Mercredi 7 octobre 2015

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures 30.

Audition de Mme Sophie Béjean, présidente du comité pour la Stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES), et M. Bertrand Monthubert, rapporteur général, sur leur rapport « Pour une société apprenante »

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous nous souvenons tous des débats de la loi enseignement supérieur et recherche (ESR) de juillet 2013 qui avaient beaucoup mobilisé notre commission et auxquels nous avions tous largement contribué. Son article 17 prévoit la définition d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES) ainsi que d'une stratégie nationale de recherche qui doivent être présentées sous la forme d'un livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche par le Gouvernement au Parlement tous les cinq ans. Sans attendre la publication et la remise officielle de ce livre blanc, il m'a paru intéressant que nous entendions, dès la publication de leur rapport final, Mme Sophie Béjean et M. Bertrand Monthubert, respectivement présidente et rapporteur général du comité de la StraNES.

Je souhaite qu'à travers cette audition, nous prenions tous conscience des enjeux qui seront ceux de notre système d'enseignement supérieur pour les dix prochaines années.

Mme Sophie Béjean, présidente du comité pour la Stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES). - Tout d'abord, je salue le travail parlementaire effectué lors de l'élaboration de la loi 22 juillet 2013, qui a décidé de l'élaboration de la StraNES.

C'est à ma connaissance la première fois que l'on s'interroge ainsi sur les missions et les objectifs de l'enseignement supérieur, ainsi que sur son rôle de préparer les étudiants à leur future vie civique et professionnelle.

Le comité de la StraNES a mené une concertation très large - 60 organismes et 165 personnes entendus, trois séminaires organisés - et saluée par l'ensemble des parties prenantes.

Nous vous proposons de centrer notre intervention sur trois questions principales :

- premièrement, la vision prospective que nous avons développée sur l'élévation des niveaux de qualification ;

- l'orientation vers les formations de l'enseignement supérieur et l'accès des étudiants à celles-ci ;

- enfin, le modèle économique pour l'enseignement supérieur, qui vise à développer ses ressources dans un contexte de démocratisation.

M. Bertrand Monthubert, rapporteur général du comité pour la Stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES). - Afin de mener à bien l'élévation générale du niveau de qualification que nous préconisons, nous proposons de fixer l'objectif suivant : d'ici 2025, atteindre 60 % de diplômés de l'enseignement supérieur dans une classe d'âge et 25 % au niveau du master.

Cette préconisation est le fruit d'un travail d'analyse fondé sur la détermination des besoins de la société. Nous avons constaté que certains pays ont d'ores et déjà atteint voire dépassé ce seuil, à l'instar de la Corée du Sud. L'obtention d'un diplôme de l'enseignement supérieur facilite également l'accès à l'emploi, particulièrement en temps de crise économique. Enfin, nous avons pris la mesure de l'automatisation croissante, qui concerne également les tâches intellectuelles et qui est particulièrement prégnante dans certains secteurs d'activité, comme le secteur bancaire, par exemple. Cette évolution a pour conséquences des restructurations en matière d'emploi ainsi que des déplacements majeurs en matière de qualifications. Lié à des besoins, l'objectif que nous proposons est ambitieux, il suppose un effort très important ; mais ne pas fixer d'objectif nous mènerait à la stagnation.

Cet objectif volontariste s'accompagne d'une autre priorité : la réduction des inégalités sociales. En effet, si 65 % des enfants de cadres sont diplômés du supérieur, cette proportion n'atteint que 28 % chez les enfants d'ouvriers, soit un écart de 37 points que nous souhaitons réduire de moitié en dix ans. C'est ce que nous appelons l'écart social de diplômation. L'élévation du niveau de qualification repose dès lors sur l'augmentation de l'accès à l'enseignement supérieur - et de la réussite - des étudiants issus de milieux défavorisés.

L'orientation dans les différentes filières de l'enseignement supérieur comporte aujourd'hui beaucoup de gâchis. Les orientations non choisies sont nombreuses et alimentent l'échec. Certes, 80 % des étudiants qui entrent dans l'enseignement supérieur en sortent diplômés (contre 68 % seulement en moyenne dans l'OCDE), mais leurs parcours sont souvent erratiques et difficiles. Si les priorités d'accès dans certaines filières instaurées par la loi du 22 juillet 2013 constituent un progrès, nous proposons des évolutions significatives. En conséquence, nous entendons organiser l'orientation selon le principe suivant : tout bachelier doit pouvoir accéder à l'enseignement supérieur, mais dans une filière où il a des chances de réussir.

La hausse du niveau de qualification doit également être qualitative ; il ne s'agit pas de faire fi des exigences. Augmenter le niveau de qualification ne répond pas à une volonté de distribuer des diplômes mais à un besoin réel de l'économie. Il faut également tenir compte du besoin de compétences. Nous devons aussi nous interroger sur ce que signifie étudier aujourd'hui, alors que le numérique a fondamentalement modifié la relation au savoir. Nous appelons à une évolution pédagogique majeure pour prendre en compte cette transformation et mettre l'accent sur le développement de compétences transversales - par exemple, par la mise en situation des étudiants, le travail en équipe, etc. Enfin, il faudra également se saisir des outils numériques dans l'enseignement supérieur, qui constituent de formidables leviers d'efficacité et d'innovation pédagogique.

Mme Sophie Béjean. - Suivant l'exemple des États-Unis ou de certains pays d'Europe du Nord, la France doit faire le pari de l'enseignement supérieur, sauf à risquer un décrochage au niveau international. Les formations doivent également se rénover, s'appuyer plus encore sur la recherche et permettre de développer des compétences transversales.

S'agissant du financement de cette politique d'enseignement supérieur, le comité de la StraNES préconise la fixation d'un objectif de 2 % du produit intérieur brut au niveau européen, l'effort de la France se situant aujourd'hui à 1,5 % de son produit intérieur brut.

N'oublions pas que l'investissement dans l'enseignement supérieur est rentable : le bénéfice net moyen d'un diplômé de l'enseignement supérieur est évalué à 80 000 dollars et, en moyenne, chaque euro investi dans une université rapporte quatre euros à l'économie. C'est pourquoi le comité de la StraNES a proposé que les dépenses publiques affectées à l'enseignement supérieur ne soient plus prises en compte dans le calcul du déficit public.

Les entreprises aussi sont bénéficiaires de notre effort en faveur de l'enseignement supérieur mais elles participent encore peu, en France, à son financement : les fondations ne font pas véritablement recette et les donations d'anciens diplômés sont encore rares. Notre comité a donc proposé que 25 % des fonds de la formation professionnelle puissent être orientés vers l'enseignement supérieur.

La France est caractérisée par le niveau très modique des frais d'inscription à l'université. Elle ne fait pas, en cela, figure d'exception puisque l'Allemagne et d'autres pays d'Europe du Nord n'ont pas, ou quasiment pas, de frais d'inscription. L'augmentation des ces droits nous semble une « fausse bonne idée » : l'expérience d'autres pays prouve que cette hausse conduit souvent à un effet d'éviction des fonds publics et que le financement des études par des prêts contractés par les étudiants pose in fine un problème de surendettement individuel et collectif. Considérons plutôt que les diplômés s'acquittent du financement de l'enseignement supérieur via leur impôt sur le revenu.

M. Jacques Grosperrin. - La professionnalisation des études de l'enseignement supérieur doit rester notre objectif principal : les formations proposées doivent répondre aux besoins de la société.

Plusieurs débats agitent le secteur de l'enseignement supérieur : la question des frais d'inscription que vous avez évoquée (une augmentation ne permettrait-elle pas de renforcer l'implication des étudiants dans le déroulement de leurs études ?), celle de la sélection à l'entrée en master, celle de la surpopulation étudiante ainsi que celle des bourses au mérite. Quelle est votre position sur ces différentes questions ?

Vous avez évoqué la possible réorientation des fonds de la formation professionnelle vers l'enseignement supérieur : pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Dominique Gillot. - Trois thématiques ont retenu plus particulièrement mon attention : celle de l'orientation personnalisée, celle de l'acquisition des compétences transversales et enfin celle de la réduction des inégalités sociales (et tout particulièrement de l'écart de diplomation). Je m'interroge toutefois sur la participation au financement de l'enseignement supérieur par les familles des 72 % d'enfants d'ouvriers qui n'accèdent pas à cet enseignement : sans ouverture massive de notre système d'enseignement supérieur ne sommes-nous pas face à une injustice ? Ces familles payent pour un service dont elles ne bénéficient pas !

M. Bertrand Monthubert. - Les principales études menées montrent que le niveau des frais d'inscription est sans lien avec l'assiduité des étudiants. Celle-ci est en revanche fortement corrélée à l'efficacité du dispositif d'orientation : un certain nombre d'étudiants, présents dans des filières excédentaires (STAPS, droit, psychologie) sont en effet dans une position d'« attente » par rapport à leur orientation.

Un système dans lequel l'engagement de l'Etat bénéficie plus aux catégories aisées n'est pas socialement juste. Or une étude de l'OCDE a montré qu'une hausse des frais d'inscription, même minime, avait un effet dissuasif sur les ménages les moins aisés.

M. Jacques Grosperrin. - Les bourses sont faites pour cela !

M. Bertrand Monthubert. - 35 % des étudiants sont actuellement boursiers et le comité de la StraNES propose d'augmenter ce nombre car nous connaissons tous des familles qui se trouvent exclues du dispositif par des effets de seuils. Malgré l'existence de ces bourses, l'augmentation des frais de scolarité est un « mauvais signal » adressé aux étudiants et à leurs familles. Sachez qu'au Danemark, chaque étudiant a droit à une bourse de 800 euros par mois quels que soient les revenus de sa famille. Et rappelez-vous qu'avant les années 1930, dans notre pays, le lycée était payant et que les classes populaires n'y avaient que très peu accès. Personne aujourd'hui ne penserait à rétablir des frais de scolarité au niveau de l'enseignement secondaire.

Mme Sophie Béjean. - 80 % des jeunes qui entrent dans notre système d'enseignement supérieur en sortent titulaires d'un diplôme, c'est 12 points de plus que la moyenne de l'OCDE. Néanmoins, notre système d'orientation peut être amélioré en étant mieux anticipé (première déclaration d'intention dès la classe de première) et plus personnalisé (instauration d'un conseil personnalisé notamment lorsque le premier voeu émis diverge du parcours suivi jusqu'alors). Nous préconisons, en outre, l'expérimentation, dans quelques académies pilotes, d'un conseil de l'orientation vers le supérieur, placé sous l'autorité du recteur.

De nombreux efforts de professionnalisation ont été faits dans l'enseignement supérieur. L'enjeu aujourd'hui est de donner aux jeunes les « clés » pour s'adapter à un monde changeant, notamment par le développement des compétences transversales.

La réorientation des fonds de la formation professionnelle pourra se faire de manière progressive, en lien avec les branches professionnelles et les régions.

M. Jean-Léonce Dupont. - Je tiens, à titre liminaire, à remercier les deux intervenants tant pour la qualité de leur présentation que pour le fait-même d'avoir mené ce travail. J'estime en effet qu'il est essentiel de se poser la question de l'orientation stratégique des étudiants, même si je ne partage pas l'ensemble des points de vue développés et des réponses apportées.

Je souhaite tout d'abord revenir sur les problématiques relatives à l'orientation. Au-delà des actions que vous proposez de mettre en place, il conviendrait que les choix des étudiants se fassent en connaissance de cause, en disposant, pour chaque filière, des informations relatives à l'inscription, au taux de réussite en fonction du profil, aux diplômes décernés et aux débouchés professionnels. Or la qualité et la publicité de ces informations varient d'un établissement à l'autre. À titre d'exemple, dans mon université, je n'ai pas connaissance du nombre précis d'inscriptions par filière pour la dernière rentrée ni même pour les précédentes. Je ne dispose que d'une présentation globale. Comment, selon vous, améliorer structurellement l'information mise à disposition des étudiants ?

J'aborderai ensuite le thème de la sélection. Ses détracteurs y voient une sanction, voire une élimination, ses partisans une logique d'adaptation aux capacités individuelles de chacun. Je crois qu'il faut objectivement tendre vers ce second objectif pour des raisons d'équilibre macroéconomique mais également d'épanouissement individuel de nos concitoyens. L'adéquation entre l'orientation et les capacités de chaque étudiant doit être organisée positivement et sans tabou : certains jeunes veulent intégrer une filière sans disposer d'information sur le taux de réussite en fonction de leur profil et entrent ainsi dans un malheureux processus d'échec : aurais-je voulu devenir sprinter, aucune formation, si excellente fût-elle, ne m'aurait permis d'atteindre cet objectif, compte tenu de mes dons limités dans ce domaine...

Enfin, il me semble manquer, dans votre étude, une analyse de l'adaptation des études supérieures à l'évolution permanente de notre environnement économique. Bien sûr, vous évoquez les nécessaires passerelles qu'il convient de développer entre les filières et prônez le renforcement des enseignements transversaux, mais vous ne prenez nullement position sur les mesures à mettre en oeuvre pour dispenser des formations aussi mouvantes que les évolutions économiques le nécessitent, au-delà de la simple problématique du numérique.

Mme Corinne Bouchoux. - Je salue la qualité de la présentation qui vient de nous être faite, d'autant que les trois-quarts des propositions de ce rapport figuraient il y a dix ans dans le programme des écologistes. Tout en partageant l'essentiel du constat dressé par les auteurs, je souhaite les interroger sur un élément essentiel qui ne me semble pas avoir été traité avec l'ambition nécessaire. Vous indiquez, en page 3 de votre synthèse, dans la partie relative aux faiblesses de l'enseignement supérieur français, que notre système est éclaté en 74 universités, 1 500 écoles, 450 classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et 2 300 sections de techniciens supérieurs (STS), autant de formations que vous présentez sur le même plan. Dans votre esprit, ce constat n'entraîne-t-il pas, en creux, une interrogation sur l'avenir des classes préparatoires ? Avec les CPGE nous observons une réussite statistique, certes, mais au prix du maintien d'une culture de la rente : notre système favorise des jeunes gens brillants et leur propose un avenir sans risque tandis que d'autres, intégrés à l'université, devront sans cesse se battre et faire preuve d'innovation. Sur ce constat, votre rapport ne demeure-t-il pas trop en retrait ? En d'autres termes, est-il normal de donner à des jeunes de bonne famille, qui ont déjà tout, cinq fois plus de moyens alors que l'université, avec des financements contraints, réussit à diplômer des jeunes moins socialement moins dotés ? Pour plus de justice, les classes préparatoires ne devraient-elles pas être intégrées à l'université ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je vous remercie infiniment pour votre travail, qui nous sera d'une grande aide pour porter dans le débat public la nécessité d'améliorer le niveau de qualification et de connaissance de nos concitoyens afin de mieux répondre aux besoins des entreprises mais également, et surtout, d'offrir à tous la culture générale nécessaire à un harmonieux vivre-ensemble. Je partage intégralement vos propositions, notamment celle de faire de l'enseignement supérieur une stratégie nationale de développement, celle d'atteindre, d'ici 2025, 60 % de diplômés du supérieur dans une classe d'âge ou encore celle de proposer, au niveau européen, un objectif de 2 % du produit intérieur brut consacré à l'enseignement supérieur. La question de l'orientation est en effet cruciale. Pour améliorer la réussite des étudiants, il est indispensable de travailler en amont dans les lycées. Des passerelles entre les filières de formation doivent être développées et les moyens à destination des étudiants renforcés. Je suis ainsi favorable à l'instauration d'un statut spécifique en matière d'accès au logement et de participation démocratique. J'ai été en outre particulièrement intéressée par votre constat sur le retour sur investissement que constitue, pour la nation, le financement de l'enseignement supérieur. À cet égard, il me semble effectivement logique, comme vous le proposez, de faire sortir le financement de l'enseignement supérieur du calcul des déficits publics. J'aimerais que vous nous précisiez ce que vous envisagez pour améliorer ce financement, notamment s'agissant de l'utilisation du crédit d'impôt recherche (CIR), et pour favoriser la reconnaissance de la qualification des docteurs au sein des entreprises, sujet sur lequel la récente commission d'enquête du Sénat n'a pu aboutir.

M. Alain Vasselle. - La lecture de vos quarante propositions me conduit à vous poser quelques questions. S'agissant du calcul du retour sur investissement des dépenses d'enseignement supérieur, évoqué par notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin, pourriez-vous nous en préciser les modalités ? En particulier, un point m'intrigue : pourquoi estimez-vous que ce retour sur investissement équivaut à 100 000 euros pour un homme alors qu'il se limiterait à 60 000 euros pour une femme ?

Je suis particulièrement sensible aux écarts observés en matière d'accession sociale à l'université. Mais les frais d'inscription constituent-ils le seul frein à la mixité sociale ? Selon vous, d'autres éléments pourraient-ils être en cause ? À cet égard, il me semble que l'absence d'actualisation régulière des bourses d'État représente une difficulté de taille. De ma longue expérience d'élu au Conseil départemental de l'Oise, je conserve le souvenir qu'il nous revenait souvent la responsabilité de mobiliser des fonds pour compléter des bourses devenues insuffisantes.

Vous considérez que 25 % d'une classe d'âge au niveau master représente un objectif salutaire mais est-ce vraiment pertinent ? Existe-t-il réellement des débouchés dans toutes les filières pour un tel niveau de diplôme ? Ne faudrait-il pas, parfois, envisager de fixer un numerus clausus comme il en existe en médecine ou en pharmacie pour éviter de diplômer trop massivement dans des secteurs sans avenir ?

Vous évoquez également les talents étrangers. Mais à quel niveau de formation supérieure envisagez-vous que nous les accueillions plus massivement ? Parallèlement, il conviendrait effectivement que nos étudiants maîtrisent parfaitement une langue étrangère au sortir de leurs études supérieures, ce qui est actuellement loin d'être le cas. J'aimerais enfin que vous nous précisiez combien d'étudiants s'inscrivent à l'université sans trouver de place. En d'autres termes, à quel niveau se situe le déficit d'accueil de nos structures.

M. Jacques-Bernard Magner. - Je me joins à mes collègues pour vous féliciter pour votre rapport. Mon collègue Guy-Dominique Kennel et moi-même conduisons une mission d'information sur l'orientation. Nous retrouvons dans ce rapport un certain nombre de nos préoccupations, notamment votre proposition 13 sur la réforme de l'orientation vers le supérieur.

Certes, la culture générale contribue à la réussite quel que soit le métier exercé, manuel ou intellectuel. Mais n'y a-t-il pas une contradiction entre l'objectif à atteindre de 60 % de diplômés de l'enseignement supérieur dans une classe d'âge et la pertinence d'une orientation vers l'université pour des métiers qui ne nécessitent pas une formation supérieure ?

On constate que, malheureusement, les entreprises françaises sont de moins en moins ouvertes à l'alternance. Cela pose un problème à nos étudiants qui souhaitent opter pour cette formule.

M. Guy-Dominique Kennel. - Votre rapport a le mérite d'exister et de poser les problèmes. Vos propositions sont intéressantes à analyser, même si je ne les partage pas toutes. Vous préconisez de doubler la mobilité entrante, soit 120 000 entrées d'étudiants étrangers au lieu de 60 000 actuellement sur le territoire national. Est-ce une logique de « guichet » et de nombre ? Préconisez-vous une véritable stratégie visant à sélectionner les meilleurs étudiants et à les diriger vers des filières d'excellence ou vers des filières déficitaires en France ? Je rejoins sur ce point mon collège Alain Vasselle sur son idée d'instaurer un numerus clausus.

Sur la mise en place de conseils d'orientation, j'aurais souhaité un complément d'information, notamment sur les procédures d'affectation, d'orientation, etc... Ne vont-ils pas instaurer une complexité, voire une opacité supplémentaire ?

Je crains que votre objectif de 60 % de diplômés de l'enseignement supérieur n'engendre, s'il est décorellé des besoins réels de l'économie, des phénomènes de surqualification et de déclassement.

Mme Françoise Cartron. - À mon tour, je voudrais dire le plaisir que j'ai eu à vous entendre associer la notion d'éducation à celle d'investissement plutôt que d'évoquer celles de coût ou de déficit.

Votre analyse relative à l'absentéisme révèle le problème en arrière-plan d'étudiants mal orientés ou en attente d'orientation.

Vous avez pointé les inégalités sociales. Elles s'installent dès le collège et deviennent flagrantes au niveau de l'université. Les inégalités entre garçons et filles y sont encore plus criantes, en particulier dans certaines filières. Un travail est nécessaire pour gommer les stéréotypes et changer le regard que, malheureusement, les enseignants eux-mêmes véhiculent quand il s'agit d'orienter les filles. Des écarts notables apparaissent dans le cursus universitaire entre garçons et filles. A résultat égal, s'agissant de son orientation et de son avenir, le regard porté sur un garçon est toujours plus positif. Des actions commencent à se mettre en place. Quelle est votre analyse de cette question ?

Le déficit de bacheliers professionnels dans l'enseignement supérieur constitue une autre discrimination. Il conviendrait de mettre en place une passerelle pour qu'ils puissent s'inscrire dans un parcours de réussite. Quand vous préconisez une orientation dans des filières où l'étudiant a des chances de réussir, comme évaluez-vous ces chances de réussite ?

Mme Colette Mélot. - Je voudrais féliciter les auteurs de ce rapport qui rassemble des propositions extrêmement pertinentes. La stratégie est importante mais le plan d'action qui va la soutenir l'est encore plus.

Comment assurer une adéquation avec les besoins et leur évolution dans le domaine de l'emploi ou de l'économie ? Viser 60 % d'une classe d'âge dotée d'un diplôme de l'enseignement supérieur est une bonne chose, mais encore faut-il que ces diplômes correspondent à des offres d'emploi. 80 % des élèves obtiennent le baccalauréat mais le niveau n'en est pas pour autant satisfaisant. L'accès à l'université exige un travail en amont au niveau du primaire et du secondaire. Un travail important reste à accomplir avec une vision globale.

Élever le niveau en langues étrangères et autoriser les étudiants à poursuivre leurs études dans d'autres pays, notamment en Europe, pour acquérir d'autres compétences et pouvoir les adapter ensuite en France, permet de mieux former nos étudiants et peut, par réciprocité, favoriser l'attractivité de notre université pour les étudiants étrangers.

Mme Marie-Annick Duchêne. - Je rejoins mon collègue Jean-Léonce Dupont s'agissant des départements déshérités où à peine 50 % des élèves sortent diplômés du secondaire. Il serait intéressant de travailler sur ces départements.

Mme Sylvie Robert. - Je suis frappée de constater que la question du rapport des jeunes à la formation et au métier n'ait pas été abordée. Vous avez mis l'accent sur la sécurisation du parcours des étudiants. L'université manque d'outils pour repérer les « décrocheurs » de première année et identifier les raisons de leur décrochage.

Nous éprouvons également des difficultés à anticiper sur les métiers de demain et à les rendre attractifs. La France manque de scientifiques. Il faut agir dans ce domaine.

La vie étudiante, les questions du logement, de mobilité, etc... représentent un autre sujet de préoccupation. Je suis frappée, à Rennes, par exemple, de constater qu'avec la fermeture des campus le week-end, et, par conséquent, des bibliothèques universitaires, les étudiants viennent travailler dans la bibliothèque du centre-ville qui possède tous les équipements, y compris informatiques, dont ils ont besoin. Dans quelle mesure le plan national de vie étudiante mettra-t-il en place les conditions de réussite, notamment pour ceux qui ne rentrent pas dans leur famille le week-end et, d'une manière générale, pour ceux qui ont de moindres moyens financiers ? Le bien-être des étudiants dans nos territoires est aussi un facteur de réussite.

M. Louis Duvernois. - Lorsque l'on parle de l'enseignement supérieur, on y inclut naturellement les grandes écoles. Or, il me semble que vous n'évoquez pas dans votre rapport l'articulation entre universités et grandes écoles. Je sais par exemple qu'il existe des rapprochements en cours dans le domaine de la recherche.

En tant que rapporteur de la loi qui a créé « Campus France », je connais les difficultés qu'il y a à faire comprendre et rendre plus attractif au plan international notre enseignement supérieur du fait de la dualité universités/grandes écoles.

M. Maurice Antiste. - Vous nous avez donné beaucoup de données chiffrées très intéressantes. Pouvez-vous nous expliquer comment vous déterminez l'objectif de 60 % de diplômés de l'enseignement supérieur dans une classe d'âge en 2025 ? Quel est le poids de l'enseignement supérieur privé dans vos observations ? Avez-vous intégré dans vos observations les universités d'Outre-mer avec leurs spécificités ? Enfin, je note que, dans votre proposition 31, vous appelez à anticiper et accompagner l'évolution des métiers de l'enseignement supérieur. Pourquoi n'avoir pas proposé par ailleurs une veille concernant l'évolution du monde du travail et l'apparition de nouveaux métiers de manière à adapter au mieux l'offre universitaire ?

Mme Marie-Christine Blandin. - Vos propositions sont très claires, en particulier la proposition 35 sur la parité. Elle est précieuse à l'heure où la Conférence des présidents d'université vient de faire un recours au Conseil d'État contre les dispositions votées par le législateur pour favoriser la parité dans les universités ; à l'heure également où la conférence inaugurale de Pierre Rosanvallon à l'université de Lille ne rassemblait la semaine dernière à la tribune que des hommes...

Je voulais vous interroger sur les moyens alloués aux universités qui sont souvent déterminés par des critères qui tendent vers l'excellence des laboratoires de recherche. Comment comptez-vous réintroduire par ailleurs des critères qui favorisent la qualité pédagogique des enseignements ?

M. Jean-Pierre Leleux. - Je voudrais réagir aux propos sur les grandes écoles. Je redoute cette tentation récurrente de vouloir cheminer vers un modèle unique qui serait celui de la faculté. Je souhaite que l'on protège cette filière spécifique que représentent les grandes écoles. L'entrée y est très difficile, certes, mais, que je sache, il n'y a aucune discrimination d'ordre financier pour être accepté dans les classes préparatoires aux grandes écoles. De même, les grandes écoles n'ont pas pour projet de doter leurs diplômés d'une sinécure ! C'est une filière qui alimente le tissu économique de manière extrêmement performante. Ce n'est pas parce que certains n'y accèdent pas qu'il faut empêcher les autres d'y accéder.

Je précise à mon collègue Louis Duvernois que quasiment toutes les grandes écoles d'ingénieurs nouent des partenariats conventionnés avec les universités et le milieu économique de leur territoire, ainsi qu'avec des universités étrangères.

Enfin, je voudrais mettre en garde contre la désignation d'objectifs de réussite ambitieux au sein d'une même classe d'âge. C'est pour moi le meilleur moyen d'aboutir à une baisse du niveau général de nos étudiants. Le baccalauréat nous en offre un exemple patent.

Mme Marie-Pierre Monier. - Au-delà du problème de l'augmentation des droits d'inscription, il y a également pour les étudiants dont les familles sont en zone rurale le coût lié à leur installation : le logement, le transport, etc.

Nous avons évoqué les filières surpeuplées. Quelles sont les filières déficitaires ?

En réaction à votre proposition 12 qui vise à développer les liens entre le secondaire et le supérieur, je voudrais souligner que la réussite de l'orientation se joue très en amont, dès le collège, avec l'aide des professeurs principaux et des conseillers d'orientation.

Enfin, en matière de sélection, j'attire votre attention sur les effets pervers du numerus clausus. C'est ce système qui fait que nous manquons de médecins généralistes aujourd'hui.

Mme Maryvonne Blondin. - Pour mettre en oeuvre une stratégie nationale de l'enseignement supérieur, il faut pouvoir s'appuyer sur des formateurs et des enseignants compétents. La Cour des comptes a publié récemment un rapport dans lequel elle juge que l'autonomie financière des universités a entraîné une dégradation des conditions d'études. La politique des universités en matière de ressources humaines est ainsi encore à faire. Elles ont notamment procédé au recrutement de nombreux vacataires, ce qui ne va pas sans poser de difficultés.

Je voudrais savoir ce que vous avez pu rassembler comme données sur les temps d'activité en tant qu'enseignant et en tant que chercheur, et comment, dans ce contexte, valoriser le temps d'activité des chercheurs ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous avons beaucoup parlé de la formation des étudiants, mais que pouvez-vous nous dire de ce que sera la formation des enseignants du supérieur au cours des dix prochaines années ?

Mme Sophie Béjean. - Vos questions nombreuses montrent que nous nous trouvons face à un enjeu qui touche tout le monde et qui est essentiel pour l'avenir. Avant d'y répondre, je voudrais préciser que notre travail ne visait ni à trouver un consensus mou ni à faire des propositions clivantes, mais bien à aboutir à un plan d'action permettant de répondre aux enjeux sociaux et économiques de notre pays.

Le chômage touche massivement les jeunes non diplômés. Le taux de chômage de ces jeunes est aujourd'hui de 50 % ; le taux de chômage se réduit avec l'élévation du niveau de diplôme : il est de 25 % chez les diplômés de l'enseignement secondaire et de 12 % chez les diplômés de l'enseignement supérieur (10 % pour les titulaires de masters, 6 % pour les docteurs et 4 % pour les ingénieurs). Malheureusement, il manque encore un outil global qui permette d'informer les étudiants et futurs étudiants sur les conditions d'insertion de chacune des formations.

L'identification des métiers et des compétences professionnelles dont nous aurons besoin dans les prochaines années est un exercice difficile compte tenu de leur évolution très rapide. Nous devons y associer les acteurs économiques et mettre l'accent sur le développement des compétences transversales.

M. Bertrand Monthubert. - Je suis inquiet de l'opacité entourant quelques établissements d'enseignement supérieur privés à but lucratif, qui délivrent des formations de mauvaise qualité et sans débouchés réels. Le médiateur de l'éducation nationale s'en est alarmé. Des clarifications seront nécessaires notamment sur la « reconnaissance des diplômes par l'État » dont se targuent parfois les établissements et il serait bon que tous les établissements revendiquant ce label souscrivent aux orientations stratégiques de l'enseignement supérieur français.

Nous avons fixé l'objectif de 60 % de diplômés de l'enseignement supérieur en étudiant les trajectoires de différents pays. Pour l'objectif de 25 % de titulaires de master, nous avons mené un travail prospectif sur les métiers et les qualifications avec France Stratégie qui a mis en exergue une tension très forte dans les prochaines années sur le marché de l'emploi des titulaires de Bac + 5. Ma seule crainte est que cet objectif de 25 % ne soit pas suffisamment ambitieux.

Mme Sophie Béjean. - La diversité de notre enseignement supérieur est une richesse, à condition toutefois que l'ensemble des acteurs se retrouve dans une stratégie globale commune et travaille en bonne coopération.

Le statut de l'étudiant et les conditions de vie étudiante sont facteurs de bien-être et de réussite.

Il n'existe pas aujourd'hui, parmi les indicateurs de l'enseignement supérieur, d'indicateur relatif à la réduction des inégalités. Celles-ci prennent certes naissance avant l'entrée dans l'enseignement supérieur mais tous les acteurs doivent contribuer à l'objectif de réduction des inégalités sociales et entre hommes et femmes.

M. Bertrand Monthubert. - Les différences de « retour sur investissement dans l'enseignement supérieur » entre hommes et femmes figurant dans l'étude réalisée par l'OCDE s'expliquent essentiellement par une différence de taux d'activité, ce qui a une incidence fiscale dont l'OCDE tient compte dans ses calculs. Nous constatons, en effet, - et nous regrettons - que les femmes continuent d'être orientées vers des métiers où l'insertion professionnelle, le salaire moyen, le taux de contrats à durée indéterminée et le taux de cadres sont moindres.

Mme Sophie Béjean. - En conclusion, notre système d'enseignement supérieur a d'incontestables atouts et la qualité des diplômes est reconnue dans notre pays comme au-delà des frontières.

Audition de M. Michel Cosnard, candidat proposé aux fonctions de président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

La commission entend M. Michel Cosnard, candidat proposé aux fonctions de président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hceres) est une autorité administrative indépendante qui a remplacé l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres). Il est régi par le code de la recherche. Aujourd'hui, nous allons auditionner M. Michel Cosnard, proposé par le président de la République pour le présider. Comme le prévoit l'article 13 de la Constitution, les commissions compétentes procèdent à une audition suivie d'un vote à bulletin secret, aucune délégation de vote n'étant autorisée. La commission de l'Assemblée nationale se réunira cet après-midi ; le dépouillement de son vote aura lieu en même temps que le nôtre ; le candidat ne pourra être nommé si le non dépasse les trois cinquièmes des suffrages.

Quels seraient vos projets en tant que président du Haut Conseil, monsieur Cosnard ?

M. Michel Cosnard, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. - Je suis professeur d'informatique à l'université de Nice-Sophia Antipolis. Après un diplôme d'ingénieur de l'Institut national polytechnique de Grenoble, un Master of Science de l'Université Cornell aux États-Unis et une thèse d'État ès sciences de l'université de Grenoble, et une carrière de chercheur au CNRS sur les architectures et les algorithmes parallèles, j'ai dirigé le département de mathématiques et d'informatique de l'École normale supérieure de Lyon, où j'ai créé un magistère d'informatique et un laboratoire d'informatique du parallélisme (LIP) reconnu internationalement. À la fin des années 1990, j'ai rejoint l'Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria) dont j'ai été nommé président-directeur général entre 2006 et 2014. J'ai rempli trois missions importantes dans le domaine de l'évaluation : j'ai été membre pendant quatre ans du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) ; j'ai travaillé pour la mission scientifique et technique du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ; je suis membre - seul Français sur dix experts - du groupe d'experts de haut niveau évaluant le programme-cadre de recherche et de développement de la Commission européenne.

La loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche du 22 juillet 2013 a remplacé l'Aeres par une autorité administrative indépendante, le Haut Conseil. L'Aeres avait pour mission d'évaluer les établissements d'enseignement supérieur et de recherche, les unités de recherche et les programmes d'enseignement supérieur en coordination étroite avec le ministère, dans le but d'établir des contrats avec lui. Ces missions s'organisaient par vagues, chaque établissement étant évalué tous les cinq ans sur une base régionale ; en 2014, 65 établissements, près de 600 unités de recherche et plus d'un millier de programmes de formation ont été évalués. Cela mérite que l'on rende hommage aux deux anciens présidents et à Didier Houssin, son président actuel, ainsi qu'à l'ensemble du personnel de l'Agence et du Haut Conseil.

L'évaluation a toujours constitué une part importante du travail des enseignants-chercheurs et des chercheurs, sous la forme d'une évaluation par les pairs. L'Aeres lui a donné un caractère systématique. Elle est un facteur de progrès de la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche, grâce au développement de la culture de l'évaluation au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, lesquels gagnent en autonomie. La qualité des rapports d'auto-évaluation s'est beaucoup améliorée, celle des rapports d'évaluation externes aussi, accompagnant notamment les rapprochements des établissements.

L'évaluation est maintenant mieux acceptée par la communauté académique, comme en témoigne l'accueil fait au Haut Conseil. L'impartialité des évaluations est reconnue, ce qui justifie le choix du statut d'autorité administrative indépendante. Le décret d'application a décidé l'intégration de l'Observatoire des sciences et techniques (OST) au sein du Hceres à compter du 1er janvier dernier. Il faut féliciter le personnel de l'OST et du Hceres pour cette intégration réussie, qui éclairera le jugement des experts en mettant à leur disposition des données quantitatives.

Enfin, l'association européenne des agences d'assurance qualité dans l'enseignement supérieur (ENQA) et le registre européen d'assurance qualité (EQAR) ont tous deux décidé de transférer au Hceres la reconnaissance européenne que l'Aeres avait acquise en 2011. C'est capital pour l'image de la recherche et de l'enseignement supérieur français sur le plan européen et international. L'Aeres a été sollicitée pour accompagner la création d'agences d'évaluation dans d'autres pays et pour évaluer des formations et des établissements d'enseignement supérieur à l'étranger.

Ces dix dernières années, l'organisation du système national d'enseignement supérieur et de recherche a considérablement évolué : autonomie des universités, fusion d'universités, création des communautés d'universités et d'établissements (Comue), mise en place du programme des investissements d'avenir, définition de contrats de site, accréditation des formations, importance accrue des programmes européens, compétition mondiale exacerbée... Les écosystèmes d'innovation ont eux aussi beaucoup évolué. Or l'Aeres avait été créée avant et, même si elle a beaucoup évolué, elle n'a pas pu pleinement intégrer ces changements profonds pour répondre aux missions que la loi lui confie.

La loi de juillet 2013 a confié au Hceres la mission d'évaluation des établissements d'enseignement supérieur et de recherche et de leurs regroupements, des organismes de recherche, des fondations de coopération scientifique et de l'Agence nationale de la recherche ou, le cas échéant, de s'assurer de la qualité des évaluations conduites par d'autres instances. Le Hceres doit aussi procéder à l'évaluation des formations préalablement à l'accréditation ou à la reconduction de celle-ci. Il doit évaluer a posteriori les programmes d'investissement ainsi que les structures de droit privé recevant des fonds publics. Il peut également participer à l'évaluation d'organismes étrangers ou internationaux.

La mise en oeuvre doit respecter les trois grands principes de la loi : indépendance, transparence, impartialité. Elle doit aussi satisfaire les règles déontologiques internationales de l'évaluation conduite par les pairs, en particulier exclure toute possibilité de conflit d'intérêts. Pour mettre le Haut Conseil au-dessus de la compétition entre établissements et des débats, parfois vifs, qui accompagnent toujours des évolutions profondes, il faut un modèle d'évaluation en appui aux politiques scientifiques des établissements et des communautés, au service de la progression de la qualité de la formation supérieure et de la recherche de notre pays. Cela implique une vision partagée entre le Hceres et les établissements concernés, la reconnaissance de la diversité des établissements, des formations et des laboratoires, et l'adaptation des critères à cette diversité. Le Hceres n'est ni un décideur, ni un censeur.

La France possède une grande tradition universitaire et académique, des formations prestigieuses et une recherche au plus haut niveau international. C'est ce niveau d'excellence qu'il convient de faire progresser. Cela n'est possible que dans le cadre d'un partage des grandes orientations stratégiques et d'une évaluation respectueuse de l'autonomie des établissements. Il convient de conduire une évaluation intégrée se plaçant au niveau des orientations stratégiques des communautés d'universités et d'établissements ou de leurs équivalents, et se déclinant au sein de leurs composantes pour évaluer leurs apports à cette stratégie et les performances dans le référentiel associé. Ceci conduit à définir avec chaque site les objectifs de l'évaluation et ses modalités : le Hceres adaptera ses procédures en fonction des grandes orientations stratégiques du site et des particularités des établissements. On ne peut pas évaluer l'Université de Paris-Saclay de la même façon qu'on évalue l'Université de Strasbourg ou l'Université de Bretagne-Loire !

Cela doit s'accompagner d'une approche à grain plus large, avec un accent particulier mis sur l'interdisciplinarité. La loi indique que, lorsqu'une unité relève de plusieurs établissements, il n'est procédé qu'à une seule évaluation et que lorsque les établissements décident conjointement de recourir à une autre instance, le Haut Conseil valide les procédures d'évaluation mises en oeuvre par cette instance - cette possibilité n'est presque pas utilisée. Mais le Hceres doit mettre en place les conditions et les procédures permettant d'évoluer vers un système où certains sites conduisent l'évaluation de certaines composantes. Cette évolution vers une évaluation holistique d'un site sera facilitée par l'intégration de l'OST qui mettra à disposition des experts des données quantitatives, en appui de l'évaluation qualitative et collégiale par les pairs. Le Haut Conseil tiendra compte aussi des résultats obtenus dans le domaine de la valorisation de la recherche pour remplir sa mission d'évaluation des établissements.

Le Hceres doit contribuer à définir l'état des lieux de secteurs disciplinaires au plan national et soutenir des travaux de recherche sur l'évaluation. Il pourrait aussi contribuer à l'évaluation des stratégies nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche, avec l'aide de l'OST qui conduira des études pour des besoins internes ou à la demande du ministère.

Pour conduire sa mission, le Hceres doit travailler en bonne intelligence avec les autres organismes ou instances d'évaluation : Conseil national des universités (CNU), CoNRS, commissions d'évaluation, conseils académiques des établissements, commissions des titres d'ingénieur. Le Hceres doit construire sa légitimité en suivant les meilleures pratiques déontologiques et en fondant ses rapports sur les principes d'objectivité, de transparence, d'égalité de traitement, de neutralité et d'équilibre dans la représentation afin de tenir compte de la spécificité des établissements.

Le Haut Conseil devra aussi faire évoluer le modèle économique de l'évaluation. L'Aeres avait basé son équilibre économique sur trois principes : la gratuité de l'évaluation ; un volume constant d'entités à évaluer ; une participation des universités et des organismes de recherche par des mises à disposition de personnel scientifique. Or le nombre d'entités à évaluer augmente sans cesse et les établissements demandent que les mises à disposition soient mieux remboursées. Ma conviction est que l'évaluation doit rester gratuite et que les mises à disposition doivent être mieux remboursées pour garantir l'indépendance des évaluations. Il conviendra enfin de simplifier nos procédures afin de les rendre plus transparentes, plus efficaces, moins onéreuses et de rendre du temps aux enseignants-chercheurs.

Par ailleurs, le Hceres doit continuer à s'intégrer dans l'ensemble des instances d'évaluation européennes et internationales. Or la reconduction de sa reconnaissance européenne doit faire suite à l'évaluation du Haut Conseil en 2016. Ce sera un des sujets prioritaires.

En une décennie, l'Aeres puis le Hceres ont montré l'importance d'une évaluation rigoureuse, impartiale et conduite par les pairs. Tout en conservant ces acquis le Hceres a un rôle-clé à jouer pour servir de repère et d'appui aux établissements en forte évolution.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Écoutons d'abord les questions de nos deux rapporteurs.

Mme Dominique Gillot. - Votre exposé très complet aborde presque toutes les questions. Comment le Haut Conseil répondra-t-il aux critiques ayant conduit à la suppression de l'Aeres ? Les choses semblent bien se passer mais les enseignants-chercheurs vivaient mal le fait d'être évalués par un organisme extérieur et indépendant : ce n'est pas tout à fait l'évaluation par les pairs à laquelle ils sont habitués... Quelle garantie avez-vous que pourra s'organiser le dialogue avec eux indispensable à votre mission? Vous dites qu'on ne peut pas évaluer toutes les universités de la même façon et que le dialogue est nécessaire. La loi ne prévoit la publication que des synthèses, et non de l'intégralité des rapports, comme auparavant. Comment cela s'articule-t-il avec l'impartialité ? Le décret d'application autorise une délégation de vos missions : quelles instances pourraient-elles vous assister ? Comment la méfiance des enseignants-chercheurs à l'égard de l'évaluation s'articule-t-elle avec le développement de classements internationaux auxquels on accorde beaucoup d'importance, peut-être trop ?

M. Jacques Grosperrin. - Vous êtes spécialiste des algorithmes et de l'évaluation - vous allez en subir une à la fin de cette réunion... J'attends de vous des réponses sincères à mes questions même si elles sont délicates. Comment expliquez-vous les difficultés rencontrées pour la transformation de l'Agence en Haut Conseil et ses conséquences ? La dotation de fonctionnement est-elle suffisante ? Le Haut Conseil se penche-t-il sur les regroupements d'universités, les Comue et les stratégies de sites ?

Mme Marie-Christine Blandin. - Le Sénat a toujours veillé au partage de la culture scientifique. Dans la loi Goulard et encore plus dans la loi Fioraso, nous avions veillé à ce que la contribution des chercheurs à cet objectif soit valorisée dans leur évaluation. En ferez-vous un critère ? Pourriez-vous nous expliquer votre « indignation » face à la promotion du logiciel libre dans les universités ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - A qui le Haut Conseil peut-il, selon vous, déléguer sa mission d'évaluation ? Les ingénieurs, techniciens et personnel administratif seront-ils associés aux comités de visite ? Le recours à des retraités et la facturation de l'évaluation à certains établissements avaient posé des problèmes ; quid du financement de votre activité ? J'ai bien noté votre attachement à la gratuité.

M. Claude Kern. - Le fonctionnement du Haut Conseil est connu pour être lourd, ce dont se plaignent souvent les enseignants-chercheurs, comme du regard d'experts dont il est difficile de déterminer l'objectivité et la compétence Pensez-vous qu'il soit possible d'améliorer ce fonctionnement ?

M. Jean-Claude Carle. - Je note, pour m'en réjouir, qu'une grande partie de votre parcours s'est passé en Rhône-Alpes.

Dans ce domaine, l'évaluation est souvent rare, et le fait de personnes qui sont souvent juge et partie. Vous n'êtes pas décisionnaire ; avez-vous des exemples de suites données à vos évaluations à nous donner ?

M. Michel Cosnard. - Les critiques ayant conduit à la transformation de l'Agence en Haut Conseil portaient sur la notation, sur le manque de transparence dans la participation aux comités de visite, ou sur le dessaisissement des certains établissements qui se plaignaient d'une défiance à l'égard de leur culture de l'évaluation. Je comprends ces critiques ; mais le Haut Conseil a fortement évolué. Je quitte un organisme, l'Inria, qui a une forte culture de l'évaluation, où celle-ci peut conduire à l'arrêt ou à la reconduction des projets - mais sans aucune notation. La notation est bien trop réductrice. Une équipe peut être excellente sur bien des secteurs, diffuser son travail utilement dans les entreprises françaises, mais faire peu de publications internationales... Cela donnera une note moyenne de dix obtenue en additionnant vingt et zéro. Qu'est-ce que cela signifie ? Nous n'avons pas besoin d'une recherche « moyenne ». Il faut apprécier les résultats en fonction des objectifs, que les rapports d'évaluation doivent donc prendre en compte.

La transparence est essentielle. Un comité de visite doit être accepté par les évalués - cela ne veut pas dire qu'il doit être nommé par lui. Il faut éviter les conflits d'intérêts dans les deux sens, et donc la participation d'amis - assez faciles à repérer objectivement - ou d'ennemis. Comment faire pour ces derniers ?

Lors de la dernière campagne d'évaluation, le Haut Conseil - dont je ne suis pas membre - a été évalué par les responsables de structures qu'il avait lui-même évaluées : 90 % d'entre eux se sont déclarés satisfaits ou très satisfaits. Il y a donc un très net progrès. J'ai parlé d'évaluations de sites. Nous avons longtemps fait des évaluations bottom-up, commençant par les labos et finissant par les établissements. Nous devons maintenant faire du top-down, en partant des sites et des stratégies qu'ils déterminent et mettent en oeuvre. Nous devons examiner si leurs composantes les respectent. Nous débutons dans ce domaine, mais c'est une évaluation très importante.

Nous ne voulons pas lénifier l'évaluation, mais adapter les critères d'évaluation aux objectifs du site. Lorsque je différencie les universités de Paris-Saclay et de Strasbourg, je ne fais pas de hiérarchie entre des universités au plus haut niveau de qualité, mais l'une est unifiée quand l'autre est composée de plus de vingt établissements. Publication de synthèses ou d'études complètes ? La publication des rapports complets d'évaluation des universités ne me choque pas. C'est différent pour les laboratoires : une publication complète risque de nous ramener à la production d'eau tiède. La satisfaction des directeurs de laboratoires s'est améliorée dans les mêmes proportions que celle des responsables de structures.

Cette période de défiance du corps académique envers l'évaluation est derrière nous. Cela fut plus facile pour les sciences dures ; pour les sciences humaines, il a fallu adapter les méthodes. Je crois que c'est maintenant chose faite : notre pays est capable d'évaluer sa recherche dans toutes ses composantes. L'auto-évaluation, encore inconnue il y a une décennie, est maintenant largement pratiquée. Cela ne pouvait pas se faire en un an.

Vous me demandez une réponse sincère, Monsieur Grosperrin. Le passage de l'Agence au Haut Conseil a été douloureux, c'est vrai. Mais il y a eu très peu de départs de personnel scientifique, sinon peut-être dans le domaine du droit. La dotation de fonctionnement est un sujet difficile, surtout avec l'intégration de l'OST, ce groupement d'intérêt public regroupant différentes structures dont la mission était de fournir des statistiques sur la production scientifique de notre pays. Son essoufflement, malgré son personnel hautement qualifié mais à l'activité peu valorisée, a conduit à une intégration raisonnable. En tant que président de l'Inria, je lui ai donné un avis positif. Mais elle n'a pas conduit à une addition des deux dotations. M. Houssin devait demander au ministère de régler ce problème.

Le modèle économique reposait sur la gratuité de l'évaluation et la mise à disposition de personnel. Il faut mieux rembourser les mises à dispositions, ne serait-ce que pour assurer l'indépendance du Haut Conseil. Il y a de plus en plus d'entités à évaluer : quid des formations non universitaires, comme les formations aux professions paramédicales ? Devons-nous évaluer les 350 écoles d'infirmières ? Avec quels moyens ? La question devra être réglée. Et pour les établissements supérieurs dans le domaine de l'agriculture ou de l'énergie ? Deux solutions existent : mieux organiser nos évaluations en réduisant la voilure, ou demander aux établissements de participer aux frais de visite. La garantie de l'indépendance des comités de visite est d'accueillir une part importante d'étrangers.

La diffusion de la culture scientifique est l'un des critères de notre évaluation. Les chercheurs sont maintenant convaincus qu'ils doivent expliquer leur travail et aussi être prêts à discuter leurs propres objectifs.

Il ne faut pas confondre logiciel libre et logiciel gratuit : s'il est gratuit, c'est que quelqu'un a payé pour son développement ! En tant que spécialiste, je préfère prendre le meilleur logiciel. L'avantage du logiciel libre est que nous en connaissons le code. Or il y a bien des logiciels gratuits, Google par exemple, dont nous ne connaissons pas le code. Même chose pour les applications sur les smartphones, dont certaines font fuiter des informations non nécessaires, selon une enquête de l'Inria et de la Cnil. Les administrations et les universités devraient, selon moi, n'utiliser que des logiciels dont ils connaissent le code, qu'ils soient gratuits ou payants. L'Inria édite chaque année des centaines de logiciels libres, mais autant de payants. La stratégie de diffusion du code dépend du secteur économique concerné.

Comment déléguer ? L'Inserm a réuni un comité d'évaluation dont le travail a été reconnu par tous. Faut-il vraiment que le Haut Conseil s'y substitue ? Certainement pas. Il faut effectivement associer tout le personnel lorsque nous procédons à une évaluation. Il faut donc un ingénieur dans les comités de visite des structures de recherche, comme il y faut un étudiant lorsque nous évaluons une formation.

La répétition a rendu les procédures plus aisées. Les regroupements d'équipes ont aussi facilité les choses, en réduisant le nombre de dossiers à remplir. Le nombre de laboratoires a baissé en France, mais pas le nombre de chercheurs : il y a donc eu des fusions. Exemple d'une suite donnée à une évaluation : le regroupement de plusieurs équipes en une seule structure.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie. Je vous raccompagne et nous procéderons au vote, un moment important pour notre commission.

Vote sur la proposition de nomination aux fonctions de président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

La commission procède au vote sur la proposition de nomination aux fonctions de président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.

La réunion est levée à 12 h 30.

Dépouillement du scrutin sur la candidature de M. Michel Cosnard aux fonctions de président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

La réunion est ouverte à 18 h 10.

Au cours d'une deuxième séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé au dépouillement du scrutin sur la candidature de M. Michel Cosnard aux fonctions de président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente - Nous allons procéder au dépouillement du scrutin de ce matin, la commission de l'Assemblée nationale m'ayant fait savoir qu'elle avait elle-même terminé de voter et qu'elle commençait à dépouiller. J'invite nos deux scrutateurs de ce matin, M. Patrick Allizard et Mme Corinne Bouchoux, à décompter les résultats.

Les résultats du vote à bulletin secret sont les suivants :

- nombre de votants : 43

- nombre de suffrages exprimés : 37

- pour : 37

La réunion est levée à 18 h 15.