Vendredi 5 juin 2015

- Présidence de M. Jean-François Husson, président -

Audition de M. Christian Chapelle, directeur des développements chaînes de traction et châssis, de M. Pierre Macaudiere, expert en dépollution moteurs, de Mme Mathilde Lheureux, déléguée aux relations avec les institutions publiques et le Parlement, et de M. Jean-Baptiste Thomas, directeur presse, informations, médias, du groupe PSA Peugeot Citroën, de Mme Nadine Leclair, membre du comité de direction, en charge de la filière d'expertise, de Mme Martine Meyer, responsable environnement et santé à la direction du plan environnement, de M. Jean-Christophe Beziat, directeur des relations institutionnelles innovation et véhicule électrique, de Mme Maria Garcia Coudoin, chargée d'affaires publiques et de Mme Louise d'Harcourt, directeur des affaires politiques et parlementaires, de Renault

La réunion est ouverte à 10 h.

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission entend M. Christian Chapelle, directeur des développements chaînes de traction et châssis, de M. Pierre Macaudiere, expert en dépollution moteurs, de Mme Mathilde Lheureux, déléguée aux relations avec les institutions publiques et le Parlement, et de M. Jean-Baptiste Thomas, directeur presse, informations, médias, du groupe PSA Peugeot Citroën, de Mme Nadine Leclair, membre du comité de direction, en charge de la filière d'expertise, de Mme Martine Meyer, responsable environnement et santé à la direction du plan environnement, de M. Jean-Christophe Beziat, directeur des relations institutionnelles innovation et véhicule électrique, de Mme Maria Garcia Coudoin, chargée d'affaires publiques et de Mme Louise D'harcourt, directeur des affaires politiques et parlementaires, de Renault.

M. Jean-François Husson, président. - Bonjour et bienvenue. Nous avons souhaité que cette audition soit ouverte au public et à la presse. La réunion fera l'objet d'une captation vidéo et d'un compte rendu.

Nous recevons ce matin M. Christian Chapelle, directeur des développements chaînes de traction et châssis, M. Pierre Macaudière, expert en dépollution moteurs, Mme Mathilde Lheureux, déléguée aux relations avec les institutions publiques et le Parlement, du groupe PSA Peugeot Citroën, et Mmes Nadine Leclair, membre du comité de direction, en charge de la filière d'expertise et Louise d'Harcourt, directeur des affaires politiques et parlementaires, de Renault.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Christian Chapelle et Pierre Macaudière, et Mmes Mathilde Lheureux, Nadine Leclair et Louise d'Harcourt prêtent serment.

Mme Nadine Leclair, membre du comité de direction de Renault, en charge de la filière d'expertise. - Je vous remercie de m'avoir invitée à m'exprimer devant votre commission d'enquête et, ce faisant, devant la Haute assemblée dont la vocation est de prendre de la hauteur et du recul. Cette audition fait suite à la table ronde organisée par le Sénat en janvier dernier sur les effets des motorisations diesel sur la santé et l'environnement, ainsi qu'à un rapport du sénateur Louis Nègre.

Nous, constructeurs automobiles, n'avons pas la légitimité pour évaluer la qualité de l'air et les effets éco-sanitaires de nos véhicules. Nous avons néanmoins un intérêt pour la compréhension de ces phénomènes et soutenons la recherche dans ce domaine ; nous sommes attentifs aux données produites afin de mettre notre offre en cohérence avec les attentes et d'imaginer l'automobile du futur, adaptée aux besoins de l'homme et de la planète.

L'automobile fait partie du problème, elle doit faire partie de la solution. Néanmoins, elle ne saurait porter seule la responsabilité d'un problème aussi multifactoriel que la pollution atmosphérique urbaine. Des auditions conduites en janvier 2014 par le Sénat ont ainsi montré que la problématique dépassait la responsabilité du transport routier et devait être étendue à l'ensemble des secteurs d'activité responsables.

Nous faisons évoluer notre production dans le strict respect de la réglementation européenne, mais les contraintes de plus en plus sévères dans ce domaine nous conduisent également à anticiper et à préparer des solutions en rupture. Le rythme de renouvellement du parc automobile est un facteur essentiel : toute aide des pouvoirs publics pour favoriser les technologies les plus récentes est bénéfique.

La Commission européenne n'a cessé de durcir la réglementation sur les échappements depuis son introduction en 1992. La réglementation dite Euro 6, qui s'applique à tous les véhicules mis en vente à partir du 1er septembre 2015, est la dernière étape de cette évolution. Au total, Renault a investi 1,5 milliard d'euros pour le passage aux réglementations Euro 5 puis Euro 6.

Entrée en vigueur en janvier 2011, Euro 5 a rendu obligatoire l'installation d'un filtre à particules sur tous les véhicules. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a reconnu l'efficacité de ce système fermé. L'émission de particules de plus de 23 nanomètres est réduite de 95 % en masse et de 99,7 % en nombre, ce qui positionne le diesel moderne à un niveau équivalent à celui de l'essence en matière de pollution. Concernant les oxydes d'azote, des évolutions réglementaires sont également en préparation. Enfin, nous travaillons avec la Commission européenne à une meilleure prise en compte, dans les mesures de pollution, de l'usage réel. En tant que constructeurs, nous avons besoin d'éléments précis en matière de niveau d'émission exigé et de délais compatibles avec l'adaptation de nos chaînes de production.

Certes sensibles à l'amélioration de l'environnement, nos clients ne sont pas pour autant prêts à - ou capables de - supporter le coût additionnel des solutions technologiques indispensables, en particulier pour le diesel. C'est pourquoi nous procédons à un rééquilibrage de notre offre entre l'essence et le diesel : la nouvelle Twingo ne sera disponible qu'en version essence. Nous faisons également évoluer nos moteurs essence grâce à des technologies comme l'injection directe, la suralimentation ou le downsizing. Au total, nous estimons que les ventes de véhicules essence et diesel arriveront à parité à l'horizon 2020, voire plus tôt si la tendance à la baisse des ventes de véhicules diesel se poursuit au même rythme.

La prise en compte des enjeux liés à la qualité de l'air ne doit pas nous faire perdre de vue les autres enjeux planétaires. La COP 21 nous rappelle ainsi que l'industrie automobile est attendue sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Premier constructeur à se fixer des objectifs chiffrés dans ce domaine, Renault a réduit les émissions de gaz à effet de serre de ses véhicules de 12,4 % entre 2010 et 2014, soit une baisse moyenne de 3,3 % par an - c'est 10,1 millions de tonne d'équivalent CO2 évités, soit la moyenne d'émissions d'une ville européenne de 900 000 habitants.

Rappelons que la réglementation européenne impose une limite de 95 grammes de CO2 émis par kilomètre à l'horizon 2020. Or les émissions des véhicules diesel sont inférieures de 15 à 20 % à celles des meilleurs véhicules essence de gamme équivalente. Renault est devenu en 2013 le leader européen dans ce domaine en passant en-dessous des 115 grammes par kilomètres d'émissions moyennes pour les véhicules particuliers, avant de céder cette place à PSA. Ce positionnement a été reconnu par la profession, à commencer par nos partenaires Nissan, Daimler et General Motors à qui nous fournissons des moteurs. Cela concourt à l'activité des usines françaises.

La politique volontariste de Renault en matière d'environnement s'est traduite par notre engagement en faveur de la mobilité électrique, publiquement annoncé en 2008. Depuis, Renault-Nissan a investi 4,3 milliards d'euros dans cette technologie et lancé une gamme de véhicules dès la fin 2011 : la Twizy, véhicule deux places, l'utilitaire Kangoo Z.E., la Fluence Z.E. et la Zoé, fer de lance de la gamme.

Le véhicule électrique est aujourd'hui une réalité. En Norvège, il a représenté plus de 10 % des ventes en 2014, plus encore sur les premiers mois de 2015. La France occupe le deuxième rang européen en termes de ventes, avec 15 500 véhicules en 2014, et le quatrième en termes de parts de marché, soit 0,72 %. Depuis 2010, Renault-Nissan a mis sur les routes 250 000 véhicules électriques dans le monde.

Le soutien de l'État est indispensable, à la fois pour compenser les surcoûts liés à l'utilisation de cette technologie et pour inciter à mettre en place des infrastructures de charge visibles pour les consommateurs. C'est d'autant plus nécessaire que le véhicule électrique répond à la fois aux problématiques du réchauffement climatique et de l'utilisation des ressources renouvelables.

Une étude que nous avons conduite en partenariat avec ARIA Technologies et la ville de Rome montre que dans l'hypothèse d'un parc automobile comptant 10 % de véhicules électriques, avec une zone centrale à trafic limité où cette part atteindrait 20 %, les niveaux maximum de concentration baisseraient de 30 % pour les particules fines et de 45 % pour le dioxyde d'azote. Preuve qu'une action volontariste peut faire baisser fortement la concentration de polluants.

Au-delà du développement de l'offre, Renault investit également dans la promotion de la connaissance scientifique. Depuis 2013, nous finançons, en partenariat avec PSA, une chaire Mobilité et qualité de vie en milieu urbain à l'université Pierre et Marie Curie et soutenons les travaux de recherche dans le cadre du mécénat.

Quelques principes de réussite, pour conclure. Il convient d'abord de mener une réflexion en amont avec les pouvoirs publics sur les futures réglementations. Ensuite, les réglementations communautaires devraient être l'unique référence pour les mesures relatives au traitement de la pollution urbaine, afin d'éviter les incohérences et ne pas faire de la technologie un critère. Nous nous associons au communiqué publié par le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA) et la Chambre syndicale internationale de l'automobile et du motocycle (CSIAM) à propos du système d'identification des véhicules présenté le 2 juin par le ministère de l'Environnement, qui réserve la pastille n°1 aux véhicules à essence.

Nous recommandons également la mise en place de mesures favorisant le renouvellement du parc automobile roulant, qui comptait 38,5 millions de véhicules en janvier 2015. L'âge moyen de ces véhicules est de 8,7 ans, et les 9 % les plus anciens sont responsables de 20 % des émissions de particules de diamètre inférieur à 10 microns.

Nous demandons un soutien des pouvoirs publics aux technologies de rupture, à travers des incitations fiscales et le développement d'infrastructures.

Enfin, il conviendrait d'adopter une approche intégrée du problème, en prenant en considération l'environnement d'utilisation des véhicules et l'ensemble des sources de pollution - industries manufacturières, agriculture, résidentiel et tertiaire. Le transport routier n'est pas la source principale de pollution. Grâce à notre département de recherche et développement, nous avons réduit nos émissions de 40 à 50 % en dix ans ; 70 % de notre effort de R&D a été consacré à l'adaptation aux réglementations Euro 5 et Euro 6, et 75 % de ce total concerne la France. C'est dire l'importance que Renault attache au respect de l'environnement et à la problématique de la pollution.

M. Christian Chapelle, directeur des développements chaînes de traction et châssis de Renault. - Merci de nous donner cette occasion de nous exprimer devant vous.

Le développement durable figure au coeur de la stratégie de PSA, qui a toujours été attentif à préparer l'avenir. Pour preuve, nous avons maintenu la part de notre chiffre d'affaires consacrée à la recherche-développement entre 7 et 8 % malgré la crise.

L'automobile connait actuellement de fortes évolutions. Le public demande des véhicules fiables, sobres, économiques, sûrs et, demain, connectés et communicants. Le développement durable est au coeur de nos choix technologiques depuis plusieurs décennies.

Il existe différentes voie pour produire des véhicules durables et propres : petits moteurs thermiques vertueux, véhicules électriques ou hybrides, systèmes stop and start, boîtes de vitesse à haut rendement, plateformes légères et aérodynamiques... autant de technologies contribuant à la réduction des émissions de CO2, un domaine dans lequel PSA est leader européen avec 110,4 grammes au kilomètre en 2014. D'ici 2020, plusieurs véhicules électriques seront produits sur notre nouvelle petite plateforme en cours de développement, ainsi qu'un véhicule essence hybride rechargeable.

Il est essentiel pour nous d'avoir des objectifs environnementaux clairs et précis, fixés dans des délais compatibles avec nos contraintes industrielles, c'est pourquoi nous plaidons en faveur du principe de neutralité technologique.

Dès l'amont, nous travaillons à l'éco-conception. En 2008, nous avons lancé une politique d'intégration de matériaux verts à la chaîne de construction. PSA se donne pour objectif d'utiliser 30 % de matériaux recyclés ou d'origine renouvelable à l'horizon 2020. Nous participons à la collecte et au traitement des véhicules hors d'usage, qui sont valorisables à 95 %, dont 85 % en réemploi ou recyclage de matières.

Concernant la pollution par émission, le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) et l'Institut international pour l'analyse des systèmes appliqués (Iiasa) estiment que le transport routier n'est que le troisième émetteur de particules de diamètre inférieur à 2,5 microns - les PM2,5 - avec 17 % du total, derrière le résidentiel et tertiaire (48 %) et les industries manufacturières (22 %). Cette part augmente en Île-de-France où, selon Airparif, il serait responsable de 35 % des émissions de PM2,5, même si les deux tiers de ces émissions sont d'origine extérieure à la capitale. Remarquons enfin que les seuils d'information et d'alerte ne cessent de baisser, ce qui explique en partie la multiplication du nombre de pics de pollution. En réalité, la qualité de l'air s'améliore globalement.

J'en viens au diesel, qui a bénéficié de progrès technologiques importants. Sans prétendre prendre position sur ses effets sanitaires, nous suivons attentivement les travaux et publications scientifiques sur le sujet. Véritable saut technologique, le filtre à particules, dont PSA est l'inventeur, permet désormais de traiter efficacement les émissions. Il est obligatoire depuis 2011, à la suite de l'entrée en vigueur de la norme Euro 5. À ce jour, PSA a commercialisé plus de dix millions de véhicules qui en sont équipés. En novembre 2012, l'Ademe a estimé que ce filtre fermé était fiable et réduisait les émissions de particules de 95 % en masse et de 99,7 % en nombre.

À la fin 2013, l'Euro 6 a succédé à l'Euro 5 ; il s'imposera à tous les véhicules à partir du 1er septembre 2015. Pour y répondre, nous avons mis au point le moteur Blue HDi, qui associe le système de réduction catalytique sélective (SCR) et le filtre pour réduire les émissions de NOx de 90 %. Depuis 1992 et l'entrée en vigueur de la norme Euro 1, l'ensemble des émissions des moteurs diesel ont été divisées par dix en moyenne, et par mille pour ce qui est des particules ! Elles sont, avec Euro 6, à un niveau comparable à celles des moteurs à essence, pour 20 à 25 % de carburant consommé et 15 % de CO2 émis en moins.

PSA est en pointe dans cette évolution. 34 % de nos véhicules qui circulent en Europe - dont 66 % sont équipés de moteur diesel - émettent moins de 100 grammes de CO2 au kilomètre. Si l'on prend les cinq premiers constructeurs européens, ces chiffres sont de 19 % et de 72 %. Ces données nous autorisent à considérer le diesel comme un levier pour atteindre l'objectif des 95 grammes au kilomètre en Europe en 2020.

Enfin, quelques propositions d'amélioration. Un renouvellement du parc automobile produirait des bénéfices immédiats. En 2014, 28 % du parc automobile était antérieur à 2005 et engendrait la moitié des émissions de particules, selon une estimation du CCFA. En considérant qu'il faut dix à quinze ans pour qu'une innovation technologique se diffuse largement, il est indispensable d'encourager les consommateurs à remplacer leur ancien véhicule diesel par un véhicule équipé d'un filtre. Des mesures fiscales analogues à la prime à la casse sont efficaces ; cependant, elles ne sont qu'une réponse partielle, car soumise à des limites temporelles et budgétaires.

Nous considérons que le projet de loi relatif à la transition énergétique va dans le bon sens. Les zones de restriction à la circulation peuvent avoir un effet positif, si toutefois elles favorisent les véhicules les plus récents. Il faudra mener des études d'impact pour s'assurer que l'accès à ces zones est équitable. Enfin, il faudrait encourager les flottes publiques à se doter de véhicules à faibles émissions.

En revanche, nous déplorons que la ministre de l'écologie ait annoncé le 2 juin que la pastille 1 serait réservée aux véhicules à essence, alors même que le président de la République avait reconnu les performances des nouveaux moteurs diesel dans un discours prononcé le 27 mars à Trémery. Cette discrimination ne se justifie aucunement. La première zone à très basses émissions d'Europe, qui sera mise en place à Londres en 2020, sera, elle, accessible gratuitement aux diesels Euro 6.

PSA a toujours pris position en faveur de l'amélioration de la qualité de l'air, jouant un rôle pionnier dans des technologies électriques et hybrides. Nous insistons sur le principe de neutralité technologique en matière de réglementation, associé à des objectifs clairs en matière de résultats d'émissions, fixés dans des délais compatibles avec nos contraintes industrielles.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je vous remercie de votre présence, mais je regrette l'absence des dirigeants de vos groupes respectifs devant la représentation nationale - eux qui n'hésitent pas à se mobiliser quand il s'agit de promouvoir des politiques incitatives. À ce propos, puisque vous avez parlé de discrimination, je rappelle que le diesel bénéficie de dispositifs fiscaux très incitatifs. Cette absence est d'autant plus regrettable que notre commission d'enquête est au service de la nation et de la population, et que sur ce sujet important, nous devons travailler ensemble pour trouver des solutions.

Vous avez dit, madame Leclair, qu'il appartient aux organismes de recherche d'évaluer les effets et les coûts sanitaires des émissions et que la pollution de l'air est un phénomène complexe et multi-sources. Autrement dit, vous vous défaussez sur les autres. Nous sommes ici pour évaluer l'impact des émissions automobiles sur la pollution de l'air. Renault se positionnerait-il en dehors du développement durable ? Ne vous appartient-il pas de prendre en compte les différentes expertises sur le sujet ? Oubliez-vous que le diesel est l'un des principaux polluants ? Je souhaite connaître votre analyse de l'impact sanitaire et environnemental de vos véhicules, et vous rappelle que Renault prétend être une entreprise responsable et citoyenne.

Mme Nadine Leclair. - Nous avons une division entièrement consacrée à notre responsabilité sociale et environnementale, pilotée par Mme Claire Martin. Pour lever tout malentendu, j'ai dit que nous ne nous considérions pas légitimes pour tirer des conclusions sur les effets sanitaires des émissions, mais que nous nous sentions pleinement acteurs : nous faisons partie du problème, nous devons faire partie de la solution. On ne peut pas dire que Renault se défausse, alors que le groupe travaille sur toutes les solutions relevant de son périmètre de responsabilité pour améliorer la qualité de l'air et réduire son empreinte carbone.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous avez rappelé les chiffres de vente de véhicules électriques en Norvège et en France : 50 000 véhicules pour une population de 5 à 6 millions dans le premier cas, 15 500 véhicules pour une population de 60 millions dans l'autre... Depuis quand Renault travaille-t-il sur le véhicule électrique ? Pourquoi avoir abandonné le bus électrique, alors que la France a perdu 100 000 emplois dans l'industrie automobile ? Devrons-nous bientôt en importer ?

Mme Nadine Leclair. - Le groupe Renault ne travaille plus sur les bus et véhicules industriels depuis plus de quinze ans.

Le véhicule électrique était majoritaire au début du XXe  siècle, avant d'être supplanté par les moteurs thermiques, pour des raisons de praticité et de disponibilité du carburant. Nous avons recommencé à travailler sur la technologie dans les années 1990 et mis quelques véhicules sur le marché, mais sans grand succès. C'est en 2006 que les conditions nous ont semblé réunies pour relancer véritablement notre stratégie de développement industriel et commercial de l'électrique. En effet, nous bénéficiions alors du soutien de l'État, d'évolutions technologiques avec les batteries lithium-ion, de possibilités de mutualiser les coûts grâce à l'alliance avec Nissan et enfin de l'aiguillon que constituait la nécessaire amélioration des moteurs thermiques.

Cette nouvelle stratégie, publiquement annoncée en 2008, a conduit à la commercialisation d'une gamme de véhicules électriques à la fin 2011. Nous avons créé une division dédiée, IDVE (ingénierie division véhicules électriques), et noué en 2010 un partenariat stratégique avec le Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Au total, les six véhicules de la gamme électrique représentent un investissement d'environ 4,3 milliards d'euros.

Le véhicule électrique est aujourd'hui une réalité, en Norvège mais aussi en France, ou l'augmentation de la part de marché se poursuit au premier trimestre 2015 grâce aux incitations. D'aucuns ont déploré la lenteur du décollage, mais je rappelle que la progression du véhicule électrique est 25 fois plus rapide que celle des hybrides à leurs débuts. Les constructeurs allemands nous ont emboîté le pas, notamment Volkswagen, qui a une forte pénétration en Norvège.

Nous explorons en parallèle les systèmes associant l'électrique aux moteurs thermiques. Le prototype Eolab, dévoilé lors du Mondial de l'automobile, préfigure ainsi un véhicule de segment B dont la consommation ne dépassera pas 1 litre aux cent kilomètres d'ici vingt ans.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous travaillez donc sur le véhicule électrique depuis 2010 ou 2011.

Mme Nadine Leclair. - La stratégie a été annoncée en 2008 et lancée en 2011, mais nous y travaillons ardemment depuis que nous avons identifié un business model viable, autour de 2006.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Les premières études sur l'impact sanitaire du diesel datent de 1983. Entre 1983 et 2008, c'est comme si, pour Renault, le diesel n'avait pas posé problème !

Mme Nadine Leclair. - Renault a d'abord travaillé sur l'amélioration des moteurs thermiques, avant de jouer un rôle pionnier dans l'électrification des voitures. 2011 marque la date de sortie en masse des nouveaux modèles, cependant précédée par tout un travail sur la motorisation avec les professionnels, les fournisseurs et les pouvoirs publics.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - À quel montant évaluez-vous les investissements en R&D qu'a nécessités la mise au point du filtre à particules ? N'aurait-il pas été plus simple de renoncer au diesel ?

Mme Nadine Leclair. - Nous avons investi plus d'1,5 milliard d'euros en recherche et développement pour répondre aux normes Euro 5 et Euro 6 pour mettre au point le filtre à particules, et travaillons aussi sur les NOx.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Cela suffit-il à dépolluer entièrement les voitures ?

Mme Nadine Leclair. - C'est un progrès très significatif.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous ne répondez pas à la question. Le filtre fait-il du véhicule un véhicule propre ?

Mme Nadine Leclair. - Une diminution de 95 % des émissions de particules en masse et de 99% en nombre, d'après les estimations de l'Ademe, témoigne d'un progrès important.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - L'Ademe s'est montrée dubitative quant à l'utilité de ces filtres, car les mesures ont été effectuées dans les conditions de test et non d'utilisation réelle. D'après l'Iiasa, que nous avons entendu, le filtre ne marche pas.

Mme Nadine Leclair. - La procédure de mesure des émissions est en cours de révision au niveau de la Commission européenne afin de prendre en compte l'usage réel, et le système RDE (Real drive emission) doit être implémenté au plus vite. Nous avons avant tout besoin d'une norme bien fixée pour guider notre développement technologique.

M. Jean-François Husson, président. - Les premières recherches menées par Renault sur l'électrique remontent donc à 2006-2008. Je note que le groupe a longtemps été une entreprise publique, où l'État reste actionnaire majoritaire... Simple constat. Notre commission veut objectiver la réalité des faits et trouver des pistes d'évolution. Nous comprenons les enjeux, nous souhaitons une industrie automobile de pointe, mais ce n'est pas une raison pour passer sous silence les améliorations ou les gênes.

Mme Aline Archimbaud. - Vous dites travailler activement au développement commercial de nouveaux diesels équipés de filtres. Or l'efficacité de ces filtres est aujourd'hui contestée par les experts. Des points de vue opposés sur le sujet ont été exprimés devant notre commission. Pour mettre fin au débat, ne faudrait-il pas créer une commission d'experts indépendants pilotée par les pouvoirs publics ? Il s'agit de savoir si oui ou non, les filtres à particules font disparaitre le risque sanitaire. Les mesures existantes ne sont pas effectuées dans les conditions réelles de circulation. Les filtres cassent les particules, mais il est possible que des particules encore plus fines se reforment après la sortie. Êtes-vous favorable à une expertise indépendante ?

Pourquoi, au fond, souhaitez-vous conserver le diesel dans votre stratégie industrielle ? Le coût pour les pouvoirs publics, lié à la nécessité d'importer du gazole et à la niche fiscale, est estimé à 20 milliards d'euros. Ces sommes ne seraient-elles pas mieux employées à soutenir les mutations ? Comptez-vous maintenir l'option diesel après 2020 ?

M. Christian Chapelle. - Comme notre président, Carlos Tavares, l'a lui-même proposé, nous sommes tout à fait favorables à la constitution d'une commission d'experts indépendants sur l'efficacité du filtre.

PSA n'est pas particulièrement attaché au diesel. Notre vocation est de proposer des solutions de mobilité à l'ensemble de nos clients, quels que soient leurs revenus. Or certaines technologies sont très onéreuses. Nous demandons une réglementation basée sur les résultats en termes d'émission, et non sur les choix technologiques. Un moteur diesel consomme 20 à 25 % de carburant et émet 15 % de CO2 de moins qu'un moteur essence. Nous avons l'obligation de tenir l'objectif de 95 grammes de CO2 au kilomètre pour 2020. Pour attendre cette moyenne, le diesel est l'une des technologies les plus économiques, avec des émissions équivalentes à celles des véhicules à essence, voire moindres. Nous nous devons d'offrir des technologies à tous les prix, or tous veulent un air plus propre sans nécessairement être disposés à payer pour cela. Et nous produisons bien plus de moteurs essence que de moteurs diesel.

Mme Nadine Leclair. - Les conclusions du rapport Nègre plaident en faveur d'une remise à plat de l'information dont disposent les pouvoirs publics pour agir au plus vite.

M. Jean-François Husson, président. - Cela prouve que les rapports du Parlement ne sont pas toujours suivis d'effet, d'où l'utilité de cette commission d'enquête. Un industriel que nous avons entendu sur la question du filtre à particules nous a déclaré que les émissions engendrées par les moteurs diesel et essence étaient désormais équivalentes.

M. Christian Chapelle. - Avec la norme Euro 6, les émissions de particules sont en effet au même niveau. Avec les filtres, nous sommes très en dessous du seuil réglementaire de 5 milligrammes de particules au kilomètre, les véhicules diesel PSA arrivant à des moyennes d'1 milligramme. Pour ce qui est des NOx, la norme est de 80 milligrammes pour le diesel et de 60 milligrammes pour l'essence. En 2017, tout le monde sera au même niveau.

M. Jean-François Husson, président. - J'en déduis qu'aux yeux des industriels, toute différence de traitement entre les deux types de véhicules est injustifiée.

M. Christian Chapelle. - Oui, dès lors que la même norme s'applique.

M. Jean-François Husson, président. - Vous souhaitez rester des groupes industriels performants - la France y a aussi intérêt. Comment viser à l'excellence environnementale et commerciale à la fois ? Zoé ne représente que quelques dizaines de milliers de véhicules. C'est mieux que rien, certes. Mais il faudra remplacer le parc automobile si nous ne voulons pas avoir les niveaux de pollution de certains pays d'Asie. Quelle est votre feuille de route ? Et parlez-moi d'avant 2030 !

M. Christian Chapelle. - Nous devons offrir plusieurs solutions de mobilité. Nous avons mis le diesel au niveau de l'essence, et travaillons au développent d'une nouvelle petite plateforme pour l'électrique. Nous avons vendu jusqu'à 20 000 véhicules électriques dans les années 1990, des 106, des Saxo et des petits utilitaires, mais le marché et les infrastructures n'ont pas suivi. Nous avons redémarré dans les années 2010 avec C-zéro, iOn, Berlingo et Partner, parce que les technologies changent, même si elles restent trop chères. Il y a enfin les hybrides, et notamment les hybrides plug in, rechargeables, polyvalentes et modulaires, qui pourront être adaptées à toutes nos plateformes. Les prix de ces technologies vont baisser et leur part de marché augmenter. Mais à l'instant T, nous devons fournir l'ensemble de la palette pour satisfaire tous nos clients.

Mme Nadine Leclair. - A horizon 2020, l'éventail de solutions -diesel, essence, petite hybridation, hybridation rechargeable et voiture électrique- évoluera avec des proportions de motorisation et d'électrification qui changeront. Les critères sont nombreux : la part des flottes, la valeur résiduelle des véhicules du parc, le nombre de kilomètres parcourus -le diesel est d'autant plus choisi qu'on roule beaucoup- le delta entre prix du fuel et de l'essence -notons sur ce point que la France est dans la moyenne de l'Europe des quinze, qui consomme 95 % du fuel- la diminution de la consommation des moteurs à essence, le prix des diverses motorisations. À terme, en 2020, l'essence et le diesel devraient être à égalité pour la motorisation thermique, et l'électrique représenter 10 % du parc. Il y aura beaucoup moins de diesel sur le segment B -Clio ou Peugeot 208- autant ou moins sur le segment C -Mégane et 308- et plus sur les LCV, les véhicules commerciaux.

M. Jean-François Husson, président. - Pour rester performant tout en faisant évoluer le parc, il faut tenir compte de l'aspiration à l'acquisition d'un véhicule. Si vos véhicules sont trop polluants ou trop chers, ce sont vos concurrents qui gagneront. Il faudrait sans doute se pencher sur les changements de comportement des clients, avec l'apparition de l'économie collaborative, dans laquelle le véhicule cesse d'être ma propriété pour devenir un bien partagé. Vous avez parlé de mobilité polyvalente. Le temps de parcours change et les mobilités se diversifient. Comment mieux vous intégrer sur le secteur du transport collectif, qui concerne les trois quarts de la population française ?

Mme Nadine Leclair. - Nous sommes conscients de l'importance des solutions de mobilité partagée pour répondre aux enjeux économiques et sociétaux. Renault a noué un partenariat avec Bolloré sur l'auto-partage collectif, de manière à proposer à toutes les villes qui le souhaitent des solutions de ce type : nous avons ainsi créé la coentreprise Blue Alliance, qui commercialise les Blue Cars et les Twizy à Lyon ou à Bordeaux, mis en place une coopération industrielle avec un assemblage des Blue Cars à Dieppe, et non plus en Italie. Par ailleurs, Renault travaille sur l'offre aux entreprises et aux collectivités locales avec un programme commun au niveau de la filière avec Volvo Trucks et la RATP faisant partie de la Nouvelle France industrielle sur le transport multimodal.

M. Jean-François Husson, président. - Un jour, nous aurons un résultat.

M. Christian Chapelle. - Les usages des clients évoluent. Nous nous intéressons à la mobilité partagée, avec le dispositif Share Your Fleet d'auto-partage en entreprise. Nous développons aussi des solutions les plus larges, adaptées pour le week-end, comme Mu by Peugeot.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Monsieur Chapelle, depuis la première étude de l'OMS en 1983, des milliers d'études ont établi que le diesel est responsable d'un tiers de la pollution atmosphérique, de 50 000 décès prématurés en France chaque année, de cancers du poumon et de la vessie, de maladies cardio-vasculaires et respiratoires, d'allergies, d'irritation oculaire, d'irritation des muqueuses, que c'est un facteur aggravant de l'infertilité, de malformations congénitales et de mortalité infantile, d'affaiblissement du système immunitaire, de la hausse du taux d'hospitalisation, des maladies de Parkinson et d'Alzheimer, de l'obésité et même du taux de suicide. Répondez-moi simplement : contestez-vous l'impact du diesel sur la santé ?

M. Christian Chapelle. - Nous ne nous sentons pas légitimes pour juger de l'effet des émissions polluantes sur la santé.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Ce n'est pas la question. Contestez-vous l'impact sur la santé du diesel, oui ou non ?

M. Christian Chapelle. - Je ne répondrai pas de cette façon : jusqu'en 2012, l'OMS a classifié les émissions de l'essence et du diesel dans la même catégorie. Le filtre à particules a été rendu obligatoire dès 2011.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - En 1999, l'Ademe, après The Lancet, explicite les conséquences sanitaires du diesel. Un enfant né en 1983 a eu le temps d'acheter deux fois une voiture... et vous en êtes toujours au diesel ! C'est donc que vous considérez qu'il n'a pas d'impact sur la santé. Vous vous voulez pourtant une entreprise responsable... Vous expliquez depuis tout à l'heure que c'est à la demande d'évoluer, et que vous avez besoin de soutien pour développer de nouvelles technologies. Vous pouvez les impulser ! En 2013, dans le cadre du grand emprunt, vous obtenez 90 millions d'euros ; vous connaissiez l'impact sanitaire du diesel, mais vous persistez et signez en consacrant cette somme à la recherche sur un moteur hybride diesel !

Savez-vous combien de personnes retirent le filtre de vos véhicules soi-disant propres ? Certaines études contestent les résultats des vôtres : l'Iiasa, que vous citez, explique que le filtre à particules est un polluant.

M. Christian Chapelle. - Il ne faut pas confondre pollution de l'air et diesel. Toute combustion - cigarette, feu de bois - produit des émissions polluantes ; nous n'avons jamais contesté qu'elles n'étaient pas bonnes pour la santé. Mais, je l'ai dit, l'OMS a classé diesel et essence dans la même catégorie jusqu'en 2012, et nous avons généralisé les filtres à particules depuis 2011 ; nous avons été précurseurs des véhicules électriques dans les années 1990, mais le marché n'était pas prêt, faute d'infrastructures.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Et pourquoi ? Parce que vous nous avez expliqué que le diesel n'avait pas d'impact sur la santé ! Vous êtes une entreprise citoyenne, importante dans l'industrie française ; vous savez depuis 1983, mais vous n'impulsez aucune dynamique. Il faut évidemment des infrastructures ; mais pourquoi les pouvoirs publics les développeraient-ils si vous leur tenez ce discours ? Nous devons trouver des solutions pérennes ; ce ne sera pas possible si vous vous enfermez dans votre discours. Certains pays interdisent le diesel !

M. Christian Chapelle. - Lesquels ?

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Le Japon.

M. Christian Chapelle. - C'est faux. Le Japon a réintroduit le diesel, y compris à Tokyo.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - En 2013, vous savez que le diesel est cancérigène, mais vous y consacrez 90 millions d'euros...

M. Christian Chapelle. - Nous avons traité le problème des particules avec le filtre à particules.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - L'Iiasa conclut que votre filtre à particule ne fonctionne pas.

M. Christian Chapelle. - Faisons cette commission d'experts indépendants : nous vous prouverons qu'il fonctionne. C'est un filtre fermé par lequel les gaz d'échappements doivent passer.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Les consommateurs le retirent : que faites-vous contre cela ?

M. Christian Chapelle. - Internet regorge d'astuces pour rendre sa voiture plus puissante. Chacun son métier : nous ne sommes pas là pour vérifier que nos clients conduisent des véhicules conformes. La législation européenne nous a imposé le European on-board diagnostic (E-OBD) : un voyant au tableau de bord s'allume si vous retirez le filtre. Mais si le client veut continuer de rouler en toute illégalité, vous ne pouvez pas nous le reprocher.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - On peut vous reprocher de ne pas mettre en place un véhicule propre aujourd'hui.

M. Christian Chapelle. - Ne faites pas ce procès à PSA : nous avons été précurseurs sur ces questions avant tout le monde, Madame Aïchi, sur le véhicule électrique, sur le stop and start !

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Mais pourquoi avez-vous persisté à flécher ces 90 millions d'euros - ce n'est pas rien - vers le diesel, que vous saviez cancérigène ? C'est l'argent du contribuable ! Vous vous êtes permis de dire que le diesel était économique, sans prendre en considération les maladies dont je vous ai parlé, qui ont un coût pour la société. Nous savons que le diesel est une impasse économique ; vous avez supprimé 11 200 emplois en 2012 ; vous avez demandé une aide pour le véhicule propre ; pourquoi ne pas lui avoir consacré ces sommes en 2013 ? Vous demandez aux politiques d'inciter au renouvellement du parc...

M. Christian Chapelle. - Depuis janvier 2011, les moteurs diesel sont équipés de filtres et émettent moins de particules que les moteurs à essence. L'Iiasa ne parle pas des particules.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - L'Iiasa parle de votre filtre à particules. Pourquoi avez-vous perdu deux ans ? Répondez à ma question !

M. Christian Chapelle. - Nous n'avons pas perdu deux ans : nous avons commercialisé des véhicules électriques dans les années 1990. Dès lors que le moteur diesel est propre...

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je vous rappelle que vous avez prêté serment ! Vous dites bien que le moteur diesel est « propre » ?

M. Christian Chapelle. - Le moteur diesel émet moins d'1 milligramme de particules par kilomètre. Faisons cette commission d'experts indépendants.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous citez l'étude du Citepa, selon laquelle l'automobile ne représente que 17 % des émissions de particules. PSA fait-il partie du conseil d'administration du Citepa ?

M. Christian Chapelle. - Je l'ignore.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous venez parler de pollution atmosphérique devant une commission d'enquête la représentation nationale, et vous n'êtes pas capable de dire si PSA est membre du conseil d'administration du Citepa ?

M. Christian Chapelle. - J'imagine que le CCFA en est membre, mais pas directement PSA.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je regrette que vous ne puissiez répondre à une telle question, et vous invite à regarder la composition du conseil d'administration du Citepa : vous comprendrez l'origine de ce chiffre...

M. Christian Chapelle. - Bien, Madame ; je le ferai.

M. Jean-François Husson, président. - Quelle est la part de marché des différents grands constructeurs automobiles que vous êtes dans les technologies les plus avancées de véhicules propres ou, pour reprendre les termes de la loi sur la transition énergétique, de véhicules faiblement émissifs et très faiblement émissifs ?

Mme Nadine Leclair. - Les véhicules très faiblement émissifs  sont essentiellement des véhicules électriques, pour lesquels je vous ai donné les chiffres.

M. Christian Chapelle. - PSA et Renault font la course en tête en matière démission de CO2 depuis très longtemps : l'an dernier, Renault était numéro un, cette année c'est PSA.

M. Jean-François Husson, président. - Devant Toyota ?

M. Christian Chapelle. - Oui.

Mme Nadine Leclair. - Notre panel de technologies le permet. De même, nous allons vers un panel d'utilisation des voitures, des transports en commun ou du partage.

Mme Aline Archimbaud. - Le CO2 d'une part et les particules fines et le NOx d'autre part sont deux problèmes différents qu'il faut traiter de front. Bravo pour vos bonnes performances concernant le CO2. Ne pensez-vous pas cependant qu'il y a un coup à jouer pour l'industrie française dans la conjoncture actuelle, où l'on peut sentir un frémissement dans l'opinion publique, qui s'inquiète de la multiplication des pics de pollution ? Vous ne pouvez pas seulement nous dire que l'investissement coûte cher ; cela ne peut-il pas être intéressant commercialement à l'avenir ?

M. Christian Chapelle. - Il s'agit bien de traiter les deux. Tous les constructeurs sont conformes à la réglementation sur les particules : Euro 5, Euro 6, Euro 6 deuxième step. La feuille de route est de développer une palette de technologies : une seule en 2020 ne suffira pas. Lorsque nous parlons de véhicules électriques ou rechargeables, attention à l'origine de l'électricité : nucléaire, fuel, hydro-électricité... La Chine se pose la question de l'introduction du diesel avec filtre à particules pour répondre à son problème de CO2. Le Japon l'autorise ; le modèle phare de Mazda est le plus vendu au Japon en version diesel. Nous devons offrir des options de mobilité à tous nos clients.

Mme Nadine Leclair. - Le label véhicule à faible émission concerne bien les deux aspects : moins de 95 grammes de CO2 par kilomètres, moins de 60 milligrammes de NOx et un nombre de particules moins discriminant. Il faut que les constructeurs et les pouvoirs publics travaillent ensemble sur les normes ; les technologies évolueront en conséquence. La ministre de l'écologie l'a dit : la discrimination des technologies peut apporter une confusion entre véhicules à faible émission et étiquetage, ce qui pourrait générer du travail dispersif chez les constructeurs, avec des solutions différentes pour chaque ville. Le principe normé de zones pour véhicules à faible émission est préférable et compréhensible pour tous.

M. Jean-François Husson, président. - Mme la rapporteure vous a fait part de son regret de ne pas voir les dirigeants de vos groupes ; je le partage. À l'heure de la perte de confiance entre les citoyens et les élus, il n'est pas acceptable que des grands patrons d'industries, qui savent nous rencontrer dans d'autres circonstances pour nous faire part d'autres besoins, ne se rendent pas à une convocation devant une commission d'enquête. C'est une question de respect de la représentation nationale, de confiance en nos institutions. Ne pas venir affaiblit l'autorité de chacun. Le travail parlementaire auquel vous apportez votre contribution est indispensable. Les commissions d'enquête sont importantes. C'est aussi cela, faire société.

N'est-ce pas aujourd'hui l'État qui solvabilise le diesel ? Les constructeurs français ne devraient-ils pas réfléchir ensemble pour revenir sur le secteur du transport collectif électrique ?

M. Christian Chapelle. - L'État subventionne-t-il le diesel ? Le différentiel de prix entre carburants est à 15 centimes du litre en France, alors que l'Europe des quinze, qui consomme 95 % du diesel, est à 16 centimes.

Mme Nadine Leclair. - Si subvention il devait y avoir, ce n'est plus sur le carburant, mais par l'absence de malus du fait que seul le critère CO2 est pris en compte pour la taxation.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je ne sais pas comment interpréter d'être appelée « Madame Aïchi », lorsque mon collègue a droit à « Monsieur le président »...

Cela est ressorti aujourd'hui comme dans l'ensemble des auditions : il est important d'avoir des normes et des réglementations. Tous, et en particulier les chercheurs, saluent leur impact sur la diminution significative de la pollution de l'air. Je m'explique mal, dans ces conditions, le lobbying à l'Assemblée nationale, au Sénat ou au Parlement européen dans un sens inverse. Qui, d'après vous, doit payer le coût économique et financier de la pollution de l'air liée au diesel ?

Mme Nadine Leclair. - Nous ne sommes pas légitimes pour y répondre.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Vous l'êtes : nous avons convoqué le groupe Renault, qui vous a envoyés comme représentants.

Mme Nadine Leclair. - Le groupe ne veut pas répondre.

M. Christian Chapelle. - Je suis désolé, Madame la rapporteure, de vous avoir blessée.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je ne suis pas blessée, j'ai l'habitude.

M. Christian Chapelle. - Je vous présente mes plus plates excuses si vous voulez bien les accepter. Nous n'avons pas d'avis sur votre dernière question.

Mme Nadine Leclair. - PSA et Renault travaillent ensemble dans le Conseil de standardisation technique automobile (CSTA), qui soumet ses propositions à l'Association des constructeurs européens d'automobiles (ACEA), car toutes les réglementations sont européennes. Le gouvernement français pourrait y être associé.

M. Jean-François Husson, président. - Nous vous remercions. Nous vous enverrons des questions écrites, notamment sur votre stratégie sur le transport collectif.

Audition de M. Michel Wachenheim, ancien directeur général de l'aviation civile, conseiller du président du groupe, de M. Bruno Costes, directeur environnement, et de Mme Annick Perrimond du Breuil, directeur des relations avec le Parlement, d'Airbus, et de Mme Anne Bondiou-Clergerie, directrice de la recherche-développement, de l'espace et de l'environnement et de M. Jérôme Jean, directeur des affaires publiques, du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas)

M. Jean-François Husson. - Nous recevons maintenant M. Michel Wachenheim, ancien directeur général de l'aviation civile, conseiller du président du groupe, de M. Bruno Costes, directeur environnement, et de Mme Annick Perrimond du Breuil, directeur des relations avec le Parlement, d'Airbus, et de Mme Anne Bondiou-Clergerie, directrice de la recherche-développement, de l'espace et de l'environnement et de M. Jérôme Jean, directeur des affaires publiques, du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas). Cette audition est ouverte au public et à la presse et donne lieu à une captation audiovisuelle.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Michel Wachenheim et Bruno Costes, Mmes Annick Perrimond du Breuil et Anne Bondiou-Clergerie, et M. Jérôme Jean prêtent serment.

M. Michel Wachenheim, ancien directeur général de l'aviation civile, conseiller du président du groupe Airbus. - L'activité industrielle d'Airbus est très importante pour la France : elle contribue à hauteur de 23 milliards d'euros à son équilibre commercial, soit 2,5 fois plus qu'au début les années 2000 ; depuis, elle a créé 13 000 emplois nets et représente 59 000 emplois en tout. Le groupe investit dans la recherche et développement, notamment sur l'environnement, à hauteur de 3,4 milliards d'euros en 2014, soit le double de ce que l'Union européenne consacrera à la recherche aéronautique dans les dix années à venir, si on exclut le projet Cesar (Cost-efficient methods and processes for safety relevant embedded systems). La France en bénéficie : 38 % des dépenses de recherche et développement sont investies en France, soit 1,3 milliards d'euros en 2014. Airbus est le huitième déposant de brevets -369 déposés à l'INPI en 2014-, Safran étant deuxième et Thales, dixième.

La pollution de l'air est une préoccupation importante de l'industrie aéronautique depuis longtemps. Je veux parler des effets locaux des émissions polluantes fixes ou mobiles autour des aéroports générés par l'activité aérienne - nous ne parlerons pas de la pollution plus globale dans l'atmosphère qui a un effet sur le changement climatique.

La combustion des hydrocarbures utilisés pour la propulsion des avions génère du gaz carbonique, mais surtout localement des oxydes de carbone, des imbrûlés, des composés organiques divers et de la vapeur d'eau. Les hydrocarbures pas tout à fait brûlés s'agglomèrent et donnent lieu à la formation de particules ou de suie. La pollution a des effets dans une zone plus ou moins dispersée en fonction des conditions météorologiques, et a plusieurs sources, ce qui rend la mesure difficile. Elle résulte aussi de mécanismes de recombinaison photochimique et physique qui produisent des péroxyacetylnitrates et de l'ozone troposphérique. La pollution au voisinage des aéroports provient de sources fixes -bâtiments industries- et mobiles -trafics aérien, mais aussi routier.

Le cadre réglementaire international qui s'applique aux avions émane de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), créée en 1944, rattachée aux Nations-Unies et qui compte 191 États membres. L'OACI réglemente la sécurité du trafic aérien, l'interopérabilité, la sûreté et l'environnement. Après d'être préoccupé surtout des nuisances sonores, elle a pris conscience, depuis les années 1970, de la nécessité de réduire les émissions à la source : c'est l'annexe 16 à la convention de Chicago.

L'OACI est très active au sein du Comité de la Protection de l'Environnement en aviation (Caep), qui regroupe 550 experts internationaux, 23 États membres - européens et extra européens -, et 16 observateurs dont des organisations internationales comme l'Association internationale du transport aérien (IATA), le Conseil international des aéroports (ACI) et le Conseil de coordination internationale des industriels de l'aéronautique (ICCAIA). Le Caep a ainsi accumulé une grande expérience et une multitude de données.

Depuis la publication en 1981 de la première version de la réglementation sur les oxydes d'azote, des normes régissent la certification des moteurs d'avions. Des processus très élaborés définissent la métrique, les modalités de mesure - en grammes par kilonewton de poussée - et les seuils de ces moteurs.

En 2014, l'aviation a émis, au-dessous de 3 000 pieds, 250 000 tonnes d'oxydes d'azote, et devrait en émettre en 2036 entre 520 000 à 720 000 tonnes. La contribution du transport aérien au total des émissions produites à proximité des aéroports dépend des conditions locales, selon que l'aéroport se situe en pleine campagne ou en zone urbaine. La moyenne mondiale est de 8 à 10 % des émissions de NOx ; elle est proportionnellement moindre dans les zones plus urbanisées. Ainsi, à Toulouse cette part est de 4 à 5 %.

La cinquième et dernière génération de normes sur les oxydes d'azote date de 2010 et prévoit des niveaux inférieurs de 15 % à la précédente. Depuis les débuts de la normalisation au sein de l'OACI, les seuils ont été divisés par deux. Les experts estiment que d'ici quinze ans les chiffres relatifs à la certification pour l'émission d'oxydes d'azote pourront être encore réduits de moitié.

Les particules sont un sujet plus complexe : leur niveau croît globalement et proportionnellement à la consommation de carburant et donc d'oxyde d'azote. En 2006, 2 200 tonnes de particules ont été rejetées par l'aviation, soit moins de 1% du total mondial ; les estimations tablent sur 5 800 tonnes en 2036. Un système de certification est en cours de développement et devrait être adopté lors de la prochaine assemblée de l'OACI en septembre 2016, avec un régime transitoire puis des normes définitives en 2019. Il sera compliqué à appliquer et nécessite de nombreuses mesures. La France est très active et a contribué aux discussions et à l'élaboration des seuils.

Je n'évoquerai pas, sauf si vous le souhaitez, les émissions de gaz carbonique.

La réglementation européenne s'est alignée sur celle de l'OACI. La certification est réalisée sous l'égide de l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA).

Les principales dispositions législatives nationales sur la qualité de l'air relèvent de la directive du 21 mai 2008 et de la directive-cadre de 1996 concernant la qualité de l'air ambiant, ainsi que de la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie (Laure) de 1996 qui instaure la surveillance de l'air dans les grandes agglomérations, confiée par l'article n° 222-1 du Code de l'environnement à l'État avec le concours des collectivités territoriales. Chaque région fait appel à des organismes agréés, comme l'Observatoire régional de l'air en Midi-Pyrénées (Oramip), qui effectue les mesures autour de l'aéroport Toulouse-Blagnac, ou Airparif. Des seuils d'information, de recommandations et d'alerte sont définis, avec en cas de dépassement la possibilité pour le préfet d'intervenir. L'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) a également vu ses compétences élargies à la qualité de l'air, et un groupe de travail est chargé d'émettre des recommandations.

Mme Anne Bondiou-Clergerie, directrice de la recherche et du développement du Gifas - Le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), rassemble 350 sociétés, d'Airbus aux plus petites PME, des secteurs de l'aéronautique, de l'espace et des systèmes embarqués pour la défense. En 2014, le groupement a réalisé un chiffre d'affaires de 50 milliards d'euros - dont 14% investis dans la recherche - et reçu 74 milliards d'euros de commandes. Cette organisation en filière très ancienne fait dialoguer efficacement motoristes, constructeurs d'aérostructures et de systèmes autour de ce processus compliqué qu'est la construction d'un avion.

Organe de mutualisation des connaissances et de défense des intérêts professionnels, le Gifas a fait naître des structures qui l'ont parfois dépassé. Ainsi, le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac), créé en 2008 sur décision du ministre de l'environnement à la suite du Grenelle de l'environnement, a signé des engagements au nom de l'ensemble de la filière, et comprend des services de l'État, dont des ministères ou la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), des instituts de recherche comme l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera), des industriels, Air France, la Fédération nationale de l'aviation marchande, les aéroports. Depuis sept ans, le Corac définit et met en oeuvre une feuille de route technologique et dynamise la recherche française pour répondre aux objectifs européens : une diminution de 50 % des émissions de dioxyde de carbone et de 80 % des émissions d'oxyde d'azote à horizon 2020 par rapport au niveau de 2000, ainsi qu'une réduction de moitié du bruit perçu.

Engagements pour l'environnement et pour la compétitivité vont de pair. Il y a au niveau mondial un engagement pour que le transport aérien soit durable, même si ses émissions ne représentent que 2 à 3 % du total. C'est même un impératif avec une croissance du secteur de 5 % par an, qui nous impose d'oeuvrer sans cesse à réduire notre empreinte environnementale.

Le Corac lance des projets de recherche pour construire des avions plus légers en composite, moins consommateurs, des moteurs plus sobres, plus efficaces et moins polluants, et améliorer l'avionique ou l'intelligence des systèmes de bord. Tous ces projets sont collectifs, comme celui de moteurs open rotor avec des hélices décarénées.

Des innovations technologiques préservent la qualité de l'air. Avec le moteur LEAP-X de Safran, qui produit deux fois moins d'émissions que ne l'exigent les normes de l'OACI, nous avons une génération d'avance. Les motoristes cherchent à limiter la consommation d'énergie et les rejets. Ainsi l'Onera travaille sur des chambres de combustion sophistiquées pour réduire les émissions d'oxyde d'azote. En 50 ans, ces dernières ont diminué de 70 %.

Nous avons également créé un Réseau thématique environnement (RTE) dès les débuts du Corac, qui rassemble une communauté élargie d'acteurs : le CNRS, des universités, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), des scientifiques, qui apportent des conseils, des savoir-faire et des expertises sur l'empreinte environnementale des avions. Comprendre l'impact des trainées de condensation dans le ciel sur le climat nécessite de connaître les mécanismes physiques à l'oeuvre, et il en est de même pour les oxydes d'azote.

Je vous ai remis le rapport de 2012 sur la qualité de l'air, qui réunit les mesures réalisées sur les principaux aéroports français et propose des pistes d'amélioration. Ses conclusions rejoignent celles de l'Acnusa et du RTE : les concentrations aux environs des aéroports sont comparables à celles mesurées par les stations de surveillance urbaine. Le trafic aérien a donc peu d'influence sur les émissions globales. Par contre, nous ne disposons d'aucune mesure documentée sur les particules fines, et aucune mesure n'est effectuée à la sortie des moteurs.

Notre programme se décline en trois points : l'amélioration des cadastres d'émissions ; la compréhension des mécanismes physiques à partir des modèles existants ; enfin, des mesures pour valider les modèles.

La recherche est cofinancée par l'État et l'industrie aéronautique. Nous attendons la réponse de la DGAC pour le cofinancement, à parité avec les industriels, d'un programme de 4 millions d'euros sur quatre ans. L'idéal serait d'élaborer un modèle prédictif pour mesurer les émissions à proximité des aéroports, afin d'avoir toujours un temps d'avance. Aéroports de Paris est très investi dans ce projet, dont nous attendons beaucoup.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Je vous remercie pour la pertinence et la subtilité de votre présentation. Vous avez souligné l'importance de l'industrie que vous représentez. Dans vos études, avez-vous évalué le coût économique et financier de la pollution de l'air ? Contestez-vous l'ensemble des études nationales et internationales réalisées sur l'impact sanitaire de la pollution de l'air ?

M. Michel Wachenheim - Je n'ai pas connaissance d'études approfondies sur notre secteur. Plus largement, nous ne contestons pas les études qui ont été faites.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Votre réponse a le mérite de la clarté.

M. Jean-François Husson, président. - Mme la rapporteure apprécie !

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - L'objet de notre commission d'enquête est de montrer que la pollution de l'air est une aberration sanitaire mais aussi économique et financière et de proposer des pistes pour faire de ce handicap une opportunité.

J'ai lu que la consommation de kérosène était importante au moment de garer l'avion. Peut-on faire rouler les avions au sol en utilisant un moteur moins puissant ? À quel coût ?

Mme Anne Bondiou-Clergerie - Des innovations technologiques pour le roulage ont été réalisées par Safran, entre autres, avec le développement en partenariat avec Honeywell de trains d'atterrissage EGTS (Electric green taxiing system) qui utilisent un moteur électrique pendant que les réacteurs sont éteints, ce qui garantit une économie de plusieurs centaines de kilos de kérosène.

M. Michel Wachenheim - C'est un sujet sur lequel nous travaillons depuis longtemps, car nous avons tout intérêt à limiter les coûts en carburant. Pendant le roulage, les réacteurs principaux sont éteints, seul un réacteur auxiliaire fonctionne, ce qui réduit de 51 % la consommation de carburant et de 40 à 60 % les émissions.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Quand cette innovation sera-t-elle opérationnelle ?

M. Michel Wachenheim - Elle l'est dès à présent.

M. Bruno Costes, directeur environnement d'Airbus - L'EGTS fait partie des recommandations de l'Acnusa, et devrait se répandre à partir de 2017 au sein des compagnies aériennes.

Mme Anne Bondiou-Clergerie - Il faut substituer l'équipement à l'existant et réaliser un retrofit sur l'avion. La technologie a été démontrée au Bourget en 2013.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Nous souhaiterions disposer de chiffres plus précis sur les gains économiques avant le 15 juin.

Vous nouez des liens avec des chercheurs et des administrations ; en avez-vous avec la société civile, les associations environnementales ou les ONG spécialisées sur la pollution de l'air ? Si oui, lesquelles ?

Mme Anne Bondiou-Clergerie - Ces liens n'étaient pas prévus à l'origine dans le fonctionnement du Corac. C'est l'Acnusa qui a centralisé les relations et a organisé une réunion entre organismes de recherche, RTE-Corac et ONG il y a quelques mois. Cela nous a permis de nous rencontrer. Ce travail se poursuit.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pourquoi ne les avez-vous pas rencontrés directement ? C'est pourtant dans l'esprit du Grenelle de l'environnement.

Mme Anne Bondiou-Clergerie - Notre côté scolaire, sans doute ! Nous avons avancé à marche forcée à partir de juillet 2000. Ce n'est que tardivement que nous avons associé des scientifiques, avec la création du Corac à la suite du Grenelle. Sans doute devrions-nous davantage rencontrer ces associations.

M. Michel Wachenheim - Les industriels ont des relations assez lointaines avec ces organisations, qui ont des rapports plus étroits avec d'autres acteurs de l'aviation, comme la DGAC, les aéroports ou les compagnies aériennes. L'ICSA (International Coalition for Sustainable Aviation) qui regroupe les associations environnementales, est observateur à l'OACI et participe aux travaux.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Ne pouvez-vous pas améliorer cette situation, dans l'esprit du Grenelle de l'environnement ?

M. Michel Wachenheim - Effectivement.

M. Bruno Costes - Un dialogue existe localement au travers des comités consultatifs environnement. À Toulouse-Blagnac, tous les acteurs y sont représentés et notamment des associations environnementales locales ou nationales comme France Nature Environnement (FNE).

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - FNE n'est pas spécialisée dans la protection de la qualité de l'air...

M. Bruno Costes - D'autres associations sont présentes. Nous vous transmettrons la liste des membres du comité environnement. Il existe aussi des comités sur la qualité de l'air au sein de l'Association française de normalisation (Afnor), dont le Comité stratégique « Environnement et responsabilité sociétale », au sein duquel ces associations sont les bienvenues.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Dialoguez-vous avec les associations de riverains ?

M. Bruno Costes - Elles sont naturellement membres des comités consultatifs environnement des aéroports.

M. Jean-François Husson, président. - Ce lien avec les associations est important. Le Grenelle de l'environnement a-t-il favorisé utilement, et si oui dans quelle mesure, la prise en compte de la qualité de l'air dans vos entreprises ?

Mme Anne Bondiou-Clergerie - L'effet a été indirect. Le Grenelle de l'environnement s'est traduit par la signature d'une convention et des engagements sur l'environnement - climat, air bruit - et par la création fructueuse du Corac, qui dynamise la recherche française. Ainsi celui-ci a-t-il réfléchi, à la demande des aéroports, sur la gestion de la circulation de l'air.

M. Michel Wachenheim - Pour être honnête, les nuisances sonores et le changement climatique tiennent une place plus importante que la qualité de l'air dans ces conventions, même si celle-ci n'est jamais absente de nos préoccupations.

Par ailleurs, ne soyons pas trop franco-français : l'aviation civile est une activité par essence internationale. Toute action décidée en France a un impact sur les opérateurs étrangers. La question du système de roulage a ainsi été discutée au niveau international, car des avions américains roulent à Roissy, et inversement !

M. Jean-François Husson, président. - La France est-elle en avance dans la réflexion sur les trois origines de la pollution de l'air ? L'Union européenne a-t-elle un rôle d'aiguillon à jouer ?

M. Michel Wachenheim - Clairement oui. L'Europe, et en particulier la France, est motrice dans les travaux internationaux. Le groupe que je mentionnais a été créé à l'initiative de la France.

M. Jean-François Husson, président. - C'est important car nous n'avons pas senti la même appétence pour une démarche globale dans d'autres industries. L'aviation peut-elle être un exemple pour d'autres secteurs ?

Au sein du Gifas, avez-vous évalué les coûts relatifs aux différentes formes de pollution provoquées par votre activité, notamment en ce qui concerne la pollution atmosphérique de proximité pour les passagers et les personnels exposés à des particules, voire à des microparticules ultrafines ?

Mme Anne Bondiou-Clergerie - Ces mesures sont réalisées régulièrement dans les aéroports. L'industrie ne fournit que des informations sur les émissions à la source, qui respectent les normes. Il faudrait interroger Aéroports de Paris.

M. Jean-François Husson, président. - Deux stratégies s'offrent à vous : soit suivre les normes, soit être en avance, et bénéficier d'un avantage compétitif...

Mme Anne Bondiou-Clergerie - C'est ce que nous faisons, nous avons toujours un temps d'avance.

M. Jean-François Husson, président. - Vous avez sûrement analysé les coûts au regard des bénéfices...

M. Bruno Costes - Mesurer les externalités est très difficile. Nous n'avons pas de traceur spécifique permettant de différencier les émissions attribuables à l'aéronautique.

L'industrie aéronautique a travaillé pour réduire les émissions à la source : nouveaux moteurs, nouveaux produits d'Airbus ou gamme remasterisée NEO. Ainsi, l'A 320 NEO a une consommation réduite de 15 % par rapport à la gamme normale, l'A 350 NEO de 25 % par rapport aux avions de sa catégorie, et l'A 380 NEO de 40 % par rapport au Boeing 747, dans des conditions moyennes de remplissage à 70 %. Avec l'A 380 monoclasse, la réduction pourra être encore plus forte.

Airbus et les constructeurs ont évolué et réduit de 70 % les émissions d'oxyde d'azote depuis les premiers jets. Aujourd'hui, le Flightpath 2050 a un objectif de diminution de 90% les émissions de NOx d'ici 2050 par rapport à 2000.

Mme Anne Bondiou-Clergerie - Ce sera vrai pour le meilleur avion - mais n'oublions pas qu'il reste d'autres avions et surtout que le trafic va continuer à augmenter ; nous n'obtiendrons donc pas une diminution aussi important des émissions. Il faudrait renouveler les avions et améliorer les procédures opérationnelles. À partir de 2020, nous essaierons d'avoir une croissance neutre en carbone, ce qui suppose de compenser nos 5 % de croissance, par exemple en privilégiant des routes plus directes. C'est un enjeu majeur de la course à la recherche technologique, même si nous ne nous plaignons pas de cette croissance !

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Pourrez-vous nous fournir les chiffres d'émissions de la flotte française pour avoir une fourchette du coût économique et financier de la pollution de l'air dans votre secteur ?

M. Michel Wachenheim - Vous souhaitez des valeurs absolues d'émissions de NOx limitées aux entreprises françaises ?

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Nous souhaitons connaître les coûts des techniques et les gains qu'elles apportent par la réduction des consommations et des émissions.

M. Michel Wachenheim - Les compagnies françaises utilisent aussi des Boeing... Difficile de faire une simulation globale. Nous disposons de simulations relatives aux Airbus et aussi de chiffres plus globaux, plus représentatifs, même s'ils sont plus difficiles à établir car il existe plusieurs centaines de compagnies dans le monde.

M. Jean-François Husson, président. - Nous souhaiterions en disposer.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Les normes vous incitent-elles à réduire vos pollutions ? Un cadre réglementaire précis est-il important ?

M. Michel Wachenheim - Nous sommes à la fois incités et incitateurs, car nous avons un intérêt tant économique qu'environnemental à diminuer notre consommation de carburant, pour des raisons de coût. Nous souhaitons aussi anticiper sur les futures normes car un avion vole entre trente et quarante ans.

Mme Leila Aïchi, rapporteure. - Par quel biais incitez-vous à l'élaboration de nouvelles normes ?

M. Michel Wachenheim - La normalisation relève des États, mais ce sont les industriels et les compagnies aériennes qui réalisent les travaux préparatoires et qui proposent les évolutions. Plusieurs centaines de personnes à l'OACI déterminent les normes qu'ils estiment raisonnables, et les États choisissent ensuite celles qu'ils adoptent, les rendant parfois plus contraignantes. L'Europe reprend les normes internationales.

M. Jean-François Husson, président. - Nous devons aussi prendre en compte l'acceptabilité de la société, que ce soit en France ou ailleurs. Voyez les débats que suscite la construction d'un aéroport dans l'Ouest de la France... Vous annoncez une augmentation de trafic, or il faut réduire les nuisances sonores et les émissions. Par ailleurs, certains aéroports français du Sud-Ouest passent sous pavillon étranger, ce qui ne manque pas de nous interroger. Les enjeux économiques et sociétaux dépassent le simple champ de notre commission d'enquête. Nous avons donc besoin d'une vision panoramique.

Je vous remercie pour votre état d'esprit, nous ferons le meilleur usage de vos propos. Si vous souhaitez apporter des compléments, vous pouvez nous les transmettre jusqu'au 15 juin.

Audition de M. Francis Duseux, président de l'Ufip, et de MM. Daniel Le Breton, directeur marketing, et Jean-Paul Cazalets, délégué environnement de Total

La réunion est ouverte à 14 h 05.

Au cours d'une deuxième réunion tenue dans l'après-midi, la commission entend M. Francis Duseux, président de l'Ufip, et de MM. Daniel Le Breton, directeur marketing, et Jean-Paul Cazalets, délégué environnement de Total.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Nous entendons MM. Francis Duseux, président de l'Union française des industries pétrolières (Ufip), Daniel Le Breton, directeur marketing au sein de la branche marketing et services, et Jean-Paul Cazalets, délégué environnement au sein de la Direction environnement et développement durable de Total. Je vous prie d'excuser l'absence de M. Jean-Paul Husson, notre président.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Francis Duseux, Daniel Le Breton et Jean-Paul Cazalets prêtent serment.

M. Francis Duseux, président de l'union française des industries pétrolières (Ufip). - L'Ufip représente tous les segments de l'industrie pétrolière en France, soit une trentaine d'entreprises, dont Total : exploitation et production d'hydrocarbures, avec 800 000 tonnes de pétrole produites chaque année, raffinage, logistique et distribution, sachant que plus de 60 % des volumes de carburant distribués le sont par la grande distribution. La France a consommé 74 millions de tonnes de produits pétroliers en 2014, soit le même volume qu'il y a trente ans, ce qui atteste de l'efficacité des efforts engagés en matière de réduction de consommation et d'économies d'énergie. En 2014, les importations gazières ont atteint 19,3 millions de tonnes, soit 50 % de la consommation, et les exportations d'essence 3,2 millions de tonnes, soit 35 % de la production.

Notre industrie est au coeur de la satisfaction des besoins économiques, notamment de mobilité. Elle contribue depuis des décennies au progrès économique du pays, à la productivité, à l'amélioration du niveau de vie, à la mécanisation et aux progrès de l'agriculture. En 2011, le pétrole représentait en France 44 % de l'énergie finale et 93 % de l'énergie du transport. Même si nous prévoyons une baisse de la consommation des carburants routiers de 20 à 30 % dans les 25 prochaines années, le pétrole restera une énergie incontournable. En comptant les emplois directs et indirects générés dans les différents secteurs, l'industrie pétrolière réunit en France près de 200 000 emplois et plus de 350 000 si l'on inclut la pétrochimie et la chimie. Chaque année, elle collecte pour le Trésor public plus de 32 milliards d'euros, dont 24 milliards de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et 8 milliards de TVA. Elle acquitte plus de 1 milliard d'euros d'autres impôts et taxes (impôt sur les sociétés, contribution économique territoriale, etc.). Notre industrie s'adapte constamment pour répondre aux évolutions de la demande du marché national, et pour réduire ses impacts. Cependant, dans un contexte critique de surplus de capacités en Europe, notre outil de raffinage est devenu très vulnérable.

Pour répondre aux critiques liées à nos émissions, je voudrais rappeler que nous avons la pleine maîtrise de nos procédés industriels mais que nous ne sommes qu'un des acteurs de la consommation de carburants : la technologie des moteurs et des équipements, la maintenance des véhicules et le comportement de conduite sont également en cause. Nous rappelons constamment la nécessité de consommer moins et mieux et de protéger l'environnement. Des progrès considérables ont été réalisés au cours des trente dernières années. Les mesures et la surveillance des émissions au niveau local, les bilans de l'Ademe et les données publiées par le Citepa montrent que la France se classe très bien en termes d'émissions par habitant : elle émet 4,4 kilos par an et par habitant de SO2, pour une moyenne européenne de 9,1 kilos, et 12,4 kilos par an et par habitant de composés organiques volatiles, pour une moyenne européenne de 14,6. Selon le Citepa, les émissions de SO2, principal gaz émis par le secteur du raffinage pétrolier, ont diminué de 121 kilotonnes entre 1990 et 2011, soit une baisse de 70 %, alors que les traitements de brut n'ont baissé que de 30 % durant la même période. La baisse de la teneur en soufre des combustibles liquides, la moindre utilisation du fuel lourd, la mise en place d'actions d'économies d'énergie, l'amélioration du rendement énergétique des installations expliquent ces résultats. Les dépassements des valeurs-limites de concentration dans l'air sont désormais rarissimes au niveau des sites industriels, ce qui répond à une règlementation européenne exigeante, avec notamment la directive de 2010.

Le document de référence concernant le raffinage, le Bref (best references), décrit le large éventail de techniques mises en oeuvre par notre industrie pour réduire les émissions. En aval, deux directives européennes ont imposé le contrôle de la récupération des composés organiques volatiles : la directive de 1994 concerne les phases de stockage en dépôt pétrolier et de livraison dans nos stations-service, celle de 2009, la distribution à la pompe. Nous avons investi plusieurs centaines de milliers d'euros dans les camions de livraison et dans les stations-service. Le raffinage a investi 1 milliard d'euros pour fabriquer des essences et des gazoles à 10 ppm de soufre, peu émissives. A cela s'ajoute un autre milliard dédié aux capacités d'hydrocraquage, pour convertir le fuel lourd en produits légers. Aujourd'hui, on ne brûle plus de fuel lourd. Les teneurs en poly-aromatiques et en soufre ont été divisées par mille pour le gazole et l'indice de cétane augmenté. L'industrie pétrolière a ainsi développé des carburants de meilleure qualité, grâce auxquels les constructeurs ont mis au point des technologies capable de réduire les émissions des moteurs diesel jusqu'à des niveaux proches de zéro. Sans oublier les produits premium que proposent les entreprises. Alors que le trafic routier a augmenté en France de près de 35 % en kilomètres parcourus entre 1997 et 2010, les émissions de particules de diamètre inférieur à 10 microns (PM10) ont diminué de 39 %. Ces améliorations tiennent au renouvellement du parc automobile combiné à la réduction drastique des émissions de particules provenant des véhicules neufs.

La directive relative aux émissions industrielles (IED) fixe un objectif supplémentaire de réduction des émissions, et de nouvelles contraintes pour notre industrie. D'ici fin 2018, chaque site devra respecter des valeurs-limites d'émissions (VLE), alignées sur les meilleures techniques disponibles en Europe. Notre secteur a chiffré l'investissement nécessaire entre 20 et 50 millions d'euros par site, en moyenne, sans compter les frais opératoires afférant. Certains sites ne seront pas en mesure de respecter l'échéance du 1er janvier 2016 pour la mise en oeuvre des mesures liées aux grandes installations de combustion, et nous demanderons un aménagement des délais. Quant au plafond de SO2 envisagé dans le projet de directive européenne sur le plafond national d'émissions, il doit être revu à la baisse, car il est irréaliste. Nous souhaiterions également plus de flexibilité pour tenir compte d'éventuels surcroîts ou baisses d'activité...

Mme Leila Aïchi, présidente. - Par souci d'efficacité, nous préférerions que vous résumiez vos idées force. Vous pourrez nous communiquer votre note.

M. Francis Duseux. - Nous avons fait des progrès considérables, ces trente dernières années, tant pour le dépôt, le raffinage et les stations-service que pour la consommation et les impacts de notre production en termes d'émissions. La demande en produits pétroliers devrait continuer à baisser de 20 à 30 % dans les années à venir. Or, nous disposons d'un surplus de capacité de raffinage d'environ 100 millions de tonnes. On s'attend à ce que 25 % des raffineries ferment en Europe, soit 20 des 80 raffineries existantes. Industriels et décideurs sont donc face à un dilemme. Depuis trois ou quatre ans, nous subissons de plein fouet la concurrence des États-Unis qui relancent leur industrie lourde, et notamment la pétrochimie, grâce à l'exploitation du gaz de schiste, qui est un combustible trois à quatre fois moins cher que le pétrole. L'Arabie Saoudite a également développé des technologies nouvelles, avec des raffineries modernes de grosse capacité. Dans ces conditions, doit-on continuer à sévériser les normes, au risque de multiplier les fermetures de sites industriels, ou bien notre outil de raffinage est-il suffisamment stratégique pour que nous le préservions ? Il y a quelques années, Bercy et la Commission européenne se disaient favorables à la seconde option. Dépendre à 100 % d'importations de produits finis pour satisfaire les besoins des Français ne ferait que déplacer la pollution ailleurs, dans des pays qui ne subissent pas les mêmes contraintes.

Pour résumer, nous avons fait des progrès, et nous devons continuer, mais la recommandation de notre industrie est de bien mesurer l'impact d'une nouvelle législation plus sévère sur la compétitivité de nos usines et de nos chaînes logistiques.

M. Daniel le Breton, directeur marketing au sein de la direction environnement et marketing de Total. - Le premier programme de recherche européen lancé avec les constructeurs et les pétroliers pour définir les spécifications des carburants date d'il y a vingt ans. Une réglementation a vu le jour en 2000, puis deux autres vagues de spécifications liées au soufre ont été publiées en 2005 et en 2008. Les nouveaux carburants ont été adaptés à des véhicules qui ont aujourd'hui vingt ans d'âge, de sorte qu'il n'y a plus guère de marge de progrès. Les nouveaux véhicules en revanche disposent de filtres à particules, de systèmes de destruction des oxydes d'azote à l'échappement des poids lourds, etc. On est dans un autre monde.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Que voulez-vous dire ?

M. Daniel le Breton. - Les véhicules d'aujourd'hui sont beaucoup moins polluants que ceux d'il y a vingt ans, car on les a équipés de matériel sophistiqué. On a également développé des produits comme l'AdBlue qui sert à dépolluer les moteurs de camion, et demain les voitures. On est très loin des véhicules sur lesquels on a travaillé pour définir les spécifications des carburants que l'on utilise aujourd'hui.

M. Jean-Paul Cazalets, délégué environnement chez Total. - Pour Total, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) a été multipliée par 2,5 à périmètre constant entre 2012 et 2014. Total est un groupe certes pétrolier mais avant tout gazier : plus de la moitié de notre chiffre d'affaires se fait sur le gaz. Or, comme notre directeur général l'a dit dans la presse, toutes les analyses de cycle de vie montrent que le gaz est deux fois moins émissif en CO2 et en particules que le charbon ; son impact sur l'environnement et sur la santé est donc deux fois moindre.

Mme Leila Aïchi, présidente. - L'une des motivations de notre commission d'enquête est de mesurer l'impact sanitaire de la pollution de l'air. Contestez-vous les études scientifiques menées sur ce sujet ? Celle de l'OMS, par exemple, qui classe le diesel comme cancérigène ?

M. François Duseux. - Je ne suis pas médecin, je ne m'estime pas compétent. Certaines de ces études portent sur des véhicules anciens, dépourvus de filtres. Aujourd'hui, avec la norme Euro 6, le diesel n'est pas plus polluant que l'essence. Il n'est donc pas justifié de distinguer ces deux carburants. On a éliminé l'essentiel des particules, même s'il reste une inconnue sur les plus petites d'entre elles. De quand datent les études que vous mentionnez ? Correspondent-elles aux normes des véhicules modernes ?

M. Daniel le Breton. - Je ne suis pas compétent en matière de toxicité. Les études comme celle de l'OMS ont été menées sur des moteurs non dépollués qui ne sont plus utilisés.

M. Jean-Paul Cazalets. - Vous parlez d'études épidémiologiques ?

Mme Leila Aïchi, présidente. - Dans la première phase de notre travail, nous avons auditionné un certain nombre de scientifiques, dont la probité intellectuelle n'est pas discutable. Nous voudrions savoir comment les industries pétrolières appréhendent ces travaux : contestez-vous leur véracité ?

M. Jean-Paul Cazalets. - Notre activité est encadrée par des seuils réglementaires d'émissions déterminés à partir d'analyses sur les risques sanitaires. La méthodologie est internationale, commune à l'Europe, aux États-Unis et à d'autres grands pays. Nous n'avons pas à la discuter.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Les études dont je parle se concentrent sur six des 1 400 polluants que l'on trouve dans l'air pour analyser leur impact sanitaire. Nous avons entendu ce matin un exposé étonnant sur les filtres à particules soi-disant propres. L'Iiasa conteste pourtant la validité de la procédure mise en place pour leur contrôle, tout comme une décision de la Commission européenne. Mais revenons à votre coeur de métier : avez-vous évalué le coût économique et financier de la pollution de l'air et particulièrement du diesel ?

M. François Duseux. - Pas à ma connaissance. Notre métier, c'est de nous ajuster aux spécifications fixées par les pouvoirs publics, et de répondre aux besoins de consommation des Français. On ne peut pas, sous prétexte de tout dé-carboner, faire table rase des progrès économiques et de l'amélioration du niveau de vie que l'industrie pétrolière a permis depuis la guerre. Il est normal et juste de vouloir protéger les gens en émettant moins de particules. Mais, sauf à reprendre les vélos, on ne peut pas se passer de carburants pour les transports, la chimie ou l'agriculture.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Il ne s'agit pas de reprendre les vélos. Votre propos est un peu caricatural. J'entends parfaitement votre rhétorique bien huilée. La norme est une contrainte en termes de compétitivité, dites-vous. On entend souvent ce discours de la part du lobby industriel ! Il consiste à prendre en otage l'emploi, mais surtout les variables d'ajustement que sont la santé et l'environnement. C'est oublier que d'un point de vue macro-économique, la pollution qui émane de vos industries a un coût pour la société.

Nous vous demandons de vous montrer objectif sur l'aberration sanitaire, économique et environnementale que représente la pollution de l'air, afin de trouver des solutions. Votre discours contribue au ronronnement d'un schéma économique qui appartient au XXème siècle. Réfléchissons collectivement à la transition énergétique ! Vous ne faites pas que vous conformer aux normes, vous êtes aussi un lobby et une force de proposition auprès des pouvoirs publics.

M. François Duseux. - J'ai des enfants, des petits enfants, je suis préoccupé, comme nous le sommes tous, pas les questions de pollution. Nous sommes tous écologistes à la base. Si les normes fixées par les décideurs étaient mondiales, il n'y aurait aucun problème. Tout le monde serait au même niveau. Ce n'est pas le cas. J'aurais dû vous parler des raffineries indiennes...

Mme Leila Aïchi, présidente. - Ce qui nous intéresse, c'est d'abord la France. Si vous proposez de nous aligner sur les plus polluants pour des questions d'égalité concurrentielle...

M. François Duseux. - Les industriels ont des clients à satisfaire et doivent s'aligner dans la compétition internationale. En nous imposant des normes plus contraignantes qu'ailleurs, on accélère la fermeture d'usines. Ce peut être un choix politique, mais il faut en mesurer les conséquences. Quant aux énergies alternatives, nos grands groupes y réfléchissent, car il faut bien sûr diversifier, rechercher de nouvelles énergies renouvelables. On expérimente de nouvelles technologies pour générer du carburant à partir d'algues, par exemple. Mais certains groupes pétroliers en sont encore au charbon : les Allemands s'apprêtent à ouvrir dix centrales au charbon !

Mme Leila Aïchi, présidente. - Je repose ma question : avez-vous évalué le coût de la pollution ?

M. François Duseux. - Non, car ce n'est pas notre travail.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Si, car vous influencez la société par vos choix et vous contribuez à la pollution de l'air. Vu le chiffre d'affaire de votre industrie, vous pourriez y consacrer quelques moyens...

M. François Duseux. - Vous ne pouvez pas négliger complètement les services rendus par le pétrole et la chimie à l'élévation du niveau de vie.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Tout le monde ne partage pas forcément votre point de vue.

M. Jean-Paul Cazalets. - L'analyse de cycle de vie mesure les impacts environnementaux sur la santé et sur les écosystèmes. Nous avons commandé une étude au centre de recherches spécialisé de Polytechnique-Montréal, qui montre que dans le cadre de la production électrique, le gaz a un impact sur la santé deux fois moindre que le charbon, qu'il s'agisse du gaz naturel ou du gaz naturel liquéfié (LNG). En revanche, dans le cas du fuel, l'impact est supérieur d'environ 20 %. La méthodologie internationale de l'ACV se limite à ce constat. Pour le reste, ce n'est pas notre métier.

Mme Leila Aïchi, présidente. - A combien se montent les investissements des industries pétrolières dans les énergies renouvelables ?

M. François Duseux. - Un des plus gros adhérents de l'Ufip possède SunPower qui est la deuxième société mondiale de panneaux solaires. Mon ancien groupe Exxon Mobil a dépensé 400 millions de dollars dans le domaine des algues. Les pétroliers sont conscients qu'il faut consommer moins et mieux, et investir dans les énergies renouvelables pour protéger l'environnement. L'obligation de rentabilité et le temps que prend la recherche sont deux obstacles incontournables. Par exemple, on ne sait pas encore stocker l'électricité. N'opposons pas les énergies entre elles. Notre travail est aussi de satisfaire les besoins de la population. Il est prévu que la consommation de gaz augmente de 65 % pour répondre aux besoins en électricité de deux milliards de personnes. Toutes les sociétés pétrolières essaient de se diversifier dans le renouvelable.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Vous nous avez donné des chiffres précis en termes d'emplois et de fiscalité, mais vous n'êtes pas capable de chiffrer l'investissement de vos entreprises dans les énergies renouvelables ?

M. François Duseux. Ce n'est pas notre coeur de métier. Nous avons déjà du mal à faire survivre nos raffineries : quatre d'entre elles viennent de fermer.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Total a empoché 4,2 milliards d'euros en 2014 sans avoir payé d'impôts. Arrêtons la caricature. Vous n'êtes pas malmenés au point de ne pas avoir les moyens de faire de la recherche sur les énergies renouvelables, qui est un sujet fondamental et structurant. Total est l'une des entreprises françaises les plus performantes, avec une architecture juridique et fiscale qui lui permet d'échapper à l'impôt...

M. Jean-Paul Cazalets. - Total a développé une filiale, Sunpower, qui malgré quelques difficultés au départ, connait un taux de croissance de 15 % par an. Une grande centrale est en cours d'installation au Chili, dont la rentabilité sera assurée sans subvention. L'an dernier, Sunpower a fourni des panneaux produisant 1,3 GW, soit une petite tranche nucléaire. Nous avons également une activité biomasse, en partenariat avec la société Amyris, basée aux États-Unis. Elle se développe plus difficilement, car il faut beaucoup investir dans la recherche, mais nous y croyons.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Quel pourcentage de son chiffre d'affaires le groupe Total consacre-t-il aux énergies renouvelables non polluantes ?

M. Jean-Paul Cazalets. - Sans vouloir éluder la question, cela ne s'évalue pas en termes de chiffres d'affaires, mais de part dans le mix énergétique et d'évolution de ce mix.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Vous faites bien un bilan comptable annuel ! En pourcentage, combien fléchez-vous pour les énergies renouvelables ? A ma grande stupéfaction, je constate que les entreprises pétrolières ne s'intéressent pas aux énergies renouvelables : ce n'est pas votre coeur de métier et vous n'investissez pas.

M. Jean-Paul Cazalets. - Ce n'est absolument pas vrai dans le cas de Total. Je ne connais pas le pourcentage exact ; il suffirait d'aller consulter le document de référence de la compagnie.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Vous vous doutiez bien que nous allions vous poser ce type de questions !

M. Daniel le Breton. - Nous n'avons eu aucune information sur les questions qu'on allait nous poser.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Elles ne sont pourtant pas surréalistes ! Vous avez commencé par nous donner votre chiffre d'affaires, le nombre d'emplois que vous représentez, le montant des impôts que vous payez. C'est une forme de chantage que d'insister ainsi d'emblée sur le poids économique que vous représentez. Je vous pose une question simple, à laquelle d'autres entreprises n'ont pas eu de problème à répondre. D'autant qu'il y a la COP 21 et que le XXIe siècle doit être celui d'une économie tournée vers les énergies renouvelables. Franchement, je suis stupéfaite.

M. François Duseux. - Je ne savais pas que je venais pour un témoignage à charge. Nous sommes des professionnels du pétrole. Ce qui nous préoccupe, ce sont les émissions liées à nos raffineries, et l'impact de notre production sur l'environnement. Cela n'a rien à voir ni avec la COP 21, ni avec les énergies renouvelables.

Mme Leila Aïchi, présidente. - C'est bien là le problème. Je prends acte que les énergies renouvelables ne sont pas un sujet qui vous préoccupe, que vous n'avez aucune appétence en la matière. Vous faites partie des pollueurs ; vous pourriez apporter une solution au problème. Le coût économique et financier de la pollution de l'air est réel. Vous ne l'avez pas évalué dans votre secteur et vous n'avez pas fait d'études. Les chiffres dont nous disposons montrent pourtant que le pétrole et le diesel sont en cause.

Avançons : avez-vous l'occasion d'échanger ou de travailler avec des associations environnementales, comme cela avait été recommandé aux entreprises lors du Grenelle de l'environnement ?

M. François Duseux. - Nos établissements industriels sont en liaison permanente avec l'administration et les représentants de l'État. Nos émissions et notre mode de fonctionnement sont surveillés. Au moindre dépassement, l'administration est immédiatement prévenue. Le Citepa est un organisme clef pour nous, en matière d'émissions. C'est une référence qui fait foi.

Mme Leila Aïchi, présidente. - L'Ufip siège-t-elle au conseil d'administration du Citepa ?

M. François Duseux. - Je ne sais pas.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Total est-il membre du Citepa ?

M. Jean-Paul Cazalets. - Oui.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Merci de cette réponse claire.

Disposez-vous d'éléments sur la pollution de l'air de vos raffineries ?

M. François Duseux. - Bien sûr. Elle est évaluée constamment et fait l'objet de rapports annuels officiels.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Vous répondez de manière bien désobligeante. Quel est le coût de cette pollution ?

M. François Duseux. - Je ne sais pas. Ce n'est pas notre métier, nous avons déjà du mal à préserver nos raffineries. Ce n'est pas notre sujet. Je ne sais pas qui de nous deux est le plus désobligeant...

Mme Leila Aïchi, présidente. - La pollution de l'air n'est pas votre sujet ? Vous considérez-vous en dehors de la société ? Je rappelle que la pollution de l'air liée aux voitures représente un coût d'environ 1 500 milliards d'euros pour l'OCDE. Vous êtes une industrie polluante, je vous pose des questions simples, vous ne répondez pas.

M. François Duseux. - Encore une fois, notre métier est de répondre aux besoins des consommateurs. Si vous voulez que les voitures restent au parking ou les bateaux dans les ports...

Mme Leila Aïchi, présidente. - Vous ne faites pas que vous adapter aux besoins de vos clients, vous influencez les choix de la société.

M. François Duseux. - C'est une accusation qui n'a rien de vrai.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Êtes-vous capables de raffiner encore plus les carburants que vous produisez ?

M. Jean-Paul Cazalets. - Total paie un peu plus de 5,6 millions d'euros par an pour l'ensemble des activités polluantes.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Je vous remercie.

M. François Duseux. - Nous sommes arrivés aux limites du raffinage d'un point de vue technique. Le raffinage consiste à transformer du pétrole brut ou des produits lourds comme le fuel en produits plus nobles comme de l'essence ou du carburant pour l'aviation. Même si les procédés évoluent en permanence, il n'y a plus de révolution en vue. Nous avons déjà fait des progrès considérables : on ne fabrique plus de fuel lourd dans nos raffineries.

Mme Leila Aïchi, présidente. - On sait depuis 1983 que le diesel est nocif pour la santé. Depuis 1998, l'Ademe - que vous avez citée - relaye des études montrant la nocivité de la pollution de l'air pour la santé, et notamment du diesel, que l'on sait cancérigène ! Comment expliquez-vous que l'industrie pétrolière n'ait pas rectifié le tir, alors même que le diesel coûte chaque année sept milliards d'euros en exonérations fiscales ?

M. Daniel le Breton. - C'est une longue histoire, une histoire européenne... Dans les années 1980, le diesel ne représentait qu'une petite part du marché. Il ne bénéficiait pas alors d'un gros avantage fiscal. Le diesel était l'atout technologique des constructeurs européens. Tenir le marché du diesel est donc devenu un moyen de les protéger de la concurrence japonaise. Depuis, le monde a changé. Le premier marché est devenu celui de l'essence, et la Chine est en passe d'y supplanter les États-Unis comme plus gros consommateur. En tous cas, l'industrie automobile européenne a su faire en sorte que les normes européennes fassent toujours une place spéciale au diesel : là où les États-Unis n'imposent qu'une seule norme d'émission pour le moteur, l'Europe en a deux, une norme essence et une norme diesel.

Si la volonté de réduire les émissions de CO2 a favorisé ce carburant, elle a conduit à la pollution aux particules : si un moteur diesel consomme moins qu'un moteur à essence, c'est qu'on le laissait émettre trois fois plus de NOx. A présent qu'il faut aussi lutter contre les particules, les petits moteurs diesel ont disparu. L'électrification des voitures nuira aussi au diesel, car le moteur à essence est plus facile à électrifier. Le marché français va donc continuer à se dé-diéséliser.

M. Francis Duseux. - Nos raffineries ont été conçues dans les années 1960 pour fabriquer de l'essence. Progressivement, la part du gazole dans la consommation nationale a atteint 75 %. Nous sommes donc devenus exportateurs d'essence, notamment aux États-Unis. Mais l'arrivée des gaz de schiste et l'explosion de la pétrochimie ont mis un terme à ces exportations. Nous demandons depuis longtemps un rééquilibrage de la fiscalité - non pour réduire les émissions, mais pour sauver notre outil de raffinage.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Souhaitez-vous que la fiscalité soit la même pour l'essence et pour le diesel ?

M. Francis Duseux. - Oui, pour stimuler la consommation d'essence. Depuis le début de l'année, les consommateurs s'orientent davantage vers les véhicules à essence de bas de gamme car la norme Euro 6 impose d'installer des filtres à particules, ce qui est trop onéreux sur les véhicules diesel de bas de gamme, qui se trouvent donc retirés de la vente. Nous allons donc vers un rééquilibrage progressif, mais un parc automobile dure quatorze ans... La part des moteurs à essence va augmenter, certains ne consommant que deux litres aux cent kilomètres, pour des poids très légers. Dans vingt ans, un véhicule sur deux aura un moteur hybride rechargeable car le coût de cette technologie, actuellement de 4 000 euros, baissera.

Nous discutons de la transition énergétique avec les pouvoirs publics et les acteurs du secteur. Tous s'accordent à dire que ces évolutions devrait réduire la consommation de carburant, de manière irréversible, de 20 % à 30 %. J'ajoute qu'une voiture à gazole consomme 15 % moins qu'une voiture à essence, et rejette donc moins de CO2.

Mme Leila Aïchi, présidente. - On nous a déjà servi ces arguments ce matin. Mais le diesel a un coût sanitaire, donc économique, incontestable. Qu'importe la consommation d'un véhicule ? L'important, c'est le coût global pour la société. Notre commission d'enquête évalue le coût économique et financier de la pollution de l'air, je le rappelle. Or l'impact sanitaire sur la population génère une charge pour la sécurité sociale, que quelqu'un doit bien payer : en l'occurrence, le contribuable et non le consommateur. Pour résumer, je comprends de vos propos que votre organisation, et l'industrie pétrolière en général, ne travaille pas sur les énergies renouvelables, qui ne sont pas son coeur de métier.

M. Francis Duseux. - C'est faux. Nous sommes aussi des citoyens responsables - ne nous accusez pas de tous les maux ! - soucieux de consommer moins et mieux, de diversifier les énergies, d'éliminer le charbon et de lui substituer du gaz. Mais si vous éliminez tous les carburants pétroliers, les avions restent au sol, les bateaux dans les ports et les voitures au garage, les supermarchés ne sont plus approvisionnés... L'ensemble du trafic routier se fait avec des moteurs diesel, dont on a considérablement amélioré les performances. Une grève des routiers, et tout le pays est paralysé !

Mme Leila Aïchi, présidente. - Nous ne sommes pas déconnectés du réel ! Au risque de me répéter, notre sujet est le coût économique et financier de la pollution de l'air. Nous connaissons les contraintes, et la nécessité de s'inscrire dans une logique de transition. Mais nous savons aussi que la voiture électrique changerait votre schéma commercial.

Nous sommes au XXIe siècle, et vous proposez des solutions appartenant au passé. Pourtant, avec votre poids économique, vous pourriez être un levier du changement si vous souteniez la recherche sur les énergies renouvelables. Vos entreprises sont tout de même parmi les mieux loties ! Nous ferions ainsi, collectivement, de ce handicap qu'est la pollution de l'air une opportunité économique. Pour créer les emplois de demain dans le développement durable et les technologies innovantes, il faut des financements. Or vous êtes bien peu sensibles aux enjeux de la transition énergétique, et cela m'inquiète. Je ne tiens pas du tout un discours à charge, mais je constate que vous êtes enfermés dans vos schémas d'industries pétrolières, alors que vous êtes aussi une émanation de la société française, et devriez être des entreprises citoyennes, impulser une dynamique. D'ailleurs, vous ne subissez pas les normes, vous êtes un lobby très puissant ! Raison de plus pour vous emparer de ce sujet, ne fût-ce que pour assurer l'avenir de notre économie - j'ai bien compris que l'aspect sanitaire ne vous intéressait pas.

M. Daniel le Breton. - Nous avons conçu avec PSA une voiture consommant moins de deux litres pour cent kilomètres. Électricité, gaz, hydrogène : ces sujets sont notre pain quotidien. Voilà douze ans, j'ai construit une centrale hydrogène. En Allemagne, nous avons testé les bornes électriques, il y a quelques années... Nous réfléchissons à tout cela !

Mme Leila Aïchi, présidente. - Mon propos visait surtout l'Union française des énergies pétrolières.

M. Daniel le Breton. - On parle davantage du gaz en France à cause de la loi sur la transition énergétique et de la directive sur les infrastructures, mais nous intéressons au biogaz, comme aux biocarburants, depuis vingt ans ! Cela dit, il est difficile de savoir ce qui pollue le moins, si l'on prend en compte la source. Et il est impossible de prévoir avec précision l'avenir, de dire s'il faut développer plutôt tel carburant ou tel autre, de savoir quel sera l'intérêt des clients. Nous ne tirons donc pas de plans sur la comète, mais notre panoplie est déjà bien fournie, avec un peu de tout. Mais les clients sont très conservateurs, mis à part une frange d'environ 10 % early adopters, qui sont difficiles à fidéliser.

Actuellement, les normes sur l'émission de CO2 favorisent les moteurs diesel, qui bénéficient du facteur poids.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Croyez-vous aux véhicules électriques à l'horizon 2050 ?

M. Daniel le Breton. - Même avant ! La Poste, par exemple, pourrait typiquement s'en équiper. Bolloré a aussi eu une très bonne idée en louant un service, avec la recharge sur la place de parking. Mais le problème de la recharge reste entier : si nous doublons la capacité des batteries, il faudra seize heures pour faire le plein... Sans compter que l'appel de puissance sur le réseau sera difficile à gérer. Pour les particuliers, je crois plutôt au développement des véhicules hybrides rechargeables, à essence, qui deviendront plus accessibles. Le moteur à essence va reprendre le dessus, car il est plus facile à électrifier. On peut parier sur la date de la mort du diesel...

Mme Leila Aïchi, présidente. - Quand ?

M. Daniel le Breton. - La Commission européenne compte réduire de moitié la circulation de véhicules à moteur thermiques dans les villes d'ici 2030 : les consommateurs s'orienteront donc forcément vers des moteurs électriques.

Mme Leila Aïchi, présidente. - Merci pour cette belle conclusion, dont nous saurons nous inspirer dans notre rapport.

La réunion est levée à 13 heures.

Audition de M. Christian de Perthuis, ancien Président du Comité pour la fiscalité écologique

La réunion est ouverte à 15 heures 30.

Au cours d'une troisième réunion tenue dans l'après-midi, la commission entend M. Christian de Perthuis, ancien président du comité pour la fiscalité écologique.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Christian de Perthuis de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

M. Christian de Perthuis, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

M. Christian de Perthuis prête serment.

M. Christian de Perthuis. - Mes travaux universitaires portent principalement sur l'évaluation et la tarification des coûts des nuisances environnementales induites par le changement climatique. Dans ce cadre, je me suis intéressé à l'impact des émissions de dioxyde de carbone au niveau global. En outre, comme président du Comité pour la fiscalité écologique, j'ai pu envisager la diversité des problèmes auxquels cette fiscalité spécifique s'adresse.

Quel est le fil conducteur de mes travaux ? Évaluer l'impact des nuisances environnementales pour la société afin de définir une tarification, une fois l'évaluation conduite, permettant à l'action publique de réduire leur coût économique et social. Cette évaluation doit s'opérer périodiquement afin de tenir compte des progrès scientifiques qui permettent d'appréhender une diversité grandissante de phénomènes. En effet, ce qui paraissait anodin, voire négligeable, il y a vingt ans, est désormais plus connu et impose une telle actualisation de notre réglementation.

Ainsi, il importe de prendre en compte les effets croisés des émissions de polluants, soit dans l'air, ou dans d'autres éléments, comme l'eau des rivières notamment. Si les polluants comme le dioxyde de carbone peuvent être facilement mesurés, par leurs émanations dans l'atmosphère, d'autres polluants, comme les micro-particules, doivent être également pris en compte ; une telle diversité avivant le problème de la tarification à y apporter, puisque l'imputation d'un coût à la quantité de carburants consommée est imparfaite, en ce qu'elle ne prend pas en compte la technologie utilisée, comme les nouveaux types de motorisation.

Quels ont été les travaux conduits par le Comité pour la fiscalité écologique que j'ai présidé pendant près d'un an et demi ? Il s'est, d'une part, saisi de la question des relations entre la pollution atmosphérique et l'énergie conduisant à la tarification des nuisances dont la fiscalité des carburants est l'un des éléments. Le comité s'est ainsi penché sur la question du diésel bénéficiaire en France d'avantages fiscaux, alors qu'un litre de ce carburant émettait plus de nuisances environnementales que l'essence. Le mode de fonctionnement du Comité était spécifique. En effet, il incarnait une sorte de « France en miniature », en rassemblant la diversité des élus, de l'échelle locale à européenne, deux Sénatrices, des représentants de l'ensemble de la société civile et des corps intermédiaires, ainsi que des organisations non gouvernementales écologiques. S'agissant de la tarification environnementale, nous avons débuté par recenser les constats partagés sur la base des connaissances transmises par les experts, en matière d'émissions de dioxyde de carbone et de fiscalité affectant le diésel et l'essence. Je tiens d'ailleurs à souligner que les deux avis du Conseil sur cette question ont été rendus par consensus, impliquant la neutralité ou le vote nul de ses membres les plus réticents. Ainsi, le Comité a émis le diagnostic, le 18 avril 2013, que la différence de fiscalité entre ces deux types de carburant s'avérait injustifiable au niveau écologique et qu'il convenait de faire progressivement disparaitre l'avantage dont bénéficiait le gazole.

Ce diagnostic marquait une première étape, mais l'obtention d'un consensus quant aux recommandations s'est avérée malaisé à obtenir. En effet, le Comité, qui avait pour mission d'adresser au Gouvernement des propositions soumises, au préalable, aux parties prenantes, n'avait pas vocation à se substituer au Parlement. Aussi, après avoir consulté les Commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale, nous avons proposé l'instauration de la taxe carbone dans le domaine de la fiscalité de l'énergie et l'augmentation graduelle de la composante carbone de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui ont été retenues par les Pouvoirs publics. En revanche, la réduction de l'écart entre la fiscalité du gazole et de l'essence, que le Comité préconisait, n'a pas été suivie d'effets.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Le sujet que vous abordez est au coeur de nos échanges, s'agissant notamment des disparités entre la fiscalité applicable au diésel et celle de l'essence. D'ailleurs, lorsque nous abordons ces questions relatives à la fiscalité environnementale, il est fréquent de se voir opposer par les industriels concernés une sorte de chantage à l'emploi destiné à prévenir toute avancée dans ce domaine. En 2015, quels leviers vous paraissent susceptibles d'atteindre un alignement de la fiscalité du diésel sur celle de l'essence ?

M. Xavier de Perthuis. - Cet écart de fiscalité nous parait induire deux types de distorsion. D'une part, du point de vue du système général de tarification, il était possible de créer une taxe nouvelle sur le diésel tout en précisant certaines exemptions afin de soutenir certaines professions. Mais il fallait avant tout décrisper le débat qui demeure polémique sur cette question. Le régime général de la fiscalité nous semble avant tout devoir être modifié progressivement, en dépit des difficultés institutionnelles et ce, afin de convaincre les acteurs concernés.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Savez-vous quelle durée serait idoine pour une telle révision ?

M. Christian de Perthuis. - Une période de trois ans me paraît la plus opportune. Elle permet de convaincre les acteurs les plus réticents que la mesure proposée peut devenir un atout pour leur compétitivité et trois ans me paraissent requis pour apporter les ajustements nécessaires. Comme j'ai pu le constater au sein du comité, il s'agit de convaincre à la fois les industriels et les syndicats que l'adaptation progressive de la fiscalité peut permettre de conduire une reconversion industrielle, comme a pu le démontrer le Groupe Peugeot Société Anonyme (PSA) depuis 2013. Par ailleurs, l'une des conditions de la décrispation que j'appelle de mes voeux réside dans la capacité d'avancer de toutes les parties prenantes et dans le fait de prévenir des arguments extrêmes qui peuvent confiner au manichéisme. Chacun doit ainsi faire un pas et les petits progrès qui ont déjà été réalisés en matière de réduction des nuisances environnementales ne doivent pas être occultés, tant ils peuvent s'avérer cumulatifs. En plus, le contexte international, dans lequel de telles mesures seront prises à l'avenir, évolue constamment.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Avez-vous des exemples de conversion permettant d'obtenir une plus grande compétitivité ?

M. Christian de Perthuis. - De façon générale, il semble que le diésel ne sera pas privilégié pour la motorisation des petits véhicules destinés, à l'avenir, à la mobilité urbaine, en raison des contraintes techniques qui en renchérissent le coût, comme l'installation d'un filtre à particules, par rapport à d'autres motorisations.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Disposez-vous d'un chiffrage de ces coûts ?

M. Christian de Perthuis. - Je vous adresserai ces données par voie écrite. D'autres solutions demeurent, comme l'utilisation de véhicules hybrides ou électriques. À cet égard, la tarification doit être un signal pour emprunter d'autres voies de développement.

Une autre piste peut consister en l'exemption de la fiscalité diésel afin de soutenir certaines professions et activités. À cet égard, le comité n'est pas allé au-delà de ce constat, du fait également de sa durée de vie qui s'est avérée limitée ! Il fallait alors distinguer la légitimité collective de l'action publique vis-à-vis d'une profession particulière et l'instrument utilisé pour y parvenir, ce que, du reste, notre comité n'était aucunement fondé à opérer. En effet, ne pouvant juger la valeur d'un soutien public en faveur de tel ou tel acteur, il ne pouvait en revanche qu'informer les Pouvoirs publics de la valeur du soutien qui étaient le leur, en identifiant les signes environnementaux néfastes au développement d'activités nouvelles et compétitives. C'est pourquoi, loin de désigner des coupables, le comité avait comme préoccupation de poursuivre un dialogue continu avec les parties concernées par cette question, en évitant de faire montre d'une sorte de naïveté environnementale.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Nous avons adressé aux représentants d'un groupe industriel automobile, que nous auditionnions ce matin, une question qui s'inscrit dans la continuité de votre propos et concerne le fléchage des aides pour construire le véhicule propre. En effet, 90 millions d'euros ont été débloqués, dans le cadre du Grand Emprunt, en faveur de ce groupe qui a utilisé ces fonds pour développer la motorisation hybride diésel. Ne pensez-vous pas qu'une telle démarche s'inscrit en faux avec les objectifs du développement durable et d'amélioration de la qualité de l'air, en raison des conséquences sanitaires induites par l'utilisation des motorisations diésel ? Il me semble que cet exemple reflète également que nos industries ont encore une conception du développement économique héritées du XXe  Siècle, alors que nous avons changé, depuis lors, de paradigme !

M. Xavier de Perthuis. - Je ne ferai pas de commentaire sur la stratégie industrielle de tel ou tel groupe, mais en ce qui concerne la prévalence du diésel, celle-ci a été favorisée par une politique volontariste de l'État. La prise de conscience de ses conséquences environnementales ne s'est ailleurs opérée que tardivement. En outre la motorisation hybride diésel n'est pas la solution idoine pour la ville, en raison du chauffage des moteurs, mais elle constitue tout de même un moindre mal par rapport à une motorisation totale. À cet égard, nos deux constructeurs nationaux travaillent sur des solutions plus innovantes encore sur les moyen et long termes. En outre, la nouvelle configuration du Groupe PSA, qui présente désormais un fort ancrage chinois, devrait induire une nouvelle adéquation avec les normes qui prévalent en dehors de nos frontières et qui tendent à restreindre l'utilisation du diésel.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Pensez-vous que le principe pollueur-payeur soit respecté aujourd'hui ?

M. Xavier de Perthuis. - La réponse est évidemment négative. La modélisation d'une économie repose en partie sur les fonctionnalités du capital naturel, qu'il faut entendre au-delà des stocks de réserves naturelles en y incorporant ses systèmes de régulation. Il nous faut ainsi opérer un changement de paradigme, puisque les externalités environnementales ne sont pas incorporées dans les prix. De ce fait, il importe d'être beaucoup plus ambitieux en matière de verdissement de la fiscalité, afin de mieux taxer les pollutions tout en réduisant d'autres impôts pesant sur les coûts du travail et du capital. Un tel coût est plus impliquant qu'on ne le croit, puisque la fiscalité verte doit servir à financer la dépollution. Il lui faut également prévenir le risque d'une hausse générale des impôts afin de demeurer socialement acceptable. Une telle fiscalité, pour être efficace, obéit au principe du double dividende selon lequel chaque euro provoquant la modification du comportement des agents économiques est compensé par un euro résultant de la réduction de la fiscalité existante. Une telle conception de la fiscalité s'est avérée une réussite dans certains États européens, comme en Suède où la taxe sur les émissions de dioxyde de carbone a progressivement atteint, à partir de 1991, un niveau de 130 euros par tonne et a contribué à l'élaboration d'un nouveau système fiscal qui a permis concomitamment d'abaisser les autres impôts pesant sur les fonctions de production. Loin de conduire à la désindustrialisation du pays, une telle démarche a plutôt permis de redéfinir les modes de production industriel et énergétique.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Selon vous, la taxe carbone détruit-elle sa base taxable ?

M. Christian de Perthuis. - Le principal critère de réussite d'une taxe réside justement dans sa capacité à faire disparaître son assiette. Il s'agit ainsi de lui conférer un niveau qui rend inefficaces les différents substituts qui sont visés. Dans le cadre de la taxe carbone par exemple, le seuil requis est de 50 euros la tonne pour notre pays qui aura divisé par quatre ses émissions de dioxyde de carbone. Comme le rapport du Comité trajectoires 2020-2050, auquel je participais lors de la mandature précédente, l'avait indiqué en 2011, il importe de faire progresser le niveau de la taxe carbone dont la réduction de l'assiette devrait compenser l'évolution du taux aux alentours de 2040. Ce qui démontre que cette base taxable ne va pas être épuisée dans les toute prochaines années !

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Encadrez-vous des étudiants qui travaillent sur le coût économique et financier de la pollution de l'air ?

M. Christian de Perthuis. - L'une de mes collègues de la chaire économie et climat de l'Université Paris-Dauphine vient de publier un article sur la valeur sanitaire de la pollution de l'air, qui aborde cette thématique. De nombreux doctorants sont également passionnés par l'intégration de la nuisance environnementale dans la connaissance économique. Notre chaire a d'abord travaillé sur le dioxyde de carbone, mais son programme de travail a évolué progressivement, en privilégiant une approche sectorielle. Elle s'est d'ailleurs exprimée, sous la forme de publication idoine, lors des pics de pollution.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Le développement durable et la transition énergétique constituent des solutions pour devenir compétitif, à la condition de changer de paradigme. Quelles sont, selon vous, les forces de résistance les plus âpres à un tel changement ?

M. Christian de Perthuis. - J'ai toujours eu à coeur de coupler mes activités de recherche avec la confrontation au monde réel, comme en témoignent mes fonctions de conseiller de la direction de la Caisse des dépôts et consignations entre 2001 et 2008. Toute proposition d'innovation se heurte manifestement à une forme de conservatisme, comme j'ai pu le constater à l'occasion de la mise en oeuvre des engagements de la France souscrits dans le cadre du Protocole de Kyoto en matière d'émissions de dioxyde de carbone. Le problème réside en ce que les générations futures, par définition, ne votent pas et qu'il faut convaincre la génération présente, ainsi que la diversité des acteurs du tissu économique, du bien fondé d'accélérer la mise en oeuvre de la croissance verte, car on ne peut conserver les bénéfices de l'industrie du XXème Siècle et anticiper, dans le même temps, ceux de la transition énergétique. Il importe désormais d'aller jusqu'au bout de la logique puisque l'existence du changement climatique ne se discute plus, pas plus d'ailleurs que celle de la pollution atmosphérique. D'ailleurs, s'il est urgent de mettre en oeuvre les instruments économiques et financiers adaptés, il faut éviter de sombrer dans une dramatisation excessive qui rendrait, à terme, difficile une telle transition.

Mme Leila Aïchi, rapporteur. - Je vous remercie, Professeur, de votre intervention et de la qualité de vos réponses.