Mercredi 10 juin 2015

- Présidence de M. Philippe Bonnecarrère, président -

La réunion est ouverte à 12 heures

Point d'étape sur les travaux de la mission commune d'information sur la commande publique

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Mes chers collègues, nous nous excusons tout d'abord pour l'horaire atypique de cette réunion. Il n'a pas été possible de se réunir à l'horaire habituel du jeudi matin car plusieurs membres de notre mission d'information se déplacent demain sur les chantiers navals de Saint-Nazaire avec la commission des affaires économiques.

Nous vous proposons de réaliser un point d'étape sur l'avancement de nos travaux et de préparer l'envoi d'un courrier d'intention à M. le ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique concernant le processus de transposition des trois directives de 2014 relatives à la commande publique.

Depuis le début de notre mission, nous savons que notre positionnement n'est pas simple. Si nous pourrons participer à la consultation relative à la transposition de la directive « concessions », notre participation à la concertation sur le projet d'ordonnance « marchés » est plus compliquée.

En effet, ce projet d'ordonnance a déjà fait l'objet d'une consultation publique à laquelle notre collègue André Reichardt, notamment, a participé au nom de la commission des lois. Il doit être examiné par le Conseil d'État en juin et juillet, pour une publication prévue fin juillet. Il nous est donc difficile de contredire le travail qui a déjà été fourni par le Gouvernement. Je rappelle également que le contenu de ce projet d'ordonnance ne concerne que les marchés publics - et pas les concessions - et qu'il porte uniquement sur les mesures législatives, des projets décrets devant être publiés à l'été prochain. En outre, notre mission d'information n'a vocation ni à réécrire le code du marché public et ni à empiéter sur les compétences de la commission des lois.

Le Parlement sera toutefois en mesure d'amender le corps des ordonnances de transposition lorsqu'elles seront présentées pour ratification. Les conclusions de notre rapport de septembre prochain pourraient ainsi être traduites lors de l'examen de ces textes.

Concernant la forme, nous vous proposons que la note d'intention transmise à M. le ministre soit uniquement signée par le rapporteur et moi-même, bien que je vous suggère d'en débattre lors de cette réunion. En effet, nous sommes actuellement dans une phase intermédiaire de notre mission et seul le rapport final sera adopté par cette dernière.

M. Daniel Raoul. - C'est normal ! Je souhaiterais avoir une précision : pourriez-vous m'indiquer le statut des ordonnances avant leur ratification ? À quelle date prennent-elles effet ?

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Une ordonnance prend effet dès sa publication, sous réserve des dispositions qu'elle contient à cet égard. Par exemple, le projet d'ordonnance « marchés » prévoit son entrée en vigueur à une date fixée par voie réglementaire et au plus tard le 18 avril 2016. Une ordonnance a une valeur réglementaire avant sa ratification puis une valeur législative en cas de ratification. Si l'ordonnance n'est pas ratifiée, elle demeure de niveau règlementaire. Toutefois, elle devient caduque si un projet de loi de ratification n'a pas été déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Rien ne contraint le Gouvernement, en revanche, à inscrire son projet à l'ordre du jour des assemblées. L'article 59 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises prévoit que le projet de loi de ratification de la future ordonnance « marchés » doit être déposé devant le Parlement dans un délai de cinq mois à compter de la publication de cette même ordonnance, ce qui correspond à la fin de l'année 2015 si l'ordonnance « marchés » est publiée fin juillet.

Je vous propose désormais de procéder à l'examen du projet de note à l'attention de M. le ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique.

M. Martial Bourquin, rapporteur. - Je rappelle que nous avons souhaité décomposer notre mission en deux parties : une première portant sur l'examen de la transposition des directives et une seconde sur l'achat public en général.

Certes, une première phase de concertation a déjà été menée sur le projet d'ordonnance « marchés » mais il me semble que notre avis peut encore être recueilli par le Gouvernement qui consulte en ce moment, notamment, les représentants de l'outre-mer et de l'économie sociale et solidaire.

Nous avons, en outre, la possibilité d'amender l'ordonnance lors de sa ratification, comme M. le Président l'a rappelé.

Lorsque j'ai rencontré M. le ministre dans le cadre d'une précédente mission, il s'est montré ouvert aux propositions relatives à l'accès à la commande publique des petites et moyennes entreprises. Je crois que le Gouvernement et notre mission d'information doivent faire preuve d'audace en cette matière.

Dans le document qui vous a été distribué, les passages relatifs au projet d'ordonnance « marchés » sont surlignés. Vous voyez que cela correspond à peu près à la moitié du total. Ne pas se limiter à l'ordonnance « marchés » permet en particulier d'évoquer la future ordonnance « concessions » et les textes réglementaires à venir.

Le champ du projet de note est plus restreint que celui de notre futur rapport. Nous allons poursuivre notre travail sur la transposition des directives, mais nous avons aussi un effort significatif à fournir sur les aspects extra-juridiques. Les auditions de la semaine passée ont été d'une richesse exceptionnelle et nous ont permis de mieux saisir certains enjeux.

Certains nous disent que notre calendrier est un peu tardif par rapport à la transposition des directives. Il me semble que ce n'est pas le cas : un débat aura lieu, le Parlement aura l'occasion de s'exprimer et nos propositions pourront être prises en compte, notamment sur la place des PME dans l'économie. Mes chers collègues, la question de la publicité de cette note se pose et de la place que nous souhaitons lui donner. Pour ma part, il me semble que nous devons conserver à ce stade la confidentialité de nos échanges avec le Gouvernement.

M. Daniel Raoul. - Je suis d'accord.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Si cette méthode est approuvée et convient à tout le monde, nous allons si vous le voulez bien revenir à la note elle-même.

M. Martial Bourquin, rapporteur. - Je vous rappelle que la directive « secteurs classiques » prévoit que la procédure négociée - qu'elle appelle « procédure concurrentielle avec négociation » - deviendra la procédure de « droit commun » quand il ne s'agira pas de solutions « standard ».

M. Philippe Bonnecarrère, président. - La question de la prévention des conflits d'intérêts conduit à des interrogations d'un point de vue pénal.

Les directives apportent des précisions en matière d'exécution des contrats. La simplification est un enjeu essentiel. Le sujet des seuils devra faire partie de notre cadre de réflexion.

M. Daniel Raoul. - J'ai pu constater que la mise en concurrence dans le cadre des MAPA n'était pas toujours respectée par nos services. Mon expérience de président de commission d'appels d'offres m'a permis de constater une fréquence anormale de présence des mêmes entreprises. Il faut donc faire preuve de vigilance pour prévenir ces dérives.

M. Martial Bourquin, rapporteur. - L'obligation de délibérer à la suite de la commission d'appels d'offres constitue toutefois une avancée.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Ces observations rejoignent celles de Martial Bourquin sur la culture de l'achat public, avec la professionnalisation de nos équipes et l'exercice de notre propre contrôle d'élu. L'augmentation du champ d'action des acheteurs publics, à travers le « sourçage » et la négociation, suppose un renforcement du contrôle et l'apparition d'éléments de traçabilité.

M. Daniel Raoul. - Il faudrait clarifier les conditions du recours à l'assistance à la maîtrise d'ouvrage.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Dans les auditions a été évoqué le cas de bureaux d'études qui ne se présentent pas dans la phase préalable d'étude, de peur d'être éjectés du dispositif dans un deuxième temps.

M. Martial Bourquin, rapporteur. - Une transparence totale doit être exigée.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Sur le texte de la note qui vous a été remise, avez-vous des remarques à formuler ? Des ajouts à proposer ?

M. Georges Labazée. - Peut-on évoquer la question des concours de maîtrise d'oeuvre et du très grand nombre d'architectes qui concourent ? Je sais que le problème est lié en grande partie à la conjoncture économique défavorable...

M. Philippe Bonnecarrère, président. - La situation économique conduit effectivement, dans la période actuelle, à un nombre anormalement élevé de candidatures lors des concours de maîtrise d'oeuvre. Cela oblige le pouvoir adjudicateur à un travail de sélection motivé, mais sévère et difficile sur un plan humain. Cependant je rappelle qu'il existe un principe constitutionnel d'égalité dans les conditions d'accès à la commande publique, qui s'applique au cas des concours de maîtrise d'oeuvre. Tous ceux qui souhaitent se porter candidat ont donc le droit de le faire.

J'indique que ce principe d'égalité d'accès intervient également dans la question de l'accès des PME aux marchés publics. Il est souhaitable de chercher à faciliter cet accès, mais un small business act à la française n'est pas possible. D'une part, l'Union européenne n'a pas demandé de réserves afin d'autoriser des quotas au bénéfice de nos PME lors de la conclusion de l'Accord sur les marchés publics. On peut le regretter, on peut souhaiter que cette position soit reconsidérée, mais c'est ainsi. D'autre part, le Conseil constitutionnel a élevé l'exigence d'égal accès à la commande publique en principe de valeur constitutionnelle. Ce double verrou empêche toute politique de réservation des contrats en faveur des PME. Il est néanmoins possible, dans ce cadre, de faire des choses en faveur des PME. Il me semble d'ailleurs que les dernières directives européennes sur les marchés publics vont clairement dans cette direction, ce qui marque une évolution de la doctrine de la Commission européenne.

M. Martial Bourquin, rapporteur. - Oui, les directives ouvrent des possibilités nouvelles. Les États membres ont des marges de manoeuvre pour stimuler l'accès de leurs PME à la commande publique. Il faut les exploiter. On reste toutefois sur une différence d'approche forte avec les États-Unis. C'est dommage. Nous le dirons quand nous rencontrerons les commissaires européens.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Reste encore en débat la question des travailleurs étrangers détachés. C'est devenu un problème inquiétant pour nos PME et pour nos concitoyens. Combien de salariés français y a-t-il, par exemple, sur le chantier du terminal méthanier de Dunkerque, qui est l'un des plus importants chantiers industriels en cours en France ? La mission d'information devra traiter cette question. Où en est-on du droit positif ? Il y a sans doute des propositions à formuler pour que le pouvoir adjudicateur puisse choisir d'attribuer le marché en ayant une idée des conditions de la sous-traitance et du recours au personnel détaché. Il me semble que cet objectif de notre mission d'information se situe dans l'actualité des annonces faites hier par le Premier ministre.

M. Martial Bourquin, rapporteur. - Nous sommes d'accord. C'est d'ailleurs un sujet qui avait été soulevé lors de la réunion constitutive de notre mission d'information. Je tiens à souligner la force des annonces faites hier par le Gouvernement. Manuel Valls a annoncé que les donneurs d'ordre seront solidairement, directement et pécuniairement responsables vis-à-vis de leurs sous-traitants qui pratiquent le détachement.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Il faudra alors écrire autrement les textes !

M. Martial Bourquin, rapporteur. - Je crois effectivement qu'il faut aller vers plus de transparence sur les conditions d'emploi des travailleurs détachés dans les appels d'offre. Tout le secteur du bâtiment et des travaux publics est en émoi : les marchés publics diminuent du fait de la situation financière des administrations publiques et, dans le même temps, la concurrence déloyale se développe en raison du recours à un travail détaché illégal.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Il faudrait permettre au maître d'ouvrage de faire des conditions de la sous-traitance un critère de choix dans l'attribution des marchés, voire lui permettre d'effectuer lui-même des contrôles sur les chantiers.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Je vous invite, si vous avez des propositions pratiques émanant des services de vos collectivités et que vous souhaitez voir intégrées dans la note, à les faire connaître.

Mme Sylvie Robert. - J'attire l'attention sur un point qui me tient à coeur, la difficulté des petites librairies à répondre aux marchés des bibliothèques publiques. La complexité administrative est un véritable obstacle pour ces petites structures.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Je pensais que le recours à l'allotissement avait résolu ce problème.

Mme Sylvie Robert. - La barrière administrative perdure.

M. Martial Bourquin, rapporteur. - Nous sommes très preneurs de propositions concrètes. Le prix unique du livre devrait faciliter l'achat à de petites librairies, mais il y a un problème de culture des acheteurs publics, et de complexité des procédures, qui peut dissuader les petites entreprises de candidater.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Nous envisageons de réaliser deux déplacements, l'un, le 25 juin, à Bruxelles, l'autre, les 3 et 4 septembre, en Allemagne. Nous pourrions mettre en ligne sur la page Internet de la mission un espace participatif et un questionnaire, afin notamment d'interroger les territoires.

La réunion est levée à 12 h 56.