Mardi 3 novembre 2015

- Présidence de M. Hervé Maurey, président, et de M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale à l'outre-mer -

Groupe de travail sur la situation des outre-mer confrontés au changement climatique - Examen du rapport d'information

La réunion est ouverte à 13 h 50.

M. Michel Magras, président. - Je vous prie d'excuser le président Maurey, retardé. Nous sommes aujourd'hui réunis en réunion plénière de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de notre délégation à l'outre-mer pour entendre la présentation, par nos rapporteurs Jérôme Bignon et Jacques Cornano, d'un rapport d'information établi au nom du groupe de travail commun à nos deux instances sénatoriales sur la situation de nos outre-mer confrontés aux changements climatiques.

Je me félicite de cette initiative commune qui nous a déjà conduits à produire les actes de tables rondes passionnantes sur les biodiversités ultramarines. Ces tables rondes nous avaient permis, au mois de juin, de réunir les meilleurs experts. Je dois dire que le recueil des actes suscite un grand intérêt, au point qu'un nouveau tirage devra être effectué pour le congrès des maires.

Si nos territoires ultramarins recèlent en effet des trésors de biodiversités terrestres et marines, ils sont aussi particulièrement exposés aux effets des évolutions du climat et sont souvent pionniers dans la recherche de solutions : aux avant-postes de la vulnérabilité climatique, celle-ci étant ressentie en premier lieu et plus sévèrement dans les zones inter-tropicales et les milieux insulaires, ces territoires se situent à l'avant-garde en matière d'observation des impacts et de définition de stratégies d'adaptation et de procédés innovants.

Le groupe de travail et, singulièrement, ses rapporteurs, ont souhaité faire de ce constat une démonstration pragmatique s'appuyant sur de nombreux exemples. Cette « démarche territoriale », qui s'inscrit dans celle de même nature menée par le Sénat tout entier dans la perspective de la COP 21 conformément à la spécificité de sa mission constitutionnelle, a nécessité un lourd travail de récolte d'information en provenance de tous les territoires, départements et collectivités d'outre-mer.

Cette collecte est le fruit de plusieurs auditions effectuées à Paris et d'auditions menées à l'occasion d'un déplacement en Guadeloupe et à Saint-Barthélemy fin juillet. Au total, plus d'une cinquantaine de personnes ont été entendues au cours de plus de trente heures d'audition. Les informations dont il est fait état dans le rapport résultent également des réponses à des questionnaires adressés aux services de l'État des départements d'outre-mer (DOM) et aux autorités locales des collectivités d'outre-mer (COM), chargés de l'environnement, ainsi que des signalements de réalisations innovantes par plusieurs de nos collègues sénateurs des outre-mer qui ont fourni de très intéressants éléments à nos rapporteurs. Je les remercie chaleureusement de leur collaboration car la collecte d'informations concernant nos territoires est toujours fort complexe !

Le souhait des rapporteurs a été de mettre en valeur un ensemble de réalisations vertueuses et parfois tout à fait innovantes autour de six thématiques majeures pour les outre-mer face au défi climatique :

- la gestion de la ressource en eau et l'assainissement,

- la définition d'un modèle agricole robuste et résilient,

- la préservation et la mise en valeur des biodiversités ultramarines,

- la promotion d'une grande diversité d'énergies renouvelables,

- la prévention des risques et la protection du littoral,

- la sensibilisation et l'éducation du public.

Jacques Cornano présentera les trois premiers thèmes et Jérôme Bignon les trois suivants. Et, à la césure entre leurs deux présentations, les rapporteurs nous feront voyager en images vers la Guadeloupe avec un film d'une dizaine de minutes.

M. Jacques Cornano, rapporteur. - Je me concentrerai sur trois grands thèmes qui s'imposent aux outre-mer confrontés au défi de l'adaptation au changement climatique : la gestion de la ressource en eau, l'adoption d'un modèle agricole plus résilient et la mise en valeur de la biodiversité. Dans chaque cas, les outre-mer ont montré, par une série d'initiatives et de réalisations territoriales très concrètes, qu'ils ne subissaient pas passivement les dérèglements climatiques. Collectivement, sans sous-estimer les risques, nous savons en tirer des opportunités pour nous orienter vers des voies de développement plus durables, montrant ainsi notre potentiel d'innovation et d'entraînement au sein de notre environnement régional.

Le changement climatique et la croissance démographique exercent une pression sur la quantité et la qualité de l'eau douce disponible, qui ne représente que 2,6 % de l'eau sur la Terre. À la raréfaction globale de l'eau s'ajoutent les risques de salinisation et de moindre dilution des polluants.

Les outre-mer, notamment la Martinique et La Réunion, bénéficient déjà d'études de vulnérabilité menées par l'Inra, le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) et l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea). De leur côté, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie bénéficient du Programme hydrologique international de l'Unesco.

Des techniques déjà développées à l'échelle industrielle permettent d'accroître la production d'eau potable pour faire face à la dynamique démographique, sans compromettre la ressource. Selon la géographie des territoires, les prévisions d'évolution de la ressource, de la consommation et des coûts estimés, différentes solutions peuvent être retenues : nouveaux forages horizontaux et galeries drainantes à Tahiti ; déplacements d'ouvrages pour prévenir les infiltrations marines en Guyane, en amont du Maroni ; construction d'ouvrages de secours pour faire face à des précipitations violentes en Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs, le dessalement d'eau de mer par osmose inverse est fortement consommateur d'énergies fossiles et occasionne des rejets de saumures. Pour en limiter l'impact, de nouveaux procédés réduisant l'empreinte carbone sont en phase de test grandeur nature, comme le couplage avec l'énergie photovoltaïque à Bora Bora avec le projet Osmosun, la réduction de la taille des stations aux Marquises ou la récupération de la chaleur du traitement des déchets par incinération à Saint-Barthélemy.

Le cas de Marie-Galante, que nous avons pu examiner en détail au cours de notre déplacement, offre un excellent exemple de politique globale d'accroissement de la ressource en eau disponible par optimisation du réseau. Une baisse des prélèvements par pompage a été constatée il y a quelques années, faisant craindre une réduction de l'alimentation naturelle de la nappe phréatique à cause d'une baisse de la pluviométrie et de l'infiltration utile imputable au changement climatique. Il fallait par conséquent réduire les déperditions sur le réseau. Les inspections lancées à cet effet ont révélé la dégradation de plusieurs forages par l'entartrage, la corrosion et l'accumulation de détritus. Un programme de travaux a été défini sur la base de ce diagnostic. Trois forages ont été rebouchés et remplacés, les quatre autres ont été réhabilités par récupération des éléments tombés, traitement à l'acide pour détartrer, injection d'air comprimé et brossage. Les résultats sont probants, puisque le débit global à Marie-Galante a augmenté de 32 % après travaux.

Une politique de l'eau adaptée au changement climatique demande un entretien adapté du réseau et des campagnes de recherche de fuites. Entre 2008 et 2014, à Saint-Pierre-et-Miquelon, une action volontariste a abouti à une réduction de 60 % des prélèvements d'eau. En effet, la réduction des prélèvements et la préservation des capacités de stockage, y compris par des citernes individuelles, offrent des marges de manoeuvre supplémentaires en cas de sécheresse. Il faut également faire évoluer les habitudes en sensibilisant le public aux économies d'eau.

Enfin, le recours à des stations d'épuration écologique doit être soutenu. Le projet Attentive d'adaptation de l'assainissement des eaux usées au contexte tropical, mené en Martinique, consiste à faire circuler de manière gravitaire les eaux brutes domestiques à travers des bassins successifs où elles sont traitées sur des minéraux plantés de roseaux. Ce traitement économe en énergie optimise le cycle naturel d'épuration de l'eau et limite les rejets azotés en milieu naturel.

Face au défi alimentaire que pose l'accroissement de la population mondiale, l'activité agricole occupe une place déterminante dans la définition des politiques de réponse au changement climatique. Responsable de 24 % des émissions de gaz à effet de serre, ce secteur offre néanmoins des moyens de piéger le carbone ; il demeure en outre essentiel pour l'activité économique et l'emploi dans les outre-mer et subit directement les effets des transformations du climat. L'impact porte autant sur les rendements et les volumes que sur les espèces et les variétés produites. La politique agricole doit par conséquent conjuguer logique d'adaptation et exigence d'atténuation.

Tant pour la canne à sucre que pour la banane, les études disponibles pointent une diminution probable à moyen terme des rendements liée à un raccourcissement du cycle de culture, à une augmentation de la température et à des périodes de sécheresse plus marquées. L'impact serait plus important sur la canne, mais les bananeraies sont particulièrement vulnérables aux cyclones. En Guyane, les recherches laissent anticiper une diminution forte de la productivité des peuplements forestiers. Pour les essences commerciales, comme l'angélique qui représente 60 % des volumes extraits, la principale crainte est le stress hydrique dû à l'allongement et à l'intensification de la saison sèche.

L'une des principales solutions consiste à trouver des espèces plus résistantes à la sécheresse. Un programme du Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en Guadeloupe croise différentes variétés et espèces de bananiers pour obtenir des plants plus résistants au stress hydrique et dotés d'un système racinaire plus adapté. D'autres travaux portent sur l'amélioration de la résistance des agrumes à la sécheresse, à la salinité et contre le greening, une maladie endémique qui ravage la Caraïbe, le Brésil et la Floride.

Des moyens de lutte biologique ont été parallèlement développés à La Réunion pour faire face à des espèces invasives potentiellement stimulées par le changement climatique, avec le soutien du Pôle de protection des plantes de Saint-Pierre. Parmi les réussites, je signale l'utilisation d'un champignon pour lutter contre le ver blanc de la canne à sucre ou l'introduction de microguêpes en cultures maraîchères et fruitières contre les mouches blanches. Deux sociétés privées, Betel Réunion et La coccinelle, travaillent en partenariat étroit avec le Cirad pour développer des gammes d'auxiliaires biologiques.

Enfin, dans le cadre de la Commission de l'Océan Indien, les unités de recherche basées à La Réunion apportent un soutien aux pays voisins - Comores, Madagascar, Maurice et Seychelles - pour lutter contre les ravageurs et les maladies affectant les cultures maraîchères. Voilà un excellent exemple du rôle d'interface entre les pays du Nord et du Sud que peuvent jouer les outre-mer.

Une plus grande diversité des cultures garantissant une plus grande résilience aux aléas climatiques, la protection ou la réintroduction de variétés anciennes et la diversification des productions pour contrebalancer la fragilité des grandes monocultures de banane ou de canne à sucre constituent des axes majeurs de transformation de l'agriculture ultramarine. À cet égard, le modèle de polyculture offert par le jardin créole, élément du patrimoine agricole et culturel, où sont cultivées plantes alimentaires, médicinales et ornementales, est particulièrement pertinent. Les recherches de l'Inra permettent d'expliciter et d'utiliser les associations entre différentes espèces pour obtenir des rendements supérieurs aux cultures d'une seule espèce : à Marie-Galante, notre visite d'un jardin créole, sous la conduite de Monsieur Henry Joseph, pharmacien et docteur en pharmacognosie, du laboratoire Phytobôkaz, nous en a offert un excellent exemple avec une culture simultanée de canne à sucre et d'une grande variété de pois, sources de protéines végétales. Le jardin créole est un cas d'école, que ce soit pour la conservation de la biodiversité faunistique (abeilles, oiseaux, chauves-souris), le recours à la permaculture, avec la création d'humus en permanence qui permet une économie d'eau, ou la croissance en synergie des plantes qui s'assurent une protection réciproque contre les agresseurs et favorisent leur pollinisation mutuelle.

Ce modèle de biodiversité agricole se retrouve dans d'autres projets guadeloupéens comme la réintroduction de cultures de légumineuses et d'indigo, couplée avec un plan de protection des abeilles sauvages, ou encore le développement d'une agroforesterie sophistiquée avec des productions combinées d'arbres tels le galba, le calebassier, l'avocatier qui utilisent abeilles et chauves-souris comme auxiliaires pour la fertilisation, la récolte et la préparation du fruit. Ces initiatives vont de pair avec une valorisation des productions locales et des circuits courts. Le reflux des importations et la limitation des flux transportés se traduiront par des bénéfices pour l'économie locale et une réduction des émissions carbonées.

La biodiversité des outre-mer est reconnue comme une richesse inestimable, mais ce patrimoine exceptionnel est aussi menacé par le changement climatique et doit être préservé avant de pouvoir être valorisé. Comme nous l'ont montré nos tables rondes du 11 juin dernier, il faut poursuivre les campagnes d'exploration et d'inventaire, soutenir le développement de la connaissance et de la recherche innovante, et mobiliser des outils territoriaux adaptés aux spécificités locales.

Les populations sont les premiers acteurs de la protection de leur cadre de vie. De nombreuses collectivités l'ont d'ores et déjà compris et en tirent parti pour préserver la biodiversité. Ainsi, la direction de l'environnement du Gouvernement de la Polynésie française mène un programme ambitieux de lutte contre les espèces exotiques envahissantes qui menacent la biodiversité locale, à travers l'information et la formation des populations.

Autre réponse à la menace pesant sur la biodiversité, les aires marines et littorales protégées et les conservatoires de ressources génétiques soutiennent la résilience des écosystèmes et garantissent leur développement économique. Le projet d'Institut caribéen de la biodiversité insulaire, porté par la Réserve nationale naturelle de Saint-Martin, devrait faire émerger un pôle de recherche centré sur la biodiversité de l'espace caraïbe.

Des actions remédiatrices et réparatrices viennent compléter l'arsenal des politiques de préservation : dans le cadre des travaux du Grand port maritime de la Guadeloupe nouvelle génération, des transplantations d'herbiers de phanérogames marines ainsi que de coraux ont été conduites, avant une action sur les mangroves. À Saint-Barthélemy, deux projets de reconstitution de coraux nous ont été présentés. L'un mise sur la constitution de pépinières et le bouturage de cornes de cerf et de cornes d'élan, dont le rythme de croissance est rapide. L'autre s'appuie sur une technique d'accrétion électrolytique : des structures métalliques sont immergées et placées sous basse tension afin de former des structures calcaires qui serviront d'habitat artificiel aux coraux.

M. Michel Magras, président. - Merci pour la qualité de cet exposé. En complément, voici un petit film consacré aux réalisations du laboratoire Phytobôkaz.

Le film est projeté devant la commission et la délégation.

M. Michel Magras, président. - Vous avez pu apprécier la qualité du travail du docteur Henry Joseph, qui met à contribution le milieu naturel : l'essentiel de la récolte du galba est assuré avec le concours des ouvrières que sont les chauves-souris. Si vous autorisez la publication du rapport, le film y sera annexé sous la forme d'un DVD.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Après cette récréation filmée, je crains que mon exposé vous paraisse bien terne. Le président du Sénat a souhaité, dans la perspective de la COP 21, que toutes les commissions et délégations se mobilisent pour que le Sénat, institution ancrée dans les territoires, montre l'exemple et fasse essaimer les initiatives. Le groupe de travail sur les négociations climatiques internationales se réunira demain pour travailler sur le projet de résolution qui sera déposé sur le Bureau du Sénat et discuté en séance le 16 novembre. En raison de leur positionnement particulier et des richesses biologiques qu'ils recèlent, les outre-mer sont des acteurs essentiels dans la préparation de la conférence.

En matière énergétique, nos outre-mer font face à des problèmes particuliers liés à leur insularité qui les prive d'énergie nucléaire et les rend dépendants de ressources fossiles, tout en posant des problèmes d'interconnexion. Des technologies intéressantes commencent à être développées. Nous nous sommes rendus sur le site de Bouillante, en Guadeloupe, où l'on convertit en électricité la chaleur du sous-sol. L'exploitation est assurée par le BRGM. Le sous-sol volcanique dans nos îles des Caraïbes, mais aussi sur les îles voisines, pourrait être exploité pour constituer de véritables réseaux dans le cadre d'une coopération régionale.

En Polynésie française, le projet SWAC (Sea Water Air Conditioning) consiste à utiliser l'eau de mer naturellement froide pour la climatisation, aujourd'hui d'un hôtel, demain, d'un centre hospitalier. En Martinique, le projet Nemo met à profit le différentiel de température entre les eaux de surface et les eaux profondes pour récupérer des calories qui sont ensuite transformées en électricité.

La Martinique et la Guadeloupe ont opté pour l'habilitation leur permettant d'adapter la réglementation énergétique dans un objectif d'autonomie, comme la Constitution leur en offrait la possibilité : c'est un signal fort.

Cinquième sujet abordé par notre rapport, la prévention des risques. Les événements climatiques prennent toujours une tournure plus aiguë dans les outre-mer. Les cyclones peuvent entraîner des crues, une submersion des zones basses ou encore des pics d'érosion côtière et des glissements de terrain. La forte littoralisation des populations est un facteur de risque aggravant.

Pour y répondre, les territoires ont mis en place des politiques adaptées. La Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de Guyane a créé un observatoire de la dynamique côtière pour étudier l'impact des marées qui pénètrent à l'intérieur des terres et détruisent la mangrove. Il travaille en lien avec la mission confiée par Mme Ségolène Royal à Mme Chantal Berthelot, députée de Guyane, sur l'observation des littoraux. Autres exemples, le projet Littofort à Wallis-et-Futuna, ou encore l'initiative conjointe du conseil régional et de l'Ademe en Guadeloupe pour créer un outil d'accompagnement des collectivités dans la définition de stratégies d'adaptation, objet de deux appels d'offres en 2014. Je participe à un groupe de travail présidé par la députée Pascale Got sur l'évolution du trait de côte. Des sites pilotes ont été identifiés pour une réflexion sur l'adaptation au retrait de celui-ci et la recherche de solutions de substitution. Les outre-mer sont concernés au premier chef.

Enfin, nous avons travaillé sur la sensibilisation du public et le développement des connaissances. « La biodiversité est notre assurance vie, il est donc très important de bien la connaître », dit Hubert Reeves. Pour agir, il faut d'abord savoir et communiquer, or nos efforts dans ce domaine restent insuffisants. À ce jour, seulement 250 000 espèces marines sont répertoriées avec un champ de valorisation potentielle largement sous-évalué. Dans son laboratoire, le docteur Henry Joseph ne travaille que sur une cinquantaine de variétés ! Lors du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, nous avons adopté le mécanisme d'accès et de partage des avantages (APA), qui présente un intérêt tout particulier pour les outre-mer.

Le 6 juin 2015, un débat citoyen sur l'énergie et le climat a été organisé par le conseil régional de Guyane pour faire émerger des pistes stratégiques et des engagements locaux en matière de limitation des gaz à effet de serre et d'adaptation au changement climatique. Les orientations ambitieuses adoptées montrent qu'associer le public est toujours payant. Autre illustration, les aires maritimes éducatives en Polynésie lancées dans l'école primaire de Tahuata, qui contribuent à sensibiliser et responsabiliser les futures générations au changement climatique. Six aires maritimes éducatives sont en place et le dispositif pourrait essaimer. Ces initiatives sont la première condition pour que les actions d'adaptation au changement climatique soient mises en oeuvre et partagées par l'ensemble de nos concitoyens.

À travers ces exemples, nous avons voulu coller à la dynamique de négociation de la COP 21, dont la crédibilité repose sur l'Agenda des solutions locales. Les accords internationaux issus de la conférence resteront lettre morte sans les efforts quotidiens des élus, des organisations non gouvernementales (ONG), des entreprises et des citoyens pour la mise en oeuvre des objectifs qui seront définis à cette occasion.

Merci à nos collègues ultramarins pour leur hospitalité.

M. Michel Magras, président. - Les rapporteurs se réjouiront de voir une assistance aussi nombreuse à notre réunion de ce jour, preuve de l'importance du sujet.

M. Hervé Maurey, président. - Je félicite les rapporteurs pour le travail réalisé. J'aurais souhaité pouvoir les accompagner pour leur déplacement en outre-mer. Ce rapport est un jalon important dans le cadre du travail collectif du Sénat en amont de la COP 21. Un projet de résolution, synthèse des travaux des différentes instances du Sénat, sera déposé par Jérôme Bignon. Le débat qui suivra le 16 novembre en séance publique donnera la parole aux groupes mais aussi aux différents organes du Sénat, commissions et délégations. Le président du Sénat a souhaité que l'accent soit mis sur l'outre-mer. La France est présente sur tous les continents et dans tous les océans, ce qui lui donne une meilleure appréhension des effets des dérèglements climatiques - un outil précieux pour nos entreprises et organismes de recherche, notamment dans le cadre de la mise en place de l'heureuse initiative qu'est l'Agenda des solutions locales.

M. Gérard Miquel. - Je félicite nos deux rapporteurs pour cet excellent rapport, agréable à lire et riche de nombreux éléments de réflexion. Ayant moi-même commis un rapport sur l'eau, je m'étais rendu en Martinique et en Guadeloupe où j'avais vu des étendues d'eau douce polluées par le chlordécone utilisé dans les bananeraies. La rémanence de ce produit étant très longue, qu'en est-il aujourd'hui ?

La collecte et le traitement des déchets, en revanche, sont moins longuement abordés. Nos merveilleux paysages ultramarins sont pollués par les matières plastiques. C'est un sujet porteur pour mobiliser les citoyens, car la gestion des déchets - qui pourrait être grandement améliorée - appelle des solutions locales susceptibles de créer des emplois et de favoriser une économie circulaire. Quelles sont vos observations sur ces questions ?

Mme Odette Herviaux. - Je félicite tous ceux qui ont participé à ce rapport. Il donne des exemples concrets des savoir-faire, de la recherche et des techniques pour mettre en valeur les bonnes pratiques dans les territoires. Il témoigne aussi de l'implication de toutes les collectivités, nous pourrons nous le rappeler dans la proposition de résolution. Comme celui sur la biodiversité, ce rapport servira de vitrine et de promotion pour les outre-mer. Enfin, n'oublions pas que les collectivités ultramarines mais aussi métropolitaines ont déjà beaucoup réfléchi à la préservation des côtes.

Mme Chantal Jouanno. - À mon tour de féliciter les rapporteurs. Ce document très complet donne une vision transversale des enjeux liés au climat.

Il ne serait pas inutile d'organiser un débat sur le document issu de la négociation de Bonn sur la COP 21. Je reste pessimiste : dans les 51 pages, presque tout est entre parenthèses et en option ! Disposez-vous d'une expertise sur les conséquences de l'acidification des océans et ses répercussions sur la survie de certaines espèces, notamment à coques ?

M. Ronan Dantec. - Ce rapport est important. Pour protéger la biodiversité, il faut des plans d'action plus que des déclarations de principe. Les espèces en danger ne font pas toutes l'objet d'un suivi, d'où l'importance d'inscrire ce sujet dans la loi. Pour ce qui est de la dimension énergétique, il est essentiel que nous suivions notre logique jusqu'au bout. L'outre-mer doit être une vitrine. Un rapport de l'Ademe montre que le choix du 100 % d'énergies renouvelables à échéance 2050 ne coûte pas plus cher qu'un autre. C'est d'autant plus vrai pour les territoires non interconnectés, où ce choix s'inscrit dans une logique purement économique dans la mesure où l'électricité y coûte extrêmement cher. Il faudrait que l'opérateur national public en tienne compte, or les représentants d'EDF en charge des territoires non interconnectés - la Corse en fait partie - ne font pas toujours preuve de volontarisme en la matière. Des systèmes de stockage existent pourtant. Étant donné les enjeux de santé publique, l'utilisation de fioul lourd dans les centrales ne devrait plus avoir cours.

M. Rémy Pointereau. - Les deux rapporteurs ont brillamment exposé les innovations mises en oeuvre en outre-mer pour répondre aux problématiques de l'eau, des énergies renouvelables ou de la biodiversité. L'agroforesterie peut être intéressante, même si elle ne concerne que les petites parcelles. Cependant, comme rapporteur de la mission sur la politique des territoires, je constate tous les ans que notre petit budget s'amenuise. Le chlordécone utilisé dans les bananeraies pose des problèmes de santé majeurs. Et pourtant, on débloque très peu de moyens pour traiter les sols. Le lessivage a un impact sur les coraux. Quant aux énergies renouvelables, a-t-on une idée du potentiel maximum que l'on dégagerait en mixant le solaire, l'éolien et l'hydroélectrique ? Grâce à ces secteurs, on pourrait pratiquement être autonome - et avoir de l'énergie à revendre !

Mme Évelyne Didier. - Nous avons particulièrement apprécié que vous décriviez les solutions concrètes mises en oeuvre dans les territoires ultramarins. Grâce à l'outre-mer, nous avons une vision plus large des problèmes environnementaux. Vous nous démontrez que les collectivités, les citoyens et les entreprises installées sur place sont en mesure de trouver des solutions adaptées. À certains égards, être une île constitue un avantage, car l'écosystème insulaire offre un terrain de réflexion et d'expérimentation délimité pour trouver des solutions qui vous rendent indépendants des autres territoires. L'idéal serait de régler la question des énergies renouvelables et de la gestion des déchets, territoire par territoire. L'autosuffisance des territoires, tel doit être l'objectif.

M. Charles Revet. - J'ai entendu, il y a quelques jours, que le territoire maritime français s'était agrandi. En avez-vous tenu compte dans votre réflexion ? Y a-t-il des endroits qui offriraient un potentiel de production d'énergie ? Dans certaines régions, on envisage de produire de l'énergie grâce à la mer. Dans quelle proportion serait-ce possible ?

Mme Lana Tetuanui. - Je salue le travail des rapporteurs, au nom de la Polynésie française, la plus grande surface marine et le plus vaste des territoires ultramarins qui composent notre si belle France. Avec la montée des eaux, nos petits atolls seront les premiers menacés. Le rapport sur les biodiversités ultramarines a fait polémique en Polynésie, notamment les cinq lignes qui concernent le projet aquacole chinois sur l'atoll de Hao et font état de risques environnementaux afférents. Je rappelle que Hao a déjà servi d'arrière base aux essais nucléaires de Mururoa... Si l'on pouvait rectifier ces lignes du rapport, j'y serais sensible. Le président de la Polynésie vous a adressé un courrier en ce sens.

C'est bien beau d'aller constater les efforts des collectivités ultramarines mais nous restons confrontés à un problème de moyens. En Polynésie, un deuxième projet SWAC a été lancé pour le centre hospitalier, après celui implanté pour l'hôtellerie à Bora Bora. Le Gouvernement polynésien vient de publier notre programme de transition énergétique pour 2015-2030. Toutes les communes se sont attelées à la gestion des déchets, suivant les règles environnementales imposées par le code général des collectivités territoriales. Cependant, le spectre de la réforme de la DGF pèse sur nous.

M. Jacques Cornano, rapporteur. - C'est une chance que la France accueille et préside la vingt-et-unième conférence des Nations Unies sur les changements climatiques. C'est pourquoi nous avons voulu donner de la visibilité aux DOM-COM dans le débat sur les conséquences du changement climatique. Des spécialistes ont montré qu'à la fin du siècle, l'aéroport de Pointe-à-Pitre pourrait être recouvert par quelques centimètres d'eau. Si nous nous intéressons à l'agriculture, à la biodiversité, aux énergies renouvelables, à l'eau, à la prévention et à la gestion des risques ou à l'éducation au développement durable, c'est pour trouver des solutions en amont, en mesurant les impacts et en prévoyant des possibilités d'adaptation.

Gérard Miquel a mentionné le traitement des déchets. Les communautés de communes et d'agglomérations ont commencé à y travailler. À Saint-Barthélemy, on a mis en place un modèle d'économie circulaire : en utilisant l'énergie tirée de l'incinération des déchets, on produit de l'électricité et même de l'eau, après dessalement. On pourrait transposer cette solution à Marie-Galante où, pour l'instant, les déchets sont évacués par bateau jusqu'à Pointe-à-Pitre.

Le chlordécone est un vaste sujet. Une solution consisterait à recourir à des couvertures de plantes de services permettant de capter ce polluant dans le sol.

M. Rémy Pointereau. - Tout à fait.

M. Jacques Cornano, rapporteur. - Certains responsables au Gouvernement y sont sensibles.

En effet, les DOM-COM doivent être des vitrines de la transition énergétique. La loi de transition énergétique fixe un objectif de 50 % d'énergies renouvelables en 2020. Ronan Dantec considère que le résultat dépend des moyens et de la politique que nous mettrons en place. Il a raison : alors que nous disposons de l'énergie solaire, de l'éolien et de l'énergie thermique des mers, EDF vient de construire douze moteurs de centrales thermiques au fioul pour alimenter la Guadeloupe !

Marie-Galante pourrait bientôt devenir un territoire à énergie positive : alors que nous consommons en pointe 8 mégawatts, nous sommes en capacité d'en produire plus du double grâce à un projet d'éoliennes qui nous alimentera à hauteur de 10 mégawatts et à une centrale géothermique de nouvelle génération capable de produire 15 mégawatts. Au lieu de recevoir de l'énergie par câbles de la Guadeloupe continentale, Marie-Galante serait alors en mesure d'exporter son énergie. La Martinique pourra faire de même grâce à l'énergie thermique des mers. Les possibilités de coopération régionale doivent être exploitées. Non loin de Marie-Galante, le potentiel géothermique de la Dominique est dix fois supérieur à celui de Bouillante.

Le chlordécone est un problème de santé majeur contre lequel les pêcheurs et les agriculteurs tentent de lutter. Nous avons fait maintes demandes pour en venir à bout, sans résultat.

M. Serge Larcher. - En France hexagonale, on trouve partout des périmètres de protection des zones de captage. Les zones de captage dans nos îles sont en amont des bananeraies et donc du chloredécone. Mais comme le chlordécone se trouve dans l'eau de ruissellement, il circule jusqu'à la mer et stagne dans les mangroves. Or celles-ci sont des nurseries. D'où l'interdiction d'y pêcher des crabes de terre ou de consommer les langoustes. Cependant, toutes les zones polluées ont été identifiées, cartographiées et sont surveillées. Un système de traçabilité est en place pour contrôler les produits consommables. Pour autant, le chlordécone est une molécule qui ne disparaît pas facilement et nous devons vivre avec sans savoir jusqu'à quand.

La Dominique offre de fortes potentialités en matière de géothermie ; or, malgré l'appui des conseils généraux, EDF refuse de les exploiter. Seule une volonté politique peut les inciter à revoir leur position.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. - L'extension du plateau continental évoquée par Charles Revet n'est pas une extension de la zone économique exclusive. Elle ne concerne que la capacité d'exploiter le sous-sol ; or, la tendance actuelle n'est pas à rechercher des ressources sous-marines fossiles.

Mme Chantal Jouanno. - J'aimerais que vous ayez raison !

M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Madame Didier, on ne peut que souhaiter l'autosuffisance de tous les territoires. Je ne suis pas hostile à insister sur ce souhait dans le rapport.

M. Ronan Dantec. - Le terme « vitrine de la transition énergétique » serait approprié.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Nous avons été choqués de constater qu'EDF n'avait aucune volonté de développer la géothermie. Ce n'est pas bon, ni pour les outre-mer, ni pour l'avenir de la planète. D'où notre souhait d'enquêter davantage sur les raisons de la non-exploitation de ce potentiel.

Madame Jouanno, le rapport de Bonn n'est pas très bon, il est vrai. Nous pourrons en reparler dans le groupe de travail sur les négociations climatiques internationales. Quant à l'acidification, c'est un problème qui affecte une partie non négligeable des 350 millions de kilomètres carré d'océans. Les sargasses proviennent-elles d'une maladie des océans ? On ne sait pas. En tout cas, elles signent la mort des coraux, des mangroves et des poissons.

M. Michel Magras, président. - Le rapport qu'évoque Lana Tetuanui n'est pas un rapport, mais les actes d'un colloque, qui rendent compte de ce qui a été effectivement dit. La responsabilité de ce qui a été dit appartient à son auteur. Il ne nous revient pas de le modifier même si nous ne partageons pas l'analyse.

Mme Lana Tetuanui. - Il est important de rectifier les choses.

M. Michel Magras, président. - Le sujet climatique répond à une vaste problématique. Il y a autant de problèmes et de solutions que de territoires ultramarins. D'où notre volonté de mettre en exergue un certain nombre de réalisations et de politiques déjà en place pour croiser les regards entre l'outre-mer et l'Hexagone, mais aussi entre les outre-mer.

Dans certains territoires, monsieur Dantec, on est en train de faire l'inventaire de toutes les espèces qui existent.

M. Ronan Dantec. - Nous n'avons pas besoin d'inventaire, mais de plan d'action.

M. Michel Magras, président. - Nous travaillons avec l'Union internationale pour la conservation de la nature, pour faire respecter la liste des espèces protégées. Les problèmes ne se règleront pas du jour au lendemain. Même si nous ne disposons pas d'étude sur l'acidification des océans, des réalisations sont déjà en cours, dont deux projets de reconstruction du corail. On a découvert que, contrairement à ce que j'ai enseigné pendant trente-cinq ans, certains coraux pouvaient se reproduire très rapidement, à une vitesse de 2,5 centimètres par mois. C'est extraordinaire, car c'est le lieu où se développe l'essentiel de la faune marine. Dans dix ans, on cultivera du corail comme on cultive d'autres plantes !

Quant à nos déchets, ils sont d'abord triés. À Saint-Barthélemy, on recycle tout ce qui peut l'être : tous les métaux, y compris le plomb des batteries, le verre, etc. Pour ce qui est des incinérations, les fumées sont traitées par une douzaine de capteurs nettoyés dans des bains de chaux vive et de charbon actif, de sorte que nous ne libérons dans l'atmosphère que des doses infinitésimales contrôlées par la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL). L'eau est transformée en vapeur, pour être ensuite vendue à l'usine voisine qui multiplie par deux sa production d'eau potable. Nous ne vendons rien à EDF. C'est un exemple remarquable de couplage entre le traitement des déchets et la production d'énergie.

M. Maurice Antiste. - Pour conclure, je voudrais souligner que certaines calamités comme l'invasion des sargasses pourraient être transformées en opportunités et qu'il faut activement poursuivre la réflexion dans ce sens.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la délégation sénatoriale à l'outremer autorisent la publication du rapport.

La réunion est levée à 15 h 25.

Audition de M. Philippe Wahl, Président-directeur général du groupe La Poste

La réunion est ouverte à 18 h 30.

M. Hervé Maurey, président. - Monsieur le président, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Cela fait plusieurs mois que je souhaitais organiser cette audition, car La Poste est un acteur important de l'aménagement du territoire, et je me réjouis qu'elle ait enfin lieu.

Nous avons bien des raisons de vouloir vous interroger : bien sûr le sujet de la présence postale sur le territoire nous intéresse, mais aussi, par exemple, celui de l'engagement de La Poste dans le numérique. Et l'actualité ajoute encore des raisons de vous interroger : je pense à certaines dispositions de la loi Macron relative au permis de conduire ou, dans un autre ordre d'idées, au tout récent rapport de la Cour des comptes sur les activités sociales du groupe.

Nous sommes très attachés à La Poste dans cette assemblée. Je rappelle que c'est le Sénat qui, dans la loi du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales, a souhaité inscrire le principe des 17 000 points de contact avec le public.

La Poste, c'est près de 260 000 personnes implantées sur toutes les zones de notre territoire national. C'est une entreprise de services. C'est une entreprise qui bénéficie d'une confiance particulière de la part de nos concitoyens. C'est un groupe qui intervient dans la vie quotidienne des gens en ayant développé au cours de nombreuses décennies une véritable offre de proximité.

Mais face aux transformations du monde actuel, La Poste doit, encore plus que d'autres groupes de services, se remettre en question et relever des défis de très grande ampleur.

Car l'enjeu est de maintenir une offre de services de bon niveau pour tous, y compris sur des activités en régression ou des territoires en déclin, tout en conservant une structure financière solide et saine. Je rappelle que le chiffre d'affaires du groupe est d'un peu plus de 22 milliards d'euros et que son résultat net en 2014 a atteint 513 millions d'euros. Sur cet ensemble, l'activité courrier-colis représente la moitié du chiffre d'affaires et la Banque Postale un quart.

Cela fait près de deux ans que vous êtes aux commandes de La Poste. Vous disposez donc déjà d'un bon recul pour nous dire comment vous percevez les choses.

Le groupe a adopté un plan stratégique qui s'intitule « La Poste 2020 : Conquérir l'avenir ». Comment s'articule ce plan ? Comment se met-il en place ? Quelles en sont les priorités ? Et plus spécifiquement, quels sont vos objectifs précis en termes d'aménagement du territoire ?

À cet égard, La Poste s'est clairement engagée dans le mouvement de création des maisons de services au public. La première maison de ce type installée dans un bureau de poste a été inaugurée récemment dans le Lot.

M. Pierre Camani. - Et la deuxième en Lot-et-Garonne !

M. Hervé Maurey, président. - Comment formez-vous vos personnels pour les adapter à ces nouvelles activités ? Quelles sont vos relations avec les autres organismes qui s'y trouvent représentés? Quel partenariat avez-vous noué avec l'État ? Quels sont vos objectifs ?

Vos 85 000 facteurs voient également leurs tâches se diversifier. Quels sont là encore vos objectifs et comment se prépare cette transformation au sein des personnels ? Quel est le nouveau rôle que vous imaginez pour les facteurs à horizon 2020 ?

Quelles sont vos ambitions en matière de numérique ? Cette activité représente aujourd'hui environ 2 % des activités du groupe. Jusqu'où comptez-vous aller dans les prochaines années ?

Vous avez annoncé le 7 octobre dernier votre stratégie numérique en lançant une offre destinée à « gérer l'identité numérique des Français ». Qu'est-ce que vous en attendez, car, a priori, vous n'êtes pas seuls sur ce marché ? Comment cette nouvelle offre va-t-elle se déployer ? Quelle sera votre spécificité ?

Vos évolutions sont-elles en phase avec celles des autres postes européennes ou même des postes d'autres pays plus lointains aux territoires étendus ? Partout en effet le courrier papier connait un véritable déclin, et partout apparaissent de nouvelles formes de services de livraison, en lien bien sûr avec le commerce électronique. Pouvez-vous nous indiquer quelques exemples de réussite, dont vous vous êtes peut-être d'ailleurs inspiré en établissant votre stratégie pour 2020 ?

Après votre intervention liminaire, je cèderai la parole aux sénateurs présents qui, je n'en doute pas, auront de nombreuses questions à vous poser. Votre présence est rare et nous voulons en profiter !

M. Philippe Wahl, président directeur-général du groupe La Poste. - Merci pour votre invitation et votre accueil. Je m'en tiendrai à une présentation liminaire synthétique, pour privilégier le dialogue.

La Poste est confrontée à une transformation radicale, la plus importante de son histoire de six siècles. Bien sûr, les postières et les postiers ont connu des transformations profondes des modes de transmission du message. Se sont succédé le cheval, la diligence, le train, le routier et l'avion. Désormais, nous ne sommes plus confrontés à un changement du mode de transport mais à une évolution du message lui-même, qui disparaît et nous échappe, par voie numérique.

Le modèle économique, social et stratégique de la poste n'est donc plus viable. Il faut le transformer. C'est un constat construit avec l'ensemble des personnels, cadres et syndicats de notre groupe. Nous avons élaboré notre plan stratégique dans le cadre d'un grand tour de France, qui a débuté le 12 septembre 2014 à Marseille et qui s'est achevé le 9 décembre 2014 à Fort-de-France. Nous avons rencontré 6 000 cadres supérieurs de La Poste lors de cette campagne.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, cette transformation fondamentale s'appuie sur un plan stratégique dénommé « La Poste 2020 : conquérir l'avenir ». Il met au coeur de cette transformation la promesse postale du XXIe siècle. Cette promesse ne peut pas s'appuyer sur le transport du courrier, car nous ne savons pas quel volume de lettres nous transporterons encore en 2030. Aujourd'hui l'essentiel du courrier est composé de factures, d'impôts ou de rappels : autant de documents qui ont vocation à être dématérialisés. La promesse postale, c'est apporter à des millions de gens un facteur humain tous les jours, pour tous. La proximité et la relation humaine vont devenir le coeur de l'ensemble des services de notre groupe dans les 15 ans à venir. C'est une transformation très profonde. Il faut imaginer, un jour, des postiers sans lettres, qui participeront toujours au développement du pays, à l'information et à la sécurité des personnes, au développement des entreprises et à la vie de nos territoires.

Quelques mots sur notre trajectoire économique. En 2013 et en 2014, La Poste a été confrontée à une baisse du résultat d'exploitation. L'année 2015 doit être l'année du rebond. Une période de convergence d'ici 2020 doit accompagner l'évolution des activités de La Poste. La transformation de notre modèle doit permettre de construire un avenir pour les postiers et les territoires, sur de nouveaux métiers.

Le groupe emploie plus de 260 000 personnes, dont 240 000 en France et 20 000 en Europe. Il réalise 18 % de son chiffre d'affaires hors de France avec GeoPost. Avec la Banque Postale, notre entreprise possède un grand groupe bancaire en France. La transformation de notre modèle est indispensable, à travers la stratégie des différentes branches, à savoir, par ordre d'importance en chiffre d'affaire : les services de courrier et de colis, la Banque postale, GeoPost, le réseau territorial, et le numérique.

L'année 2015 se déroule bien, avec une légère avance sur nos prévisions. Mais il ne suffit pas d'avoir une trajectoire économique et financière satisfaisante pour réussir la transformation d'un grand groupe. La branche la plus dynamique est GeoPost, c'est-à-dire le colis express international, avec une croissance de 13 % en 2014. Pour situer notre groupe en Europe : La Poste est le numéro un du colis en France, en Espagne, au Portugal et en Pologne ; le numéro deux au Royaume-Uni et en Allemagne. Dans l'ensemble européen, nous sommes deuxième sur le colis routier et nous espérons dépasser DHL avant 2020.

La Banque Postale se développe bien, et elle est rapidement devenue un acteur majeur du financement local. Alors que nous n'avions aucune activité de cette nature en 2011, la Banque Postale apporte 3,5 milliards d'euros de financement de long terme aux collectivités territoriales en 2015. Lorsque les collectivités ont eu besoin de financement lors de la crise de 2011, nous avons créé une banque du financement local pour répondre à leurs besoins. Nous avions lancé ces activités avec un plafond d'opération assez élevé afin de maîtriser le lancement de cette activité. Nous avons ramené ce montant à 50 000 euros.

En termes d'activités postales, le colis augmente avec le développement du e-commerce. En revanche, le courrier classique diminue de 6 à 7 % par an en France. Cette baisse reste moindre que celle observée dans d'autres pays : le courrier baisse de 11 % par an au Pays-Bas, de 15 % par an au Danemark. Notre groupe est donc confronté à un basculement total de son modèle.

Sur la relation entre La Poste et les territoires. Nous apportons une réponse à chaque type de territoire : rural, urbain et métropolitain.

Pour le rural, nous transformons les bureaux de poste et nous adaptons notre présence au territoire. Trois formes de présence postale existaient jusqu'à récemment : le bureau de poste, l'agence postale communale, le relais poste commerçant. Désormais nous en avons six en milieu rural !

La maison de services au public est la première forme récente. Nous souhaitons que 500 maisons centrées sur des bureaux de poste soient créées d'ici fin 2016. Nous nous sommes engagés en ce sens auprès du Gouvernement. Dans ces maisons de services au public, nous devons partager l'espace, les systèmes d'information et la caisse avec d'autres opérateurs. Nous préférerions conserver des bureaux de poste mais un partage est indispensable pour maintenir notre présence dans ces territoires compte tenu de la baisse de fréquentation pour les services postaux. Les opérateurs publics et privés avec lesquels nous partageons l'espace apportent une contribution économique pour le fonctionnement des maisons de service public. De nombreux opérateurs publics sont présents dans les premières maisons inaugurées : la Caisse nationale d'assurance maladie, la Caisse nationale des allocations familiales, Pôle emploi, EDF, ERDF, GRDF, la Mutualité sociale agricole, le Régime social des indépendants... Dans la majorité des cas, un même guichetier gère ces différents services, après avoir bénéficié d'une formation par les opérateurs présents. La création et le fonctionnement de ces maisons sont financés par les loyers versés par les opérateurs, ainsi que par les collectivités grâce au fonds postal de péréquation territoriale. Au-delà de ces 500 maisons, nous sommes prêts à rejoindre d'autres points de services publics, si des collectivités territoriales en créent et souhaitent que nous soyons présents.

Le facteur-guichetier est une autre forme nouvelle de présence postale en milieu rural, développée pour les villages dont la population est comprise entre 500 et 1 000 habitants environ. Le facteur tient un guichet en matinée puis part en tournée pour desservir le bourg. Nous espérons atteindre 1 000 facteurs-guichetiers d'ici la fin 2017. Le relais de poste économique, social et solidaire est la troisième forme nouvelle, et se développe dans des établissements sociaux dont la fréquentation est importante, notamment des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Dans l'urbain, les maisons de services au public sont également présentes. Nous avons créé une nouvelle forme de présence postale : le relais poste urbain. Il s'agit d'un espace postal mis en place dans un local commercial.

Pour le métropolitain, nous faisons évoluer notre présence dans les 15 métropoles créées par la loi. Nous avons rencontré le maire de chaque métropole, notamment pour définir la participation de La Poste à la logistique urbaine pour le transport de marchandises, à une échelle métropolitaine. Si les collectivités sont très dynamiques sur le transport de personnes, l'organisation du transport de marchandises est à l'état naissant. Or le e-commerce va multiplier les besoins en transport routier. Ce développement peut accroître la pollution et la congestion des espaces métropolitains, en l'absence de régulation. Notre groupe veut être un acteur de l'économie de la logistique urbaine afin de gérer ces flux, notamment en créant de nouveaux lieux d'accueil et des espaces partagés de travail.

D'ici 2020, nous développerons certainement de nouveaux formats, afin de répondre au mieux aux besoins des collectivités territoriales, en relation avec de nouveaux opérateurs. Nous faisons le choix stratégique de rester dans les territoires. C'est fondamental pour notre groupe. Nous ne pourrons toutefois tenir cet objectif que si nous mutualisons notre présence avec d'autres acteurs et avec les collectivités territoriales.

De nouveaux projets animent notre réseau. D'ici janvier 2016, les jeunes Françaises et Français pourront passer l'examen théorique du permis de conduire dans des bureaux de poste, sans devoir se rendre en préfecture ou en sous-préfecture. C'est une évolution très concrète pour des millions de jeunes. Nous avons l'habitude de nous assurer de l'identité des clients lors des envois de courrier ou des activités bancaires. Il nous sera donc facile de contrôler l'identité des candidats et d'assurer le bon déroulement de cette épreuve.

Notre groupe s'est également engagé dans la transition numérique. Nous avons distribué 95 000 smartphones à nos facteurs et à nos cadres avec le système Facteo, pour délivrer les services. Cela permet aux personnes de signer directement sur les écrans pour les recommandés. Tous les facteurs seront équipés d'ici la fin de l'année. C'est la meilleure façon de régler la fracture numérique ! Dans les bureaux de poste, nous déployons des tablettes numériques Smarteo afin de rendre des services plus rapidement aux clients. Notre transformation numérique est donc en cours avec pour objectif d'être un opérateur universel d'échanges à l'heure du numérique, en nous appuyant sur des dizaines de milliers d'équipements. Enfin, nous développons un système de coffre-fort numérique, pour protéger les données personnelles de nos clients, en nous appuyant sur notre neutralité commerciale, sur notre pérennité et sur la relation de confiance que nous avons construite avec nos millions de clients.

Voici donc l'ensemble des chantiers en cours. La présence territoriale est une clef pour notre proximité. Comme je vous le disais, la promesse de notre groupe est d'apporter à tous les territoires, à toutes les entreprises et à tous les citoyens un facteur humain.

M. Hervé Maurey, président. - Merci pour votre réponse très complète, et les informations que vous nous avez apportées sur le positionnement du groupe La Poste dans les territoires et à l'international. Je souhaite vous interroger sur un point : la présence des distributeurs automatiques de billets. Il y a une très forte demande en milieu rural pour en créer, et maintenir ceux qui existent. En centre-bourg, la présence d'un distributeur automatique favorise le commerce local. La Poste répond souvent négativement compte tenu des problèmes de rentabilité. Lorsqu'un distributeur n'est pas viable financièrement, peut-on envisager un partenariat avec les collectivités territoriales pour maintenir ce service essentiel pour l'économie locale ?

M. Philippe Wahl, président directeur-général du groupe La Poste. - Nous sommes le seul groupe qui développe réellement son réseau de distributeurs automatiques de billets. En cas de besoin, nous faisons appel à la commission départementale de présence postale territoriale (CDPPT) pour combler le manque de rentabilité, lorsque les élus locaux qui siègent à la commission sont d'accord. J'attire toutefois votre attention sur un fait : un distributeur de billets est vite déficitaire en milieu rural, et lorsqu'il est déficitaire c'est souvent dans une proportion significative. La mise en place ou le maintien d'un distributeur dans les territoires ruraux pose également une problématique particulière en termes de sécurité.

Je pense qu'une réponse générale ne peut pas être définie au niveau national. Elle doit être apportée localement dans le cadre des CDPT. C'est un instrument commun dont nous disposons pour adapter la présence postale sur le territoire. Fondamentalement, l'adaptation aux besoins doit s'appuyer sur ces commissions, qui disposent d'un budget pour  cela.

M. Hervé Maurey, président. - Pourrait-on envisager qu'une collectivité territoriale, comme un département ou une intercommunalité, établisse un partenariat avec La Poste pour les distributeurs de billets, dans un objectif d'aménagement du territoire ?

M. Philippe Wahl, président directeur-général du groupe La Poste. - La CDPT constitue le premier instrument à mobiliser mais nous sommes prêts à explorer d'autres solutions en cas de besoin.

M. Michel Raison. - Merci monsieur le président. Je me félicite que le travail positif de Jean-Paul Bailly se poursuive. Le défi à relever pour La Poste est considérable, compte tenu de la mutation profonde de vos métiers. Vous avez mis en place un certain dynamisme. Estimez-vous que la mutation du groupe progresse à un rythme suffisant ? Est-ce aisé de convaincre vos 260 000 salariés de changer de métier ? Par ailleurs, il me semble que La Poste a longtemps fait preuve de beaucoup de souplesse en assurant des services de proximité très variés pour préserver un lien social, parfois de façon bénévole : apporter des médicaments, prendre un café avec des personnes isolées, participer au maintien des personnes âgées au domicile. Comment comptez-vous préserver cette flexibilité qui fait aussi la richesse de vos activités ? Enfin, quel sera, en volume, l'impact des nouvelles dispositions relatives au permis de conduire sur vos activités ? Cette mission vous intéresse-t-elle réellement ou est-ce une contrainte ?

M. Jean-Jacques Filleul. - Merci monsieur le président, vous nous avez apporté beaucoup d'informations. Comme mes collègues, je suis très attentif aux évolutions du groupe La Poste. Votre prédécesseur et vous-même avez pris des décisions auxquelles nous adhérons. J'ai une interrogation particulière sur le dispositif prévu par la loi Macron. Avez-vous engagé la participation de vos agents au permis de conduire, et si oui dans quelles conditions ?

Globalement, les postiers que nous rencontrons sont favorables aux évolutions de l'activité, mais nous sommes également sollicités par des syndicats qui nous alertent sur ces changements. Quel est l'état des relations sociales au sein de l'entreprise ? Enfin quel est le statut des dernières personnes recrutées ?

M. Alain Fouché. - La Banque Postale s'est implantée dans les territoires en contrepartie d'un maintien de la présence postale sur le terrain. Je me félicite du rapprochement des deux activités, avec le même président à la tête de ces filiales. Quant aux maisons de services au public, c'est un développement important. Dans mon département, le premier café Banque Postale avait été inauguré par votre prédécesseur, Jean-Paul Bailly. Il fonctionne toujours et les citoyens en sont satisfaits.

Le personnel de La Poste que je rencontre est un peu inquiet sur les évolutions en cours. Il y a des changements de tournée assez fréquents.

En matière de distribution de publicité, vos concurrents sont souvent plus performants que vous. Vous faites un travail de meilleure qualité que vos concurrents mais le délai est très long, notamment pour la distribution d'un journal communal ou cantonal. Comment concilier qualité et rapidité ?

M. Pierre Camani. - Merci pour cette présentation enthousiaste. J'étais inquiet pour l'avenir du groupe La Poste il y a quelques années, je le suis beaucoup moins aujourd'hui. Notamment grâce au tournant numérique que vous avez su prendre.

La Poste est le meilleur allié de l'État pour maintenir le service public dans les territoires. La première inauguration de maison de services au public dans mon département a eu lieu la semaine dernière. Je peux témoigner de l'efficacité de cette solution, pour maintenir voire développer l'accès aux services. Le financement partagé entre l'État, la péréquation entre collectivités, et les opérateurs publics et privés est un gage de pérennité. Cependant, 500 maisons d'ici fin 2016, c'est à la fois beaucoup et peu ! Vous allez sans doute avoir beaucoup de demandes de la part des élus locaux. Est-il envisageable d'accroître ces efforts pour répondre aux besoins des territoires ?

Pourriez-vous également développer vos propos sur le coffre-fort électronique ? Dans le cadre des travaux du Conseil national du numérique, nous avons étudié le développement d'un « trousseau numérique » pour chaque citoyen. Pourrait-on s'appuyer sur les maisons de services au public pour contribuer à l'inclusion numérique de tous les citoyens, y compris les plus éloignés des nouvelles technologies, par le biais du coffre-fort électronique ?

M. Rémy Pointereau. - Comme mes collègues, je vous remercie pour l'analyse des difficultés de l'entreprise et me félicite qu'elles puissent être surmontées par le numérique. Il s'agit effectivement d'une chance à saisir pour l'avenir ! En ce qui concerne la distribution des colis achetés sur Internet, beaucoup d'acteurs le font au premier rang desquels Amazon : jusqu'où ce marché est-il extensible ? Par ailleurs, je ne partage pas votre point de vue au sujet de la fracture numérique : elle est bel et bien présente dans le monde rural !

Je rejoins également Michel Raison sur le rôle de lien social du facteur, qui apporte bénévolement médicaments et baguette de pain. Alors que nous avons de moins en moins de courrier et de journaux à distribuer, envisagez-vous de développer des services particuliers à destination des personnes âgées, comme la livraison de repas à domicile ?

Un autre point important concerne le partenariat avec les communes. Certains maires sont réticents, mais cela apporte de réels bénéfices en termes d'amplitude horaire d'ouverture des services.

Je suis également sensible à l'inquiétude de certains syndicats, concernant les divers changements de tournées, de centres de tris, etc. Ils insistent sur le fait que la qualité de la distribution de courrier se dégrade, et dans les faits, on observe bien que le courrier arrive de plus en plus tard, vers 10-11h au lieu de 8h30 ou 9h auparavant. Peut-on faire en sorte que les tournées soient effectuées plus rapidement ?

M. Claude Bérit-Débat. - Je vous remercie d'avoir détaillé votre présentation stratégique à destination des territoires et pour votre vision très claire de l'avenir de l'entreprise.

Vous n'avez pas parlé de Phil@poste, imprimerie de timbres-poste installée en Dordogne en 1970 par le ministre de l'époque, Yves Guéna : quelles sont ses perspectives de croissance ?

Mme Nelly Tocqueville. - Je rejoins les propos de Rémy Pointereau. Dans ma commune, les habitants sont surpris de constater une distribution de moins en moins régulière de leur courrier. Il arrive généralement vers 13-14h et n'est plus distribué le samedi, sans explication. Le turnover des facteurs fait qu'ils se trompent plus fréquemment dans les adresses, et on ne peut pas leur en vouloir ! Quelles sont vos perspectives de réorganisation dans ce domaine, et quelles en seront les conséquences ?

Mme Annick Billon. - En effet, la diminution du nombre de plis que vous nous annoncez, remet-elle en cause la distribution ?

M. Hervé Maurey, président. - Le sujet de la distribution revient très fréquemment dans le monde rural !

M. Didier Mandelli. - En ce qui concerne le permis de conduire, vous avez retenu 50 volontaires parmi 200 candidats, qui seront mis à disposition du ministère de l'Intérieur. Pour quelle durée ? On évoque une formation de deux ou trois mois, alors qu'il faut un an pour former un inspecteur du permis de conduire !

Mon autre question concerne le récent rapport de la Cour des comptes sur les activités sociales et culturelles destinées aux agents de La Poste, auxquelles plus de 400 millions d'euros sont affectés : il dénonce les dysfonctionnements du comité d'entreprise en matière de gestion des centres de vacances. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?

M. Gérard Miquel. - Je souhaiterais aborder trois sujets. Le premier concerne les distributeurs de billets : à partir de quelles sommes distribuées considère-t-on qu'ils sont rentables ? Dans ma commune de Saint-Cirq-Lapopie, qui connaît une forte fréquentation touristique, le distributeur fonctionne très bien. Pourtant, on m'a demandé de le fermer au mois de septembre, à des fins de sécurisation et les citoyens tiennent le maire pour responsable !

Ma seconde remarque porte sur les points-poste : j'en ai installé un à la maire de ma commune, et cela permet effectivement une amplitude horaire plus importante. Ce dispositif a été beaucoup critiqué au début, mais il est indispensable.

Enfin, mon dernier point porte sur le numérique. Il s'agit en effet d'une évolution considérable, et c'est la mort assurée de La Poste si elle ne s'adapte pas. Mais dans ma commune, aucun réseau téléphonique ne passe, comment les facteurs vont-ils utiliser leurs smartphones ?

Mme Évelyne Didier. - Avec sa transformation en société anonyme à capitaux publics, La Poste passe d'une logique de service public à une logique de rentabilité. Comment accompagnez-vous concrètement l'évolution des métiers pour le personnel, dont la charge de travail s'alourdit considérablement ? Quel est le statut des derniers embauchés ? Que pouvez-nous nous dire du comportement de l'État actionnaire ? Qu'en est-il des bénéfices immatériels de La Poste, au premier rang desquels son rôle de lien social ? Enfin, n'oublions pas que derrière l'évolution des implantations se cachent de nouveaux transferts de charges aux collectivités territoriales !

M. Jean-François Longeot. - Vous ne nous avez pas parlé de la situation économique du groupe : en particulier, quelle part représente le CICE dans votre bénéfice ?

Je rejoins les propos de Gérard Miquel sur les distributeurs automatiques : on a supprimé le bureau de poste et le distributeur dans ma commune, alors que j'avais pourtant proposé de mettre un local à disposition. Et mes concitoyens m'ont tenu pour responsable ! Que fait-on pour les personnes qui ont du mal à se déplacer ?

M. Jean-Yves Roux. - Dans mon département des Alpes-de-Haute-Provence, on a créé de nombreuses agences postales communales, subventionnées à hauteur de 900 euros par mois dans le cadre de conventions renouvelables. Ces dispositifs vont-ils être pérennisés ?

M. Philippe Wahl, président directeur général du groupe La Poste. - Je vous remercie de tout l'intérêt que vous manifestez pour le groupe La Poste. Je souhaite d'abord vous rassurer sur un point : le courrier n'a pas disparu ! Le volume décline cependant rapidement : nous transportions 18 milliards d'objets en 2007, nous n'en transportons plus que 13 milliards cette année, et nous pensons que le total aura été divisé par deux aux alentours de 2020.

Ce constat me conduit à faire une présentation lucide, je n'embellis rien : notre modèle économique, social et stratégique n'est plus viable. Partant de là, on ne peut pas se lamenter sur ce que l'on a perdu, il faut au contraire insister sur ce que l'on gagne. Cet enthousiasme est la seule manière d'entraîner 270 000 personnes !

Le numérique est une réponse et une aide à la transformation, mais il implique une adaptation rapide. Cela va vite et j'ai parfois quelques déceptions, mais je préfère insister sur les éléments positifs. De ce point de vue, la semaine dernière a été un grand moment d'évolution stratégique : nous avons annoncé que nous prenions 100 % de la filiale russe de GeoPost, sous notre marque DPD ; nous avons également annoncé que nous prenions le contrôle d'une entreprise qui livre les repas de restaurants à domicile : nous remontons progressivement la chaîne de valeur du commerce électronique, pas simplement pour faire de la livraison, mais aussi pour prendre les commandes, les distribuer, les allouer aux coursiers les plus rapides, preuve que nous sommes en train de changer de modèle.

Beaucoup d'entre vous ont évoqué l'économie du service postal et le rôle pivot du facteur. À partir du moment où nous sommes dans une démarche d'industrialisation et de massification du service à domicile, on passe mécaniquement d'une économie bénévole à une économie plus professionnelle. Nous avons l'intention de nous développer fortement dans la silver economy. De ce point de vue, le vieillissement de notre pays est une chance, car les postiers et les postières ont le savoir-faire de la relation. Les services aux seniors sont à l'évidence le futur de la poste, et nous allons nous développer par des acquisitions dès 2016.

En ce qui concerne le permis de conduire, il y a deux volets. Pour l'examen pratique, nous avons mis cinquante postiers à disposition du ministère de l'Intérieur. Leur formation va commencer dans quinze jours. Faut-il un an, faut-il trois mois ? Tout le monde a raison. La formation théorique à l'examen pratique va prendre trois mois et ils seront des examinateurs expérimentés dans un an. Ces cinquante personnes seront remplacées, mais pas poste par poste. Pour l'examen théorique, ma réponse sera une lapalissade : chaque année 1 400 000 jeunes passent l'examen du code, donc plus on en aura, mieux ce sera. Mais nous savons qu'il y aura des concurrents et nous les accueillons avec sérénité et bienveillance. La compétition est une bonne chose. Les postiers et postières ont un intérêt pour ces nouveaux métiers : cela va faire plus de chiffres d'affaires, plus de jeunes dans nos bureaux de poste. Certains jeunes ignorent même que les bureaux de poste existent, le fait qu'ils viennent y passer leur permis de conduire, en dehors des préfectures, est une très bonne chose !

M. Michel Raison. - Tant qu'ils n'en ressortent pas timbrés !

(Sourires)

M. Philippe Wahl, président directeur général du groupe La Poste. - Au sujet de la philatélie et de l'imprimerie de Boulazac, le vrai problème stratégique est le rajeunissement de la clientèle, qui est l'objectif prioritaire du nouveau patron. Il y a un réel investissement affectif et monétaire dans les timbres mais nous devons parvenir à toucher une clientèle plus jeune. Nous comptons beaucoup sur notre partenariat avec l'UEFA pour l'Euro 2016. Pour vous rassurer, nous sommes également devenus fournisseurs de timbres pour la poste japonaise, et sommes actuellement en compétition pour gagner le marché de la poste portugaise.

Le statut des derniers embauchés est défini par un contrat de travail classique de droit privé, nous n'embauchons plus de fonctionnaires.

Les relations avec les organisations syndicales sont bonnes. Nous faisons énormément de dialogue, d'échanges, de pédagogie. Je rencontre chacune de nos grandes fédérations syndicales au moins deux fois par an pendant une demi-journée, et nous évoquons de vrais sujets stratégiques. Il est très important pour moi d'entendre les grands syndicats de la poste réagir, par exemple, à la fusion entre TNT et Fedex. Nous cherchons à les associer à notre transformation stratégique et je crois que tout le monde a compris les enjeux. D'ailleurs, les postières et postiers mesurent chaque jour la baisse du courrier dans leur sacoche : ils seraient bien plus inquiets si nous ne faisions rien !

En ce qui concerne la publicité, Monsieur Fouché, je prends acte que vous êtes un client insatisfait et il va falloir que l'on traite le problème que vous évoquez.

À propos des maisons de service au public, j'espère que l'on ne s'arrêtera pas à 500. Nous avons actuellement 17 084 points de contact, comment vont-ils évoluer ? Je crois beaucoup au modèle du facteur-guichetier pour les petits bourgs, qui est très populaire chez les élus, les employés et les clients ! Notre volonté est de répondre aux demandes des territoires. Chaque fois que vous incitez un autre opérateur à se joindre à nous, vous contribuez à la pérennité des maisons de services au public : la fréquentation est le facteur-clé de notre présence !

Au sujet du coffre-fort électronique, beaucoup de solutions se développent dans le monde, en particulier du côté de Facebook, Google, Amazon, Apple... Mais ces acteurs ne sont pas neutres commercialement, on ne sait pas comment sont utilisées les données ! Nous souhaitons a contrario proposer un trousseau numérique dont nous garantissons la neutralité commerciale, la pérennité des informations, et évidemment leur secret : les postières et postiers ont gagné la confiance de millions de Français parce qu'ils respectent le secret absolu des correspondances !

Quant au marché du e-commerce, il se développe extrêmement vite. Amazon est notre premier client, très exigeant et très stimulant. Il sera un jour notre compétiteur mais c'est le jeu de l'économie moderne : on est co-pétiteurs, on coopère et en même temps on peut se retrouver en concurrence. Nous sommes prêts à relever le défi, et nous misons beaucoup sur le développement des services aux personnes âgées, un secteur en très forte croissance.

Vous avez été nombreux à évoquer la question des tournées : effectivement, elles sont plus intenses qu'auparavant, car nous sommes obligés de réduire nos moyens pour compenser la baisse des volumes. D'ailleurs, lorsque l'on regarde les projections pour 2020, nous allons devoir continuer à restructurer nos tournées.

Mme Évelyne Didier. - Jusqu'où ?

M. Philippe Wahl, président directeur général du groupe La Poste. - Jusqu'au moment où l'on arrivera à réfléchir peut-être aussi aux services.

Vous avez posé une question très importante et stratégiquement essentielle, sur la distribution le samedi. Nous effectuons des tournées six jours sur sept, et nous allons continuer à le faire ! S'il y a des problèmes, il faut nous le signaler. Notre promesse postale, c'est : tous les services, tous les jours, partout !

La directive européenne nous permettrait de ne passer que cinq jours sur sept. En Italie, sur un tiers du territoire, le courrier n'est plus livré qu'un jour sur deux. Ce n'est pas notre logique, car la proximité est le nerf de la guerre. Nous avons d'ailleurs décidé, sur la base du volontariat et à titre exceptionnel, d'expérimenter dans sept grandes métropoles la livraison des colis le dimanche 20 décembre, juste avant Noël. Donc nous ne voulons pas réduire le nombre de nos passages, ce serait une erreur stratégique.

Si nous rentrons dans la logique des services à domicile pour les personnes âgées, le facteur doit être présent tous les jours. Nous allons d'ailleurs massifier le transport de courses et de plateaux repas dans les villes et les campagnes. Nous venons également de prendre 20 % de participation dans une jeune entreprise de courses urbaines urgentes, dans l'heure. Notre devoir est de proposer toute la gamme des services à domicile. Il y a quarante ans, notre leitmotiv pouvait être : « le courrier tous les jours ». Désormais, notre promesse stratégique est : « le facteur humain pour tous, partout, tous les jours ». Ce sont des valeurs de service du public et de service public.

En ce qui concerne les oeuvres sociales, je regrette que les journalistes aient orienté leurs commentaires sur les trois pages du rapport où la Cour des Comptes parvient à une certaine critique de ce que nous avons fait, alors qu'elle émet un satisfecit général pour tout le reste ! Je précise que les oeuvres sociales ne sont pas gérées sous une forme de comité d'entreprise, mais sous une forme « postale » : cette organisation est unique et évite un certain nombre de dérapages qu'on a pu observer ailleurs. Les centres de vacances sont opérés par des associations gérées par des postières et des postiers. Depuis dix ans, on observe une modification complète du mode de vacances des enfants, à La Poste comme ailleurs. Par conséquent, nous sommes simplement en train d'accompagner la restructuration et la réorganisation de ces associations. La Cour des Comptes estime que l'on ne va pas assez vite.

Pour les distributeurs automatiques, il faut savoir que le seuil de rentabilité est de 6 000 retraits par mois, ce qui est très rarement atteint. Mais je répète que de mon point de vue, les commissions départementales de présence postale territoriale sont l'endroit idéal pour évoquer ce sujet. Il doit être traité au plus près du terrain, avec les élus. Il y a effectivement un manque de bon sens si l'on vous demande de fermer le distributeur en pleine saison touristique.

A la remarque d'Evelyne Didier, j'indiquerai que l'évolution des métiers est fondamentalement liée à la réalité économique, pas au statut juridique de société anonyme ! Le contexte change, la forme sociale n'a pas d'impact là-dessus. En même temps, cette forme sociale nous pousse à chercher la rentabilité, et c'est la meilleure nouvelle du monde qu'une entreprise publique soit rentable, car elle peut continuer à exister !

Mme Évelyne Didier. - Nous n'avons pas la même approche !

M. Philippe Wahl, président directeur général du groupe La Poste. - En tout état de cause, les deux actionnaires que sont l'État et la Caisse des dépôts et consignations nous soutiennent dans cette transformation, même si nous avons parfois des discussions franches.

En résumé, nous avons énormément de sujets. Nous passons beaucoup de temps à expliquer ce que nous faisons au personnel, à écouter leurs remarques et leurs critiques. Nous recommencerons un « Tour de France » du plan stratégique l'année prochaine.

Nous pouvons nous féliciter d'être un peu en avance sur notre trajectoire économique sur les trois premiers semestres 2015. En 2014, notre prévision de résultat était de 618 millions d'euros et nous avons réalisé 719 millions d'euros. Le CICE représente 50 % de ce résultat, preuve qu'il joue pleinement son rôle d'aide à la transformation d'un modèle en difficulté.

Enfin, pour les conventions pour les agences postales communales (APC), l'idée du prochain contrat entre l'AMF, l'État et La Poste est de reconduire ce dispositif en élargissant encore davantage la gamme des solutions proposées.

M. Hervé Maurey, président. - Nous vous remercions pour toutes ces réponses et pour la qualité de votre intervention.

La réunion est levée à 20 heures.

Mercredi 4 novembre 2015

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

Loi de finances pour 2016 - Crédits « Transports ferroviaires et fluviaux » - Examen du rapport pour avis

La réunion est ouverte à 9 h 30.

M. Hervé Maurey, président. - Trois avis budgétaires à l'ordre du jour ce matin. Avant de passer la parole à nos rapporteurs, je voudrais faire quelques brèves observations liminaires. Notre commission présente au total huit avis budgétaires sur le projet de loi de finances : six concernent la mission écologie et développement durable dont quatre pour les transports (aériens, ferroviaires, maritimes, routiers), un pour la prévention des risques et un pour la biodiversité et la transition énergétique ; un avis recouvre la mission politique des territoires et un avis traite d'une partie de la mission recherche, pour les crédits consacrés au développement durable.

Nous avons pu programmer deux auditions de ministres sur leurs budgets : celle de Mme Pinel il y a une dizaine de jours et celle d'Alain Vidalies la semaine prochaine. Je vous propose donc qu'à la fin de la présentation des rapports pour avis qui concernent des budgets que défendra Alain Vidalies, nous reportions notre vote à une réunion postérieure à l'audition du ministre.

M. Louis Nègre, rapporteur pour avis. - Les crédits du projet de loi de finances pour 2016 consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux, comprennent trois séries de dispositions :

- une partie des crédits inscrits au programme budgétaire 203 intitulé « Infrastructures et services de transport » ;

- des fonds de concours parmi lesquels figurent, au premier rang, les crédits de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ;

- le compte d'affectation spéciale « services nationaux de transport conventionné de voyageurs », qui concerne les trains d'équilibre du territoire (TET).

Après vous avoir présenté les crédits de l'État et de l'AFITF, je vous ferai part de mes vives préoccupations concernant le financement des infrastructures de transport, devenu erratique depuis l'abandon de l'écotaxe, puis les enjeux spécifiques au domaine ferroviaire, qui souffre toujours d'un manque d'État stratège, d'une infrastructure vieillissante malgré les efforts réalisés, et d'une absence de vision à moyen long terme extrêmement préjudiciable pour le système ferroviaire et en particulier pour notre industrie.

L'enveloppe accordée à SNCF Réseau, qui représente 80 % des crédits du programme budgétaire 203, s'élève à 2,5 milliards d'euros, soit un montant stabilisé par rapport à celui de l'année dernière. Elle couvre la redevance d'accès facturée par le gestionnaire d'infrastructure pour l'exploitation des trains express régionaux, les TER, des trains d'équilibre du territoire, les TET, ainsi qu'une participation de l'État pour l'utilisation du réseau par les trains de fret.

Dans les crédits consacrés au soutien, à la régulation et à la sécurité des transports terrestres, 26 millions d'euros sont prévus pour compenser à SNCF Mobilités les tarifications sociales nationales imposées par l'État, et 15 millions d'euros sont dédiés au soutien au transport combiné ferroviaire, soit 1,4 million d'euros de moins qu'en 2015.

Pour les transports fluviaux, la subvention versée à Voies navigables de France s'élève à 252 millions d'euros, en diminution aussi par rapport à 2015. 7 millions d'euros sont destinés au soutien au transport combiné fluvial et maritime, en diminution de plus de 13 % par rapport à l'année dernière.

Enfin, 17 millions d'euros serviront à financer les dépenses transversales du programme « infrastructures et services de transport », telles que les études et les dépenses de logistique de la DGITM ou des services qui lui sont rattachés, en diminution de 7 % par rapport à 2015.

On observe donc sans surprise, du côté des crédits du budget général, une diminution significative des dépenses sur nombre de lignes budgétaires.

Sur les fonds de concours apportés par l'AFITF, 339 millions d'euros doivent servir à financer des opérations contractualisées dans les contrats de projet ou de plan État-régions dans le domaine des transports ferroviaires et collectifs. Mais ce montant, en baisse de 9 % par rapport à l'année dernière, n'est encore qu'estimatif, le budget de l'AFITF devant être arrêté en décembre. En outre, 28 millions d'euros seront destinés à la mise en sécurité des passages à niveau et des tunnels.

Je dois vous faire part de ma très vive préoccupation à propos du budget de l'AFITF.

Tout d'abord, et j'en suis désolé pour nous tous, nous avons été dupés sur le budget 2015 de l'agence ! Je vous rappelle que l'AFITF avait connu deux années très difficiles, en 2013 et en 2014, en raison des reports de l'entrée en vigueur de l'écotaxe. L'État avait commencé à réduire sa contribution au financement de l'agence, alors que la taxe n'était pas collectée et ne pouvait donc rapporter les recettes prévues.

Une fois ce projet de taxe poids lourds définitivement enterré, l'État a décidé, pour l'exercice 2015, d'augmenter la fiscalité sur le gazole et d'affecter le produit de cette augmentation à l'AFITF, soit 1,139 milliard d'euros. Cela devait lui permettre de retrouver un budget plus raisonnable, de 2,2 milliards d'euros, dont 1,9 milliard de crédits d'« intervention » destinés au financement effectif des infrastructures de transport. C'est en tout cas ce qu'on nous avait annoncé à l'automne dernier.

À l'époque, nous nous étions inquiétés, avec la rapporteure spéciale de la commission des finances, Marie Hélène des Esgaulx, de la façon dont serait assumée l'indemnité due à Ecomouv', qui se chiffre tout de même à un milliard d'euros. Lors d'une audition devant nos deux commissions le 29 octobre 2014, le secrétaire d'État aux transports nous avait assuré que ces montants ne seraient pas ponctionnés sur le budget de l'AFITF. Je le cite : « Les recettes consacrées au financement des infrastructures sont non seulement fléchées, mais sécurisées pour l'année 2015. Quoiqu'il arrive, ce n'est pas sur ce budget là que l'on viendra ponctionner les sommes nécessaires au paiement d'une indemnité. » Et finalement, quand on regarde le budget d'intervention de l'AFITF de 2015 tel qu'il a été exécuté, que voit-on ? Un prélèvement d'autorité de 528 millions d'euros, pour financer la première partie de ladite indemnité...

C'est très grave. D'abord, parce qu'on n'a pas dit la vérité aux parlementaires que nous sommes.

Ensuite, parce que l'Agence n'est plus en mesure d'assumer les engagements qu'elle a pris par le passé. Certes, son budget d'intervention a pu être maintenu pour 2015 à 1,8 milliard d'euros, soit 100 millions de moins par rapport à ce qui était prévu initialement, malgré la ponction de ces 528 millions d'euros. Mais à quel prix ? Elle a dû renoncer à certaines dépenses d'intervention ainsi qu'au remboursement prévu de l'avance faite par l'Agence France Trésor et utiliser la quasi-totalité de son fonds de roulement - ce qui ne sera donc plus possible à l'avenir. Elle a aussi bénéficié, il est vrai, d'une recette supplémentaire de 100 millions d'euros, la contribution volontaire des sociétés d'autoroutes. La résiliation du contrat avec Ecomouv' a plusieurs conséquences pour le budget de l'AFITF. Elle crée deux nouvelles dépenses : d'une part, l'indemnité immédiate, versée en 2015, de 528 millions d'euros, d'autre part, les créances « Dailly » à rembourser chaque année jusqu'en 2024 (environ 50 millions d'euros par an). Elle supprime également une dépense, le loyer annuel qui était dû à la société Ecomouv' pour la collecte de la taxe (250 millions d'euros par an).

Mais nous sommes toujours loin du compte. Il ne faut pas oublier que l'AFITF a accumulé, depuis 2013, près de 700 millions d'euros de retards de paiement vis à vis de SNCF Réseau, qui n'ont toujours pas été honorés en cette fin 2015 ! Cette situation anormale génère bien évidemment des frais financiers - plus de 20 millions d'euros aujourd'hui.

Et si l'on se tourne vers l'avenir, la situation est encore plus préoccupante. Dans le projet de loi de finances pour 2016, la part du produit de la TICPE affectée à l'AFITF a été réduite de 400 millions d'euros, passant de 1,139 milliard d'euros à 715 millions d'euros ! Je soutiendrai un amendement de Marie-Hélène des Esgaulx pour restituer l'affectation de 1,139 milliard d'euros à l'AFITF.

Malgré cette réduction, l'agence devrait retrouver un budget d'intervention de l'ordre de 1,9 milliard d'euros, car elle n'aura plus 528 millions d'euros d'indemnité à verser à Ecomouv'. Mais il n'en reste pas moins que cette somme est largement insuffisante pour satisfaire les engagements passés de l'agence. Elle ne pourra prendre de nouveaux engagements qu'en reportant à nouveau le remboursement de ses retards de paiement vis-à-vis de SNCF Réseau.

Or, les nouveaux engagements ne manquent pas, puisque l'agence va devoir payer les loyers des contrats de partenariat signés pour la LGV Bretagne Pays de la Loire, le contournement Nîmes Montpellier, la rocade L2 de Marseille, les contrats de plan État régions 2015-2020, le troisième appel à projets pour les transports collectifs en site propre (TCSP) - si attendu -, sans compter les projets à venir du Canal Seine Nord Europe et de la liaison ferroviaire Lyon Turin... Enfin, il reste encore tous les projets du scénario 2 de la Commission Mobilité 21, sur lequel le Gouvernement, et en particulier le Premier ministre, s'était engagé ! Mais où sont les neiges d'antan et la valeur des engagements pris ?

Cette situation est d'autant plus regrettable que le Gouvernement avait une solution simple pour s'en sortir, et affecter, enfin, un niveau convenable de recettes à l'AFITF : utiliser la TICPE. La baisse d'un centime de la fiscalité sur l'essence qu'il a proposée est démagogique et ne correspond pas à l'engagement de notre pays en faveur de la transition énergétique et de la COP 21. Il n'y avait aucune raison objective de baisser le prix de l'essence, une énergie fossile dont la consommation ne saurait être encouragée. D'après un calcul rapide, cela fait perdre près de 160 millions d'euros, qui auraient pu être affectés à l'AFITF. Mais non, le Gouvernement préfère préserver le caractère erratique du financement des infrastructures de transport !

C'est dommage, car nous avions créé, avec l'AFITF - qui a fêté son dixième anniversaire cette année -, un bel outil financier, permettant l'affectation de recettes stables et prévisibles à des dépenses d'investissements qui s'étalent sur plusieurs années, et dans une perspective de report modal. Je rappelle que l'Agence a engagé 33 milliards d'euros depuis sa création, dont 21 milliards ont déjà été payés, et que deux tiers de ces sommes concernent des transports alternatifs à la route. Je doute que nous serions arrivés au même résultat si cet outil financier n'avait pas existé. Il est particulièrement significatif que l'AFITF commence d'ailleurs à intéresser des pays étrangers : Slovénie, Chine, Allemagne ont rencontré le président de l'agence pour avoir un retour sur ce dispositif.

En ce qui concerne le financement de la politique des transports, je ne suis pas plus rassuré quand je me tourne vers l'échelon local... L'article 4 du projet de loi de finances relève à 11 salariés le seuil de soumission au versement transport, ce qui correspond à un manque à gagner qui se chiffre en centaines de millions d'euros selon le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) pour les autorités organisatrices de transport locales. Il est compensé cette année compensé par un prélèvement sur recettes, mais qu'adviendra-t-il les années suivantes ? On sait que les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent.

J'en viens désormais aux enjeux spécifiques du domaine ferroviaire, qui attend toujours le retour de « l'État stratège », pourtant maintes fois réaffirmé dans la loi de réforme ferroviaire. Mais sur le terrain, on en est encore loin...

Au risque de me répéter, il faut tout de même souligner ce paradoxe d'un État qui reporte au maximum l'échéance d'une ouverture à la concurrence des transports ferroviaires, et obtient gain de cause à Bruxelles dans le cadre des négociations sur le quatrième paquet ferroviaire - la date d'ouverture à la concurrence a été repoussée à 2026 pour les services conventionnés - , tout en décidant d'introduire dès à présent sur son territoire la libéralisation du transport par autocar, sans verrou, qui met frontalement en concurrence, sur son territoire, les modes ferroviaire et routier. Bien entendu, je ne suis pas opposé à cette libéralisation du transport par autocar, mais il me semble logique que dans ce cas, l'on permette aussi au rail de s'adapter, en l'ouvrant à la concurrence.

Sur la modernisation du réseau ferroviaire, on attend aussi plus de vision stratégique. Réseau ferré de France a certes adopté en septembre 2013, à la demande du Gouvernement, un grand plan de modernisation du réseau (GPMR), avec une enveloppe de 15 milliards d'euros sur six ans, pour mettre un frein au vieillissement du réseau, constaté par l'école polytechnique de Lausanne. Mais l'État n'a pas pu s'engager de façon pluriannuelle sur ces crédits, et l'on nous dit aujourd'hui que les montants consacrés à l'entretien du réseau dépendront du contrat signé entre l'État et SNCF Réseau. J'espère donc que l'État fera le nécessaire pour engager les actions annoncées le plus vite possible. Il y va de l'efficacité et de la sécurité de notre réseau.

Autre exemple où l'État peine à s'affirmer : les trains d'équilibre du territoire. Comme vous le savez, la convention signée en 2010 entre l'État et la SNCF n'est pas satisfaisante - l'offre mérite d'être revue, l'architecture financière aussi, la Cour des comptes l'a clairement souligné. Or, le Gouvernement ne cesse de reporter l'échéance d'une reprise en main de ce dossier, comme s'il avait grand peine à exercer son rôle d'autorité organisatrice ! Il aurait en effet pu modifier cette convention dès 2013, mais n'a fait que la prolonger par avenant depuis cette date.

Certes, il a créé l'année dernière une commission à ce sujet, présidée par Philippe Duron. Elle a conclu à la nécessité d'une reprise en main effective de ce dossier par l'État, d'une refonte des dessertes, d'un effort de maîtrise des coûts d'exploitation de la part de l'opérateur et d'une préparation à l'ouverture à la concurrence. Mais la question est loin d'être réglée, puisqu'un préfet, François Philizot, a été missionné pour discuter avec les régions des évolutions de desserte. Celui-ci ne pourra rendre ses conclusions qu'une fois que les nouvelles régions auront été mises en place. Cela ne me choque pas, mais on perd encore quelques mois dans ce dossier, alors qu'il aurait pu être repris en main dès 2013. Et en attendant, ces trains se vident, vieillissent, et coûtent de plus en plus cher...

Le compte d'affectation spéciale qui retrace les recettes et dépenses affectées à ces trains d'équilibre du territoire est doté pour 2016 de 335 millions d'euros, dont 217 millions pour l'exploitation des services, en augmentation de 15% par rapport à l'année dernière, et 118 millions pour la maintenance du matériel roulant.

Pour mémoire, ses recettes proviennent quasi-exclusivement de la SNCF, par le biais de la contribution de solidarité territoriale et de la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires. Et c'est l'augmentation de la contribution de solidarité territoriale qui permet d'absorber l'augmentation des coûts d'exploitation. C'est le chat qui se mord la queue. Seuls 19 millions d'euros sont issus du produit de la taxe d'aménagement du territoire imposée aux sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Sur le fret ferroviaire, l'État a mis en place une conférence ministérielle périodique à ce sujet. Je rappelle toutefois qu'il n'assume pas en totalité l'enveloppe qu'il est censé reverser à SNCF Réseau pour prendre en charge une partie des péages fret. Cela représente, pour SNCF Réseau, un manque à gagner de 232 millions d'euros. C'est pour ce motif que l'ARAF a refusé à deux reprises cette année de valider les tarifs des péages fret. Elle ne les a acceptés qu'après avoir obtenu l'engagement de l'État que ses éventuels défauts de paiement pourraient être financés par une fraction du dividende de SNCF Mobilités. Mais, comme l'a souligné le président de l'ARAF lui-même, ce n'est pas du tout l'esprit de la réforme du 4 août 2014, qui était d'utiliser ces dividendes pour désendetter le réseau et non pour répondre aux difficultés budgétaires de l'État.

En outre, les tarifs des péages fret vont augmenter de 6,27 % en 2016, puis 2,4 % en 2017. Ce choc ferroviaire ne pourra pas être absorbé par les entreprises. Il faut rendre la gestion du réseau plus performante.

Enfin, la filière industrielle ferroviaire attend aussi un retour de l'État stratège. Je ne m'attarde pas sur ce point, que j'ai déjà évoqué devant vous, mais je rappelle que c'est tout un vivier d'emplois et de compétences qui est en danger, dans un domaine où la France avait pourtant tiré son épingle du jeu jusqu'à présent. Quel dommage de ne pas préserver cet acquis !

Je termine mon propos par un regret : le report au 1er janvier 2018 de l'entrée en vigueur de la dépénalisation des infractions au stationnement payant. Cette réforme d'envergure porte en elle de belles potentialités pour le développement des politiques de transports collectifs, en donnant enfin aux élus locaux la maîtrise pleine de ce qui doit être perçu comme une véritable politique publique, mais elle a rencontré trop de freins, ce que je regrette vivement.

Comme l'a évoqué le président, nous ne voterons sur ces crédits qu'après avoir entendu le ministre. Mais je doute pour ma part que cette audition change mon analyse de ces crédits, sur lesquels je vous proposerai d'émettre un avis défavorable, si le budget affecté à l'AFITF n'évolue pas favorablement d'ici là et s'il n'est pas fait place à une vision de long terme du financement des infrastructures de transports.

M. Hervé Maurey, président. - Je remercie le rapporteur pour sa précision et sa rigueur. J'ajouterai un petit complément sur la question du prélèvement sur le dividende de SNCF Mobilités. Je siège au conseil de surveillance de la SNCF depuis la mise en place des nouvelles structures le 1er juillet. Il nous a été indiqué, comme l'a dit le rapporteur, qu'au titre de la compensation pour le fret, il y aurait un prélèvement de l'État cette année de 28 millions d'euros à la suite de la demande de l'ARAF. Naturellement les dirigeants de la SNCF sont tout à fait opposés à ce prélèvement, qui est contraire à l'esprit de la réforme lors de laquelle il avait été clairement dit que le dividende devait permettre ou en tout cas contribuer à résorber le déficit de la SNCF, qui est de 40 milliards d'euros aujourd'hui, et dont on espère la stabilisation à 60 milliards environ d'ici dix ans. On le sait, la situation est donc plus que préoccupante et ce prélèvement n'est pas le bienvenu.

M. Jean-Jacques Filleul- Nous nous attendions au rapport fait par le rapporteur. La situation financière est compliquée et est héritée de l'histoire de la SNCF et de notre pays. Il faut féliciter le Gouvernement d'avoir tenu un certain nombre de caps dans ce contexte, en particulier le budget du ferroviaire qui est stabilisé, notamment les crédits de SNCF Réseau. J'ai aussi relevé dans les documents budgétaires que le fonds de concours de l'action 10 augmente pour atteindre 415 millions d'euros. La SNCF a des problèmes d'infrastructures. Je voudrais rappeler que nous avions demandé à l'époque que l'entretien soit renforcé sur le réseau d'Île-de-France, qui connaissait des difficultés depuis l'accident de Bretigny. Le Gouvernement a affecté en deux ans, d'abord cinq cents emplois supplémentaires, puis encore 350 emplois pour la maintenance des réseaux.

Globalement sur le ferroviaire, le budget devrait permettre de tenir en 2016. À la suite du rapport TET, le Gouvernement souhaite reprendre en mains sa responsabilité d'autorité organisatrice de transports. Il y a une ferme volonté de passer la convention avec les régions mais c'est toujours plus long que prévu malheureusement. Il semble aussi que nous soyons obligés de passer par un nouveau marché pour acheter des machines. En même temps, le Gouvernement a réinscrit un objectif d'un milliard et demi d'euros d'achat de matériel pour les TET.

Je voudrais aussi rappeler que la réforme de la SNCF se met en place comme prévu. La réforme du 4 août 2014 s'est mise en place avec une meilleure cohérence opérationnelle pour la réunification des métiers d'infrastructures. Tout le monde s'en félicite aujourd'hui. Quant à l'amélioration de la trajectoire financière du système ferroviaire, nous sommes d'accord que malheureusement nous en sommes à environ 45 milliards d'euros de déficit et qu'il augmente de 3,5 milliards tous les ans. Le cadre social harmonisé est en cours de négociation et le déroulement est plutôt positif.

Sur l'AFITF, nous sommes tous attentifs. Son budget d'intervention est maintenu pour 2016. Mais les trajectoires futures devront être aux alentours de 2,8 milliards d'euros pour faire face aux échéances. Je suis persuadé que le Gouvernement fera les efforts nécessaires pour que cette trajectoire soit tenue.

Je rappelle que l'ARAFER a été mise en place : c'est une évolution positive. Le plan de relance prévu à la suite de la mission sur les autoroutes est lancé. Les négociations avec les sociétés de travaux publics sont en cours. Le Gouvernement tient à maintenir les 55 % de petites entreprises de travaux publics. Je me satisfais de la situation tout en sachant qu'il faudra faire des efforts pour les infrastructures dans les années à venir.

Pour finir, j'évoquerai la LGV-SEA Paris-Tours-Bordeaux. Cette négociation qui date de 2010 est une véritable catastrophe financière et technologique. Il faut espérer que les autres projets seront conduits différemment, avec des conditions de travail différentes et notamment davantage d'argent public.

M. Hervé Maurey, président. - Sur la mise en oeuvre de la réforme, je rappelle que le fait de commencer par un prélèvement sur le dividende au profit de l'État, contrairement à l'esprit de la réforme, n'est pas un très bon signal.

M. Gérard Cornu. - En écoutant notre rapporteur, on a presque le moral à zéro. D'une manière générale en effet, on voit que sur le dossier des infrastructures routières et ferroviaires, la parole de l'État n'est plus crédible. On assiste à des mensonges répétés. Je prendrais pour exemple l'abandon de l'écotaxe, qui a des conséquences catastrophiques, à la fois pour les conseils départementaux mais aussi pour l'État. On nous a menti au sujet des indemnités à Ecomouv, j'ai pour ma part une question. La ministre Ségolène Royal nous avait indiqué que les portiques seraient réutilisés. S'agit-il encore d'un mensonge ? Où en est-on ?

M. Claude Bérit-Débat- Nous avons entendu le procureur général Louis Nègre dans une intervention incisive. Mais faisons attention. Lorsque vous dites que les promesses n'engagent que ceux qui les entendent, je crois que le Gouvernement précédent était justement spécialiste en la matière. Je souhaite revenir sur les crédits de l'AFITF. Je me félicite qu'ils soient stabilisés. Entre 2012 et 2016, il y a une stabilisation autour de 1,85 milliard d'euros. Comme l'a dit Jean-Jacques Filleul, il faudrait à terme arriver à 2,5 milliards. Je rappelle tout de même que nous sommes dans une situation particulièrement difficile et que l'opposition elle-même nous enjoint à faire des économies. Aujourd'hui, le rapporteur-procureur préconise de faire des efforts supplémentaires.

Sur la question du versement transport, je note avec satisfaction que le Gouvernement s'engage pour une compensation totale. On peut s'interroger sur l'avenir mais quelle est la cause de cela ? C'est une harmonisation des seuils sociaux que les entreprises et les syndicats patronaux ne cessent de demander. On y arrive justement et il faut s'en féliciter. Je répète que je soutiens les remarques formulées par Jean-Jacques Filleul et que je ne partage pas l'analyse du rapporteur. L'opposition s'oppose mécaniquement et fait de la démagogie mais ce n'est jamais bon pour les citoyens qui nous observent car on sait que ce que l'on promet aujourd'hui, on ne l'a pas tenu hier et on ne le tiendra pas demain.

M. Charles Revet. - Je félicite le rapporteur pour son analyse très complète. Je suis pour ma part très favorable au ferroviaire. Je considère que nos ancêtres ont su réaliser au fil du temps, le meilleur maillage qui existe en Europe. Le recul pris chaque année devient dramatique dans certains secteurs. Monsieur le président, ne pourrait-on pas faire un véritable état des lieux sur ce sujet ?

De manière plus spécifique, le sujet est lié à celui des ports. Dans certains ports européens - comme par exemple Hambourg - 50 % du fret se fait par le ferroviaire ou le fluvial. Or, chez nous, nous sommes à 4 ou 5 % pour le ferroviaire et 8 ou 10 % pour le fluvial. Pourtant, souvent, il ne s'agirait que d'aménagements qui permettraient de développer le fluvial ou le ferroviaire et d'avoir un effet pour nos ports et l'emploi qu'ils drainent.

Mme Évelyne Didier. - Je réserverai le détail de mes remarques pour la séance. Mais je crois qu'il faut arrêter les postures. Cela devient lassant. On sait tous qu'il n'y a pas assez d'argent pour les infrastructures. Nous avons un gros déficit. Lorsqu'on dit que l'AFITF manque de crédits, on le sait depuis le début puisque nous avions prévu à l'origine que l'AFITF fonctionnerait grâce aux dividendes des autoroutes. Dès le moment où on a privatisé les autoroutes, en 2005, on a de fait supprimé la principale ressource de l'AFITF. Puis il y a eu les épisodes malheureux de l'écotaxe. Vous savez tous, gouvernements de droite comme de gauche, qu'il y a derrière cela l'incapacité de Bercy à accepter qu'une somme d'argent lui échappe et soit fléchée sur un organisme. Ce n'est pas nouveau. En fin de compte, nous n'avons pas assez d'argent pour le service public. Or, on n'arrête pas de faire du service public bashing. On démantèle les opérateurs historiques qui sont une force pour notre pays : c'est ce qui se passe avec l'injonction de l'Europe sur les concessions hydrauliques. Tant que ces politiques-là seront à l'oeuvre, nous n'en sortirons pas. C'est à cela qu'il faut s'attaquer : la richesse produite en France aujourd'hui va aux actionnaires plutôt que d'aller aux services publics.

M. Jean-François Mayet. - Je remercie notre rapporteur, dont je partage l'inquiétude concernant l'avenir de la « nébuleuse SNCF ». Je vis au quotidien l'agonie technique de la ligne Paris-Toulouse. Chaque semaine il y a un incident technique qui cause des retards. Nous avons été quelques-uns à écouter un excellent rapport du président de La Poste qui nous a démontré que c'était son changement de statut qui permettait de sauver l'avenir de La Poste et l'emploi des 277 000 salariés. Tant que la SNCF aura un droit de tirage permanent sur les deniers publics, cela ne marchera pas car ce système ne génère pas de dirigeants capables de gérer la SNCF. Les nantis de la SNCF, ceux qui ont une ligne, ont de la chance pour l'instant mais cela ne durera pas si l'on ne réforme pas la SNCF, car nous n'avons pas les moyens d'entretenir ces lignes. C'est une gestion de gribouille qui donne le droit à la SNCF de tirer de l'argent public et d'assécher un État déjà lui aussi à l'agonie sur le plan financier.

Mme Annick Billon. - Je ne reviens pas sur la situation financière de la SNCF aujourd'hui. Pour avoir participé au rapport Duron sur les TET avec mon collègue Jean-Jacques Filleul, nous avons bien constaté que la situation n'était pas simple et ne pouvait être réglée rapidement car elle est le résultat d'années de gestion. Il faut trouver des financements. Je voudrais rappeler que nos territoires ont besoin du ferroviaire. En Vendée par exemple, depuis le rapport Duron, une association se mobilise à Luçon pour le ferroviaire parce que le ferroviaire est source de désenclavement et de développement économique.

M. Jean-François Longeot. - Je remercie le rapporteur pour ses éclaircissements. Je ne sais pas si dire la vérité et nous mettre devant nos responsabilités, c'est être procureur. Moi je ne le pense pas en tout cas. Nous devons pouvoir prendre en considération toutes les difficultés financières. L'abandon de l'écotaxe en est une des principales causes. Mettre en difficulté la SNCF, c'est en faire subir les conséquences à nos territoires puisque les plus petits territoires ne seront plus reliés entre eux. Il y aura aussi des conséquences fortes en matière d'emploi pour toutes les entreprises qui travaillent pour le ferroviaire. Lundi, j'ai discuté avec le nouveau directeur d'Alstom : leur cahier des charges et leur plan de travail ne vont pas loin.

M. Louis Nègre, rapporteur pour avis. - Je suis d'accord avec vous, M. Filleul, la situation financière est compliquée. C'est une situation ancienne, oui. Reconnaissons aussi que nous n'avons pas toujours été parfaits. On peut se tromper. Mais il faut tout de même dire ce qui est. Nous avons fait des erreurs mais qu'attendez-vous, maintenant que vous êtes au pouvoir, pour changer cela ? Vous citez à juste titre l'accident de Bretigny avec les 850 postes supplémentaires affectés à l'entretien : sont-ce des créations de postes ? Comment sont-elles financées ? Dans ma région, brutalement, tous les emplois liés à la modernisation de la ligne Grasse-Cannes ont été pris et envoyés pour faire de la sécurisation et du contrôle des voies. Il ne faut pas habiller Pierre en déshabillant Paul.

M. Jean-Jacques Filleul. - Ce sont des recrutements.

M. Louis Nègre, rapporteur pour avis. - Eh bien j'attends une réponse de la ministre pour savoir comment sont financés 850 postes supplémentaires.

M. Jean-Jacques Filleul. - Vous ne pouvez pas dire cela. Il y a des besoins de maintenance. On ne peut pas d'un côté déplorer que la maintenance ne se fasse pas et de l'autre se demander comment on la paye lorsqu'on la recrute.

M. Louis Nègre, rapporteur pour avis. - Moi je considère qu'un choix est possible. Sur le fond, je crois qu'il y a des possibilités de faire différemment. Mon rapport est certes critique. Mais lorsque vous signalez que la dette est de 45 milliards et qu'elle passera à 60 milliards, on ne peut que s'inquiéter pour l'avenir. Il n'y a pas d'augmentation des fonds de concours de l'AFITF. En crédits de paiement, on avait l'année dernière 371 millions et en 2016, on a plus que 339 millions. Il y a donc une diminution de 9 %. Sur les crédits de l'AFITF, il y a une diminution de 3 % sur le fluvial et le portuaire, M. Revet, une diminution de 4 % de la subvention allouée à Voies navigables de France (VNF) et le transport combiné fluvial et portuaire baisse de 13 %. Sur l'ARAFER, nous sommes d'accord : le fait que 55 % de petites entreprises puissent contribuer, c'est une bonne chose. M. Cornu, vous avez souligné la question de la crédibilité. Il vaudrait mieux en effet parler moins et tenir ses promesses. M. Bérit-Débat, vous m'appelez procureur général. Dans notre commission, nous avons une grande liberté de parole et je m'en félicite. Mais mon rapport est un cri d'alerte. Je suis malheureux de cette situation. L'argument de ce qu'a fait le précédent Gouvernement n'est pas le meilleur à mon avis : cela signifie que vous n'avez pas fait mieux trois ans après. Par ailleurs, l'objectif est bien de trouver 2 ou 2,5 milliards d'euros supplémentaires pour l'AFITF. Philippe Duron le dit lui-même. Nous avons une vision partagée sur ce montant.

M. Revet, vous montez au créneau sur le portuaire avec raison. Pourquoi n'est-on pas plus efficace dans ce domaine ? Certains aménagements spécifiques pour relier les ports aux voies ferrées ne sont pas faits et cette situation n'est pas bonne pour la France.

Mme Didier, vous souhaitez que l'on arrête les postures. Il faut commencer par balayer devant sa propre porte. Lorsque vous dites que Bercy est toujours immobile, je ne sais plus où vous vous situez. Vous dénoncez le service public bashing. Mais M. Mayet lui, parle « d'agonie » : il est dans la réalité. Je ne suis pas dans le service public bashing : je voudrais simplement un service public qui marche. Dans mon département, il y a ceux que l'on appelle les « naufragés du TER », qui voudraient simplement les « 3A » : à l'heure, avertis et assis. Dans mon département, les trains sont sales, taggés et peu abordables. Je reviens de Transports for London. J'y ai entendu quelque chose qui m'a intéressé. Transports for London a récupéré une ligne qui avait été faite par une autre compagnie. Elle fonctionnait très mal et était sale. Après la reprise en main, on a constaté une augmentation de 260 %, uniquement grâce à des choses simples. M. Mayet, comme vous, je suis favorable à l'ouverture à la concurrence de la SNCF. On n'arrive pas à réformer la SNCF de l'intérieur : seule l'ouverture à la concurrence permettrait de stimuler ce grand corps malade. Quant à son « droit de tirage » permanent sur les deniers publics : oui c'est vrai. Mme Billon, il faut se mobiliser pour trouver des financements, je suis d'accord. M. Longeot, vous parlez à juste raison des difficultés causées par l'abandon de l'écotaxe.

Je terminerai en rappelant que ce système ferroviaire était l'un des meilleurs du monde. La SNCF est encore une signature dans le monde entier. Ses filiales internationales et Keolis prennent des marchés dans le monde entier. Nous avons donc un potentiel extraordinaire dans cette entreprise. On augmente nos parts de marché à l'extérieur. Je critique l'incohérence de la politique menée : d'un côté, on interdit l'ouverture à la concurrence du ferroviaire et de l'autre, on ouvre à la concurrence des cars. Je n'arrive pas à suivre le fil de cette politique. Deuxième critique, si on veut faire avancer les choses, il faut une vision à long terme. Enfin, la gestion financière n'est pas à la hauteur : on vit sur la dette, on l'augmente et on fonctionne sur elle. Cette gestion n'a pas d'avenir.

Loi de finances pour 2016 - Crédits « Transports routiers » - Examen du rapport pour avis

M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis. - J'aurai un discours beaucoup plus optimiste sur les crédits consacrés aux transports routiers que mon collègue sur les transports ferroviaires.

L'année 2015 a été marquée par de profondes évolutions, très positives, dans le secteur des transports routiers. Des avancées majeures ont été obtenues dans le domaine de la régulation du secteur autoroutier. Notre commission avait été l'une des premières à réagir, à l'automne dernier, à la publication de l'avis de l'Autorité de la concurrence qui dénonçait la rentabilité exceptionnelle des sociétés d'autoroutes dites « historiques ». La commission avait alors créé un groupe de travail, conduit par Jean-Jacques Filleul et Louis-Jean de Nicolaÿ, qui avait appelé à une transparence accrue dans ce domaine, et à une renégociation du plan de relance. C'est bien la direction qu'a prise le Gouvernement. Puisqu'il s'est attaché à renégocier le plan de relance qu'il s'apprêtait à signer avec ces sociétés, en s'appuyant sur un groupe de travail mis en place par le Premier ministre, auquel participaient nos deux collègues. Un protocole d'accord a ainsi été signé le 9 avril 2015 avec les sociétés d'autoroutes. Il permet la réalisation du plan de relance autoroutier, mais avec plusieurs garde-fous destinés à plafonner le bénéfice que pourraient en tirer ces sociétés. Par exemple, une fois un certain seuil de rentabilité dépassé, la durée de la concession autoroutière pourra être réduite.

Les sociétés d'autoroutes ont par ailleurs accepté de reverser une part de leurs profits au bénéfice du financement des infrastructures de transport, en versant 1 milliard d'euros à l'AFITF sur l'ensemble de la durée des concessions. Les premières années, cela se traduira par une recette supplémentaire de 100 millions d'euros pour l'AFITF. Elles donneront aussi collectivement 200 millions d'euros pour la création d'un fonds d'investissement durable, et ont mis en place des actions commerciales pour les jeunes, le covoiturage et les voitures écologiques.

Il faut se réjouir de l'équilibre qui a été trouvé sur ce dossier complexe. La réalisation de ce plan de relance autoroutier permettra en effet de mobiliser 3,27 milliards d'euros pour la relance des travaux publics, avec, à la clef, près de 10 000 emplois directs ou indirects. Les sociétés d'autoroutes se sont d'ailleurs engagées à ce que plus de la moitié des travaux réalisés le soient par des PME et des PMI non liées aux grands groupes autoroutiers.

L'autre réponse a été législative. La loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a considérablement renforcé la régulation de ce secteur, en étendant les activités de l'autorité de régulation du secteur ferroviaire au domaine autoroutier. L'autorité de régulation des activités ferroviaires et routières ou ARAFER émettra un avis sur les avenants aux contrats de concession et aura pour mission de collecter et rendre publiques les informations relatives au secteur autoroutier. La loi Macron fixe également de nouvelles règles, plus contraignantes, pour la passation des marchés des sociétés d'autoroutes, conformément au souhait du groupe de travail de notre commission. Enfin, elle introduit un dispositif de modération des péages ou de réduction de la durée des concessions en cas de profits supérieurs aux estimations, et interdit l'allongement de la durée des concessions sans accord du Parlement. Il s'agit là de progrès majeurs dans la régulation du secteur autoroutier, qui auront des répercussions budgétaires certaines pour les usagers.

L'autre bonne nouvelle, c'est le développement d'une nouvelle offre de transport collectif, qui répond à une demande aujourd'hui non satisfaite, à savoir la libéralisation du transport par autocar, autorisée par la même loi Macron. Cette offre permettra de répondre aux besoins de mobilité non satisfaits par le transport ferroviaire, soit pour des raisons de desserte, soit pour des raisons de coût, et de réduire le recours à la voiture individuelle. Là aussi, des créations d'emplois sont attendues. La note de France Stratégie évoquait le chiffre de 22 000 emplois. En un peu plus d'un mois, 700 emplois ont déjà été créés. Ces autocars doivent répondre à des normes d'émissions de polluants atmosphériques strictes - la norme Euro 5 jusqu'à la fin 2017, et la norme Euro 6 ensuite.

Pour ce qui est des transports conventionnés, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République a unifié cette compétence à l'échelle des régions à partir de 2017, afin de favoriser l'intermodalité entre les modes ferroviaire et routier notamment.

Enfin, pour rester dans le domaine du verdissement des transports, nous pouvons nous féliciter des avancées permises par la loi de transition énergétique, qui pose des obligations en matière de renouvellement des parcs automobiles ou d'installation de bornes de recharge électriques et prévoit la mise en place d'une prime à la conversion octroyée en échange de la mise à la casse d'un véhicule polluant ancien. Nous savons bien que c'est le parc diesel en circulation le plus ancien qui est le plus nocif, même si le scandale Volkswagen nous invite à une certaine prudence sur les véhicules les plus récents.

Pour l'année 2016, le Gouvernement s'est attaché à résoudre la question de la compensation des recettes de l'écotaxe, à la suite de son abandon. Pour mémoire, nous avons augmenté l'année dernière de 2 centimes la TICPE sur le gazole pour les véhicules particuliers, et de 4 centimes celle applicable aux transporteurs routiers de marchandises. Cette solution avait alors été présentée comme provisoire, le temps qu'un groupe de travail créé à ce sujet rende ses conclusions. Celui-ci a d'ailleurs pu s'appuyer sur un rapport du conseil général de l'environnement et du développement durable.

À l'issue de ces travaux, il apparaît que la solution d'une taxation supplémentaire sur le gazole, déjà mise en place pour 2015, est préférable à la création d'une vignette pour les transporteurs routiers. Outre qu'elle amorce le rapprochement tant attendu des fiscalités de l'essence et du gazole, cette mesure permet de collecter un montant considérable, sans générer de frais de collecte ou d'obligations déclaratives pour les entreprises, ce qui n'est pas le cas d'une vignette. L'augmentation de la fiscalité sur le diesel est en outre supportable, à l'heure où les prix des carburants sont très bas. Les entreprises de transport routier peuvent répercuter cette hausse sur leurs tarifs. Enfin, le risque d'un « effet d'éviction », suivant lequel cette augmentation du prix du gazole conduirait les poids lourds étrangers à faire leur plein à l'étranger, est dans les faits limité. L'augmentation de la fiscalité sur le gazole est donc maintenue pour 2016, et ne sera pas remplacée par la mise en place d'une vignette.

Le rapprochement entre les deux fiscalités se poursuit même, pour les véhicules légers, avec l'adoption à l'Assemblée nationale d'un amendement du Gouvernement qui augmente d'un centime la TICPE sur le gazole et diminue du même montant celle de l'essence. La part du produit de TICPE affectée à l'AFITF est moins importante que l'année dernière, mais son budget d'intervention, estimé à 1,9 milliard d'euros, reste non négligeable, et supérieur à celui de l'année dernière. Il faudra prévoir, à l'avenir, des moyens supplémentaires pour que l'agence puisse effectivement remplir ses engagements et rembourser ses dettes. Pour 2016, et dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses, je ne serai pas aussi alarmiste que mon collègue.

Concernant les crédits consacrés au transport routier dans le projet de loi de finances pour 2016, ceux-ci se divisent entre les crédits inscrits au programme budgétaire 203 intitulé « Infrastructures et services de transport » et les crédits de l'AFITF.

Le développement des infrastructures routières a la particularité d'être exclusivement financé par des fonds de concours versés par l'AFITF et par les collectivités territoriales. Ils sont aujourd'hui évalués à 671 millions d'euros en crédits de paiement, dont 394 millions proviendront de l'AFITF. Cette somme servira notamment à financer les volets routiers des contrats de plan État-régions 2015-2020. Le financement des infrastructures routières a en effet été réintégré à ces contrats, contrairement à la génération précédente des contrats de projets. C'est un choix qui me semble pertinent, dans une perspective multimodale mais aussi parce que dans certains territoires, le transport routier est le seul mode de transport possible et ne doit donc pas être négligé.

Pour l'entretien et l'exploitation du réseau routier national, une enveloppe de 324 millions d'euros de crédits de l'État est prévue, soit un montant proche de celui adopté en loi de finances initiale pour 2015. Cette enveloppe devrait être complétée par 328 millions d'euros de fonds de concours provenant de l'AFITF, en hausse de 38 % par rapport à l'année dernière. C'est encore une bonne nouvelle, car les montants consacrés à l'entretien et l'exploitation du réseau routier national ne sauraient être inférieurs à ces montants, faute de quoi le réseau serait amené à se détériorer et deviendrait de plus en plus cher à entretenir.

Enfin, 48 millions d'euros sont prévus pour les actions de soutien et de régulation du secteur des transports terrestres, et 17 millions seront destinés aux dépenses de prospective et de logistique de la DGITM.

Concernant le compte d'affectation spéciale intitulé « aides à l'acquisition de véhicules propres », qui sert à financer le bonus automobile et la prime à la conversion, le barème du malus applicable depuis 2014 est maintenu pour 2016, et devrait rapporter 266 millions d'euros. Du côté des dépenses, le recentrage du bonus automobile sur les véhicules les plus propres, déjà entamé en 2015, devrait se poursuivre, avec la diminution au 1er janvier 2016 du bonus versé pour un véhicule full hybride de 2 000 euros à 750 euros, le bonus versé pour un hybride rechargeable étant quant à lui réduit de 4 000 à 1 000 euros. Le bonus accordé en faveur des véhicules électriques, de 6 300 euros, sera en revanche préservé. Au total, le bonus automobile devrait engendrer 236 millions d'euros de dépenses.

Le compte d'affectation spéciale finance également la prime à la conversion, accordée pour la mise au rebut d'un véhicule diesel immatriculé avant le 1er janvier 2001, soit avant l'entrée en vigueur de la norme Euro 3, pour l'achat d'un véhicule plus propre. Cette prime à la conversion, ou prime à la casse, est cumulable avec le bonus automobile, et s'élève aujourd'hui à 3 700 euros pour l'achat d'un véhicule électrique, ce qui porte à 10 000 euros la somme du bonus et de la prime à la conversion, et à 2 500 euros pour l'achat d'un véhicule hybride rechargeable.

Pour les ménages non imposables au titre de l'impôt sur le revenu, une prime à la conversion de 500 euros peut être obtenue pour l'achat d'un véhicule thermique neuf respectant la norme Euro 6 et émettant entre 61 et 110 grammes de CO2 par kilomètre, ou pour l'achat d'un véhicule d'occasion, qu'il soit de cette même catégorie, électrique ou hybride. Le Gouvernement envisage de renforcer ce dispositif, en augmentant son montant à 1 000 euros et en élargissant son assiette à la mise au rebut de tous les véhicules diesel de plus de dix ans. Cette mesure sera financée par une part du produit de la hausse de 1 centime de la fiscalité sur le gazole. Si le dispositif est en vigueur depuis le 1er avril 2015, il n'est pas encore possible d'en dresser un bilan solide, car il existe un délai de plusieurs mois entre la commande d'un véhicule et son immatriculation, qui ouvre droit à cette prime. Le fait d'agir sur le parc automobile existant, dont on sait qu'il est le plus polluant, et en prévoyant des mesures spécifiques en faveur des publics les plus défavorisés, me semble aller dans le bon sens.

Je ne suis donc pas aussi réservé que mon collègue sur les crédits consacrés aux transports routiers. Je ne doute pas que le secrétaire d'État aux transports répondra le 12 novembre à toutes les interrogations qui resteront à la suite de nos échanges d'aujourd'hui. Je vous proposerai ensuite, lorsque nous devrons nous prononcer à ce sujet, un avis favorable sur ces crédits.

M. Hervé Maurey, président. - Concernant l'État et les sociétés d'autoroutes, nous avons saisi le Premier ministre à plusieurs reprises pour avoir copie des accords. Nous n'avons jamais eu de réponse. Nous recevrons le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, le 1er décembre. J'espère qu'il sera en mesure de nous communiquer enfin la teneur de ces accords.

M. Jean-Jacques Filleul. - Sur l'avenir de la SNCF et du système ferroviaire, il est important de pouvoir faire une évaluation constructive : ce système est rongé par l'endettement et nous devons trouver des solutions, en faveur d'une entreprise de service public avec une part de concurrence, certes, mais qui apporte aux voyageurs les services qu'ils attendent.

Concernant les transports routiers, inutile de noircir le trait. Le rapporteur a montré que le budget se tasse. Globalement cependant, le budget pour les routes va permettre de franchir l'année 2016 dans de bonnes conditions. Nous avons désormais le plan de relance autoroutier. L'accord passé entre l'État et les sociétés d'autoroutes a été présenté par le ministre. 100 millions d'euros seront versés par les compagnies autoroutières. 55 % des marchés devraient être réservés aux entreprises extérieures à ces groupements majoritaires. Tout cela va dans le bon sens. Les contrats de plan apporteront par ailleurs, d'ici à 2020, des moyens importants pour le réseau routier.

La situation n'est pas catastrophique. Nous apportons donc notre soutien aux crédits proposés.

M. Pierre Médevielle. - Je félicite le rapporteur pour son optimisme... Je me réjouis qu'il ne soit plus question de reprise des concessions autoroutières. Avec réalisme, Emmanuel Macron a privilégié un plan de relance dans le cadre d'un contrat avec ces sociétés. Je rappellerai simplement que les concessions autoroutières reversent tous les ans 3,5 milliards d'euros à l'État, ce qu'on ne dit pas assez souvent.

Nous pouvons également nous féliciter que les PME et les PMI aient désormais accès à ce marché. Je serai en revanche plus pessimiste pour nos régions du Sud de la France, où il n'y a plus de PME et de PMI capables de répondre à ces appels d'offres et d'assumer ces travaux. Le marché y restera donc fermé.

Concernant la circulation des autocars, les chiffres sont encourageants sur certaines lignes. En revanche, en matière de sécurité et d'émissions de polluants, je ne suis pas certain que la multiplication des autocars et des poids lourds sur les routes soit une bonne chose.

M. Charles Revet. - Nous pourrons évoquer le développement du parc d'autocars lors de l'audition à venir du ministre. Disposons-nous déjà d'un premier état des lieux du dispositif ? À l'heure de la COP 21, il me paraît en contradiction avec l'orientation générale de protection de l'environnement et de diminution du trafic sur les routes. J'ai le sentiment que c'est en raison de notre incapacité à financer ce qui devrait être fait sur le réseau ferroviaire qu'on a mis en place ce palliatif.

Je suis pour le tram-train. La France a un maillage ferroviaire extraordinaire. Le tram-train s'est développé dans d'autres pays. Il permet de relier jusqu'au coeur des villes. Nous aurions dû retenir cette orientation avec ainsi la possibilité de diminuer le nombre de véhicules automobiles et donc la pollution.

M. Michel Raison. - J'indiquerai pour commencer que l'excessivité que l'on reproche à notre opposition n'a d'égale que l'excessivité de votre soutien au gouvernement.

Nous sommes favorables au fait de créer de l'emploi par le développement des autocars. Il ne faut cependant pas que cela conduise à affaiblir le service offert aux voyageurs, les autocars n'ayant pas le même confort sur une certaine distance qu'un voyage en train. Il ne faut pas non plus que cela serve d'alibi à la SNCF pour oublier d'améliorer sa gestion.

Concernant les autoroutes, la question de la liaison manquante entre Vesoul et Langres perturbe la liaison entre l'Atlantique et la Suisse. C'est un tronçon d'autoroute non rentable. Nous avons l'autorisation de l'Europe pour qu'il y ait une aide de l'État pour financer cette autoroute. L'aide de l'État se fait sous forme de deux déviations routières de deux fois deux voies. L'une est en cours de construction ; pour l'autre, les études se terminent. Pourquoi cette autoroute, sous prétexte qu'il y a insuffisamment de véhicules par jour, a-t-elle été reléguée en toute dernière priorité au niveau national ? Ce territoire a besoin d'être irrigué pour sa survie. Le montage financier était accordé. Nous sommes dans une crise de centralisation, contraire à l'esprit transversal de l'aménagement du territoire.

M. Alain Fouché. - J'ai siégé à RFF pendant trois ans. J'ai pu voir comment cela fonctionnait, avec le pouvoir aux mains de hauts fonctionnaires et un désintérêt de ce qui se passe sur les territoires. Je n'ai pas eu le sentiment d'une grande proximité.

Concernant les marchés autoroutiers, il sera désormais demandé que 50 % de l'entretien soit réalisé par des entreprises extérieures au groupe concessionnaire. Il y a eu un échec total sur la ligne LGV Atlantique qui va de Tours à Bordeaux. Il était prévu que l'entreprise délègue un certain nombre de marchés aux entreprises locales : cela n'a pas été le cas. Un seul pont a été délégué ; tout le reste a été donné à ses filiales. Il faudra donc un contrôle très strict.

M. Jean-François Longeot. - Dans le rapport sur les crédits routiers comme dans le rapport sur les crédits ferroviaires, même si les conclusions ne sont pas les mêmes, se pose le problème du financement. Le rapporteur a tenté d'expliquer que l'augmentation du prix du gazole compense la suppression de l'écotaxe. Je suis dubitatif. L'augmentation du prix du gazole n'est supportée que par nos concitoyens. Le pouvoir d'achat du contribuable français se trouve grevé.

Je suis prêt à comprendre le développement des autocars dans les secteurs où il n'y a pas de liaisons ferroviaires. Mais ne disons pas qu'ils ont été mis en place parce qu'une catégorie de nos concitoyens ne peut pas prendre le train à cause des tarifs trop élevés. Cela revient à dire à nos concitoyens : « dites-moi ce dont vous avez besoin je vous expliquerai comment vous en passer »... Ce n'est pas un argument et c'est recréer la troisième classe de la SNCF qui existait il y a encore quelques années.

Mme Chantal Jouanno. - Je suis très favorable à la libéralisation des systèmes de transports. Néanmoins, en ce qui concerne les autocars, permettez-moi de penser que cela ne va pas nécessairement dans le sens d'un meilleur bilan environnemental. Nous n'avons pas immédiatement imposé les meilleures normes aux véhicules, alors même que nous savons aujourd'hui que nous sommes dans l'incapacité de respecter les normes. Cela a été reconnu par la récente décision de la Commission européenne. En zone non dense, lorsque les autocars ne sont pas remplis, le bilan carbone par passager est très mauvais. Il aurait sans doute été préférable de plus mettre l'accent sur l'auto-partage ou le covoiturage qui se développent très bien dans ces zones.

Nous avions eu un débat assez intéressant avec Ségolène Royal sur l'écotaxe. Dans le cadre des élections régionales, il n'aura échappé à personne qu'en Île-de-France, tous les candidats, y compris socialistes, se réclament d'une écotaxe régionale. Il y a une vraie contradiction : sauf erreur de ma part, le marché de démantèlement des portiques est toujours en cours. Le gouvernement n'a fait aucune proposition pour permettre la mise en place par les régions d'écotaxes régionales et pour éviter d'assumer une double charge. Nous allons payer pour le démantèlement des portiques actuels et payer à nouveau pour mettre en place un nouveau système d'écotaxe régionale.

M. Louis Nègre. - Le rapporteur a démontré par sa présentation sa capacité à voir le verre à moitié plein... Pour ma part, je persiste et signe sur le centime de baisse de l'essence. C'est contradictoire avec ce que nous essayons de faire. J'ai été favorable aux avancées contenues dans la loi pour la transition énergétique. Cette baisse sur l'essence est un signal politique que je ne comprends pas. Il en va de la cohérence de l'action politique.

Sur les crédits routiers du CPER de la région Provence-Alpes-Côte-D'azur, où sont les crédits affectés aux Alpes-Maritimes ? Je n'ai pas vu grand-chose malgré cette augmentation mirifique de la ligne budgétaire que vous évoquez.

L'Allemagne a développé le système de concurrence par autocar. Dans un premier temps, cela a conduit à une augmentation considérable des passagers, au détriment, pour un tiers, de la Deutsche Bahn. Un tiers avait abandonné la voiture au profit de l'autocar. Soyons donc prudents. Après quelques années, on constate une concurrence tellement forte que la plupart des petites entreprises disparaissent au profit de quelques-unes. En Grande-Bretagne, on peut constater une double avancée, dans le ferroviaire et dans les autocars. La concurrence y est très libérale. Elle permet de développer le transport par autocar et parallèlement le train. Nous avions pris ici position, comme au GART, pour limiter la concurrence au-delà de 200 kilomètres entre deux points d'arrêt. Le seuil de 100 kilomètres nous a malheureusement été imposé. Cela va porter atteinte à nos transporteurs locaux.

Sur la vignette, une excellente étude a été réalisée par le Conseil général de l'environnement et du développement durable et rendue publique. Après une étude comparée en Europe, il ressort que le système de la vignette est parfait dans la mesure où personne ne passe à travers mais il est très coûteux. Sur le nombre élevé de poids lourds étrangers qui traversent la France, près de 30 %, certains préfèrent prendre leur gazole en France. Le gazole italien ou britannique est plus cher. Il y a donc certainement une forme de compensation qu'il faudrait étudier de manière très fine. L'association syndicale des transporteurs OTRE a souhaité qu'on en reste à l'augmentation de la TICPE. C'est signe qu'il y a là une possibilité de réguler et d'encourager le transfert modal.

Dernière remarque : on ne parle que d'argent ce matin. Nous sommes face à des choix politiques. France Stratégie a récemment démontré que la France dépense 7 points de PIB de plus que l'Allemagne en dépenses sociales. Cela représente 140 milliards d'euros chaque année. Je suis persuadé qu'avec une simple baisse de 10 % de ces dépenses, on pourrait résorber les problèmes de financement dans les transports.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis. - Concernant la sécurité, une analyse a montré qu'il valait mieux utiliser les autocars que les véhicules individuels. C'est moins accidentogène et moins polluant. Les trains qui ne sont pas en surcharge sont deux fois plus polluants que les autocars, comme cela a été vérifié par l'Ademe.

Les créations d'emplois que je vous indiquais, au nombre de 700, ont été décomptées depuis le vote de la loi Macron. D'ici à la fin de l'année 2015, on espère la création de 100 lignes supplémentaires.

Les dépenses opérationnelles de l'AFITF restent stables : 1,856 milliard en 2012, 1,9 milliard en 2013, 1,7 milliard en 2014, 1,844 milliard en 2015 et 1,855 milliard prévu pour 2016. Les dépenses sont donc vraiment identiques.

Les sociétés d'autoroutes sont engagées dans le cadre du protocole d'accord comme je l'ai évoqué.

En matière de sécurité, beaucoup est fait pour la formation des chauffeurs afin de réduire les risques d'accidents. Aujourd'hui, les accidents les plus fréquents restent ceux en deux-roues et en véhicule individuel.

Globalement les crédits sont stables, en légère baisse de 0,4 %. C'est pour cette raison que je suis plus positif que Louis Nègre et que je défendrai ce budget avec mes collègues.

Loi de finances pour 2016 - Crédits « Recherche en matière de développement durable » - Examen du rapport pour avis

Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Je présente, pour la première fois, les crédits du programme 190 relatifs à la recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables, inscrits dans la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2016. Je succède en cela à Geneviève Jean qui nous avait présenté ces crédits l'an dernier.

Le programme 190 a pour objet de financer des actions de recherche dans les domaines du développement durable, qu'ils portent sur l'énergie, les risques, les transports ou encore la construction et l'aménagement.

Le total des crédits que le projet de loi de finances pour 2016 alloue au programme 190 s'élève à environ 1,4 milliard d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

Ce montant global est en hausse de 2 % par rapport à celui ouvert par la loi de finances pour 2015. Cette hausse s'explique par la forte élévation des crédits versés au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) pour la couverture des charges nucléaires de long terme de ses installations et le financement des opérations de démantèlement et d'assainissement en cours.

Les crédits du programme ont vocation à financer six opérateurs de l'État : l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN), l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR), l'Institut de radioprotection et de la sûreté nucléaire (IRSN), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS).

Pour donner un ordre de grandeur, le principal bénéficiaire du programme 190 est, de loin, le CEA, avec 917 millions d'euros de subventions. L'IRSN, l'IFPEN et l'IFSTTAR perçoivent respectivement 175, 131 et 87 millions d'euros. Les subventions de l'INERIS et de l'Anses sont de 6 et 1,6 millions d'euros.

À l'heure de la mise en oeuvre du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et à quelques jours de la COP 21, je souhaiterais insister, plus que jamais, sur l'importance des crédits du programme 190. C'est par la recherche et l'innovation que la France pourra changer de modèle en matière d'énergie, de bilan carbone, ou encore de mobilité et d'aménagement durables.

À ce titre, la hausse globale du montant de ces crédits est un signal positif, même si elle ne bénéficie pas à chacun des opérateurs du programme.

Le CEA tire son épingle du jeu : le montant global de ses subventions augmente de plus de 4 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2015. Cette hausse correspond essentiellement à la couverture des charges nucléaires de long terme du CEA et au financement des opérations de démantèlement.

En matière de nucléaire civil, les crédits du programme ont aussi vocation à financer le développement de grands outils nécessaires aux activités de recherche - tels que le réacteur Jules Horowitz au centre de Cadarache -, des réacteurs et combustibles de quatrième génération et à optimiser le nucléaire industriel actuel.

Dans le domaine des nouvelles technologies de l'énergie, le CEA concentre ses travaux de recherche et développement sur le bâtiment et les transports, qu'il s'agisse de technologies du solaire (photovoltaïque, solaire thermique et thermodynamique), de procédés d'électrification de véhicules ou de stockage de l'électricité.

Depuis cette année, le programme 190 porte aussi les moyens de financement du Centre national d'alerte aux tsunamis exploité par le CEA.

Ce centre, opérationnel depuis le 1er juillet 2012, fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, en coopération avec le SHOM et le CNRS. Il reçoit en temps réel les informations émanant des stations sismiques et de mesure du niveau de la mer situées sur le pourtour méditerranéen et le littoral atlantique.

Pour tout séisme potentiellement générateur de tsunami dans la zone couvrant le nord-est de l'Atlantique et la Méditerranée occidentale, le centre transmet, en moins de 15 minutes, un premier message d'alerte ou d'information aux autorités françaises en prévenant le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises, puis confirme ou infirme l'alerte en fonction des mesures sur les signaux reçus des marégraphes.

Entre 2012 et 2015, 10 séismes de magnitude comprise entre 5,5 et 7 ont fait l'objet de messages d'information émis par le Centre.

Je crois que nous pouvons nous réjouir qu'un million d'euros soit débloqué pour financer le maintien en conditions opérationnelles de ce centre d'alerte. Au-delà de la prévision de ces événements exceptionnels, une réflexion pourrait toutefois être menée sur l'amélioration et la modernisation des moyens utilisés pour alerter les populations en cas de risque.

L'autre opérateur impliqué dans le domaine nucléaire est l'IRSN. Cet établissement contribue à la mise en oeuvre des politiques publiques relatives à la sûreté et à la sécurité nucléaires, à la protection de l'homme et de l'environnement contre les effets des rayonnements ionisants, ainsi qu'à la protection des matières nucléaires, de leurs installations et de leur transport vis-à-vis du risque de malveillance.

Après avoir connu une forte baisse en 2013, 2014 et 2015, ses dotations sont à peu près stabilisées cette année. Je m'en réjouis, car l'IRSN a dû reporter, les années précédentes, le lancement de programmes de recherche.

La contribution versée au profit de l'IRSN par les exploitants d'installations nucléaires de base est maintenue avec un plafond de 62,5 M€. En forte augmentation depuis 2013, cette taxe affectée vient compenser, au moins en partie, la diminution des financements directs de l'État.

Tout comme le CEA, l'IRSN va se trouver, dans les années à venir, confronté aux défis liés au vieillissement et au démantèlement des réacteurs actuels.

Ce contexte va se traduire par une forte croissance des demandes pesant sur l'institut. L'IRSN estime à ce titre que 35 ETPT et 6 millions d'euros seraient nécessaires pour y faire face, et réclame une évolution du dispositif actuel de versement de contribution par les exploitants d'installation nucléaire de base. La révision de ce dispositif a d'ailleurs été évoquée par notre collègue Michel Berson dans un rapport d'information fait au nom de la commission des finances en 2014.

Héritier de l'Institut français du pétrole, l'IFP Énergies nouvelles est désormais pleinement engagé dans la transition énergétique. À titre d'illustration, l'IFPEN est très impliqué dans l'exploration de technologies devant permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports et de limiter la dépendance au pétrole, à travers trois axes : l'hybridation, la réduction des consommations des véhicules thermiques et la mise au point de biocarburants avancés. L'établissement travaille aussi à différentes solutions de récupération de l'énergie thermique perdue à l'échappement, pour des applications dans les domaines ferroviaires et maritimes, certaines pouvant même s'adapter aux poids-lourds et autocars.

Sujet qui me tient particulièrement à coeur, l'IFPEN travaille sur des solutions technologiques dans le domaine de l'éolien offshore, posé et flottant. L'institut a déposé 18 brevets dans ce secteur entre 2012 et 2014. Ses études portent notamment sur la connaissance de la ressource en vent, l'optimisation de la production d'électricité et des coûts, le dimensionnement des éoliennes et sur des supports flottants adaptés. C'est un secteur particulièrement prometteur puisqu'on évalue qu'à puissance égale, l'éolien offshore flottant produira 60 % de plus que l'éolien terrestre.

Le PLF 2016 envisage d'accorder 131 millions d'euros de subvention pour charges de service public à l'IFPEN qui est ainsi, parmi les opérateurs du programme 190, celui qui enregistre, en valeur relative, la plus forte baisse de crédits (-6,6 %).

La diminution constante, depuis 2002, de la subvention qui lui est allouée fragilise la situation budgétaire de l'établissement : son budget prévisionnel fait, une fois encore, apparaître une perte de 6 M€.

L'IFPEN estime que ses ressources propres, issues notamment des produits des dividendes de ses filiales et de redevances pour exploitation de licences, ne permettent plus de compenser la baisse de sa dotation. Il a été contraint de réduire ses effectifs de près de 150 personnes depuis 2010 et d'arrêter des projets de recherche à hauts risques mais aux débouchés à long terme.

Il nous faut être vigilant sur la pression budgétaire exercée sur l'IFPEN, supérieure à celle des autres opérateurs. Il conviendrait d'éviter de nouveaux gels de crédits au cours de l'année à venir.

L'IFSTTAR est un établissement public à caractère scientifique et technologique qui a pour mission de réaliser des recherches dans les domaines du génie urbain et de l'aménagement du territoire ; du génie civil, des infrastructures, des matériaux de construction et de leurs impacts ; des risques naturels et de la mobilité des personnes et des biens, des systèmes de transports, de leur sécurité et fiabilité.

Deux projets de l'IFSTTAR contribuent en particulier à la mise en oeuvre de la transition énergétique. En premier lieu, le projet Sense-city, mini-ville climatique permettant de tester en milieu réaliste des micro-capteurs et nano-capteurs développés pour instrumenter et piloter la ville ; le permis de construire vient d'être obtenu et la phase opérationnelle peut donc commencer. Il pourra d'ailleurs être intéressant pour la commission de la visiter ! En second lieu, le projet Transpolis, ville laboratoire permettant de tester et d'évaluer les innovations en matière de transport urbain.

Je citerai également un projet particulièrement intéressant sur lequel travaille l'IFSTTAR dans une optique de stockage du CO2 : l'utilisation de la carbonatation des bétons de démolition et leur recyclage. La carbonatation est un processus naturel d'absorption de CO2 par le ciment présent dans les déchets de béton concassés. L'idée est d'utiliser les déchets de béton comme puits de stockage du carbone puis de les réutiliser dans des constructions neuves. L'IFSTTAR a défini sous quelles conditions le piégeage de CO2 est optimal : il est possible de recapter 10 % du CO2 libéré initialement lors de la fabrication du béton, soit 20 à 30 kg de CO2 par m de béton.

Je me réjouis donc que la dotation budgétaire allouée à l'IFSTTAR au titre du programme 190 reste quasiment stable par rapport à celle fixée par la loi de finances initiale pour 2015.

L'INERIS mène des recherches sur l'évaluation et la prévention des risques technologiques et des pollutions, liés à l'après mine, aux stockages souterrains, aux risques naturels, aux produits chimiques, etc.

Il devrait percevoir une dotation budgétaire de 6,4 M€ en 2016, en baisse de 2,7 % par rapport à 2015. Compte tenu de l'évolution de ses autres dotations, ses crédits globaux sont quasiment stables.

L'INERIS est aussi un acteur clé de la transition énergétique et de la prévention des risques sanitaires et environnementaux. Il travaille sur le stockage de l'énergie, la méthanisation et l'hydrogène, notamment sous l'angle de la sécurité et des risques d'explosion des batteries. Il mène des recherches en toxicologie et en éco-toxicologie sur les risques émergents que sont les perturbateurs endocriniens, les nano-matériaux et les ondes électromagnétiques. Il apporte un appui aux pouvoirs publics pour la surveillance de la qualité de l'air, en développant des modèles de prévisions.

Pour terminer, l'Anses développe l'appui scientifique et technique nécessaires à l'élaboration des politiques de protection de la santé, liées aux expositions alimentaires, environnementales ou professionnelles, et à la mise en oeuvre des mesures de gestion des risques dans ces domaines.

L'Anses reçoit à titre principal des crédits du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation », et seulement 1,6 % de sa dotation budgétaire totale (c'est-à-dire 1,6 million d'euros), à partir du programme 190. Sa dotation budgétaire globale est en très légère hausse par rapport à 2015.

Cette évolution positive doit toutefois être analysée à l'aune de la forte croissance des missions de l'Anses. En effet, l'agence est chargée de délivrer, depuis le 1er juillet 2015, les autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires et des matières fertilisantes, et met en place un dispositif de phyto-pharmacovigilance. En 2016, elle devrait en outre prendre en charge les décisions d'autorisation de mise sur le marché des produits biocides et la toxico-vigilance.

Ces différents transferts de compétence traduisent la confiance des pouvoirs publics dans l'indépendance et la qualité d'expertise de l'Anses. Sur le long terme, il nous faudra cependant veiller à ce que les efforts de maîtrise des dépenses publiques ne viennent pas menacer son équilibre budgétaire.

Au total, ces crédits étant globalement stabilisés dans un contexte financier contraint, je vous proposerai de donner un avis favorable à leur adoption.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous félicite pour cet exposé, et d'avoir adopté, comme notre collègue Jacques Cornano hier, une démarche « 0 papier ».

M. Alain Fouché. - Sur le dossier des éoliennes, nous sommes plusieurs à être choqués qu'il n'y ait aucun plan qui régisse leur développement, avec des conséquences désastreuses sur le paysage. Il y avait auparavant des champs d'éoliennes, mais aujourd'hui, les maires donnent leur accord à des projets isolés, pour 50 ou 60 000 euros.

Quel montant du budget est consacré à ce sujet ? Ne faudrait-il pas réglementer cette question, et ensuite, partager le produit des taxes que ces éoliennes rapportent ?

Mme Chantal Jouanno. - La quasi-stagnation des moyens de l'Anses, alors que ses missions se sont multipliées, interroge. Il faudrait que nous approfondissions cette question ainsi que celle de lui avoir confié le rôle d'autorité d'évaluation et de délivrance de certificats.

M. Louis Nègre. - Je me suis rendu compte des problèmes que représentent les éoliennes lorsque j'étais rapporteur du projet de loi de transition énergétique. Avec Cédric Perrin, nous avons demandé la création d'une commission d'enquête sur cette question.

Mme Nicole Bonnefoy. - Pour répondre à Chantal Jouanno, la loi sur l'agriculture a prévu que l'Anses rende compte de son activité chaque année devant les commissions compétentes du Parlement.

Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Les crédits de recherche que j'ai évoqués concernent avant tout l'éolien offshore, qui produit 60 % de plus que l'éolien terrestre. Celui-ci n'entre donc pas dans mon champ de compétence aujourd'hui. Là où il y a eu une réflexion globale, et l'élaboration d'un plan régional à ce sujet, ce plan a été attaqué en justice par des associations et annulé. Il y a une difficulté entre la volonté de communes qui agissent seules, et celle des départements et des régions de préserver des zones pour ces éoliennes.

Au total, 130,9 millions d'euros sont consacrés à IFPEN mais je n'ai pas le détail des crédits de recherche consacrés à l'éolien.

Je suis d'accord avec Chantal Jouanno sur le fait que nous devons être vigilants sur l'évolution des moyens de l'Anses. Mais le budget que j'ai évoqué ne couvre qu'une infime partie des crédits alloués à l'Anses. Ils évoluent d'ailleurs de façon positive, puisqu'ils ont augmenté de 1,9 %.

Toutes les personnes que nous avons entendues lors des auditions ont réfléchi très en amont à l'évolution de leurs moyens et m'ont semblé très à l'écoute de ce que l'on pouvait exiger d'eux. À part l'IFPEN, bon élève dans sa gestion et sa mobilisation de fonds privés, qui en a d'ailleurs été sanctionné par la baisse de sa dotation, tous les autres organismes ont accepté de remettre en cause leur fonctionnement et anticipé des baisses de personnel. Ils sont tous très désireux de faire connaître leurs projets.

M. Hervé Maurey, président. - Je suis très favorable à des visites de sites.

Mme Odette Herviaux, rapporteure. - Cela me semble effectivement important car chacun de ces organismes a ses spécificités.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Recherche en matière de développement durable » du projet de loi de finances pour 2016.

Organisme extraparlementaire - Désignation d'un sénateur

M. Jean Bizet est désigné pour siéger au sein du Conseil supérieur de l'aviation civile.

Diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la prévention des risques - Désignation des candidats à la commission mixte paritaire

M. Hervé Maurey, président. - Nous devons désigner les sénateurs appelés à siéger dans la commission mixte paritaire (CMP) relative au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la prévention des risques.

Sont désignés comme titulaires MM. Hervé Maurey, Michel Raison, Didier Mandelli, Michel Vaspart et Jean-Jacques Filleul, et Mmes Nelly Tocqueville et Evelyne Didier et comme suppléants M. Guillaume Arnell, Mme Natacha Bouchart, MM. Gérard Cornu, Jean-Claude Leroy, Pierre Médevielle, Hervé Poher et Rémy Pointereau.

Désignation d'un rapporteur

Mme Evelyne Didier est nommée rapporteure de la proposition de loi n° 113 (2015-2016) permettant de maintenir et de développer sur l'ensemble du territoire national une offre de transport ferroviaire régional de qualité.

Questions diverses

M. Pierre Médevielle- Je rappelle qu'à la suite du travail de Jean-François Longeot, nous avions demandé à faire un rapport plus poussé sur la désertification médicale, que nous pourrions faire en commun avec la commission des affaires sociales.

M. Hervé Maurey, président. - Nous allons regarder cela en bureau.

Pour la mission d'information relative à la sécurité dans les gares, lancée à l'initiative d'Alain Fouché, la commission des lois est aussi concernée. Elle a désigné ce matin François Bonhomme comme co-rapporteur. Les travaux de nos deux collègues vont donc pouvoir commencer.

Alain Fouché est nommé co-rapporteur de la mission d'information relative à la sécurité dans les gares.

La réunion est levée à 11 h 45.

Jeudi 5 novembre 2015

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

Audition de M. Alexandre de Juniac, Président-directeur général du groupe Air France-KLM

La réunion est ouverte à 11 h 05.

M. Hervé Maurey, président. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous vous avions entendu le 12 novembre 2014, il y a presque un an, au sortir d'une grève qui avait coûté près de 500 millions d'euros à Air France. Vous aviez dû renoncer au lancement de Transavia Europe, mais Transavia France a été maintenue. Vous souffrez d'une concurrence qui vous prend en tenaille entre le low cost  - Ryanair transporte plus de voyageurs en Europe qu'Air France dans le monde entier-, et les compagnies du Golfe qui vous font subir une concurrence déloyale. Emirates détient désormais la première position sur le trafic intercontinental. Le plan Perform 2020 devait aboutir à l'ouverture de nouvelles lignes et à l'achat d'avions mais les difficultés des négociations vous ont contraint à présenter un plan alternatif, dans lequel le nombre d'avions passe sous la barre de 100 et où 2 900 emplois sont supprimés, dont 1 000 en 2016. Les images violentes des événements du 5 octobre nous ont étonnés : comment en est-on arrivé là ? Attachés à Air France, nous sommes inquiets : comme vous l'avez dit vous-même, il n'y a pas de grand pays sans grande compagnie aérienne.

M. Alexandre de Juniac, président-directeur général du groupe Air France - KLM. - Le transport aérien est un secteur qui nécessite une grande intensité en capital : immobilisations considérables, niveau d'investissement très élevé. Il est aussi caractérisé par une forte concurrence, comme vous l'avez rappelé, qui comporte une caractéristique nouvelle : désormais, une dizaine de grandes compagnies sont capables de générer durablement des résultats positifs importants. C'est le cas des deux grandes low cost européennes, de trois grandes compagnies américaines ainsi que de British Airways et de compagnies allemande, japonaise ou issues de pays du Golfe. Du coup, si nous voulons rester dans la course, nous devons viser le même niveau de profitabilité. La révolution numérique exige aussi des investissements très élevés dans la gestion marketing et commerciale des rapports avec les passagers, sur lesquels nous disposons d'informations beaucoup plus nombreuses.

Les atouts d'Air France KLM sont nets : deux hubs de classe mondiale au coeur de l'Europe - Roissy-Charles-de-Gaulle et Schiphol -, le premier réseau intercontinental depuis l'Europe - ce sont désormais les compagnies du Golfe qui disposent du premier réseau intercontinental mondial - et une flotte bien composée. Nous avons aussi un personnel de très haute qualité, parmi les meilleurs au monde. Bref, notre capital humain, technique, économique, administratif et politique est considérable. Nos deux faiblesses essentielles sont une insuffisante compétitivité, en raison de coûts structurellement plus élevés que ceux de nos homologues européens, et une performance économique et financière inférieure à celle des dix meilleures compagnies que j'ai évoquées, alors qu'en nombre de passagers nous sommes au cinquième rang.

C'est pourquoi nous avons mis en place le plan Transform 2015, à présent achevé, puis le plan Perform. Transform a permis à la compagnie - et j'en suis fier ! - de renouer avec des résultats positifs après des années de pertes et d'entamer son désendettement. Les investissements que nous avons entrepris, pour un montant d'un milliard d'euros sur cinq ans, nous replacent au meilleur niveau mondial. Dès septembre 2014, nous avons présenté aux organisations syndicales le plan Perform, qui n'est plus un plan de restructuration mais de croissance, passant par des gains de compétitivité.

Il prévoit d'aller chercher la croissance en Asie, où elle est beaucoup plus forte qu'en Europe ou en Amérique, à travers trois, quatre ou cinq partenariats avec des compagnies asiatiques. En Europe, il nous faut renforcer nos deux hubs et développer notre outil low cost qu'est Transavia, car c'est sur ce segment de marché que la croissance est la plus forte. Enfin, la maintenance, qui représente chez nous 15 000 emplois industriels, doit être renforcée. Le deuxième volet du plan Perform est l'amélioration de notre produit. C'est le point stratégique, car nos coûts sont élevés en raison des règles sociales de nos pays d'origine. Il n'est pas question de faire la course à la réduction des coûts : ce ne serait pas souhaitable, et nous la perdrions. Il nous faut donc être les meilleurs en qualité. D'ailleurs, notre marque se positionne en haut du marché et véhicule une image de confort et de luxe. Nous devons néanmoins baisser nos coûts pour atteindre le meilleur niveau européen en la matière : je pense notamment à nos concurrents à l'ouest, comme British Airways qui, après son mariage avec Iberia, revient en force.

Ce plan a été conçu en juin 2014, juste avant que s'amorce la baisse de la recette unitaire par siège, qui n'avait été prévue par personne et qui a affecté - et continue d'affecter - toutes les compagnies du monde. Aussi avons-nous dû renforcer les économies prévues. Dès décembre 2014 aux Pays-Bas et avril 2015 en France, nous avons ouvert des négociations sur ce point. Chez KLM, elles se sont conclues en août 2015, ce qui peut paraître long mais est en fait rapide par rapport à ce qu'on observe dans les autres compagnies aériennes, qu'elles soient américaines, anglaises ou espagnoles. En France, elles ont commencé à la fin du mois d'avril, après les élections internes, avec les trois catégories de personnel, personnel au sol, personnel navigant commercial et pilotes. Pour les personnels au sol, elles se poursuivent, activité par activité et site par site. Avec les deux autres catégories, elles n'ont pu aboutir avant le 30 septembre, date qui avait été fixée dès le début car nous souhaitions lancer notre offre d'été le 1er avril 2016 et parce qu'une durée de six mois correspondait à celle des négociations précédentes.

Cet échec nous a contraints à mettre en oeuvre le plan de restructuration, dit plan B, prévu pour 2016 et 2007. Si toutefois nous parvenions à un accord, la partie concernant 2017, qui est la plus importante, ne serait pas mise en oeuvre. Ce serait notre souhait le plus vif car le plan A est un plan de croissance, d'investissement et d'emploi, même s'il impose des efforts. Les discussions ont repris dans des conditions normales, qui n'ont rien à voir avec ce que vous avez pu voir le 5 octobre : ces actions sont le fait d'une poignée de gens incontrôlés et ne reflètent en rien le comportement de l'immense majorité des employés. Nous espérons trouver un accord à temps pour que le plan Perform soit repris. Cela nous ferait revenir en tête de la première division. Nous avons bien joué la première mi-temps, ne nous effondrons pas pendant la seconde !

M. Hervé Maurey, président. - Nous sommes donc à la croisée des chemins entre le plan Perform et le plan alternatif.

M. Alexandre de Juniac. - Absolument.

M. Hervé Maurey, président. - Et seule la diminution des emplois en 2016 a été décidée.

M. Alexandre de Juniac. - Oui.

M. Hervé Maurey, président. - Quand la situation sera-t-elle tranchée ?

M. Alexandre de Juniac. - Début 2016 si nous voulons mettre en oeuvre les mesures négociées. Nous pouvons y arriver : Transform a sorti la compagnie du rouge, ce qui était loin d'être acquis. Du coup, dès 2017-2018, nous pourrions reprendre les embauches, y compris de pilotes. Ce serait fondamental, après plusieurs années de gel.

M. Hervé Maurey, président. - Le résultat positif du troisième trimestre est-il l'hirondelle qui fait le printemps ?

M. Alexandre de Juniac. - L'été a été très bon pour tous : forte demande et baisse du prix du baril. Sans Transform, toutefois, les résultats n'auraient pas été si positifs.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure pour avis sur le transport aérien. - Personne n'espère que le plan B soit retenu. Quelles seraient ses conséquences pour Air France ? Comment prévoyez-vous de renouveler votre flotte alors que vos moyens sont limités ? C'est un élément important de la qualité de service. Quel sera l'impact du nouveau règlement européen FTL (« flight time limitations »), qui porte sur la limitation du temps de vol ?

M. Alexandre de Juniac. - Le plan B aurait pour conséquence la disparition de quatorze appareils long-courriers, sur un total de 106, et peut-être la fermeture de certaines lignes, au moins la baisse du nombre de vols ou leur modulation saisonnière. Ce serait dommage car leur reconquête, ensuite, sera difficile. Le plan B décalerait de deux à trois ans, par rapport à la négociation, le retour à la croissance. Nous avons commandé vingt-cinq 787 et vingt-cinq A 350, et quelques 777 nous sont livrés en ce moment. Dans les nouveaux modèles, le coût du siège est réduit mais pour le passager, sauf peut-être avec l'A 380 pour des raisons d'image, cela ne change pas grand-chose. Ce qui importe pour la qualité de service, c'est la rénovation de la cabine. Le plan B ralentirait le renouvellement des avions, qui serait plus soutenu avec le plan Perform. Cela dit, la performance d'une compagnie aérienne n'est pas corrélée à la modernité de sa flotte. British Airways, par exemple, a une flotte ancienne. Les renouvellements d'avions ne doivent pas alourdir notre bilan. La mise en oeuvre des FTL en février suppose une adaptation du code de l'aviation civile. Elles garantiront une certaine qualité de service.

M. Hervé Maurey, président. - Elles imposent des temps de repos.

M. Alexandre de Juniac. - Oui, en fonction de la durée des vols.

M. Hervé Maurey, président. - Leur interprétation n'est pas encore fixée.

M. Alexandre de Juniac. - En effet. Elles ne sont pas conformes au code de l'aviation civile.

M. Jean Bizet. - Je salue en vous notre pavillon national. Nous devons vite gommer les images qui nous ont tous heurtés, car vous transportez non seulement des passagers mais aussi le savoir-vivre à la française. Le rapport Le Roux, remis en novembre 2014, a beaucoup apporté. Vos négociations avec l'État vous éclairent-elles sur ses intentions ? Quel est, si j'ose dire, son plan de vol ? Depuis une dizaine d'années, les taxes aéroportuaires augmentent sans cesse alors que le bénéfice d'Aéroports de Paris (ADP) est de 400 millions d'euros. Votre capitalisation boursière ne vous fragilise-t-elle pas ? Certaines taxes partent de bonnes intentions mais constituent pour votre pavillon une surcharge. Avez-vous dénoncé auprès des autorités européennes les distorsions de concurrence dont vous souffrez ? Les low cost bénéficient aussi d'aides de la part des collectivités territoriales...

M. Jean-Jacques Filleul. - Nous avons de l'espoir, mais nous sommes inquiets car vous êtes pris en tenaille entre les low cost et les compagnies du Golfe, qui vous concurrencent sur le secteur de marché le plus prestigieux. Transavia a pris beaucoup de retard. Où en êtes-vous ? Je crois qu'elle possède une soixantaine d'avions. C'est peu par rapport à ses concurrents. Nous connaissons votre volonté. L'annonce du plan B et les violences dans l'entreprise ont été deux chocs pour l'image de la France. Comment retrouverez-vous la sérénité dont votre compagnie a besoin ? Les employés, dont vous avez souligné les qualités, ont fait beaucoup d'efforts : 8 000 emplois ont déjà été supprimés, c'est énorme ! Quel rôle joue le Gouvernement ? L'explosion en vol de l'Airbus russe vous a conduit à prendre des précautions. Pouvez-vous nous les exposer ?

M. Rémy Pointereau. - Merci pour vos propos rassurants. Hélas, Air France n'est plus la grande compagnie que nous avons connue. Elle est dépassée par Emirates, qui offre un service meilleur à un prix inférieur. On nous dit que l'ouverture du capital de la compagnie offrirait la maintenance à Etihad. Or c'est la partie la plus rentable ! Pouvez-vous nous dire la vérité sur le statut des personnels navigants commerciaux (PNC) ? Le Point expliquait récemment que leurs salaires sont largement plus élevés qu'ailleurs, pour un nombre d'heures de vol inférieur. Bien sûr, ils contestent ces chiffres et font valoir qu'ils partent à la retraite plus tard que leurs homologues allemands, ou qu'ils atteignent déjà la limite légale annuelle de 850 heures de vol. Qu'en est-il exactement ? Si vos employés coûtent plus cher, n'est-ce pas dû à nos charges sociales, taxes et redevances ?

M. Louis Nègre. - Ayant un vol - d'Air France ! - à prendre, je serai bref. Le service à bord n'est guère inférieur à celui offert par les compagnies du Golfe. Je condamne absolument les violences survenues au sein d'Air France.

M. Rémy Pointereau. - Moi aussi !

M. Louis Nègre. - Elles sont inacceptables dans le dialogue social. Le Premier ministre socialiste a eu raison de l'affirmer. Où est la différence réelle entre les coûts salariaux chez vous et chez vos concurrents ? Depuis 2000, vous avez amélioré votre situation financière. En 2015, vous dégagerez pour la première fois depuis sept ans un bénéfice. Tant mieux ! Toutefois, votre capitalisation boursière est tombée à moins de 2 milliards d'euros. Sans l'État, vous seriez une proie facile... Président d'Air France KLM, vous ne mollissez pas dans la tempête. Le Gouvernement a-t-il la volonté de vous soutenir ? Quels seront les effets d'une remontée des prix du baril ? L'accord passé le 3 novembre entre Air France et la métropole Nice Côte d'Azur permettra d'exploiter de nouvelles destinations en Amérique, en Chine ou en Russie. L'aviation civile est un cimetière d'éléphants : en Belgique, en Suisse ou en Italie, les compagnies nationales ont disparu. Nous devons tout faire pour éviter un pareil sort à Air France.

Mme Évelyne Didier. - Quelle est la structure de votre capital, dont l'État possède 17 % ? Qu'entendez-vous par « société durable » ? Des compagnies disparaissent tous les jours. En quoi certaines sont-elles durables ? J'ai approuvé vos propos sur la grande valeur de votre capital humain : allez-vous assouplir les sanctions disciplinaires ? Quelle est la feuille de route de votre nouveau DRH ? Le turnover dans les postes de direction est-il celui qu'on dit ? Vous avez parlé de grande qualité. Peut-on aller jusqu'à employer le mot « luxe » ? La baisse des coûts est une chose, la croissance du chiffre d'affaires en est une autre. Est-elle à l'ordre du jour ? Que représente pour vous le CICE ? Les redevances d'ADP ont bondi de 30 %. Quel est leur part dans votre budget ?

M. Alexandre de Juniac. - Nous avons le soutien marqué des États français et néerlandais. L'État français est très prudent...

M. Rémy Pointereau. - On ne le voit pas toujours.

M. Alexandre de Juniac. - ...dans l'octroi des droits de trafic, par exemple. Nous attendons aussi de lui, cependant, qu'il nous offre un meilleur environnement social et fiscal. Je songe à certaines redevances et taxes qui nous sont appliquées : pourquoi sommes-nous seuls à supporter une contribution pour la recherche sur le sida ?

M. Jean Bizet. - Une cause par ailleurs fort sympathique.

M. Alexandre de Juniac. - Par rapport à nos concurrents, nous supportons par exemple 14 points de charges sociales de plus sur les salaires des stewards et des hôtesses.

M. Jean-Jacques Filleul. - Le CICE est fait pour cela !

M. Alexandre de Juniac. - On comprend qu'ils en appellent à une action de la puissance publique et refusent de consentir des efforts d'une efficacité douteuse tant que leurs rémunérations supportent un tel niveau de charges.

Nous souhaitons que l'État applique les préconisations du rapport Le Roux. D'autres pays ont une stratégie globale, dans laquelle les différents acteurs - infrastructures aéroportuaires, compagnies aériennes - sont alignés de façon cohérente.

Nous demandons à l'Union européenne d'examiner si les compagnies du Golfe n'exercent pas une concurrence sur une base déloyale. J'observe aussi qu'il nous manque, au plan international, des voies de règlement des différends. Mais c'est bien sur les charges salariales que la concurrence nous atteint de plein fouet : c'est là que l'État peut nous venir en aide.

Les recours contentieux qui ont été lancés par Lufthansa ou par Air France contre certaines compagnies low cost ont ramené ces dernières à des comportements plus respectueux des règles juridiques, sociales et financières auxquelles nous sommes tous soumis. Vous, élus locaux, souhaitez bien sûr la desserte de vos villes, par quelque compagnie que ce soit : je suis d'accord, mais réclame seulement des conditions transparentes.

Bientôt, Transavia disposera de 80 avions, peut-être 100. Ce n'est plus un acteur marginal ! L'accord approuvé dans des conditions démocratiques nous autorise à développer cette compagnie. Nous avons signé un accord avec les pilotes néerlandais, qui reconnaissent la nécessité d'ouvrir de nouvelles destinations, avec des embauches en contrats locaux. Il s'agit par exemple de pays nordiques : les accusations de dumping social sont infondées, notre objectif est bien sûr de développer le réseau de Transavia, non de faire concurrence à notre propre groupe.

Comment retrouver la sérénité ? Par le dialogue, bien sûr. Du reste, ces dernières années, celui-ci n'a jamais été rompu, sa vitalité ne s'est jamais démentie. En 2013 et 2014, nous avons par exemple conclu une centaine d'accords par an, sur les sujets les plus divers. Les évènements du 5 octobre, que je juge pour ma part inqualifiables, ont constitué une exception tragique. Le dialogue social fonctionne bien, ce qui ne signifie pas qu'il soit toujours facile.

En attendant les résultats de l'enquête concernant l'Airbus russe qui s'est abîmé dans le Sinaï, nos avions ne survolent plus cette zone. Nous sommes dans tous les cas ultra-vigilants sur la sécurité dans les zones de survol.

La maintenance représente 15 000 emplois et cette activité se développe très bien. Pas question de la vendre à Etihad ! Nous espérons bien, au contraire, être un jour chargés de l'entretien de ses appareils.

M. Rémy Pointereau. - Merci de me rassurer.

M. Alexandre de Juniac. - La rémunération des pilotes est en partie variable : plus ils volent, plus elle augmente. À mon sens, le coût à l'heure de vol est trop élevé. Aussi leur avons-nous demandé s'ils pouvaient voler davantage sans être payés plus, afin de revenir vers la moyenne européenne. Nombre de facteurs influencent le coût : il faut par exemple prendre en compte l'âge de départ à la retraite, donc le salaire moyen. Les pilotes travaillent jusqu'à 65 ans en France, contre 58 ans aux Pays-Bas, 56 en Allemagne. Plus généralement, les salaires de tout le personnel navigant sont supérieurs à ce qu'ils sont ailleurs, tous facteurs pris en compte - jours d'engagement, vacances, heures de présence au sol, formations,...

Le Gouvernement nous a apporté un soutien constant dans la crise. Tout récemment, le Premier ministre a insisté sur la nécessité à la fois de réformer et de négocier : c'est exactement ce que nous nous efforçons de faire.

L'effet baril a joué favorablement pour toute l'industrie du transport aérien. La recette unitaire lui est assez bien corrélée, par l'intermédiaire des surcharges de carburant, des comportements plus ou moins agressifs sur les prix, etc. Vous m'interrogez sur le chiffre d'affaires. Plus le nombre de sièges proposé augmente, plus les prix baissent, ce qui tire à la baisse le chiffre d'affaires. Le nôtre augmente légèrement mais la recette unitaire baisse en raison des capacités croissantes de sièges - dans l'ensemble des compagnies.

L'État détient 17 % du capital, les salariés actionnaires 7 % ; le reste est entre les mains d'investisseurs institutionnels et privés, qui sont stables (les hedge funds sont moins présents, ils ont laissé place à des investisseurs de long terme).

J'ai parlé non de sociétés durables mais de sociétés aux performances durables, soit une dizaine de compagnies capables de dégager avec une grande constance des résultats positifs, ce qui leur donne bien sûr une position de force lorsqu'il s'agit de conclure des partenariats.

Quelques mots sur les procédures de sanction en cours : il en existe de deux sortes, judiciaire et disciplinaire. Le code du travail encadre strictement les procédures. Je pense pour ma part qu'elles doivent être menées à leur terme, de façon juste : c'est l'intérêt de l'entreprise et c'est aussi ce que réclame l'immense majorité des salariés. Les actes intervenus début octobre sont très nuisibles à l'image du groupe, mais également à celle de notre pays.

Air France KLM vise un positionnement dans la qualité, sinon dans le luxe, et ce dans toutes les catégories de billets.

Je précise que le groupe bénéficie du CICE à hauteur de 60 millions d'euros. Je plaide en outre pour une baisse des redevances d'ADP car le ciel européen est déjà le plus cher du monde. L'attrait du hub français est un élément important pour notre performance commerciale.

M. Hervé Maurey, président. - J'espère que lors de notre prochaine rencontre, vous nous annoncerez de bonnes nouvelles, sur le chiffre d'affaires comme sur la mise en oeuvre du plan A, car nous sommes tous attachés à Air France KLM.

La réunion est levée à 12 h 25.