COMMISSIONS MIXTES PARITAIRES

Mardi 30 juin 2015

- Présidence de M. Alain Milon, sénateur.

La réunion est ouverte à 18 heures 40.

Commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi s'est réunie au Sénat le mardi 30 juin 2015.

Elle procède d'abord à la désignation de son bureau qui est ainsi constitué : M. Alain Milon, sénateur, président ; M. Jean-Patrick Gille, député, vice-président ; Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur pour le Sénat ; M. Christophe Sirugue, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.

M. Alain Milon, sénateur, président. - Après y avoir consacré quatre jours de séance, le Sénat a adopté, cet après-midi, le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi par 181 voix pour, 36 contre et 126 abstentions. Il a modifié une trentaine d'articles, en a adopté 17 conformes et en a supprimé 8. Il a également adopté une quinzaine d'articles additionnels.

D'une part, notre rapporteur, Catherine Procaccia, tout en se plaçant dans la logique du texte, s'est livrée à un travail d'ajustement minutieux en lui apportant une plus grande souplesse. D'autre part, le Sénat a manifesté une certaine déception face à la portée, somme toute assez limitée, de ce projet et, compte tenu de la situation très dégradée de l'emploi, il a souhaité aller un peu plus loin dans le sens de la simplification des procédures et des obligations pesant sur les entreprises avec, pour objectif, de lever plus franchement les freins à l'embauche. Au total, nous nous trouvons en présence de deux textes sensiblement différents.

M. Jean-Patrick Gille, député, vice-président. - Je vous prie d'excuser Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, qui se remet d'une intervention chirurgicale. Bien sûr, j'écouterai avec intérêt les exposés des rapporteurs, cependant la réunion a peu de chances d'aboutir, tant les désaccords sont nombreux et importants. J'en veux pour preuve la suppression de l'article 1er...

Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - C'est la gauche qui l'a supprimé !

M. Jean-Patrick Gille, député, vice-président. - ... les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) formant véritablement un pilier du texte aux yeux de l'Assemblée nationale. Autres exemples, la suppression de la reconnaissance du burn-out en tant que maladie professionnelle ou encore du compte personnel d'activité. Sans surprise, nous constatons que nos approches divergent profondément. Je crains que la rapporteure ait du mal à me convaincre du contraire. Essayons tout de même l'exercice.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Le texte est le fruit du travail approfondi de la commission des affaires sociales et d'un examen constructif en séance publique la semaine dernière, au cours duquel 317 amendements ont été déposés et 68 adoptés. A l'exception de la suppression l'article 1er - non par la majorité sénatoriale mais bien par la majorité présidentielle -, les grands équilibres du texte ont été respectés, ce qui témoigne de l'ouverture et du pragmatisme avec lesquels j'ai voulu aborder ce rapport.

Nous avons d'abord souhaité promouvoir un dialogue social accepté par tous, en donnant toutes ses chances à la négociation. La commission des affaires sociales avait supprimé l'obligation d'instituer des CPRI et renvoyé à la négociation entre partenaires sociaux le soin de les mettre en place au niveau national ou, à défaut, au niveau régional et de les adapter. Il me semblait en effet étrange, voire provocateur, d'ouvrir ce projet par un article premier aussi directif sur un sujet qui a partiellement causé l'échec de la négociation sur la modernisation du dialogue social en janvier dernier.

Cet article fédérant un grand nombre de mécontentements et de craintes, d'ailleurs excessives, il fallait trouver un compromis qui satisfasse les salariés tout en rassurant les employeurs. Même si le Sénat a finalement supprimé cet article en séance publique, j'ai la faiblesse de penser que nos travaux pourraient utilement éclairer la réflexion de l'Assemblée nationale. Nous avions ainsi prévu que les membres des CPRI ne pourraient pénétrer dans les locaux d'une entreprise qu'avec l'autorisation expresse de l'employeur et moyennant un délai de prévenance de huit jours.

Deuxième objectif : éviter l'instabilité législative, cette faiblesse récurrente de notre pays que nous dénonçons tous. Nous avons supprimé dans ce but l'abaissement du seuil d'effectif déclenchant l'obligation d'accueillir des administrateurs salariés dans les organes de gouvernance des grandes entreprises, jugeant pour le moins prématurée une modification des règles issues de la loi de sécurisation de l'emploi, adoptée il y a moins de deux ans, et avant même toute étude d'impact ou évaluation approfondie de cette loi.

Nous avons également maintenu la possibilité, pour les membres titulaires d'un comité d'entreprise, de fixer par accord les délais dans lesquels le comité doit rendre ses avis, même en présence d'un délégué syndical -prérogative qui leur a été conférée par la même loi défendue par Michel Sapin.

Eviter l'instabilité législative, c'est aussi veiller à choisir les véhicules législatifs adaptés : voilà pourquoi le Sénat a supprimé l'article 19 bis relatif à la reconnaissance des pathologies psychiques. Ce débat a davantage sa place dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé que nous examinerons prochainement. De plus, l'amendement a été introduit à l'Assemblée nationale alors que nos auditions étaient presque achevées.

Troisième axe : donner plus de souplesse aux entreprises. Nous avons souhaité expérimenter pendant cinq ans le lissage, sur une période de trois ans, des obligations liées au franchissement des seuils de onze et cinquante salariés, proposition formulée par le ministre du travail lui-même avant l'ouverture de la négociation sur la modernisation du dialogue social. Omniprésente dans le débat public, la question des seuils brillait par son absence dans ce projet de loi, à l'exception de quelques aménagements techniques. Saisissant l'occasion, nous avons simplifié le calcul du seuil pour la mise en place et la suppression du comité d'entreprise, qui faisait partie du programme en faveur des TPE et PME annoncé par le Premier ministre le 9 juin dernier.

Nous avons renforcé l'encadrement des mécanismes de cumul des heures de délégation et de mutualisation de ces heures entre plusieurs élus au sein d'une institution représentative du personnel (IRP).

Enfin, notre quatrième objectif a été d'assurer la sécurité juridique et financière des dispositifs instaurés par le texte. Nous avons conforté les règles de la représentativité patronale en adoptant l'amendement du Gouvernement qui ne prenait en compte que les cotisations volontaires dans le calcul du seuil de 8 % d'entreprises adhérentes et en acceptant, pour répondre à une très forte inquiétude du monde agricole, que les associations et syndicats professionnels soient considérés comme des organisations d'employeurs.

Quant au compte personnel de prévention de la pénibilité, nous avons souhaité que l'homologation des référentiels de branche par les ministères concernés n'entraîne pas de dérive dans les dépenses du fonds de financement des droits ouverts pour les salariés, afin de ne pas recréer des régimes spéciaux.

Enfin, à l'article 20, la commission a remplacé le dispositif initial de négociation enchâssée des règles d'indemnisation chômage des annexes 8 et 10 par une concertation renforcée avec les partenaires sociaux représentatifs de l'ensemble de la production cinématographique, de l'audiovisuel et du spectacle. Pour la quasi-totalité des personnes que nous avons auditionnées, les nombreuses incertitudes juridiques du dispositif initial risquent, en effet, en multipliant les contentieux contre le dispositif d'agrément de la convention d'assurance chômage, de fragiliser l'édifice.

A l'article 24, nous avons réécrit les modalités de calcul de la prime d'activité. Si nous pouvons nous rejoindre sur la nécessité d'une réforme des dispositifs existants que sont le RSA-activité et la prime pour l'emploi, il nous a paru essentiel de clarifier et de préciser un dispositif trop souvent elliptique et qui renvoie très largement au pouvoir réglementaire.

Pour dissiper les incertitudes sur le coût de la réforme et sa répartition, nous avons adopté, à l'article 28, un amendement de notre collègue Albéric de Montgolfier prévoyant un suivi relativement fin des dépenses provoquées par la création de la prime d'activité.

Des dispositions ajoutées en séance ont enrichi le texte de la commission. Certains de ces apports devraient recueillir un large assentiment : inscription dans la loi du CDI intérimaire, qui est issu d'un accord entre partenaires sociaux et sécurise le parcours professionnel des salariés concernés ; possibilité de renouveler deux fois un CDD ou un contrat de travail temporaire ; aménagement du décompte de la période d'essai des apprentis ; forfaitisation de la gratification des stagiaires, une mesure qui m'était chère et qui mettra fin à un effet pervers imprévu de la loi du 10 juillet 2014.

D'autres modifications témoignent de la volonté du Sénat de faire bouger les lignes. Je conçois qu'elles suscitent des débats à l'Assemblée nationale, qu'il s'agisse de la possibilité de regrouper par accord les IRP dans les entreprises de plus de cinquante salariés au lieu de trois cents dans le projet de loi initial ou du nouveau délai accordé aux entreprises de moins de trois cents salariés pour mettre en place la base de données unique et y intégrer les nombreuses modifications prévues aux articles 13 et 14, de la prolongation jusqu'au 1er janvier 2018 des accords et plans d'action de prévention de pénibilité, de la fin du monopole syndical au premier tour des élections professionnelles, ou de la restriction du bénéfice de la prime d'activité à certains apprentis afin d'éviter tout effet d'aubaine chez les jeunes inscrits dans l'enseignement supérieur -ceux que j'appelle les apprentis-étudiants.

Sur toutes ces questions, le consensus sera sans doute difficile à trouver mais le Sénat est habitué à ce rôle de précurseur, je dirais même de lanceur d'alerte. Nos propositions sur le compte pénibilité, longtemps repoussées, voire décriées, ont ainsi trouvé un écho favorable dans le projet de loi. Je forme, par conséquent, le voeu que les apports du Sénat soient examinés avec attention par nos collègues députés.

M. Christophe Sirugue, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je salue le travail intense du Sénat qui a introduit des modifications considérables dans le projet de loi. Mais, malgré des articles adoptés dans les mêmes termes, nos positions sont irréconciliables sur des points cruciaux.

A elle seule, la suppression de l'article 1er qui crée les CPRI - il valait mieux le supprimer au vu des modifications apportées - suffit à acter nos désaccords. Le Sénat a aussi adopté une série de suppressions et de restrictions sur le mode de scrutin paritaire au début de liste des délégués du personnel (DP) et des membres du CE, la possibilité de siéger pour les représentants du personnel suppléants ou le recours à la visioconférence dans les réunions d'IRP. Le dialogue social doit être équilibré... en tenant compte du fait que le déséquilibre initial est l'enjeu même du dialogue.

L'abaissement à cinquante salariés du seuil de regroupement des IRP met à mal l'équilibre fondamental du texte adopté par l'Assemblée nationale, qui repose sur le pivot entre les articles 8 et 9, soit 300 salariés.

Dans le reste du titre I, le Sénat a voté des articles additionnels supprimant le monopole syndical de candidature au premier tour des élections professionnelles et modifiant le mode de calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires. L'Assemblée ne pourra pas y souscrire.

Je regrette profondément la suppression de l'article 19 bis reconnaissant le burn-out comme maladie professionnelle. Ce n'est pas en repoussant le sujet qu'on le traitera.

L'article 20 relatif aux règles de négociation des accords relatifs à l'assurance chômage des intermittents du spectacle a été considérablement affaibli. C'est une négation du travail de la commission où a siégé Jean-Patrick Gille, qui avait pourtant permis de mettre fin aux conflits nés durant les festivals de l'été dernier. La concertation renforcée que vous avez mise en place n'apaisera aucunement les tensions.

A l'article 21, vous avez supprimé le compte personnel d'activité. Cette mesure de bon sens est pourtant nécessaire pour sécuriser les parcours professionnels dans un contexte économique difficile où les salariés connaissent plusieurs employeurs successifs.

Vous avez restreint aux apprentis dépourvus de diplôme l'éligibilité à la prime d'activité, qui devrait être pleinement mise en oeuvre afin de tendre la main à toutes les personnes concernées par ce dispositif. Enfin, loin d'être le résultat des seules alertes lancées par le Sénat, les éléments du texte relatifs à la pénibilité sont issus d'une mission que m'a confiée le Premier ministre.

La perspective d'un accord me semble difficile, voire irréaliste, ce qui ne m'empêchera pas de proposer à l'Assemblée nationale d'adopter certains éléments introduits par le Sénat afin d'élaborer le texte le plus abouti possible dans le sens du dialogue social et de l'emploi. J'en prends l'engagement devant vous.

M. Alain Milon, sénateur, président. - Voilà deux discours sans surprise.

M. Gérard Cherpion, député. - Le Sénat a voté ce texte deux heures à peine avant la commission mixte paritaire : une première !

M. Alain Milon, sénateur, président. - Je le confirme.

M. Gérard Cherpion, député. - Cette méthode de travail est insupportable. On ne respecte pas le Parlement. Nous recevrons le projet de loi dans la soirée, les amendements devront être déposés d'ici demain midi avant la réunion de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale à 17 heures. Un tel calendrier est inadmissible.

Beaucoup d'avancées ont été réalisées au Sénat. Je salue le travail du rapporteur, Mme Catherine Procaccia, et des sénateurs qui y ont contribué. L'amendement du Gouvernement permettant de renouveler deux fois un CDD dans une période de dix-huit mois, n'a pu être étudié par l'Assemblée nationale.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Nous avons porté cette période à vingt-quatre mois.

M. Gérard Cherpion, député. - La méthode n'est pas acceptable.

Je vous remercie également pour le CDI intérimaire. Il s'agit d'une demande de la profession. Dès lors que ce texte veut offrir plus de travail à tous - on sait combien le CDD laisse perdurer une forme de précarité, face à l'emprunt, par exemple -, il est important de donner cette possibilité, qui se développera dans les prochaines années.

La suppression de la double expertise par les comités centraux d'entreprise et l'amendement de Daniel Gremillet sur la non-prise en compte des congés payés dans le calcul des heures supplémentaires sont autant d'éléments de bon sens qu'il serait nécessaire de reprendre.

Autre manifestation de conditions de travail insupportables, le fait que les amendements du Gouvernement arrivent au fil de l'eau. Après avoir déclenché un beau débat sur la représentativité patronale, celui sur l'article 18 est en train de mettre le feu aux poudres. Proposé sans concertation avec les partenaires sociaux, il s'est soldé par un échec puisque le Gouvernement a été battu.

Le groupe Les Républicains est consterné par la méthode de travail et désolé que les avancées du Sénat ne soient pas prises en compte.

Mme Isabelle Le Callennec, député. - Je salue le travail des sénateurs qui ont tenté de rendre du pragmatisme à ce projet et de faire tenir ses promesses au Premier ministre. Le rapporteur a déclaré qu'il serait tenu compte de certaines propositions sénatoriales à l'Assemblée nationale. Je suis curieuse de savoir lesquelles.

M. Christophe Sirugue, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Vous le saurez dès demain !

Mme Isabelle Le Callennec, député. - Cela arrivera très rapidement, en effet, et je rejoins les propos de Gérard Cherpion sur cette méthode de travail inacceptable.

Dans nos circonscriptions, les chefs d'entreprise s'inquiètent. J'espère que toutes les propositions de bon sens seront retenues. Je déplore le décalage entre les annonces faites aux chefs d'entreprise qui créent les emplois en France et ce projet qui n'apportera ni la souplesse promise, ni les simplifications nécessaires. Attendons-nous aux déconvenues des organisations patronales, des syndicats de salariés, de nos compatriotes. Il ne faut pas compter sur ce projet, s'il est rétabli dans sa rédaction initiale, pour relancer l'activité dans notre pays.

Pour l'instant, ceux qui pensent comme les sénateurs ne sont malheureusement pas majoritaires à l'Assemblée nationale, où je crains que soient rétablies certaines dispositions comme l'article 1er. Je rejoins Catherine Procaccia : débuter un projet de loi sur le dialogue social par la création de commissions paritaires régionales n'est pas le meilleur signal d'une volonté d'amélioration du dialogue. Nous essaierons de faire au mieux, merci à vous d'avoir essayé.

M. Alain Milon, sénateur, président. - Le moment est venu de constater que, comme l'a indiqué le rapporteur de l'Assemblée nationale, un compromis est irréaliste. Il n'y a pas d'accord possible mais les majorités changent.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi.

La réunion est levée à 19 h 10.

Jeudi 2 juillet 2015

- Présidence de Jean-Jacques Urvoas, président -

Commission mixte paritaire sur le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne

La réunion est ouverte à 13 h 15.

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne s'est réunie à l'Assemblée nationale le jeudi 2 juillet 2015.

Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. Jean-Jacques Urvoas, député, président, Mme Catherine Troendlé, sénateur, vice-présidente, M. Dominique Raimbourg, député, étant désigné rapporteur pour l'Assemblée nationale, M. François Zocchetto, sénateur, étant désigné rapporteur pour le Sénat.

La commission examine ensuite les dispositions restant en discussion.

M. François Zocchetto, rapporteur pour le Sénat. - L'Assemblée nationale a adopté vingt-huit nouveaux articles, ne présentant pas de lien avec l'objet du texte et renvoyant, pour certains, à de graves questions qui auraient mérité un examen parlementaire complet. La procédure accélérée se justifie par l'objet limité du texte initial et par la nécessité de procéder, dans les temps, aux transpositions requises.

Le projet de loi comptait initialement huit articles. À l'initiative du Gouvernement, le Sénat a adopté cinq nouveaux articles, dont trois portant sur une adaptation au droit de l'Union européenne, un résolvant une difficulté posée par une censure du Conseil constitutionnel s'agissant des gardes à vue en matière de criminalité organisée et un dernier réparant un oubli de la loi sur la prévention de la récidive concernant le caractère exécutoire de la conversion de la contrainte pénale en peine d'emprisonnement. Ce faisant, le Sénat est resté dans les limites du droit d'amendement, d'autant plus que l'Assemblée nationale était assurée de pouvoir examiner, pour sa part, chacun de ces points en séance publique.

Je regrette que l'Assemblée nationale ait considérablement modifié le périmètre initial du texte, les vingt-huit nouveaux articles traitant notamment de la prise en compte des conditions de détention sur l'obtention des remises de peine, de la transmission d'informations pénales aux administrations, afin d'assurer la protection des mineurs, et de la création d'une majoration des amendes pénales au profit de l'aide aux victimes.

Bien que nombre de ces mesures soient pertinentes, à l'instar de la correction de la malfaçon législative relative au financement des partis politiques, d'autres appellent en revanche un débat et leur accumulation pose une question de principe : les limites du droit d'amendement en première lecture ont été dépassées, ce qui porte atteinte aux prérogatives du Sénat, en particulier dans le cadre de la procédure accélérée.

Malgré ces réserves générales, je me suis efforcé, avec M. Dominique Raimbourg, rapporteur pour l'Assemblée nationale, de parvenir à un consensus entre nos deux assemblées et je souligne la qualité et la cordialité de nos échanges. Alors qu'il aurait été possible de converger sur de nombreux points, aucun accord n'a pu être trouvé sur l'article 5 septdecies A, relatif à l'information par le parquet des administrations employant ou exerçant une tutelle sur une personne impliquée dans une enquête pénale.

Ce dispositif présente trois défauts majeurs. Le premier est sa généralité puisqu'il ne se limite pas aux atteintes contre les mineurs et s'étend à toute infraction et à toute administration. Le deuxième est son caractère gravement attentatoire à la présomption d'innocence, puisqu'il intervient avant toute condamnation pénale. Enfin, il opère un transfert de responsabilité de l'autorité judiciaire vers l'administration pour prendre les mesures préventives nécessaires contre la personne mise en cause. Ce transfert est problématique, non seulement parce qu'il prive la personne en cause de tout recours, mais aussi parce qu'il laisse les administrations totalement démunies face à un problème qui les dépasse. En effet, toute mesure conservatoire prise par celles-ci pourrait être analysée comme une sanction, alors même qu'elles n'ont pas accès au dossier de l'enquête et qu'elles ne pourront la motiver.

Je suis favorable à un mécanisme s'appuyant sur les obligations du contrôle judiciaire. L'interdiction d'exercer une activité au contact des mineurs devrait être rendue systématique, sauf appréciation contraire du juge, en présence d'indices graves et concordants de la participation de la personne en cause à la commission de l'infraction poursuivie. Bien entendu, l'administration serait informée de cette mesure, comme elle le serait en cas de condamnation. Un tel dispositif permettrait d'éviter la situation dénoncée dans l'affaire dite « de Villefontaine » ainsi que les conséquences dramatiques d'informations délivrées trop tôt, en violation de la présomption d'innocence.

Cette divergence de fond, associée à la question de principe déjà évoquée, explique l'absence d'accord sur les dispositions restant en discussion.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur pour l'Assemblée nationale. -Je partage les regrets de M. François Zocchetto, mais aussi l'appréciation favorable qu'il avait faite de nos échanges. Nous avons tous deux essayé de trouver une solution dans un climat de confiance et nos discussions ont été ouvertes.

Je comprends parfaitement que le Sénat puisse être quelque peu froissé d'avoir à examiner en commission mixte paritaire vingt-huit articles ajoutés au texte initial par l'Assemblée nationale. Néanmoins, ces articles ne sont pas dénués de tout lien avec le texte. Par exemple, les dispositions relatives à l'aide aux victimes ont tout à fait leur place dans ce texte.

S'agissant d'un projet de loi ayant trait à la procédure pénale, la tentation était grande de profiter de son examen pour mettre à jour un certain nombre de textes. Et les députés n'ont pas résisté à cette tentation bienvenue.

Un accord aurait pu être trouvé sur l'essentiel, dans la mesure où les dispositions du projet de loi ont été adoptées par la majorité de l'Assemblée nationale et où l'opposition au sein de cette assemblée s'est abstenue. Il ne s'agit donc pas de dispositions très clivantes posant beaucoup de difficultés.

La difficulté porte sur l'amendement relatif aux agressions à caractère sexuel commises par les enseignants.

Beaucoup de sociétés se sont donné des procédures pour déterminer quand et comment un individu doit être déclaré coupable. Ces procédures prennent du temps. Pendant ce temps, il est nécessaire de prendre des mesures. La détention, jadis « préventive » et désormais « provisoire », en est une. Ces mesures sont difficiles à prendre. À l'occasion de l'affaire « de Villefontaine », on a constaté un dysfonctionnement dans le dispositif français.

C'est peut-être parce que les députés ont tenté un peu vite de répondre à ce dysfonctionnement que le texte que nous avons adopté n'était pas complètement mûr. Il va falloir retravailler cette question et déterminer une solution à une vraie difficulté : trouver le chemin de crête entre la protection de la présomption d'innocence et la nécessité de mettre des enfants à l'abri de comportements inadaptés - pour dire les choses de façon euphémistique - voire prédateurs - pour les dire de façon plus dramatique.

Je regrette autant que mon collègue l'échec de cette commission mixte paritaire. Malgré tous nos efforts fournis la veille, malgré les nombreux échanges téléphoniques que nous avons eus et malgré les nombreuses rédactions envisagées, nous ne sommes pas parvenus à un accord. Nous y reviendrons et peut-être trouverons-nous une solution.

M. Pierre Lellouche, député. - Les violences sexuelles contre les enfants en milieu scolaire sont d'autant plus inacceptables qu'elles causent des dommages irréversibles aux personnes les ayant subies. C'est la troisième fois depuis l'affaire de Villefontaine que j'essaie d'apporter une réponse : la première, par une proposition de loi que j'ai déposée, la deuxième, dans le cadre de la proposition de loi relative à la protection de l'enfant et la troisième dans la cadre du présent projet de loi. Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale n'est pas abouti ; il est très difficile de trouver une juste mesure entre deux extrémités : la parole de l'enfant et le risque de détruire une vie, d'une part, en transmettant à l'administration un rôle d'accusation qui n'est pas le sien ; l'impuissance face à des cas avérés, d'autre part. Mme Christiane Taubira a souhaité que l'information soit transmise au moment de l'enquête, ce qui fait peser des risques s'agissant de la présomption d'innocence. Il serait préférable de rendre systématique la peine d'interdiction d'exercer dès lors que la personne est condamnée pour une infraction contre des enfants.

La réflexion sur cette question doit se poursuivre dans le cadre de l'examen du présent projet de loi, de façon à rechercher l'efficacité et le respect du droit, sans clivage partisan. Le désaccord constaté aujourd'hui est positif, dans la mesure où il existe un accord sur l'objectif à atteindre.

M. Philippe Kaltenbach, sénateur. - Il semble y avoir un accord sur 95 % du texte et la disposition faisant l'objet d'un désaccord n'est pas aboutie, M. Dominique Raimbourg ayant lui-même reconnu qu'elle présentait des imperfections. Il est souhaitable qu'un accord puisse intervenir sur les dispositions ne posant pas de difficulté et que l'article 5 septdecies A soit supprimé et repris dans un autre texte.

M. Guy Geoffroy, député. - Je n'avais pas prévu d'intervenir, mais il me semble nécessaire de le faire à la suite de l'intervention de M. Philippe Kaltenbach, car la réalité ne me semble pas être tout à fait celle qui est décrite. Si députés et sénateurs sont d'accord pour dire que les choses ne sont pas mûres, il n'en reste pas moins qu'il y a dans ce projet de loi un nombre considérable d'articles qui n'ont rien à y faire, pour peu qu'on lui conserve le titre qui est le sien au moment où il est examiné - et cela a été la raison de l'abstention de l'opposition à l'Assemblée nationale. Il peut y avoir des dispositions pertinentes, mais elles relèvent, selon moi, d'un autre cadre.

Je ne suis pas d'accord avec la solution proposée par le sénateur Philippe Kaltenbach. Cette solution reviendrait à ce que les parlementaires adoptent tous les cavaliers législatifs d'origine gouvernementale et à ce qu'ils renoncent aux cavaliers législatifs issus d'une réflexion parlementaire sur une problématique au sujet de laquelle le Gouvernement a également proposé des solutions. Selon moi, ce n'est pas vraiment l'esprit dans lequel les députés ont construit leur travail dans l'hémicycle.

Il faut que la majorité et l'opposition construisent non pas un accord, mais le dépassement de leurs désaccords. Il faut que le projet de loi soit examiné en nouvelle lecture dans chacune des assemblées et que, malgré le désaccord de principe sur le fait qu'il s'y trouve de nombreuses dispositions qui ne devraient pas s'y trouver, les réflexions des uns et des autres puissent se rapprocher dans le cadre d'un continuum, au fil des lectures successives.

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente. - Je conclurai en disant que les deux rapporteurs ont conduit un travail très approfondi, de très grande qualité, empreint d'un souci de compromis. À mes yeux, on ne peut que regretter que ce travail n'ait pas permis de rendre positive la conclusion de la commission mixte paritaire.

Au-delà des efforts réalisés par MM. Dominique Raimbourg et François Zocchetto, il n'en reste pas moins que la méthode suivie sur ce projet de loi pose question.

À cet égard, je partage le point de vue de M. Guy Geoffroy. Selon moi, on peut tout d'abord s'étonner d'un certain dévoiement de la procédure accélérée qui a été engagée sur ce texte, déposé sur le bureau du Sénat le 23 avril 2014. Si cette procédure accélérée se justifie parfaitement au regard des retards de transposition des décisions-cadres et directives concernées par ce texte, il n'est pas acceptable qu'un délai de plus de quatorze mois s'écoule entre le dépôt du texte sur le bureau de la première assemblée saisie et la réunion d'une commission mixte paritaire.

J'ajoute qu'on ne peut également que s'étonner de la méthode consistant, pour la seconde assemblée saisie, à insérer de nombreux articles additionnels sans aucun lien avec l'objet du projet de loi, dont certains portent des réformes lourdes sur les plans politique et juridique, sans que le Sénat ne puisse les examiner en commission et en séance publique. Cela a, du reste, été reconnu par le rapporteur pour l'Assemblée nationale, M. Dominique Raimbourg.

Ce sont ainsi vingt-huit articles additionnels qui sont proposés à l'examen des sept sénateurs membres de la commission mixte paritaire qui seront les seuls au sein de la Haute assemblée à avoir eu la possibilité de se prononcer dans des conditions qui sont loin d'être satisfaisantes.

Outre ce problème de principe sur la méthode, il me semble que le projet de loi soulève un problème de constitutionnalité, particulièrement au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les cavaliers législatifs, puisqu'on ne saurait sérieusement plaider, pour vingt-sept des vingt-huit articles additionnels, qu'ils présentent un lien, même indirect, avec l'objet du texte en discussion.

Enfin, j'évoquerai la disposition relative à l'information des autorités administratives, par les autorités judiciaires, en cas d'enquête ou d'instruction sur des faits touchant, de près ou de loin, à la pédophilie : l'amendement dit « Villefontaine » au sujet duquel les rapporteurs n'ont pas réussi à trouver un terrain d'entente.

Je remercie le député Pierre Lellouche pour le travail remarquable qu'il a réalisé en amont, dans le cadre de l'élaboration de sa proposition de loi. Celle-ci a proposé une solution qui, pour l'instant, n'a malheureusement pas été retenue.

Comme l'Assemblée nationale, le Sénat est très attaché à la protection de nos enfants, et il est essentiel qu'ils puissent être mis à l'abri, dans les meilleurs délais, des prédateurs sexuels. Mais cette exigence de protection doit s'inscrire dans un cadre juridique respectueux du principe constitutionnel de présomption d'innocence. Nul n'ignore que ces affaires, et les enquêtes qui s'y attachent, sont souvent compliquées : certes, la parole de l'enfant doit être écoutée et pleinement prise en considération. Mais dans le même temps, il faut prendre garde à ne pas jeter l'opprobre sur des personnes qui, dans certaines situations, peuvent faire l'objet d'accusations se révélant par la suite infondées. À cet égard, je partage le point de vue du député Pierre Lellouche.

Je regrette que députés et sénateurs n'aient pas pu trouver là un terrain d'entente et j'espère que les deux assemblées mettront à profit la nouvelle lecture pour dégager une solution consensuelle en la matière, qui allie ces deux exigences.

M. Jean-Jacques Urvoas, président. - Je constate que la commission mixte paritaire ne peut pas parvenir à proposer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi.

En conséquence, la commission mixte paritaire a constaté qu'elle ne peut proposer un texte commun sur ce projet de loi.

La réunion est levée à 13 h 50