Mercredi 18 février 2015

- Présidence de de M. Vincent Capo-Canellas, président -

La réunion est ouverte à 15 h 05

Audition de M. Pierre Cahuc, professeur à l'École polytechnique, membre du Conseil d'analyse économique, M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, M. Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation de l'OFCE et M. David Thesmar, professeur à HEC, membre du Conseil d'analyse économique

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Nous avons choisi de réunir aujourd'hui quatre économistes qui appartiennent à plusieurs écoles de pensée et nous apporteront des éclairages différents sur les mesures du projet de loi qui devrait nous être bientôt transmis.

M. Pierre Cahuc est professeur d'économie à l'École Polytechnique, membre du Conseil d'analyse économique et directeur du CREST. Dans une tribune récente, déclarant que « l'ouverture des commerces le dimanche crée de l'emploi et du pouvoir d'achat », vous jugiez que « la loi Macron va dans le bon sens, mais est encore trop timide ».

M. Jean Pisani-Ferry, que nous avons l'habitude de voir au Sénat, est Commissaire général à la stratégie et à la prospective. Il a installé la commission d'étude des effets de la loi pour la croissance et l'activité dont Mme Anne Perrot nous a présenté, la semaine dernière, une partie des travaux. Vous avez remis récemment au ministre de l'Économie, en collaboration avec Henrik Enderlein, un rapport définissant pour la France et pour l'Allemagne des domaines prioritaires d'investissement, de réformes structurelles et d'actions communes, qui pourrait être pour nous une source d'inspiration.

M. Henri Sterdyniak est Directeur du département économie de la mondialisation de l'OFCE et membre du Conseil des prélèvements obligatoires. Vous avez exprimé, sur ce projet de loi, une opinion très critique, affirmant : « C'est une loi patchwork, disparate. Au total, pas de quoi révolutionner l'économie française ».

M. David Thesmar est professeur de finances à HEC, membre du Cercle des économistes et du conseil d'orientation du think thank Bpifrance Le Lab. Vous avez déclaré que si le projet de loi Macron « permet de faire la pédagogie de la concurrence auprès des Français », il reste « plus un symbole qu'autre chose car les mesures envisagées ne réforment pas les secteurs qui ont un vrai poids macroéconomique ».

Comment évaluez-vous l'économie générale du projet de loi au regard des objectifs de relance de la croissance et de l'activité ? Quelles sont, selon vous, ses dispositions les plus opportunes ? Quelles sont, enfin, les lacunes que nous pourrions combler ? Telles sont les questions auxquelles nous souhaiterions vous voir tous quatre répondre.

M. Pierre Cahuc, professeur à l'École polytechnique, membre du Conseil d'analyse économique. - J'ai participé à la commission d'évaluation du projet de loi pour la croissance et l'activité, dans le cadre des réflexions menées par France Stratégie. Étant compétent en matière de marché du travail, je m'en tiendrai aux dispositions qui y ont trait et qui peuvent, à mon sens, avoir des effets positifs en termes de création d'emploi.

Sur la question du travail dominical, nous avons mobilisé, au-delà des seules études académiques, peu nombreuses en France, les expériences étrangères, pour constater que les facultés d'ouverture le dimanche et en soirée ouvertes en Allemagne, au Canada, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas ont eu des effets positifs - les études sont unanimes sur ce point. Au cours des années 1980, certaines provinces canadiennes ont élargi les possibilités d'ouverture le dimanche, quand d'autres, contiguës, s'en tenaient au statu quo, ce qui nous a permis d'identifier de manière convaincante, grâce à une méthode d'évaluation comparative, les effets de l'ouverture dominicale. Ils sont, le plus souvent, significatifs. Nous avons appliqué la même méthodologie aux États-Unis, à l'Allemagne, aux Pays-Bas, et constaté partout des effets positifs dans le secteur du commerce, voire au-delà. Nous n'en avons pas moins conscience que d'autres paramètres, et notamment l'impact sur les modes de vie, doivent être pris en compte. L'emploi ayant bénéficié en priorité aux jeunes, le retentissement sur les modes de vie est resté limité. On peut tabler qu'il en sera de même en France, d'autant que le bouleversement n'est pas radical : il ne s'agit que de passer à un maximum de douze dimanches autorisés, et d'ouvrir les dimanches dans quelques zones attirant un tourisme international. Au demeurant, les effets de l'ouverture du dimanche sont appréciés différemment : ceux qui habitent en milieu urbain y sont favorables, quand ceux qui vivent dans un cadre rural sont plus mitigés. Adapter la réglementation localement, ainsi que le permet cette loi, aura des avantages. Cela étant dit, les modifications apportées restant marginales, l'effet sur l'emploi sera limité.

J'en viens à la réforme des Prud'hommes. La barémisation des indemnités de licenciement semble une avancée importante, si toutefois elle est effectivement respectée, sachant que le juge aura toujours la possibilité de décider des montants de dommages et intérêts. Si elle l'est, ce sera le moyen de sécuriser en partie les modalités de rupture du contrat de travail, qui sont, à l'heure actuelle, source d'incertitude, tant pour le salarié que pour l'employeur.

La France est le seul pays dans lequel le juge professionnel est absent en première instance, où les partenaires sociaux assument son rôle. D'où une forte hétérogénéité dans les décisions, et des délais longs en moyenne. Il reste beaucoup de grain à moudre pour gagner en efficacité - le rapport Lacabarats était assez clair là-dessus. Or, in fine, la réforme reste très marginale ; on a renoncé à l'échevinage, qui faisait son inspiration première. Si bien que je suis sceptique quant à son impact.

Un mot, pour finir sur les mesures visant à favoriser la mobilité. Le transport en autocar en est une. Les études montrent qu'il y a là un gisement d'emplois, non seulement pour le secteur mais indirectement, pour d'autres, qui bénéficient du gain de mobilité, tandis que la sécurité routière ne s'en trouve pas dégradée, ni la pollution aggravée, car l'autocar se substitue essentiellement à la voiture. Quant aux mesures touchant au permis de conduire, les études empiriques pour la France montrent qu'elles ont un effet significatif sur l'emploi des jeunes, notamment les moins qualifiés.

Toutes ces mesures nous ont semblé, au total, aller dans le bon sens, mais n'apporter qu'un incrément limité. Beaucoup dépendra de leur mise en oeuvre, et de la façon dont les partenaires sociaux se les approprieront - la négociation collective sur la mise en oeuvre du travail dominical, notamment, sera déterminante.

M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France stratégie. - Je veux tout d'abord rappeler la démarche qui a conduit à la mise en place d'une commission visant à mesurer l'impact du projet de loi. L'idée était d'éclairer le travail parlementaire, en se fondant sur l'expérience internationale et quelquefois française. Il s'agissait moins pour nous de quantifier, sachant que les choix méthodologiques, en la matière, peuvent toujours être contestés, que de rassembler ce que l'on sait quant à la nature des effets à attendre. J'ai donc demandé à la commission de prendre en compte plusieurs critères, sachant qu'une disposition peut être bonne au regard de certains critères, moins au regard d'autres. Ainsi du travail du dimanche, dont les effets sont favorables à l'emploi mais peuvent être néfastes pour la vie familiale ou religieuse, ainsi qu'il ressort des études américaines. Nous avons fait le choix, en somme, d'une démarche analytique.

La commission est composée d'experts. Il s'agissait de projeter l'évaluation d'effets mesurés a posteriori sur le texte. J'ai souhaité qu'elle comprenne des experts d'autres nationalités, pour créer un peu de distance dans le débat et objectiver les conclusions. Je veux ici féliciter Anne Perrot et les membres de la commission qui ont travaillé très rapidement pour vous fournir des éléments.

Que ressort-il de ses travaux ? Chacune de ses notes thématiques se termine par des éléments d'appréciation, fondés sur différents critères. La plupart du temps, elle conclut à des effets positifs sur l'emploi. S'agissant de la réforme des Prud'hommes, elle marque une certaine prudence. Elle relève que l'effet des mesures envisagées sera, en revanche, moins net sur la consommation, donc sur la croissance. Ainsi du travail du dimanche, dont elle n'attend pas d'effet marqué sur la consommation. Elle prévoit, cependant, un effet de ralentissement sur les prix dans les secteurs concernés par la loi et, dans un certain nombre de cas, des effets positifs sur l'égalité d'accès aux services en cause.

Alors que c'est la compétitivité qui, dans le contexte que nous connaissons, nous préoccupe au premier chef, il est paradoxal de constater que ce projet de loi porte sur des secteurs peu exposés. L'accent est-il mis sur les bons secteurs ? Notre travail de dix années montre que l'économie française souffre du fait que les secteurs exposés à la concurrence internationale, soit l'industrie et certains services, sont moins rentables que les secteurs non exposés. Quand l'Allemagne a systématiquement privilégié son industrie, dont elle a fait son fer de lance à l'international, la France a choisi une voie opposée. Alors que le coût du travail dans l'industrie manufacturière est comparable en France et en Allemagne, le coût des intrants est très supérieur chez nous. Les secteurs exposés à la concurrence internationale sont, par définition, plus risqués, tant du point de vue du capital que du travail, qui peuvent être attirés ailleurs et demandent donc à être bien rémunérés. Pour redresser notre compétitivité, on a eu recours, dans un premier temps, à la voie fiscale, avec des mesures comme le CICE ou le pacte de responsabilité, mais il faudra aller plus loin, et en passer par une réforme structurelle.

Les dispositions du projet de loi qui visent à introduire plus de concurrence vont dans le bon sens, car elles sont de nature à améliorer la compétitivité des secteurs concernés. Cela étant, il ne faut pas surestimer les effets macroéconomiques que l'on peut attendre de ce texte, dont les mesures restent d'ampleur limitée.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Dans le rapport que vous avez récemment remis avec Enrik Enderlein, sur la croissance en France et en Allemagne, vous suggériez des mesures structurelles. Est-il envisageable d'en introduire certaines dans ce texte ?

M. Jean Pisani-Ferry. - La France est confrontée à des problèmes de court terme, qui touchent à son marché du travail, à sa compétitivité, à la situation de ses finances publiques, tandis qu'en Allemagne, avec le vieillissement de la population active, c'est un problème de long terme qui se profile : le pays devra attirer des compétences et favoriser la mobilité du travail.

L'un des enjeux tient à la transition vers un régime de croissance reposant davantage sur la croissance des entreprises et la flexisécurité, laquelle inclut la formation professionnelle et la portabilité des droits. Il ne faut pas avoir une vision trop étroite de la compétitivité, qui ne dépend pas seulement des coûts salariaux.

M. Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation de l'OFCE. - Je vous remercie de votre invitation. Permettez-moi de prendre, pour commencer, un peu de recul. L'économie française a été frappée, avec l'ensemble de l'économie européenne, par deux catastrophes macroéconomiques. En premier lieu, l'impasse du système du capitalisme financier, qui s'est soldée par la crise de 2007, avec les conséquences que l'on sait, en particulier la croissance massive du chômage. En second lieu, notre engagement dans une zone euro dont la gouvernance n'est pas assurée et qui s'est lancée dans une stratégie de réformes structurelles assortie d'une politique d'austérité qui s'est révélée ravageuse. Nous n'avons pas su trouver de stratégie cohérente à l'échelle européenne : la croissance très faible, l'augmentation du chômage, les déséquilibres persistants, les conflits entre pays, les pressions à la mise en oeuvre de réformes structurelles et à la diminution de la dépense publique nous placent dans l'impasse.

La France, face à cela, a le choix entre deux stratégies. Soit être aussi bête que les autres, si je puis ainsi m'exprimer, et accepter sans broncher l'augmentation à tout prix de la rentabilité des entreprises, fût-ce au prix d'effets négatifs sur la demande, et le creusement des inégalités, fût-ce au prix de la cohésion sociale. La loi Macron n'emprunte heureusement pas ce chemin. Soit entreprendre de changer l'Europe, pour mettre en place une autre stratégie à l'échelle de l'Union européenne, défendant le modèle social européen et engageant la transition écologique. Malheureusement, nous n'avons pas su le faire, si bien que nous en sommes réduits à prendre une série de mesures hétéroclites qui ne sont pas du tout à la hauteur du problème. Ce n'est pas la création des quelques 20 000 emplois qu'on en attend qui nous sortira de l'impasse.

Cette loi est, de fait, un patchwork de mesures disparates, les unes dirigistes, et qui entrent même dans un détail risible ne relevant en rien de la loi - créer des parkings à vélos dans les gares routières, augmenter le nombre d'inspecteurs pour réduire les délais de passage du permis de conduire -, les autres marquées du sceau d'une inspiration libérale très contestable. J'ajoute que ce texte, qui touche à des domaines très variés, depuis le travail jusqu'à l'écologie, est porté par le seul ministre de l'économie, ceux du travail, de la justice, des transports, du commerce restant en retrait. Si bien que l'on peut craindre que les préoccupations économiques ne l'emportent sur les autres.

Sans doute est-il utile de libéraliser le transport en autocar, mais il ne faut pas en attendre des miracles. Souvent, les lignes transversales ne sont pas rentables ; les régions les subventionnent déjà. Quant au développement des grandes lignes comme Paris-Strasbourg ou Paris-Lille, il signe un retour en arrière : ceux qui n'ont pas les moyens de prendre le TGV seront transportés dans de moins bonnes conditions. Mieux vaudrait, à mon sens, remettre à plat la politique tarifaire de la SNCF.

Étendre les missions de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires en en faisant une Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières est sans doute une bonne chose, mais la question reste posée des contrats passés avec les sociétés d'autoroutes. On peut s'interroger sur la capacité de l'État, des collectivités territoriales, des hôpitaux à signer des contrats avec de grandes entreprises dont les compétences juridiques, fiscales et techniques sont bien supérieures aux leurs. J'en veux pour preuve cette clause stupéfiante qui protège les sociétés d'autoroutes des évolutions de la législation fiscale. Comment les services de l'État ont-ils pu signer un tel accord ?

L'injonction structurelle à renforcer la concurrence dans le commerce est bienvenue, mais il aurait fallu renforcer corrélativement, en amont, les moyens de l'Autorité de la concurrence, pour contrer la concentration des centrales d'achat qui pèse sur les producteurs.

Il est légitime de s'attaquer aux rentes professionnelles réglementées et aux inégalités de revenu qui se sont récemment aggravées en France, et qui affaiblissent la demande, nourrissent la volatilité financière, favorisent des activités parasitaires dans la finance et le droit au profit de l'optimisation fiscale et des montages financiers qui nuisent à l'activité productive. Mais le projet ne va sans doute pas assez loin ; beaucoup dépendra des décrets. En ce qui concerne les professions réglementées, la question n'est pas tant de la concurrence que de la fixation des tarifs par les pouvoirs publics. Et contrairement à ce qu'avance le ministre, je ne pense pas que ce soit dans ce secteur que l'on développera massivement l'emploi des jeunes. Il y a quelque contradiction, au reste, à vouloir tout à la fois y réduire les coûts et en faire des secteurs porteurs pour l'emploi des jeunes. Il est des activités juridiques parasitaires, touchant, notamment, à l'optimisation fiscale, qu'il faut s'employer à réduire plutôt qu'à y attirer les jeunes. Les professions de notaire, de mandataire social, de greffier sont loin, de mon point de vue, d'entrer dans la catégorie des professions d'avenir.

L'article sur la vente à la découpe est particulièrement préoccupant. On comprend mal que cette disposition fasse figure de priorité pour le Gouvernement et les parlementaires. Au lieu d'aller vers la suppression des niches fiscales et sociales, voilà qu'on en reconstitue ! Ainsi des dispositions relatives à l'attribution d'actions gratuites. Alors que le dispositif fiscal en vigueur, qui sépare clairement le régime qui s'applique à la rémunération du travail et celui qui s'applique aux plus-values, est satisfaisant, voilà que l'on mélange les deux en prévoyant que les gains sur ces actions seront taxés comme des plus-values mobilières. C'est une niche difficilement acceptable. De même pour certains plans d'épargne salariale, qui bénéficieront d'un taux réduit de forfait social, au rebours de la logique qui était suivie jusqu'à présent d'élargir ce forfait pour en arriver à taxer toutes les rémunérations extra-salariales à 20 %.

Autre sujet d'étonnement, la privatisation de Giat Industries, qui deviendra une société franco-allemande... à statut néerlandais. C'est encourager les pays qui offrent, en Europe, des statuts particuliers, quand il faudrait, au rebours, militer en faveur d'une harmonisation des règles.

J'en viens au travail du dimanche, dont tout le monde a ici reconnu qu'il ne créera guère d'emplois. Il perturbera, en revanche, la vie familiale. Les travailleurs du commerce sont pour beaucoup des femmes qui élèvent seules leurs enfants. Comment prétendre que tout se passera sur la base du volontariat ? Qui ira déclarer, face à un employeur, qu'il ne souhaite pas travailler le dimanche, sachant que cela peut nuire à son embauche ? En tout état de cause, il est clair que ce n'est pas cette mesure qui fondera la croissance. Elle justifierait, en revanche, un haut niveau de compensation salariale. Si une entreprise estime qu'il est rentable d'ouvrir le dimanche, elle devrait augmenter la rémunération de ces journées de moitié. Je regrette que le texte écarte la question.

En ce qui concerne les Prud'hommes, on sait qu'une grande partie des délais tient au fait que les entreprises font systématiquement appel. C'est contre cette tendance à freiner la procédure qu'il conviendrait de lutter. J'ajoute que l'introduction d'une procédure participative par laquelle le salarié renoncerait à une action aux Prud'hommes ne va pas dans le bon sens.

Dernier sujet d'insatisfaction, enfin : alors que de plus en plus d'entreprises sont intégrées à des groupes, il est regrettable que lorsqu'une entreprise est en difficulté et met en place un plan de sauvegarde de l'emploi, son groupe soit exonéré de toute obligation de lui porter secours. Il eût fallu réaffirmer la responsabilité du groupe au lieu de la dégager, comme le fait ce texte.

Au total, ce projet de loi comporte bien quelques éléments positifs : amélioration de la concurrence dans le commerce, possibilité de contraindre les actionnaires qui ne souhaitent pas s'engager dans la sauvegarde d'une entreprise de vendre leurs actions, notamment. Reste que l'on est loin du texte historique qui répondrait aux besoins de l'économie française en l'acheminant vers la transition écologique et la mobilisation pour le made in France cher au ministre de naguère. Je terminerai en disant qu'il faut certes rassurer les investisseurs, mais aussi les salariés, en leur donnant plus de place dans la décision.

M. David Thesmar, professeur à HEC, membre du Conseil d'analyse économique. - Sur l'essentiel, je suis d'accord avec mes collègues : les curseurs vont dans le bon sens, mais le texte n'agira qu'à la marge.

Il penche parfois du côté de l'ultra-réglementation, qui peut se révéler contre-performante. Un exemple : les actionnaires qui ne voudraient pas remettre au pot pour la sauvegarde de l'entreprise pourraient être obligés de vendre - mais à quel prix ? Quand on entre ainsi dans le détail, on comprend que l'on s'engage dans une surréglementation de nature à figer les choses.

Faut-il voir dans cette loi une réforme pédagogique qui enclenchera un processus vertueux ou un texte qui voudrait que l'on puisse s'en tenir là au motif que l'on a coché les bonnes cases, et préparerait donc l'immobilisme ?

La vérité est que sans mandat présidentiel, on ne fait pas de grandes lois. Sous la précédente mandature, le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, le bouclier fiscal ont été votés parce qu'il s'agissait d'engagements de campagne.

Ici, on s'en tient à des modifications cosmétiques, faites pour servir une entreprise de communication politique. Une parodie de libéralisation, servie par des figurants de tous poils. Le recours au 49-3 est, de ce point de vue, une aubaine pour le Gouvernement, qui cimente la posture réformatrice qu'il entend se donner. Une posture qui prépare l'immobilisme, car c'est simplement le moyen de relâcher la pression de Bruxelles sur la procédure de réduction des déficits. Il n'y aura pas, autrement dit, de réforme de l'État, donc de la fonction publique, qui restera pléthorique et paupérisée. Et le président-candidat pourra, en 2017, annoncer aux électeurs de centre-droit qu'il a changé et qu'il est à la tête d'un parti de réformateurs libéraux.

Il me semble difficile que le Sénat se rende complice d'une réforme de ce genre. Le Gouvernement déclare s'engager dans la réforme libérale ? Prenez-le au mot, nous avons des propositions à vous faire. Il faut le pousser à aller plus loin. Jean Pisani-Ferry n'a pas dit autre chose.

Nous avons trois séries de propositions à vous soumettre. La première a trait à l'emploi. Alors que la France compte entre 3,5 et 5,5 millions de chômeurs, jeunes et vieux, pour l'essentiel non qualifiés, il est clair que le retour à l'emploi passe par une action sur le coût du travail. C'est là ce qu'attendent les entreprises. Il s'agit de réfléchir à des dispositifs autorisant des rémunérations plus flexibles. La régionalisation du Smic, comme cela était le cas jusqu'en 1968, fait partie des pistes. Avec un même montant, on vit chichement à Paris, beaucoup mieux dans le Limousin. Autre piste : approfondir le statut d'auto-entrepreneur, très populaire, et qui permet à des jeunes d'entrer sur le marché du travail.

Notre deuxième série de propositions a trait à la réforme de l'État. Avec Augustin Landier, nous avons mené, pour l'Institut Montaigne, un travail analogue à celui qu'avait conduit Thomas Piketty dans les années 1990 (M. Jean Desessard s'amuse). Il s'est agi de mesurer ce que seraient les gisements d'emplois en France si sa structure de coûts était celle des États-Unis. Moyennant quoi il apparaît, comme cela était déjà le cas dans le travail de Thomas Piketty, que l'hôtellerie-restauration et le commerce pourraient constituer d'énormes gisements d'emploi. Si le ratio par habitant était le même qu'aux États-Unis, nous aurions 2,5 millions d'emplois en plus. La différence est évidemment liée au coût du travail. L'autre écart significatif réside dans les domaines de la santé, de l'action sociale et de l'éducation : un gisement de 1,2 million d'emplois supplémentaires. Nous sommes là dans le périmètre d'action de l'État. Si la France ne s'appuie pas sur ces leviers, cela tient au monolithisme hérité du passé : le privé est réduit à la portion congrue pour laisser sa place au public.

Notre troisième série de propositions a trait aux politiques industrielles. On peut être libéral tout en reconnaissant certaines limites au marché. En France, on a laissé le soin aux collectivités territoriales et aux sociétés privées de développer la fibre optique. Or, cela ne peut fonctionner, tant sont nombreuses les externalités : c'est à l'État d'agir, parce qu'il s'agit d'un bien public, qui a un impact majeur sur la compétitivité. Son développement pourrait passer par des contrats de délégation de service public ou de concession.

M. Jean Desessard. - Ah !

M. David Thesmar. - Autre point nodal, la fiscalité du capital, dramatiquement élevée en France, qui pèse sur l'investissement. Enfin, via le financement du modèle social, s'opère une redistribution masquée, qui pose problème pour le recrutement des talents étrangers. Allez dire à un salarié auquel vous proposez une rémunération mensuelle de 50 000 euros que 20 % de son salaire sera ainsi ponctionné !

Mme Nicole Bricq. - Vous oubliez le statut des impatriés.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Après ces interventions, marquées par une grande diversité d'approches, nous allons passer au jeu des questions.

Mme Nicole Bricq. - Les positions sont, de fait, tranchées. On peine toujours, en France, quels que soient les gouvernements, à mettre en phase macro et microéconomie. Ce texte traite, clairement, du versant microéconomique. Or, nous sommes, d'un point de vue macroéconomique, dans une période favorable : les taux d'emprunt et le cours du pétrole sont au plus bas, la Commission européenne semble prête à reporter l'objectif de 3 %, la BCE s'engage dans le quantitative easing. C'est le moment d'accompagner, au plan microéconomique, cette tendance. Il faut accélérer les réformes ; le Premier ministre déclare qu'il va le faire. Même si vous considérez que ce projet de loi reste trop modeste, estimez-vous qu'il aidera, s'ajoutant à ce que l'on a déjà fait pour améliorer les marges des entreprises et leur compétitivité, à cette mise en phase, sur laquelle nous avons toujours achoppé ?

M. Michel Raison. - Sur la question des transports par bus, j'ai tendance à pencher, une fois n'est pas coutume, du côté de M. Sterdyniak. Pour les grandes lignes, où est l'intérêt ? On ferait mieux de conserver nos lignes d'équilibre du territoire, que le Gouvernement projette de supprimer. J'ajoute qu'au niveau régional, l'articulation entre la route et le fer, avec les TER, a plutôt bien fonctionné - à quelques exceptions près, mais on ne va pas voter des dispositions s'appliquant nationalement pour régler quelques exceptions.

À ceux qui, parmi nos hauts fonctionnaires, considèrent qu'un notaire gagne trop bien sa vie, je demande s'ils ne se sont jamais livrés à un exercice comparatif. Ils auraient peut-être constaté qu'avec beaucoup moins de risques et beaucoup moins d'heures de travail, ils gagnent beaucoup plus qu'eux. D'où une question un peu provocatrice : peut-être devraient-ils se pencher sur la question avant d'embêter les notaires ?

Il est vrai que cette loi contient un certain nombre de mesures indispensables, qui touchent à la vie quotidienne, comme celles qui concernent le permis de conduire, mais dans la plupart des cas, elles ne relèvent pas du législatif. Voilà plusieurs années, et cela remonte même à la précédente mandature, que le Gouvernement a tendance à soumettre au Parlement des mesures qui relèvent du réglementaire, tandis que dans le même temps, il fait passer par décret des réformes, comme celle des rythmes scolaires, qui auraient mérité un débat au Parlement. A croire que la haute fonction publique a mission de nous amuser à coup de mesures sur les sacs en plastique ou les inspecteurs d'auto-école.

Mme Annie David. - Les interventions ont été en effet marquées par une grande diversité. Sur le partage entre loi et règlement, je rejoins Michel Raison. Beaucoup de dispositions n'ont rien à faire dans ce texte. Et l'on s'étonne de les y trouver alors que le Gouvernement ne manque pas de repousser nombre de nos amendements au motif qu'ils relèvent du domaine réglementaire.

Que va apporter ce projet de loi à la relance de la consommation ? J'avoue que vos exposés ne m'ont pas éclairée sur ce point. En l'absence d'augmentation de leur revenus ou des minima sociaux, je vois mal comment les consommateurs iraient dépenser plus au motif que les magasins seront ouverts le dimanche. Ces dispositions auront-elles un effet sur l'emploi ou bien assistera-t-on, plutôt, à un transfert d'emplois ? On fait une loi nationale pour régler, en somme, une question circonscrite à l'avenue des Champs-Élysées. La loi s'appliquera partout alors que sur beaucoup de territoires, elle est inutile. Il reviendra à chacun de décider, nous objecte-t-on, mais on sait bien que la concurrence a un effet d'entraînement : dès lors que le voisin ouvre, on est amené à ouvrir aussi. Personne n'y sera gagnant, et surtout pas les salariés, dont M. Sterdyniak a rappelé que ce sont souvent des femmes. La vie familiale va en prendre un coup. Le congé du dimanche, c'est une journée accordée à la famille, à la vie associative, au lien social. On le met ici en balance pour un effet qui ne sera pas à la hauteur de l'enjeu auquel il prétend répondre.

J'invite M. Thesmar, qui a fait des États-Unis un modèle pour le coût du travail, à consulter le site anglo-saxon Business insider. Il y trouvera un article qui souligne que les Français sont les plus productifs au monde. Réduire le coût du travail ? Mais quelle société voulons-nous ? Voulons-nous remettre en cause le modèle républicain qui est le nôtre, fondé sur des valeurs de solidarité et d'égalité et pour la défense duquel on vient de voir descendre des millions de personnes dans la rue ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Ce n'est pas avec ce texte que l'on va arrivera à une relance de la croissance et de l'activité économique, qui exige bien davantage : baisse des charges pesant sur les entreprises, simplification administrative et mesures en faveur de la compétitivité. M. Sterdiniak regrette qu'il ne donne pas assez de pouvoir à l'Autorité de la concurrence. Pour moi, elle est au contraire le grand vainqueur de ce projet de loi. Elle sera présente partout et pourra être largement saisie. On va ici très loin. La concurrence n'est pas une fin en soi, mais un levier.

M. Yannick Vaugrenard. - Merci aux intervenants, qui nous ont présenté des options très différentes - c'est tout l'intérêt de ce genre d'audition - mais qui se rejoignent pour partie dans leurs conclusions, qui pourrait se résumer en une phrase : tout ça pour ça !

Or, curieusement, les enquêtes d'opinion font apparaître que 70 % des Français sont favorables à la loi Macron. Ne faut-il donc pas la considérer comme un premier message envoyé à l'opinion publique, qui sent bien qu'il y a des choses à modifier en profondeur dans notre pays, sans quoi nous courrons à la catastrophe ? N'est-ce pas également un message envoyé à l'Europe, à ceux qui nous prêtent, pour nous permettre de boucler l'année et de payer nos fonctionnaires à partir de la rentrée prochaine ?

Cela étant dit, je suis tenté de vous poser la même question qu'à Jacques Attali. Nombre d'économistes jugent que les inégalités sont source de décroissance, quand l'égalité, à l'inverse, suscite la croissance. Or, les inégalités de revenu, comme de patrimoine, se sont considérablement accrues dans notre pays : 10 % des Français détiennent 50 % du revenu national, quand à l'autre bout de l'échelle, 50 % ne disposent que de 7 % du patrimoine. Revenir à plus d'égalité ranimerait la croissance. Oui, l'opinion publique veut des réformes, mais vers plus d'égalité et de justice sociale, donc de croissance.

Mme Corinne Imbert. - Si 70 % des Français souscrivent à ce texte, c'est sans doute, indépendamment du fond des mesures qu'il ne connaissent pas forcément, que son intitulé porte deux mots magiques, croissance et activité, qui suscitent chez eux l'espoir. Or, nous avons certes entendu quatre approches concurrentes, mais qui toutes concluent qu'il ne donne que peu d'espoir.

Mme Catherine Génisson. - Pas assez d'espoir.

Mme Corinne Imbert. - Je partage ce qui a été dit par Michel Raison et Dominique Estrosi Sassone.

M. Sterdyniak juge que les professions réglementées jouissent de revenus excessifs. Peut-être faudrait-il revoir la tarification, mais je considère, quant à moi, que ces professionnels font bien leur travail, et qu'ils sont des acteurs de l'aménagement du territoire et de la ruralité - car vous oubliez qu'ils ne sont pas tous installés en ville. Veut-on voir apparaître des déserts juridiques, à l'image des déserts médicaux que l'on connaît déjà ? Ce ne sont pas là des professions d'avenir, dites-vous ? Mais lesquelles le sont, à ce compte ? L'hôtellerie-restauration et le commerce sont sans doute, comme l'a indiqué M. Thesmar, des gisements d'emploi, mais les conditions de travail y sont très exigeantes et attirent peu de jeunes. Cela vaut d'y réfléchir.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - L'éventail des analyses qui nous ont été livrées est, en effet, très large.

Pour que le travail dominical crée de l'emploi pour les jeunes et de l'activité, il faudrait une ouverture massive. M. Cahuc a cité l'exemple du Canada, mais ce pays partait de zéro, ce qui n'est pas notre cas.

Chacun s'accorde à considérer que ce texte est un fourre-tout, qui contient certes des dispositions intéressantes mais qui ne suffira pas à relancer l'activité et la croissance. Je ne résiste pas à l'envie de citer une blague qui circule sur les réseaux sociaux, et qui le résume en disant qu'il permettra à un notaire de passer plus vite son permis de conduire pour devenir chauffeur d'autocar.

On ne pourra pas, dans le cadre de notre travail parlementaire, remanier un tel texte au point d'en faire un instrument de réforme profonde de l'État, comme le suggère M. Thesmar. Mais nous pouvons creuser quelques pistes pratiques destinées à l'améliorer. Vos contributions en ce sens seront bienvenues.

M. François Pillet, rapporteur. - Bien que vous vous rattachiez à des familles de pensée très différentes, vous parvenez tous à un constat commun, rejoignant d'ailleurs celui de Jacques Attali, qui nous disait que ce texte ne représente qu'un millième de ce que l'on peut faire. M. Thesmar a eu raison de dire qu'un vrai texte de réforme doit être préparé dans un programme de mandature.

Ce projet de loi, qui ne porte pas, ainsi que cela a été rappelé, sur le secteur exposé à la concurrence internationale, ne contient que des mesures marginales, relevant le plus souvent du règlement, et dont on peut se demander si elles seront utiles à la croissance. A quoi bon un référentiel indicatif en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ? Un délégué syndical ou un avocat spécialisé n'est-il donc pas en mesure d'indiquer la fourchette que pratique le conseil de prud'hommes concerné ? Sans compter que l'accord national interprofessionnel de janvier 2013 reprenait déjà cette idée : à quoi bon l'introduire ici ? Quel impact sur la croissance pourra bien avoir la réforme des tribunaux de commerce ? S'agissant, enfin, de la révision des seuils sociaux, question que nous n'avons pas encore abordée, j'aimerais avoir votre opinion : sommes-nous bien dans le domaine de cette loi ?

M. Didier Mandelli. - Si cette loi est de communication politique, comme le disait Yannick Vaugrenard, l'opération est plutôt réussie puisqu'une grande partie des Français la jugent positive. Mais elle n'est pas sans danger, y compris pour les élus. Désigner à la vindicte populaire un certain nombre de professions présentées comme responsables est peut-être habile techniquement, mais dangereux pour la démocratie.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - J'observe que tous les intervenants, depuis M. Sterdyniak jusqu'à M. Thesmar jugent, chacun à leur manière, que ce projet de loi n'est pas à la hauteur. Je ne crois pas trahir les convictions de M. Thesmar en disant qu'il a quasiment évoqué, sans citer le mot, une « loi Potemkine ».

Comme législateur, nous nous demandons comment améliorer ce texte, étant entendu que ce n'est pas à partir d'un tel véhicule que l'on va introduire une grande réforme fiscale ou du marché du travail. Notre devoir, pour l'heure, est de travailler à l'enrichir de dispositions immédiatement utiles au pays. M. Thesmar a évoqué de nombreuses pistes -hôtellerie-restauration, santé, éducation, statut de l'auto-entrepreneur...Ce qui nous importe ici, c'est de déterminer lesquelles peuvent entrer dans le champ de ce projet de loi.

M. Pierre Cahuc. - N'oublions pas qu'il y a quinze ans, on réduisait le temps de travail pour faire baisser le chômage. C'est dire à quel point nous avons, depuis, changé de monde. Si les mesures introduites par le projet de loi restent incrémentales, elles n'en vont pas moins dans la bonne direction ; notamment pour les jeunes. Le travail du dimanche créera pour eux de l'emploi, il aidera les étudiants à financer leurs études. Ouvrir des professions aux jeunes, qui ont beaucoup de mal à entrer sur le marché du travail, en particulier quand ils sont peu qualifiés, c'est leur donner l'opportunité de commencer à travailler. Il ne faut jamais les oublier pour ne penser qu'à ceux qui sont déjà installés dans la vie, ce que l'on a que trop tendance à faire quand on a la tête chenue...

L'ouverture le dimanche dans les zones attirant un tourisme international ne fait pas débat. Tout le monde le comprend. Pourtant, même dans ces zones, certains acteurs sont vent debout. Ce sera pourtant un changement très important pour les jeunes, même s'il reste à petite échelle. Sans compter que l'ouverture du dimanche profitera aux consommateurs. Les femmes qui travaillent toute la semaine auront le temps de faire leurs courses.

Cette disposition a été assortie de nombreux filets de sécurité. Il n'y aura pas obligation, et la convention collective déterminera la mise en oeuvre. Je suis étonné de la virulence du débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale sur la compensation salariale. Laissons les partenaires sociaux, qui ont besoin de se légitimer, montrer qu'ils sont capables de s'accorder.

Même chose pour l'ouverture des professions réglementées, qu'il ne s'agit pas de stigmatiser. La concurrence, partout où elle s'est ouverte, a permis de faire baisser les tarifs et d'améliorer le service. Il en ira de même ici : elle ouvrira l'entrée dans la profession et fera baisser les tarifs, y compris au profit de la compétitivité de notre industrie.

Il y a là un vrai changement de perspective. David Thesmar estime qu'il reste incrémental, au risque de nous bloquer des années durant ; j'espère qu'il se trompe. Ce texte va pour moi dans le bon sens, et s'il est des mesures qui mériteraient d'être poussées, ce sont toutes celles qui sont susceptibles d'améliorer la situation des jeunes sur le marché du travail.

M. Jean Pisani-Ferry. - En dépit de nos divergences de vues, nous nous retrouvons, ainsi que vous l'avez souligné, pour considérer que les effets de ce texte resteront limités. Je relève également que nous avons tous plaidé en faveur de la concurrence. Que des économistes d'orientations très différentes se retrouvent sur le constat que l'économie française souffre d'un manque de concurrence dans certains secteurs mérite d'être souligné. Il est vrai que certains sont intervenus pour mettre en garde contre une concurrence excessive, mais il reste que le diagnostic, s'agissant des secteurs qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale, est partagé : ces secteurs souffrent d'un excès de rente et de réglementation.

J'ai tout à l'heure évoqué un paradoxe, mais je m'empresse de préciser qu'il n'est qu'apparent. Bien que les secteurs concernés par ce texte ne soient pas directement exposés à la concurrence internationale, ils jouent néanmoins un rôle dans la compétitivité. Quand une entreprise industrielle exporte pour un euro de valeur ajoutée industrielle, il y a un euro de consommation intermédiaire de services qui est en même temps exporté. Or, ces intrants sont plus coûteux en France qu'en Allemagne, ce qui renchérit le prix final.

Ce texte marquera-t-il un coup d'arrêt ou aura-t-il un effet d'entraînement ? Il me semble que David Thesmar préjuge des conclusions. Pour moi, nous verrons vite les effets de certaines mesures - transport en autocar, travail du dimanche. Nous pourrons ainsi poser rapidement un diagnostic. Pour d'autres dispositions, comme celles qui ont trait à la réforme des Prud'hommes, il faudra plus de temps.

Nous tirerons les leçons de ce que nous constaterons. Cette loi fait partie d'un ensemble ; elle ne marquera pas, à mon sens, un coup d'arrêt.

Henri Sterdyniak s'interroge, avec quelques autres, sur l'opportunité d'une réforme de ce type dans la conjoncture actuelle. Il est vrai que la doxa qui veut que toutes les réformes structurelles soient bonnes, quelle que soit la conjoncture, est une idée fausse. De telles réformes portent des effets à moyen terme, mais aussi des effets à court terme, qui peuvent être positifs ou négatifs. Certaines des mesures qu'introduit ce projet de loi peuvent avoir, à court terme, un effet d'entraînement positif. Même dans un contexte déflationniste tel que celui que nous connaissons dans la zone euro, si certaines mesures peuvent nous faire gagner un peu en compétitivité, il faut les prendre.

M. Vaugrenard a rappelé le lien entre égalité et croissance et souligné le fait que les inégalités de patrimoine se creusent. L'une des caractéristiques de la France est qu'elle a relativement bien contenu les inégalités de revenus, grâce à des transferts, mais qu'elle n'est pas performante, en revanche, en matière d'égalité d'accès - à l'emploi, au logement, aux transports, etc. Un certain nombre des mesures envisagées peuvent améliorer les choses.

Un point touchant à la méthode, pour finir. Il me semble que sur les mesures controversées, il serait bon de pratiquer l'expérimentation, avec évaluation à la clé. Nous ne le faisons pas assez, à la différence d'autres pays, alors que notre Constitution ne nous l'interdit pas, dès lors qu'étant limitées dans la durée, de telles expérimentations n'introduisent pas de rupture d'égalité inacceptable. On l'a tenté pour le RSA, mais on a généralisé très vite, avant même d'avoir tiré les conséquences de l'expérimentation. Voilà un bon complément qui pourrait, me semble-t-il, être apporté à ce texte.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Si je ne me suis pas permis de dire que vous étiez unanimes sur l'ouverture à la concurrence, c'est qu'il m'a semblé que M. Sterdyniak n'était pas sur cette longueur d'ondes. Mais peut-être me contredira-t-il ?

M. Henri Sterdiniak. - Je ne pense pas que la France et l'Europe gagnent à remettre en cause leur modèle social. Ce n'est pas le souhait de la population. Développer l'auto-entreprenariat ? C'est parfaitement hors sujet ! Nos taux de cotisation élevés découragent les cadres qui s'installent en France ? Mais en contrepartie, ils bénéficient de notre système d'éducation pour leurs enfants, de notre système de santé. Quant aux salariés français, j'observe qu'ils n'ont pas besoin de surveiller chaque matin les cours de la bourse pour se rassurer sur leur retraite. Tout cela doit être protégé. Ceci pour répondre à M. Thesmar. Si je considère, comme lui, que la santé, l'éducation, la garde des enfants, l'accompagnement des personnes âgées dépendantes sont des secteurs d'avenir, ce n'est pas pour en conclure qu'il faut y faire reculer la sphère publique pour laisser plus de place au privé, tout au contraire. Ce sont autant de secteurs où la dépense publique est plus porteuse d'égalité et moins coûteuse que le privé.

Contrairement à ce qui transparait dans la loi Macron, il n'y a pas lieu d'entretenir des préjugés à l'encontre de la sphère publique. On voit ce qu'il en coûte à la France d'avoir eu l'idée saugrenue de privatiser ses autoroutes. Mais cela n'arrête pas l'inventivité du ministre, qui prévoit même dans son texte la création de sociétés de projet pour l'achat d'équipements militaires qui seront loués à l'armée ! (M. Jean Desessard s'exclame). Où est la logique financière ? Vu les taux d'intérêts dont bénéficie la France pour emprunter, c'est tout simplement scandaleux.

Oui, l'emploi des jeunes est une priorité, mais comme le chômage en général, c'est un problème de nature macroéconomique. Le chômage a augmenté massivement en raison de la crise de 2007, alors que nous mettions en oeuvre, dans le même temps, une politique de recul de l'âge de la retraite qui s'est faite au détriment de l'embauche des jeunes. On a le sentiment, à entendre certains, que l'emploi des jeunes se limite à des boulots du week-end dans les grands magasins. C'est avoir pour eux bien peu d'ambition. Quant aux étudiants qui peinent à payer leurs études, mieux vaudrait leur assurer des bourses pour suivre leurs études dans de bonnes conditions que leur faire l'aumône de petits boulots.

La conjoncture macroéconomique favorable, madame Bricq, ne nous a pas permis de sortir, pour l'heure, de la dépression. Le problème reste largement de nature macroéconomique. Nous sommes loin d'une situation proche du plein emploi où il ne nous resterait plus qu'à rechercher les moyens, au niveau microéconomique, d'améliorer la croissance potentielle.

Il est vrai, madame Imbert, que les notaires en zone rurale peuvent connaître des situations difficiles, mais il n'en est pas moins vrai que dans bien des villes, les prix des transactions ont augmenté massivement, provoquant un enrichissement indu. Or, ce n'est pas un domaine où la concurrence peut beaucoup jouer, et c'est bien pourquoi il faut agir sur les barèmes, pour faire de la péréquation, comme le prévoit d'ailleurs le projet de loi. Cela entre dans les responsabilités de la puissance publique.

Le coût de la finance, des services aux entreprises, des professions juridiques pèse sur les entreprises. Il ne s'agit pas de l'augmenter, mais de réduire, bien plutôt, le poids du capital sur la vie des entreprises. Il ne serait pas inutile que la loi mette aussi l'accent sur les revenus excessifs des cadres dirigeants et sur ceux qui s'enrichissent en montant des opérations de haut de bilan, dont les effets sur l'emploi sont très souvent négatifs.

M. David Thesmar. - Avec les professions réglementées comme avec les tribunaux de commerce, on est dans la même logique. C'est comme une sorte de partenariat public-privé mal ficelé, sans contrat et sans cahier des charges, sans mise aux enchères de la charge. On se trouve, du coup, pris dans un jeu complexe, que le débat n'a guère documenté. A-t-on idée, par exemple, de ce qu'est la rentabilité d'une charge de notaire ? Cela vaudrait la peine de s'y pencher pour savoir si l'on se trouve effectivement ou pas dans une situation de monopole.

Un mot sur les logiques de péréquation, qui sont, à mon sens, néfastes. Cela revient à subventionner un service par un autre (Mme Catherine Deroche, rapporteure, approuve). On en arrive vite à un fatras de subventions croisées auquel plus personne ne comprend rien, et la partie la mieux informée est, in fine, celle qui extrait le plus de surplus.

Secteur exposé et secteur protégé répondent à deux logiques différentes. S'agissant de ce texte, le débat n'a pas lieu d'être. La loi Macron vise clairement la politique de l'emploi, par conséquent le secteur protégé, où les emplois, en particulier peu qualifiés, sont nombreux. Dans les secteurs exposés, il n'y a que peu d'emplois, très qualifiés, et des machines.

Lorsque j'ai parlé des freins à l'attraction de compétences, Mme Bricq m'a opposé le régime des impatriés. Mais il concerne l'impôt sur le revenu, quand c'est aux charges sociales que je faisais référence.

Santé et éducation sont les secteurs rois de la société post-industrielle. Ils se développent énormément ; l'État ne pourra pas toujours tout faire. Nous sommes dans le registre du secteur non marchand, mais qui peut être concurrentiel et obéir à des logiques plus décentralisées. Je pense, en particulier, à l'enseignement secondaire sous contrat. Alors que la demande est importante, il est très difficile de créer de nouveaux établissements. C'est un secteur qui pourrait être facilement libéré, dans le cadre de ce texte. Même chose pour l'autonomie des universités.

Je rejoins Jean Pisani-Ferry pour insister sur la nécessité d'une évaluation ex post. Je pense au cas des transports par bus. S'ils se substituent à l'usage du TER, les collectivités devront subventionner davantage leurs trains et l'on n'y aura pas gagné. À moins que l'on ne décide de remplacer le TER par le bus. Ceci pour dire qu'il faudra se pencher de près sur la nature des substitutions.

M. Pierre Cahuc. - Les analyses ex post menées en Suède et en Norvège montrent que le transport en bus s'est beaucoup plus substitué à la voiture qu'au train.

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Je vous remercie de vous être livrés à cet exercice difficile, mais riche. Le paradoxe n'est qu'apparent, a dit M. Pisani-Ferry, car agir sur le secteur protégé de la concurrence internationale a aussi un effet indirect sur la compétitivité. Mais nous cherchons surtout, à ce stade, des mesures d'effet direct. Se pose aussi la question du rythme et de l'ampleur des réformes : la commission aura à en délibérer.

J'ai bien noté ce que vous avez dit de l'expérimentation. Ce n'est pas une préoccupation nouvelle, et nous pourrons y réfléchir à l'avenir.

Je rappelle à nos collègues que l'audition de Mme Taubira est décalée, en l'attente de l'issue du vote à l'Assemblée nationale. Nous vous transmettrons un calendrier prévisionnel de l'examen de ce texte, mais je tiens d'ores et déjà à vous indiquer que l'examen en commission débutera la semaine précédant le premier tour des élections départementales. Les délais d'examen qui nous sont impartis l'exigent.

M. Jean Desessard. - Travaillons le dimanche...

M. Vincent Capo-Canellas, président. - Nous poursuivrons durant la semaine de l'entre-deux tours et l'examen en séance débutera à compter du mardi 7 avril.

La réunion est levée à 17 heures