Mercredi 11 février 2015

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Audition de M. Éric Peres, auteur du rapport sur « Les données numériques : un enjeu d'éducation et de citoyenneté » fait au nom de la section de l'éducation, de la culture et de la communication du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

La commission auditionne M. Éric Peres, auteur du rapport sur « Les données numériques : un enjeu d'éducation et de citoyenneté » fait au nom de la section de l'éducation, de la culture et de la communication du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour entendre M. Éric Peres, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et auteur d'un avis intitulé « Les données numériques, un enjeu d'éducation et de citoyenneté ».

Il s'agit d'un sujet qui intéresse particulièrement notre commission, au titre de sa compétence en matière d'éducation et de communication. Une table ronde a été organisée il y a environ deux ans sur le thème de l'émergence de la société numérique, portée par le groupe d'études sur les médias et les nouvelles technologies. Je vous renvoie également aux travaux de la mission commune d'information intitulée « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet », qui a rendu son rapport l'été dernier. Je constate avec satisfaction que l'avis du CESE partage les conclusions de la mission.

Comme nous en convenions, M. Peres, je crois que plus nous serons nombreux à sensibiliser les citoyens et les hommes politiques à ce sujet crucial qu'est la protection des données ainsi qu'à la mutation des usages du numérique, mieux cela sera.

M. Éric Peres, membre du CESE. - Je vous remercie, madame la présidente. Au cours de mes travaux, je me suis beaucoup appuyé sur le rapport de la mission commune d'information. Comme vous l'avez dit, plus nous serons nombreux, dans les lieux de pouvoir et de décision, à nous intéresser à la protection des données, plus nous serons en mesure de définir le cadre de la régulation aujourd'hui nécessaire au regard de ce que nous appelons « la révolution numérique ».

Cet avis du CESE est un avis modeste, dont la visée est essentiellement pédagogique et de sensibilisation. Vous êtes très sensibles à cette question, mais trop peu ont encore conscience de tous les enjeux. La révolution numérique constitue un changement d'ordre civilisationnel, voire anthropologique, en ce sens qu'elle bouleverse nos façons de faire, de communiquer, d'échanger.

Dans cette révolution, la France et l'Europe sont en retard. Je ne crois pas que l'on pourra créer demain un Google français ou européen, il est trop tard. Toutefois, la bataille n'est pas perdue : nos concurrents ne font que prendre la place que nous leur avons laissée, faute d'une réflexion stratégique et prospective à ce sujet. Sans cadre de régulation, sur le plan fiscal ou des libertés, nous aurons demain sans aucun doute des acteurs économiques qui offriront des services à nos concitoyens, et dont la valeur ajoutée sera intégralement transférée vers l'étranger, notamment outre-Atlantique. Cet état de fait pose la question de la souveraineté, entendue comme la capacité des États et des individus à choisir leur destin, d'un point de vue individuel et collectif. Parler de données numériques, c'est parler d'un enjeu de pouvoir, que ce soit pour les États, les entreprises et les citoyens.

Jusqu'à présent, l'essentiel des fichiers et des données était détenu par les États et se caractérisait par une relative stabilité. Nous sommes témoins aujourd'hui d'une croissance spectaculaire de la quantité d'information disponible, désormais stockée par des acteurs économiques. La sensibilisation des acteurs qui collectent et gèrent ces données est essentielle. Il faut également s'adresser aux utilisateurs, en rappelant le principe selon lequel « si c'est gratuit, c'est vous (et vos données) qui êtes le produit ». Il s'agit donc d'un enjeu de souveraineté. Maîtriser ses données, c'est rendre à l'État et à ses concitoyens la maîtrise effective de leur destin, mais également donner aux États les moyens de définir une véritable stratégie du numérique. C'est pourquoi nous prônons une « diplomatie du numérique » à l'échelle de la France comme de l'Union européenne.

Notre troisième constat est que le débat numérique demeure, de par sa complexité, un débat d'initiés, alors même que ses enjeux sont très importants. Nous avons tenté d'éviter deux écueils principaux : la technolâtrie, d'une part, et, de l'autre, une certaine technophobie, alimentée par les craintes liées notamment aux effets de « disruption » de certaines filières économiques qu'engendre la révolution numérique.

Il nous a semblé, au sein de notre section du CESE, qu'il était essentiel de réunir toutes les parties prenantes et de les faire participer au débat pour fixer un cadre éthique à la gestion maîtrisée de ces données. La finalité est bien de préciser que nous sommes dans une ère post-Snowden. En conséquence, si nous voulons restaurer la confiance dans le monde numérique, il nous faut rompre l'asymétrie qui existe entre les usagers - que nous sommes - et les grands acteurs du numérique, qui savent beaucoup de choses sur nous, mais dont nous ne savons pas grand-chose. Comprendre comment ces choses fonctionnent, c'est déjà faire un grand pas vers la protection des libertés fondamentales et de la vie privée.

Dans cet avis, nous avons fait le choix de démontrer les grandes opportunités de la révolution numérique. En effet, des avancées considérables sont permises par la collecte et le traitement des données numériques, qui représentent une somme colossale d'information. Dans le domaine de la médecine, des algorithmes ont permis de modéliser des organes artificiels, ou encore de produire une application permettant de déceler les premiers stades de la maladie de Parkinson. Des avancées sont également possibles dans les domaines de l'énergie, par la calibration de la consommation et donc la réduction des gaspillages dans la « ville intelligente », mais également dans la domotique, la mobilité connectée et l'avionique.

Les risques liés à cette révolution ne sont pas moins considérables. La collecte des données, nécessaire pour les acteurs économiques comme les États, peut présenter des éléments attentatoires aux libertés. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) est ainsi née de la révélation du projet SAFARI (Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus), qui visait à interconnecter tous les fichiers de l'administration.

Au quotidien, c'est l'utilisation de certains fichiers sur Internet qui pose également problème. Ces informations, saisies auprès de certains sites dans le cadre d'un service, peuvent ensuite être revendues et détournées de leur finalité première, sans que l'usager en soit averti.

Enfin, il existe un risque réel d'une surveillance indifférenciée de l'ensemble des citoyens, qui menace la liberté d'aller et de venir, la protection de la vie privée ainsi que des données sensibles de santé - je fais référence à l'ensemble des objets connectés, qui enregistrent et transmettent, de manière anodine, des données relatives à notre état de santé.

La mission du CESE a identifié trois grands champs d'action.

Tout d'abord, l'éducation au numérique, qui concerne tous les acteurs de l'éducation - non seulement l'éducation nationale mais également la famille et les associations - et qui ne se limite pas à la distribution de tablettes et de téléphones. Ainsi, l'enseignement du code informatique à l'école commence avec du papier et un crayon. Il s'agit notamment d'inculquer un esprit critique aux élèves, et ce à tous les stades de l'apprentissage. Si notre pays produit les meilleurs ingénieurs au monde, leur formation ne prend pas suffisamment en compte les problématiques de sécurité des données et de cryptage. Un effort considérable est nécessaire dans ce domaine.

Le second champ d'action concerne les entreprises, qui jouent un rôle de premier plan dans la collecte et le traitement des données numériques à des fins commerciales et économiques. Cela pose également la question de la compétitivité. Je suis convaincu que la protection des données personnelles devient un avantage compétitif majeur, en France comme dans l'Union européenne, au regard de nos compétiteurs. En effet, ces derniers, notamment les entreprises américaines, ne s'embarrassent pas de ces considérations. Tant qu'une régulation ainsi que des exigences éthiques ne leur seront pas imposées, ils continueront à aller de l'avant, tête baissée, et tenteront d'imposer leurs conceptions en la matière. Nous avons notre mot à dire à ce sujet.

Cela passe également par la refonte des directions de l'informatique des administrations et des entreprises. Cette question de la donnée est très peu prise en compte, notamment dans le risque de la perte d'information. TF1 a fait l'objet d'une attaque récente qui visait à récupérer l'ensemble de ses données. Demain, nous devrons faire face à des attaques, les données numériques devenant un enjeu économique et donc de convoitise.

L'enjeu est également celui des administrations publiques, dans le cadre de l'open data. Ouvrir les données publiques aux citoyens, c'est aussi leur donner un nouveau pouvoir d'agir comme citoyen pour s'impliquer dans la vie politique. Mais que donne-t-on ? Comment ouvrir ces données au public ? Comment utiliser ces données à des fins citoyennes ? Les administrations ne sont pas préparées à cette ouverture. Nous devons faire des efforts notamment pour la protection de l'anonymat. L'open data concerne en principe des données anonymisées, mais nous savons que 20 % de ces données sont à caractère personnel et qu'elles pourront être à l'origine de profilages, si elles sont recoupées avec d'autres fichiers.

Concernant les données de santé, il sera difficile, demain, d'empêcher les assureurs ou les professionnels de la santé d'y avoir accès. Il faut des garanties en termes de protection. Sinon, un assureur pourra déceler où sont les risques qui pourraient survenir dans telle ou telle pathologie ou prédire un pourcentage de chance d'avoir une certaine pathologie. On risque de passer d'une société de mutualisation du risque et de solidarité à une gestion du comportement à risque.

Le troisième volet concerne la régulation, en termes de normes. Il y a la CNIL. Il faut l'adapter pour lui donner les moyens de sanctionner. Il n'y a pas de liberté sans état de droit, ni d'état de droit sans sanction. Condamner Google à 150 000 euros d'amende ne représente pas grand-chose. Il faut donner à la CNIL de réels pouvoirs.

Nous formulons une série de recommandations en la matière et notamment sur la question des fichiers régaliens. Si l'on veut des décisions durables, les fichiers doivent faire l'objet d'un contrôle démocratique, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il me semble nécessaire de trouver un nouveau mode opératoire de contrôle.

Permettre à la CNIL d'être associée non seulement aux projets de loi mais également aux propositions de loi me semble important, sans bien entendu se substituer au rôle des parlementaires. Cela favoriserait le débat démocratique en vue de l'établissement d'un cadre éthique et de régulation approprié par rapport à cette économie du numérique.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La CNIL est régulièrement associée à nos travaux et a été auditionnée au même titre que les trois autres autorités de régulation, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) dans le cadre d'une table ronde relative à la régulation dans le domaine des technologies de l'information organisée par le groupe d'études sur les médias et les nouvelles technologies le 16 janvier 2014 dernier. Elle est également associée lors de la transposition de directives européennes dans ce domaine.

Vous avez fait référence au traitement des données ; notre collègue Corine Bouchoux a fait un rapport l'année dernière sur ce sujet.

M. Alain Vasselle. - Le sujet est technique. J'aurai trois questions à vous poser. La première concerne l'arrivée des tableaux numériques dans certaines écoles primaires. Cela n'existe pas encore partout. Je pense que cela tient en partie au manque de formation des enseignants à l'utilisation du numérique et aux nouveaux outils pédagogiques. Qu'est-ce qui bloque dans le développement du numérique dans l'ensemble des écoles ? Des expérimentations ont doté des élèves de tablettes ou d'ordinateurs et on a pu constater qu'il n'y avait pas toujours de lien entre l'utilisation de cet outil et le travail pédagogique. Vous êtes-vous penché sur cette question ?

Ma deuxième question porte sur les données médicales. Depuis maintenant une décennie, nous ne sommes pas parvenus à mettre en place le dossier médical personnel, pour des raisons financières ou techniques. Nous voyons bien que le numérique a toute sa place dans l'élaboration du dossier médical personnel et permettrait d'engranger un certain nombre de données. Mais la difficulté ne tient-elle pas au fait que l'on n'arrive pas à trouver la solution qui protège ces données pour que n'y aient pas accès certaines compagnies d'assurance, notamment les complémentaires santé, qui pourraient les utiliser à d'autres fins ?

Mon dernier point porte sur le niveau de compatibilité entre le développement du numérique et les contraintes que la CNIL impose en matière de protection des données. Avez-vous trouvé ce point d'équilibre ?

M. Loïc Hervé. - Dans le domaine de l'éducation au numérique, je m'interroge sur la prévention. Si nos jeunes sont confrontés à l'invasion du numérique dans la sphère familiale, ils sont encore peu aguerris aux dangers qu'ils peuvent rencontrer sur l'Internet et avec les objets connectés qu'ils utilisent au quotidien. Cela pose la question de la formation des enseignants à cette matière très mouvante qu'est l'évolution technologique. Par ailleurs, comment sensibiliser les jeunes à ces questions ? Les jeunes ont parfois davantage la connaissance de l'outil que leurs maîtres. Cette réalité nous interpelle. Comment peut-on rapidement former les enseignants et trouver les outils pédagogiques adaptés pour atteindre une culture de la responsabilité ? Avez-vous des propositions à nous faire sur ce sujet ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je partage votre analyse de l'ampleur de la révolution anthropologique et civilisationnelle, les potentialités et les dangers qui s'ouvrent à nous. L'enjeu de démocratisation me paraît essentiel.

Dans le cadre de l'examen de la loi sur la refondation de l'école de la République, j'avais déjà posé la question de la nécessité de la formation à la science informatique et à une compréhension des mécanismes mathématiques de codage, dans le cadre de la formation des enseignants.

Se pose enfin la nécessité d'un renforcement de la législation de protection des données. Avez-vous des éléments complémentaires à nous fournir ?

Mme Dominique Gillot. - Certains scientifiques estiment qu'après la révolution de l'imprimerie, la révolution du numérique contribue à accélérer le partage des connaissances. Les opportunités incommensurables qu'offre le numérique et l'usage que l'on peut en faire, en termes de technologies de transmission de données et d'échanges, nécessitent un cadre juridique sécurisé pour garantir les libertés individuelles. Alors même que des chercheurs considèrent que toute connaissance doit être immédiatement partagée pour être efficace, ceux qui n'acceptent pas ce partage, puisque toute information est immédiatement appropriable et utilisable, sont mis à l'écart de la communauté. Avez-vous réfléchi à ce type de questionnement ou doit-il faire l'objet d'une réflexion ultérieure ?

Mme Marie-Christine Blandin. - Je reviens sur la formation des enseignants. Nous les avons entendus insister sur l'aptitude à l'éducation, à la coopération, à la co-production du savoir, à l'échange. Il est non seulement nécessaire que dans les collèges le matériel soit adapté, mais qu'il ne se limite pas à la consultation d'encyclopédies en ligne. Les enseignants doivent être formés à développer la capacité à penser et rédiger par soi-même et veiller à éviter les copiés-collés à partir d'Internet. Un laboratoire de sciences de l'éducation de l'université de Lille développe des programmes de recherche pour affiner cette question.

Il en va de même pour la formation continue. S'il est très satisfaisant d'avoir de nouveaux enseignants compétents, ne laissons pas dans l'ignorance les enseignants plus anciens.

En ce qui concerne la sécurité des données et la violation de l'intimité, peu de personnes s'attachent à lire dans leur intégralité les règles de Facebook, plus volumineuses que la Constitution américaine, et, par conséquent, rares sont celles qui prennent garde de cocher ou décocher les options qui autorisent certains à s'emparer de leurs données personnelles. C'est ainsi que des photos d'enfants de moins de deux ans se retrouvent en première page des magazines ou sont utilisées pour des publicités. Aucun recours n'est possible dans ce cas. Trouvez-vous normal que les pouvoirs publics comme les ministères se placent sur Facebook au même rang que n'importe quel vendeur et qu'il faille passer par cet opérateur pour obtenir leurs données ?

Cela étant, aux États-Unis, récupérer anonymement des informations personnelles liées à la santé auprès des mutuelles a évité des scandales tels que celui du Mediator en France. Notre Sécurité sociale refuse la divulgation des données, nominativement ou massivement anonymisées, prétextant notamment un risque de récupération par les groupes de l'industrie pharmaceutique. Pouvez-vous nous garantir que la Sécurité sociale consentira à communiquer ses données de santé massives sans risque de violation des droits du malade ?

M. Éric Peres. - Monsieur Vasselle, notre avis s'adresse moins à l'éducation nationale qu'à l'ensemble des acteurs de la vie sociale. Selon moi, l'usage des tableaux numériques à l'école ne permettra pas, demain, de développer l'esprit critique des élèves au regard de cette révolution numérique, de leur apprendre à se mouvoir dans cet espace d'une manière responsable et dans le respect du droit.

Vous avez évoqué un point sensible, qui concerne les enseignants des établissements scolaires qui ont affaire à des opérateurs privés qui, dans le cadre des espaces numériques de travail, leur fournissent des applications sur des clouds dont on ne sait pas s'ils sont localisés en France et s'ils sont sécurisés. Une réflexion est aujourd'hui en cours sur ces espaces numériques de travail, laissés à la libre appréciation des établissements face à des acteurs économiques qui n'apportent pas toutes les garanties.

La question de la fracture numérique est un autre point important évoqué dans cet avis. Tout le monde n'est pas équipé d'un smartphone. Chacun n'a pas la même capacité à gérer le numérique. Dès l'école, les enfants doivent apprendre à dépasser l'objet numérique qu'est le tableau pour voir ce qui se cache derrière, ce qu'il y a derrière un programme. Le numérique ce n'est pas de l'irréel, c'est bien dans la réalité, avec les dangers qu'il comporte, notamment sur les réseaux sociaux. Il faut, en outre, que les établissements scolaires soient équipés des mêmes outils pédagogiques dans ce domaine. Nous n'avons pas travaillé sur la pédagogie du numérique qui est un autre volet.

Le numérique va-t-il bouleverser la vie des enseignants ? Il est certain qu'il s'agit d'un outil formidable dans la démocratisation d'accès au savoir. Toutefois, la vigilance s'impose, en particulier dans le domaine des MOOCs (Massive Online Open Courses), dont la majorité des plateformes sont américaines. Ce sont des produits d'appel dont le contenu pédagogique, par ailleurs, ne prétend pas élever l'enseignement à un niveau d'excellence.

S'agissant de l'exploitation des dossiers de santé, madame Blandin, un cadre précis s'impose pour en déterminer les modalités d'application et les finalités. Le rôle de la CNIL est réaffirmé en termes de contrôle de fichiers et de prévention, sans pour autant en faire un acteur qui sanctionne. Son action doit s'inscrire en amont, auprès des entreprises et des assurances, en qualité de conseil. De nombreux acteurs font croire qu'en raison de la masse de données importante, le principe de finalité ne joue plus, c'est-à-dire qu'il faut traiter toutes les données afin de s'en servir à un moment donné, si le besoin s'en fait sentir. J'évoquerai, à titre personnel, le Système national d'informations inter-régimes de l'Assurance maladie (Sniiram), l'une des plus importantes bases de données de santé au niveau mondial, très convoitée par les assureurs. L'accès aux données de santé personnelles, anonymisées, par les laboratoires de recherche, dans le cadre de protocoles thérapeutiques, d'études et de recherches sur des panels, par exemple, est possible sur autorisation préalable de la CNIL.

Monsieur Hervé, les enseignants sont là pour transmettre du savoir, encore faut-il leur donner les moyens d'être à la hauteur de la révolution numérique et de ses implications. Nous avons eu, au CESE, un débat sur les tenants d'une approche informatique, avec les tenants de l'enseignement du codage dès la maternelle, ce qui, à mon sens, ne paraît pas judicieux. En revanche, initier au codage dans l'ensemble des disciplines me paraît utile, même si l'expérience montre que les langages deviennent rapidement obsolètes. Apprendre à utiliser des données et à les décrypter est nécessaire aujourd'hui. Cela passe par l'enseignement de la géographie, des mathématiques, des sciences humaines, etc...

En matière de formation des enseignants, je crois aux vertus de la formation continue et à l'utilité de plateformes publiques permettant des échanges entre enseignants. Il faut donner les moyens aux enseignants de l'école républicaine et laïque et ne pas couper régulièrement dans les budgets publics, y compris ceux de l'éducation nationale. Comme l'a dit le président Abraham Lincoln : « si vous considérez que l'éducation est beaucoup trop chère alors essayez l'ignorance ». L'enjeu majeur consiste à initier les enseignants à l'usage du numérique tout au long de leur parcours, à l'instar du Certificat informatique et Internet niveau 2. Il faut revoir le volet de cet enseignement, le rendre obligatoire et l'enrichir de celui de la protection des données personnelles.

Madame Gonthier-Maurin, nous n'avons pas abordé dans nos travaux la question de la fiscalité des données. Le Sénat pourrait mener une réflexion sur l'ouverture des données de l'administration publique dans le cadre des open data, notamment à la question de l'instauration d'une redevance, tout en prenant garde de ne pas pénaliser les start up et les jeunes entreprises. En effet, nous n'avons pas intérêt à voir Google faire son marché sur l'ensemble des données ouvertes par l'administration, ouvrant la voie à des détournements dont nous n'avons même pas idée. Cette redevance constituerait pour l'État et les administrations des revenus destinés à maintenir une architecture informatique digne de ce nom, et ce afin d'assurer la protection et l'anonymisation des données. La redevance permettrait également de faire en sorte que cette plateforme soit accessible par tous les citoyens de manière lisible.

Madame Blandin, s'agissant du consentement libre et éclairé, les conditions générales d'utilisation et de vente sont à revoir. Comme pour les indicateurs de consommation énergétique sur les appareils ménagers, imposer un étiquetage sur les risques pris par les utilisateurs quand ils utilisent une plateforme ou un outil numérique irait dans le bon sens.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'éducation dans ce domaine doit s'étendre à tous les citoyens. Cela passe par une formation continue au sein des entreprises.

Mme Colette Mélot. - Je souhaite vous féliciter pour la qualité de votre rapport. Concernant l'éducation, j'estime qu'il faut être vigilant sur la formation des enseignants. J'aimerais vous interroger sur les espaces publics numériques (EPN) qui existaient dans nos villes et qui semblent disparaître.

M. Jacques Grosperrin. - Je suis préoccupé par les risques que présente le développement des bases de données. J'aimerais savoir ce que vous préconisez pour préserver un équilibre entre la vie privée et le développement du « Big Data ». Quel pourrait être le point d'équilibre ? Et est-ce que les solutions envisageables sont véritablement applicables ?

Mme Maryvonne Blondin. - Est-ce que vous avez étudié la question du contrôle des noms des passagers du transport aérien - passenger name record (PNR) - qui a été refusé au Parlement européen ?

M. Jean-Louis Carrère. - Le projet de loi annoncé dans le cadre de la lutte contre le terrorisme comportera des dispositions relatives aux données personnelles. Avez-vous réfléchi à ces différents aspects au regard, notamment, des possibilités de géolocalisation ? Il faut trouver le bon équilibre qui permette aux services de sécurité de conduire leur mission sans porter atteinte de manière excessive à la protection des personnes.

Mme Sylvie Robert. - L'open data constitue un enjeu important. Je suis en particulier préoccupée par la libération des données relatives aux archives. À Rennes, par exemple, toutes les données ont été publiées.

Mme Marie-Pierre Monier. - Il y a une disparité concernant certains équipements comme les tableaux interactifs dans les écoles, qui peuvent être utilisés dès la maternelle.

Mme Samia Ghali. - L'open data va permettre de développer l'emploi. Concernant le numérique à l'école, il faut être vigilant aux risques de développement des inégalités entre les quartiers les mieux dotés, les territoires ruraux et les quartiers en difficulté. L'école doit permettre un rééquilibrage. Il faut aussi mieux se préparer aux dangers du numérique à l'image du harcèlement qui se développe sur les réseaux sociaux.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'affaire Snowden a montré les risques que pouvait présenter la concentration des données. Il existe un projet de règlement européen sur ce sujet, mais les grands acteurs américains ont jusqu'à présent entravé son adoption.

M. Éric Peres. - Je partage votre analyse, madame la présidente : le projet de règlement européen représente à la fois une chance et une opportunité, même si des corrections demeurent nécessaires. La CNIL a apporté une contribution majeure quant à la notion de « critère principal d'établissement », en vue d'éviter tout risque de « forum shopping » de sociétés, qui choisiraient d'installer leur siège social dans des pays où les instances de contrôle relatives aux données personnelles sont les moins protectrices du citoyen. En ce sens, le projet de règlement européen apparaît comme une occasion d'imposer un cadre éthique commun pour la protection des données. Nous avons une vision à défendre contre une philosophie anglo-saxonne plus libérale, ne serait-ce que sur le transfert de données à caractère personnel hors de l'Union européenne. Ne faisons pas la même erreur que sur les normes comptables, où nous avons cédé aux pressions américaines.

Vous avez raison, madame Ghali, lorsque vous évoquez l'enjeu majeur que constitue le numérique à l'école et les inégalités qu'il fait apparaître. J'utiliserai deux métaphores pour illustrer mon propos : comme dans une centrifugeuse à salade, celui qui ne se trouve pas au coeur du système s'en trouve très vite éjecté ; autrement dit, lorsque le train du numérique est manqué, l'élève reste longtemps sur le quai.

Vous savez combien l'économie collaborative peut être source d'emplois. Il en va de même pour le numérique, y compris dans des zones rurales ou isolées : il existe des applications locales de services, par exemple, qui peuvent améliorer l'attractivité d'un territoire et y faciliter les activités économiques. Encore faut-il que les citoyens, notamment les plus défavorisés, maîtrisent ces outils pour avoir accès aux informations qu'ils proposent. À cet effet, avaient été créés en 1998 les espaces publiques numériques (EPN). 4 500 structures ont vu le jour mais beaucoup ont été laissées à l'abandon, faute de moyens, dès lors que la Caisse des dépôts et consignations s'est désengagée de leur financement et que les communes n'ont pu toutes prendre la relève. Parmi les réussites, je citerai « Le Cube » à Issy-les-Moulineaux. Mais son coût annuel de deux millions d'euros ne permet pas le développement de telles structures sur l'ensemble du territoire national. En conséquence, la revitalisation des EPN, par la création d'un nouveau label par exemple, et la formation de leurs animateurs doit constituer une priorité des pouvoirs publics, notamment à l'occasion de la prochaine loi relative au numérique, d'autant qu'ils pourraient représenter une source d'emplois non négligeable. À titre d'illustration, les personnels affectés aux EPN pourraient traiter des données numériques, notamment dans le cadre de l'open data, au profit de la collectivité.

Vous avez mentionné, madame Blondin, le Passenger name record. La France dispose désormais d'un outil proche, dit « Système API-PNR France », même si sa création fut longue en raison du souhait du Gouvernement d'obtenir, pour sa mise en place, des financements européens. La question qui se pose concerne tant le ciblage que la finalité de ces fichiers de renseignement, mais également celle de leur proportionnalité eu égard à la menace terroriste. Les outils de fichage doivent pouvoir être efficaces sans conduire à une surveillance massifiée et indifférenciée des citoyens. Dès lors, un contrôle démocratique - de la CNIL comme du Parlement - s'impose, afin que ces systèmes obéissent à un principe de proportionnalité au regard de leur finalité. L'émotion, bien légitime, manifestée à la suite des récents attentats, ne doit pas conduire à ce que l'on revienne sur le principe de liberté qui fonde notre République. Un tel renoncement serait aussi dangereux qu'inefficace. D'ailleurs, le Patriot Act américain, imposé après le 11 septembre 2001, n'a pu éviter que de nouvelles attaques se produisent aux États-Unis. Il s'agit plutôt, au niveau national et local, de donner à la police les moyens d'agir, y compris en termes d'effectifs.

Je reviens un court instant sur les EPN. Derrière leur création se trouvait l'idée d'un service universel de médiation numérique. Dans le cadre de la publiphonie, il existe des moyens de financer ces espaces. Non qu'il faille supprimer l'ensemble des cabines téléphoniques, mais quelques millions d'euros pourraient être fléchés au profit des EPN. Pourrait être imaginé, à cet égard, un système de financement par les opérateurs télécoms et les acteurs du numérique, via un fonds sur le modèle de celui qui existe, aux fins de revitaliser les EPN et de former leurs animateurs. La médiation est, en effet, essentielle car l'éducation au numérique concerne avant tout les familles. Il convient de permettre aux parents de comprendre les nouveaux outils de communication. Déjà, la CNIL propose des tutoriels, mais des campagnes d'information sont également nécessaires. Il serait judicieux que l'éducation au numérique soit reconnue comme grande cause nationale 016. Si un dialogue entre parents et enfants est indispensable, il demeure délicat de s'immiscer dans la vie des familles. Dès lors, les EPN, sorte de « MJC 2.0 » pourraient constituer le lieu de l'éducation populaire au numérique auprès de l'ensemble des citoyens. L'exemple du Cube, qui offre des formations intergénérationnelles, est, à cet égard, remarquable. Mais, je vous l'indiquais, cette structure a un coût que toutes les communes ne peuvent assumer : les pouvoirs publics doivent s'investir.

Mme Mireille Jouve. - Je souhaitais témoigner de l'arrivée de nouvelles technologies dans nos territoires, à l'instar du LIFI (Light Fidelity), qui permet la transmission d'informations via des lumières LED. Ainsi, un lampadaire peut être utilisé pour afficher les horaires des transports publics. Ce système, dix fois plus rapide que le WIFI, ouvre des perspectives infinies en matière de gestion des réseaux d'eau, de ramassage des déchets ou encore de vidéo protection. Comment envisager un cadre sécurisé et éthique au développement de ces technologies émergentes ?

Modernisation du secteur de la presse - Nomination des membres de la commission mixte paritaire

La commission procède à la désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.

Elle désigne, en qualité de membres titulaires : Mme Catherine Morin-Desailly, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Colette Mélot, MM. Jean-Pierre Leleux, David Assouline, Jacques-Bernard Magner et Mme Christine Prunaud, et, en qualité de membres suppléants : MM. Dominique Bailly, Jean-Claude Carle, Mmes Marie-Annick Duchêne, Nicole Duranton, M. Jacques Grosperrin, Mmes Françoise Laborde et Danielle Michel.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, je vous propose maintenant de nous rendre en salle René Coty afin de découvrir les travaux de l'Institut national de recherche en sciences du numérique (INRIA). Une vingtaine d'équipes de chercheurs nous attendent pour vous faire découvrir le fruit de leurs recherches.

La réunion est levée à 11 h 15.