Mardi 20 octobre 2015

- Présidence de M. Georges Patient, vice-président -

Loi de finances pour 2016 - Mission « Régimes sociaux et de retraite » et compte d'affectation spéciale « Pensions » - Examen du rapport spécial

La réunion est ouverte à 14h30.

Au cours d'une séance tenue l'après-midi, la commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. Jean-Claude Boulard, rapporteur spécial, sur la mission « Régimes sociaux et de retraite » et le compte d'affectation spéciale « Pensions ».

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur spécial. - Je pourrais me contenter de répéter ce que j'avais dit l'année dernière sur la mission « Régimes sociaux et de retraite » et sur le compte d'affectation spéciale « Pensions ». Notre rapport et nos conclusions quant à la stabilisation, voire à la baisse, du besoin de financement des régimes spéciaux et de la fonction publique se sont révélées exactes. L'année dernière, les concours de l'État au financement des régimes spéciaux avaient légèrement décru : en 2016, ils diminueront encore de 1,5 % par rapport à 2015, pour s'établir à 6,3 milliards d'euros. C'est le résultat d'une faible inflation, des réformes entreprises et notamment de la convergence des règles d'âges de départ à la retraite - je dis bien convergence et non alignement sur le régime général ou le régime de la fonction publique. Cette esquisse annoncée en 2015 se confirme pour 2016.

La contribution de l'État au CAS « Pensions », qui finance le régime de retraite des fonctionnaires civils et militaires de l'État, suit une progression extrêmement modérée de 0,7 % par rapport à 2015, après une période de progression très forte dans les années 1990 et 2000.

Nous regardons la plupart du temps l'indicateur de la dette par rapport à la richesse nationale, mais les engagements de l'État en matière de retraite des fonctionnaires représentent 75 % du produit intérieur brut (PIB) ! Seul le retour à la croissance garantira l'avenir des retraites.

Ma deuxième remarque porte sur le niveau des recettes affectées au CAS en 2016. Il est assez rare de disposer de crédits supérieurs aux besoins. Fin 2015, le solde cumulé du CAS « Pensions » s'élèvera à 2,2 milliards d'euros et à 2,9 milliards d'euros fin 2016, alors qu'un fonds de roulement de 1 milliard d'euros serait suffisant. On pourrait utiliser le surplus pour réaliser des ajustements budgétaires - j'avais d'ailleurs proposé l'an dernier qu'on prélève 1 milliard d'euros au bénéfice des collectivités territoriales - sans remettre en cause l'équilibre général.

S'agissant des récentes négociations sur les carrières de la fonction publique, je souligne que l'intégration de certaines indemnités dans le traitement indiciaire aura des conséquences sur les régimes de retraite de la fonction publique, tant au niveau de l'État que des collectivités territoriales. Aucune évaluation chiffrée n'est disponible à l'heure actuelle. Même si le dispositif est renvoyé à 2017, il est légitime de demander des précisions sur le coût de ces futures mesures.

Pour conclure, l'inscription budgétaire est sincère, la tendance à la stabilisation se confirme voire accuse un léger repli : comme l'année dernière, je vous propose donc l'adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du CAS « Pensions ».

Mme Agnès Canayer, rapporteure pour avis. - La commission des affaires sociales adoptera son rapport le 18 novembre prochain. Cette année, notre travail se focalise sur le régime social des marins. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 comporte en effet plusieurs dispositions susceptibles de présenter un impact sur son équilibre financier.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - La situation est paradoxale : alors que le solde du CAS « Pensions » est de plus en plus excédentaire - 2,2 milliards d'euros fin 2015, quand la Cour des comptes préconise 1 milliard d'euros -, les besoins de financement des régimes spéciaux sont estimés, en cumulé, à 163 milliards d'euros à l'horizon 2050. Cette présentation budgétaire est-elle toujours sincère ? La situation était déjà connue en 2013 et en 2014. En projet de loi de finances rectificative pour 2013, le Gouvernement avait en effet réduit le taux de la contribution employeur de l'État sur le mois de décembre 2013, soit une baisse de 873 millions d'euros. Ne devrions-nous pas en tirer les conséquences ? Voyez le paradoxe : nos régimes spéciaux sont loin d'être équilibrés, l'âge de départ en retraite reste très inférieur à celui des salariés du privé et du public, or le CAS relatif aux pensions civiles et militaires est très excédentaire...

M. Roger Karoutchi. - Il y a quelques jours, le Président de la République a déclaré que l'équilibre de notre système de retraite serait préservé et sauvegardé « au moins jusqu'en 2030 » - ce sont ses mots. En même temps, les difficultés des régimes de retraite complémentaires nécessitent des mesures pour les préserver. Au vu des derniers décomptes, pensez-vous que notre système de retraites puisse être sauvegardé pour les quinze prochaines années sans mesures supplémentaires ?

M. Michel Bouvard. - Nous pouvons réaliser des économies sur la gestion des régimes spéciaux. L'année dernière, quelques-uns ont été regroupés : ainsi, le régime de retraite des mines est désormais géré par la Caisse des dépôts et consignations. Certains régimes spéciaux ont des frais exorbitants et, malgré les rapports de la Cour des comptes, ne réussissent pas à se transformer et à mutualiser leurs moyens. L'Établissement national des invalides de la marine (ENIM), par exemple, a des frais de gestion très élevés. Comment faire bouger les choses ? En déposant des amendements ? La mutualisation ne porterait préjudice à personne et permettrait de réaliser des économies substantielles pour le bénéfice de la collectivité.

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur spécial. - En tant qu'ancien secrétaire général de la marine marchande, il m'est difficile de répondre, car j'ai défendu ce régime pendant des années...

M. Michel Bouvard. - Vous n'étiez pas visé !

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur spécial. - Tous ces régimes devraient réduire leurs frais de fonctionnement en 2016. Continuons à envoyer ce message : il est essentiel de poursuivre les regroupements et d'avoir une meilleure articulation pour maîtriser les dépenses de fonctionnement.

Le rapporteur général a raison s'agissant du fonds de roulement du CAS « Pensions » qui a un excédent de 2,9 milliards d'euros, au-delà des besoins. Nous avions déjà soulevé cette question l'année dernière. Faut-il réajuster, redéployer, demander un geste sur une autre mission ? Nous avons une marge, c'est le seul endroit du budget où il y un excédent !

La question de la viabilité des régimes vaut pour tous les régimes de retraite. Les écarts d'âge de départ à la retraite sont importants : entre 54 ans et 56 ans pour la Régie autonome des transports parisiens (RATP) et la société nationale des chemins de fer (SNCF), 63 ans en moyenne pour le régime général et 61 ans pour la fonction publique d'État. Cela continuera à faire débat au sein de la société. Notre pays est corporatiste, il a créé des régimes de retraite profession par profession. Pourquoi ne pas considérer qu'exception faite des métiers pénibles, les mêmes droits et les mêmes contributions aboutissent aux mêmes avantages ? Nous pourrions cheminer sur cette voie, de la même manière que nous avons supprimé le privilège des bouilleurs de cru : ceux qui bénéficient du régime le conservent, ceux qui entrent dans le nouveau régime se voient appliquer la réforme. Si nous l'avions fait il y a trente ans, nous aurions résorbé les différences tout en conservant les droits acquis.

Les engagements de retraite de l'État représentent 75 % du PIB, il faut le rappeler ! Dans un régime de répartition, le financement des pensions repose sur la création de richesse. Si la croissance ne repart pas, les niveaux de pension seront remis en cause. Sans croissance, point de salut. La convergence progressive est pertinente. Je propose un avis favorable sur la mission et le CAS car les chiffres sont sincères et la tendance à la stabilisation se confirme.

M. Daniel Raoul. - Parfait.

M. Francis Delattre. - Agnès Canayer citait le régime des marins - sur lequel j'ai rédigé un rapport il y a 18 mois. L'ingénierie informatique de ce régime s'est récemment rapprochée de celle du régime général de la sécurité sociale. Dans les ports français, au sein des quartiers des affaires maritimes, la personne en charge traite de multiples sujets ; la sécurité sociale et le régime de retraite des marins est le cadet de ses soucis. C'est pourquoi les armateurs se rendent dans les îles anglo-normandes : en quarante-huit heures, tout est réglé ! Cela explique le grand écart entre le nombre de cotisants et le nombre de bénéficiaires.

M. Michel Bouvard. - Cela explique la voie d'eau !

M. Francis Delattre. - Cela a été largement compensé. Désormais, quatre centres gèrent l'ensemble.

M. Michel Bouvard. - C'est trois de trop !

M. Francis Delattre. - Le problème est que lorsqu'un magnifique navire quitte Saint-Nazaire, seuls 10 % des mille marins sont affiliés au régime social français.

M. André Gattolin. - Pardonnez une question de béotien : je m'étonne du poids des pensions militaires dans le total : est-il lié à l'évolution démographique, à un départ en retraite plus précoce, à l'évolution des effectifs ?

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur spécial. - C'est lié à un départ à la retraite très précoce, vers 47 ans en moyenne, autorisé par le statut militaire, ainsi qu'à la possibilité de cumul de la pension avec un emploi. On comprend qu'il puisse y avoir une vie civile après la vie militaire...

M. André Gattolin. - C'est donc structurel.

M. Daniel Raoul. - L'avancement de grade automatique six mois avant la retraite est-il toujours de mise ?

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur spécial. - Les fameux généraux « quart-de-place »... Le vieux colbertiste que je suis plaide plutôt pour la sauvegarde de l'ENIM, qui fait partie de notre histoire ! M. Michel Bouvard. - Depuis les demi-soldes, on est devenu prudent.

M. Georges Patient, président. - Nous allons procéder au vote.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je m'abstiendrai, non pas par méfiance envers le rapporteur, mais parce qu'un travail reste à faire sur les régimes spéciaux - le personnel roulant de la RATP part à la retraite à 52 ans et 4 mois ! Le CAS « Pensions » a de plus des moyens largement supérieurs à ses besoins de financement ; le Gouvernement déposera probablement un amendement à ce sujet lors du collectif budgétaire. Fin 2013, il avait réduit les crédits du CAS de 873 millions d'euros ! On pourrait utiliser l'excédent pour réduire les contributions patronales plutôt que de sur-prélever les collectivités locales.

M. Roger Karoutchi. - Nous suivons le rapporteur général.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Loi de finances pour 2016 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » (et communication sur son contrôle budgétaire relatif à l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information - Anssi) - Examen du rapport spécial

La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Michel Canevet, rapporteur spécial, sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et sur le budget annexe « Publications officielles et information administrative ».

M. Michel Canevet, rapporteur spécial. - Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit que les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » s'élèvent à 1,3 milliard d'euros en crédits de paiement et à 1,45 milliard d'euros en autorisations d'engagement. À périmètre constant, la hausse par rapport à la loi de finances initiale pour 2015 est limitée à 3,24 millions d'euros, soit 0,26 %.

Les autorisations d'engagement augmentent de près de 9 % : au titre du programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées », les autorisations d'engagement croissent de 72,4 millions d'euros, en raison du regroupement des services de l'État en Corse sur le site d'Aspretto à Ajaccio, qui coûtera 30 millions d'euros, et de ceux des administrations régionales déconcentrées sur le site Viotte à Besançon. Les autorisations d'engagement du Secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN) augmenteront également de 20 millions d'euros.

Le périmètre de la mission est sensiblement modifié, avec le rattachement aux services du Premier ministre, pour une gestion unifiée des effectifs, des agents des services interministériels départementaux des systèmes d'information et de communication (Sidsic) - soit 1 138 équivalents temps plein et un budget de 70 millions d'euros environ.

En outre, l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), qui est une autorité administrative indépendante (AAI), rejoint le programme « Protection des droits et libertés » car elle est désormais financée par des crédits budgétaires à hauteur de 503 000 euros - et non plus par les messageries de presse.

Si, à périmètre constant, les crédits de paiement sont relativement stables, les dépenses des AAI relevant de la mission augmentent de 4 % par rapport à 2015, malgré un contexte de rigueur : les crédits de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) augmentent de 3 %, ceux du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) de 7 %. La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité est remplacée par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), dont les crédits augmentent de 67 %, soit 1,65 million d'euros de plus. Les crédits du Défenseur des droits augmentent eux aussi de 1,21 million d'euros. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) voit ses crédits croître car elle contrôle toujours davantage de déclarations d'élus ou de hauts fonctionnaires.

Je souhaite attendre les conclusions de la commission d'enquête sur les autorités administratives indépendantes (AAI), présidée par Marie-Hélène Des Esgaulx, qui sont attendues pour le début du mois de novembre, pour, le cas échéant, m'inspirer de certaines de ses propositions. L'an dernier, j'avais proposé de fusionner le Défenseur des droits, qui regroupe déjà quatre anciennes autorités, avec le CGLPL, dont les missions sont similaires. Mieux vaudrait permettre des économies de gestion que d'augmenter leurs dotations. La Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) et la Cnil pourraient également se regrouper, comme l'a proposé, à juste titre, la Secrétaire d'État chargée du numérique.

Parmi les dépenses supplémentaires engagées figure également le projet immobilier Ségur-Fontenoy, qui regroupera les AAI et les services du Premier ministre sur 46 000 mètres carrés pour un coût de 370 millions d'euros. La partie Fontenoy, occupée par les AAI dont le Défenseur des droits, sera opérationnelle à l'été 2016 ; certains services du Premier ministre seront installés à l'été 2017 ; il s'agit de 500 postes de travail à Fontenoy et 1 800 à Ségur. Cette mutualisation libèrera des sites où sont actuellement éclatés les services - le Défenseur en occupe trois - et devra dégager des économies. Je serai extrêmement vigilant sur ce point, sachant que les crédits pour le déménagement s'élèvent à 14,5 millions d'euros en crédits de paiements pour 2016.

Le programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées » prévoit une économie de 4,2 millions d'euros pour le fonctionnement des directions départementales interministérielles. La réforme administrative porte ses fruits et devra continuer à produire des économies à la suite de la récente réforme territoriale qui refond la carte des régions. Ce n'est pas évident dans le projet de loi de finances pour 2016 ; j'espère que cela se confirmera d'ici 2017.

Les crédits du budget annexe « Publications officielles et information administrative » s'élèvent à 200 millions d'euros. Mesure la plus emblématique, l'édition papier du Journal officiel (JO) sera supprimée au 1er janvier 2016. L'État ne verse pas de subvention d'équilibre car plus de 91 % des recettes de la direction de l'information légale et administrative (Dila) proviennent des annonces officielles de marchés publics ou d'annonces civiles et commerciales ; ses comptes sont donc toujours excédentaires, un excédent qui a cependant tendance à se réduire. Ses dépenses d'édition ou d'information administrative s'élèvent à 55 millions d'euros, tandis que ses dépenses de personnel s'élèvent à 74,8 millions d'euros. Héritée de temps anciens, la convention de l'État avec la Société anonyme de composition et d'impression des Journaux officiels (SACI-JO) coûte 40 millions d'euros en 2016 pour 200 employés - soit 200 000 euros par employé, sachant qu'il s'agit principalement de dépenses de personnel et de retraite. Avec l'arrêt de l'impression du JO, les effectifs devraient se réduire de 215 à 140 personnes à la suite de plans sociaux. La Dila réalisera également une économie de 2,4 millions d'euros en 2016 en internalisant la collecte et la gestion des annonces civiles et commerciales, auparavant sous-traitées.

J'ai réalisé une mission de contrôle de l'Agence nationale pour la sécurité des systèmes d'information (Anssi) - sujet d'actualité, le Premier ministre a présenté la stratégie nationale pour la sécurité numérique vendredi dernier. L'Anssi a été créée en 2009 pour préparer l'État et la société aux attaques informatiques. Pour faire face à la multiplication des piratages et cyberattaques, il a été décidé d'augmenter significativement son budget : de 43 millions d'euros en 2010 à 84 millions en 2014 et il atteindra environ 100 millions d'euros en 2016.

L'Anssi a pour rôle de détecter, analyser et entraver les menaces. Lors de mon contrôle, elle gérait notamment l'attaque contre TV5 Monde. L'Anssi fournit aussi une assistance technique aux administrations et aux opérateurs d'importance vitale, publics ou privés, exerçant dans des secteurs d'activités vitaux pour la Nation. Elle réalise de nombreuses études et des missions de sensibilisation auprès des acteurs publics et privés. Si les relations sont bonnes avec certains ministères, d'autres sont encore réticents à la faire intervenir et ont des problèmes de sécurité. Plus de 400 personnes travaillent à l'Anssi, et l'Agence recrutera plus de 40 personnes en 2016. Les profils des contractuels embauchés sont ensuite très recherchés dans le privé.

Je pense qu'il faudrait peut-être créer un budget opérationnel de programme propre à l'Anssi, ou du moins rendre son budget clairement identifiable. Afin d'améliorer la sécurité des systèmes d'information des ministères, il conviendrait de renforcer leur coopération avec l'Agence, de développer les relations entre l'Anssi et la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (Disic) en l'associant aux projets informatiques. De nouveaux indicateurs de performance susceptibles d'être publiés dans les rapports annuels de performances pourraient également être mis en place, car l'indicateur actuel de maturité globale en sécurité des systèmes d'information de l'État ne permet pas un contrôle satisfaisant du Parlement. Enfin, les services déconcentrés gérant les systèmes d'information pourraient devenir le « bras armé » de l'Anssi sur le territoire.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je suis préoccupé par le projet immobilier Ségur-Fontenoy, qui sera regardé avec attention par notre collègue Michel Bouvard. Attention aux économies réelles qui seront réalisées : il ne s'agit pas de cumuler les loyers élevés des AAI tout en supportant le coût du projet Ségur-Fontenoy. Quelles AAI rejoindraient le nouvel ensemble ? Qui restera à l'écart ? La commission d'enquête sur les AAI fera sûrement des remarques sur les loyers, nous attendons son rapport avec impatience. Il y a quelques années, nous avions remarqué que la Halde avait l'un des loyers les plus élevés de l'État. Je m'interroge sur le respect des plafonds d'emplois, des loyers et des effectifs dans ces AAI.

M. Philippe Dallier. - La Cnil a un budget de fonctionnement de 5,5 millions d'euros sur un budget total de 20 millions d'euros. Comment s'explique la part très importante de dépenses de fonctionnement ? La fin de l'impression du JO est une bonne nouvelle, mais a-t-on une véritable réflexion sur la dématérialisation ? On imprime toujours plus de papier et les documents ne sont guère lus... La dématérialisation permettrait de réaliser des économies supplémentaires.

M. Daniel Raoul. - Je prône un rapprochement entre l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) : avec les évolutions technologiques, comment justifier que le CSA soit centré sur la diffusion hertzienne alors que la plupart des chaînes sont aussi présentes sur Internet ? L'Arcep pourrait être une composante technique du CSA.

Mme Marie-France Beaufils. - Je m'interroge sur l'avenir des personnels chargés de l'impression du JO. Que deviendront-ils ? Un certain nombre de publications externalisées pourraient être de nouveau internalisées pour éviter de licencier une centaine de personnes alors que la situation de l'emploi est particulièrement difficile.

M. André Gattolin. - L'Anssi est une agence stratégique - je l'avais auditionnée lors de ma mission sur la cybersécurité au nom de la commission des affaires européennes. Mais on se préoccupe surtout des services des ministères et non des opérateurs de l'État, comme la Banque publique d'investissement, qui stocke ses informations sur un « cloud » non protégé. L'Anssi riposte bien mais il faudrait développer davantage de programmes de prévention, ainsi que nous le prônions dans notre résolution européenne : tout ingénieur informaticien doit être formé en cybersécurité avant d'être diplômé. Les grands opérateurs de l'État sont relativement peu protégés. Au début de l'année, une étude présentée au forum de Davos estimait le risque de cyberattaque entre 2015 et 2020 à 3 000 milliards de dollars.

M. Marc Laménie. - À quoi correspondent les économies substantielles du programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées » mentionnées dans le rapport ? Quels sont les moyens mutualisés sous l'autorité du préfet dans chaque département ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Bien qu'étant tenue par le secret en tant que présidente de la commission d'enquête, je peux dire, à titre personnel, qu'avec les AAI, c'est un pan essentiel de l'organisation administrative de notre pays qui est un peu hors contrôle. On en crée en moyenne une par an.

Par hypothèse elles ne sont pas sous le contrôle hiérarchique du Gouvernement ; le Parlement ne les contrôle pas davantage. Pourtant, plus de 70 % des AAI sont financées par des crédits du budget général. Certaines d'entre elles ont un budget particulièrement important et disposent de recettes affectées. Faut-il conserver ces taxes affectées pour assurer leur indépendance, voire renforcer ce modèle ? Combien ont coûté les dernières AAI créées ?

Il est également incroyable que la norme de France Domaine - à Paris, 400 euros par mètre carré, hors taxes et hors charges, ce n'est pas rien ! - ne soit pas respectée par la moitié des AAI locataires. Notre commission pourrait-elle proposer des amendements ? Ne pourrait-on pas obliger les AAI à respecter la politique immobilière de l'État ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Très bien !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - C'est d'autant plus incroyable que leurs dirigeants sont souvent issus du Conseil d'État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes !

M. Hervé Marseille. - Je partage ces conclusions. Comment le statut du personnel des AAI est-il défini ? Les conditions de recrutement, de traitement et d'avantages varient considérablement d'une autorité à l'autre, sans aucun contrôle, et avec une totale liberté dans les conditions d'embauche...

M. Michel Canevet, rapporteur spécial. - Nous attendons de réelles économies du regroupement immobilier Ségur-Fontenoy. Le Défenseur des droits et la Cnil, deux gros employeurs parmi les AAI, seront installés à Fontenoy. Je suis allé sur place m'assurer du respect des règles : 12 mètres carrés maximum par poste de travail. De réelles économies pourront être réalisées une fois les baux arrivés à échéance : la Cnil payait 2,1 millions d'euros de loyer par an ! C'est ce qui explique que ses dépenses de fonctionnement soient si élevées. Les dépenses de personnel de la Cnil s'élèvent à 2,8 millions d'euros. Il y a donc des sources d'économies importantes.

La nécessaire dématérialisation menée par la Dila avait pris du retard. On s'habitue au support papier... Les sites legifrance.gouv.fr et service-public.fr fonctionnent bien et connaissent une forte fréquentation. Service-public.fr sera totalement refondu. On a désormais pris conscience que la dématérialisation est essentielle. Mais je pense que l'appel à des assistances à maîtrise d'ouvrage coûte très cher, alors qu'on pourrait reconvertir le personnel de la Dila.

Il faut regrouper les AAI : pourquoi pas l'Arcep et le CSA, en effet ? Tout en sachant que le CSA a été transformé en autorité publique indépendante (API) : il dispose désormais de la personnalité morale, se voit attribuer une enveloppe globale de 30 millions d'euros, qu'il a charge de gérer.

S'agissant des personnels chargés d'imprimer le Journal officiel, la Dila prévoit des départs à la retraite, des plans sociaux, l'intégration du personnel en son sein, pour un coût très important qui m'interpelle.

L'Anssi est une agence assez jeune, ce qui explique qu'elle n'a pas pu s'intéresser encore à tous les services et opérateurs, notamment en matière de prévention. Le secteur bancaire en particulier doit renforcer sa sécurité, mais il y a déjà beaucoup à faire au niveau des administrations d'État ou déconcentrées - et, on l'a vu, des médias.

En réponse à Marc Laménie, des économies de long terme sont réalisées grâce au regroupement des directions départementales car cela permet de libérer des locaux et de globaliser les achats. Que n'en fait-on autant dans les administrations centrales !

Je suis convaincu qu'il faudra regrouper des AAI, qu'on ne pourra continuer à en créer une par an. Il faudra également améliorer leur contrôle : ce n'est pas parce que ces autorités sont indépendantes que le Parlement ne doit pas s'intéresser à leur fonctionnement - surtout quand leurs moyens augmentent plus vite que l'objectif général d'évolution de la dépense publique. La piste du regroupement n'a toutefois rien d'évident. La fusion de quatre entités dans le Défenseur des droits, par exemple, a conduit à un alignement par le haut des rémunérations, sans économies à la clé, au contraire. Les AAI, font pour l'heure appel à beaucoup de contractuels - 95 % des agents à la Cnil, 21 % à la HATVP -, mais aussi à des fonctionnaires mis à disposition et issus de différents corps. Il conviendrait peut-être de réfléchir à un statut unique.

Comme l'a souligné Marie-Hélène des Esgaulx, les nouvelles AAI entrainent des coûts supplémentaires : 1,65 million d'euros de plus en 2016 pour la CNCTR, 400 000 euros supplémentaires pour la HATVP, et 503 000 euros pour l'ARDP, auparavant financée par des ressources prélevées sur le secteur des médias.

Faut-il allouer aux AAI des moyens budgétaires ou leur affecter des recettes spécifiques ? Je n'ai pas la réponse à cette question.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Elle n'est pas facile !

M. Michel Canevet, rapporteur spécial. - Pour certaines, une taxe affectée est justifiée. Quoi qu'il en soit, le Parlement doit pouvoir les contrôler.

Je vous propose de réserver notre vote sur les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et d'adopter ceux du budget annexe.

M. Jean-Claude Boulard. - Tout le monde en appelle au contrôle plus strict des AAI. Dans d'autres démocraties, un parlementaire est envoyé en mission pendant six mois avec mandat de trouver des sources d'économies. Voilà un vrai contrôle ! Le Sénat devrait relayer cette idée de bon sens, plutôt que de s'entendre répéter la même chose chaque année...

M. Maurice Vincent. - Je salue le travail effectué par le rapporteur spécial. Sa position est donc favorable, sous certaines réserves et dans l'attente de précisions techniques ?

M. Michel Canevet, rapporteur spécial. - Oui, sous réserve des éventuels amendements qui pourraient traduire les préconisations du rapport de la commission d'enquête.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je suivrai la proposition du rapporteur spécial. Sur tous les aspects évoqués - plafonds d'emploi, statut des agents, respect de la norme de dépense, de loyers et de superficie des bureaux -, les conclusions de la commission d'enquête sur le bilan et le contrôle des AAI, très attendus, nous seront utiles et pourront donner lieu à des amendements.

À l'issue de ce débat, la commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et de proposer au Sénat l'adoption des crédits du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».

La commission des finances donne acte de sa communication à M. Michel Canevet.

- Présidence de M. Georges Patient, vice-président -

Loi de finances pour 2016 - Mission « Culture » - Examen du rapport spécial

La commission procède enfin à l'examen du rapport de MM. Vincent Éblé et André Gattolin, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Culture ».

M. Vincent Eblé, rapporteur spécial. - La mission « Culture » bénéficiera en 2016 d'un traitement plus clément que la plupart des autres missions : ses crédits augmenteront de l'ordre de 4 %, hors mesure de périmètre. Leur évolution est donc plus favorable que ce que prévoyait la loi de programmation des finances publiques. Elle s'inscrit dans un contexte particulier : la mise en oeuvre de la réforme territoriale et l'examen du projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, que nous appelions de nos voeux l'année dernière, et qui vient d'être examiné en première lecture par l'Assemblée nationale. La mission sera ainsi dotée en 2016 de 2,7 milliards d'euros, à quoi il convient d'ajouter 292 millions d'euros de dépenses fiscales principalement rattachées à la mission. Ce montant est stable par rapport à 2015 à périmètre constant, mais doit être appréhendé avec prudence : l'an passé, le chiffrage initial a été largement dépassé. Comme je l'ai indiqué lors de mon contrôle budgétaire sur les dépenses fiscales en faveur des monuments historiques, les documents budgétaires gagneraient à être enrichis d'informations relatives à l'efficacité et au chiffrage des dépenses fiscales en prévision et en exécution. C'est une question de bonne pratique...

Alors que les opérateurs de la mission ont été fortement sollicités pour participer à l'effort d'assainissement des comptes publics ces trois dernières années, ils bénéficieront pour la plupart en 2016 de subventions stables, en légère croissance ou en baisse très modérée - comme leurs effectifs. En contrepartie, un effort de consolidation de leurs ressources propres leur sera demandé, conformément aux conclusions d'une mission d'inspection menée dans le cadre de la modernisation de l'action publique. Le ministère souhaite également leur donner les moyens de réaliser des travaux de rénovation, d'accessibilité et de mise aux normes de sécurité, et accompagner l'ouverture sept jours sur sept, au profit des groupes scolaires, de trois monuments majeurs : le château de Versailles, le musée d'Orsay et le Louvre.

Le budget 2016 de la mission intègre en outre une mesure de périmètre : la budgétisation de la redevance d'archéologie préventive (RAP), pour un montant de 118 millions d'euros. Le financement de l'archéologie préventive se heurte depuis plusieurs années à l'irrégularité du rendement de la RAP et à la complexité de son affectation et de son recouvrement, au détriment de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), du Fonds national pour l'archéologie préventive (Fnap) et des collectivités. Ces difficultés ont en outre compliqué l'exécution budgétaire de la mission, puisque le ministère a dû apporter en gestion, de façon récurrente, un soutien non prévu en loi de finances initiale. Cette mesure donnera donc de la prévisibilité aux acteurs concernés, leur permettra d'exercer leurs missions dans de bonnes conditions et facilitera l'exécution des crédits du programme 175 « Patrimoines ».

J'en viens aux moyens supplémentaires inscrits dans le budget 2016. Nous avons identifié deux grandes priorités transversales : d'une part, l'accompagnement des territoires et des publics fragiles dans le contexte de la réforme territoriale et de la baisse des dotations aux collectivités territoriales ; d'autre part, le soutien à la jeunesse, à l'éducation et à la création.

L'effort en faveur des monuments historiques sera maintenu en 2016, pour la troisième année consécutive. Les autorisations d'engagement atteindront 338 millions d'euros, en hausse de 10 millions d'euros, et les crédits de paiement 313 millions d'euros. Les crédits destinés aux opérations en région - soit plus de 70 % des crédits dédiés aux monuments historiques, soutien direct à l'attractivité territoriale et à l'emploi - sont confortés. Les crédits d'investissement et de fonctionnement dédiés aux musées de France seront également maintenus à un niveau élevé, dans une perspective de rééquilibrage territorial.

Dans le contexte de réforme territoriale et de baisse des dotations, l'évolution globale des crédits dédiés au patrimoine témoigne de la constance de l'engagement de l'État auprès de ses partenaires territoriaux. C'est un signal fort et rassurant.

M. André Gattolin, rapporteur spécial. - Un mot sur le soutien à la jeunesse, à l'éducation et à la création.

D'abord, le budget 2016 rétablit le soutien aux conservatoires. C'est un point très important, car la quasi-disparition de ces aides avait emporté l'an passé le rejet des crédits de la mission « Culture » en séance publique. En 2016, le ministère leur dédiera 8 millions d'euros supplémentaires dans le cadre d'un plan « conservatoires », pour un montant total de 13,5 millions d'euros. Le rétablissement des crédits doit s'accompagner d'une redéfinition des priorités et d'une refonte des procédures de classement dont l'objectif doit être une meilleure ouverture des conservatoires à la diversité. C'est un progrès notable, car ces établissements constituent, en matière d'accès, d'éducation et de formation du jeune public aux pratiques artistiques, l'un des principaux réseaux de proximité. Certes, les crédits ne sont pas ramenés au niveau de 2012 - 27 millions d'euros - mais cela permet d'enrayer leur chute brutale et d'adresser un signal positif aux partenaires territoriaux de l'État.

Le budget pour 2016 finance ensuite plusieurs mesures issues des Assises de la jeune création, qui se sont tenues au printemps 2015, renforçant la formation et l'insertion des artistes, améliorant leurs conditions de vie et de travail, et soutenant les créateurs. Le spectacle vivant bénéficiera notamment à ce titre de 12,5 millions d'euros de moyens nouveaux.

Troisièmement, les moyens accordés à l'enseignement supérieur culturel et à l'éducation artistique et culturelle sont renforcés. Les dotations des établissements d'enseignement supérieur culturel progressent globalement de près de 2 %, en particulier pour consolider l'intégration des formations qu'ils dispensent dans le schéma licence-master-doctorat (LMD), dont les écoles des beaux-arts avaient été jusqu'alors exclues.

Le ministère consacre en outre 38,4 millions d'euros - 7 % de plus qu'en 2015 - au renforcement de la diversité sociale des étudiants et à l'amélioration de leurs conditions de vie et de travail, au moyen d'aides individuelles et de bourses attribuées sur critères sociaux.

Enfin, le plan « Éducation artistique et culturelle » sera doté de 14,5 millions d'euros, soit 4,5 millions d'euros supplémentaires, ce qui conforte la dynamique engagée depuis trois ans. Un effort particulier sera consenti à l'égard des jeunes éloignés de l'offre culturelle pour des raisons géographiques, sociales ou économiques.

Pour finir, deux points méritent plus particulièrement l'attention. D'une part, nous avons constaté avec satisfaction que les résultats de la première année d'exploitation de la Philharmonie de Paris s'avèrent tout à fait encourageants, du point de vue budgétaire comme de la fréquentation. Les recettes de billetterie des premiers mois ont placé l'établissement en position bénéficiaire, ce qui invalide les critiques formulées jadis... Il conviendra toutefois d'inscrire ce succès dans la durée, sur la base d'un modèle économique solide reposant sur des ressources propres dynamiques. C'est l'un des enjeux de la fusion de la Cité de la musique et de la Philharmonie de Paris dans un établissement unique, et de l'articulation avec la salle Pleyel.

D'autre part, plusieurs facteurs font courir un risque à la soutenabilité de la mission « Culture » à moyen terme, dont la hausse des dépenses d'investissements en autorisations d'engagement. Celle-ci traduit le lancement et la poursuite de nombreux chantiers de rénovation, dont certains de très grande ampleur : les dépenses engagées à ce titre devront faire l'objet d'un pilotage attentif de la part du ministère et de ses opérateurs. La rénovation du Grand Palais, par exemple, a fait l'objet d'une analyse socio-économique approfondie et d'une contre-expertise, qui ont révélé le caractère sérieux d'une opération dont le coût est tout de même évalué à 437 millions d'euros.

En conclusion, le projet de loi de finances pour 2016 présente un bon budget pour cette mission : certes, les efforts de réduction des dépenses sont moindres, relativement à d'autres missions. Mais l'augmentation des moyens répond à une priorité gouvernementale et finance des dépenses utiles, au bénéfice des territoires et des jeunes de notre pays, notamment les plus fragiles. Enfin, gardons en mémoire que les crédits de la mission ont diminué entre 2012 et 2014 et qu'ils ne représentent aujourd'hui que 0,74 % des dépenses du budget général de l'État. Nous vous proposons donc l'adoption sans modification des crédits de la mission.

M. Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis au nom de la commission de la culture. - Je partage votre analyse. L'école des Beaux-Arts de Paris a un besoin urgent de travaux : les locaux sont si vétustes que le plafond tombe sur la tête des étudiants... Un regret toutefois : l'effort consenti pour les conservatoires est significatif, mais les crédits qui leur sont affectés restent moitié moins importants qu'en 2012. Nous avons un grand retard à rattraper en ce domaine.

M. David Assouline, rapporteur pour avis au nom de la commission de la culture. - Un budget en hausse, dans le contexte actuel, ce n'est pas banal. Sur nos territoires, chacun voit bien que la culture est facteur d'apaisement : elle contribue au lien social, à la convivialité, fournit d'occasion de se regarder en souriant, de pleurer ensemble, de partager des moments d'émotion. Le Gouvernement comprend enfin l'intérêt de la préserver, je m'en félicite.

Autre fait marquant qui retiendra l'attention du Sénat, représentant des territoires : les contrats locaux d'éducation artistique et culturelle, en hausse de 33 % depuis trois ans, sont revalorisés l'an prochain. J'en suis très heureux, alors que les festivals et les manifestations culturelles, en ces temps de restrictions budgétaires, sont l'une des variables d'ajustement privilégiées.

Je me réjouis enfin que certaines controverses aient cessé. Les responsabilités du dérapage des coûts de la Philharmonie de Paris sont partagées. Venant d'un établissement de cette renommée, d'un équipement de cette qualité acoustique et artistique, la musique ne peut que nous envahir et faire taire toutes les polémiques. Allez juger sur place dans le cadre de vos missions de contrôle.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous pouvons aussi y aller en payant notre place.

Je me réjouis à mon tour de cette inflexion après des années de baisse, mais il faudra rester vigilants : les mauvaises surprises arrivent parfois en loi de finances rectificative, comme ce fut le cas l'année dernière à propos des monuments historiques...

L'ouverture des grands musées sept jours sur sept, dans une ville aussi internationale que Paris, est une avancée à saluer. Les recettes supplémentaires excèderont-elles les coûts ?

M. Michel Bouvard. - Je rejoins les rapporteurs spéciaux sur les dépenses fiscales : six d'entre elles ne font toujours l'objet d'aucune information ! Le Parlement ne saurait se satisfaire d'une évaluation à la louche, avec le même « ordre de grandeur » depuis dix ans. Ce n'est pas sérieux !

Le coût de la surveillance par mètre carré de salle ouverte est passé de 272 euros en 2013 à 268 euros en 2014, or 280 euros sont prévus pour 2015 et 2016 : pourquoi ?

L'évolution de la fréquentation payante et gratuite des institutions patrimoniales et architecturales est préoccupante : 43,3 millions de visiteurs en 2013, 43,2 millions en 2014, et un objectif pour l'an prochain « supérieur à 40 millions » : c'est peu ambitieux, et incohérent avec l'élargissement des horaires d'ouverture.

Je veux bien que l'on justifie le surcoût de la Philharmonie de Paris par la qualité du son, mais les surcoûts des opérations pilotées par le ministère de la Culture sont un grand classique...

M. David Assouline, rapporteur pour avis. - Sarkozy !

M. Michel Bouvard. - Le projet annuel de performances (PAP) est muet sur le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem). La Cour des comptes relève pourtant que son coût était estimé à 160 millions d'euros en 2013, contre 99 millions prévus initialement en 2006, et que le coût de gardiennage de l'ancien Musée national des arts et des traditions populaires s'élève, excusez du peu, à 400 000 euros par an ! Que va devenir ce bâtiment ? Il serait temps de s'en soucier.

Enfin, le PAP indique que le ministère encourage l'inscription des projets de musées dans les politiques contractuelles locales - contrats de plan État-région et fonds national d'aménagement et de développement du territoire - et dans les crédits européens. Or je n'ai vu nulle part dans la documentation sur les crédits européens la moindre priorité donnée à la culture ou à la muséographie. Soit le ministère encourage des projets qu'il n'est pas capable de mettre en oeuvre, soit il ment !

M. Francis Delattre. - Depuis la loi de finances pour 2015, le Centre national de la cinématographie et de l'image animée (CNC) est rattaché à titre principal au programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Celui-ci est un partenaire bienveillant des communes qui disposent déjà des salles de cinéma, mais celles qui souhaitent en créer une doivent se limiter à 300 fauteuils ; au-delà, les procédures commerciales vous coûtent près de 100 000 euros. Comme avec la grande distribution, on a déshabillé les centres villes au profit de leur périphérie. Dynamiser des petites salles est voué à l'échec, et le CNC n'y est pas pour rien !

M. Vincent Eblé, rapporteur spécial. - Vous êtes hors sujet !

M. Georges Patient, président. - Il s'agit d'une autre mission...

M. Francis Delattre. - Mes observations restent les mêmes. Permettre aux communes de monter des projets de salles de 600 fauteuils sans passer par des milliers de commissions rendrait service à nos territoires et à nos emplois.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je suis d'accord.

M. Vincent Eblé, rapporteur spécial. - Vous le direz au rapporteur spécial de la mission « Médias », François Baroin.

Le coût de surveillance des salles de musée augmente car la fréquentation prévisionnelle augmente également, que matérialise le taux d'ouverture des salles : plus de 95 % prévu en 2015, contre 93,58 % en 2014. L'ouverture quotidienne de Versailles, du musée d'Orsay et du Louvre concerne les publics scolaires, qui ne sont pas les plus rémunérateurs. 70 emplois seront mobilisés dans cette perspective ; le coût estimé est de 2,87 millions d'euros en année pleine. Il n'y a pour l'heure aucune estimation des recettes supplémentaires.

M. André Gattolin, rapporteur spécial. - L'expérimentation a commencé en septembre 2015 ; elle sera évaluée ultérieurement. On pourra ensuite extrapoler. Évaluer a priori est toujours délicat.

M. Vincent Eblé, rapporteur spécial. - Les crédits des conservatoires n'ont pas retrouvé le niveau de 2012, c'est vrai. Le plan « conservatoires » est néanmoins doté de 13,5 millions d'euros en 2016 : après une chute de 83 % des crédits entre 2012 et 2015, c'est un signal positif pour les partenaires territoriaux de l'État.

M. André Gattolin, rapporteur spécial. - Les écoles des beaux-arts ont besoin de travaux, notamment celle de Paris. Il en va de même pour les écoles d'architecture, comme celle de Marseille, qui fera l'objet d'investissements importants en 2016.

Michel Bouvard, les surcoûts sont fréquents dans le secteur culturel : le coût de la Fondation Louis Vuitton était estimé initialement à 100 millions d'euros, il en a finalement coûté plus de 400 millions, financés aux deux tiers par l'État via la fiscalité dérogatoire en faveur des fondations... Je m'étonne d'ailleurs que la Cour des comptes n'ait rien dit sur le sujet. De même pour la Cité du cinéma de Luc Besson. À l'étranger, la Philharmonie de Hambourg a multiplié par cinq son budget initial, désormais estimé à près de 800 millions d'euros...

L'inscription des projets locaux dans les crédits européens fonctionne dans certains domaines : l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) disposent d'une cellule à Bruxelles pour monter leurs dossiers. Je me renseignerai auprès de la commission des affaires européennes, dont je suis membre, sur les pratiques en matière culturelle et sur les moyens d'inciter les pouvoirs publics à aider les acteurs territoriaux.

M. Vincent Eblé, rapporteur spécial. - Je partage les préoccupations de Michel Bouvard sur les dépenses fiscales. Les insuffisances constatées résultent en partie du cloisonnement entre Bercy et les ministères dépensiers. Cette opacité nuit au pilotage de la dépense, je l'ai souligné dans mon rapport de contrôle consacré aux dépenses fiscales en faveur des monuments historiques.

D'autres indicateurs figurent dans le rapport, qui incitent aussi à la vigilance : l'augmentation en 2015 des restes à payer, qui diminuaient pourtant depuis 2011, et la reprise des autorisations d'engagement pour financer des dépenses d'investissement en vue de chantiers de rénovation notamment, même si les comparaisons internationales, avec la Philharmonie de Hambourg par exemple, nous rassurent... Minorer un objectif de dépense facilite son engagement ; or ce sont des chantiers que l'on n'arrête plus une fois lancés ! Celui de la Philharmonie n'a été qu'interrompu, et lisser ainsi la dépense n'est pas plus vertueux, car la facture finale s'allonge. L'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic) a développé un savoir-faire précieux : utilisons-le davantage.

M. Jean-Claude Boulard. - Ne pourrait-on rendre payante la visite de certaines cathédrales ? Notre-Dame de Paris accueille 12 millions de visiteurs par an : à 1 euro l'entrée, cela fait 12 millions d'euros annuels. Même avec un pass pour les pratiquants et une remise pour le denier du culte, tout le monde s'y retrouverait. Cela se pratique à l'étranger, nous devrions étudier la question.

M. André Gattolin, rapporteur spécial. - Une précision qui figure dans les réponses au questionnaire budgétaire : la gestion des aides européennes allouées par le fonds européen de développement économique régional (FEDER) à des dépenses culturelles en France relève des conseils régionaux ; le ministère de la culture ne dispose pas des données agrégées, ce qui est un vrai problème.

M. Michel Bouvard. - Le bleu budgétaire dit le contraire !

M. Georges Patient, président. - Passons au vote des crédits de la mission.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption sans modification des crédits de la mission « Culture ».

La réunion est levée à 16h20.

Mercredi 21 octobre 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Loi de finances pour 2016 - Mission « Aide publique au développement » (et article 48) et compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » - Examen du rapport spécial

La réunion est ouverte à 9 h 00

Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission procède à l'examen du rapport de Mme Fabienne Keller et de M. Yvon Collin, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Aide publique au développement » (et article 48) et sur le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. - Avant de vous présenter les crédits de la mission et du compte de concours financiers, je voudrais revenir sur quelques évènements importants concernant la politique d'aide publique au développement.

En juillet dernier, s'est tenue à Addis-Abeba, sous l'égide de l'ONU, la troisième conférence internationale sur le financement du développement, qui n'a pas fait preuve d'une ambition particulière. L'engagement des pays en développement de consacrer 0,7 % de leur revenu national brut (RNB) est renouvelé, sans fixer d'horizon temporel précis.

Puis, en septembre, ont été adoptés 17 « objectifs de développement durable », destinés à se substituer à partir du 1er janvier prochain aux « objectifs du millénaire pour le développement » adoptés en 2000.

Enfin, dans quelques semaines, Paris accueillera la COP 21, au cours de laquelle la question des financements destinés à lutter contre le changement climatique dans les pays en développement sera fondamentale. Nous avons récemment publié un rapport sur ce sujet, qui s'attardait spécifiquement sur les pays les moins avancés et proposait notamment de taxer les carburants des navires et des avions, je n'y reviendrai pas.

J'en viens maintenant à la mission « Aide publique au développement », qui est la principale mission budgétaire concourant à la politique d'aide publique au développement de la France.

Ses crédits s'élèvent dans le projet de loi de finances pour 2016 à 2,6 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), en baisse de 6,3 % par rapport à 2015, soit une diminution de 178 millions d'euros. L'aide publique au développement est la mission dont les crédits diminuent le plus !

Cette diminution s'explique notamment par la baisse de 60 millions d'euros des crédits consacrés au Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, par les moindres besoins de reconstitution des fonds multilatéraux, à hauteur de 55 millions d'euros, par la diminution de 34 millions d'euros des crédits correspondant aux contrats de désendettement et de développement ou encore à la baisse de 11 millions d'euros des crédits du fonds de solidarité prioritaire.

Une analyse thématique des crédits montre que les moyens de l'Agence française de développement (AFD) sont confirmés : les crédits des subventions sont stables et ceux des bonifications de prêts en légère hausse ; par ailleurs, le renforcement des fonds propres de l'agence se poursuit, à travers l'achat par l'État de titres subordonnés de l'AFD, à partir du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

Les crédits de plusieurs dispositifs d'aide bilatérale sont en baisse de 27,6 millions d'euros en CP, malgré la hausse des crédits destinés aux organisations non gouvernementales de 14 millions d'euros. Il s'agit notamment du Fonds de solidarité prioritaire (FSP), qui est l'instrument d'aide projet du ministère des affaires étrangères et du développement international, qui voit ses crédits diminuer de 25 % après une baisse de 10 % en 2015.

Enfin, les dépenses de personnel diminuent de 3,1 %.

Le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » retrace pour sa part des opérations de versements et de remboursements relatives aux prêts accordés aux pays en développement et, depuis 2010, à la Grèce.

Ses crédits de paiement sont en baisse de 26,2 % par rapport à l'an dernier. De plus, il faut souligner que le programme 852 relatif au retraitement de dettes souffre d'un taux d'exécution particulièrement bas : 39,3 % en 2012, 5,5 % en 2013 et 0 % en 2014.

Ces évolutions sont en ligne avec celles des années précédentes : entre 2011 et 2014, à champ courant, les crédits de la mission ont diminué de 545 millions d'euros et ceux du compte de concours financiers de 111 millions d'euros, tandis que les recettes fiscales affectées ne représentaient que 135 millions d'euros supplémentaires.

Ainsi, avec une aide représentant 0,36 % de notre RNB en 2014, contre 0,41 % en 2013, la France perd encore une place et se classe douzième pays donateur, derrière l'Irlande et devant la Nouvelle-Zélande. Notre APD passe en dessous de la moyenne des pays du Comité d'aide au développement de l'OCDE... Nous sommes bien loin du Royaume-Uni qui atteint 0,71 %.

Les annonces du Président de la République, il y a à peine trois semaines à New York, ont pu susciter un certain espoir : « la France, qui veut toujours montrer l'exemple, [...] a décidé d'augmenter le niveau de l'aide publique au développement pour dégager 4 milliards d'euros de plus à partir de 2020 ».

Cependant, ces 4 milliards d'euros supplémentaires ne correspondent pas à une hausse de 4 milliards d'euros de notre APD au sens de l'OCDE, mais à une augmentation de 4 milliards d'euros des prêts accordés par l'AFD.

En tenant compte de l'effet de levier, l'effort budgétaire correspondant pour l'État représenterait entre 300 et 550 millions d'euros, selon la façon dont sera financée la bonification du prêt par l'AFD.

Respecter l'objectif de 0,7 % du RNB impliquerait de doubler notre effort et d'accorder à cette politique 8 milliards d'euros supplémentaires chaque année. On voit donc que les annonces du Président de la République ne sont pas à la hauteur des enjeux. La « France qui veut toujours montrer l'exemple » devrait d'abord atteindre un niveau d'aide au moins égal à la moyenne des pays de l'OCDE.

Dans quelques semaines, la France accueillera la COP 21. Je pense qu'il aurait fallu donner un signal aux pays en développement et proposer un budget qui rompe véritablement avec les baisses sensibles des années précédentes. Tel n'est pas le cas. Certes, des modifications ont été apportée à l'Assemblée nationale et Yvon Collin va maintenant vous les présenter, mais je considère pour ma part que le compte n'y est pas et vous propose donc de rejeter les crédits de la mission et du compte de concours financiers.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Je partage le constat de Fabienne Keller sur les évolutions récentes de notre politique d'aide publique au développement et les regrette, d'autant plus qu'à l'occasion de la COP 21, nous aurions dû en effet avoir le souci d'être exemplaire.

Néanmoins, je pense que les annonces récentes, combinées aux mesures adoptées - ou en passe de l'être - à l'Assemblée nationale, permettent de voir le verre à moitié plein et d'estimer que la tendance s'est inversée.

Tout d'abord, concernant le budget 2016, je constate qu'à l'issue de son examen à l'Assemblée nationale, le montant affecté au développement devrait être égal à celui de l'an dernier, hors dépenses de personnel.

En effet, lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances, nos collègues députés ont adopté, à l'initiative du Gouvernement, un amendement majorant de 100 millions d'euros le montant de la taxe sur les transactions financières (TTF) affecté au Fonds de solidarité pour le développement, afin de financer la lutte contre le changement climatique, notamment en matière d'adaptation dans les pays en développement. Cet amendement répond d'ailleurs au souci que nous avions exprimé avec Fabienne Keller dans notre récent rapport sur les financements climat à destination des pays les moins avancés.

Le projet de loi de finances prévoyait déjà une hausse de 20 millions d'euros de la TTF affectée au développement : la hausse globale par rapport à l'an dernier est donc de 120 millions d'euros.

S'y ajoute un amendement majorant de 50 millions d'euros les crédits du programme 209, afin de financer des actions en faveur des réfugiés, à travers des contributions à diverses organisations internationales et notamment au Haut Commissariat aux réfugiés. Certes, cet amendement n'a pas encore été examiné, mais ayant été déposé par le Gouvernement, je suis confiant quant à ses chances d'être adopté...

Au total, ces 170 millions d'euros permettent de revenir au niveau du budget de l'an dernier.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté un amendement affectant une part supplémentaire de la TTF - 230 millions d'euros en plus - à l'Agence française de développement, afin de financer notamment sa politique de dons. Cet amendement a été adopté contre l'avis du Gouvernement et de la commission des finances, je ne suis donc pas totalement convaincu qu'il restera tel quel dans le texte définitif, mais j'observe que le Gouvernement n'a pas profité de la seconde délibération pour le faire disparaître.

Enfin, la commission a adopté un amendement transférant 50 millions d'euros du programme 110 au programme 209, afin de « rééquilibrer les politiques de prêts et de dons ». Je comprends l'intention mais il faut veiller à ne pas venir réduire la capacité de l'AFD à accorder des subventions, dont les crédits sont également portés par le programme 110. L'affectation de recettes supplémentaires à l'AFD grâce à la TTF pourrait résoudre cette difficulté. À ce stade, nous attendons de voir si cet amendement sera adopté en séance.

Je reviens maintenant sur les annonces du Président de la République. Il est vrai que l'annonce de 4 milliards d'euros supplémentaires a fait naître certains espoirs qui ont pu être déçus du fait qu'il ne s'agisse en fait que de prêts. Il n'en demeure pas moins que l'aide augmentera.

J'insiste également sur le fait que cette annonce est crédible. Les engagements du groupe AFD sont passés de 1,8 milliard d'euros en 2004 à 3,7 milliards d'euros en 2007 et 7,5 milliards d'euros en 2013. En 2014, ils ont atteint leur niveau record, à 8 milliards d'euros, dont 5,4 milliards d'euros d'activité de l'AFD dans les pays en développement. Les augmenter de 4 milliards d'euros en six ans parait donc possible, d'autant plus que le rapprochement entre l'AFD et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) devrait renforcer ses fonds propres et lui permettre d'accorder des prêts plus facilement.

Je rappelle en effet que le Président de République a annoncé le 24 août dernier l'adossement de l'AFD à la CDC et qu'une mission de préfiguration relative à ce rapprochement a été confiée à Remy Rioux. Le problème récurrent de l'insuffisance des fonds propres de l'AFD serait ainsi résolu.

J'ajoute que les annonces du Président de la République ont été complétées par une communication en conseil des ministres, le 14 octobre dernier, qui prévoit que le montant des dons serait « en 2020 supérieur de 370 millions d'euros à ce qu'il est aujourd'hui ».

Enfin, les éléments qui nous ont été récemment transmis par le Gouvernement prévoient une hausse du niveau de notre APD en proportion du RNB. Nous atteindrions 0,37 % en 2015 et 0,38 % en 2016 et 2017. Ce n'est pas parfait mais la courbe est inversée.

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. - Encore une courbe qui devrait s'inverser !

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - C'est donc parce que je perçois, pour ma part, une inflexion à la hausse dans l'évolution des crédits de cette politique, et parce que je suis bien conscient du contexte budgétaire et économique global, que je vous propose d'adopter les crédits de la mission et du compte de concours financiers.

Je vous présente également l'article 48, rattaché à la mission « Aide publique au développement ». Le II de l'article 64 de la loi de finances rectificative pour 1991 prévoit un plafond pour les remises de dettes additionnelles accordées par la France aux pays pauvres très endettés (PPTE), qui s'élève à 2,85 milliards d'euros.

Au 31 décembre 2014, ces annulations de dettes s'élevaient à 2,322 milliards d'euros. Compte tenu des annulations décidées en 2014 et qui auront des effets sur les années à venir, le plafond serait dépassé en 2016. Il est donc proposé de le relever à 3,850 milliards d'euros, afin de tenir compte des différences échéances déjà prévues.

Ce relèvement du plafond permettra à la France d'honorer ses engagements, nous vous proposons donc d'adopter cet article sans modification. Nous attirons tout de même votre attention sur le fait que ces annulations se traduiront par une diminution des recettes pour l'État.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je regrette que l'aide diminue fortement, passant de 0,5 % du RNB en 2010 à 0,36 % en 2014. Cette situation est paradoxale alors que nous faisons face à un problème migratoire majeur.

Le Président de la République annonce une augmentation des prêts aux pays pauvres, mais c'est d'ici 2020 ! Pour 2016, les crédits de la mission diminuent de 6,3 % par rapport à 2015. C'est la réalité des chiffres : ce budget est en baisse, alors même qu'il faut réaliser un effort. Je suis donc très réservé sur ce budget.

M. Henri de Raincourt, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Je crois que les deux rapporteurs spéciaux comme le rapporteur général ont fait une présentation exacte de la situation. Ce budget est en retrait, mais le cheminement engagé à l'Assemblée nationale devrait permettre d'atteindre le niveau de l'année dernière. Je milite depuis longtemps en faveur d'une hausse sensible de l'aide publique au développement car c'est la paix de la planète pour les décennies à venir qui est en jeu. Je rappelle d'ailleurs que la population de l'Afrique devrait passer de un milliard à deux milliards d'ici 2050.

Par ailleurs, la taxe sur les transactions financières s'avère difficile à mettre en place, en particulier au niveau européen. La France est en avance sur ce sujet.

La commission des affaires étrangères ne s'orientera pas vers un rejet des crédits de cette mission.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Je préfère, comme Yvon Collin, considérer le verre à moitié plein. Bien sûr, il faut déplorer la baisse continuelle des crédits depuis 2010, mais se réjouir des amendements déposés à l'Assemblée nationale pour stabiliser ce budget. De plus, des progrès seront réalisés grâce à la COP 21. Il faut également noter l'adossement de l'AFD à la Caisse des dépôts et consignations, qui permettra de renforcer les fonds propres de l'agence.

M. Philippe Dallier. - Je souhaiterais revenir sur la taxe sur les billets d'avion, dont le produit est estimé à 230 millions d'euros en 2016. Air France en paie un peu plus du quart - c'est un coût faible, comparé à celui d'une grève des pilotes - mais où en sommes-nous aujourd'hui ? Sommes-nous le seul pays à l'avoir mise en place ?

M. Éric Bocquet. - On ne peut que regretter la baisse des crédits. Aider au développement des autres pays, c'est nous aider nous-mêmes.

Je note avec intérêt qu'il est fait référence à la lutte contre la fraude fiscale : une association comme le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre Solidaire) considère que pour un euro d'aide versé par les pays du Nord, ce sont dix euros qui s'échappent dans les paradis fiscaux : c'est le tonneau des Danaïdes !

Il est fait mention dans le rapport d'un projet, non abouti, de création d'un organisme fiscal intergouvernemental au sein de l'Organisation des Nations unies (ONU) : un tel organisme me paraît très pertinent et je souhaiterais savoir pourquoi le projet n'a pas abouti.

M. Richard Yung. - L'objectif de 0,7 % est fixé mondialement et l'un des tableaux du rapport met en évidence le fait que depuis 2000, la France a atteint au mieux 0,5 % : cet objectif est-il raisonnable ? Pouvons-nous véritablement l'atteindre ? Je ne suis pas obsédé par le 0,7 % : c'est un objectif des Nations unies, mais c'est un idéal platonicien.

Nous discutons ici de l'aide bilatérale, mais c'est une petite partie de l'ensemble des dispositifs d'aide. La France contribue aussi à la Banque africaine de développement, au fonds européen de développement et à la Banque européenne d'investissement qui se lance en Afrique.

En plus de ces dispositifs, il existe le « recyclage du remboursement de la dette », grâce aux contrats de désendettement et de développement (C2D) : le pays nous rembourse le prêt et nous remettons immédiatement l'argent à disposition. Pour la Côte-d'Ivoire, cela représente plus de 1,5 milliard d'euros par an. La principale difficulté, c'est la capacité d'absorption des pays.

Enfin, on a l'impression que les taxes affectées s'évaporent car il n'y en a qu'une partie qui finance le développement. Je considère d'ailleurs, avec d'autres, que la taxe sur les transactions financières doit plutôt constituer une ressource propre de l'Union européenne.

M. Vincent Delahaye. - L'article 48 me pose deux problèmes. On donne l'autorisation au ministre de dépenser un milliard d'euros, et je ne suis pas favorable à donner des autorisations supplémentaires, quel que soit le ministre.

On parle de remises de dette additionnelle pour une catégorie de pays, mais il s'agit en fait principalement de la Côte-d'Ivoire. J'aimerais que nous ayons un débat sur ce sujet : la Côte-d'Ivoire n'est pas le seul pays pauvre.

M. Michel Bouvard. - Le projet annuel de performances ne tient pas compte du rapprochement de l'Agence française de développement avec la Caisse des dépôts et consignations. Il faut pourtant qu'on y voie clair sur les conséquences de ce rapprochement pour la Caisse. Les propos de notre collègue Hélène Conway-Mouret sur l'augmentation des fonds propres de l'AFD ne me rassurent pas. Je rappelle que les fonds propres de la Caisse des dépôts sont alimentés par ses propres résultats, qu'ils permettent de faire des prêts et sont ainsi le support d'actions pour le développement territorial. On ne doit pas être dans une stratégie de bonneteau, où les fonds propres sont sous trois gobelets en même temps. Il faut y voir clair sur les conséquences, pour la Caisse, du rapprochement avec l'AFD, d'autant qu'il y a également la question des prêts à l'export avec la Banque publique d'investissement (BPI). Il faut que nous puissions étudier le modèle prudentiel et que nous auditionnions le président de la commission de surveillance et le directeur général.

M. Vincent Capo-Canellas. - Comme Philippe Dallier, j'aimerais revenir sur la taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite « taxe Chirac ». Je ne remets pas en cause le bien-fondé de cette taxe, mais elle affecte la compétitivité du transport aérien français, qui rencontre actuellement de grandes difficultés. L'année dernière, une réflexion avait été menée, à l'initiative de notre collègue député Bruno Le Roux, afin de revoir l'assiette de cette taxe, mais ce sujet s'est évaporé depuis. Il y aurait certes d'autres façons de soutenir le transport aérien français, et j'essaierai de faire des propositions en ce sens lorsque je présenterai le budget de l'aviation civile. Mais je tiens à souligner que la ponction financière est importante, et que celle-ci repose en grande partie sur le transport aérien français en raison du faible nombre de pays contributeurs. Les problèmes de compétitivité que rencontre ce secteur s'en trouvent aggravés.

M. Gérard Longuet. - Je suis un peu frustré, car le document qui nous a été transmis mentionne de manière superficielle les bénéficiaires de l'aide française, alors que les sommes ne sont pas négligeables puisqu'elles dépassent les cinq milliards d'euros. Nous sommes contents de savoir que 45 % de l'aide française va à l'Afrique, dont 32 % à l'Afrique sub-saharienne, mais il ne serait pas inutile, compte tenu des sommes en jeu, de savoir quels sont les pays bénéficiaires, pour quels types d'opérations menées et avec quels types de résultats. Il en est de même s'agissant de l'aide multilatérale : il serait utile de savoir à quoi cette aide sert et en quoi elle contribue au développement des pays qui la reçoivent.

M. Jean-Claude Boulard. - Dans l'optique de disposer d'une vision la plus complète possible de l'ensemble des aides publiques au développement, il pourrait être intéressant de présenter en annexe de ce rapport le montant consolidé des aides décentralisées versées par les collectivités locales.

M. François Patriat. - Je trouve le réquisitoire de Fabienne Keller un peu manichéen. Ne pas voter les crédits de cette mission, c'est endosser une responsabilité qui n'a échappé à personne. On ne peut pas d'un côté se plaindre tous les jours que le budget général de l'État ne baisse pas et demander individuellement que les crédits de toutes les missions augmentent. Je sais bien qu'il s'agit d'une vieille pratique au Parlement, mais il y a un moment où le cynisme doit s'effacer devant la responsabilité.

M. Michel Berson. - Le mot est lâché !

M. François Patriat. - S'agissant de la lutte contre la fraude fiscale, qui est importante et nécessaire, et qui marque de la part de la France un effort qui doit être salué, je souhaite que cette action reste du ressort de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et qu'elle ne soit pas transférée à l'Organisation des Nations unies (ONU), comme cela a pu être évoqué à un certain moment.

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. - J'ai du mal à accepter le qualificatif utilisé à mon endroit par François Patriat.

Nous sommes à la veille de la COP 21, nous connaissons en Europe un afflux d'immigrés sans précédent, et nous sommes tous conscients que la solution de long-terme consiste à aider les pays du Sud à se développer. Nous discutons ici du budget qui met en oeuvre cette stratégie d'accompagnement des pays du Sud. Or, il s'agit du budget qui baisse le plus ! C'est cette incohérence que je souligne. Je crois qu'il faut envoyer un signal au Gouvernement, afin de ne pas sacrifier une nouvelle fois, comme c'est le cas depuis plusieurs années, les crédits de l'aide publique au développement. Après une dizaine d'années de tendance à la hausse, à l'issue de laquelle cette aide a atteint un montant égal à 0,5 % du revenu national brut (RNB), il se produit depuis quatre ans une nette inflexion.

J'en viens aux différentes questions qui ont été posées. Je remercie les rapporteurs pour avis Hélène Conway-Mouret et Henri de Raincourt pour leurs analyses et pour les travaux qu'ils ont réalisé sur l'aide publique au développement au sein de la commission des affaires étrangères. Ils sont peut-être plus diplomates que moi dans leur positionnement s'agissant du vote sur les crédits de cette mission. Henri de Raincourt a souligné, à juste titre, la croissance démographique attendue en Afrique. J'aime à dire qu'il y a des migrants « économiques » et qu'il y aura des migrants « climatiques » et des migrants « démographiques », en raison de la pression démographique africaine.

Philippe Dallier a souligné le poids que représente la taxe sur les billets d'avion pour le transport aérien, ce qui est juste puisqu'un quart de cette taxe est acquitté par Air France. Neuf pays adhèrent à ce dispositif, dont j'aimerais souligner les effets positifs : il a permis d'alimenter le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme avec efficacité. D'un autre côté, il est vrai que l'on peut regretter qu'il n'y ait que neuf pays contributeurs. Bien que la contribution par billet ne soit que de un euro pour un vol à l'intérieur de l'espace économique européen par exemple, il peut y avoir des « effets de bord », puisque cette taxe s'ajoute à d'autres charges comme les taxes d'aéroport. Dans notre précédent rapport, nous avions proposé que la COP 21 puisse être l'occasion d'un engagement de l'ensemble des pays sur la mise en place d'une taxe, à un niveau très faible, sur le carburant des avions et des bateaux, qui ne sont soumis actuellement à aucune fiscalité, avec l'idée de flécher les montants perçus vers des mesures d'adaptation au changement climatique.

Éric Bocquet a souligné, à juste titre, la question des migrants. S'agissant de la lutte contre la fraude fiscal, les pays du Sud ont exprimé le souhait, lors de la conférence d'Addis-Abeba, de traiter cette question à un niveau mondial afin de lutter contre un phénomène qui leur coût chaque année 100 milliards d'euros, mais les pays développés ont préféré rester dans le cadre de l'OCDE.

Richard Yung a posé une question relative au périmètre de la mission « Aide publique au développement ». Celle-ci comprend également les contributions de la France aux organisations internationales et donc à l'aide multilatérale. Il s'agit en particulier de la contribution à des fonds multilatéraux comme le guichet concessionnel de la Banque mondiale, des contributions volontaires à l'ONU ou de l'aide communautaire. Ces aides sont donc bien inclues dans le périmètre dont nous discutons aujourd'hui et dont l'évolution est négative. Certaines annulations de dettes ne transitent pas par le budget, c'est d'ailleurs l'objet de l'article 48 rattaché à la mission.

La part des taxes sur les billets d'avion et sur les transactions financières qui ne bénéficient pas au développement abondent le budget général ; 15 % seulement de la taxe sur les transactions financières bénéficie aux pays du sud.

Vincent Delahaye a souligné qu'il s'opposait au relèvement du plafond d'autorisation d'annulations de dettes aux pays pauvres très endettés. Je voudrais lui rappeler qu'il s'agit d'honorer les engagements pris en 2001 à Yaoundé d'annuler la totalité des créances résiduelles d'APD sur les pays ayant bénéficié de l'initiative PPTE. La Côte-d'Ivoire est effectivement le principal pays concerné par les annulations à venir, mais il n'est pas le seul à avoir bénéficié de cet engagement. Ces annulations se font dans le cadre des C2D, ce qui oblige ces pays à flécher les montants annulés vers des actions de développement.

Michel Bouvard a indiqué que le rapport ne développait pas suffisamment la question du rapprochement entre l'Agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts et consignations. Ce projet, en cours d'élaboration, n'est pour l'instant pas très avancé. Le conseil d'administration de l'AFD n'a d'ailleurs pas été informé de ce rapprochement. Ce n'est que récemment que nous avons eu des informations, très succinctes au demeurant. L'objectif est de permettre à l'AFD de renforcer ses fonds propre afin d'accorder des prêts supplémentaires dans des pays où ses engagements ont déjà atteint le niveau maximum autorisé par les règles prudentielles, en particulier des pays du Maghreb.

Vincent Capo-Canellas a également soulevé le problème de la taxe sur les billets d'avion. On voit bien que lorsqu'une fiscalité n'est pas appliquée partout, elle peut poser des difficultés en termes de compétitivité.

Gérard Longuet a estimé que le rapport était relativement succinct s'agissant des bénéficiaires de l'aide publique au développement. Nous pourrons enrichir cette question-là dans le rapport définitif.

Jean-Claude Boulard a souligné l'importance de l'aide décentralisée. Nous sommes nombreux à partager l'idée qu'il s'agit en effet d'un levier important de coopération, qui s'inscrit dans la durée. L'AFD inclut d'ailleurs dans ses actions de coopération des financements complémentaires des collectivités. Ce sont souvent des moyens en personnel qui sont sollicités.

Yvon Collin et moi sommes des passionnés d'aide au développement, qui est une politique qui s'inscrit dans le long-terme. Or, compte tenu des pressions budgétaires à court terme, le budget de l'aide au développement est le budget le plus sacrifié. Nous souhaitons donc envoyer un signal au Gouvernement en lui demandant d'agir pour préserver l'avenir. C'est le moment ou jamais à quelques semaines de la COP 21.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Je voudrais remercier Henri de Raincourt et Hélène Conway-Mouret de partager mon sentiment du « verre à moitié plein ». Nous aurions tous souhaité que ce budget soit meilleur, et que les crédits en direction des pays les plus défavorisés augmentent. Mais dans le contexte budgétaire actuel, il faudra savoir s'en contenter.

Pour répondre à Jean-Claude Boulard, l'aide apportée par les collectivités territoriales représente un montant de 53 millions d'euros. Cette aide n'est effectivement pas retracée dans le budget, qui concerne les crédits de l'État.

Gérard Longuet nous a interrogés sur l'utilité de l'aide au développement. Dans le cadre des travaux de contrôle menés pour la commission des finances, nous avons constaté que l'argent investi par la France pour l'aide au développement est bien utilisé, par exemple dans des opérations de développement des réseaux d'eau, de remise en état de rizières ou de scolarisation. Les agents de l'AFD sont des militants de la cause du développement et réalisent un travail formidable. Ils font en sorte que la traçabilité des aides accordées soit assurée. Je crois qu'il faut leur rendre hommage.

M. Gérard Longuet. - Cela m'intéresserait d'avoir ces informations.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. - Ceci dit, la culture de l'évaluation et du résultat doit nous habiter. C'est d'ailleurs le discours que je tiens continuellement auprès de l'AFD en tant qu'administrateur.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat le rejet des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », et l'adoption de l'article rattaché 48.

Loi de finances pour 2016 - Mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » (et articles 49 à 51) - Examen du rapport spécial

La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Marc Laménie, rapporteur spécial, sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » et des articles 49 à 51.

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - La mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » regroupe trois programmes. Deux programmes sont placés sous la responsabilité du ministre de la défense : le programme 167 « Liens entre la Nation et son armée » et le programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant ». Le programme 158 « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale » relève lui du Premier ministre.

La mission connaît depuis plusieurs années une baisse régulière de ses crédits, en raison de la diminution des effectifs des bénéficiaires des mesures de reconnaissance et d'aide portées par les programmes 169 et 158, étant souligné que ces mesures d'intervention constituent 96 % de la totalité des crédits de la mission.

La diminution est de 4,7 % des crédits de paiement cette année. Elle est moins marquée qu'en 2015. Elle atteignait alors 7,7 % en raison du transfert des dépenses de personnel du programme 167 vers le programme 212 de la mission « Défense », ce qui a représenté un transfert sortant de 73,3 millions d'euros.

Si l'on raisonne à périmètre constant, la diminution des crédits de paiement est de 4,9 % cette année, à comparer avec la baisse de 5,3 % enregistrée l'année dernière. Ce pourcentage est cohérent avec la baisse des effectifs anticipée par le ministère de la défense en 2016, qui serait de 4,8 %, pour les pensions militaires d'invalidité (PMI) et de 4,1 % pour la retraite du combattant.

L'effort de la Nation vis-à-vis de ses anciens combattants ne se limite pas aux crédits budgétaires de la mission car il comprend d'importants soutiens en provenance de la mission « Défense » et la dépense fiscale dont bénéficient les anciens combattants. La politique publique en faveur des anciens combattants bénéficie ainsi en 2016 d'un montant global de 3,52 milliards d'euros, ce qui représente une baisse de 51 millions d'euros par rapport à 2015 et relativise la baisse de 135 millions d'euros en crédits de paiement que l'on constate à périmètre constant.

Le budget 2016 permet de maintenir les droits des anciens combattants et de financer des mesures nouvelles dont le montant global est de 5,2 millions d'euros, en faveur des conjoints survivants, des anciens combattants d'Afrique du Nord et des harkis, ainsi que de renforcer l'action sociale de l'Office national des anciens combattants et victimes de la guerre (ONAC-VG). Ces mesures font l'objet pour trois d'entre elles d'articles rattachés que j'examinerai plus loin.

Il permet également de maintenir à un niveau satisfaisant les crédits consacrés à l'action « Politique de mémoire », soit 22,2 millions d'euros qui assureront le financement des commémorations du centenaire des batailles de la Somme et de Verdun, ainsi que la rénovation des sépultures de guerre et lieux de mémoire qui accueilleront ces manifestations.

Les crédits consacrés à la Journée « défense et citoyenneté » (« JDC ») connaissent une baisse de près de 50 % en autorisations d'engagement et de 20 % en crédits de paiement, en raison du non-renouvellement du marché de formation au secourisme et de son remplacement par un module de sécurité routière dont le coût est nettement moindre, ce qui entrainera une économie de l'ordre de 4 millions d'euros par an. Ce changement permettra d'augmenter de 30 minutes le temps consacré aux animations de défense, ce dont on ne peut que se réjouir. Je vous signale à ce propos que nous devrions recevoir au premier semestre 2016 les résultats de l'enquête de la Cour des comptes sur les coûts de la Journée « défense et citoyenneté », dont le calcul suscite des interrogations car certains éléments ne semblent pas pouvoir être retracés par Chorus. Cela avait attiré l'attention de notre rapporteur général l'année dernière.

Le programme 158 bénéficie quant à lui d'une légère hausse de ses crédits liée à une augmentation prévue des indemnisations des victimes de spoliation de l'ordre de 0,5 million d'euros. Les services du Premier ministre anticipent en effet un accroissement du coût moyen par recommandation d'indemnisation, qui s'élèverait à 20 000 euros contre 14 000 euros environ l'année dernière. En effet, un certain nombre de dossiers à fort enjeu financier devraient être clôturés en 2016 et des parts d'indemnité jusqu'à lors réservées, réclamées par des héritiers.

Je vous propose pour ma part l'adoption sans modification des crédits de la mission. Je vous propose également l'adoption sans modification des articles rattachés qui permettent d'améliorer les dispositifs en faveur des conjoints survivants, des anciens combattants de la guerre d'Algérie et des harkis. En effet, si je formule quelques critiques du point de vue méthodologique, car ces dispositifs viennent retoucher des mesures législatives très récentes, je ne crois pas que l'on puisse contester la légitimité de ces améliorations dont le coût budgétaire est par ailleurs limité.

L'article 49 vise à abaisser la durée du mariage (ou du pacte civil de solidarité) et de soins prise en compte pour bénéficier de la majoration spéciale attribuée aux conjoints survivants des grands invalides de guerre, tout en instituant une progressivité. Cette majoration pourrait être accordée dès la cinquième année au lieu de la dixième actuellement. Les points de majoration seraient accordés de manière progressive pour atteindre cinq cents points au-delà de dix ans de mariage, comme le prévoit déjà le dispositif voté l'année dernière en loi de finances. D'après les évaluations du ministère de la défense, cette mesure aurait un coût de 1,9 million d'euros la première année en raison d'une entrée en vigueur à compter du 1er juillet 2016, puis de 3,8 millions d'euros en année pleine. Elle pourrait bénéficier à 1 370 personnes.

L'article 50 vise à permettre la révision des pensions de retraite liquidées avant le 19 octobre 1999 afin de prendre en compte le droit à campagne double au titre de la participation à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc, ce qui n'est pas possible en l'état actuel de la législation. La bonification de « campagne double » permet aux militaires, ainsi qu'aux fonctionnaires et civils assimilés, de compter trois jours dans le calcul de leur pension de retraite pour chaque jour de service pris en compte. Dans le cas présent, il s'agirait de jours de combat ou d'actions de feu. Cette mesure conduirait à porter le nombre de bénéficiaires de la campagne double à 5 800 environ, pour un surcoût budgétaire annuel évalué à 0,6 million d'euros en 2016, puis à 0,5 million d'euros en 2017. Cette dépense serait supportée par le compte d'affectation spéciale « Pensions ».

Enfin, l'article 51 vise à lever la forclusion qui empêche les conjoints survivants de supplétifs de déposer des demandes d'allocation de reconnaissance depuis le 20 décembre 2014, en application de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 votée en décembre 2013. Il s'agirait de créer une nouvelle allocation, d'un montant équivalent à la précédente, qui pourrait être demandée par les conjoints survivants ou ex-conjoints survivants n'ayant pu présenter leur demande dans les délais. Selon les estimations du ministère de la défense, ce dispositif concernerait 218 personnes en 2016, puis 109 conjoints ou conjoints survivants à partir de 2017. Son coût est estimé à 0,74 million d'euros en 2016, puis 1,1 million d'euros en 2017.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Existe-t-il encore des contentieux dits de « cristallisation » en cours ? Le Conseil constitutionnel a en effet rendu en 2010 une décision relative aux anciens combattants n'ayant pas la nationalité française, à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), si ma mémoire est bonne. Ces contentieux sont-ils tous résolus ? A-t-on tiré toutes les conséquences de cette décision ou bien subsiste-t-il encore des demandes relatives à l'égalité des droits au profit des anciens combattants n'ayant pas la nationalité française ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis, au nom de la commission des affaires sociales. - Comme l'a souligné le rapporteur spécial, la mission est marquée par un effet démographique. On constate ainsi entre 2015 et 2016 une baisse des autorisations d'engagement de 140 millions d'euros. Toutefois, le budget 2016 prévoit aussi des mesures nouvelles à hauteur de plus de 5 millions d'euros. Au-delà des mesures sectorielles qui sont proposées, pourrait se poser, comme chaque année, la question d'une revalorisation de la retraite du combattant. Sans doute les marges de manoeuvre existantes auraient pu permettre de faire quelque chose. Pour le reste, je suis en total accord avec l'analyse du rapporteur spécial.

M. Roger Karoutchi. - Je souhaiterais savoir si l'élaboration du contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'Institution nationale des Invalides (INI) avance, car cela fait plusieurs années que ce dossier traîne au motif que des accords de l'agence régionale de santé (ARS) sont nécessaires et que l'on doit définir un nouveau schéma des instances hospitalières militaires avec l'hôpital Percy, en lien avec la question du devenir du Val-de-Grâce. Cet attentisme a pour conséquence une absence de rénovation et d'amélioration depuis plusieurs années, tandis que le schéma de travaux défini il y a déjà quatre ou cinq ans devient obsolète. Au total, l'Institution devient un vrai sujet de préoccupation pour les anciens combattants. Oui ou non, finira-t-on par avoir un nouveau contrat d'objectifs et de performance pour les Invalides ?

M. André Gattolin. - Ma question concerne le programme 158, et notamment les dépenses de fonctionnement. Le rapport indique qu'elles comprennent toutes les missions d'instruction des dossiers d'indemnisation des victimes de spoliation du fait des législations antisémites pendant l'Occupation, ainsi que la participation à la recherche internationale de la provenance des oeuvres d'art. Il s'agit d'un dossier particulièrement important qui a fait l'objet en janvier 2013 de travaux de la commission de la culture du Sénat. On sait que, dans les musées nationaux, beaucoup d'oeuvres d'origine suspecte ont été intégrées aux collections faute de recherches, alors qu'elles appartiennent à des familles juives spoliées. Je me demande donc si les moyens mis en oeuvre pour retracer la provenance réelle de ces oeuvres, y compris dans un patrimoine devenu national, sont réellement à la hauteur du débat public qui a eu lieu ces derniers mois sur ces questions.

M. Gérard Longuet. - Les droits des « malgré-nous » Alsaciens-mosellans relèvent-ils de cette mission ou bien sont-ils également de la compétence du ministère des affaires étrangères ?

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Je vous remercie de vos interventions sur une mission qui est sensible. Chacun d'entre vous a sans doute l'occasion de participer régulièrement à des manifestations avec l'ensemble des associations patriotiques de mémoire et je voudrais à cet égard adresser mes remerciements à l'ensemble des bonnes volontés qui oeuvrent, et notamment à nos porte-drapeaux.

Concernant la question du rapporteur général, tous les contentieux dits de cristallisation sont normalement résolus. Restait la question de l'aide différentielle attribuée aux seuls conjoints survivants résidant en France, dont la base légale était fragile. Elle a été supprimée cette année par décision du conseil d'administration de l'ONAC-VG et refondue au sein l'action sociale de l'office.

Concernant l'INI, j'ai engagé cette année au nom de la commission des finances un contrôle de cet établissement, qui sera poursuivi en 2016. Le contrat d'objectifs et de performance devrait être présenté en 2016. Les travaux de mise en conformité et de sécurité obligatoires ont été réalisés en 2014 et 2015. Les crédits sont reconduits à l'identique pour 2016.

S'agissant de la question d'André Gattolin, la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliation (CIVS) participe bien à la recherche de provenance d'oeuvres d'art confisquées par le régime nazi. Elle est notamment partenaire du groupe d'experts internationaux formé en 2014 par le gouvernement allemand pour déterminer la provenance de plus de 1 500 oeuvres retrouvées chez Cornelius Gurlitt, fils d'un marchand d'art agissant pour le compte du régime nazi.

Enfin, je n'ai pas de réponse immédiate à la question de Gérard Longuet, mais je ne manquerai pas de lui transmettre les éléments d'information sur le champ des ministères concernés.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption sans modification des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » et des articles rattachés 49 à 51.

Loi de finances pour 2016 - Mission «Pouvoirs publics » - Examen du rapport spécial

La commission procède ensuite à l'examen du rapport de Mme Michèle André, rapporteure spéciale, sur la mission « Pouvoirs publics ».

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - En vertu du principe d'autonomie financière des pouvoirs publics, qui découle du principe de séparation des pouvoirs, la mission « Pouvoirs publics » regroupe les crédits dédiés aux différents pouvoirs publics constitutionnels, c'est-à-dire de la Présidence de la République, de l'Assemblée nationale et du Sénat - ainsi que des chaînes parlementaires -, du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de la République.

Les institutions relevant de la mission « Pouvoirs publics » s'astreignent à participer pleinement à l'effort de redressement des comptes publics. Les montants de crédits demandés par ces dernières dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 mettent en évidence cette démarche.

En effet, pour l'exercice 2016, les crédits demandés au titre de la mission « Pouvoirs publics » s'élèvent à près de 987 millions d'euros, ce qui représente un léger recul par rapport à 2015, après plusieurs années de baisse significative.

Cette évolution recouvre, comme nous allons le voir, une stabilisation des dotations de l'État à la Présidence de la République, aux assemblées parlementaires et à la Cour de justice de la République, ainsi qu'une diminution des crédits du Conseil constitutionnel.

S'agissant de la Présidence de la République, tout d'abord, la dotation demandée est maintenue à 100 millions d'euros, niveau atteint en 2015 conformément aux engagements du chef de l'État. Elle demeure à un niveau inférieur à celui prévu par la loi de finances pour 2008, alors même que, depuis lors, de nombreuses dépenses auparavant supportées par le ministère de la défense, comme le montant des pensions des gendarmes affectés au Palais de l'Élysée, ont été transférées à la Présidence de la République. Au total, en 2016, les crédits de la Présidence auront reculé de plus de 12 millions d'euros par rapport à 2011.

Cette baisse de la dotation a été permise par les efforts réalisés sur les dépenses de la Présidence de la République, dont les charges de personnel ou encore de déplacements sont en nette diminution.

Les dotations versées à l'Assemblée nationale et au Sénat sont de nouveau « gelées » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016. Ainsi, les crédits dédiés aux assemblées s'élèveront à environ 841,5 millions d'euros. La stabilisation en euros courants des dotations des deux Chambres est associée à la réalisation d'efforts en dépenses, notamment afin d'absorber la hausse tendancielle de leurs charges.

Si la dotation de l'État à l'Assemblée nationale demeure à son niveau de 2014, soit 517,9 millions d'euros, ses dépenses reculeraient de 0,04 %. Cette évolution résulterait, en particulier, d'une nette diminution des dépenses de fonctionnement, d'environ un million d'euros. À cet égard, il convient de souligner les efforts consentis sur la masse salariale de l'Assemblée - les charges de rémunération étant réduites de près de 1,7 million d'euros.

Enfin, il convient de relever que l'équilibre du budget de l'Assemblée nationale en 2016 serait permis par un prélèvement sur ses disponibilités financières, d'un montant de près de 15 millions d'euros, comme en 2015.

La dotation de l'État au Sénat au titre de l'exercice 2016 demeure également à son niveau de 2015, soit à 323,6 millions d'euros. Le Sénat poursuit donc les efforts engagés depuis 2008.

Au total, si la dotation de l'État sera stable entre 2015 et 2016, les dépenses du Sénat connaîtraient une baisse substantielle entre ces deux années, marquant un recul de 2,26 %.

Cette baisse est plus prononcée encore si l'on considère isolément les dépenses inhérentes à la mission institutionnelle du Sénat, puisque celles-ci diminueraient de 7,6 millions d'euros. Cette évolution résulte de la « pause » marquée dans les opérations sur les bâtiments, après la réception en 2015 de deux opérations de restructuration concernant les ensembles situés rue Bonaparte et boulevard Saint-Michel, mais aussi des efforts de gestion réalisés par le Sénat. En particulier, il apparaît que les crédits relatifs aux indemnités versées aux sénateurs reculent, à l'instar des dépenses de traitement des personnels.

Les dépenses liées au Jardin du Luxembourg, quant à elles, baissent de 39 600 euros, en raison de la réduction des effectifs, qui permet de compenser la hausse des charges d'investissement liée à la rénovation du chauffage des serres et à la restauration de la fontaine Médicis.

Les charges prévisionnelles du Musée du Luxembourg, enfin, s'élèvent à 90 000 euros en 2016. Pour autant, ce poste demeure profitable pour le Sénat, dès lors qu'il serait associé à des produits d'un montant de 250 000 euros.

Comme l'Assemblée nationale, le Sénat équilibrerait son budget 2015 par un prélèvement sur ses disponibilités financières, d'un montant de 4 millions d'euros.

Pour ce qui est de la chaîne parlementaire, le projet de budget pour 2015 de LCP-Assemblée nationale prévoit une dotation d'environ 16,6 millions d'euros, identique à celle de 2014. La dotation demandée par Public-Sénat est pour la première fois stabilisée en 2016, à 18,85 millions d'euros. Le nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM), en cours de négociation, devrait venir consacrer cette nouvelle trajectoire financière de la chaîne, fondée sur la stabilisation de ses crédits, après plusieurs années de hausse de ces derniers.

Pour la septième année consécutive, la dotation demandée par le Conseil constitutionnel est en baisse. Elle recule de 2,6 % par rapport à 2015, pour atteindre 9,9 millions d'euros. En sept ans, le budget du Conseil constitutionnel aura reculé de 20,4 %, et ce alors même que la réforme constitutionnelle de 2008, avec l'institution de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a conduit à une forte hausse de l'activité de la juridiction.

J'en viens, pour finir, à la Cour de justice de la République. À titre de rappel, conformément à l'article 68-1 de la Constitution, la Cour est compétente pour juger les membres du Gouvernement au titre des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. Le budget prévisionnel de la Cour de justice de la République s'élève à 861 500 euros, soit un niveau identique à celui prévu en 2015.

En conclusion, je vous propose l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il me semble que l'exemplarité des pouvoirs publics se doit d'être soulignée. Le montant global des dotations qui y sont consacrées diminue, en dépit de la rigidité de certaines dépenses, en particulier de personnel.

Je souhaiterais toutefois revenir sur les charges immobilières, sujet auquel je suis particulièrement sensible. Je voudrais notamment savoir s'il est bel et bien acté que la Cour de justice de la République sera installée au sein des locaux libérés par le tribunal de grande instance de Paris sur l'île de la Cité. Des charges locatives de 453 000 euros pour un bâtiment qui n'est pas occupé en permanence paraissent en effet élevées ; or, d'importants espaces vont être rendus disponibles du fait de la réorganisation des services judiciaires parisiens. Une économie pourra-t-elle être dégagée de l'utilisation par la Cour des locaux abandonnés par le tribunal de grande instance de Paris, en dépit d'éventuels frais de location ?

M. André Gattolin. - Même si l'on ne peut que se satisfaire, d'un point de vue démocratique, que la Cour de justice de la République connaisse actuellement une activité réduite, je m'interroge sur la nature de son travail quotidien : combien de personnes y travaillent ? Quelles sont leurs missions ? Instruisent-elles par exemple des plaintes, même s'il n'y a pas eu d'affaires au cours des dernières années ?

M. Jean-Claude Requier. - J'ai bien noté que les dépenses du Sénat baissaient de 2,26 % et que la dotation de l'État restait stable entre 2015 et 2016. Cette information n'intéressant pas les journalistes, les journaux n'en feront pas état... L'entretien du Jardin du Luxembourg coûte près de 12 millions d'euros au Sénat, mais le budget qui est consacré marque toutefois une légère baisse.

En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, comme l'an passé, je m'interroge sur les indemnités versées à ses membres : sont-elles imposées au titre de l'impôt sur le revenu ?

M. Michel Canevet. - En ce qui concerne les chaînes parlementaires, comment justifier que Public-Sénat perçoive une dotation supérieure à celle de LCP-Assemblée nationale de deux millions d'euros ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Pour ce qui est du Jardin du Luxembourg, une réflexion avait été conduite en vue de détacher le budget qui lui est dédié de celui du Sénat. Lorsque l'on analyse les crédits dont bénéficie le Sénat, on a souvent tendance à y inclure ceux du jardin. Pourrait-on les en distinguer dès aujourd'hui ?

M. Éric Doligé. - En réponse à mon collègue, j'indique que nous menons actuellement un travail afin d'isoler le budget du Jardin du Luxembourg. Une étude a été réalisée, qui permettra de comparer les coûts de fonctionnement du Jardin du Luxembourg avec ceux des jardins de Versailles et de la Ville de Paris, qu'il s'agisse des dépenses de personnel, d'entretien et d'investissement, et d'évaluer ainsi la qualité de sa gestion.

M. Roger Karoutchi. - Je suis déjà intervenu sur ce sujet : je ne comprends pas pourquoi le Sénat ne cherche pas à négocier avec la Ville de Paris afin de faire reposer sur cette dernière une partie des dépenses de fonctionnement du Jardin du Luxembourg. Cela est prévu depuis des années, mais rien ne se fait. Or, il y a plus de Français et de touristes que de sénateurs qui se promènent dans le Jardin du Luxembourg !

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - Je souhaite indiquer au rapporteur général que l'installation de la Cour de justice de la République au sein du Palais de justice est un projet qui suit son cours. Les magistrats sont conscients de l'importance des coûts liés à la location des locaux actuels de la juridiction, qui représentent la majeure partie de ses dépenses ; eux-mêmes ne perçoivent d'indemnités que s'ils siègent. Il y a, en réalité, peu de charges de personnel. Les agents permanents sont en nombre limité, ce qui explique que la masse salariale de la Cour soit réduite, l'essentiel des dépenses supportées par cette dernière résultant de son loyer immobilier.

M. André Gattolin. - La surface moyenne par agent doit donc être bien supérieure aux objectifs en la matière !

Mme Michèle André, rapporteure spéciale. - En ce qui concerne les membres du Conseil constitutionnel, je confirme qu'ils sont bien assujettis à l'impôt sur le revenu. Lors de ma rencontre avec le Président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, je lui ai demandé quelle était sa recette pour réduire les dépenses de la haute juridiction alors que son activité augmente. Je tiens à dire que le Conseil constitutionnel est une maison bien tenue, en dépit de sa lourde tâche.

Nous avions déjà abordé la question du Jardin du Luxembourg l'an passé : les résultats de l'étude citée par notre collègue Éric Doligé apporteront certainement un éclairage intéressant sur ce point, qui relève toutefois de la compétence des questeurs et de la présidence du Sénat.

Le budget de la chaîne Public-Sénat partait d'un point haut, ce qui explique peut-être la différence observée avec l'enveloppe dédiée à LCP-Assemblée nationale. Pour autant, les moyens consacrés à la chaîne sénatoriale sont stabilisés cette année. Du reste, l'an passé, j'avais estimé que l'augmentation du budget de Public-Sénat - qui résultait du précédent contrat d'objectifs et de moyens - suscitait des interrogations. Il me semble que la vice-présidente en charge du dossier, notre collègue Isabelle Debré, et les nouveaux responsables de la chaîne y apporteront d'ailleurs une attention particulière.

Aussi pouvons-nous espérer que la stabilisation de la dotation de Public-Sénat est le signe que celle-ci gère mieux les moyens qui lui sont alloués, à l'instar du Sénat qui parvient à réduire certains de ses coûts par une amélioration de son fonctionnement ; à titre d'exemple, la réorganisation des locaux a permis de réduire les dépenses liées à l'hébergement des sénateurs. Par conséquent, je tiens à rendre hommage à nos questeurs, qui se montrent soucieux de ce que le Sénat soit exemplaire.

Groupe de travail sur les dépenses publiques en faveur du logement et la fiscalité immobilière - Communication

Enfin, la commission entend une communication présentant les conclusions du groupe de travail sur les dépenses publiques en faveur du logement et la fiscalité immobilière.

M. Albéric de Montgolfier. - L'an dernier, nous étions convenus de faire évoluer nos méthodes de contrôle, en créant deux groupes de travail informels sur des sujets transversaux, l'un sur l'économie numérique et l'autre sur les dépenses publiques en faveur du logement et la fiscalité immobilière.

Le logement nous avait paru être un thème intéressant, compte tenu de son poids dans la dépense publique, puisqu'il représente plus de 40 milliards d'euros, soit 1,9 % du produit intérieur brut (PIB) et probablement plus que ce que consacrent d'autres pays à cette politique, pour des résultats qui ne semblent pas toujours à la hauteur. En outre, il fait fréquemment l'objet d'un nombre important d'articles et d'amendements en loi de finances, comme ce fut le cas lors de l'examen de la loi de finances initiale pour 2015 qui comprenait, une nouvelle fois, des mesures prévues dans le cadre du nouveau plan de relance du Gouvernement.

Il a donc semblé utile de constituer ce groupe de travail dont nous avons volontairement restreint le champ d'analyse, déjà très vaste, en excluant la problématique très particulière de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, le financement du logement social, dont les mécanismes et les enjeux pourraient en eux-mêmes faire l'objet d'une étude approfondie et, enfin les aides personnelles au logement. S'agissant de ces dernières, la commission des finances avait parallèlement demandé une enquête à la Cour des comptes, sur le fondement de l'article 58-2 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finance (LOLF), qui a fait l'objet d'une audition pour suite à donner le 16 septembre dernier. Philippe Dallier, rapporteur spécial de la mission « Égalité des territoires et logement », a exposé ses constats et préconisations à cette occasion. Je rappelle que ces aides représentent une dépense publique considérable de près de 18 milliards d'euros.

Le groupe de travail, qui s'est réuni de février à octobre 2015, a entendu à la fois des économistes, les promoteurs, le ministère du logement, les fédérations professionnelles, les associations ou encore les représentants des propriétaires et des locataires.

Je souhaiterais d'abord revenir sur la situation actuelle, qui illustre les résultats contrastés de cette politique publique. Le nombre de mal-logés reste très important dans notre pays, comme le souligne notamment le rapport annuel de janvier 2015 de la Fondation Abbé Pierre, avec 3,5 millions de mal logés, dont 700 000 seraient privés de logement propre (chambre d'hôtel, logés chez un tiers...) et 2,8 millions rencontrant des conditions de logement très difficiles.

Parallèlement, les chiffres de la construction de logements restent incertains. En effet, si le nombre de constructions autorisées a augmenté de 8,7 % de juin à août 2015 par rapport au trimestre précédent - et c'est encourageant -, le cumul du nombre de logements sur les douze derniers mois régresse néanmoins de 6 % par rapport aux douze mois précédents, pour atteindre 361 900 logements construits. Les mises en chantier enregistrent pour leur part une baisse de 4 % sur la même période d'un an pour atteindre 345 100 logements.

Selon la Fédération française du bâtiment, si certaines mesures parviennent à soutenir le marché, comme le dispositif d'incitation fiscale à l'investissement locatif « Pinel » ou les dispositions incitatives en faveur de la rénovation énergétique des logements, elles ne parviennent toujours pas à le redynamiser véritablement.

Par ailleurs, les coûts de construction du logement ne cessent d'augmenter d'année en année et le prix du foncier reste un obstacle important.

Les conséquences économiques de cette situation sont nombreuses, en particulier pour les professionnels de la construction, tant en termes de défaillances d'entreprises que d'emplois. Ainsi, les chiffres de la Fédération française du bâtiment pour le premier semestre 2015 mettaient en évidence la perte de 44 600 emplois par rapport au premier semestre 2014 et sans doute le plus mauvais résultat depuis 2008.

Il existe un petit espoir de reprise, avec l'augmentation du logement neuf, sous l'effet du dispositif d'incitation fiscale « Pinel », ce qui pose la question du soutien fiscal de l'investissement. Malheureusement, les nouvelles semblent moins bonnes concernant l'ancien.

Paradoxalement, pour ce secteur très aidé, nous avons été frappés par le manque de robustesse des statistiques disponibles et les avis très contrastés des personnes entendues sur des sujets aussi essentiels que le nombre de logements vacants ou les besoins de constructions.

La restitution de nos travaux, sous la forme de la présente communication, nous permettra, mes chers collègues, de poursuivre avec vous les nombreux débats qui n'ont pas manqué de s'engager au cours de nos auditions. Nous aurons quoi qu'il arrive l'occasion de revenir sur les conclusions de ce groupe de travail puisque les sujets relatifs au logement occupent systématiquement une grande partie du projet de loi de finances et, sur ce point, le projet de loi de finances pour 2016 ne déroge pas à la règle.

M. Philippe Dallier. - Nous consacrons en effet chaque année plus de 40 milliards d'euros à la politique publique du logement mais les résultats ne sont pas à la hauteur de l'attente des Français.

Tout d'abord, le pilotage de la politique du logement est défaillant. Il repose depuis près de dix ans, quelle que soit la majorité au pouvoir, sur un objectif national de construction de 500 000 logements par an. C'était un engagement de campagne de l'actuel Président de la République mais aussi celui de son prédécesseur.

Cet objectif volontariste peut, en première analyse, sembler en adéquation avec l'état du marché du logement. L'ampleur du mal logement serait liée, comme le rappelle la Fondation Abbé Pierre, à un déficit d'offre compris entre 800 000 et 1 million de logements. Cette pénurie contribuerait également à expliquer l'évolution des prix de l'immobilier, en apparence déconnectée des « variables réelles » puisqu'ils ont augmenté de 87 % entre 1998 et 2013 par rapport au revenu des ménages.

Toutefois, la majorité des économistes que nous avons rencontrés dans le cadre du groupe de travail considèrent que cet objectif, qui trouve son origine dans une étude économique publiée en 2007, repose sur des données désormais datées. À titre d'exemple, l'étude prend pour hypothèse un solde migratoire positif de 150 000 personnes par an, alors que les prévisions de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) le situent désormais autour de 50 000 - même si les évènements actuels pourraient conduire à un chiffre plus prudent, il reste une marge élevée. D'après les évaluations concordantes du Commissariat général à l'environnement et au développement durable, des corps d'inspection et des économistes rencontrés lors des auditions, les besoins de construction seraient désormais compris entre 330 000 et 370 000 logements par an.

Plus fondamentalement, le groupe de travail considère que c'est l'idée même qu'il est possible de fixer un objectif unique au niveau national qui doit certainement être remise en cause. En effet, on observe des disparités importantes au sein des territoires en matière de prix, de volume et d'occupation, qui témoignent de la coexistence de zones tendues où les besoins de construction sont élevés et de zones détendues, voire en situation de suroffre.

De ce fait, observer des tendances au niveau national est souvent trompeur. Par exemple - et ce chiffre en étonnera probablement certains -, la surface moyenne par personne a augmenté en France de cinq mètres carrés de 1996 à 2006, pour atteindre 40 mètres carrés, ce qui masque évidemment des situations très contrastées selon les territoires.

La nécessité de raisonner au niveau local est d'autant plus criante que les zones où l'on a le plus construit au cours de la période récente sont loin d'être les plus tendues. Là aussi, les chiffres sont intéressants : 2,6 logements neufs pour 1 000 habitants ont ainsi été construits chaque année entre 1998 et 2009 en Île-de-France, 4,3 en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) contre 5,7 en Poitou-Charentes et 6,9 en Bretagne. Certes, les personnes qui cherchent le soleil ou l'air iodé de la façade atlantique ont besoin de se loger mais les disparités sont quand même étonnantes.

Au-delà des objectifs, la politique du logement souffre également du manque de fiabilité de son appareil statistique. En février 2015, aussi incroyable que cela puisse paraître, près de 290 000 logements sur dix ans ont ainsi été « retrouvés » par le ministère à la suite de la mise en place de nouveaux indicateurs de mesure de la production de logements. Autre exemple : alors que les résultats de l'enquête nationale sur le logement de l'Insee sont généralement publiés tous les quatre ans, les derniers chiffres disponibles remontent à 2006. Il s'agit pourtant de la source statistique la plus fiable et la plus complète à notre disposition.

Aussi, le groupe de travail réaffirme la nécessité de renforcer l'appareil statistique du ministère et de s'appuyer au niveau local sur les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et le réseau des observatoires de loyers pour définir les besoins en matière de logement au plus près du terrain.

Ensuite, les outils offerts par la politique du logement doivent être adaptés à la réalité du parc.

Ainsi, il est nécessaire de mobiliser le parc ancien privé. La mise en avant d'un objectif national de construction particulièrement volontariste a conduit à focaliser l'attention sur le neuf, au détriment de l'ancien.

Au titre de l'année 2016, pas moins de dix dispositifs d'incitation fiscale à l'investissement locatif auront encore une incidence budgétaire estimée à 1,8 milliard d'euros. Parmi ces dix dispositifs, deux seulement concernent l'ancien, pour un coût de 56 millions d'euros, soit 3 % de la dépense totale.

Or, en dix ans, le nombre de logements vacants a augmenté de 30 % et atteint désormais 2,6 millions, soit l'équivalent de huit années de construction.

Si les différences de périmètre rendent les comparaisons internationales délicates, les données disponibles suggèrent clairement l'existence d'une singularité française en la matière.

En effet, 1,72 million de logements étaient vacants, en 2011, en Allemagne, soit 4,4 % du total du parc, et 610 000 au Royaume Uni, représentant 2,6 % en 2014, alors qu'en France le taux de vacance s'élevait en 2013 à 7,5 %. Nous avons quand même une spécificité française !

Il est également paradoxal que le taux de logements vacants soit proche, voire au-dessus de la moyenne nationale dans les zones tendues : le taux est ainsi de 7,3 % à Paris et de 8,9 % à Lyon, contre 7,5 % en France.

Ce phénomène suggère ainsi l'existence d'une inadéquation entre l'offre et la demande en termes de prix mais aussi de qualité, particulièrement dommageable puisque, parallèlement, le manque de logements est régulièrement dénoncé.

Pour remédier à ces difficultés, le « Borloo ancien » vise à apporter un soutien public à la mise en location et à la rénovation de logements existants à des loyers inférieurs aux prix du marché via des abattements sur les revenus locatifs.

Toutefois, ce dispositif n'est pas à la hauteur des enjeux. Le volume annuel de conventionnement intermédiaire, pour lequel les plafonds de loyers sont désormais semblables à ceux du dispositif « Pinel », a ainsi chuté de 5 700 en 2009 à 3 363 en 2013, pour un coût annuel de 23 millions d'euros.

Trois facteurs expliquent l'impasse actuelle. Tout d'abord, le dispositif est complexe et demeure méconnu. Surtout, l'aide publique n'est pas toujours suffisante pour couvrir la baisse de loyer consentie par rapport au prix du marché, notamment dans les zones tendues. Si l'on peut demander aux propriétaires de faire des efforts en remettant leur bien en location à des prix plus bas que ceux du marché, on ne peut en même temps lui demander d'être perdant financièrement malgré les aides de l'État ! Enfin, les modalités de sortie des conventions sont trop défavorables aux propriétaires qui, par exemple, ne peuvent retrouver le niveau de loyer libre que six ans après la fin de la convention si le locataire souhaite rester dans les lieux.

Compte tenu de ces difficultés, plusieurs acteurs ont suggéré, dans le cadre des auditions, la mise en place d'un statut fiscal du bailleur privé afin de compléter le plan de relance sur le logement.

À ce stade, le groupe de travail plaide d'abord pour assouplir et renforcer l'attractivité du dispositif « Borloo ancien » - par exemple en relevant les taux des différents abattements.

Il faut également adapter les outils à la réalité des marchés locaux, la situation étant très disparate.

En la matière, certains dispositifs ont même connu une régression : le dispositif « Pinel » comporte ainsi un plafond de prix de revient unique de 5 500 euros par mètre carré, alors que le dispositif « Scellier » prévoyait un plafond variable compris entre 2 000 et 5 000 euros selon les zones.

Aussi, le groupe de travail suggère de s'appuyer davantage sur les préfets de région pour adapter les dispositifs à la réalité des marchés locaux. À titre d'illustration, les dispositifs « Borloo ancien » et « Pinel » comportent déjà la possibilité pour le représentant de l'État de réduire les plafonds de loyer applicables.

Par ailleurs, les dispositifs mis en oeuvre doivent être parfaitement ciblés sur les besoins, notamment en termes de localisation géographique et de populations visées pour être locataires. Le groupe de travail suggère ainsi de mettre en place un zonage « plus fin » pour les dispositifs tels que le « Pinel ».

Si les outils existants doivent pouvoir être adaptés à la diversité des territoires, il est également souhaitable de mettre en place des dispositifs plus spécifiques dans les zones tendues.

À titre d'exemple, le groupe de travail estime que la fiscalité du logement pourrait être plus incitative pour les maires « bâtisseurs ».

Lorsqu'un terrain devient constructible du fait d'une décision de classement d'une collectivité territoriale, sa valeur augmente soudainement, ce qui peut être assimilé à une forme « d'enrichissement sans cause » du propriétaire. Or, le développement de l'offre de logements se traduit par des coûts supplémentaires pour les collectivités territoriales.

Aussi, il peut sembler opportun de permettre aux collectivités territoriales de capter une partie de la plus-value, afin de les inciter à développer la construction et de limiter le phénomène « d'enrichissement sans cause ».

À cette fin, il existe déjà une taxe optionnelle, introduite en 2006 à l'initiative du Sénat, sur la cession à titre onéreux de terrains nus devenus constructibles. D'un montant égal à 10 % de la différence entre le prix de cession et le prix d'acquisition actualisé, elle ne concerne cependant que les terrains dont le prix de cession est supérieur au triple du prix d'acquisition. Toutefois, seulement 6 441 communes et 5 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont institué cette taxe.

Par conséquent, le groupe de travail suggère de rendre le mécanisme plus incitatif. Plusieurs options ont été étudiées : octroyer aux collectivités territoriales la possibilité de moduler le taux actuellement fixé à 10 %, dans des limites qui seraient prévues par la loi, ou encore élargir l'assiette, par exemple en retenant les prix de cession supérieurs au double du prix d'acquisition - ce qui n'est déjà pas rien.

M. Albéric de Montgolfier. - La France se caractérise par une fiscalité très élevée de manière générale et qui est corrigée par un certain nombre de dispositifs dérogatoires.

Une étude du cabinet Fidal d'octobre 2014, demandée certes par la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), mettait ainsi en évidence le fait que le poids de la fiscalité sur ce secteur était bien plus élevé dans notre pays que dans les six autres États européens étudiés.

Les taxes et les impôts grevant un appartement à 200 000 euros toutes taxes comprises (TTC) et détenu pendant dix ans représenteraient 56 % de son prix d'acquisition, contre 40 % au Royaume-Uni et 26 % en Allemagne. La seule construction et l'acquisition de ce même bien immobilier correspondraient à un taux d'imposition de 27 %, contre 20 % au Royaume-Uni et 10 % en Allemagne.

La détention serait également plus imposée que dans les autres pays européens. En revanche, en termes de cessions, la France se situerait à un niveau comparable à celui des autres pays analysés.

Bien sûr, cette étude doit être analysée avec prudence car elle a été réalisée sur le fondement d'hypothèses spécifiques et ses résultats ne sont pas nécessairement généralisables. Par ailleurs, tous ces pays ne consacrent pas nécessairement plus de 40 milliards d'euros en faveur du logement chaque année et n'ont pas autant de dispositifs dérogatoires en faveur de l'investissement.

Il est à noter qu'une partie des dépenses publiques en faveur du logement pèse également sur les budgets des collectivités territoriales puisque des exonérations pourtant obligatoires, par exemple de taxe foncière, ne sont pas compensées intégralement par l'État.

En réponse à une fiscalité particulièrement élevée, les dépenses fiscales permettent d'atténuer son poids en soutenant le marché immobilier, par une incitation à l'investissement et à la réalisation de travaux.

Tout ministre essaie de corriger les effets de la fiscalité générale en mettant en place un dispositif d'incitation à l'investissement locatif portant son nom. La réforme du dispositif « Duflot », devenu « Pinel », a ainsi contribué à soutenir la relance des commercialisations. Selon les chiffres de la FPI, les ventes enregistrées au profit de particuliers investisseurs, susceptibles de bénéficier du dispositif « Pinel », ont ainsi augmenté de 60 % au premier trimestre 2015 par rapport au même trimestre de l'année précédente. Cela s'explique essentiellement par le fait que la loi de finances pour 2015 a permis une modulation de la durée de l'engagement locatif ainsi que la possibilité - nous avons débattu en séance de ce point - de louer le bien à un ascendant ou un descendant. Les ventes sont donc beaucoup réalisées sous l'effet de ces dispositifs aidés.

En conséquence, il est apparu au groupe de travail que ces dispositifs d'incitation, qui ont une incidence fiscale considérable puisqu'ils pèsent 1,8 milliard d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016, constituent un soutien du marché immobilier aujourd'hui difficile à remettre en cause, compte tenu de son fort effet déclencheur pour les investisseurs privés et même si l'effet d'aubaine ne peut parallèlement être nié.

Par ailleurs, l'avantage fiscal produit par ce type de dispositif est en partie capté par les intermédiaires, avec des marges d'intermédiation qui représenteraient de 5 % à 15 % du prix du bien - ce qui est considérable. Les Français veulent réduire leurs impôts mais, du coup, ils ne regardent pas vraiment le détail du « package » défiscalisant qui leur est proposé. C'est pourquoi le groupe de travail a jugé qu'il serait certainement utile de renforcer les obligations d'information concernant les prix des différents facteurs de production et les frais facturés par les intermédiaires. La fiscalité n'est pas là pour rémunérer des intermédiaires.

Il appartient également au ministère des finances de contrôler ensuite le respect par les bailleurs des engagements qu'ils ont pris, notamment en termes de loyers-plafonds. D'après les informations recueillies par le groupe de travail, il semblerait que ce contrôle ne soit pas réellement assuré s'agissant de dispositifs plus anciens, tels que le « Scellier intermédiaire ».

Ensuite, certains dispositifs fiscaux sont si complexes et si souvent modifiés qu'ils en deviennent difficilement lisibles, y compris dans les objectifs poursuivis. Je confirme également que, comme l'a indiqué Philippe Dallier, la plupart des dispositifs d'incitation fiscale concernent le logement neuf alors que l'essentiel de notre parc est ancien et doit être utilisé. Il n'est pas normal que le taux de logements vacants soit si élevé, en particulier dans les zones tendues.

Vincent Delahaye va nous présenter un premier exemple de complexité, qui concerne l'imposition des plus-values de cessions immobilières, sujet sur lequel il a déjà présenté des amendements l'an dernier dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances de fin d'année. Il faut être un grand spécialiste pour s'y retrouver !

M. Vincent Delahaye. - Sans être un grand spécialiste, je me suis effectivement intéressé à un des exemples les plus frappants de la complexité des dispositifs fiscaux, à savoir le régime d'imposition des plus-values de cessions immobilières.

Au fur et à mesure du temps, on a créé des abattements pour durée de détention avec un taux d'abattement différent pour l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, on a mis en place une surtaxe pour les plus-values les plus élevées lors de cessions de propriétés bâties et on a même crée des abattements exceptionnels dans l'espoir d'un « choc d'offre ». La totale !

De ce fait, le groupe de travail considère que l'acceptation de l'imposition par les contribuables passe notamment par l'application d'un dispositif simple et donc compréhensible. Il trouve ainsi intéressante la proposition, que j'avais déjà défendue lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, de supprimer tout abattement pour durée de détention, tout en prévoyant bien entendu un taux de taxation bien moins élevé. L'objectif, au-delà de la simplification, est de décourager la rétention des biens.

Les personnes interrogées sur ce sujet, lors des auditions, semblaient pour la plupart d'entre elles réceptives à cette évolution et n'ont pas émis d'objections fortes de principe.

Toutefois, cette réforme ne peut être réellement envisagée que, d'une part, en s'assurant du respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a censuré par deux fois les mesures de lois de finances tendant à supprimer les abattements pour durée de détention applicables aux terrains à bâtir, en invoquant la rupture d'égalité devant les charges publiques. Le régime d'imposition proposé doit ainsi, à la fois, prendre en compte l'érosion monétaire et ne pas conduire à un système confiscatoire.

D'autre part, un dispositif transitoire doit être envisagé afin que les propriétaires détenant un bien depuis de nombreuses années ne se retrouvent pas imposés du jour au lendemain, pour des montants de plus-values potentiellement considérables en raison du changement de régime d'imposition.

Cette réforme serait bien évidemment réalisée à coût constant pour les finances publiques. J'avais demandé des simulations à l'administration sur ce point lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015 et les explications du résultat de ces simulations qui ont été fournies au groupe de travail s'avèrent insatisfaisantes, pour une raison qui m'est apparue assez rapidement : toutes les données des déclarations réalisées par les notaires ne font apparemment pas l'objet d'un traitement informatique. Nous avons obtenu de Bercy un échantillon mais les données fournies sont en pourcentage par taux d'abattement, sans préciser les montants en cause. Il serait utile de disposer de ces montants afin d'être en mesure de fixer les bons taux. Le travail doit être poursuivi sur ce point.

M. Albéric de Montgolfier. - Comme autre exemple de complexité, je souhaiterais mentionner l'articulation des aides à la rénovation énergétique des logements privés.

En fonction de la nature des travaux et des ressources des bénéficiaires, différents dispositifs d'incitation et de soutien s'appliquent et sont parfois susceptibles de se cumuler : crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ), taux réduit de TVA à 5,5 %, subventions de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), exonération totale ou partielle de taxe foncière sur les propriétés bâties, aides des collectivités territoriales ou d'autres organismes, dispositifs de micro-crédits, fonds national d'aide à la rénovation énergétique...

Dans le cadre de son référé sur la gestion de l'Anah du 30 janvier 2014, la Cour des comptes avait d'ailleurs déjà mis en évidence la difficile articulation entre ces dispositifs. Il existerait près de 1 300 dispositifs différents au total. Il faut être là aussi un grand juriste pour comprendre l'articulation des différents outils.

Le groupe de travail partage ce sentiment mais ne souhaite pas, à ce stade, proposer de modification substantielle, alors que, d'une part, le CITE et l'éco-PTZ ont déjà énormément évolué au cours des dernières années et que, d'autre part, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit leur prorogation tout en proposant des modifications. Son examen sera l'occasion de discuter de ces mesures. Il convient, en tout état de cause, de tenir compte de la nécessaire stabilisation des dispositifs et de soutenir la rénovation énergétique des logements, en particulier dans le cadre de la lutte contre les « passoires thermiques » ainsi que de la recherche d'économies d'énergie et de réduction des coûts pour les ménages.

Les dispositifs actuels n'atteignent pas toujours leur cible. Souvent, ils ne permettent pas de rénover les logements les plus « énergivores » car ils ne sont pas suffisamment concentrés sur les ménages les plus en difficulté.

Le groupe de travail a tout de même envisagé l'unification du taux de TVA applicable aux travaux réalisés dans les logements anciens - sujet qui n'est pas forcément politiquement correct. Actuellement, alors que les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien se voient appliquer le taux de 10 %, ceux concernant la rénovation énergétique et leurs travaux induits bénéficient du taux à 5,5 %.

Or, l'application de ces deux taux réduits conduit à distinguer les travaux, selon leur nature et parfois dans le cadre d'un projet global. Cette différenciation n'est pas toujours aisée. L'unification des taux conduirait ainsi à une simplification utile du dispositif.

Par ailleurs, le groupe de travail s'interroge sur l'effet déclencheur de l'écart entre ces taux réduits car il est certain qu'un différentiel de taux de 4,5 points ne va pas être déterminant dans la décision de changer une chaudière. On peut parler d'effet d'aubaine.

Toutefois, le groupe de travail admet la difficulté de conduire cette réforme pour le moment, dans la mesure où, compte tenu de la forte contrainte budgétaire que connaît notre pays, cette unification des taux ne pourrait être réalisée qu'en retenant le taux de 10 % pour l'ensemble des travaux, comme le préconisait d'ailleurs la mission d'évaluation de la politique du logement qui regroupait l'inspection générale des finances, le conseil général de l'environnement et du développement durable et l'inspection générale des affaires sociales. Cette mesure conduirait ainsi à dégager par la même occasion 650 millions d'euros de recettes supplémentaires pour l'État, que l'on pourrait en partie redéployer.

Pour mémoire, les taux réduits de TVA applicables dans le domaine du logement représenteraient une dépense fiscale totale de 6,3 milliards d'euros pour 2016, selon les derniers chiffrages du projet de loi de finances.

Par ailleurs, d'autres mesures, coûteuses pour l'État, ne produisent pas l'effet incitatif attendu.

Ces dispositions ont généralement été prises afin de favoriser l'investissement immobilier ou libérer du foncier et, pourtant, elles ne permettent pour l'essentiel qu'un effet d'aubaine pour leurs bénéficiaires.

Ainsi, il est permis de douter de l'effet réellement déclencheur des abattements exceptionnels prévus successivement par les deux précédentes lois de finances pour l'imposition des plus-values de cessions immobilières, d'abord pour les propriétés bâties, puis pour les terrains à bâtir.

Lors des auditions, il nous a été indiqué que rien ne semblait démontrer l'efficacité de ces abattements pour créer le « choc d'offre » escompté.

Compte tenu de leur coût pour les finances publiques et de l'effet d'aubaine qu'ils engendrent, le groupe de travail recommande donc de renoncer à ce type de mesure.

De même, l'exonération de deux ans de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les constructions nouvelles ne contribue pas à favoriser la construction de logements. En effet, selon les informations recueillies par le groupe de travail, cette exonération est très peu connue et n'a aucun impact sur la prise de décision des personnes accédant à la propriété. On ne décide pas de construire pour bénéficier de cette exonération ! Il convient toutefois de noter que le versement de la taxe foncière pourrait se cumuler alors avec celui de la taxe d'aménagement. Le groupe de travail considère que ce sujet mérite notre attention car le manque à gagner pour les collectivités territoriales lié à cette exonération est estimé à 300 millions d'euros.

M. Francis Delattre. - Laissez donc cette prérogative aux communes, elles ont le choix de maintenir ou non cette exonération !

M. Albéric de Montgolfier. - Effectivement, les communes ont la possibilité de revenir sur le principe de cette exonération. Ce n'est, en revanche, pas le cas pour les départements. Il y a là une petite incohérence.

Certaines taxes semblent même inutiles dès lors qu'elles ne sont pas appliquées. Ainsi, la taxe annuelle sur les loyers élevés des logements de petite surface, dite « taxe Apparu » ne semble qu'imparfaitement mise en oeuvre, compte tenu de son faible rendement et n'est pas en mesure de produire les effets escomptés ! Il pourrait dès lors être envisagé de la supprimer. Le ministre du budget avait annoncé la suppression de petites taxes, représentant un rendement de 1 milliard d'euros. Nous allons le prendre au mot !

Enfin, le groupe de travail a pu constater, au cours de ses auditions, que l'ensemble des acteurs et observateurs du secteur du logement appellent de leurs voeux une stabilité des dispositifs applicables. Les évolutions permanentes de la législation et les dispositifs temporaires conduisent, en effet, à réduire la lisibilité des mesures mises en place et donc, par la même occasion, leur efficacité. À l'avenir, il conviendra donc d'en tenir tout particulièrement compte parmi les critères permettant de juger de l'opportunité des modifications envisagées.

M. Philippe Dallier. - D'autres facteurs nuisent au bon fonctionnement du marché immobilier français.

La hausse des coûts de la construction constitue ainsi un sujet de préoccupation. Il est vrai que, contrairement à ce que l'on entend souvent, les statistiques, notamment d'Eurostat, montrent que ces coûts sont toutefois moins importants en France que dans d'autres pays d'Europe comme l'Allemagne. Mais leur caractère dynamique est tout de même inquiétant puisqu'entre 2004 et 2014, selon Eurostat, les prix à la production ont globalement crû de près de 30 %. Le problème du coût du travail dans le secteur, en hausse de 20 % sur la même période, n'explique pas tout, ni l'augmentation des prix des matériaux qui s'établit à 17 %. La hausse du coût de la construction s'explique aussi par les normes de plus en plus nombreuses. En 2014, selon l'Institut Montaigne, le nombre des normes qui réglementaient le secteur était estimé à 4 000, soit plus de 1 000 articles répartis dans onze codes différents et une quinzaine de lois ou décrets non codifiés !

L'impact économique de certaines de ces normes a pu faire l'objet d'estimations précises. À titre d'exemples, la Fédération française du bâtiment, entendue par le groupe de travail, avait ainsi évalué à 2 % du coût de la construction d'un bâtiment le surcoût de l'application du décret du 30 mai 2011 relatif à l'attestation de prise en compte de la réglementation acoustique à établir à l'achèvement des travaux de bâtiments d'habitation neufs et ce qu'il engendre. Au total, la fédération estime que la bonne application de la réglementation renchérirait les coûts de construction de 15 % à 20 %.

Certes, ces normes, qu'elles soient de niveau législatif ou réglementaire, sont dans leur très grande majorité adoptées au nom de motifs légitimes et louables. Il s'agit de mieux protéger l'environnement, de réaliser des économies d'énergie, de renforcer la sécurité et la sûreté des bâtiments, de garantir leur accessibilité pour les personnes handicapées, d'adapter la société au vieillissement...

Mais, à l'épreuve du terrain, les règles adoptées au niveau national se révèlent bien trop souvent inadaptées, parfois jusqu'à l'absurde.

Dans son rapport réalisé en 2013 avec Alain Lambert au nom de la mission de lutte contre l'inflation normative, notre collègue Jean-Claude Boulard avait ainsi fait état d'un exemple particulièrement édifiant, celui d'un décret de 2010 imposant de strictes normes antisismiques dans des zones n'ayant jamais connu le moindre tremblement de terre, telles que sa ville du Mans !

Trop nombreuses, trop générales, les normes qui s'imposent aux constructeurs sont enfin trop instables dans le temps, ce qui pénalise notamment les plus petites entreprises qui peinent à s'adapter.

Le chantier de la simplification des normes doit donc impérativement se poursuivre et s'amplifier dans la construction.

Le coût très élevé de l'hypothèque en France peut également constituer un frein à l'accession à la propriété. Si l'on n'a pas accès à la caution, ce qui est généralement le cas des ménages les plus modestes, il convient de recourir à l'hypothèque. La comparaison européenne n'est pas flatteuse. Selon les chiffres de l'institut Montaigne, les droits d'inscription hypothécaires ne représentent ainsi que 500 euros en Allemagne pour un prêt d'un montant de 100 000 euros. En Belgique les droits d'inscription hypothécaires s'élèvent seulement à 0,33 % du montant du prêt.

Par comparaison, l'hypothèque apparaît en France excessivement onéreuse. Pour la souscrire, un particulier doit rémunérer un notaire, verser la contribution de sécurité immobilière, qui représente 0,05 % de la somme empruntée, et enfin s'acquitter de la taxe de publicité foncière, soit 0,715 % du montant garanti.

Par la suite, en cas de remboursement de l'emprunt avant terme, l'acquéreur d'un bien immobilier aura obligatoirement recours à une mainlevée de son hypothèque, qui représente entre 1 et 2 % du capital restant dû.

L'utilisation de l'hypothèque est donc très dissuasive pour nos concitoyens et représente au total près de 2 % du montant emprunté. Les sommes en jeu sont importantes et pénalisent les ménages les plus fragiles.

Une réforme du régime de l'hypothèque pourrait donc, selon nous, être sérieusement envisagée dans notre pays, comme le suggère également l'institut Montaigne dans son récent rapport sur la politique du logement.

Pour conclure, nous n'avons pas abordé le sujet des droits de mutations à titre onéreux, qui bénéficient directement aux collectivités territoriales et bien qu'il ait été abordé par certaines personnes entendues lors des auditions. Cette question mériterait également d'être posée.

M. Albéric de Montgolfier. - Lorsque l'on évoque le coût des hypothèques, il importe de tenir compte de la prise d'hypothèque elle-même mais également de la main levée, qui représente une charge considérable. L'ensemble de ces frais d'hypothèque constitue un véritable prélèvement obligatoire qui excède très largement le coût du service rendu par la direction générale des finances publiques : il est anormal qu'un document qui nécessite cinq minutes de traitement informatique donne lieu à des frais aussi élevés ! L'hypothèque telle qu'elle est réglementée aujourd'hui en France représente un frein à la rotation des logements.

Mme Michèle André, présidente. - Je vais donner la parole à nos trois autres collègues qui étaient également membres du groupe de travail.

M. Daniel Raoul. - Je souhaiterais avant toute chose vous faire part de mon étonnement devant l'incapacité des services de l'État à fournir des chiffres cohérents, avec notamment ces fameux logements que l'on découvre au fond d'un tiroir...

Selon les chiffres de la Fondation Abbé Pierre, il manquerait entre 800 000 et 1 million de logements. La comparaison de ce chiffre avec celui du nombre de logements vacants qui ne fait qu'augmenter tous les ans, et en particulier dans les zones tendues, traduit un vrai problème sur le marché immobilier. Il est tout de même anormal de voir, dans une émission à la télévision, un bailleur social proposer trois mois de loyer gratuits parce qu'il ne trouve personne dans des logements complètements réhabilités ! C'est notamment cette simultanéité entre besoins de logements et logements vacants qui m'a frappé lors de nos auditions.

Deuxième remarque : je considère toujours qu'il y a un « enrichissement sans cause » sur les terrains à bâtir, puisque une simple décision dans les plans locaux d'urbanisme créée une richesse nouvelle pour leurs propriétaires. Nous avions mis un pied dans la porte au Sénat avec cette taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus devenus constructibles. Dans les pays nordiques, il me semble que ces plus-values bénéficient aux collectivités territoriales et à la construction de logements. Il s'agit d'une mesure qui pourrait aider les maires bâtisseurs à investir.

Comme Vincent Delahaye, je ne comprends pas non plus la politique des abattements dans le régime des plus-values : elle va à l'encontre de ce qui serait souhaitable - la mise sur le marché de ces terrains -, dans la mesure où les abattements augmentent en fonction de la durée de détention alors que ce devrait être l'inverse. À recettes constantes, je souscris à la solution proposée par Vincent Delahaye.

Même si les coûts de construction sont apparemment moins élevés qu'en Allemagne, ils ont augmenté de 30 % en dix ans.

Je me réjouis qu'il ait été tenu compte de l'impact des normes dans les bâtiments dans les 50 premières mesures de simplification du Gouvernement mises en place après concertation avec les professionnels, conduisant à abaisser les coûts de la construction. Sur le sujet de l'accessibilité pour les handicapés, pourquoi ne pas faire comme aux Pays-Bas et leur réserver le rez-de-chaussée pour éviter d'adapter l'ensemble des logements ?

Il est préférable de cibler les dispositifs fiscaux en faveur du logement, car un certain nombre d'entre eux ont seulement conduit à la production de logements vacants. Ce n'est pas tant en termes d'efficacité qu'il est nécessaire de progresser qu'en termes d'efficience.

Mme Marie-France Beaufils. - Je partage pleinement l'idée de mieux prendre en compte la diversité des territoires en matière de politique du logement. Les besoins ne sont pas les mêmes partout et il faut absolument que l'on arrive à développer une analyse beaucoup plus fine des lieux où il faut construire ainsi que des logements qu'il faut réhabiliter.

Les dispositifs fiscaux en faveur du logement sont trop souvent utilisés pour faire de l'optimisation fiscale et nous avons tous en tête des exemples de petits logements qui ont servi à de la défiscalisation. En outre, ils ne permettent pas de cibler les lieux ni les types de logements dont on a besoin pour répondre à la demande. Les mêmes sommes pourraient ainsi être utilisées plus efficacement, notamment par des crédits budgétaires orientés en fonction d'objectifs clairement définis.

L'amélioration et la réhabilitation des logements vacants doit être une priorité très forte et un renforcement de l'intervention de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) pourrait constituer une aide précieuse dans cette perspective.

J'ai ainsi l'exemple dans ma commune de six tours censées être réhabilitées : il nous a fallu quatre ans pour monter le dossier, parce que les copropriétaires sont des gens qui ont acheté dans les années 1970 pour l'essentiel et qu'il s'agit presque exclusivement de propriétaires occupants et de femmes qui perçoivent des pensions de réversion. Je vous assure qu'il ne s'agit pas là de propriétaires très solvables pour faire de la réhabilitation mais si on les accompagne, ces logements réhabilités seront ensuite utiles pour d'autres foyers. Il n'est pas nécessairement indispensable de construire.

Réhabiliter, c'est aussi réduire l'impact énergétique de ces logements anciens, cela me paraît particulièrement pertinent.

Sur les coûts de la construction, je partage complètement votre constat sur le problème des coûts des intermédiaires. Je me pose aussi la question de l'évolution des coûts de la construction depuis que les grosses entreprises du bâtiment se partagent le marché au détriment des petites sociétés, et ce d'autant plus que ces grandes majors font appel à de la sous-traitance en s'affranchissant parfois de certaines règles.

Toujours sur cette question des coûts de construction, j'insiste à mon tour sur les normes. À titre personnel, je suis frappée par la part réduite de l'espace de vie du fait de la volonté de rendre tous les logements adaptés aux règles d'accessibilité : ce n'est pas sérieux ! Même si ce n'est pas politiquement correct, il faut quand même regarder la réalité. Un pourcentage dans chaque immeuble serait suffisant.

La question de l'enrichissement sans cause me tient également beaucoup à coeur et il faut vraiment s'y attaquer. Concernant les hypothèques, j'en ai assez de ces banques qui ne veulent prendre aucun risque, alors que si elles réalisent une bonne analyse de la situation financière des emprunteurs, il n'y a pas de raison qu'elles rencontrent des difficultés pour se faire rembourser.

Pour conclure, je ne suis pas certaine que l'allègement fiscal constitue la réponse la mieux adaptée à nos besoins de logements.

M. Jean-Claude Requier. - Ce qui frappe lorsque l'on se penche sur la question du logement et de l'immobilier, c'est la complexité de la législation, mais aussi son caractère très instable dont se plaignent les investisseurs car ils ont besoin de visibilité.

Les normes sont aujourd'hui trop nombreuses, et cela nous a conduits, par exemple, dans ma commune à renoncer à la rénovation de certains logements. Par le passé, des solutions de bon sens prévalaient, les personnes âgées s'installant au rez-de-chaussée tandis que les jeunes vivaient à l'étage.

Concernant l'urbanisme, je suis favorable à la taxation des terrains qui deviennent constructibles. Je pense aussi qu'il faut évaluer les besoins au plus près du terrain.

Plus de 40 milliards d'euros pour la politique du logement, c'est beaucoup. Ses résultats sont insuffisants, et, moi qui ai été professeur pendant quelques années, je donnerais à cette politique l'appréciation suivante : « de la bonne volonté mais peut mieux faire » !

M. Yannick Botrel. - Je souhaiterais réagir aux éléments cités par Philippe Dallier sur la construction de logement neufs, où l'on voit que dans plusieurs régions, dont la Bretagne, les constructions sont très nombreuses. Ces chiffres sont éloquents, même s'il faudrait les préciser : s'agit-il de logements collectifs ou pavillonnaires, de logements sociaux ou d'initiatives privées ?

Ces constructions, qui se concentrent certainement sur les pôles urbains en développement, s'accompagnent d'un autre phénomène particulièrement inquiétant : le nombre de logements vacants en centre-ville et en centre-bourg. Même si cela est difficile à vérifier, j'ai entendu parler de centaines de logements vides dans des petites villes telles que Guingamp ou Lannion, qui sont en décroissance au profit des périphéries - avec les autres problèmes que cela entraîne, notamment la consommation de terrains agricoles.

Je m'interroge d'ailleurs sur certaines décisions d'urbanisme, consistant à rendre l'accès des automobilistes aux centres-villes et aux centres-bourgs plus difficile. Cela peut convenir à certains, mais pas aux jeunes ménages qui ont des enfants et font leurs courses. Face à ce modèle de pensée dominant, il est difficile de convaincre les jeunes urbanistes qu'ils se trompent.

En ce qui concerne la baisse de la commande publique, les chefs d'entreprises font part de réelles difficultés. En Bretagne, certains appels d'offres aboutissent à des prix aberrants, non soutenables. Certes, le coût de la construction augmente, ce fut le cas notamment du gros oeuvre. Il y a quelques années, lorsqu'une seule entreprise répondait à un appel d'offres public, cela suffisait à faire le bonheur du maître d'oeuvre et de l'architecte. Aujourd'hui, c'est moins le cas et on constate des défaillances dans le secteur.

M. Antoine Lefèvre. - Je voudrais évoquer le cas des primo-accédants, peu abordé dans la communication par ailleurs très complète. Il conviendrait à mon sens de simplifier les choses en matière de prêt à taux zéro. Les droits de mutation et les frais de notaire pourraient également être réduits pour ces primo-accédants : ils constituent un frein à l'accession à la propriété, dans la mesure où les banques exigent souvent que ceux-ci soient apportés par l'acheteur. En contrepartie, on pourrait faire de ces frais réduits un « chèque primo-accédant » qui pourrait être revu au bout des trois ans d'occupation. Je cite aussi la TVA à taux réduit, qui pourrait permettre des incitations dans certains cas. Quant au volet administratif, il importe d'accélérer la délivrance des permis de construire : des délais de six ou dix mois ne sont pas favorables à la construction.

M. Jean-Claude Boulard. - Cette communication fourmille d'idées pertinentes : la commission des finances du Sénat devrait se concentrer sur quelques-unes d'entre elles, décisives, pour créer une mobilisation collective. Par exemple, rappeler comme cela vient d'être fait les idées reçues sur le coût de la construction peut faire avancer les choses - quitte à décomposer ensuite ce coût pour identifier précisément les dérapages.

En ce qui concerne les normes, il faut sortir de cette situation où tout le monde est d'accord sur le diagnostic et où rien ne bouge ensuite. Là aussi, la solution consiste à identifier quelques idées symboliques et à progresser ensemble. J'ai par exemple écrit l'année dernière à la préfète de mon département sur les normes absurdes de contrôle de l'air à l'intérieur de certains lieux recevant du public. J'ai mis les rieurs de mon côté - c'est une méthode qu'il faut savoir utiliser. Le ridicule tue, y compris les normes absurdes. Il en va de même pour les normes sismiques pour les zones où la terre ne tremble pas : le conseil national des normes s'est prononcé il y a trois mois à l'unanimité pour la suspension de ces normes dans les zones 1 (très faible risque) et 2 (faible risque).

Enfin, concernant les dépenses fiscales, il appartient à la commission des finances du Sénat de rappeler que l'impôt n'est pas un outil de politique publique. Sa fonction est de couvrir les dépenses. Les multiples dépenses fiscales sont injustes - puisqu'ils ne bénéficient qu'à ceux qui paient des impôts - et produisent de nombreux effets d'aubaine. L'exemple du logement est particulièrement significatif et convaincant. Il faut résorber cela, revenir à la finalité première de l'impôt, et mettre en place des aides directes qui sont plus ciblées et permettent des politiques sélectives.

Je salue une fois de plus les excellentes idées avancées par le groupe de travail et qui méritent que l'on s'en saisisse et que l'on se mette en réseau pour les faire avancer.

Mme Michèle André, présidente. - Le groupe de travail sur le logement a précisément été créé dans la perspective de nous rassembler et de produire des idées en dépassant le cloisonnement entre rapporteurs spéciaux.

M. Albéric de Montgolfier. - En effet, la logique de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a ses qualités mais aussi ses limites. Les missions sont parfois inégales et découpées de manière artificielle. Seuls des groupes de travail permettent d'analyser certains sujets transversaux, comme nous l'avons fait sur le logement et le numérique. Il est toutefois évident que nous n'avons pas épuisé le sujet.

M. Bernard Lalande. - Votre communication est très éclairante. Il ne faut pas oublier la part de réalisme fiscal, voire de cynisme fiscal, qui sous-tend ces différentes mesures d'incitation : une personne qui se constitue un patrimoine sera ensuite taxée sur sa propriété, sur sa succession, sur les loyers perçus, etc. On relève toutefois que ces aides sont très souvent liées aux logements neufs : on devine derrière cela la puissance des grandes entreprises du bâtiment, et de l'adage selon lequel « quand le bâtiment va, tout va ».

La situation réelle du logement montre qu'il y a une incompréhension. La désertification des centres-villes et des centres-bourgs l'illustre bien. Certes, les travaux de rénovation sont coûteux, mais ils produisent des effets intéressants : les habitants reviennent, les emplois de proximité sont préservés et les collectivités territoriales n'entretiennent pas en vain les routes et les infrastructures publiques. On pourrait donc imaginer une incitation fiscale dans ce domaine - étant entendu que le « retour sur investissement » sera évidemment plus long. Il existe encore de nombreuses pistes à explorer.

M. Marc Laménie. - La question des taux réduits de TVA constitue un dilemme. D'un côté, le secteur du bâtiment est en difficulté, et c'est une aide bienvenue. D'un autre côté, comment entreprendre de simplifier le dispositif ? Le rapport du groupe de travail constituera en tout état de cause une référence.

M. Charles Guené. - Je partage également la grande utilité de ces groupes de travail sur des thèmes transversaux. Je pense, comme Yannick Botrel, qu'il est nécessaire d'adapter les dispositifs fiscaux aux logements anciens, notamment dans les centres-villes et les centres-bourgs, surtout en cas de remise aux normes - je parle bien sûr des normes véritablement utiles, telles que les normes environnementales. Je m'étonne moi aussi du nombre de logements vacants en centre-ville alors que l'on construit beaucoup de pavillons en périphérie.

Par ailleurs, je pense qu'il serait opportun de réfléchir à un produit fiscal spécifique pour les propriétaires âgés.

M. Michel Canevet. - Ce rapport va-t-il donner lieu à des propositions à l'occasion du projet de loi de finances ? Je pense notamment à la question des plus-values ou à des avantages fiscaux plus lisibles et plus incitatifs.

La réflexion doit être prolongée, notamment en ce qui concerne la question des centres-villes et des centres-bourgs, où la rénovation est susceptible de coûter plus cher que de construire du neuf, en raison notamment de la mise aux normes thermiques. L'Anah doit voir ses conditions et ses critères mieux adaptés car finalement, les propriétaires qui auraient les moyens de réaliser ces travaux, s'ils disposaient d'une aide pour les soutenir, n'entrent pas dans le champ des bénéficiaires de ses subventions.

Le prêt social location-accession (PSLA) est une formule intéressante pour l'accession à la propriété. Actuellement, l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties est de quinze ans : peut-être faudrait-il laisser la liberté aux maires pour l'introduire et en définir la durée, afin de permettre le développement de ce type de construction ?

M. Philippe Dallier. - L'idée du groupe de travail est bien d'aboutir à des amendements, notamment en matière de fiscalité. La question des normes relève davantage de la commission des affaires économiques. Il importe à cet égard d'arriver à un consensus.

La commission donne acte de cette communication aux membres du groupe de travail et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Loi de finances pour 2016 - Compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » - Examen du rapport spécial

La réunion est ouverte à 14h 30.

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. Jacques Genest, rapporteur spécial, sur le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (Facé).

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Je présente pour la deuxième fois le rapport budgétaire sur le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (Facé). Ce compte, créé en 1936, visait à faire payer à ceux qui avaient l'électricité une taxe pour financer l'électrification du reste de la France. Le législateur aurait dû faire de même il y a quelques années pour le très haut débit.

Les recettes du Facé sont assises sur une contribution due par les gestionnaires des réseaux de distribution d'électricité, notamment Électricité réseau distribution France (ERDF). En définitive, ce sont les consommateurs qui payent. Le montant de cette contribution s'élèvera à 377 millions d'euros, soit un montant stable depuis 2012. Le taux est recalculé régulièrement, afin de couvrir les crédits prévus sur l'exercice, et il est fixé par arrêté du ministre chargé de l'énergie. Les clients ruraux payent un peu moins que les urbains.

Les bénéficiaires des aides sont essentiellement les autorités organisatrices de la distribution publique d'électricité (AODE), syndicats d'électrification mais aussi communes ou établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Le regroupement des syndicats est quasiment achevé. Ces dotations financent les travaux sur les réseaux de distribution d'électricité, avec un taux de prise en charge de 80 % hors taxe ; les dotations sont notamment réparties en fonction des départs mal alimentés (DMA) calculés par EDF.

En 2016, la répartition des crédits sera la même qu'en 2015 : 184 millions d'euros pour le renforcement des réseaux, ce qui a un impact direct sur la qualité de l'électricité distribuée ; 81 millions d'euros pour la sécurisation des réseaux, afin de prévenir les intempéries ; 55,5 millions d'euros pour l'enfouissement, pas uniquement pour des raisons esthétiques car en zone de montagne il y va aussi de la sécurité et de la fiabilité. Enfin, 47 millions d'euros sont destinés à l'extension des réseaux - ce qui est insuffisant pour répondre à la demande. Le renforcement et la sécurisation doivent demeurer prioritaires mais il faut réviser à la hausse la part des travaux d'extension et d'enfouissement, afin d'utiliser tous les crédits disponibles.

Les dysfonctionnements observés en 2014 et 2015 ne doivent plus se reproduire. De très importants retards de paiement ont mis en difficulté nombre de syndicats. Après les problèmes de paiement rencontrés en 2012 - après la réforme du Facé - la situation s'était améliorée en 2013, mais le déménagement du siège en 2014 s'est accompagné du départ de certains agents mis à disposition par ERDF. Il en est résulté de graves problèmes d'organisation. Dans l'Ardèche, la situation s'est améliorée, mais d'autres départements rencontrent encore des problèmes pour percevoir les sommes qui leur sont dues au titre de travaux achevés. Or seulement 10 % des crédits sont débloqués en début de chantier...

Il faudrait peut-être s'orienter vers une gestion en régie du Facé afin de garantir le bon fonctionnement de ce compte spécial et réduire les délais de paiement. Les chefs d'entreprise ardéchois apprécient que les syndicats d'électrification leur donnent du travail.

Je vous propose l'adoption, sans modification, des crédits pour 2016 du compte d'affectation spéciale du Facé - qui est un bel instrument de solidarité et d'aménagement des territoires, sous réserve que son fonctionnement s'améliore. Si tel n'était pas le cas, mon avis serait beaucoup plus réservé l'année prochaine.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je partage les propos qui viennent d'être tenus. Quel est le surcoût de l'enfouissement par rapport à des travaux sur les réseaux aériens ? La priorité est-elle le remplacement des fils nus par des fils torsadés ou l'enfouissement ?

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Les chiffres pour 2016 sont identiques à ceux de 2015, à savoir 55,5 millions d'euros pour l'enfouissement, 39 millions d'euros pour les mises en sécurité, 42 millions d'euros pour le remplacement des fils nus etc. Pour combattre les intempéries, seuls 500 000 euros sont prévus, ce qui est peut-être insuffisant.

M. Michel Bouvard. - Après les élections municipales, les préfets ont pris des arrêtés pour reclasser certaines communes rurales en zones urbaines et inversement. La sécurisation et le renforcement des réseaux sont plus complexes à gérer dans les zones de montagne. Or, compte tenu des densités, des communes rurales de montagne vont passer dans la catégorie urbaine, sans que les caractéristiques des réseaux aient changé. Ne conviendrait-il pas de prendre en compte la loi montagne de 1985 et d'adapter les règlements à la réalité des territoires montagnards ?

M. Daniel Raoul. - La sécurité n'est pas le seul motif de l'enfouissement des lignes : la protection contre les champs magnétiques doit également être prise en compte. Je vous invite à relire mon rapport de juin 2014, sur la proposition de loi relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques. Il traitait, en effet, de cette question.

M. Jean-Claude Requier. - Je rappelle que le Facé, excellent outil de péréquation et d'aménagement du territoire, a été créé en 1936 par Paul Ramadier, député socialiste de l'Aveyron et alors sous-secrétaire d'État aux mines, à l'électricité et aux combustibles liquides. Il a créé ce fonds car les grandes agglomérations étaient desservies par des régies alors que les campagnes ne l'étaient pas. La taxe, cinq fois supérieure dans les zones urbaines à ce qu'elle était dans le monde rural, a permis d'équiper les campagnes. Comme notre rapporteur spécial, je regrette que ce schéma n'ait pas été repris pour le numérique.

Je ne sais quelle mouche a piqué le ministère ou EDF mais en 2012, le Facé a été déstabilisé, alors qu'il fonctionnait très bien. Je regrette que l'on ne dispose plus des mêmes crédits pour le renforcement et l'extension des réseaux. À l'époque, la fongibilité des crédits nous donnait une plus grande liberté. Je me réjouis de l'accent mis sur la sécurisation des fils nus. Je voterai bien évidemment ce budget.

Mme Michèle André, présidente. - Merci de nous rappeler régulièrement des morceaux de notre histoire, qui vont de Joseph Caillaux à Paul Ramadier.

M. Michel Berson. - Nous en sommes les héritiers !

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Je rappelle régulièrement que le Facé a été créé en 1936 et qu'à l'époque, la solidarité à l'égard du monde rural n'était pas un vain mot. Que nos dirigeants actuels ou futurs en prennent de la graine...

La modification des critères du Facé a pu poser des problèmes, monsieur Bouvard. Dans l'Ardèche, les choses se sont plutôt bien passées avec le préfet mais des communes rurales dont les réseaux étaient parfaits ont été transférées en zone urbaine, et nous avons récupéré des communes précédemment classées urbaines dont les réseaux étaient médiocres. Au total, 700 communes rurales sont passées à l'urbain et 200 communes urbaines sont passées en zone rurale. Certes, il faudrait prendre en compte les spécificités des zones de montagne. Dans ma petite commune où les lignes sont enfouies, nous ne rencontrons plus de problèmes.

Je précise que l'arrêté du 27 mars 2013 prévoit une formule de lissage pour atténuer les variations des droits à subvention d'une année sur l'autre. Les enveloppes des syndicats concernés ne devraient donc pas diminuer brutalement.

Enfin, j'ajoute que la réforme du Facé conduite en 2012 a eu un avantage : celui de donner au Parlement un contrôle sur l'exécution de ce fonds.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption sans modification des crédits du compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ».

Loi de finances pour 2016 - Mission « Politique des territoires » - Examen du rapport spécial

La commission procède ensuite à l'examen du rapport de MM. Bernard Delcros et Daniel Raoul, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Politique des territoires ».

Mme Michèle André, présidente. - Nous accueillons Mme Annie Guillemot, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Et je précise que M. Bernard Delcros est pour la première année rapporteur spécial sur cette mission.

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - La mission « Politique des territoires » conserve en 2016 un périmètre identique à celui de 2015 avec trois programmes : le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » (Picpat), le programme 162 « Interventions territoriales de l'État » (Pite) et le programme 147 « Politique de la ville », rattaché à cette mission en 2015, et que présentera Daniel Raoul. Pour cette mission, 674 millions d'euros sont inscrits en autorisations d'engagement, soit une baisse de 2,75 % et 718 millions d'euros en crédits de paiement, soit une baisse de 3,75 %.

Le programme Picpat est doté de 215 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 254 millions d'euros en crédits de paiement, soit une stabilité des premières et une baisse de 4 % des seconds. Il retrace les moyens mis à la disposition du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), issu de la fusion entre la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), le Secrétariat général du comité interministériel des villes et l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé). Les actions prévues pour 2016 s'inscrivent dans la continuité de celles engagées précédemment, comme la prime d'aménagement du territoire (PAT), les pôles d'excellence rurale, les maisons de santé pluridisciplinaires, les maisons de service au public, la revitalisation des centres-bourgs, le plan d'accompagnement du redéploiement des armées ou, encore, les contrats de plan État région (CPER), avec la montée en charge des contrats de nouvelle génération 2015-2020.

Le programme Pite qui relève du Premier ministre et qui est confié à la gestion du ministre de l'intérieur est doté de 22 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 26 millions d'euros en crédits de paiement, soit une baisse respective de 25 % et 22 %. Il correspond à quatre actions interministérielles de portée régionale : la qualité de l'eau en Bretagne, le plan d'investissement en Corse, l'écologie du marais poitevin et le plan en faveur de la Guadeloupe et de la Martinique.

La mission se trouve au coeur de la politique transversale d'aménagement du territoire : les trois programmes ne représentent que 12 % des crédits affectés à cette politique, éclatée en quatorze missions et trente programmes budgétaires. Nous y perdons en lisibilité, en cohérence : il conviendrait d'améliorer la maquette budgétaire. L'année dernière, trois structures avaient été regroupées au sein du CGET et la politique de la ville avait été rattachée à cette mission. Cet effort de rationalisation a fait long feu puisque le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) ou Comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires (CIACT) a été remplacé par deux comités interministériels, l'un à l'égalité et à la citoyenneté, qui rappelle le comité interministériel à la ville, et l'autre aux ruralités. Pourquoi ne pas regrouper cette mission avec celle consacrée à l'égalité des territoires et au logement ? Plus généralement, nous souffrons de l'absence de politique contractuelle en faveur de la ruralité. Nous avons su la mettre en place pour la ville, mais en dépit de la création des pôles d'équilibres territoriaux ruraux, la dynamique territoriale fait défaut dans les secteurs ruraux en difficulté. Je présenterai donc demain une proposition de loi afin d'optimiser les crédits disponibles grâce à la contractualisation.

Les vingt-deux dépenses fiscales rattachées au Picpat représentent 442 millions d'euros soit plus que le total des crédits budgétaires : un meilleur ciblage des zones fragiles devrait être possible. Je regrette que nous n'ayons aucune information sur la mise en oeuvre de la réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR).

Plusieurs actions sont en voie d'extinction. Il n'est plus possible d'accéder au Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) pour réaliser des maisons de santé pluridisciplinaires, pourtant indispensables au maintien d'une offre de soins de premier recours en milieu rural.

Je constate avec satisfaction que le programme 112 intègre les crédits nécessaires à la construction mais aussi au fonctionnement des maisons de services au public, avec 7,2 millions d'euros en autorisations d'engagement et 7,6 millions d'euros en crédits de paiement. En revanche, je ne trouve pas dans le programme 112 les 300 millions d'euros annoncés pour la deuxième génération des programmes de revitalisation des centres-bourgs et des petites villes, alors que la première génération, qui avait fait l'objet d'un appel à projet, y figurait. Où faut-il chercher ces 300 millions d'euros ?

Dernière observation : les crédits réservés à la politique d'aménagement du territoire diminuent de 10 %, passant de 6 à 5,4 milliards d'euros en 2016. Cela s'ajoute à la diminution des dotations aux collectivités territoriales. C'est pourquoi je vous propose de ne pas adopter les crédits de la mission.

M. Daniel Raoul, rapporteur spécial. - Le programme 147 « Politique de la ville » figure, depuis la loi de finances pour 2015, dans la mission « Politique des territoires » et non plus dans la mission « Égalité des territoires et logement », conséquence de la création du CGET. Je trouve dommage que les problématiques de la politique de la ville, notamment s'agissant de la rénovation urbaine, soient ainsi curieusement déconnectées de celles du logement.

Afin de tenir compte des mesures décidées en mars 2015 par le Comité interministériel pour l'égalité et la citoyenneté, le programme 147 bénéficie d'un budget conforté qui s'appuie sur la nouvelle géographie prioritaire issue de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, avec 1 500 quartiers prioritaires et 100 zones franches urbaines-territoires entrepreneurs (ZFU-territoires entrepreneurs). À cela s'ajoute d'ailleurs l'agence de développement économique France Entrepreneur lancée hier à La Courneuve par le Président de la République.

Les crédits d'intervention de la politique de la ville sont ainsi renforcés, avec 347 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement pour les actions territorialisées et les dispositifs spécifiques de la politique de la ville relevant de l'action 01 du programme, soit 15 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2015.

L'établissement public d'insertion de la défense (EPIDe) bénéficiera également d'une dotation de fonctionnement majorée de 3,9 millions d'euros, pour atteindre 26 millions d'euros, afin d'augmenter le nombre de places dans cet organisme.

Ainsi, l'ensemble des mesures décidées par le Comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté devraient être financées par une enveloppe globale de 55 millions d'euros, selon les annonces du ministère chargé de la ville, dont 18,5 millions d'euros inscrits en loi de finances initiale, le solde devant provenir d'un dégel de crédits en cours d'exercice. Dès 2015, le programme 147 a bénéficié d'un dégel de 31,7 millions d'euros à cette fin.

Globalement, les crédits du programme 147 diminuent de 2,6 % en autorisations d'engagement et de 2,7 % en crédits de paiement, pour atteindre respectivement 437 millions d'euros et 438 millions d'euros. Cette baisse s'explique principalement par la mise en extinction progressive du dispositif d'exonération de charges sociales dans les ZFU, qui n'a pas été une réussite par rapport aux objectifs poursuivis, reconnaissons-le. Il a créé des effets d'aubaine sans améliorer la mixité fonctionnelle que j'appelle de mes voeux.

Les dépenses fiscales rattachées au programme (367 millions d'euros en 2016) ont été redéfinies en loi de finances initiale pour 2015 et dans la seconde loi de finances rectificative pour 2014 : elles visent à assurer, dans les quartiers concernés, une mixité à la fois sociale et fonctionnelle à laquelle je suis particulièrement attaché. Dans les programmes de rénovation urbaine, il est clairement prévu d'attirer les entreprises et les services et pas seulement de construire des logements. L'application de la TVA à taux réduit pour l'accession sociale à la propriété a été étendue à l'ensemble des quartiers prioritaires de la politique de la ville alors qu'elle ne visait auparavant que les « quartiers Anru », c'est-à-dire les quartiers couverts par une convention de rénovation urbaine dans le cadre du programme national de rénovation urbaine (PNRU).

Les crédits de droit commun se monteront pour l'État à 4,2 milliards d'euros de crédits de paiement pour les programmes budgétaires disposant d'une évaluation chiffrée. Leur mobilisation doit désormais se concrétiser localement dans les contrats de ville en cours de signature - au 1er septembre dernier, 73 % d'entre eux étaient signés. De nombreuses mesures en faveur des habitants des quartiers prioritaires, en termes de développement économique et d'emploi, de santé ou de rénovation urbaine sont par ailleurs prévus par le comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté.

Le financement de la rénovation urbaine est intégralement assuré par des crédits extrabudgétaires depuis plusieurs années. Trois conventions ont permis, au cours des derniers mois, de fixer les ressources pour couvrir à la fois la fin du PNRU, dont les engagements s'arrêtent à la fin de cette année, et le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) pour 2014-2019. La convention pluriannuelle du 2 décembre 2014, conclue entre l'État et Action Logement, a ainsi été doublée par deux conventions conclues par les mêmes protagonistes et l'Anru : l'une du 14 avril 2015, fixant les modalités de financement du PNRU, l'autre signée le 2 octobre pour le NPNRU. Ce dernier disposera de concours financiers à hauteur de 6,4 milliards d'euros, correspondant à 5 milliards d'euros d'équivalents-subventions. Action Logement est le principal « sponsor » de ce programme puisqu'il en financera l'essentiel, avec 3,2 milliards de subventions et 2,2 milliards de prêts bonifiés pour un équivalent subvention de 800 000 euros. Le reste du financement sera assuré par 400 000 euros de la caisse de garantie des logements locatifs sociaux et 600 000 euros de reliquat attendu au titre du PNRU qui proviendront d'ailleurs eux-mêmes largement de la contribution d'Action Logement au titre de ce programme.

Je me félicite que l'équilibre financier du NPNRU soit donc assuré. Il repose toutefois sur l'hypothèse d'un report de 600 millions d'euros du PNRU dont la concrétisation s'avère désormais indispensable. En outre, le niveau de trésorerie dont dispose l'Anru se réduit d'année en année et cette tendance devrait se confirmer pour l'avenir. Pour pallier d'éventuelles difficultés de trésorerie, la convention du 2 octobre prévoit à la fois la possibilité pour Action Logement d'apporter des compléments de trésorerie, pour un montant total de 100 millions d'euros sur la période 2015 à 2019, et un système de préfinancement de 1 milliard d'euros sous forme d'un prêt de la Caisse des dépôts et consignations.

Tout en se réjouissant que le financement de la rénovation urbaine soit prévu jusqu'en 2019, Action Logement s'étant même engagé à verser, après cette date, 500 millions d'euros jusqu'en 2031, la situation financière de l'Anru reste fragile. Un pilotage fin de la mise en oeuvre des programmes et des capacités financières de l'agence devra donc être assuré. Le directeur que nous avons auditionné est apparu confiant, notamment grâce à l'éventuel recours au prêt de la Caisse des dépôts et consignations.

Compte tenu de ces éléments, je vous propose d'adopter les crédits consacrés à la politique de la ville.

Mme Annie Guillemot, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Comme l'a dit votre rapporteur spécial, le budget de ce programme 147 s'accroît de plus de 4 %. En outre, je me félicite que les crédits de l'EPIDe, qui porte un programme qui fonctionne bien, augmentent de 17 % afin d'accueillir 1 000 jeunes supplémentaires.

Le financement du NPNRU est assuré avec la contribution d'Action logement et facilité par le prêt de la Caisse des dépôts et consignations. Mais beaucoup de territoires sont en attente et les programmes ne progressent pas assez vite. Or à cela va s'ajouter l'évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et de la dotation de solidarité urbaine (DSU). Comment cela va-t-il toucher nos territoires ?

M. François Patriat. - Il y a quelques années, les maisons de l'emploi avaient suscité l'engouement, avant de tomber dans l'oubli. Les maisons de services au public sont-elles vraiment efficaces ? Je les crois utiles. Mais dispose-t-on d'évaluations ?

Dans la réforme de l'attribution de la PAT, les grands groupes ont été écartés, semble-t-il. Dans ma région, Vallourec et Areva annoncent des plans de réduction des coûts : la politique d'aménagement du territoire sera-t-elle maintenue ?

Enfin, la région Bourgogne a participé à 10 % du financement des programmes de l'Anru dans le cadre du PNRU. Est-ce également prévu pour ce nouveau programme ?

M. Philippe Dallier. - Comme l'a dit Daniel Raoul, il est regrettable d'avoir séparé le programme relatif à la politique de la ville de la mission consacrée au logement. Je déplore l'instabilité du périmètre de ces missions.

Notre rapporteur spécial a évoqué les difficultés de trésorerie que l'Anru pourrait connaître : quels financements pourra-t-on débloquer quand la « bosse » des décaissements maintes fois évoquée se produira ? Quel sera le niveau de trésorerie le plus bas selon les projections ? De débudgétisation en débudgétisation, je regrette que nous soyons contraints d'avoir recours aux avances non seulement de la Caisse des dépôts et consignations mais aussi d'Action Logement après être allé chercher son financement. Il est très dommage de mettre des agences dont le travail est si essentiel dans des situations budgétaires aussi difficiles.

M. Jean-Claude Boulard. - Avec la débudgétisation de l'Anru, la politique de rénovation urbaine n'est plus financée par la solidarité nationale : désormais, c'est Action Logement qui est mise à contribution, ainsi que, ce qui est peut être encore plus étonnant, la Caisse de garantie du logement locatif social - les cotisations de cette caisse ont augmenté de 47 % en trois ans. Ce sont finalement les loyers des plus modestes d'entre nous qui financent l'Anru : quel paradoxe !

M. Marc Laménie. - Loin d'opposer le rural à l'urbain, l'aménagement du territoire se doit de rapprocher ces deux mondes. C'est pourquoi je regrette que les crédits de cette mission diminuent. La lisibilité des programmes n'est pas non plus optimale...

M. Éric Doligé. - Notre collègue Daniel Raoul écrit dans son rapport que « le budget est conforté, malgré une baisse optique des crédits ». Parallèlement, Bernard Delcros a relevé que, globalement, les crédits consacrés à l'aménagement du territoire reculent de 6 à 5,4 milliards d'euros. S'agit-il d'une baisse optique ou réelle ? Que pensent les représentants du ministère de cette réduction ?

Mme Fabienne Keller. - Quelles sont les prévisions de trésorerie de l'Anru ? Il serait dommage pour les quartiers que les programmes de l'Anru ralentissent. Il n'est pas acceptable de prévoir une recette temporaire de 1 milliard d'euros fournie par la Caisse des dépôts et consignations, pour financer des dépenses structurelles et structurantes. L'Anru est stratégique pour les quartiers les plus fragiles de notre pays.

M. François Marc. - Vous proposez le rejet des crédits, mais quelles sont vos propositions ? Il existe vingt-deux dépenses fiscales pour un total de 442 millions d'euros, montant nettement supérieur aux crédits budgétaires et vous proposez de les recentrer. Lesquelles connaissent une progression dynamique ? Lesquelles voulez-vous supprimer, et sur quels territoires ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je rejoins les conclusions de Bernard Delcros : la politique de l'aménagement du territoire est dispersée, peu visible et le décalage est important entre l'ambition affichée et les moyens : que dire ainsi des 6 millions d'euros pour la revitalisation des centres-bourgs ou des 2 millions d'euros pour les maisons de santé ?

Mme Marie-France Beaufils. - Je partage les propos de Jean-Claude Boulard sur le financement de la politique de renouvellement urbain. Je m'inquiète pour les quartiers classés d'intérêt régional et surtout pour ceux mis en veille, alors qu'ils auraient grand besoin d'être aidés. Dans une ville qui s'est efforcée de disperser son parc social sur tout son territoire, plus aucun site n'est éligible à la rénovation.

Pour les contrats de ville, vous dites que les crédits de droit commun y seront mobilisés, mais cela semble un peu difficile... Nous venons de signer un contrat de ville dans mon agglomération : les collectivités mettent de plus en plus la main à la poche tandis que l'apport de l'État est modeste.

M. Michel Bouvard. - L'an dernier, le Gouvernement nous avait promis la révision de la carte des ZRR. Or nous ne voyons rien venir et ne savons toujours pas quels seront les critères retenus.

Dans les commissariats de massif de montagne, les crédits manquent, les moyens humains également, plusieurs postes restent vacants, alors que nous allons devoir mettre en oeuvre le volet montagne des contrats de plan État-région mais aussi les programmes de coopération européens.

La situation actuelle n'est pas récente : en 2012, on demandait déjà à la Caisse des dépôts et consignations de verser 200 millions d'euros à l'Anru, alors que rien de ce type n'était prévu dans la convention entre la Caisse des dépôts et consignations et l'agence. La Cour des comptes a rendu un rapport en 2014 sur l'Anru, observant des ressources moins diversifiées et plus fragiles qu'à l'époque de sa création. En outre, la Cour des comptes soulignait son niveau de dépendance à Action Logement. N'ayant pas mené les réformes de fond et l'indispensable « opération vérité » sur les comptes de l'Anru, nous voyons se profiler l'impasse de trésorerie, malgré le prêt relais de la Caisse des dépôts et consignations. Nous dépensons par anticipation de l'argent gagé sur des recettes futures qui sont d'ailleurs liées à l'évolution de la masse salariale des entreprises qui cotisent à Action logement... Ce n'est pas satisfaisant. Et ce n'est pas ainsi que nous financerons les dépenses sur une longue durée. Nous devons lancer « l'opération vérité » que les gouvernements repoussent depuis des années. Sinon, nous connaîtrons une impasse de trésorerie - et une difficulté à rembourser le prêt le moment venu.

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - Les maisons de services sont particulièrement utiles à la réorganisation des territoires ruraux. Il reste bien difficile de les faire vivre et de les animer. Dans mon territoire de 6 000 habitants et treize communes, nous avons trente-cinq maisons de services, les premières ouvertes il y a dix ans. On recense 1 800 visites avec autant de prestations d'accompagnement. Si le dispositif fonctionne bien, c'est au prix d'un gros travail pour faire vivre les maisons de service. Le comité interministériel a décidé d'attribuer une partie des financements à leur fonctionnement. C'est une bonne décision.

Quant à la prime d'aménagement du territoire, elle a été modifiée après la mise en place du nouveau zonage des aides à finalité régionale (AFR), pour tenir compte des réglementations européennes et du recentrage des aides aux petites entreprises. Les crédits ont diminué de 30 à 25 millions d'euros. En théorie, les primes devraient courir jusqu'en 2020.

Je croyais naïvement que la politique des territoires couvrait l'essentiel des mesures prises en matière d'aménagement du territoire. Ce n'est pas le cas. D'où l'intérêt d'avoir créé l'an dernier le CGET et d'avoir rattaché ensemble politique de la ville et politique des territoires. On recense trente programmes et quatorze missions. On gagnerait en efficacité à tout regrouper dans une seule grande mission d'aménagement du territoire.

La baisse des crédits est réelle : sur les quatorze missions, on est passé de 6 milliards d'euros en 2015 à 5,4 en 2016, même en intégrant le milliard annoncé par le Comité ministériel à la ruralité. Sur les 440 millions d'euros que coûtent les niches fiscales, plus de 200 millions d'euros sont des avantages fiscaux en Corse, et 120 millions d'euros sont liés aux ZRR.

Le zonage actuel ne correspond plus à la réalité des territoires et devrait être recentré sur les plus fragiles d'entre eux qui souffrent déjà de la baisse des dotations de l'État. La réforme des ZRR est engagée ; le mécanisme s'adresse désormais aux intercommunalités et non plus aux communes. Les nouvelles intercommunalités devront selon moi être sollicitées. Comment, en effet, fonder un zonage ZRR sur des intercommunalités destinées à changer dans un an ? Il faudrait avoir un peu plus de visibilité en termes de calendrier. Les critères pourraient être recentrés sur la densité de population et le revenu par habitant.

Enfin, en ce qui concerne les moyens donnés aux commissariats de massif, je peux préciser que le CGET perd globalement neuf emplois en 2016.

M. Daniel Raoul, rapporteur spécial. - En réponse à Annie Guillemot, le prêt de 1 milliard d'euros devrait justement permettre d'avancer le lancement du nouveau programme, en particulier pour certaines opérations de démolitions-reconstructions.

M. Michel Bouvard. - Recycle-t-il les 500 millions d'euros du prêt préexistant ?

M. Daniel Raoul, rapporteur spécial. - Nous regarderons cette question du recyclage. Monsieur Dallier, il n'y a pas eu, jusqu'à présent, de bosse de décaissement, contrairement à ce qu'on imaginait, elle a été lissée sur plusieurs années pour le PNRU. Les 600 millions d'euros ne seront pas forcément décaissés et seront utilisés pour le NPNRU. Certains programmes ont été abandonnés... malgré parfois des avances versées. Nous en saurons plus à la fin de l'année. La trésorerie devrait être positive de plus de 100 millions d'euros. Monsieur Boulard, on peut discuter à l'infini sur l'avantage d'une convention avec un principal sponsor. L'Anru ne sert que de boîte aux lettres lorsque ses programmes sont alimentés par des crédits d'Action Logement qui sont redistribués en prêts. En tout état de cause, une convention tripartite donne plus de visibilité que des crédits budgétaires attribués tous les ans.

Pour répondre à François Patriat, on attend un effet de levier de un à quatre sur l'Anru. C'est effectivement un appel à la participation des collectivités territoriales. Madame Keller, le financement de la trésorerie est assuré par la convention tripartite signée le 2 octobre dernier. La seule difficulté reste de savoir si les 600 millions d'euros seront bien disponibles. Madame Beaufils, les crédits de droit commun avaient tendance à diminuer, notamment dans les zones urbaines sensibles (ZUS). Les ministères étaient ainsi tentés de baisser leurs dotations, sachant que la politique de la ville intervenait. Désormais, les crédits de droit commun doivent être effectivement inscrits dans les contrats de ville et des conventions interministérielles ont été conclues. Enfin, Monsieur Doligé, la politique de la ville a bénéficié d'une augmentation de crédits de 4,6 % pour les actions territorialisées, et la baisse globale du programme est principalement due à la fin des exonérations de charges sociales dans les ZFU. Tout cela est indiqué dans le rapport.

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - On m'informe que le CGET vient de demander officiellement au Gouvernement d'affecter 300 millions d'euros, sur le milliard d'euros consacré à la ruralité, au programme 112 de notre mission.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Politique des territoires ».

Loi de finances pour 2016 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport spécial

Puis la commission examine le rapport de MM. Nuihau Laurey et Georges Patient, rapporteurs spéciaux sur la mission « Outre-mer ».

Mme Michèle André, présidente. - Nous examinons à présent le rapport sur les crédits de la mission « Outre-mer », qui est le premier pour notre collègue Nuihau Laurey.

M. Nuihau Laurey, rapporteur spécial. - La mission « Outre-mer » concerne douze territoires situés dans le Pacifique, dans l'Atlantique, dans la mer des Caraïbes, dans l'océan indien et en Amérique du Sud. Cette présence constitue un héritage de l'histoire. Elle est aussi un atout en termes de rayonnement extérieur de la France, qui dispose de la seconde zone économique exclusive derrière les États-Unis.

Pourtant, leur éloignement, leur éclatement géographique, leurs faibles populations disséminées sur de nombreuses îles ou archipels, le caractère limité de leurs marchés locaux, l'obligation de multiplier des équipements coûteux pour assurer les services publics minimums et l'impossibilité de mutualiser les coûts rendent les conditions de vie plus difficiles dans ces territoires. Le développement économique et social varie d'un territoire à l'autre, avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant de 6 500 euros pour Mayotte et 28 300 euros pour Saint-Pierre-et-Miquelon contre 31 400 euros en moyenne nationale. En outre, notre pays est classé à la vingtième position en termes de développement humain, le dernier département d'outre-mer se situe à la 104place.

Le budget alloué à la mission « Outre-mer » est un budget d'intervention qui vise à combler ces handicaps. Pour l'exercice 2016, les autorisations d'engagement diminueront de 3,1 %, alors que les crédits de paiement progresseront de 0,3 %. Le programme 138 « Emploi outre-mer », qui mobilise les deux-tiers des crédits de la mission, verra ses autorisations d'engagement diminuer de 2,2 % et ses crédits de paiement de 1,3 %. Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui représente un tiers des dépenses de la mission, verra ses crédits de paiement progresser de 2,7 %.

Permettez-moi de vous présenter les principales évolutions prévues dans le cadre du projet de loi de finances 2016.

Tout d'abord, la réforme du dispositif des exonérations de charges sociales sera poursuivie, après une première réforme intervenue en 2014 visant à recentrer ce dispositif sur les bas salaires.

Par ailleurs, si le plan logement outre-mer 2015-2020 prévoit la construction ou la réhabilitation de 10 000 logements par an, une diminution des crédits de paiement consacrés à la ligne budgétaire unique (LBU). Cette baisse ne permettra pas d'apurer la dette importante vis-à-vis des bailleurs sociaux.

Les crédits dévolus aux nouveaux contrats de plan État-région ou aux nouveaux contrats de projets ou de développement pour les collectivités d'outre-mer s'élèveront à 137 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une quasi stabilisation par rapport à 2015, et à 161 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de près de 4 % en 2016.

Les crédits en faveur de la cohésion sociale augmenteront de 12 millions d'euros du fait de la participation temporaire de l'État au financement du régime de solidarité de la Polynésie française.

Enfin, l'objectif fixé par le président de la République de doter le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) de 500 millions d'euros d'ici 2017 ne pourra pas être atteint. Au mois de septembre dernier, nous avons effectué avec Georges Patient un contrôle budgétaire à La Réunion qui nous a convaincus de l'utilité de ce dispositif, dont l'effet de levier est considérable.

La défiscalisation constitue le principal levier d'investissement en faveur du développement économique des outre-mer, avec une dépense fiscale de 3,8 milliards d'euros, en légère hausse par rapport à 2015. Le choix du Gouvernement d'aménager le terme des différents dispositifs de défiscalisation a fait l'objet de multiples critiques. Les acteurs économiques auraient préféré une prorogation, ce qui aurait favorisé l'investissement privé indispensable à la création d'emplois. Nous avons cependant pris bonne note de la volonté du Gouvernement de lancer dès le premier semestre 2016 une réflexion sur les modalités de maintien et de réforme de ces dispositifs après 2017.

Je rappelle que la défiscalisation constitue un levier important pour l'investissement privé outre-mer, comme l'ont souligné nos collègues Éric Doligé et Serge Larcher dans un rapport de 2013.

En conclusion, compte tenu des engagements du Gouvernement concernant la prorogation des dispositifs de défiscalisation, le maintien de certaines dotations aux collectivités, je pense notamment à la dotation globale d'autonomie en Polynésie, et surtout de la relative stabilité des crédits dans un contexte budgétaire contraint, je vous propose l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Les crédits de la mission « Outre-mer » ont un impact sur le quotidien de plus de trois millions d'ultramarins. Les écarts se creusent avec la métropole. Le PIB par habitant outre-mer est inférieur de plus de 40 % à celui de l'hexagone, le taux de chômage atteint plus de 50 % chez les jeunes, le taux de pauvreté est trois fois plus élevé qu'en métropole, sans parler de l'augmentation de la mortalité infantile et des retards en matière d'éducation.

Ainsi, le budget qui nous est présenté demeure très en deçà des besoins. En 2016, la mission « Outre-mer » sera dotée de 2,08 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 2,06 milliards en crédits de paiement. Elle participera donc de manière substantielle à l'effort de maîtrise des dépenses publiques, puisque le montant des crédits de paiement sera inférieur de 44 millions d'euros au plafond triennal fixé pour 2016 par la loi de programmation des finances publiques.

Les économies résulteront pour l'essentiel d'une nouvelle réforme des exonérations de charges. Dans un contexte de persistance d'un fort taux de chômage outre-mer, cette réforme ne me semble pas pertinente. Si cette mesure devrait être compensée par la montée en charge des dispositifs prévus dans le cadre du pacte de stabilité et de sa déclinaison pour l'outre-mer, il me semble que le choix de la stabilité aurait été préférable.

L'objectif de 10 000 logements construits ou réhabilités par an est louable, mais on peine à voir quelle en sera la traduction budgétaire pour 2016. À cela s'ajoute la question de la répartition entre les collectivités : on constate des sous-consommations dans certains territoires et de grandes tensions dans d'autres...

Je regrette également la baisse des dotations spécifiques qui financent des investissements importants en matière d'infrastructures scolaires en Guyane et à Mayotte, et sont indispensables pour le fonctionnement de la collectivité de Polynésie.

Cependant, on ne peut que se féliciter de la stabilisation des crédits de paiement consacrés au service militaire adapté (SMA), dont les résultats sont extrêmement positifs en matière d'insertion professionnelle. 6 000 volontaires seront ainsi accueillis d'ici la fin de l'année 2017.

Par ailleurs, la stabilisation des autorisations d'engagement et l'augmentation des crédits de paiement devraient accompagner la montée en puissance d'une nouvelle « génération » de contrats.

Enfin, les moyens de la formation en mobilité sont en augmentation, ce qui élargira l'accès des étudiants et des salariés ultramarins à des formations qui ne sont pas dispensées dans leur territoire.

Sans être suffisant, ce budget préserve donc l'essentiel. Par conséquent, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Outre-mer » sans modification.

M. Vincent Delahaye. - Les restes à payer sont énormes : 1,64 milliard d'euros à la fin 2014. Avez-vous pu les analyser ? Sur quoi portent-ils ?

M. Georges Patient. - Ils résultent d'impayés au titre d'opérations réalisées dans le cadre de la ligne budgétaire unique et des opérations contractuelles. Il existe également une « dette » vis-à-vis des organismes de logement social.

M. Vincent Delahaye. - Des dépenses de fonctionnement ou des engagements sur des investissements ?

M. Georges Patient. - Nous avons prévu de faire porter notre prochain contrôle sur ces différentes questions qui méritent en effet d'être approfondies.

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption sans modification des crédits de la mission « Outre-mer ».

Loi de finances pour 2016 - Mission « Engagements financiers de l'État », comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et compte d'affectation spéciale « Participations de la France au désendettement de la Grèce » - Examen du rapport spécial

La commission procède enfin à l'examen du rapport de M. Serge Dassault, rapporteur spécial, sur la mission « Engagements financiers de l'État », les comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et le compte d'affectation spéciale « Participations de la France au désendettement de la Grèce ».

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - En tant que rapporteur de la mission « Engagements financiers de l'État », je vous ferai brièvement part de mes observations sur la situation de nos finances publiques avant de vous exposer un certain nombre de pistes qui permettraient, selon moi, de contribuer à une véritable amélioration de notre situation économique et budgétaire.

Le Gouvernement prévoit une croissance de 1,1 % pour 2015 et de 1,6 % pour 2016. Si le Haut Conseil des finances publiques estime, dans son avis rendu le 30 septembre, que l'objectif du Gouvernement est crédible pour 2015, il considère en revanche, je le cite, que « compte tenu de l'accroissement des incertitudes depuis l'été, l'hypothèse d'une croissance de 1,5 % en 2016 ne peut plus être qualifiée de « prudente » ».

S'il l'estime néanmoins « atteignable », ce n'est pas grâce à la politique économique du Gouvernement, mais bien en raison d'un alignement des astres particulièrement favorable : baisse du prix du pétrole, euro faible, politique monétaire exceptionnellement accommodante.

En dépit de tous ces facteurs exogènes positifs, je pense pour ma part que le chiffre de 1,5 % de croissance demeure encore trop optimiste, tant notre économie peine à sortir de sa léthargie. Le contexte international pourrait en outre s'avérer moins porteur que prévu, avec le ralentissement économique des grands pays émergents, en particulier la Chine.

Le 18 septembre 2015, l'agence de notation Moody's a d'ailleurs procédé à une nouvelle dégradation de la note de la dette française, qui est passée de « Aa1 » avec perspective « négative » à « Aa2 » avec perspective « stable ». Elle s'est ainsi alignée sur les autres agences qui avaient dégradé la France au dernier trimestre 2014.

Pour justifier sa décision, l'agence a invoqué « la faiblesse continue » des perspectives de croissance française, faiblesse qui selon elle « devrait perdurer jusqu'à la fin de la décennie » et empêcher toute « réduction significative du fardeau de la dette ».

Cette anémie, selon l'agence, est principalement due aux « contraintes institutionnelles et politiques », ainsi qu'à la « rigidité du marché du travail », en grande partie responsable d'un taux de chômage élevé. Les chefs d'entreprise, sachant qu'ils ne pourront licencier, n'embauchent pas : je le sais bien, moi qui suis chef d'entreprise ! Il n'y a rien à espérer tant que la flexibilité de l'emploi, qui donne de bons résultats aux États-Unis, ne sera pas mise en place chez nous.

En maintenant dans le même temps toute leur confiance à l'Allemagne, qui bénéficie auprès de chacune d'entre elles de la note AAA, les agences de notation ont clairement marqué tout l'écart qui sépare aux yeux des investisseurs un pays capable de dégager un excédent budgétaire d'un pays incapable de s'attaquer sérieusement au redressement de ses finances publiques.

J'en viens au budget 2016 proprement dit.

À la fin août 2015, l'encours de la dette négociable de l'État s'élevait à 1 574 milliards d'euros en valeur actualisée. Selon le projet annuel de performances pour 2016, l'encours de la dette de l'État passera l'an prochain de 1 584 à 1 647 milliards, soit une augmentation de 3,9 %. Certes, la progression de l'encours ralentit par rapport au paroxysme de la crise économique et financière de 2008-2009. Cependant, entre la fin 2008 et la fin 2016, celui-ci aura augmenté de 630,5 milliards d'euros : 62 % !

À la fin août 2015, l'encours de la dette négociable de l'État s'élevait à 1 574,1 milliards d'euros en valeur actualisée. Selon le projet annuel de performances pour 2016, l'encours de la dette de l'État passera de 1 584,6 milliards d'euros fin 2015 à 1 647,1 milliards d'euros fin 2016, soit une augmentation de 3,9 %.

Certes, la progression de l'encours de la dette nominale ralentit par rapport au paroxysme de la crise économique et financière de 2008-2009.

Toutefois, je tiens à souligner qu'entre la fin 2008 et la fin 2016, l'encours de la dette de l'État devrait avoir augmenté de 630,5 milliards d'euros, soit une très forte hausse de 62 %.

Alors qu'il devrait s'attaquer frontalement à ce problème en réduisant massivement les dépenses publiques, le Gouvernement se limite à freiner leur croissance tendancielle, se résignant à maintenir un déficit quasiment inchangé en 2016 (72 milliards d'euros) par rapport à 2015 (73 milliards d'euros).

Notre besoin de financement atteindra 200,2 milliards d'euros, soit 4,3 % de plus qu'en 2015. Ce montant correspond au déficit budgétaire, soit 73 milliards d'euros, et au refinancement de 127 milliards d'euros de dette arrivant à échéance en 2016. Le besoin de financement sera couvert par un emprunt de 187 milliards d'euros. Le solde sera financé par 10,7 milliards d'euros de disponibilités du Trésor et 2 milliards d'euros de recettes de cession de participations de l'État.

La charge de la dette, qui représente 99 % des crédits de la mission que je vous présente aujourd'hui, pèsera une nouvelle fois très lourd dans le budget de notre pays, avec 44,5 milliards d'euros, soit 11,6 % des dépenses de l'État en 2016, en hausse de 2,1 milliards d'euros par rapport à 2015.

Elle constituera en termes de crédits de paiement le deuxième poste budgétaire de l'État après la mission « Enseignement scolaire », dotée de 48 milliards d'euros mais très loin devant la mission « Défense » (31,7 milliards d'euros) ou bien encore la mission « Recherche et l'enseignement supérieur » (25,9 milliards d'euros), qui constituent pourtant des priorités pour garantir, respectivement, notre sécurité et l'amélioration du taux de croissance potentielle de notre pays.

Les taux des obligations françaises sont restés historiquement bas en 2015, à court comme à moyen et long termes, ce qui a une nouvelle fois rendu indolore l'augmentation de l'encours de la dette de l'État.

Ce phénomène a été amplifié par l'annonce le 22 janvier 2015 puis par le lancement effectif le 9 mars 2015, par la Banque centrale européenne (BCE) de sa politique d'achats d'actifs du secteur public (Public Sector Purchase Programme) qui a conduit l'Eurosystème à acheter 60 milliards d'euros d'actifs d'États de la zone euro par mois dans le but d'amplifier la diminution des taux d'intérêt de long terme pour stimuler la croissance.

Cette situation exceptionnelle ne devrait plus durer longtemps. L'Agence France Trésor, dont j'ai entendu le directeur général, prévoit que les taux à 10 ans vont augmenter progressivement dans les mois qui viennent et pourraient atteindre 1,4 % fin 2015 puis 2,4 % fin 2016, en lien avec l'amélioration de la conjoncture économique.

En outre, une hausse imprévue de 100 points de base des taux d'intérêt sur l'ensemble de la courbe de la dette française provoquerait dès 2016 un alourdissement de la charge de la dette de 2,1 milliards d'euros, puis 4,8 milliards d'euros en 2017, 6,9 milliards d'euros en 2018, etc.

Le risque d'une remontée plus rapide que prévu des taux d'intérêt doit donc être pris au sérieux par le Gouvernement et conduire ce dernier à enfin adopter des mesures crédibles de réduction des dépenses de l'État, à même de rassurer les investisseurs et de restaurer notre crédibilité budgétaire.

Je vais vous faire maintenant quelques propositions dans ce sens.

D'abord, l'État devrait se doter de règles de bonne gestion budgétaire - autrement dit, appliquer la règle d'or, qui obligerait à présenter des budgets équilibrés. Il faudrait préparer les budgets avec une croissance prévisionnelle voisine de 0 %, ne réservant que de bonnes surprises. Il serait également bon de plafonner la dette, si possible via la Constitution, et d'éliminer drastiquement tous les dispositifs prévus dans le cadre du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité, qui ne sont pas financés. Il faudrait réaliser de véritables économies sur les dépenses sociales, en supprimant par exemple l'Aide médicale d'État aux étrangers ou le RSA, qui risquent d'exploser avec l'afflux des migrants sur notre territoire.

Le Gouvernement devrait aussi arrêter de fabriquer des fonctionnaires à vie, en embauchant des personnes que l'État devra ensuite payer pendant soixante ans ! Mieux vaudrait les embaucher pour quinze ans, puis les reconduire dans leur poste si l'on a besoin d'eux. De même les fonctions publiques territoriale et hospitalière se retrouvent en difficultés pour financer les agents depuis que les dotations sont en baisse. Appliquons la règle du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite !

Il est urgent de mener une vraie politique de croissance en réduisant les impôts des entreprises et des entrepreneurs. En taxant les riches, on fait fuir les investisseurs. Nous les jetons dehors !

Mme Michèle André, présidente. - Il en reste quelques-uns.

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Les jeunes, eux aussi, s'en vont. Ne restent que les fonctionnaires, les chômeurs et les retraités.

Il faudrait aussi supprimer les 35 heures qui paralysent notre économie, car elles coûtent 21 milliards d'euros à l'État sur un budget de 35 milliards d'euros consacré aux politiques de l'emploi.

Mme Michèle André, présidente. - Personne ne les a remises en cause...

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Enfin, on ne pourra pas équilibrer notre budget sans réformer notre système d'imposition en remplaçant l'impôt sur le revenu à taux progressif par un impôt proportionnel à taux fixe, payé par tous les contribuables, c'est-à-dire une Flat tax.

Ces réformes ne sont ni de droite, ni de gauche, ce sont des réformes de bon sens dans l'intérêt de la France.

Je vous propose cependant d'adopter les crédits de cette mission, car la France doit respecter ses engagements à l'égard de ses créanciers.

Mme Michèle André, présidente. - J'ai lu dans votre note de présentation que la direction générale du Trésor et la direction du budget avaient modifié certaines de leurs procédures pour tenir compte des recommandations formulées par notre ancien rapporteur spécial Jean-Claude Frécon dans son rapport de contrôle du compte de concours financiers « Avances aux services de l'État et aux organismes gérant des services publics » publié en 2014. Qu'en est-il exactement ?

M. Vincent Delahaye. - Vous annoncez une augmentation de la charge de la dette de 2,1 milliards en 2016. Pourtant, dans le document, on parle d'une charge de la dette de 44,5 milliards en 2016 contre 44,3 milliards l'an dernier, soit une augmentation de 200 millions.

J'avais déjà demandé un travail spécifique sur l'évolution de la dette, qui prenne en compte le déficit budgétaire de l'État, mais aussi d'autres éléments, comme la dotation au Mécanisme européen de stabilité. Un tableau d'ensemble année par année serait très utile.

M. Philippe Dominati. - La dette n'est pas nouvelle. Elle court depuis trente ou trente-cinq ans. C'est une dérive de long terme. Le plafond de la dette, en revanche, est une notion nouvelle. Dans certains pays, le Gouvernement a besoin de l'accord du Parlement pour dépasser ce plafond, comme aux États-Unis où le Congrès s'est réuni à trois reprises ces dernières années pour examiner une telle demande. La règle d'or dont on parlait tant au début du mandat présidentiel a disparu du débat politique. Comment faire pour fixer un plafond de la dette ? Faut-il qu'il corresponde à un pourcentage du PIB ? Notre ancien rapporteur général disait que la dette publique avait atteint un niveau insoutenable lorsqu'elle était à 80 % du PIB. On est désormais presque à 100 %.

M. Marc Laménie. - Dans un tableau que présente votre rapport, je lis que 100 millions d'euros sont inscrits au projet de loi de finances 2016 au titre du programme 344 « Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats structurés à risque ». Pourquoi ces crédits ont-ils doublé par rapport à l'année 2015 ?

M. Yannick Botrel. - Je lisais dans votre rapport que la dette de l'État était détenue à 64 % par des non-résidents. Quelle est la part, dans cette catégorie, des fonds souverains et celle des fonds privés ?

Mme Michèle André, présidente. - Petite précision : le plafond de la variation nette appréciée en fin d'année de la dette négociable de l'État d'une durée supérieure à un an est fixé à 60,5 milliards d'euros, ainsi qu'il est inscrit dans l'article d'équilibre qui est soumis à notre vote.

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Notre collègue Jean-Claude Frécon avait formulé dans son rapport deux recommandations destinées à améliorer la procédure d'octroi et de remboursement des avances du Trésor dans le cadre de ce compte de concours financiers.

Sa première recommandation portait sur la définition d'une doctrine d'octroi des avances. Cette doctrine a été déterminée par une circulaire commune de la direction générale du Trésor et de la direction du budget qui insiste notamment sur le caractère limitatif des crédits du compte de concours financiers, précise le taux dont sont assorties les avances et analyse leur procédure d'octroi.

La seconde recommandation portait sur l'amélioration du suivi de la gestion des avances du Trésor et proposait de renforcer le rôle de l'agence. Jusqu'ici l'AFT participait à l'instruction de toute nouvelle demande d'avance mais n'était pas consultée en cas de modification dans l'exécution de l'avance (notamment de modification de l'échéancier de remboursement) ; la circulaire du 27 juillet 2015 prévoit qu'elle sera désormais systématiquement consultée et que « toute modification du plan de remboursement initial doit être exceptionnelle et donner lieu à une saisine conjointe de l'AFT et de la direction du budget. »

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Le plafond de la dette qui existe aux États-Unis est très sérieux : M. Obama a dû demander au Congrès l'autorisation de le dépasser. Là-bas, quelqu'un contrôle... quant à nous, nous augmentons l'encours de notre dette de 60 à 80 milliards par an et personne ne s'en soucie ! Nous devrions instituer un plafond à 1 800 ou 1 900 milliards et nous y tenir. Sinon, jamais nous ne parviendrons pas à un déficit de 2,7 % du PIB en 2017...

M. Vincent Eblé. - Si !

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Le Gouvernement fait continuellement des fausses promesses. Il faudrait quelque chose qui l'engage, si possible inscrit dans la Constitution, sans quoi nous arriverons un jour à 3 000 milliards de dette !

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » ainsi que du compte d'affectation spéciale « Participations de la France au désendettement de la Grèce ».

La réunion est levée à 16 h 40.