. À Lima en décembre dernier, nous avons mesuré l'attente de nombreux pays à l'égard de ce grand rendez-vous. La proposition de résolution de Jérôme Bignon nous a permis d'afficher une position ambitieuse partagée par tous. À la tribune, j'ai plaidé au nom de la commission des affaires économiques pour la généralisation de mécanismes de tarification du carbone susceptibles d'émettre un signal-prix fort et de donner aux acteurs économiques une visibilité suffisante pour guider leurs investissements sur le long terme.

L'Union européenne a été pionnière en créant dès 2005, dans sa phase pilote, un marché d'échange de quotas d'émissions afin d'atteindre les objectifs fixés par le protocole de Kyoto. Alors que la crise économique avait fait chuter la tonne de CO2 sous les 4 euros, la création d'une réserve de stabilité destinée à absorber l'excès de quotas sur le marché a été opportunément décidée et devrait être pleinement opérationnelle en janvier 2019.

Au-delà de la mise en place de cette réserve, vous travaillez désormais à la deuxième étape de la réforme du marché de quotas pour l'après-2020. Lors de la présentation de ses propositions en juillet dernier, j'ai noté avec grand intérêt - car nous sommes très soucieux du maintien de la compétitivité de nos entreprises - que la Commission européenne entendait fixer des règles protégeant les secteurs confrontés aux fuites de carbone, en concentrant l'allocation gratuite de quotas d'émissions sur les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale. Certains États ont en effet conservé des législations assez éloignées de nos préoccupations en France et en Europe... Ma question est simple : le marché de quotas réformé permettra-t-il de préserver la compétitivité de l'industrie européenne tout en atteignant l'objectif ambitieux d'une réduction d'au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 ?

M. Miguel Arias Cañete, commissaire européen chargé de l'action pour le climat et l'énergie. - Je vous remercie de m'avoir convié à cette audition. Je veux saisir cette occasion pour exprimer toute ma solidarité aux victimes, à leurs familles ainsi qu'au peuple français à la suite des atroces attentats qui ont frappé Paris vendredi dernier. Comme l'a souligné le président Juncker, ils visaient notre façon de vivre ensemble, nos valeurs, notre liberté. Mais l'Europe est unie. Notre solidarité et notre détermination à protéger nos citoyens, nos valeurs et nos libertés n'en sont que renforcées. La Commission européenne fera tout ce qui est en son pouvoir pour soutenir la France en ces moments si difficiles. L'Europe et tous les habitants du globe sont à vos côtés. Nous le serons aussi à l'occasion de la COP21, quand Paris sera la capitale du monde.

L'humanité entière se tourne vers nous pour un signal clair ; c'est une occasion unique de montrer notre capacité à travailler ensemble afin de relever les défis mondiaux. L'accord de Paris devra offrir une image d'action collective, fixer un cap pour une transition accélérée vers un monde plus résilient et plus sobre en carbone.

Pour relever un tel défi, il nous faut agir à l'échelle de la planète. Aucun pays ne peut être oublié. Nous sommes déterminés à travailler avec nos partenaires pour parvenir à un accord juridiquement contraignant, ambitieux et équitable. Il appartient aux économies majeures, qui sont aussi les plus grandes émettrices de gaz à effet de serre, de montrer la voie. Et tous les pays doivent prendre leur juste part de l'effort. Si nous voulons contenir le réchauffement global en dessous de 2 degrés, nous devons trouver un moyen de refléter l'évolution des responsabilités et des capacités d'une manière dynamique et nuancée. Grâce à ses territoires d'outre-mer, la France occupe une place unique pour observer l'impact des dérèglements climatiques et expérimenter des solutions concrètes. J'ai pu l'observer dans mon voyage aux îles du Pacifique : les gouvernements des territoires insulaires sont plus conscients des problématiques liées à la vulnérabilité climatique, parce qu'ils y sont confrontés au quotidien. À cet égard, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt vos propositions dans le rapport du Sénat « Les outre-mer français face au défi du changement climatique : une contribution concrète à l'agenda des solutions ».

Pour rester en dessous de 2 degrés de réchauffement, il est nécessaire de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre d'au moins 50 % d'ici à 2050 par rapport à 1990 et s'approcher - et même passer en dessous - de zéro émission nette, avant la fin du siècle. Pour cela, l'accord devra fixer un objectif opérationnel à long terme, assurer un examen régulier des efforts et de l'ambition, et contenir des règles de transparence et redevabilité.

L'approche ascendante, ou bottom up, adoptée en vue de Paris, a déjà donné des résultats : 161 pays ont présenté leurs plan climat national - ou contributions déterminées au niveau national - portant sur presque 94 % des émissions mondiales. C'est sans précédent. À titre de comparaison, la deuxième période d'engagement du Protocole de Kyoto implique seulement 35 pays, soit environ 12 % des émissions. Ces contributions ne viennent pas seulement des plus grands émetteurs - Chine, États-Unis, Brésil et Union européenne - mais aussi de certains des pays les plus vulnérables d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

L'Union européenne a été la première grande économie à présenter sa contribution en mars dernier, affichant l'objectif contraignant de réduire les émissions d'au moins 40 % d'ici 2030. Cette contribution, ambitieuse et équitable, est en phase avec une trajectoire d'au moins 80 % de réduction d'ici 2050, dans un contexte où les autres pays réaliseraient leur part des efforts. Elle rendra notre économie 50 % plus efficace en termes d'émissions, alors qu'elle émet déjà moins de gaz à effet de serre par unité de PIB que les autres grandes économies.

La maîtrise des émissions n'est toutefois qu'une partie de l'équation. Les effets du changement climatique se font sentir partout dans le monde, Europe comprise. Voilà pourquoi les mesures d'adaptation, bien planifiées et permettant d'épargner de l'argent et de sauver des vies, sont une priorité pour de nombreux pays, notamment les plus vulnérables.

Comme vous le soulignez dans votre résolution, le financement de l'action pour le climat sera un point crucial de l'accord. Des mesures d'adaptation, une meilleure coordination et une meilleure coopération, y compris avec le secteur privé, sont indispensables. Selon nos dernières estimations, le montant total des besoins d'investissement indiqués dans les contributions nationales correspond à 2,4 milliards de dollars. De nombreux pays peinent à mobiliser les moyens nécessaires. Ils auront besoin d'aide.

L'Union européenne et ses États membres sont les principaux financeurs de l'action pour le climat : en 2014, ils ont versé à ce titre 14,5 milliards d'euros pour soutenir les pays en développement. La transformation en économies et sociétés sobres et résilientes face au changement climatique suppose de grands changements dans les modèles d'investissement. Si l'Union européenne et les bailleurs traditionnels sont disposés à poursuivre leur effort de financement, la base des donateurs doit être élargie et tous les pays doivent mettre en place des cadres réglementaires incitant les investisseurs privés à s'engager dans l'économie verte.

La Commission européenne soutient fermement la présidence française, qui veut faire de la COP21 un grand succès français, européen et international. La pré-COP qui s'est tenue au ministère des affaires étrangères à Paris du 8 au 10 novembre a fait apparaître des terrains d'entente potentiels, mais beaucoup reste à faire. Le texte de 55 pages qui servira de base de négociation à Paris, établi à partir du consensus durement négocié au sein du G20 dans la nuit du 15 au 16 novembre, laisse encore toutes les options politiques ouvertes - la révision régulière a notamment été remise en cause par des pays importants.

L'appareil diplomatique de l'Union européenne et des États membres est pleinement mobilisé au service de nos objectifs. Nous gardons un contact permanent avec les pays les plus importants dans la négociation. Ces derniers mois, des centaines d'actions de diplomatie publique ont été organisées aux quatre coins du monde. Nous participerons en outre pleinement à l'agenda des solutions de la COP21, notamment sur les volets énergies propres, ville durable, résilience. La conclusion de l'accord intergouvernemental et la mobilisation des acteurs non-étatiques se complètent et se renforcent mutuellement.

J'en viens aux actions que l'Union européenne va prendre pour traduire ses engagements dans les faits. De même qu'avec les objectifs climatiques pour 2020, nous mettrons en oeuvre notre contribution climat et en rendrons compte de façon transparente. Outre notre cible ambitieuse en matière de réduction des émissions, les énergies renouvelables devront représenter au moins 27 % du mix énergétique européen en 2030, et notre efficacité énergétique devra avoir progressé d'au moins 27 %. Nous sommes en voie d'atteindre ou même dépasser notre objectif de 20 % de réduction des émissions à l'horizon 2020 : entre 1990 et 2014, nos émissions ont baissé de 23 % alors que notre PIB augmentait de 46 %.

La réforme du système d'échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre fait partie des mesures les plus importantes adoptées en 2015 par la Commission européenne pour réduire les émissions et assurer la transition énergétique. Elle avait deux objectifs : donner les bons signaux-prix aux investisseurs, et protéger les secteurs exposés à la compétition internationale. C'est très différent du système antérieur, qui rendait nécessaire un facteur de correction réduisant de 35 % l'allocation de quotas à titre gratuit dans tous les secteurs. Concentrer l'appui sur les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale était chose complexe, car le système ETS concerne 11 000 installations sur le continent, appartenant à 200 groupes différents, tous détenteurs jusqu'alors de droits d'émissions gratuits. Fixée à 1,74 % dans le système originel de cap and trade, la réduction des droits octroyés atteindra 2 %. Le choix des bénéficiaires est fondé sur l'exposition au commerce international et l'intensité énergétique. L'examen de la réforme au Parlement européen sera difficile, car tous les groupes de pression s'efforceront de démontrer leur légitimité à conserver les émissions gratuites. Établir un marché carbone est tout sauf facile. La Commission européenne a connu de grandes difficultés dans le passé - rappelez-vous l'introduction du backloading pour réduire les quotas alloués au marché... La Chine a annoncé sa décision d'instaurer un marché du carbone à l'échelle nationale ; les États-Unis pourraient prendre le même chemin. L'idéal serait, à l'avenir, de connecter entre eux tous les marchés mondiaux.

L'agenda pour l'année 2016 sera encore plus chargé : avant l'été 2016 sera présenté le paquet Sécurité d'approvisionnement de gaz, comprenant aussi une stratégie pour le gaz naturel liquéfié et une stratégie pour le chauffage et refroidissement ; une décision devra aussi intervenir sur la répartition de l'effort, qui s'étendra notamment aux secteurs non concernés par le système d'échange de quotas, c'est-à-dire les terres, les transports et les bâtiments ; il y aura également une communication sur la décarbonisation des transports.

Après l'été 2016, la Commission européenne se consacrera au marché intérieur avec l'adoption de la révision de la directive sur l'efficacité énergétique et de la directive sur la performance énergétique des bâtiments, la révision des règles liées à l'architecture de notre marché intérieur de l'énergie, à la suite de la consultation publique lancée cet été, et finalement le paquet Énergies renouvelables, qui comprendra une révision de la directive et une nouvelle proposition sur les bioénergies.

Les défis sont nombreux, mais je suis convaincu que nous n'avons jamais bénéficié d'autant d'atouts pour obtenir l'accord ambitieux que nous voulons. Vous pouvez compter sur la détermination de la Commission pour mener à bien ce processus afin de donner un signal au monde entier de notre capacité d'agir ensemble, unis pour des causes communes.

Paris ne représente qu'une étape. Il faudra s'attacher avec autant de détermination à la mise en oeuvre des droits. Là aussi, vous pouvez compter sur la détermination de la Commission européenne, qui est aussi la mienne.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Merci Monsieur le commissaire européen. Je donne la parole à Jérôme Bignon, président du groupe de travail sur les négociations climatiques, coauteur de la résolution adoptée hier à l'unanimité sur le rôle des territoires dans la lutte contre le dérèglement climatique, et coauteur du rapport sur le climat et l'outre-mer que vous avez mentionné.

M. Jérôme Bignon. - Merci Monsieur le commissaire de votre intervention. La réforme du marché du carbone menée par la Commission européenne est riche, mais complexe - si j'en juge par le visage de certains de mes collègues... Une note écrite nous permettra de mieux l'appréhender et de la promouvoir autour de nous.

Merci pour les propos que vous avez eus à l'égard de notre résolution. Il n'est pas fréquent que toutes les instances composant une assemblée parlementaire, commissions, délégations, et surtout groupes politiques parviennent à dépasser leurs intérêts pour aboutir à l'unanimité, non par un compromis mou, mais par un consensus solide sur des sujets aussi importants que le financement des actions en faveur du climat ou l'arrêt progressif des subventions aux énergies carbonées - 650 milliards de dollars par an. Pensez-vous que cette réduction, forcément progressive, doive être encouragée, et à quel rythme ? En toute hypothèse, préparer la COP21 implique du courage, de véritables efforts : il n'est pas facile de renoncer à chercher de nouveaux gisements ou à exploiter les gaz de schiste et d'encourager plutôt des investissements dont la rentabilité à court terme n'est pas apparente.

M. Ladislas Poniatowski. - Monsieur le commissaire, votre portefeuille comprend l'énergie et le climat : cette audition n'est donc pas cantonnée à la COP21... Vous avez rouvert le 7 octobre dernier le dossier du gazoduc entre la France et l'Espagne. Or, vous connaissez les réticences de la France. Je suis moi-même totalement opposé à ce projet de 3 milliards d'euros visant à doubler 1 000 kilomètres de gazoducs, bien au-delà du seul franchissement des Pyrénées et du Languedoc-Roussillon. Conscient de l'ampleur du projet, vous avez proposé de commencer par un premier tronçon franchissant les Pyrénées, pour 500 millions d'euros. Or, d'abord, il y a déjà deux gazoducs entre nos deux pays - dont un récent - qui répondent à tous nos besoins. Ensuite, réaliser une grosse canalisation débouchant dans des petites est absurde, ou indissociable des phases ultérieures du projet. En outre, l'énergéticien espagnol n'est même pas demandeur ! Enfin, votre argument sur l'apport pour l'Europe me semble mauvais. Pour assurer l'indépendance notamment des pays de l'Est de l'Europe vis-à-vis de la Russie, on nous dit qu'il faudrait organiser le transport du gaz d'Espagne vers ces pays via la France. Aucun besoin n'a été exprimé, et c'est peu dire que la distance est grande... Il y a déjà une très bonne liaison GNL entre le port de Barcelone et Fos-sur-Mer, qui satisfait pleinement la demande. Bref, est--e le moment de dépenser 3 milliards d'euros sur ce projet ? N'y a-t-il pas d'autres urgences dans le domaine énergétique ?

M. Jean Bizet, président. - Je m'associe à la question de Ladislas Poniatowski. Le 4 novembre dernier, au cours des seizièmes rencontres parlementaires de l'énergie, cette question a été clairement posée, et nous ne comprenons toujours pas votre position sur ce sujet.

M. Jean-Yves Leconte. - Beaucoup d'États membres, en particulier d'Europe centrale, acceptent les objectifs fixés pour 2020, pas ceux pour 2030. Faute de politique énergétique européenne, il est en effet difficile d'établir une position commune. Comment envisager d'aller plus loin à la conférence de Paris avec de telles divergences d'intérêts ?

Est-il raisonnable de négocier un traité transatlantique sans y intégrer le marché de carbone unique ?

Si l'Union européenne a diminué ses émissions tout en augmentant son PIB, c'est sans doute grâce à l'amélioration de son efficacité énergétique, mais aussi en raison des fuites de carbone ! Être vertueux tout seul, c'est se condamner à favoriser des concurrents qui ne s'imposent pas les mêmes normes... Envisage-t-on enfin de taxer la composante carbone des produits importés dans l'Union européenne ?

Mme Évelyne Didier. - Merci, Monsieur le commissaire, de votre présence.

Vous avez indiqué que la réforme du marché du carbone aurait lieu en janvier 2019 : la Commission européenne n'est donc pas très pressée... La chose est complexe, certes, mais nous semblons nous soucier davantage de la compétitivité à très court terme, celle des cours boursiers, que de celle à moyen et long terme. Ce marché est incertain, mis en place tardivement. Je m'étonne qu'aucune autre piste ne soit envisagée. Je doute enfin qu'il soit aussi facile de soumettre le carbone au jeu du marché dans les pays pauvres - où il représentera proportionnellement un coût plus lourd - qu'en Europe... Le mécanisme ne risque-t-il pas, en somme, de se révéler particulièrement inégalitaire ? N'y a-t-il pas d'autres outils, plus sûrs, à mettre en place ?

M. Roland Courteau. - Aider les pays en développement à s'équiper et à s'adapter aux conséquences du réchauffement climatique en débloquant 100 milliards d'euros par an n'est pas moins important que de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ces sommes seront-elles apportées, et quelle sera la part prise par l'Union européenne dans ce soutien financier ?

Je m'associe à la question posée par Jérôme Bignon sur la baisse des soutiens publics aux énergies fossiles, actuellement estimés à plusieurs centaines de milliards d'euros.

Où en est la proposition de taxe sur les transactions financières soutenue par onze États membres ? Quid d'une taxation spécifique des armateurs et des compagnies aériennes ?

La Commission européenne a mis le gouvernement français en demeure d'accélérer la mise en concurrence de ses concessions hydroélectriques. Or, la loi relative à la transition énergétique rend possible la création de sociétés d'économie mixte hydroélectrique associant un actionnaire public à un opérateur industriel, sélectionné à l'issue d'une procédure de mise en concurrence et qui a le contrôle opérationnel des installations. Ces installations, financées par les consommateurs français...

Mme Évelyne Didier. - Les citoyens français !

M. Roland Courteau. - ...appartiennent donc à notre patrimoine. Ce dispositif ne respecte-t-il pas le droit européen ?

M. Louis Nègre. - Merci, Monsieur le commissaire, d'être parmi nous ce soir.

Les résultats de la COP20, à laquelle j'avais assisté, n'avaient pas été à la hauteur de nos espérances. Nous comptons donc tous sur la COP21... Ma question est simple : êtes-vous optimiste sur son issue ? Si oui, pourquoi ?

M. Ronan Dantec. - L'Union européenne doit être à terme le plus grand continent équipé en énergies renouvelables. Les dispositifs financiers du plan de relance européen sont-ils adaptés à l'accompagnement de la transition énergétique ? Travaillez-vous avec la BCE et la BEI ? Quid du marché de capacité européen, élément-clé du dispositif final ? Le mécanisme proposé par la France n'avait pas suscité un fol enthousiasme...

Le marché des quotas d'émission a échoué pour le transport aérien, les Chinois ayant invoqué la notion de responsabilité commune, mais différenciée. Le transport reste une pierre d'achoppement dans les négociations, bien que son poids dans les émissions globales soit significatif. Que proposez-vous en la matière ?

M. Miguel Arias Cañete, commissaire européen chargé de l'action pour le climat et l'énergie. - Vos questions, très précises, reflètent une profonde connaissance des dossiers. Je vous en remercie.

Le Président Hollande l'a dit : l'accord sera contraignant ou ne sera pas. L'acceptation par certains États d'un accord contraignant se heurte parfois, c'est vrai, à des difficultés politiques internes, mais c'est aux pays concernés de présenter des alternatives crédibles. La majorité des parties à la COP21 s'accordent pour souhaiter la fixation d'objectifs contraignants. Nous avons un objectif à long terme, un système dynamique de révision ; reste à nous doter d'une méthodologie et d'un système de responsabilités clairs et transparents. Si les Américains ne sont pas d'accord, qu'ils nous expliquent comment faire autrement. Ce sera bien sûr l'un des aspects les plus difficiles de la négociation.

Suis-je optimiste ou pessimiste ? Cela dépend des jours ! À la pré-COP, je l'étais. Je l'étais encore en discutant avec le Brésil. Mais les débats du G20 m'ont rendu plutôt pessimiste. En parlant avec les ministres, je constate que les solutions sont à notre portée ; quand on entre dans le détail technique toutefois, j'ai le sentiment que nous faisons du sur-place. Nous avons certes un texte de 50 pages - 35 pour le protocole contraignant, 15 pour les décisions - mais seulement quatre jours de négociations techniques... Laurent Fabius a prévenu que le samedi 5 décembre au matin, le texte remis par les négociateurs devrait être prêt ; s'il n'est pas exploitable, la présidence française aurait un immense travail à faire. Je ne doute pas de ses capacités : nous avons de la chance que la COP21, à Paris, soit organisée par une administration puissante et une diplomatie efficace. Mais dans le système des Nations unies, un seul pays peut tout bloquer... Jadis lors d'une réunion à l'Organisation mondiale du commerce, je m'étais étonné que personne n'ait pensé à sonder la position de Cuba, pays que tout le monde imaginait trop petit pour bloquer la négociation : c'est pourtant ce qui arriva ! C'est presque un miracle que l'Union européenne ait adopté son compromis d'atténuation et son mandat de négociation à l'unanimité ! Côté européen, les choses ne marchent pas si mal...

Il faut limiter les subventions aux combustibles fossiles, c'est une évidence. Même en Amérique du Sud, certains gouvernements ont pris de difficiles décisions dans ce sens. Des objectifs de politiques sociales y font parfois obstacle, mais ce n'est plus compatible avec nos ambitions environnementales. La position de la Commission européenne est claire : il faut viser l'élimination progressive des énergies fossiles - ce qui ne se fera certes pas du jour au lendemain.

Monsieur Poniatowski, ma position dans le dossier de l'interconnexion n'est pas personnelle ! J'applique les politiques communautaires. J'ai ainsi l'obligation d'atteindre l'objectif d'interconnexion électrique de 10 % en 2020 et 15 % en 2030. Le problème se situe aussi dans les pays baltes, connectés au réseau russe plutôt qu'européen ; nous avons donc développé les interconnexions en Europe centrale, en Lituanie, en Pologne... Dans la péninsule ibérique, le taux d'interconnexion électrique et gazière n'est que de 3 %. Or le marché du gaz est en pleine évolution, mais la dépendance du continent est encore grande à l'égard de la Russie, qui utilise parfois le gaz comme arme politique, comme lorsqu'elle avait décidé de déplacer son gazoduc de l'Ukraine vers la Turquie. L'interconnexion européenne est devenue un enjeu majeur... pourvu de présenter un intérêt économique. Le projet Midi-Catalogne, ou Midcat, complète utilement l'interconnexion européenne et la relie à l'Algérie. La décision appartient aux opérateurs, non à la Commission, sur la base de l'intérêt économique et de la capacité financière ; mais nous devons atteindre les objectifs d'interconnexion de 10 % et de 15 %.

Nous allons développer une stratégie de l'énergie parce que le monde a changé. L'Australie arrive en force ; elle vient d'annoncer à l'Agence internationale de l'énergie son intention de commercialiser d'énormes quantités de gaz naturel liquéfié (GNL). Les Américains, dans le cadre de leurs négociations avec l'Union européenne, se déclarent prêts à augmenter leurs exportations de GNL. Les négociations sur le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) comporteront un chapitre « Énergie ».

Concernant l'emission trading system et le marché du carbone, le Parlement européen a décidé que le nouveau système entrera en vigueur au 1er janvier 2021, parallèlement à la deuxième phase de réduction des émissions.

L'étude d'impact est capitale pour comprendre la logique des équilibres à l'intérieur du nouveau système. Il faut aussi tenir compte des industries touchées. On peut soit établir un petit groupe recevant 100 % de droits d'émission gratuits et un autre qui ne les recevra pas, soit établir quatre groupes, mais la seconde solution privilégie les secteurs de l'acier et de l'aluminium. C'est un exercice complexe où le risque d'exposition aux intérêts des principales sociétés est fort. Aucun mécanisme n'est parfait, mais le nouveau système n'est pas une improvisation, il est au contraire le fruit d'une réflexion d'une année orientée vers une meilleure performance.

Ce système sera mis en oeuvre pendant dix ans, et les conséquences ne seront visibles qu'à la fin de cette période. Nous sommes soumis à des demandes contradictoires : certains prônent un marché du carbone performant et des prix volatils, d'autres une évolution plus souple pour laisser les nouvelles technologies se développer, notamment la séquestration du dioxyde de carbone, qui n'a pas encore de viabilité commerciale.

Sur les quotas d'émission du transport aérien, nous souhaitons renforcer la législation communautaire, mais nous avons aussi décidé d'attendre de savoir ce qui va se décider au plan international. Des mesures globales sont en cours de discussion pour 2016. Dans le domaine maritime, où les progrès sont plus lents, nous mettons en place un système de monitoring pour connaître les niveaux d'émission.

Aurons-nous un marché mondial du carbone ? En Chine, il est en cours de développement. Au sein des États-Unis, certains États, comme la Californie, sont bien plus avancés que d'autres.

Vous m'avez posé des questions sur les distorsions de concurrence qui pourraient naître de l'application d'une taxe carbone en Europe. Vous évoquez la possibilité de l'appliquer aux produits importés : mais comment déterminer le contenu en carbone des produits ? Il faut également respecter les règles du commerce international. Des rétorsions seraient à prévoir si nous mettions un tel dispositif en place...

Les concessions hydrauliques sont une question délicate. La Commission a ouvert en parallèle une procédure d'infraction aux règles de la concurrence et une procédure d'infraction au droit des marchés publics, avec des objectifs différents. La seconde concerne le cadre juridique applicable au renouvellement des concessions arrivées à terme ; la première, le maintien de la position dominante d'EDF. Les directions générales de la concurrence, des marchés intérieurs et de l'énergie sont parties prenantes. La France a deux mois pour répondre aux griefs formulés dans la lettre de mise en demeure envoyée par la direction de la concurrence. La Commission est prête à engager des discussions - nous n'aimons pas devoir saisir la Cour de justice. Mais nous devons faire appliquer la législation européenne, en l'occurrence les trois paquets « Énergie ».

Les moyens dont nous disposons nous sont apportés par les fonds structurels, la Connecting Europe facility et le plan Juncker. Ces instruments sont adaptés aux grands projets d'interconnexion, d'éolien offshore ou encore de photovoltaïque à grande échelle ; en revanche, les petits projets, notamment la rénovation de bâtiments, réclament de nouveaux instruments financiers, comme l'agrégation de projets, sur laquelle la France joue un rôle pionnier. Nous avons demandé à la Banque européenne d'investissement de développer des instruments d'agrégation de projets d'efficacité énergétique, première priorité de la Commission.

Le problème des capacités ne concerne pas seulement la France. La commissaire à la concurrence a lancé une étude sur onze pays afin de mettre en place un nouveau mécanisme de capacité harmonisé. La Commission doute que le mécanisme français, dans sa forme actuelle, soit compatible avec les lignes directrices et la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. En effet, les capacités étrangères ne peuvent y être intégrées ; il n'est pas précisé en quoi il faciliterait l'investissement ; enfin, il pourrait conforter une position dominante.

Nous estimons que le mécanisme de capacité doit être établi au niveau régional pour permettre l'émergence d'un véritable marché et éviter les distorsions. Un marché régional suppose notamment une interconnexion et des systèmes de formation des prix analogues entre les parties prenantes. L'idéal serait un mécanisme de capacité commun au niveau européen ; mais il convient de procéder par étapes, d'abord au niveau régional.

M. Jean Bizet, président. - Outre le climat, vous avez des attributions importantes en matière d'énergie. Or les dossiers difficiles - union économique et monétaire, migrants, terrorisme - s'accumulent, et je ne vois pas émerger une véritable Union de l'énergie. Dans la perspective du TTIP, il est vital que cette union voie le jour pour que nous redevenions compétitifs vis-à-vis d'autres acteurs, à commencer par les États-Unis. La réindustrialisation de l'Europe ne peut se concevoir autrement. Quel est votre avis à ce sujet ?

M. Miguel Arias Cañete, commissaire européen chargé de l'action pour le climat et l'énergie. - L'année 2015 a été compliquée avec la crise grecque, l'immigration, aujourd'hui le terrorisme qui ont capté l'attention des médias ; mais nous continuons à travailler sur les autres sujets.

Nommée en octobre 2014, la Commission a lancé dès février 2015 sa communication sur l'Union de l'énergie, assortie d'une liste de 48 mesures dont plus de la moitié seront mises en place avant la fin de l'année : market design de l'électricité, refonte de la législation communautaire sur le gaz, décarbonisation de l'économie, régulation des émissions de dioxyde de carbone par les voitures. Ce dernier dossier est particulièrement complexe.

Nous allons bientôt présenter un état des avancées dans ce domaine sous la forme d'une feuille de route. Les objectifs finaux sont un marché de l'énergie fonctionnel, des prix compétitifs vis-à-vis des États-Unis et de la Chine et des énergies plus respectueuses de l'environnement. Dans cette perspective, nous allons modifier les directives sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique, ainsi que les critères de performance des bâtiments et lancer un nouveau paquet sur l'énergie électrique. Tous ces changements sont orientés vers la création d'un marché plus intégré, à travers des prix régulés, un capacity market et un système d'appui aux énergies renouvelables.

La COP21 est un événement majeur et le moteur du changement de la matrice énergétique. La fusion, par le président Juncker, des directions générales énergie et climat est heureuse, car on ne peut mener de politique climatique sans politique énergétique. Mois après mois, vous verrez de nouveaux projets de législation arriver devant le Parlement européen.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - Nous avons particulièrement apprécié la qualité de votre expression en français. Vos propos m'inspirent deux réflexions. D'abord, la dépendance énergétique de l'Europe est particulièrement forte, la majorité de nos ressources venant d'ailleurs. Tout ce que nous ferons pour le climat aura des répercussions dans ce domaine. Ensuite, l'Europe doit à mon sens garder la tête haute, son bilan est éloquent, alors que sur les autres continents s'engage une course aux ressources fossiles. Lors de notre déplacement en Australie cet été, nous avons entendu le chef du gouvernement de l'époque affirmer que le charbon était plus propre que certaines énergies alternatives ! En Chine - malgré des efforts récents en matière d'énergie renouvelable, au demeurant orientés vers l'Europe - le charbon reste dominant. Et ne parlons pas des États-Unis.

N'ayons pas de complexes. Nous sommes la région du monde la plus vertueuse, et nous n'avons pas de leçons à recevoir de certains organismes et ONG qui montrent notre pays du doigt. En matière de lutte contre le dérèglement climatique, la France a une large part dans les résultats obtenus grâce à ses choix énergétiques, soutenus au fil des années par l'immense majorité des responsables politiques.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Vous vous êtes déclaré parfois optimiste, parfois pessimiste quant à un accord à la COP21 ; Jean Monnet, grand acteur de la construction européenne, se disait quant à lui ni optimiste ni pessimiste, mais déterminé. À l'évidence vous l'êtes, et nous aussi, pour obtenir un accord universel, ambitieux et contraignant. Cet objectif a recueilli l'unanimité dans l'hémicycle hier ; jamais la mobilisation n'a été aussi forte. N'imaginons pas, toutefois, que tout sera réglé à l'issue de la COP21. Beaucoup reste à faire pour contenir l'augmentation des températures en deçà de deux degrés.

M. Jean Bizet, président. - Je ne suis pas un environnementaliste de la première heure ; mais la raison l'a emporté sur les passions, et l'avenir ne se conçoit plus sans respect de l'environnement. Je ne crois pas non plus qu'il se conçoive à travers la décroissance. Le respect de l'environnement exige de la modération, mais aussi un effort de recherche et développement, compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres. J'invite la Commission à soutenir cet effort pour mieux répondre à l'enjeu. Je crois à l'émulation en la matière ; par ce biais, la Californie a une grande avance sur les autres États. Il faut y consacrer plus de moyens encore.

La réunion est levée à 19 heures 30.

Mercredi 18 novembre 2015

- Présidence de M. Rémy Pointereau, vice-président, puis de M. Hervé Maurey, président

Loi de finances pour 2016 - Crédits « Transports aériens » - Examen du rapport pour avis

La réunion est ouverte à 9h45.

M. Rémy Pointereau, vice-président. - Mes chers collègues, le président Hervé Maurey va nous rejoindre d'ici quelques minutes. Nous avons ce matin trois points à l'ordre du jour : l'examen du rapport pour avis de Nicole Bonnefoy sur les crédits « Transports aériens » du projet de loi de finances pour 2016 ; l'examen du rapport pour avis de Charles Revet sur les crédits « Transports maritimes » du projet de loi de finances pour 2016 ; enfin, le vote reporté sur trois rapports pour avis, à savoir l'avis « Transports ferroviaires et fluviaux » présenté par Louis Nègre, l'avis « Transports routiers » présenté par Jean-Yves Roux, et l'avis « Biodiversité - Transition énergétique » présenté par Jérôme Bignon.

En ce qui concerne le premier point, c'est la première fois que notre collègue Nicole Bonnefoy nous présente le budget « Transports aériens ». Elle succède à François Aubey qui avait fait ce travail l'année dernière. C'est un rapport aux multiples facettes puisqu'au-delà même des crédits budgétaires consacrés aux transports aériens, il permet chaque année de faire un point complet sur la situation du secteur et de ses principaux acteurs - constructeur, transporteur, gestionnaire d'infrastructures.

Notre commission y a consacré plusieurs de ses travaux cette année, notamment deux déplacements : un le 27 mai à ADP sur le site de Roissy-Charles de Gaulle et un le 18 juin au Salon du Bourget. L'actualité très récente nous a également conduits à entendre le président d'Air France-KLM, Alexandre de Juniac, il y a une dizaine de jours. Je cède donc la parole sans plus tarder à Nicole Bonnefoy pour la présentation de son rapport.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il me revient de vous présenter les crédits relatifs aux transports aériens pour l'année 2016, en ayant une pensée particulière pour François Aubey, qui s'était brillamment acquitté de cette tâche l'année dernière. Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion d'examiner à mon tour un domaine stratégique pour notre pays.

Rares sont les secteurs qui connaissent d'aussi solides perspectives de croissance au niveau mondial que l'aérien. Le trafic est tiré par les besoins de mobilité d'une classe moyenne émergente dans de nombreux pays. On estime généralement qu'il croît deux fois plus vite que le PIB. En 2014, ce trafic dépasse 6 000 milliards de passagers kilomètres transportés (PKT) au niveau mondial, contre 3 000 milliards en 2000, soit un doublement en quinze ans et un taux de croissance annuel moyen supérieur à 5 %. Sauf crise économique majeure, les projections restent favorables et la France possède des atouts incomparables pour capter cette croissance, grâce à son « triple A » : un grand constructeur d'avions, une grande compagnie nationale et le plus grand groupe aéroportuaire du monde.

Mais nous savons aussi que le pavillon français souffre, notamment de la concurrence déloyale des compagnies du Golfe persique. Les tensions chez Air France sont d'ailleurs très révélatrices des difficultés rencontrées. Nous savons aussi que les hubs européens voient leur position menacée par les plateformes du Moyen-Orient et de Turquie, qui jouissent d'une position stratégique. Les trois grands hubs du Golfe réalisent un volume de correspondances intercontinentales trois fois supérieur à celui des quatre grands hubs européens, alors qu'ils étaient équivalents en 2005. Nous savons enfin que notre industrie aéronautique continue d'enregistrer des succès, mais la pression concurrentielle est de plus en plus forte pour Airbus : les pays émergents sont sur le point de faire leur entrée par le bas de la gamme, tandis que les Américains soutiennent massivement leur constructeur Boeing.

Derrière les enjeux économiques, on mesure donc toute l'importance des ambitions étatiques et des rapports de force géopolitiques dans un secteur qui n'entre pas dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). C'est désormais au niveau européen qu'il faut une réaction forte : face à l'agressivité de nos concurrents, il n'est plus possible de se contenter d'une politique limitée au seul contrôle aérien dans le cadre du Ciel Unique. L'Europe doit parler d'une seule voix pour soutenir la compétitivité de nos compagnies, renforcer l'attractivité de nos hubs et défendre notre industrie aéronautique.

Ce n'est donc pas un hasard si, dans son programme de travail pour 2015, intitulé « Un nouvel élan », la Commission Juncker s'est fixé pour objectif de dynamiser la compétitivité du secteur de l'aviation. Elle prévoit d'ailleurs de présenter un nouveau train de mesures lors du Conseil Transports du 10 décembre. Les autorités néerlandaises ont d'ores et déjà clairement exprimé que l'examen de ce « paquet aviation » serait la priorité de leur présidence au premier semestre 2016.

Pour l'heure, il n'est pas certain que le « paquet aviation » intègre une proposition visant à modifier ou à remplacer le règlement de 2004 sur la protection contre les subventions et les pratiques tarifaires déloyales, afin d'élaborer un instrument plus efficace. C'est pourtant la position qu'ont défendue conjointement Alain Vidalies et son homologue allemand, le ministre Alexander Dobrindt, dans un courrier adressé à la Commissaire européenne chargée des transports, Violeta Bulc, en février 2015, puis devant leurs homologues européens lors du Conseil Transports du 13 mars 2015.

Il serait en effet plus que souhaitable que l'Europe se dote d'un outil réellement efficace et dissuasif, à l'image de l'instrument dont disposent les États-Unis avec le US International Air Transportation Competition Act. A fortiori, les trois rencontres qui ont eu lieu en novembre 2013, octobre 2014 et mai 2015 entre la Commission et les États du Golfe, sans la moindre avancée, laissent planer le doute sur la volonté réelle de ces États d'aller vers un fonctionnement plus transparent de leur secteur aérien. Je ne m'étends pas davantage car la commission des Affaires européennes examine demain un rapport sur ce sujet présenté par nos collègues Jean Bizet, Eric Bocquet, Claude Kern et Simon Sutour. Je ne puis que vous inviter à suivre attentivement ce dossier important dans les mois à venir.

Ces éléments de contexte étant posés, j'en viens à présent à l'analyse des crédits consacrés aux transports aériens dans notre budget pour 2016. Ces crédits figurent, d'une part, au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA) géré par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), d'autre part, au programme 203, dans les actions 11 et 14 relatives aux infrastructures de transport et au soutien des lignes pour l'aménagement du territoire.

En ce qui concerne le volet DGAC, ce PLF 2016 apporte de bonnes nouvelles. Par rapport à 2015, le dynamisme du trafic aérien permet une hausse globale de 1,1 % des recettes d'exploitation. Parallèlement, les économies de fonctionnement se poursuivent, conduisant à des dépenses d'exploitation en baisse de 1,7 %. Fait remarquable, les dépenses de personnel diminuent pour la première fois, dans le cadre d'un programme de réduction des effectifs de 100 ETP par an. Au total, le résultat d'exploitation est en forte hausse (+34 %) et atteint 199,7 millions d'euros (M€) contre 148,9 M€ en 2015.

L'autre point important du budget annexe 2016 est qu'il confirme la trajectoire de désendettement amorcée depuis 2015, avec une diminution de 107 M€ de l'encours de dette, soit -8,7 %, pour atteindre 1 117,2 M€. On retrouve ainsi un niveau proche de 2009. Pour rappel, le stock de dette avait augmenté de 75 % depuis 2005, pour atteindre 1,28 milliard d'euros (Md€) en 2014. La DGAC avait volontairement joué un rôle d'amortisseur au plus fort de la crise de 2009, en refusant d'augmenter le montant de ses redevances pour compenser la baisse du trafic, afin de ne pas pénaliser davantage nos compagnies aériennes. Il est donc positif que cette gestion conjoncturelle de la dette fonctionne. Il reste maintenant à profiter du haut de cycle pour reconstituer davantage de marges de manoeuvre et éventuellement apurer le stock de dette consécutif à la privatisation d'Aéroports de Paris en 2005-2006.

J'en viens à présent au second volet, qui concerne le programme 203 relatif aux infrastructures et services de transports. Le montant des crédits est beaucoup plus faible puisqu'il s'établit à 17 M€ en autorisations d'engagement et 13 M€ en crédits de paiement. Par rapport à 2015, leur forte hausse s'explique essentiellement par le début des travaux de rénovation de la piste de l'aérodrome de Saint-Pierre Pointe-Blanche. Par ailleurs, une dépense de 4,5 M€ a également été provisionnée, pour prendre acte du rejet des recours intentés et de la reprise des travaux à Notre-Dame-des-Landes, annoncée le 30 octobre dernier.

Enfin, les crédits consacrés aux lignes d'aménagement du territoire (LAT), après avoir atteint un point bas en 2015, sont en hausse de 8% en 2015. Cela traduit un soutien ponctuel de l'État à la ligne Rodez-Paris, à hauteur d'un million d'euros, alors que dans l'ensemble les crédits continuent de diminuer. L'objectif reste bien de concentrer le soutien aux liaisons aériennes en métropole sur les destinations les plus enclavées : Aurillac-Paris, Le Puy-Paris, Brive-Paris et Rodez-Paris.

J'en ai terminé avec la partie budgétaire à proprement parler, et je vous propose à présent de tracer quelques perspectives d'ordre général sur le secteur aérien.

Je ne reviens pas sur la situation d'Air France, que le PDG Alexandre de Juniac nous a longuement présentée il y a deux semaines. J'espère que l'on pourra sortir par le haut de ce dialogue difficile autour de la compétitivité interne, en évitant la mise en oeuvre du « plan B » pour 2017. L'attrition des personnels et des destinations desservies serait en effet une bien mauvaise nouvelle, dans un domaine où la connectivité constitue le facteur-clé de succès d'une compagnie de hub. Le groupe dispose du deuxième réseau intercontinental au monde, il faut s'efforcer de préserver cet actif inestimable.

Plus globalement, nous savons que la part de marché du pavillon français recule chaque année et n'est plus que de 43,7 % en 2015 contre 48,7 % en 2009 pour le nombre de passagers. D'ailleurs en 2014, le nombre de passagers transportés par le pavillon français connaît sa première baisse depuis 2010 pour atteindre 63,1 millions, soit à peine 2 % de plus qu'en 2008.

Le rapport de Bruno Le Roux, remis au Premier Ministre le 3 novembre 2014, avait dressé plusieurs pistes pour soutenir la compétitivité externe de notre pavillon, en particulier en ce qui concerne l'optimisation du coin fiscalo-social. Pour l'heure, seule l'exonération de la taxe d'aviation civile (TAC) pour les passagers en correspondance a été mise en oeuvre, laissant en suspens deux autres sujets majeurs pour la compétitivité de notre pavillon.

Le premier consiste à faire évoluer l'assiette de la taxe de solidarité dite « taxe Chirac », prélevée sur les billets d'avion pour financer l'aide aux pays pauvres. La France est le seul pays d'Europe à l'avoir adoptée et apporte plus de 90% du financement d'Unitaid, soit 200 millions d'euros par an, dont 70 millions pour la seule compagnie Air France. Le rapport Le Roux a proposé d'asseoir cette taxe sur une toute autre assiette, celle de la grande distribution. L'idée a bien été retenue l'année dernière, puisque l'on a majoré la taxe sur les surfaces commerciales, mais uniquement pour compenser l'effet d'aubaine du CICE, et non pour élargir l'assiette de la taxe Chirac.

Le second sujet consiste à maîtriser le poids de la taxe d'aéroport, due par toute entreprise de transport aérien, pour financer les missions de sécurité. Dans de nombreux pays, les autorités publiques contribuent au financement de ces missions. La sûreté du transport aérien ne concerne pas que les passagers mais l'ensemble des citoyens, comme l'ont malheureusement illustré les attentats du 11 septembre 2001. Alors que de nombreux investissements sont à prévoir, à la fois en raison du contexte actuel et des réglementations européennes, le rapport recommande que l'État contribue à leur financement. Cette piste se heurte cependant à la contrainte budgétaire.

En tout état de cause, si ces propositions méritent d'être examinées, il convient de garder à l'esprit que le soutien de la puissance publique constitue bien un accompagnement, et non un préalable ou un substitut aux efforts de compétitivité interne des compagnies aériennes.

En attendant, il est de notre responsabilité de continuer à freiner l'octroi de nouveaux droits de trafic aux pays du Golfe, afin de limiter l'impact du dumping dont elles bénéficient. Dans leur étude « Fair Skies » de mars 2015, les trois plus grandes compagnies américaines (American Airlines, Delta Airlines et United Airlines) viennent d'ailleurs de chiffrer à 42 milliards de dollars le montant des aides dont Emirates, Etihad Airways et Qatar Airways auraient bénéficié en dix ans. Elles ont également demandé au gouvernement américain de revoir les accords de ciel ouvert conclus par les États-Unis avec les États du Golfe. La France et l'Allemagne sont parmi les rares pays de l'Union européenne à disposer encore d'une réserve de droits de trafic intéressants pour les pays du Golfe, nous devons donc impérativement conserver ce levier de négociation. La crédibilité de cette stratégie est confortée par le récent engagement du sultanat d'Oman auprès de la France : une clause de concurrence loyale entre transporteurs aériens a pu être intégrée dans l'accord entre nos deux pays.

Un mot à présent sur les aéroports. Je commence par Aéroports de Paris (ADP) qui continue à afficher d'excellents résultats et une situation financière solide. Je ne rentre pas dans le détail des chiffres, mais un indicateur est particulièrement révélateur : entre janvier 2014 et novembre 2015, le cours d'ADP est passé de 80 à 115 euros environ, soit une hausse de 40 % alors que le CAC40 n'a progressé que de 16% sur la même période. Sa capitalisation boursière avoisine désormais les 11,5 milliards d'euros (Mds€), alors qu'elle était de 5,8 Mds€ en novembre 2012. Le climat social est relativement bon, en dépit de l'annonce d'un gel des rémunérations pour la première fois en 2015, afin que la situation du personnel ne soit pas totalement décorrélée de celle d'Air France, pour deux populations qui cohabitent quotidiennement.

La principale actualité pour ADP est le renouvellement de son contrat de régulation économique, le CRE3, pour la période 2016-2020. Il existe un débat avec les compagnies aériennes sur le montant des plafonds retenus pour l'évolution des redevances aéroportuaires. Le Gouvernement a fixé cette évolution au milieu du gué, sur la base d'une évaluation du coût du capital à 5,4 %, alors que la Commission consultative aéroportuaire (Cocoaéro) l'a estimé à moins de 5%. Les compagnies ont porté plainte auprès de la Commission européenne, pour non-respect du principe d'indépendance de l'autorité chargée de cette évaluation. Au-delà de ces considérations juridiques, je pense que l'équilibre retenu est au final satisfaisant pour les compagnies, Alexandre de Juniac l'a d'ailleurs reconnu à demi-mots la semaine dernière. En effet, le CRE3 et le plan Connect 2020 d'ADP prévoient un programme d'investissement sans précédent, à hauteur de 3 milliards d'euros sur le périmètre régulé et de 4,6 milliards d'euros pour l'ensemble d'ADP.

Investir dans le hub parisien est en effet devenu une nécessité, tant la concurrence est féroce avec les autres plateformes. Je pense bien sûr à Amsterdam, Londres et Francfort, mais surtout aux hubs du Golfe persique et à Istanbul, car ils sont idéalement positionnés. À ce sujet, le Gouvernement turc a confirmé que le nouvel aéroport d'Istanbul sera opérationnel au premier trimestre 2018, grâce à deux pistes d'atterrissage et un terminal. Les travaux se poursuivront progressivement afin de porter sa capacité à terme à 150 millions de passagers annuels, alors que Turkish Airlines poursuit son expansion.

Je reviens rapidement sur les privatisations des aéroports régionaux. En ce qui concerne Toulouse-Blagnac, la cession de 49,99 % de la société gestionnaire a été effectuée au profit du consortium chinois Symbiose en avril 2015, pour un montant de 308 millions d'euros. L'opération transite par une société de droit français CASIL Europe, dont le président Mike Poon a mystérieusement disparu au mois de juin 2015, sur fond d'accusations de corruption. Une lettre de démission a été reçue au mois de septembre par Anne-Marie Idrac, présidente du Conseil de surveillance. Globalement, l'objectif affiché par les nouveaux investisseurs est de faire de Toulouse-Blagnac un hub destiné aux compagnies chinoises pour acheminer les touristes vers le sud de la France et le sud de l'Europe. Leur ambition est de tripler le trafic passagers de 7,5 millions aujourd'hui à 18 millions à l'horizon 2046.

Après cette opération, l'État travaille désormais à la privatisation des aéroports de Nice (11,6 millions de passagers en 2014) et Lyon (8,4 millions de passagers), respectivement troisième et quatrième aéroports français (derrière Roissy - Charles de Gaulle et Orly). Les valorisations pourraient atteindre respectivement 1,5 milliard et 900 millions d'euros. Comme à Toulouse, l'État conserverait la propriété des terrains, des bâtiments et la régulation de l'activité. Ces privatisations concernent donc bien les sociétés d'exploitation, mais l'infrastructure demeure publique. Une concertation a actuellement lieu avec les collectivités locales, et nous en avons sécurisé le cadre juridique dans la loi Macron.

Sans m'y opposer par principe, je m'interroge cependant sur l'opportunité de multiplier les privatisations d'aéroports, qui sont des monopoles naturels. Prenons garde à ne pas commettre, dans l'urgence dictée par la contrainte budgétaire, les mêmes erreurs qu'avec les concessions autoroutières.

Je passe à présent aux petits aéroports, avec le sujet sensible des lignes directrices sur les aides d'État qui ont été publiées le 4 avril 2014, après plus de deux ans de débats intenses. La DGAC estime qu'une quarantaine d'aéroports de plus de 10 000 passagers commerciaux perçoit des aides et peu l'ont notifié : ces aéroports sont donc pour la plupart dans l'illégalité au regard du droit communautaire. 23 d'entre eux sont toujours sous le coup d'une plainte déposée par Air France en raison des avantages accordés à la compagnie Ryanair sur 27 aéroports français.

Dans ce contexte, la Commission européenne a prononcé en juillet 2014, pour la première fois, des condamnations à remboursement à propos des aéroports de Pau, Nîmes et Angoulême, auxquels les compagnies Ryanair et Transavia doivent rembourser près de 10 millions d'euros au total. Le 27 juillet 2015, la Commission a d'ailleurs traduit la France devant la Cour de Justice de l'Union européenne pour n'avoir pas encore récupéré ces aides. En tant que présidente du Syndicat mixte des aéroports de Charente de 2011 à 2015, j'ai directement été confrontée à ce sujet, et je ne puis que vous inciter à suivre attentivement ce dossier dans les années à venir.

Une bonne nouvelle vient tout de même de l'approbation de trois régimes cadres nationaux d'aide à l'investissement, à l'exploitation et au démarrage, par la Commission le 8 avril 2015 : ils devraient faciliter les échanges et écourter les délais d'approbation pour les aéroports qui y sont éligibles ; ils fournissent également un canevas-type de présentation des dossiers pour la notification.

J'aborde à présent la question de notre industrie aéronautique, dont les carnets de commande ne désemplissent pas. L'année écoulée est notamment marquée par les premières livraisons de l'A350, un salon du Bourget réussi, et une baisse de l'euro qui, moyennant la dégressivité des couvertures de change, devrait produire pleinement ses effets à partir de 2017. Il faut savoir que pour chaque dixième de dollar de dépréciation de l'euro, Airbus améliore son résultat d'un milliard.

Le principal enjeu pour l'ensemble de la filière est de trouver du personnel qualifié, dans un secteur qui recrute 15 000 personnes en 2015. Nous l'avons vu au Bourget, dans certains métiers comme l'ajustage, l'usinage, le soudage ou la chaudronnerie, les emplois sont hélas difficiles à pourvoir : d'un côté, les spécificités du secteur requièrent un degré élevé d'exigence en termes de savoir-faire manuel, de méthodologie et de rigueur ; de l'autre, le niveau des jeunes sortant du système éducatif dans les formations mécaniques de base est jugé insuffisant par beaucoup d'entreprises.

Un important effort de formation professionnelle et de valorisation de ces métiers est donc à mener. Une expérimentation de parcours partagés d'apprentissage (PPA) est conduite actuellement dans le cadre du Comité stratégique de la filière (CSF) aéronautique : cette initiative permet de créer une mobilité interentreprises entre grands groupes et PME de la filière en co-formant des apprentis. Aujourd'hui près 170 parcours ont été initiés sur un objectif de 300, impliquant 64 fournisseurs. En parallèle, un travail est mené pour mettre en place des passerelles avec la filière automobile.

Concernant le paysage concurrentiel de notre industrie aéronautique, les premiers modèles concurrents d'Airbus et Boeing sur le court-courrier (A320 et B737) devraient bientôt apparaître sur le marché. Il s'agit notamment du C919 du chinois COMAC, qui doit effectuer son premier vol en 2016 pour une mise en service entre 2018 et 2020, ainsi que du MS21 du russe UAC qui suit peu ou prou le même calendrier. Cette concurrence émergente est prise au sérieux, et Airbus préfère pour le moment remotoriser l'A320 pour se laisser le temps de développer une prochaine génération d'aéronefs, qui offrira davantage de ruptures technologiques et contribuera ainsi à garder la concurrence à distance. En ce qui concerne les avions long-courriers, la concurrence mettra plus de temps à émerger mais Russes et Chinois se sont d'ores et déjà alliés pour essayer de mettre au point ensemble un programme gros porteur.

Pour l'heure, le véritable problème reste le soutien massif accordé par le gouvernement américain à Boeing. Ce sont ainsi 8,7 milliards de dollars d'avantages fiscaux qui sont accordés par le seul État de Washington au constructeur, pour l'inciter à produire le prochain B777X, dont la mise en service est prévue à l'horizon 2020 : cette somme est jugée supérieure au coût total de développement du programme !

Notons également que la Federal Aviation Administration (FAA) utilise régulièrement son pouvoir normatif pour freiner la pénétration du marché américain par Airbus en retardant la certification des nouveaux modèles pour des motifs techniques, par exemple le bruit ou la taille des pistes pour l'A380. L'impact de cette politique est d'autant plus dommageable que les États-Unis servent souvent de référence pour l'édiction des standards internationaux. Je regrette que l'Agence européenne de sécurité aérienne (EASA) ne poursuive pas le même objectif de soutien à la filière. J'espère que la révision du règlement de 2008, dans le cadre du « paquet aviation » sera l'occasion de corriger cette asymétrie.

Pour finir, j'attire votre attention sur deux enjeux relatifs au contrôle aérien. Le premier concerne la multiplication des drones, un marché qui a pu se développer en France grâce à une réglementation innovante publiée en avril 2012, et qui nous a permis d'acquérir une réelle avance dans ce domaine. La filière représente aujourd'hui 40 constructeurs, 5 000 emplois, 150 organismes de formation et connaît un véritable essor. L'EASA devrait publier, d'ici la fin de l'année, une opinion technique qui servira de base à une future réglementation européenne. L'acceptabilité des drones a été ternie par les survols illicites de sites sensibles au cours de l'hiver 2014-2015 : ce phénomène ne doit pas être surestimé mais est bel et bien réel, et représente une préoccupation importante pour les pouvoirs publics, d'ailleurs partagée par de nombreux gouvernements étrangers. Les magistrats ont de fait tendance à être de plus en plus sévères dans le traitement des dossiers « drones ».

Un autre sujet pose quelques problèmes à la DGAC. Il s'agit de l'essor d'initiatives de coavionnage, depuis le début de l'année 2015, sur le modèle de BlaBlaCar ou Uber. Il s'avère que la conformité de ce type d'activité avec la réglementation en vigueur et son classement en transport privé ou en transport public sont délicats à apprécier. Le problème majeur est celui de la sécurité : soumettre un pilote amateur à une pression économique (arriver à l'heure à un endroit précis) pourrait le conduire à effectuer de mauvais choix, notamment au regard de l'appréciation des conditions météorologiques. Il n'est d'ailleurs pas garanti qu'un assureur accepterait d'intervenir en cas d'accident.

Au niveau international, seule la Federal Aviation Administration (FAA) américaine s'est prononcée récemment en défaveur du « flight sharing ». A ce stade, la DGAC envisage surtout de freiner le coavionnage amateur pour favoriser le coavionnage professionnel, dans la mesure où l'expérience du pilote constitue le seul gage tangible de sécurité. Elle a d'ailleurs mis en place un groupe de travail en octobre 2015, auquel la Fédération Française Aéronautique, représentant les aéroclubs, et les porteurs de projets de coavionnage sont associés.

Enfin, à quelques jours de la COP21, je ne résiste pas à l'envie de vous donner quelques éléments d'actualité sur l'avion électrique, qui vole dans le sillage de Louis Blériot et Charles Lindberg. Premier point, l'E-Fan d'Airbus, dont nous avions parlé l'année dernière, a traversé la Manche le 10 juillet 2015. Pour rappel, il s'agit d'un biplace propulsé par deux moteurs électriques alimentés par des batteries lithium-ion. Pour Airbus, il s'agit d'une première étape dans la production de générations successives d'avions électriques de taille croissante, jusqu'à la construction d'un avion régional, capable de transporter une centaine de personnes, à l'horizon 2030.

Second point, la fondation Océan Vital créée par le navigateur Raphaël Dinelli, envisage de réaliser en juin 2016 un vol transatlantique sans escale et sans empreinte carbone, au moyen d'un biplan décalé à propulsion hybride solaire et bioénergie (25 % de solaire environ), baptisé Eraole. L'énergie solaire sera récoltée par des cellules photovoltaïques disposées sur les ailes et stockée dans des batteries lithium-ion, tandis que la bioénergie sera produite en utilisant un biocarburant élaboré à base de micro-algues. Les premiers vols d'essais pourraient avoir lieu depuis la base de Creil au mois de décembre prochain et l'avion devrait être présenté lors de la COP 21.

Il y aurait encore bien des sujets à aborder, mais pour le moment, au vu des éléments que je viens de vous présenter, et notamment de l'amélioration du budget de la DGAC, je vous propose un avis favorable à l'adoption de ces crédits. Je vous remercie.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie pour cette présentation intéressante et détaillée, qui va bien au-delà d'une simple analyse budgétaire.

Je vous prie d'excuser mon retard mais j'assistais à une réunion du comité de pilotage de la COP21, seul moment malheureusement où le Parlement est associé à l'organisation de cet événement, raison pour laquelle je tenais à y participer.

Comme vous, j'ai constaté avec étonnement au Salon du Bourget, que la filière aéronautique avait du mal à recruter, alors que ce sont de très beaux métiers avec une rémunération attractive. Gérard Miquel, qui sait vendre l'aéronautique française à l'étranger, ne me démentira pas !

M. Charles Revet. - Ce rapport très complet montre bien que dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, notre pays est à un tournant. Nous allons devoir être très attentifs pour ne pas perdre de parts de marché.

Je me pose deux questions. Existe-t-il, à l'instar du registre international français en matière maritime, un dispositif d'allègement de charges pour améliorer la compétitivité du transport aérien ? Comment sont gérées les arrière-pensées géopolitiques, telle la stratégie chinoise à Toulouse, dans le cadre des privatisations d'aéroports ?

M. Jean Bizet. - Je regrette, comme la rapporteure, la lenteur des instances communautaires en matière de lutte contre la concurrence déloyale dans ce secteur. Nous devons plaider, ce sera l'une des conclusions du rapport que je présenterai demain, pour que le transport aérien relève de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), afin de pouvoir renvoyer certains régimes d'aides devant l'Organisme de règlement des différends (ORD).

Je considère également que la sécurisation des aéroports est une mission régalienne de l'État, qui ne peut être intégralement à la charge des compagnies aériennes. Nous devrons trouver un équilibre avec le Gouvernement sur ce point.

En ce qui concerne la taxe Chirac, elle part d'un très bon sentiment, et personne ne souhaite revenir dessus. Mais nous devons faire évoluer son assiette, car il n'est pas juste de la faire peser uniquement sur les compagnies aériennes françaises, au premier rang desquelles Air France.

À ce propos, je tiens à souligner que l'amélioration de la situation financière de l'entreprise est due à des raisons purement conjoncturelles. Il y a toujours un différentiel de coût de 25 % pour les pilotes par rapport à la concurrence.

Dans le cadre de l'examen du PLFSS, j'ai déposé un amendement visant à créer un régime sectoriel d'exonérations de charges. Je sais bien que ce n'est pas dans l'air du temps, mais Bruno Le Roux a fait pareil à l'Assemblée nationale. L'amendement n'a pas été adopté, mais le ministre a eu tort de dire qu'il n'est pas euro-compatible, car Alitalia a bénéficié d'une mesure similaire. En revanche, je suis d'accord avec le fait que les pilotes doivent d'abord faire des efforts, avant d'envisager un accompagnement par la puissance publique.

Quoiqu'il en soit, nous arrivons à un moment crucial, je sens que le ministre est honnête dans sa réflexion et prêt à avancer sur ce dossier. Je ne saurais que trop recommander aux pilotes de faire un effort. Ayons aussi à l'esprit qu'Air France, ce n'est pas seulement une compagnie qui transporte des passagers, c'est une marque qui véhicule l'image de la France, son nom et son renom !

M. Jean-Jacques Filleul. - Je remercie Nicole Bonnefoy pour son rapport, il est intéressant de pouvoir faire le point sur le secteur aérien au moins une fois par an. Je me félicite de l'évolution positive du budget de la DGAC.

En ce qui concerne les drones civils, je tiens à souligner la qualité de la filière française. Notre réglementation est très différente de celle de nombreux pays. En particulier, les États-Unis où il n'y a tout simplement pas de réglementation, ce qui explique que beaucoup d'entreprises françaises font le choix de s'y implanter. Nous devons donc conserver un regard particulier sur l'évolution de ce marché appelé à croître fortement dans les années à venir. N'oublions pas que les drones vont remplacer beaucoup de métiers, comme les géomètres, les arpenteurs...

Au sujet des aéroports régionaux, je n'aime guère le terme de « privatisation ». Les cessions de parts ne concernent que les sociétés d'exploitation, et pour Toulouse elles sont inférieures à 50 % du capital pour le moment. Je crois d'ailleurs que les autorités concernées sont à la recherche d'un nouveau partenaire, après la disparition du dirigeant chinois accusé de corruption.

M. Alain Fouché. - Il faut quand même savoir que la DGAC est l'administration la plus dure de toute l'Europe. Elle a littéralement tué l'aviation civile, en imposant beaucoup trop de contraintes.

En ce qui concerne les aides d'État aux aéroports régionaux, le problème vient au départ du fait qu'Air France ne veut plus desservir certaines destinations de province. Les collectivités se tournent vers d'autres opérateurs, comme Ryanair, et apportent des subventions pour équilibrer le modèle économique. Il faut bien garder à l'esprit que derrière les questions de transport, il y a des enjeux d'emplois et d'économie touristique. Je veux bien que l'on évoque les contraintes du droit européen, mais que doit-on faire concrètement ?

M. Guillaume Arnell. - Il serait intéressant de se pencher sur la question de la desserte aérienne de l'outre-mer, sans pour autant rentrer nécessairement dans le détail des spécificités propres à chaque territoire, mais d'en faire une analyse globale. Il s'agit d'un sujet complexe, qui n'est malheureusement pas évoqué lors de l'examen des crédits dédiés à l'outre-mer.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis. - Je vous remercie pour l'ensemble de vos remarques.

Comme le président Hervé Maurey, j'ai été particulièrement sensibilisée aux difficultés de recrutements de la filière aéronautique, qui ne parvient pas à attirer nos jeunes alors qu'il s'agit d'une importante source d'emploi. Nous avons encore des progrès à faire en matière d'accompagnement et de formation.

En ce qui concerne les interrogations de Charles Revet sur d'éventuels allègements de charges, Jean Bizet a parfaitement dressé l'état des lieux des réflexions menées à ce stade. Même si l'amendement qu'il a déposé doit encore être travaillé, il s'agit de l'une des recommandations du rapport Le Roux, au même titre que le financement de la sécurité des aéroports ou l'élargissement de l'assiette de la taxe Chirac. Nous devons donc continuer à suivre ce sujet dans les mois à venir.

À propos de la privatisation des aéroports, il est légitime d'être prudent pour ne pas commettre les mêmes erreurs qu'avec les concessions autoroutières. J'insiste bien sur le fait que l'on ne privatise que la société d'exploitation, et non l'infrastructure elle-même.

Enfin, pour répondre à la question d'Alain Fouché sur les aides d'État aux aéroports régionaux, je rappelle que trois régimes-cadres nationaux ont été approuvés par la Commission européenne cet été : c'est dans ce cadre que les collectivités qui le souhaitent pourront intervenir pour apporter leur soutien. Je sais à quel point ce sujet est délicat, j'ai pour ma part été confrontée au contentieux avec Ryanair au sujet de l'aéroport d'Angoulême. Il y a des avancées, et l'aboutissement des procédures en cours apportera sûrement des éclairages supplémentaires.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Transports aériens » du projet de loi de finances pour 2016.

Loi de finances pour 2016 - Crédits « Transports maritimes » - Examen du rapport pour avis

M. Hervé Maurey, président. - Le deuxième point à l'ordre du jour concerne l'examen du rapport pour avis de Charles Revet sur les crédits « Transports maritimes », un secteur qu'il suit depuis longtemps.

Il nous rappelle souvent à quel point notre pays a la chance de disposer d'immenses atouts dans le domaine maritime, que ce soit en métropole ou outre-mer, un secteur très porteur, notamment dans le domaine du développement durable.

Mais il exprime aussi le sentiment, que nous partageons, que nous ne valorisons pas assez ces atouts. Nous connaissons bien sûr certains freins liés aux conditions de notre pavillon national, mais il y a aussi d'autres difficultés. Je laisse à Charles Revet le soin de nous en dire davantage, et notamment de préciser si les crédits prévus pour 2016 permettront d'améliorer la situation.

M. Charles Revet, rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il me revient de vous présenter cette année encore les crédits relatifs aux transports maritimes et je vous remercie pour cette marque de confiance. Ces crédits relèvent de deux programmes de la mission « Écologie » dans le projet de loi de finances pour 2016.

Les crédits « sécurité et affaires maritimes » du programme 205 connaissent une diminution de 4 % et s'élèvent à 136 millions d'euros. Cette érosion est principalement due à deux phénomènes bien identifiés : d'une part, la fin de la construction des nouveaux locaux de l'École nationale supérieure maritime (ENSM) au Havre, d'autre part, une baisse du montant des exonérations de charges en raison de perspectives d'emploi dégradées dans la branche « ferries ». Il s'agit de la conséquence directe des difficultés de la SNCM et de MyFerryLink.

Je vous rappelle en effet, que près de la moitié des crédits de ce volet compensent les exonérations de charges patronales pour l'emploi de marins français sur les navires inscrits au registre international français, afin de soutenir la compétitivité de notre flotte. Or si le pavillon français comporte de moins en moins de navires, il y a de moins en moins de marins, et donc de moins en moins d'exonérations de charges sociales. Ce malthusianisme permet certes de réaliser des économies dans le budget de l'État, mais certainement pas de renouer avec la croissance et l'emploi. Il est déplorable que l'on se contente de réduire les crédits chaque année, comme un aveu d'échec. Ces exonérations de charges devraient au contraire être redéployées pour servir d'instrument à destination d'une politique volontariste de développement de notre flotte commerciale. J'y reviendrai.

Pour le reste de ce volet, 20 % des crédits sont affectés aux moyens techniques de la sécurité maritime, 20 % à la formation et au soutien à l'emploi, et les 10 % restants alimentent des mesures techniques de soutien au programme. Les montants sont relativement stables et n'appellent pas de commentaire particulier.

Puisque la sécurité est l'une des missions principales de la direction des affaires maritimes, j'en profite simplement pour rappeler l'importance de l'accidentologie en mer. Je propose depuis de nombreuses années que l'on équipe l'ensemble des marins de balises de détresse, pour les localiser plus facilement lorsqu'ils passent par-dessus bord. J'ai conscience qu'il est déjà difficile de faire accepter le port du gilet de sauvetage, dont l'encombrement gêne le travail sur le navire. Mais une balise de détresse ne souffre pas du même inconvénient et présente un intérêt évident lorsque l'on sait que le temps est le facteur déterminant pour sauver une vie.

J'en viens maintenant aux crédits du programme 203 relatif aux « infrastructures et services de transport ». De façon schématique, il s'agit, pour une grosse moitié des crédits, de financer l'entretien des grands ports maritimes, à hauteur de 46 millions d'euros en 2016. Concrètement, ces crédits sont destinés au dragage des ports, dont les coûts ne cessent d'augmenter au fil des années. Or l'État ne prend à sa charge qu'environ la moitié de ces coûts, alors qu'il devrait les supporter en totalité, et cette part est en diminution constante. La Cour des comptes a d'ailleurs dénoncé ce désengagement dans un rapport sur la gestion du GIE Dragages-Ports publié le 6 octobre 2014. Faut-il rappeler que le bon dragage des sédiments est une condition essentielle de la survie de nos ports ? Rouen perdrait 30% de son trafic avec une profondeur inférieure à 10 mètres, tandis qu'à Dunkerque les navires avec un tirant d'eau de plus de 14 mètres représentent entre 40 et 50 % du trafic. Il est donc indispensable d'ôter régulièrement les dépôts de sédiments dans les voies d'accès.

L'autre moitié des crédits de ce volet sert quant à elle au développement des infrastructures grâce à des fonds de concours de l'AFITF, à hauteur de 60 millions d'euros de crédits de paiement, correspondant essentiellement au volet portuaire des contrats de plan État-Région (CPER) 2015-2020 et à un résidu du plan de relance portuaire.

Au total, lorsque l'on regarde l'ensemble de ces crédits et leur évolution à long terme, on voit qu'ils ne font qu'accompagner lentement le déclin de notre flotte et de nos ports. Certes, le budget de l'État est contraint. Mais à l'heure où l'on souhaite cibler des secteurs d'avenir, à l'heure où le monde entier fait le pari de la croissance bleue, nous faisons le choix délibéré de mépriser la mer.

Cela apparaît clairement dans le document de politique transversale consacré à la politique maritime de la France, que nous avons réclamé pendant de nombreuses années, est présenté pour la première fois au Parlement, à l'occasion de ce PLF 2016. Il nous permet d'avoir une vision consolidée de l'ensemble des crédits relatifs au monde maritime. Que révèle-t-il ? Le montant total de ces crédits s'élève à 1,8 milliard d'euros tous ministères confondus, c'est-à-dire moins d'un dixième de point de PIB ! Ce n'est clairement pas à la hauteur pour un pays qui possède la deuxième zone économique maritime mondiale, avec une superficie maritime supérieure à la superficie terrestre de l'Europe entière.

D'autant que le montant affiché est probablement surévalué, puisqu'en l'absence de comptabilité analytique, la contribution détaillée de chaque programme n'apparaît pas. Par exemple, les actions 11 et 14 du programme 203 relatif aux infrastructures et services de transport sont comptabilisées à hauteur de 117,6 millions d'euros (M€), alors qu'en réalité seulement 51,3 M€ concernent réellement la politique maritime.

Autre problème, les doublons qui consistent à affecter les mêmes crédits à plusieurs politiques transversales différentes, ce qui conduit à une surévaluation de l'effort global. Par exemple, les actions 2 et 8 du programme 162 relatif aux interventions territoriales de l'État sont comptabilisées à la fois dans le document de politique transversale relatif à l'aménagement du territoire et dans celui-ci.

En outre, on observe une prépondérance du régime spécial de sécurité sociale et de retraite des gens de mer, qui compte pour 46 % du budget de la politique maritime de la France ! Or de plus en plus d'entreprises considèrent qu'il n'est plus adapté. Il s'agit certes d'un marqueur identitaire de la profession, mais un rapprochement avec le régime général serait une mesure de bon sens, d'autant plus que l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM) manque d'appui et d'expertise pour assurer correctement ses missions.

Au total, je salue l'existence de ce nouveau document de politique transversale, qui permettra peut-être d'objectiver le constat dramatique que je dresse depuis de nombreuses années : la France n'a tout simplement pas de politique maritime. Ce n'est pas un phénomène nouveau propre à ce Gouvernement, mais bien un constat dressé sur une longue période. Il serait temps que nous en prenions conscience et que nous regardions la réalité en face. Autrement, la croissance bleue risque de nous échapper, une fois n'est pas coutume, alors que notre pays est idéalement doté pour en profiter.

Ce n'est pourtant un secret pour personne : 90 % des échanges mondiaux transitent par la mer. Nous pouvons honnêtement rougir du manque d'ambition de nos politiques et de la faiblesse consternante de nos investissements dans ce domaine. Ils sont dérisoires à côté de celui que notre pays consent sur l'autre frontière du futur qu'est l'aérospatial. Et puisque nous avons eu l'occasion d'examiner les crédits consacrés au transport aérien, juste avant ceux-ci, je me permets de vous livrer une comparaison.

D'après le rapport rédigé en juillet 2015 par le Commissariat général au développement durable, consacré aux comptes des transports en 2014, le secteur des transports, pris de manière globale (route, air, fer, mer, fluvial, passagers et marchandises), affiche un déficit de ses échanges extérieurs de 12,3 milliards d'euros : il contribue par conséquent à la perte de compétitivité de la France. Or dans ce paysage catastrophique, il n'y a qu'un bon élève : le transport maritime, avec un solde positif de 4 milliards d'euros et une performance qui croît de 6 % en moyenne annuelle depuis 2008. J'ajoute que le transport aérien est lui aussi en excédent commercial, mais avec un montant nettement plus bas, de l'ordre de 100 millions d'euros, alors que son chiffre d'affaires global est bien plus élevé, 19 milliards d'euros contre 14 milliards d'euros pour le transport maritime.

Ces deux secteurs, l'aérien et le maritime, ont la particularité d'être confrontés directement à la concurrence internationale, et d'être soumis à une exigence de compétitivité forte. Au lieu de les aider à se développer, à gagner des parts de marché, à générer de la croissance et de l'emploi, on se contente de faire des rapports qui ne sont pas suivis d'effets. C'est le cas du rapport d'Arnaud Leroy pour le transport maritime comme de celui de Bruno Le Roux pour le transport aérien. Bien sûr, le Gouvernement s'empresse de mettre en oeuvre quelques mesures de simplification, pour montrer qu'il agit. Mais le coeur de ces rapports n'est pas là : ils préconisent des mesures économiques fortes de soutien à la compétitivité de notre pavillon et de nos hubs. Rien de tout cela n'est mis en oeuvre.

En matière maritime, nous sommes en train d'aller à rebours de toute logique économique et historique. Nous savons que l'avenir d'une nation se décide depuis toujours par l'avenir de ses ports. Nous savons que toutes les grandes économies du monde disposent de ports puissants pour exporter leurs productions. Il n'y a pas de grand pays industriel qui ne soit pas aussi un grand pays portuaire. C'est une loi intangible, de la Venise d'hier à la Chine d'aujourd'hui.

Que constate-t-on pour la France ? Le trafic de nos grands ports maritimes ne fait que baisser quand celui de nos voisins continue d'augmenter.

Sur les cinq dernières années, de 2010 à 2014, le trafic global recule de 1 % par an en moyenne. En Manche et mer du Nord, l'ensemble formé des ports de Dunkerque, du Havre et de Rouen, affiche un taux de croissance annuel moyen stable (0,7 %) sur les cinq dernières années, alors que l'ensemble des dix-huit ports étrangers progresse de 1,5 %. Sur la façade Atlantique, le trafic français régresse de 2 % entre 2010 et 2014, alors qu'il augmente de 1,2 % par an pour les onze ports étrangers. En Méditerranée, le trafic de marchandises du port de Marseille se contracte annuellement de 2,2 % par an entre 2010 et 2014, alors qu'il progresse de 2,3 % par an pour les quinze autres ports.

Il ne s'agit pas d'une tendance récente mais bien d'une évolution structurelle. En 1995, le Havre traitait environ 1 million de conteneurs et Anvers 2 millions ; en 2014, Le Havre est à 2,6 millions et Anvers à près de 9 millions : la différence est presque passée du double au quadruple. Rotterdam atteint désormais les 14 millions de conteneurs ; Tanger Med, créé de toutes pièces en 2007 vise déjà un objectif de 3 millions en 2016, quand Le Havre espère atteindre entre 3,5 et 4,5 millions en 2020 et Marseille 2 millions.

Nous avons fait des réformes entre 2008 et 2013, mais force est de constater que la tendance reste inchangée. L'explication par la baisse (réelle) des trafics pétroliers français ne suffit pas car Rotterdam comme Anvers sont de grands ports pétroliers et n'ont pas connu d'effondrement dans ce domaine. En réalité, nous n'avons toujours pas réglé les vrais problèmes.

Nous avons malheureusement besoin, en cette période de disette budgétaire, de beaucoup d'investissements. Rotterdam et Anvers sont équipés de technologies modernes et offrent une bien meilleure qualité de service, alors que nous nous sommes contentés de faire du maintien en condition de matériel vieillissant.

Et surtout, nous n'offrons toujours pas à nos ports un accès suffisant à un hinterland de portée européenne. Le rail est présenté comme le seul mode massifié capable d'accompagner le développement des hinterlands terrestres de nos ports. Mais en dépit des ambitions affichées dans plusieurs plans, lois et projets stratégiques, sa part modale peine à décoller.

Personnellement, j'attends toujours l'électrification de la ligne ferroviaire Serqueux-Gisors. Des études sont en cours et 300 millions d'euros ont été prévus à cette fin dans les contrats de plan État-région (CPER) 2015-2020. Mais combien d'années précieuses auront nous perdues pour mettre en place ce projet ?

Je ne parle même pas de la réalisation d'une liaison fluviale directe à travers une chatière pour le port du Havre, pour laquelle je me bats depuis des années. On se heurte sur ce point à un véritable problème d'égo. En effet, l'administration a soutenu le projet de terminal multimodal, qui a coûté au total 134 millions d'euros. Le problème est que ce terminal est calibré pour un trafic deux fois plus élevé que les niveaux actuels. Son modèle économique n'est donc pas équilibré et nécessite de surcroît de trouver un accord raisonnable avec les dockers. Par conséquent, la SNCF n'a pas véritablement intérêt à utiliser le terminal à ce stade. Mais comme cette installation existe, l'administration refuse d'étudier toute solution complémentaire qui serait susceptible de lui faire concurrence. Et au final, rien ne change pour la desserte du Havre !

Derrière cette situation kafkaïenne, se dessine un autre problème, celui de la gouvernance de nos ports qui, malgré la réforme de 2008, est encore caractérisée par l'omniprésence de l'administration. Puisque nos ports traversent une situation difficile, ils n'ont aucune capacité d'autofinancement, et restent par conséquent totalement tributaires de Bercy pour leurs projets d'investissements. L'autonomie juridique de nos ports est donc une fiction, car au fond rien ne change. Même si la mode est aux start up d'État, je ne pense pas que nous puissions attendre de l'administration qu'elle insuffle l'esprit entrepreneurial nécessaire pour concurrencer les politiques commerciales agressives de nos voisins.

Quoiqu'il en soit, le fait même que des ports étrangers, notamment ceux de la mer du Nord, soient en capacité de concurrencer nos ports sur leur propre hinterland en dit long sur le chemin qui reste à parcourir. Une dynamique d'investissements est nécessaire, mais elle nécessite pour cela une véritable volonté politique qui fait défaut actuellement. Je ne rouvre pas le débat sur le canal Seine Nord, mais l'effet de signal est quand même désastreux pour le port du Havre ! Si nous concentrions davantage nos efforts sur la desserte du Havre, l'impact économique du canal Seine-Nord serait amoindri, car les entreprises auraient pris l'habitude d'utiliser nos installations !

Quant à notre flotte de transport, elle compte aujourd'hui 176 navires et nous avons dépassé depuis longtemps le seuil psychologique des 200, sans réagir pour empêcher ce mouvement continu de dépavillonnement. Rien qu'en 2014, on a enregistré la sortie de 15 navires pour 4 entrées seulement ! Le tonnage français représente désormais 0,5 % du tonnage mondial tandis que les cinq premiers pavillons pèsent à eux seuls 53,4 %. Il n'y a qu'à regarder la nationalité de ces pavillons pour comprendre le phénomène qui nous touche : Panama, Liberia, Îles Marshall, Hong Kong et Singapour. On est en plein coeur d'un dumping social !

On ne luttera pas contre ce problème avec des mesures de simplification administrative, même si elles sont bienvenues. Il est également illusoire d'espérer une application stricte de normes sociales au niveau mondial. La seule solution est d'ordre économique : nous devons soutenir notre pavillon afin de réduire le plus possible l'écart de compétitivité. La mise en place du registre international français (RIF) en 2005, qui permet de recruter des membres de l'équipage à des conditions internationales, a permis de résister un temps mais ne suffit plus aujourd'hui.

A fortiori, le pavillon français ne souffre pas tant de la concurrence internationale que de celle d'autres États membres de l'Union européenne, pourtant soumis aux mêmes lignes directrices communautaires. Le Danemark, que l'on ne peut suspecter de mener une politique du moins-disant social, a mis en place un dispositif de « netwage » qui consiste en une exonération totale de charges patronales et salariales, et qui permet même aux armateurs de conserver une fraction de l'impôt sur le revenu prélevé à la source. En conséquence, la flotte danoise connaît une croissance de 10 % en nombre de navires et en tonnage.

La Commission européenne a d'ailleurs joué un rôle moteur, puisqu'elle a explicitement reconnu la possibilité de recourir à ce dispositif dans ses lignes directrices sur les aides d'État au transport maritime. Plusieurs pays ont d'ores et déjà franchi le pas comme la Finlande, l'Allemagne, la Belgique, l'Italie et le Royaume-Uni. Ce n'est donc pas un hasard si les 1er et 2ème armements mondiaux sont le danois APM Maersk et l'Italien MSC, qui ne cessent de grossir et distancent nettement CMA-CGM en nombre de navires et en capacité !

Le rapport d'Arnaud Leroy a lui aussi suggéré de s'aligner sur le régime du « netwage », sans grande avancée depuis deux ans. Mais la France est aujourd'hui dans une situation de déni total, puisqu'elle préfère au contraire profiter des dépavillonnements pour réaliser des économies sur les exonérations de charges !

Je pense désormais que l'heure n'est plus aux annonces grandiloquentes autour d'une politique maritime ambitieuse ou d'une nouvelle stratégie nationale de la mer et du littoral, annoncée chaque année pour mieux être repoussée.

Nous devons porter la responsabilité de ce que nous faisons, et de ce que nous votons. Nous avons de l'or bleu dans les mains et nous sommes en train de mutiler notre pays en refusant sa vocation maritime. Par conséquent, je vous propose, mes chers collègues, et croyez bien que c'est par dépit, un avis plus que défavorable à l'adoption de ces crédits alarmants. Je vous remercie.

Mme Odette Herviaux. - Je connais votre passion pour le monde maritime, les ports et l'économie bleue en général, passion qui vous conduit peut-être à voir le verre à moitié vide plutôt que le verre à moitié plein.

Je vous rejoins cependant sur un grand nombre de points. Je me félicite comme vous du nouveau document de politique transversale : même s'il n'est pas encore exhaustif, il nous permet d'avoir une vision consolidée et un regard plus global sur notre politique maritime.

Parmi les bonnes nouvelles de cette année 2015, figure l'effort important de l'État en faveur de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), annoncé lors du comité interministériel de la mer (CIMer) du 22 octobre dernier : le Premier ministre s'est engagé à augmenter la subvention de l'État de 1,4 million d'euros à partir de 2016, en complément de la subvention annuelle de 2,1 millions d'euros. Ce financement est pérennisé par l'affectation d'une part des recettes de la taxe sur les éoliennes offshore. Est-ce que ce montant vous paraît suffisant pour permettre à la SNSM d'assurer ses fonctions ? Quant aux centres de sécurité des navires (CSN), les effectifs sont stables mais les missions sont de plus en plus importantes. Quel est votre avis sur ce point ?

En ce qui concerne l'enseignement maritime, le tassement des crédits est lié à la fin d'une période d'investissement, après une hausse des moyens de 160 % en cinq ans. Vous l'avez fait remarquer à juste titre.

Sur le volet portuaire, on observe effectivement une contraction de 6 % des crédits. Mais je ne partage pas votre analyse sur le matériel vieillissant : il ne faut pas oublier les investissements importants des entreprises de manutention et des chargeurs !

Il est sans doute un peu fort d'affirmer que l'on « méprise la mer ». Le CIMer du 22 octobre a été l'occasion d'annoncer un certain nombre de mesures, avec une réelle volonté de lutter contre le dépavillonnement et de soutenir la croissance bleue. Nous aurons les moyens d'aller plus loin lorsque nous examinerons prochainement le projet de loi sur l'économie bleue.

M. Didier Mandelli. - J'ai une question relative aux autoroutes de la mer, en particulier la liaison entre Nantes-Saint-Nazaire et Gijón. Ce programme a été financé par l'Union européenne et les États français et espagnol. Il doit permettre d'écarter de la route des milliers de camions et de véhicules grâce à des liaisons hebdomadaires. La ligne s'est arrêtée depuis plus d'un an, faute d'avoir pu atteindre l'équilibre économique. Elle devait faire l'objet d'une démarche du Gouvernement pour une relance éventuelle avec l'opérateur Louis-Dreyfus Armateurs. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Jean-Jacques Filleul. - Le budget décrit effectivement une situation compliquée pour le transport maritime, même si le ton de Charles Revet me paraît un peu sombre. Tout n'est pas aussi négatif : les crédits sont relativement stables, bien qu'en légère baisse. La sécurité maritime reste une priorité ferme. J'ajoute que les engagements du CIMer du 22 octobre vont permettre d'affecter quelques moyens supplémentaires, plus d'un million d'euros.

Il faut également y ajouter les moyens des CPER 2015-2020 : les priorités restent les infrastructures multimodales, la préparation à l'installation d'activités logistiques et industrielles, et l'amélioration des services ferroviaires et fluviaux en direction de l'hinterland.

Enfin, sachons aussi mettre en avant nos points forts : le port de Rouen est le premier port européen en matière de céréales !

M. Jean-Claude Leroy. - En tant qu'élu du Pas-de-Calais, je confirme que l'essor d'un port comme Dunkerque donne de l'espoir !

Je n'ai pas bien compris comment seraient abondés les crédits de la SNSM : s'agit-il d'une subvention d'équilibre ou d'une taxe, par exemple sur l'éolien en mer ? Le mécanisme de la taxe me paraît plus pérenne, pour une société qui doit faire face à des renouvellements importants.

Mme Nelly Tocqueville. - Comme mes collègues, je me félicite que Rouen soit le premier port céréalier d'Europe. On peut toujours regretter que l'activité ne soit pas suffisamment importante, mais je trouve qu'une progression de 0,7 %, c'est quand même une belle performance. Ce port est en constante évolution et en constant développement.

Il n'a pas été fait mention du groupement HAROPA, entre Le Havre, Rouen et Paris, qui symbolise le dynamisme de nos ports. Il s'agit d'une véritable porte à l'entrée de l'Europe, qui accueille des navires géants. Récemment, le plus grand porte-conteneurs du monde y a été inauguré, le MSC Oscar. Il s'agit du premier exemplaire d'une série de vingt porte-conteneurs, qui seront une chance d'ouverture sur l'Asie. Cette première escale confirme bien la confiance que les armateurs placent dans HAROPA, l'un des rares ports du Range Nord Europe à pouvoir accueillir ce type de navires. Ce projet permettra à Rouen de développer son hinterland, en particulier vers l'Île-de-France.

Sur le canal Seine-Nord, j'ai également relayé des inquiétudes concernant le pôle multimodal du Havre. Le Premier Ministre a apporté un certain nombre de garanties la semaine dernière, mais nous devons rester vigilants.

Enfin, vous avez parlé du dragage des ports. Un vrai sujet environnemental se pose en Seine-Maritime concernant l'entrepôt des boues de dragage, qui sont chargées de métaux lourds. Où en sont les réflexions sur ce point ?

M. Jérôme Bignon. - Je remercie Charles Revet pour sa présentation à la fois géopolitique, sociale et économique. La mondialisation nous impose d'avoir de l'ambition sur les questions maritimes.

J'exprime simplement un point de désaccord au sujet du canal Seine-Nord, auquel s'associe notre collègue Natacha Bouchart. Il ne faut pas opposer le canal Seine-Nord et le port du Havre, il faut que les deux se développent en même temps ! Le canal va être construit, il est inutile de mener un combat perdu d'avance, et plutôt se concentrer sur les moyens de développer la complémentarité.

Si j'étais Normand, je me battrais surtout pour la poursuite de l'électrification vers Châlons-en-Champagne. Le Havre et Rouen sont des ports céréaliers, il faut aller chercher le blé là où il se trouve, c'est-à-dire dans les plaines de Champagne. Je suis prêt à travailler avec la SNCF et l'État pour que Le Havre puisse tirer pleinement parti de son positionnement géographique.

M. Michel Vaspart. - Je partage l'analyse de Charles Revet. La France n'exploite pas son potentiel maritime, tous les professionnels que je rencontre le confirment !

On ne peut pas à la fois se féliciter que Rouen soit le premier port céréalier d'Europe, et voter certaines mesures de la proposition de loi sur les dockers, qui inquiètent justement les céréaliers. J'ai largement insisté sur ce point lors de la présentation de mon rapport.

Mme Odette Herviaux. - Mais leurs craintes ne sont pas justifiées !

M. Michel Vaspart. - D'une façon générale, je pense que le développement de notre activité maritime mérite une loi spécifique traitant l'ensemble des sujets, y compris la manutention, si l'on veut réussir à développer nos ports. Je ne peux pas me satisfaire d'une croissance de 0,7 %, surtout lorsque l'on regarde les performances des ports dans les pays voisins !

Mme Natacha Bouchart. - Je souhaite simplement relayer une interrogation concernant le port de Calais, premier port de voyageurs en Europe. Pourquoi reste-t-il rattaché à la région, alors qu'il devrait faire partie, à mon sens, des ports « d'État » ? Je rappelle qu'il est actuellement engagé dans un projet de 750 millions d'euros, et je m'étonne que son positionnement soit systématiquement sous-estimé, et peu mis en avant dans la stratégie portuaire nationale.

M. Charles Revet, rapporteur pour avis. - Je vous remercie pour l'ensemble de vos remarques. D'une façon générale, la situation maritime de la France m'inquiète et je la regarde d'un oeil marri. Je suis pourtant d'un naturel optimiste, mais je vous rappelle que nous possédons la deuxième zone maritime derrière les États-Unis et que nous importons malgré tout 85 % de nos besoins en poissons et crustacés. Cela soulève quand même quelques interrogations légitimes !

En ce qui concerne les grands ports maritimes, j'avais essayé d'introduire des dispositions pour améliorer leur situation lorsque j'étais rapporteur de la réforme en 2008. Il n'est pas normal que nous soyons les mieux positionnés en Europe, et que le premier port de France soit Anvers, qui traite autant de conteneurs à lui seul que l'ensemble de nos grands ports maritimes réunis. C'est un constat, ce n'est pas du pessimisme, mais la triste réalité. Et mon discours ne varie pas au gré des majorités politiques  L'avenir du monde se joue en mer, où ont lieu 90 % des échanges mondiaux.

En Europe, les ports sont largement gérés au niveau régional. Il n'y a qu'en Espagne ou en France que l'on trouve des ports « d'État ». Et encore, l'Espagne a déconcentré la majeure partie des responsabilités, de sorte que l'État ne joue qu'un rôle d'arbitre en cas de différend entre deux ports. En France, l'autonomie de nos grands ports est une fiction juridique : dans les faits, toutes les grandes décisions relèvent encore de l'administration, qui d'ailleurs n'assume pas du tout ses responsabilités. Il y a un vrai problème de gouvernance.

En ce qui concerne le budget consacré aux transports maritimes, il est vrai que la baisse observée en 2016 reste relativement contenue, mais c'est le niveau général des crédits, beaucoup trop faible, que je critique depuis de nombreuses années ! Et ce n'est pas le million supplémentaire décidé pour l'entretien des phares et balises qui change réellement la donne.

Nous ne nous donnons pas les moyens de tirer profit de nos atouts et de nos outils. Il fallait effectivement créer HAROPA pour renforcer la coordination, mais cela n'a pas changé grand-chose en termes d'activité : on ne fait qu'additionner les trafics des trois ports ! De même, je ne suis pas contre le canal Seine-Nord, au contraire. Mais nous n'anticipons pas assez les incidences sur Le Havre et Rouen : nous devons attirer dès maintenant les entreprises sur ces places portuaires, et pour cela, régler les problèmes d'acheminement des produits en amont et en aval. Le grand port maritime du Havre est magnifique, et il est vrai que les plus gros navires du monde y font escale, mais davantage pour des inaugurations que pour décharger des produits ! Je me bats depuis longtemps pour que l'on réalise une liaison fluviale directe à travers une chatière pour le port du Havre, afin de permettre un accès 365 jours par an et 24h/24. Aujourd'hui, l'administration retarde volontairement ce projet car il risque de freiner le développement du terminal multimodal, que les entreprises hésitent à emprunter pour des raisons de coût.

En ce qui concerne l'enseignement maritime, il est vrai que l'ENSM forme aujourd'hui davantage d'ingénieurs à terre que de marins. Je plaide en partie coupable car j'avais défendu cette réorientation vers l'ingénierie afin d'attirer davantage d'étudiants.

Il faut également admettre que le matériel de nos ports est parfois vieillissant, surtout lorsque l'on regarde le degré d'automatisation des ports du range nord européen, par exemple celui de Hambourg. Le Havre et Rouen ne sont pas automatisés ! Nous devons faire beaucoup d'efforts pour améliorer la qualité du service proposé.

L'autoroute de la mer entre Nantes-Saint-Nazaire et Gijón a effectivement du mal à être pérennisée, car l'équilibre économique est difficile à atteindre. Des discussions sont en cours mais je n'ai pas davantage d'informations. Quant au port de Calais, il est vrai qu'il est dans une situation particulière, tout comme celui de Dunkerque.

Mme Odette Herviaux. - Je tiens à préciser que lorsque je disais que vous voyiez le verre à moitié vide, il s'agissait surtout de votre appréciation sur les crédits pour 2016, car des efforts sont faits, surtout avec les annonces du dernier CIMer. Pour le reste, je partage une grande partie de vos inquiétudes !

M. Charles Revet, rapporteur pour avis. - J'ai surtout voulu, à travers ce rapport, « pousser un coup de gueule » - pardonnez-moi l'expression - car il n'est plus possible de continuer à traiter le monde maritime comme on le fait aujourd'hui.

M. Hervé Maurey, président. - Je crois que tout le monde reconnait votre engagement fort sur ce sujet, avec un discours et des critiques qui ne varient pas au gré des alternances politiques ! C'est suffisamment rare pour être souligné.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits « transports maritimes » du projet de loi de finances pour 2016.

Votes reportés sur les rapports pour avis « Transports ferroviaires, collectifs et fluviaux » - « Transports routiers » et « Biodiversité - Transition énergétique »

M. Hervé Maurey, président. - Nous avions décidé les deux dernières semaines d'attendre l'audition du ministre Alain Vidalies - qui a eu lieu jeudi dernier - pour nous prononcer sur trois avis budgétaires relatifs à des politiques dont il est le responsable. Cette audition ayant eu lieu, je vous propose que la commission se prononce aujourd'hui sur ces trois avis.

Sur les crédits des transports ferroviaires collectifs et fluviaux, le rapporteur pour avis, Louis Nègre, a proposé le rejet des crédits, en particulier du fait de la situation défavorable du budget de l'AFITF. Cet avis défavorable à l'adoption des crédits est-il suivi ?

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits « Transports ferroviaires collectifs et fluviaux » du projet de loi de finances pour 2016.

M. Hervé Maurey, président. - Sur les crédits des transports routiers, le rapporteur pour avis, Jean-Yves Roux, à l'inverse de Louis Nègre, nous avait proposé de donner un avis favorable, invoquant le succès du plan de relance autoroutier, la nouvelle offre de transport par autocar, le maintien à un niveau correct du budget de l'AFITF, les aides mises en place pour les véhicules propres. Cet avis favorable au vote du budget est-il suivi ?

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits « Transports routiers » du projet de loi de finances pour 2016.

M. Hervé Maurey, président. - Sur les crédits des programmes consacrés à la biodiversité et à la transition énergétique, le rapporteur pour avis, Jérôme Bignon, nous avait proposé un avis défavorable, estimant que ce budget n'est pas à la hauteur des ambitions portées par la France dans le cadre de la COP et qu'il prévoit même un certain nombre de prélèvements indus sur des organismes chargés de mettre en oeuvre cette politique : ADEME, agences de l'eau... Cet avis de rejet est-il suivi ?

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits « Biodiversité - transition énergétique » du projet de loi de finances pour 2016.

La réunion est levée à 11h30.

Jeudi 19 novembre 2015

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

Déplacement en Chine - Communication

La réunion est ouverte à 10 h 15.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous présente ce matin le compte rendu du principal déplacement de l'année 2015 pour notre commission, qui s'est déroulé en Chine du 20 au 25 septembre derniers. Notre délégation comprenait cinq sénateurs, Jérôme Bignon, Evelyne Didier, Louis Nègre, Rémy Pointereau ainsi que moi-même.

Pourquoi la Chine ? Tout simplement parce que, dans la perspective de la Conférence de Paris sur le climat, plusieurs de nos interlocuteurs nous y avaient vivement encouragés au cours des derniers mois, en particulier Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations internationales sur le climat.

C'est la raison pour laquelle, le programme de notre déplacement a été très orienté autour des questions climatiques. Mais nous avons tenu à y ajouter une dimension développement durable, comprenant les aspects transports, infrastructures et mobilité, car c'est l'un des domaines dans lesquels la Chine s'engage résolument aujourd'hui. C'est aussi un secteur dans lequel nos entreprises sont présentes et actives.

Nous tenions également à ne pas rester uniquement à Pékin car beaucoup d'initiatives sont prises actuellement dans les villes de l'intérieur, « moyennes » à l'échelle de la Chine - c'est-à-dire tout de même des villes de plus de 10 millions d'habitants, en très forte croissance démographique, urbanistique, etc.

Concrètement, nous avons donc passé deux journées et demie à Pékin et deux journées et demie à Wuhan, capitale de la province du Hubei, au bord du fleuve Yang Tse Kiang, dans le centre de la Chine.

A Pékin, notre séjour s'est orienté autour de trois axes.

Le premier axe était une série d'entretiens de haut niveau avec les principales institutions concernées par les négociations climatiques internationales : la commission de la population, des ressources naturelles et de l'environnement de la Conférence consultative politique du peuple chinois, dont nous avons rencontré le premier vice-président ; le NCSC, think tank chinois qui pourrait s'apparenter à notre Commissariat au Plan, qui apporte un soutien technique au Gouvernement chinois pour fixer les objectifs de la politique climatique, et notamment pour fixer les objectifs de réduction des émissions et les répartir entre secteurs économiques et régions ; le département changement climatique de la Commission nationale pour la réforme et le développement dont est issue l'équipe des négociateurs chinois de la COP21.

Deuxième axe de notre séjour à Pékin : la rencontre avec des associations impliquées dans les questions environnementales. Nous avons ainsi passé une soirée avec M. Ma Jun, pionnier de la mobilisation environnementale en faveur de la qualité de l'air et de la qualité de l'eau. C'est grâce à lui et ses relais associatifs, à Pékin et dans de nombreuses autres villes du pays, que des mesures de la pollution sont effectuées désormais en temps réel et surtout rendues publiques. Nous avons d'ailleurs pu le constater, chaque habitant de Pékin pouvant consulter son smartphone pour connaître à tout moment l'indice de la qualité de l'air. C'est évidemment un sujet de préoccupation majeur pour la population. Et c'est grâce à l'obstination de personnes comme M. Ma Jun, qui a su à chaque étape aller aussi loin que le régime le lui permettait, que la population peut bénéficier aujourd'hui d'une réelle transparence sur cette question. Reste bien sûr le plus difficile : améliorer significativement la qualité de l'air dans toutes les grandes villes chinoises. Le défi est là immense. Lors de notre séjour, nous avons pu mesurer ce que signifie un ciel pollué puisque pendant une journée à Pékin, nous avons vécu dans une sorte de brouillard dense et piquant aux yeux et à la gorge.

Nous avons également rencontré deux autres associations, beaucoup plus modestes, mais qui tentent de mettre en place des modèles intéressants de développement durable auprès de familles pour un mode de vie sobre en carbone et pour favoriser des constructions à énergie positive. L'ambassade de France apporte un soutien à ces initiatives venues de la société civile chinoise.

Troisième axe : les infrastructures et l'urbanisme. Nous sommes allés sur le site du futur second aéroport international de Pékin pour lequel ADP-international est très actif, notamment pour la conception du projet. Cette visite sur le terrain, à 50 km au sud de Pékin, a été très instructive car elle nous a permis de voir successivement les villages abandonnés, les villages détruits, les tas de gravats, les travaux de terrassements, puis enfin le lieu où les premières dalles ont été posées. La rapidité d'avancement d'un projet d'une telle ampleur - 6 pistes d'atterrissage pour accueillir 100 millions de passagers par an et 4 millions de tonnes de fret - est évidemment extrêmement frappante pour nous : du début des études de faisabilité en novembre 2014, à la mise en service de l'aéroport, prévue pour fin 2019, devraient s'écouler à peine cinq ans. En même temps, le souci de respecter un certain nombre d'objectifs verts et de règles environnementales est réel, aussi bien dans la construction de l'aéroport que dans son fonctionnement futur (architecture, bruit, eau, énergie), celui-ci devant être autonome sur le plan énergétique.

Autre visite, cette fois-ci dans Pékin, celle des quartiers anciens et traditionnels où sont menés des travaux de réhabilitation avec le souci de préserver le patrimoine ancien, tout en modernisant les infrastructures et en organisant la reconversion d'un certain nombre d'usines ou d'ateliers désaffectés.

A Wuhan, notre visite a été entièrement consacrée au thème du développement durable, avec un fort accent sur les coopérations franco-chinoises dans ce domaine. Wuhan a en effet été sélectionnée en 2009 par le Gouvernement central chinois pour être une ville modèle pour le développement durable.

Là aussi trois axes dans notre programme.

Premier axe : des entretiens officiels. Ces entretiens, avec le gouverneur du Hubei, avec le maire de Wuhan et avec le secrétaire du parti, ont tous concerné le projet de ville durable franco-chinoise. Celui-ci a été imaginé en juillet 2013. Il s'inscrivait dans la perspective du 50ème anniversaire de la relation diplomatique franco-chinoise (1964-2014). Mais il s'inscrivait aussi dans une continuité puisque dès 2006 a été lancé un partenariat sur l'efficacité énergétique des bâtiments à Wuhan.

Le projet de ville durable franco-chinoise du district de Caidan vise à faire d'une zone encore peu urbanisée de Wuhan un modèle de développement urbain, en prenant en compte tous les aspects de l'aménagement urbain, notamment celui de la mobilité. Malgré des visites sur place de Martine Aubry, initiatrice du projet, et de Manuel Valls, ce projet n'est pas encore parfaitement défini. Dans ce contexte, le consul général de France nous a demandé d'appuyer deux demandes des autorités françaises correspondant à deux points de blocage : la délimitation d'un périmètre cohérent de 100 km2 au lieu de 32 km2 et la présence d'une gare TGV au coeur même de cet éco-quartier afin d'en faire un vrai hub intermodal avec 3 lignes de métro et 2 lignes de tramway, et non en bordure de ce quartier.

Deuxième axe : l'urbanisme et l'urbanisation de demain. Nous avons visité la « Maison des Wuhanais » qui est une sorte de gigantesque musée de la ville avec toutes sortes de plans, cartes et maquettes, décrivant le passé, le présent et surtout le futur de Wuhan. Nous avons été extrêmement impressionnés par ces gigantesques maquettes sur lesquelles figurent tous les axes de transport (en particulier les nouvelles lignes de métro), les noeuds ferroviaires et routiers, l'organisation des différents quartiers, actuels et futurs (y compris la ville durable franco-chinoise), et même les nouveaux bâtiments envisagés, certains très hauts. On y prépare le passage de 10 millions d'habitants aujourd'hui à 50 ou 60 millions en 2030.

Troisième axe : la présence française, à travers près de 130 entreprises implantées à Wuhan et dans sa région, notamment les constructeurs automobiles PSA et Renault, mais aussi Alstom, Schneider, Keolis, Suez environnement, Veolia, L'Oréal, Carrefour, Auchan, Decathlon, etc. Une ligne aérienne directe relie Paris-Wuhan trois fois par semaine. Des échanges universitaires, des jumelages parfois anciens rendent cette relation franco-chinoise particulièrement vivante à Wuhan.

À titre d'exemple, nous avons passé un moment dans les services de la municipalité de Wuhan qui a entrepris un travail de réhabilitation de 25 bâtiments publics, avec l'aide de PME françaises, le soutien technique de l'Ademe et le soutien financier de l'AFD (à hauteur de 20 millions d'euros). L'originalité du projet est non seulement de permettre de réduire la consommation et donc la facture énergétique de ces bâtiments, mais de démontrer l'efficacité d'un modèle de performance énergétique, en particulier d'économies d'énergie, qui permet de financer les travaux. En principe, une fois mis en place, ce projet est destiné à être étendu à un très gros parc de bâtiments publics.

Quelles conclusions tirer de ce voyage ?

Première conclusion : sur la COP21. La France et la Chine ont noué des contacts très étroits au cours des derniers mois dans la perspective de cette conférence :

- c'est à Paris, le 30 juin dernier, que le président Xi Ping a rendu publique la contribution nationale chinoise avec les engagements de ce pays en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ;

- c'est à Pékin, il y a quelques jours, que les présidents Xi Ping et Hollande ont déclaré ensemble leur souhait que l'accord de Paris puisse être revu tous les cinq ans.

Que contient la contribution chinoise et quels sont les engagements de la Chine ? Il y en a quatre :

- parvenir à un pic d'émissions de CO2 en 2030, ou plus tôt si possible ;

- réduire l'intensité carbonique de l'économie de 60 à 65 % en 2030 par rapport à 2005 ;

- atteindre au moins 20 % d'énergies renouvelables ;

- augmenter le stock forestier.

Pour y parvenir, nos interlocuteurs nous ont dit que la Chine misait désormais clairement sur le nucléaire ainsi que sur l'éolien et le photovoltaïque, mais aussi sur le développement d'une économie plus sobre en carbone. Le secteur des transports est en pleine évolution avec beaucoup de véhicules électriques : vélos, motos, voitures électriques, et un développement très rapide des transports en commun : bus, metro, trains intercités, etc.

Nos interlocuteurs nous ont tous assuré que la Chine accordait une très grande importance à la COP21. Ils nous ont aussi indiqué être optimistes sur ses résultats.

Mais ils nous ont aussi fait observer que la Chine n'avait pas achevé sa transition : plus de 300 millions d'habitants des campagnes vont rejoindre les villes au cours des 10 à 15 prochaines années. Il n'est donc pas possible de fixer un pic d'émissions avant cette date. Si la Chine est le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, c'est aussi parce que c'est la deuxième économie mondiale et que, dépourvue de ressources pétrolières ou gazières, elle est très dépendante du charbon.

Deuxième conclusion : sur la qualité de la relation franco-chinoise. La France est un partenaire ancien et loyal de la Chine, depuis la reconnaissance officielle par le Général de Gaulle de la Chine populaire, ce qui nous donne une place particulière dans ce pays, sur laquelle nous devons à l'évidence continuer à miser.

Le Gouvernement a beaucoup renforcé les services de l'ambassade et des consulats présents dans chacune des grandes villes et centres économiques de la Chine. Le but est de développer nos échanges commerciaux et de faire profiter nos entreprises de la croissance chinoise qui, même ralentie, reste significative, car nous pouvons lui apporter nos compétences.

Mais cela nécessite beaucoup de souplesse et de réactivité de notre part car les évolutions sont très rapides dans ce pays. Nous l'avons en particulier mesuré en visitant le site du futur nouvel aéroport de Pékin. C'était néanmoins pour nous un vrai motif de satisfaction de voir autant d'intervenants français présents dans tous les secteurs porteurs d'avenir du développement durable.

Je laisse maintenant mes collègues qui ont participé à ce déplacement compléter ces propos s'ils le souhaitent.

Mme Évelyne Didier. - Je voudrais témoigner d'un voyage réussi. Il a montré qu'à tout point de vue, le raisonnement ne se fait pas à la même échelle en Chine où tout est plus grand et plus rapide.

L'engagement de ce pays dans la lutte contre le réchauffement climatique est réel, la motivation principale en étant la pollution. La population chinoise, qui sait protester sur ce sujet, impose une véritable obligation de résultat au Gouvernement.

Celui-ci aborde la question essentiellement par le biais de l'énergie, avec trois priorités : le nucléaire, les énergies renouvelables et l'accroissement des forêts. Les économies d'énergie sont également jugées essentielles, par exemple lors de la rénovation de quartiers ou immeubles anciens, témoignant d'une grande capacité de réactivité, servie par le caractère autoritaire du régime.

Pour cette politique, la Chine dispose d'un atout incomparable : la maîtrise de la monnaie et des financements et une très grande capacité d'endettement.

C'est un grand pays qui souhaite être traité à l'égal des Etats-Unis et exige une dimension de respect dans ses relations avec les autres pays.

M. Jérôme Bignon. - Je voudrais souligner la qualité des services français présents en Chine où se situe désormais la première ambassade de notre pays, ce qui témoigne de l'intérêt de la France pour la Chine.

Au-delà du caractère impressionnant de la dimension des projets, il faut indiquer que ceux-ci donnent lieu, quoiqu'on en pense, à un débat politique, avec des allers-retours entre le local et le Gouvernement central, l'organisation générale du pouvoir étant avant tout verticale. Il existe des points de vue différents au sein des 95 millions de membres du parti communiste chinois.

D'une manière générale, les dirigeants semblent obéir à un grand réalisme et même à une forme de cynisme en traitant par exemple le dossier de la pollution sous la pression de la population.

M. Louis Nègre. - L'économie chinoise dispose d'une arme atomique avec ses excédents de 3 000 milliards. L'industrie ferroviaire française par exemple fait difficilement le poids face à la puissance financière chinoise.

M. Rémy Pointereau. - Plusieurs impressions ressortent de ce voyage : la pollution avec le sentiment d'être dans un brouillard permanent ; la circulation très intense et le développement des vélos électriques ; le poids de la sécurité avec la présence généralisée de caméras dans les rues et de nombreux militaires ; le nombre impressionnant de grues et de chantiers de construction ; la mise en place prioritaire des infrastructures de transport avant tout développement urbanistique comme à Wuhan ; le doublonnement de tous les pouvoirs entre les responsables des collectivités et ceux du parti ; la croissance à deux chiffres du nombre de véhicules automobiles.

M. Hervé Maurey, président. - La progression du parc automobile est telle, notamment dans les très grandes villes, que le Gouvernement essaie de la limiter en instaurant un droit d'entrée élevé avec une taxe sur les plaques d'immatriculation.

Mme Nelly Tocqueville. - Ayant eu l'occasion de visiter certains hutongs chinois, je peux témoigner que nombre de ces quartiers anciens sont simplement détruits et leur population rejetée à l'extérieur de la ville, ce qui est source de déstabilisation alors que, malgré leur pauvreté, ces quartiers avaient organisé une vraie solidarité entre les habitants.

Les classes moyennes qui ont émergé à Pékin cherchent maintenant à quitter la ville en raison de l'ampleur de la pollution.

M. Hervé Maurey, président. - Notre délégation a visité des hutongs réhabilités mais il y en a bien sûr aussi qui sont détruits. En allant visiter le site du nouvel aéroport de Pékin, nous avons longé des maisons de grand standing, on nous a indiqué qu'il s'agit de résidences secondaires.

M. Jean-Jacques Filleul. - J'ai un regard extérieur et plutôt méfiant à l'égard de la puissance chinoise qui a parfois pour objectif la captation des découvertes occidentales. Il est important que notre pays puisse toujours avoir un temps d'avance en matière d'innovation. Je note aussi que la Chine a des pratiques critiquables en Afrique. Elle n'a pas le système de protection sociale que nous connaissons dans notre pays.

M. Hervé Maurey, président. - C'est un pays qui se caractérise en effet pas son dynamisme, son gigantisme et son cynisme. Nous avons pu en observer certains aspects.

Déplacement dans le sud-est de la France, à la suite des inondations - Communication

M. Hervé Maurey, président. - La commission s'est déplacée, le 23 octobre dernier, dans le Sud-Est de la France, à la suite des inondations ayant touché la région au début du mois d'octobre. Notre délégation était composée, pour notre commission, de Louis Nègre et moi-même, pour le département des Alpes-Maritimes, outre Louis Nègre, de Dominique Estrosi Sassone, Jean-Pierre Leleux et Marc Daunis, et pour le département du Var, de Pierre-Yves Collombat.

Les inondations ont eu lieu le samedi 3 octobre, dans la soirée. En quelques heures, tous les records d'intensité des précipitations ont été battus. Ce phénomène climatique avait été anticipé par Météo-France, mais pas dans son extrême concentration dans le temps, et a donné lieu au déclenchement de l'alerte orange et de l'alerte Apic, avertissement pluies intenses dans les communes, en milieu de journée.

Le bilan a été très lourd puisque ce sont au total 20 morts, des dégâts privés et publics, évalués autour de 650 millions d'euros par les assureurs. Ce montant n'inclut pas les effets induits. On nous a par exemple expliqué que le central téléphonique de Cannes ayant été inondé, on ne pouvait plus payer par carte bancaire, alors que des congrès se tenaient à ce moment-là. Le coût total des inondations serait plutôt le double que ce qui est annoncé aujourd'hui. Le bilan aurait pu être beaucoup plus lourd, si l'événement n'avait pas eu lieu un soir de fin de semaine.

La préfecture des Alpes-Maritimes a engagé une procédure d'enquête très approfondie sur l'ensemble des phases de l'événement : prévision par Météo France et le service de prévention des crues, alerte, prise en compte de l'alerte, mobilisation des secours, transmission d'informations. L'idée est de pouvoir tirer les leçons de l'événement complètement et au plus vite car, nous le savons, ce type de phénomène est amené à se répéter.

Comment s'est déroulée notre journée ?

Le matin, nous avons été reçus par le président du département, Éric Ciotti. Nous avons ensuite suivi une réunion très intéressante à la préfecture avec l'ensemble des services concernés par les inondations. Nous sommes ensuite allés à Biot, commune d'environ 10 000 habitants, dans un environnement naturel, où des mesures de prévention avaient été mises en place, avec des bassins, des embâcles. Malgré cela, la commune a été violemment touchée.

Nous nous sommes ensuite rendus à Cannes. Les séquelles de l'événement sont visibles au coeur de la ville et ne résultent pas de problèmes d'urbanisation récente. Il y avait encore de nombreux gravats dans les rues, ce qui mettait en lumière un problème annexe important auquel on ne pense pas d'emblée : l'évacuation d'une très grande quantité de déchets.

Nous avons participé, avec Louis Nègre, à l'assemblée générale des maires des Alpes-Maritimes, ce qui a été l'occasion de présenter le message du président du Sénat Gérard Larcher et d'annoncer les fonds débloqués par le Sénat pour l'après-inondations.

Louis Nègre va vous présenter un premier bilan de l'événement, au regard des préconisations qui avaient été faites dans le rapport réalisé avec Pierre Collombat en septembre 2012 sur les inondations dans le Var et le Sud-Est.

M. Louis Nègre. - Monsieur le président, vous avez été bien inspiré d'organiser ce déplacement. Le département et les maires ont apprécié que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat vienne sur le terrain se rendre compte de ce qui s'était passé.

J'avais présidé la mission commune d'information qui avait travaillé sur les inondations dans le Var et dans le Sud-Est de la France. Notre mission avait remis ses conclusions, sur le rapport de Pierre-Yves Collombat, le 24 septembre 2012. Plusieurs constats avaient été faits. La conclusion principale était la très grande insuffisance accordée dans notre pays, dans les faits comme dans le discours, à la prévention. Nous ne sommes pas trop mauvais dans la gestion des catastrophes. En amont en revanche, nous souffrons de graves insuffisances.

L'analyse des événements de juin 2010 et de novembre 2011 nous avait également montré qu'il y a deux types de crises : la crise théorique pour laquelle toutes les procédures standard ont été prévues, et la crise exceptionnelle, imprévisible, pour laquelle les procédures ne fonctionnent pas. Dans le cas des inondations d'octobre dernier, au vu du bilan tragique que le président a rappelé, nous étions dans le second cas de figure. Malheureusement, il semble se répéter.

Trois points me semblent fondamentaux : l'alerte, la culture du risque et enfin, la compétence de gestion de l'eau et des milieux aquatiques (GEMAPI).

L'alerte tout d'abord. Samedi 3 octobre, six départements du Sud-Est, dont les Alpes-Maritimes, ont fait l'objet d'une alerte orange « orages » et « pluies-inondations », émise par Météo France. En émettant cette vigilance orange, Météo-France a prévenu que des phénomènes importants allaient survenir, suggérant à la population d'être « très vigilante » et de se tenir « au courant de l'évolution de la situation ».

Au vu du bilan désastreux, humain et matériel, la question se pose : pourquoi n'a-t-on pas déclenché une alerte rouge ? En cas d'alerte rouge, les habitants doivent non seulement se tenir au courant de la situation, mais surtout suivre impérativement les consignes de sécurité des autorités, notamment l'interdiction de se déplacer. Cette forme de vigilance est très contraignante. Le préfet doit en outre procéder à l'alerte systématique des maires et des services concernés, ce qui n'est pas le cas pour une vigilance orange. Je me suis trouvé, en tant que maire de ma commune touchée par les inondations, sans la moindre information le soir des événements, ni des autorités, ni des pompiers que je n'ai pas réussi à joindre pendant la soirée.

Météo-France indique que l'épisode orageux a été correctement cerné et que les vigilances rouges concernent généralement des phénomènes de plus grande ampleur. Ici, seule une partie limitée du département a été touchée.

Pour autant, je suis convaincu que les réactions des élus comme de la population auraient été très différentes si l'alerte fournie avait été adaptée. Il y avait le soir des inondations un concert ainsi qu'un match de foot à Nice, qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Compte tenu du peu de prévention mis en oeuvre, nous ne devons qu'à la chance que le bilan n'ait pas été plus lourd !

L'alerte est donc véritablement un point à creuser dans la suite de nos travaux. La commission mise sur pied par le préfet des Alpes-Maritimes a bien identifié ce problème.

Les citoyens sont habitués à voir constamment à la télévision des alertes orange et nous sommes face à un problème d'accoutumance à ces alertes. Se pose donc la question de la compréhension par les élus locaux et par les citoyens de la signification de l'alerte et des comportements à adopter. Un certain nombre de destinataires dans ma commune ont reçu l'alerte orange lors de son déclenchement. Personne ne me l'a transmise. Météo-France nous a expliqué qu'il n'y avait eu que deux alertes orange dans l'année dans le département. Le phénomène d'accoutumance est dû à la répétition des alertes au niveau national. Dans notre cas, même tardivement, il aurait fallu déclencher une alerte rouge, qui permet de débloquer des moyens de réponse.

Ce qui m'amène à mon deuxième point : la culture du risque. L'inondation est le premier risque naturel en France. Un habitant sur quatre est concerné mais la population n'est pourtant pas informée sur les conduites à suivre en cas de survenue d'un événement extrême. J'en veux pour preuve les circonstances de certains des décès constatés le 3 octobre. Plusieurs des morts sont attribuables au fait que les personnes sont descendues dans leur garage souterrain et ont tenté de sauver leur véhicule. Ce type de comportements ne devrait pas se produire, ou se reproduire, si nous avions une culture du risque. Des messages simples pourraient être transmis à la population : rechercher les points hauts, ne pas se réfugier dans les sous-sols, éviter de prendre les voitures. Des simulations pourraient également être organisées en grandeur nature. La culture du risque est donc le deuxième chantier à approfondir dans le cadre de nos travaux.

Enfin, concernant la GEMAPI, nous avions constaté lors de la mission inondations en 2012 qu'aucune politique globale n'était menée en France, faute de compétence clairement définie et attribuée. La compétence de gestion des milieux aquatiques et prévention contre les inondations a donc été créée, avec un financement adapté, à l'initiative de Pierre-Yves Collombat, soutenu par moi-même et suivi par le Sénat, dans le cadre de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. Cette compétence, confiée aux intercommunalités, a vocation à être exercée par des établissements publics territoriaux de bassin, en ce qui concerne les grands fleuves, et par des établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau, pour les sous-bassins fluviaux. Le texte que nous avons voté et que l'Assemblée nationale a confirmé prévoit également que la gestion des ouvrages et équipements de prévention soit rationalisée.

Cependant, l'entrée en vigueur de ce dispositif a été plusieurs fois reportée. Nous avons voté la loi en 2014. La GEMAPI a d'abord été reportée à 2016, et nous en sommes maintenant arrivés à 2018 ! Là aussi, s'il nous faut approfondir le sujet sur certains points, il n'en reste pas moins qu'il y a urgence. On ne peut continuer à renvoyer indéfiniment le traitement de ce dossier douloureux qui, je le rappelle, cause chaque année de nombreuses victimes et des milliards d'euros de dégâts. Si le dispositif doit être amélioré, améliorons-le en concertation avec les différentes parties prenantes, mais il est nécessaire maintenant d'agir et d'agir sans délai. Nous n'avons que trop tardé.

Ces événements sont amenés à se reproduire. Arrêtons de parler d'événement exceptionnel. Seul un manque de mémoire longue peut laisser croire que chaque inondation exceptionnelle est un événement sans précédent. Au titre des statistiques de Météo-France, l'événement d'octobre est exceptionnel. Une telle quantité d'eau n'avait jamais enregistrée en aussi peu de temps. Nous avions pourtant connu le même type d'événement dans le Var. Il est à craindre que le changement climatique se traduise par une récurrence accrue de ces inondations dites « exceptionnelles ».

Aux Pays-Bas, pays pourtant largement situé sous le niveau de la mer, et donc selon les critères administratifs français, en zone rouge absolue, il y a des décennies que les inondations ne se soldent plus par des morts, contrairement à notre pays. Avec la volonté politique et le financement nécessaires, les Néerlandais nous ont montré que, dans ces zones à risque majeur, il était possible de continuer à vivre et même à se développer. Si nous nous en donnons les moyens, il n'y a aucune raison que la France ne puisse faire de même : vivre, se développer et prendre les mesures nécessaires et adaptées aux contraintes locales pour protéger aussi efficacement la population.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous propose que nous poursuivions nos travaux sur ce sujet et que nous organisions à cet effet deux tables rondes : une table ronde sur la question de l'alerte météorologique et une table ronde sur la culture du risque. Il y a à réfléchir et à agir sur ces deux sujets.

L'alerte orange était sans doute insuffisante. Quand on voit une alerte orange et qu'on reçoit des appels par un automate de la préfecture, ce n'est pas de nature à permettre de mesurer l'importance de l'alerte. Une gradation pourrait être envisagée dans l'alerte orange. D'autres questions pourraient être abordées sur les alertes : leurs destinataires, leur prise en compte, les mesures de suivi, la formation des personnes concernées.

Concernant la culture du risque, nous avons rarement les bonnes réactions, comme prendre sa voiture et se déplacer. Comment développer la culture du risque ? Quelles formations dispenser ? Quelles actions pédagogiques mener ? Comment font les autres pays ?

À partir de ce que nous aurons observé et conclu de ces tables rondes, notre commission pourra examiner les suites à donner sur ces différents points, en lien avec les résultats de l'enquête menée par la préfecture des Alpes-Maritimes.

Nous sommes tous convaincus que ces événements vont se reproduire. Si on ne peut pas les empêcher, on peut au moins prévenir les conséquences observées début octobre.

M. Jean-Jacques Filleul. - Je suis particulièrement touché par cette communication. Les répercussions du changement climatique vont affecter l'ensemble de nos territoires. La catastrophe des inondations survenues dans le Sud-Est de la France n'est malheureusement pas isolée : la Martinique a été par exemple gravement touchée il y a quelques jours.

J'adhère totalement aux propositions énoncées. Il est nécessaire de s'approprier la culture du risque. Sa prise en compte ne se fait que progressivement au sein d'une population qui s'est historiquement développée en bordure de fleuves.

Le fonctionnement des alertes météorologiques, trop nombreuses aujourd'hui et pas nécessairement pertinentes, doit être revu. Leur contenu doit être précisé et structuré autrement.

Une vraie discussion devrait pouvoir s'engager entre les élus et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Les positions très arrêtées de ces dernières sont souvent catastrophistes, et pas seulement dans le Sud-Est ! Contrairement à ce qu'estime l'administration, il me semble par exemple possible de s'installer en bord de Loire en mettant en oeuvre des techniques de construction et d'aménagement adaptées...

M. Hervé Maurey, président. - Les problèmes soulevés se posent en effet sur l'ensemble du territoire. Les tables rondes que nous organiserons ne concerneront pas seulement le Sud-Est de la France.

Mme Nelly Tocqueville. - Les mêmes questions se posent en effet partout. Je suis bien entendu volontaire pour approfondir ce sujet.

Je m'interroge sur les propos tenus par le Président-directeur général de Météo-France qui avait indiqué devant notre commission, peu de temps avant les inondations, que les moyens d'information en cas de danger étaient au point !

Je pense que la réflexion des DREAL doit s'améliorer lors de l'élaboration des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI). Il ne s'agit plus, aujourd'hui, de tracer des lignes en fonction des catastrophes passées, mais de s'interroger sur les risques à venir.

Un plan communal de sauvegarde (PCS) a été défini dans ma commune. Les préfets ne devraient-ils pas davantage attirer l'attention des élus locaux sur ce document ? Ne serait-il pas pertinent d'en simplifier l'élaboration ? Son efficacité actuelle est, de toute façon, à revoir elle aussi.

Si je suis favorable aux exercices de simulation d'alertes réalisés localement, je m'interroge sur leur portée réelle. Ils permettent de se donner bonne conscience mais pas de prendre conscience des risques !

M. Hervé Maurey, président. - Le Président-directeur général de Météo-France a eu la chance d'être entendu en commission une semaine avant les inondations du Sud-Est. Sur le terrain, nous avons constaté que les représentants de cet établissement public n'avaient pas amorcé la moindre autocritique.

D'une manière générale, l'administration donne l'impression de chercher principalement à adopter les mesures qui lui permettront de s'exonérer de toute responsabilité. Les incessants appels automatiques reçus à tort et à travers en témoignent !

M. Jérôme Bignon. - Je suis d'accord pour participer aux travaux qui seront menés sur ces sujets.

Les alertes rouges sont aujourd'hui déclenchées par Météo-France. Ne serait-il pas plus pertinent de confier cette responsabilité au préfet ? Aux Pays-Bas, le service qui surveille le risque d'inondation répond directement à la Reine ! Il serait intéressant d'effectuer un déplacement dans ce Royaume qui a su développer une culture du risque et des solutions techniques alors que 40 % de sa surface est située au-dessous du niveau de la mer.

M. Cyril Pellevat. - Je souscris aux critiques sur les alertes automatiques transmises aux élus. Le système donne le sentiment que les services se couvrent en envoyant une multitude de messages inadaptés.

Une réflexion doit également être menée sur les plans de sauvegarde. Lorsqu'ils sont mis en oeuvre, le pouvoir de décision est transféré aux préfets et les maires ne sont même plus tenus informés, s'agissant par exemple de l'ouverture et de la fermeture des ouvrages d'art.

Face au manque de moyens locaux, une piste intéressante est à signaler : la possibilité de signer des partenariats avec les services de la Protection civile.

M. Louis Nègre. - Ces différentes réactions confirment que les problèmes d'inondations concernent tous les territoires.

La culture du risque n'est pas facile à acquérir. Je le constate dans ma commune : les réunions d'information sur les incendies et sur les inondations n'attirent pas la population civile. C'est un vrai problème.

Je pense aussi que les élus locaux devraient être davantage associés à l'élaboration des PPRI par les DREAL. Ce n'est pas l'administration mais le ministère chargé de l'environnement qui, au niveau politique, impose jusqu'à présent une vision binaire alors qu'une troisième voie est parfois possible. On le constate aux Pays-Bas ! Ce pays a des solutions à proposer.

La France n'a pas encore pris la mesure de la situation. Pourtant, nous déplorons des victimes et des dégâts matériels chaque année.

Mes chers collègues, puisque tout est à revoir, un beau chantier s'ouvre à nous.

La réunion est levée à 11h55.