Mercredi 21 janvier 2015

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 9 heures 30.

Communication

M. Alain Milon, président. - Avant d'aborder l'ordre du jour de ce matin, je voudrais vous adresser, à l'occasion de la première réunion de la commission des affaires sociales de 2015, mes voeux les plus cordiaux de bonne et heureuse année.

Celle-ci s'annonce d'ores et déjà intense pour notre commission, avec l'examen de plusieurs textes importants sur l'adaptation de notre société au vieillissement, la fin de vie, la santé et, bien entendu, d'autres travaux législatifs et de contrôle. Je souhaite qu'à cette occasion, nous puissions réaliser un travail fructueux et utile, dans l'esprit de dialogue et d'écoute mutuelle qui caractérise, jusqu'à présent, notre commission.

Je ne peux manquer, en ce début d'année, de saluer la mémoire de notre collègue Jean-Yves Dusserre, sénateur des Hautes-Alpes, décédé en toute fin d'année, le 27 décembre.

Il avait rejoint notre commission après le renouvellement sénatorial de septembre dernier. Maire d'une commune de montagne, au pied du massif des Ecrins, durant près de trente ans, conseiller général durant plus de vingt ans, il présidait l'assemblée départementale des Hautes-Alpes depuis 2008.

Jean-Yves Dusserre luttait courageusement contre la maladie et il participait encore aux travaux de notre commission lorsque nous avons examiné, début décembre, la proposition de loi sur la protection de l'enfant.

Je salue aujourd'hui Mme Patricia Morhet-Richaud, qui lui succède au sein de notre assemblée et lui souhaite la bienvenue.

Le Président du Sénat prononcera l'éloge funèbre de Jean-Yves Dusserre en séance publique au début du mois de février.

Je souhaite vous demander un instant de recueillement, en y associant le souvenir de nos anciens collègues disparus en 2014, particulièrement le président Guy Fischer (Mmes et MM. Les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence).

Auditions pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur les maternités

La commission entend M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes ; M. Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé de Bourgogne ; Mme Martine Aoustin, directrice générale de l'agence régionale de santé du Languedoc-Roussillon ; M. René Caillet, adjoint au délégué général et responsable du Pôle organisation sanitaire et médico-sociale et Mme Florence Martel, chargée des questions sanitaires de la fédération hospitalière de France (FHF).

M. Alain Milon, président. - J'en viens à notre ordre du jour de ce matin en vous rappelant qu'il y a deux ans, Mme la présidente Annie David, au nom de notre commission, avait sollicité la Cour des comptes afin qu'elle réalise une enquête sur la situation des maternités dans notre pays. Il paraissait en effet nécessaire de faire le point sur un secteur en profonde évolution au cours des quinze dernières années et de chercher à évaluer la pertinence de cette organisation, en termes d'accès à des soins de qualité, de cohérence règlementaire et de financement. Il s'agit, pour nos concitoyens, d'un enjeu de santé publique très important et nous espérons que cette enquête permettra de dresser un certain nombre de constats objectifs puis de réfléchir et de débattre sur des pistes d'amélioration.

La Cour a mené un important travail en impliquant plusieurs chambres régionales des comptes, ce qui a permis d'affiner les analyses à travers des enquêtes très précises menées dans six régions de métropole et en Guyane.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre, va nous en présenter les conclusions. Il est accompagné de M. Noël Diricq, conseiller-maître, ainsi que de Mme Anne-Christine Priozet et M. Sahbi Salah, premiers conseillers de chambre régionale des comptes.

Il m'a semblé utile, pour notre information, de recueillir sur cette enquête les réactions de représentants des établissements de santé et de l'administration.

Je remercie tout particulièrement de leur présence M. René Caillet, adjoint au délégué général de la fédération hospitalière de France et responsable du Pôle organisation sanitaire et médico-sociale, qui est accompagné de Mme Florence Martel ; M. Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne et le docteur Martine Aoustin, directrice générale de l'ARS Languedoc-Roussillon.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. - La Convention nationale, en 1795, lançait un pari sur le site que l'on connait aujourd'hui sous le nom de Baudelocque-Port-Royal, en y créant l'hospice de la maternité. Ce fut le début d'un changement profond qui vit progressivement se concentrer les naissances de notre pays dans les établissements de santé. Ce mouvement s'est achevé à la fin des années 1960, et aujourd'hui, la quasi-totalité des naissances - 820 000 en 2014 - ont lieu dans les maternités.

Vous nous avez demandé d'examiner la situation du réseau des maternités à partir de constats de terrain. Nous avons donc conduit, avec six chambres régionales des comptes, une enquête de quatorze mois, menée tant au niveau local - nous avons étudié l'organisation de dix-neuf établissements de santé et le maillage des maternités dans sept régions - que national, aux fins de synthétiser les éléments d'appréciation portés par l'administration centrale. Nos conclusions se présentent ainsi en deux volets, l'analyse générale étant assortie d'une série de monographies régionales.

Premier constat, le réseau des maternités a connu une restructuration d'ampleur, guidée au premier chef par une exigence de sécurité des naissances et le souci d'améliorer nos indicateurs de périnatalité. Ce mouvement, entamé au début des années 1970, avec le décret Dienesch, s'est accéléré avec les décrets du 9 octobre 1998 visant, dans le prolongement du plan périnatalité de 1994, à améliorer les indicateurs de périnatalité du pays, dont il était considéré qu'ils méritaient substantiellement de l'être. C'est la restructuration la plus profonde qu'ait connu notre secteur hospitalier dans les années récentes. Entre 1972 et 2012, les deux tiers des maternités que comptait le pays ont fermé et ce mouvement est resté marqué sur la période 1998-2012. En 2012, on recensait ainsi 544 maternités sur le territoire. La conséquence en a été une diminution importante du nombre de lits d'obstétrique, en même temps qu'une augmentation de la dimension moyenne des établissements. La période 2002-2012 a ainsi été marquée par une forte augmentation des maternités de grande taille. Le nombre d'établissements assurant annuellement plus de 3 000 accouchements a doublé en dix ans, tandis que le nombre de ceux qui en assurent moins de 500 a été divisé par deux.

Cette restructuration, bien que puissante, n'en aboutit pas moins à un paysage qui diffère largement de celui que l'on observe chez un certain nombre de nos voisins. Quand les maternités assurant plus de 3 000 accouchements annuels accueillent 51 % des accouchements en Suède et 69 % en Grande-Bretagne, ce taux n'est, en France, que de 23 %.

Ce mouvement de réorganisation a également produit des effets sur la répartition des établissements entre établissements du secteur public, établissements privés d'intérêt collectif et établissements privés à but lucratif : une forte diminution du nombre et de la part des établissements privés à but lucratif - un tiers des accouchements en 2002, un quart seulement en 2012 -, et une augmentation corrélative de la part des établissements publics, tandis que celle des établissements de santé d'intérêt collectif restait stable.

La première conséquence en est une tendance à l'augmentation de la technicité des soins, qui pousse beaucoup de femmes souhaitant revenir à des méthodes plus naturelles, à choisir certains lieux de naissance de préférence à d'autres.

Deuxième conséquence, cette restructuration a rendu nécessaire la mise en place de structures spécifiques pour assurer un suivi de proximité : 55 réseaux de santé périnatale et 78 centres périnataux de proximité ont ainsi été créés à ce jour. L'existence de ces structures qui assurent consultations pré et post-natales, échographies, suivis de proximité, - tandis que l'accouchement, proprement, dit a lieu dans des établissements dont le maillage est moins dense - contribue largement à faciliter la réorganisation. A noter que la perte en densité dans le maillage des maternités ne s'est pas traduite par une augmentation du temps médian d'accès à ces établissements, qui reste de dix-sept minutes, même si ce temps peut être beaucoup plus long dans certains départements.

Au total, le mouvement de restructuration a abouti à un paysage qui semble répondre aux objectifs qui présidaient aux décrets de 1998 et rencontrer un équilibre au regard des besoins de desserte de la population.

Cet état des lieux est, cependant, faussement rassurant. En dépit des outils mis en place pour accompagner cette restructuration profonde, la sécurité des naissances demeure imparfaite dans un certain nombre de situations.

Le fait est que les décrets de 1998, seize ans après leur parution, ne sont pas pleinement respectés. Le premier problème qui se pose est celui des effectifs. Alors que la démographie des professionnels de santé des secteurs gynécologues-obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs, pédiatres, sages-femmes est plus élevée que jamais, on relève, paradoxalement, des inégalités territoriales très prononcées, que les évolutions démographiques à venir, dans ces professions, pourraient encore creuser. Si la démographie des professions médicales de santé du secteur, hors sages-femmes, est élevée, c'est parce que s'y concentre, plus que dans d'autres spécialités, l'apport de médecins à diplôme étranger, dont rien ne garantit qu'il restera le même à l'avenir, tandis que le flux de formation en France n'a pas autant augmenté que dans d'autres spécialités médicales. On peut ainsi craindre que certains établissements, dans certains territoires - territoires ruraux isolés ou territoires urbains concentrant des populations défavorisées - ne s'en trouvent encore fragilisés.

Relevons que l'ensemble des établissements, en dépit des efforts déployés - recrutement de médecins contractuels, d'intérimaires, recours accru aux sages-femmes -, ne respectent pas les normes relatives au personnel et notamment l'impératif de permanence des soins qu'imposent les décrets de 1998. La fermeture brutale, en octobre dernier, de la maternité d'Orthez, à la suite d'un accident grave, témoigne de cette grande fragilité et des risques considérables qui y sont attachés.

Notre deuxième constat a trait à la sécurité des prises en charge. Les décrets de 1998 sont très prescriptifs quant à la sécurité des locaux dans le secteur de la naissance. Ils exigent une continuité entre le bloc obstétrical et le secteur de la naissance qui doivent au moins être localisés dans le même bâtiment. Or, tel n'est pas toujours le cas, même dans le cadre de réorganisations récentes, comme en témoignent les problèmes que nous avons relevés au CHU de Tours. Nous avons également observé attentivement la situation dans les maternités les plus petites, dont treize ont reçu une dérogation pour poursuivre leur activité en dépit d'un nombre d'accouchement inférieur au seuil légal de 300. Or, on relève des cas préoccupants de non-conformité aux normes. Nous documentons ainsi, dans notre rapport, le cas de la maternité de Die qui, avec 137 accouchements annuels, continue de fonctionner en dépit des difficultés relevées par l'Agence régionale de santé (ARS).

A ce problème, s'ajoute celui de la prise en charge de grossesses que l'on peut prévoir difficiles. Alors que le secteur des maternités est organisé en trois niveaux, celles de niveau I prenant en charge les grossesses normales, tandis que celles de niveaux II et III se consacrent respectivement aux grossesses pour lesquelles on anticipe des besoins de soins et aux grossesses dites pathologiques, on observe que cette structuration se déforme. Du fait de la fermeture de maternités de niveau I, on voit ainsi se concentrer les naissances dans les maternités de niveaux II et III, au prix de difficultés d'accès à ces derniers établissements pour les grossesses pathologiques ; et ceci, en dépit de l'action des réseaux de santé périnatale, qui peinent à résoudre ces difficultés d'orientation pour les naissances gémellaires ou prématurées.

Notre étude met également l'accent sur trois points qui méritent une vigilance accrue. Nous observons, en premier lieu, que les indicateurs de périnatalité, dans un certain nombre d'établissements, sont très dégradés. Dans trente-trois d'entre eux, le taux d'enfants mort-nés atteint presque le double de la moyenne, il dépasse 10 %o dans vingt d'entre elles et atteint 15 à 20 %o dans certains cas. Une analyse systématique de ces situations fait défaut. En outre, le suivi des populations en situation de précarité est mal assuré. Malgré des initiatives intéressantes, comme le recours à des réseaux associatifs, le suivi reste insuffisant, ainsi que la Cour le soulignait déjà, il y a deux ans, dans son rapport public. Enfin, la prise en charge des naissances dans les DOM, que nous avions évoquée dans notre rapport public thématique de mai 2014, reste problématique, en particulier en Guyane et à Mayotte, où les indicateurs sont très dégradés.

Le mouvement de restructuration des maternités est appelé à s'amplifier dans les années à venir, pour les raisons démographiques que j'ai évoquées, et en vertu d'exigences tant organisationnelles que d'efficience. La fragilité des établissements, au vu de l'examen de leur situation financière, nous a frappés. Ils sont soumis à un effet de ciseau : tandis que leurs charges augmentent, la tarification reste largement fondée sur ses bases historiques, malgré sa revalorisation récente. Cette situation fragilise le réseau tant public que privé -mais il est vrai que nous manquons des moyens légaux pour documenter la situation du privé.

La question d'une évolution des tarifications est donc posée, qui doit avoir deux corollaires : une évaluation de l'efficience des établissements, notamment au regard de la durée moyenne de séjour : de 4,2 jours en moyenne en France, quand la moyenne de l'OCDE s'établit à 3 jours ; une amélioration du taux d'occupation des lits qui, malgré la forte diminution de leur nombre, reste inférieur à ce qui serait souhaitable dans nombre de services.

Au vu de cette fragilité, des fermetures supplémentaires sont à attendre dans les années qui viennent. Cherchant à analyser la vision de l'administration centrale sur les évolutions à venir, nous avons été frappés par le manque de perspective à dix ou quinze ans, qui laisse le sentiment que l'on se défausse sur les ARS, charge à chacune d'entre elles d'organiser au mieux, en fonction des stratégies d'établissement -qu'elles maîtrisent inégalement- la recomposition du paysage. L'idée souvent alléguée d'une stabilité du réseau des maternités dans les années à venir ne se retrouve pas dans les données des ARS qui anticipent, dans les schémas régionaux d'organisation des soins (SROS), des fermetures dans une fourchette allant de un à quarante-sept établissements dans les années à venir, le chiffre haut représentant une contraction considérable de l'offre, à hauteur de 10 %, qui se concentrerait, de surcroît, dans certaines régions.

On peut ainsi craindre une recomposition sauvage de l'offre, laissée au gré de décisions individuelles, notamment le désengagement de structures privées, plus petites que les établissements publics et tributaires de stratégies de groupes de moins en moins enclines à accepter une activité de maternité déficitaire au motif qu'elle pourrait générer, sur la durée, un flux à venir de patientèle.

Alors qu'une telle recomposition au coup par coup mettrait le réseau en plus grande difficulté encore, au risque d'accidents et à une moindre accessibilité pour la population, nous appelons à une réflexion large et globale avec l'ensemble des acteurs sur les objectifs de la recomposition du système, à l'instar de celle qui fut menée au début des années 1990. Une telle réflexion nous semble indispensable pour piloter activement des réorganisations devenues nécessaires et inéluctables. Nous formulons, au terme de notre étude, neuf propositions pour aider au pilotage d'un secteur qui, malgré une recomposition active, doit encore se poser la question de sa structuration.

M. René Caillet, adjoint au délégué général de la Fédération hospitalière de France, responsable du pôle organisation sanitaire et médico-sociale. - Je salue la présentation que vient de faire M. Durrleman de cette enquête de la Cour des comptes qui traduit, de façon très étayée, la réalité de la situation du secteur. Je m'abstiendrai de commenter certaines de ses préconisations qui intéressent d'autres acteurs de l'hospitalisation, pour m'en tenir à celles qui concernent le secteur public, lequel représente près de 70 % de l'offre et pour formuler quelques remarques qui vont dans le même sens que la Cour.

Le mouvement très important de restructuration du secteur a impliqué massivement professionnels et établissements. Constatant que ces évolutions sont subies dans une certaine mesure, la question du pilotage se pose pour le secteur public. De fait, le désengagement économique et stratégique des acteurs privés exige du public qu'il prenne en charge, conformément à sa vocation, ce secteur de la maternité et de la petite enfance.

La réorganisation des maternités s'est accompagnée, il est vrai, d'un glissement vers plus de technicité et a modifié la taille des établissements, ouvrant des problématiques d'organisation et de gestion qui ne sont pas toutes refermées : articulation entre les établissements de niveaux I, II et III pour une prise en charge des parturientes et des familles dans les meilleures conditions ; inégalités d'accès sur le territoire - même si le temps d'accès moyen reste correct, il n'en existe pas moins des zones difficiles et les évolutions à venir de la démographie médicale pourraient aggraver le problème.

Maintenir l'attractivité des professions du secteur constitue un enjeu majeur et nous serons attentifs aux conclusions de la mission confiée à M. Jacky Le Menn sur le sujet.

Il est vrai que les décrets de 1998 ne sont pas mis en oeuvre dans toutes leurs dimensions. L'étude de la Cour des comptes met en évidence des insuffisances qui appellent un effort de planification - mot qui doit cesser d'être tabou. La ministre a souhaité la mise en place d'un schéma de moyen terme visant à mieux articuler les niveaux d'établissements et leur organisation : nous faisons nôtre ce voeu.

La situation des petits établissements est un sujet de préoccupation. Il ne peut être dissocié de la question de l'aménagement du territoire et des enjeux des politiques locales. Il est des situations limites qui perdurent en dépit de toutes préconisations techniques, d'où la nécessité d'un analyse épidémiologique détaillée, ainsi que le recommande la Cour.

S'agissant de l'organisation des établissements, nous pouvons confirmer, après concertation avec les professionnels, qu'il est envisageable et souhaitable de faire évoluer la durée du séjour dans les établissements publics. Si les durées de séjour demeurent élevées, c'est essentiellement parce que les professionnels ont considéré, jusqu'à présent, qu'elles devaient rester à ce niveau-là, mais il semble que l'obstacle ne soit pas infranchissable. La Fédération hospitalière de France peut apporter sa contribution à cette fin. Les taux d'occupation méritent, également, de s'améliorer. C'est un sujet sur lequel nous avons proposé de lancer un travail avec l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé (Anap).

La problématique de la durée de séjour ne peut être dissociée de la question de la gestion de l'aval et de la précarité. Notre pays connaît une situation économique qui trouve sa traduction dans les difficultés que rencontrent de futures mamans et leur famille, compliquant l'accompagnement après l'accouchement. Cette situation exige une réflexion politique et de santé publique sur le secteur. La Fédération hospitalière de France est prête à accompagner le mouvement.

M. Christophe Lannelongue, directeur général de l'agence régionale de santé de Bourgogne. - Je remercie la Cour des comptes et les chambres régionales dont le travail met en perspective une politique publique engagée de longue date et qui a mobilisé les pouvoirs publics dans toutes leurs composantes. Son rapport témoigne de l'ampleur de l'effort d'organisation des soins, successivement consenti par les agences régionales de l'hospitalisation puis par les agences régionales de santé, montrant du même coup la capacité de la puissance publique à promouvoir des améliorations significatives dans l'organisation des soins, contrairement à l'idée qui veut que seules les actions de marché, par les prix, ou les actions normatives de portée nationale, soient efficaces. Sur une longue période, l'action d'organisation des soins à proximité des acteurs, via des mécanismes de planification ou d'incitation territoriale, a fait la preuve de son efficacité. Les initiatives recensées dans le rapport, qui constituent un recueil de bonnes pratiques, sont un encouragement pour l'avenir.

Au-delà, l'étude de la Cour fait apparaître qu'il est nécessaire de poursuivre. Il reviendra à la ministre de prendre en compte ses constats et préconisations, sur lesquels nous ne faisons ici que réagir à chaud.

Nous souscrivons à la nécessité de poursuivre la réflexion prospective, organisée dans une programmation. Ainsi que le souligne fort justement le rapport, nous sommes soumis à des pressions contradictoires : garantir la qualité et la sécurité des soins, limiter les temps d'accès, assurer l'attractivité des professions médicales, tenir compte du rôle que jouent les établissements dans l'aménagement du territoire. Autant de préoccupations que l'on ne peut gérer dans la durée que sur le fondement d'une vision réfléchie et mûrie.

J'insiste sur l'importance de la coopération et de la mise en réseau des établissements entre eux mais aussi de l'hôpital et de la ville. Il n'est pas possible d'obtenir autrement une amélioration de la prise en charge. Il faut donc souligner, comme le fait le rapport, l'importance des communautés hospitalières de territoire, du lien entre les maternités et le CHU et des filières de formation avec passage territorial.

Le rapport met l'accent, à juste titre, sur l'importance des réseaux de périnatalité et je tiens celui de Bourgogne comme exemplaire car il permet un accès préparé et organisé des parturientes aux maternités plutôt qu'un accès au fil de l'eau.

Incontestablement, un renouveau des schémas est nécessaire pour mieux organiser les prises en charge mais, à mes yeux, le problème principal réside dans les filières de formation. De nombreuses décisions, prises en urgence, sont liées à des questions de recrutement de personnels.

Sur tous ces sujets, des réflexions prospectives doivent être menées au niveau territorial.

Mme Martine Aoustin, directrice générale de l'agence régionale de santé du Languedoc-Roussillon. - En complément de ce qui vient d'être dit, je m'attarderai sur les questions de sécurité et de financement.

S'agissant de la sécurité, les indicateurs de qualité de la périnatalité en France ne sont pas à la hauteur des autres pays comparables. La mortalité maternelle doit être réduite et il y a sans doute des progrès à accomplir en matière de morbi-mortalité infantile.

Comme le préconise le rapport de la Cour, je pense qu'il est important qu'une enquête épidémiologique soit conduite afin de connaître précisément les facteurs organisationnels et populationnels ; on a souligné la particulière fragilité des populations précaires qui sont à l'origine de ces résultats décevants. Il faut renforcer le suivi des grossesses et plus particulièrement celui des femmes enceintes souffrant de poly-pathologies. Il y a dans ces cas, sans doute, encore une insuffisance de suivi et on voit encore arriver dans les maternités des femmes qui n'ont pas eu de suivi de leur grossesse.

Il y a une contradiction apparente entre la technicité des naissances qui augmente et la demande d'accouchements physiologiques, qui entraîne la création de maisons de naissance et de centre périnataux de proximité (CPP). Il faut que nous procédions à un examen de ces différents types de prises en charge si nous voulons pouvoir juger des moyens qu'il sera nécessaire de mettre en oeuvre à l'avenir.

Le programme d'accompagnement du retour à domicile (Prado) est intéressant, sous réserve que toutes les populations accèdent effectivement aux soins à domicile.

S'agissant du financement, les contraintes actuelles font que certaines maternités font le choix de limiter leur personnel. Les maternités privées à but lucratif abandonnent l'accouchement, qu'elles ont longtemps pratiqué, dans une logique de fidélisation de la clientèle. La normalisation des pratiques était nécessaire mais s'est avérée trop coûteuse.

En Languedoc-Roussillon, du fait de la part importante de l'activité privée lucrative dans les secteurs de la médecine, chirurgie et obstétrique, les cliniques assurent environ 50 % des accouchements.

Le tarif, auparavant uniquement centré sur la mère, comporte désormais une composante spécifique pour le nouveau-né qui tend à augmenter. Ceci est un progrès mais le tarif continue à ne prendre en compte que les coûts, or ceux-ci sont sous-évalués par rapport à la norme.

Je pense qu'il faut approfondir nos connaissances sur le caractère faisable et socialement rentable de la mise en place de maisons de santé et de CPP en procédant à une évaluation médico-économique de ces structures et des autres maternités et en nous penchant sur la pertinence des tarifs.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Le sujet des maternités est important et je remercie la présidente Annie David d'avoir demandé à la Cour des comptes d'étudier cette question. Malgré la situation économique, les Français continuent à vouloir fonder des familles et le taux de fécondité se maintient au plus haut niveau en Europe.

J'aurai une série de questions à l'attention de la Cour des comptes. Vous notez le mauvais classement de la France dans le domaine de la périnatalité. C'est incontestablement un problème grave mais la France a également un nombre absolu de naissance important. Cet élément ne devrait-il pas être pris en compte parmi les facteurs expliquant notre mauvais classement ?

Nous sommes tous ici des élus locaux et, à ce titre, confrontés aux enjeux de la proximité. Je soutiens pleinement la préconisation de la Cour tendant à faire une étude épidémiologique.

Vous insistez par ailleurs, à juste titre, sur le nombre minimal d'accouchements nécessaires pour qu'un établissement de santé puisse les assurer en toute sécurité. Vous semblez considérer que le seuil fixé par les décrets de 1998 (300 accouchements) devrait être pleinement appliqué mais aussi revu à la hausse. Avez-vous une idée du niveau auquel il faudrait porter ce seuil ?

Vous jugez que la recomposition de l'offre devrait se faire à partir d'une carte blanche en matière de structures et se fonder uniquement sur les besoins des populations. On comprend l'intérêt de la démarche dont vous soulignez néanmoins qu'elle demandera un fort volontarisme politique. Les résultats à attendre d'une telle démarche seront-ils pour autant très différents que ceux issus d'une approche qui prenne en compte les structures actuelles ?

Enfin, le modèle économique des maternités apparaît défaillant. La tarification à l'activité est-elle réellement adaptée à la maternité ? Etant donné l'importance de la natalité pour l'avenir de notre pays, il me semble que l'allocation des ressources publiques doit prendre en compte ce fait. Nous y reviendrons dans le cadre de la loi de santé publique.

Mme Catherine Génisson. - Je note que la Cour dénonce l'absence de vision à moyen terme de l'administration centrale, mais il faut également tenir compte de la diversité géographique de nos territoires et de leur environnement socio-économique. Il me paraît essentiel d'appuyer les réseaux de périnatalité et de mobiliser les acteurs du secteur libéral ; dans la lutte contre l'hospitalio-centrisme, souvent dénoncé, ils ont incontestablement un rôle à jouer. Le Prado permet la reconversion des certaines sages-femmes de la pratique hospitalières vers la pratique libérale et surtout une meilleure qualité de prise en charge. Il y a là certainement des cercles vertueux à amorcer. Je partage, avec le rapporteur général, l'idée que la loi de santé publique doit nous permettre de mettre en place un chapitre spécifique consacré aux maternités.

La Cour note l'engorgement des maternités de niveau III mais celles-ci sont, à la fois, des maternités de proximité et des maternités de référence et il faut concilier ces différents aspects.

Je partage l'analyse de la Cour s'agissant de la nécessité de nous pencher particulièrement sur le suivi des populations précaires. Dans ma région du Nord-Pas-de-Calais nous sommes particulièrement sensibilisés à cette question.

Je m'interroge sur deux préconisations de la Cour. Pourquoi mettre en place des normes spécifiques pour les maternités qui effectuent plus de 4 000 accouchements ? Par ailleurs, est-il réaliste de penser que l'on pourra créer, dans les maternités de niveau III, des services de réanimation pour les adultes ?

Je souhaite également donner l'exemple de la maternité d'Arras, maternité de niveau III, qui comporte une salle d'accouchement physiologique. C'est, je pense, un bon moyen de répondre à la demande légitime des futures mères.

Enfin qu'en est-il de la variabilité du taux de césariennes sur notre territoire ?

M. Olivier Cadic. - Il faut incontestablement améliorer la qualité et la sécurité des soins. D'autres pays européens ont fait des choix qui semblent intéressants. Au Royaume-Uni, il n'est pas rare que la mère rentre chez elle avec son bébé le soir même de l'accouchement. Il y a, par contre, un accompagnement à domicile par une sage-femme qui permet tout à la fois d'évaluer l'environnement dans lequel se trouve l'enfant et d'enseigner aux parents les gestes de la prise en charge au quotidien. Le développement en France d'un réseau dédié de suivi au domicile me paraît une nécessité pour mieux protéger les enfants et accompagner les mères.

Je pense, par ailleurs, qu'il nous faut des objectifs précis en matière de mortalité et un suivi annuel afin de faire baisser ce chiffre. L'inaction en la matière serait un grave échec.

Mme Michelle Meunier. - Je tiens à insister sur la nécessiter de renforcer les liens entre la ville et l'hôpital et sur le rôle que jouent les réseaux de périnatalité et les services de protection maternelle et infantile (PMI). Une évaluation médico-économique me paraît importante et je souhaiterais savoir combien coûte une césarienne et combien coûte un accouchement physiologique.

M. Claude Haut. - La sécurité est incontestablement le critère essentiel. Il faut cependant prendre en compte l'ensemble des paramètres. Dans certains secteurs, la distance à la maternité est de plus de trente minutes. Je suis donc particulièrement intéressé par l'étude épidémiologique que demande la Cour. Je note également que de petites structures peuvent apporter des soins de qualité, notamment dans le cadre des conventions avec les maternités de niveau III. Il n'y a alors aucun problème de sécurité et on lutte contre l'engorgement des maternités de niveau III.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. - Sur la corrélation éventuelle entre un mauvais classement sur les indicateurs de périnatalité et une forte natalité, la comparaison avec un pays comme le Royaume-Uni, où ces indicateurs sont meilleurs, avec un environnement démographique du même ordre, est éclairante. Il y a moyen, pour notre pays, de faire des progrès. C'était au demeurant la conviction de Bernard Kouchner, alors ministre de la santé, lors de la préparation des décrets de 1998, qu'un renforcement de la prise en charge pouvait permettre une amélioration substantielle des indicateurs de périnatalité .Sans mésestimer l'action des pouvoirs publics, le constat est que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Ainsi que l'avait montré la partie du rapport public annuel de la Cour consacrée à la prise en charge de la naissance il y a deux ans, il y a urgence à se remobiliser sur ces résultats de périnatalité. La question est importante, elle n'implique pas seulement le système de soins mais aussi d'autres acteurs : les réseaux de protection maternelle et infantile ont un rôle déterminant à jouer dans la qualité de la prise en charge de la naissance au sens large. Or, d'un département à l'autre, la structuration de l'effort de PMI est très différente.

Suivant l'adage latin Sutor, ne ultra crepidam !, (cordonnier, pas plus haut que la chaussure !), la Cour, qui n'a pas de compétence médicale, ne saurait se prononcer sur la détermination d'un seuil d'activités en deçà duquel il faudrait fermer une maternité. D'après les sociétés savantes consultées sur ce sujet, il semble que la question du seuil à 300 accouchements mérite d'être redocumentée. Les établissements qui pratiquent de 500 à 1 000 accouchements par an concentrent les difficultés en termes d'équilibre économique, celui-ci se situant plutôt autour de 1 200 accouchements par an en l'état actuel de la tarification, mais aussi d'attractivité pour les professionnels. On observe une mise en concurrence pour la ressource rare que constituent les professionnels qui appelle à réfléchir sur cette question des seuils d'activité, tout en considérant qu'il n'est pas anormal que puissent exister des situations dérogatoires, en conformité avec les exigences de sécurité. Or, à Die, comme à Ussel, ces conditions de sécurité ne sont pas remplies. Les dérogations ne devraient donc être possibles qu'à une double condition de sécurité et d'équilibre financier, ce qui peut se traduire par des financements mixtes.

En préconisant l'élaboration d'un schéma de moyen terme, la Cour n'appelle pas pour autant à une tabula rasa. Il est évident que les établissements sont ancrés dans une histoire et dans un territoire. Pour autant, la Cour a fait le constat du caractère très contingent de la structuration en matière de niveau de prise en charge. Dans le département de l'Allier, par exemple, les trois maternités, qui sont toutes de niveau II, n'en respectent pas les normes de personnel obligatoires. L'une d'elles pourrait passer en niveau I au bénéfice des autres. C'est d'autant plus important que l'on constate « l'encombrement » de certaines maternités. Seules 7 % des maternités disent qu'elles peuvent rencontrer des difficultés à certains moments mais c'est le cas de 25 % des maternités de niveau III. Il est vrai que les accouchements sont soumis à une certaine saisonnalité. Les maternités de niveau III jouent aussi un rôle de proximité mais elles accueillent aussi au-delà de leur territoire, en raison du souhait des femmes d'accoucher dans des établissements dotés d'un plateau technique performant. A rebours, on observe aussi le souhait de certaines femmes d'accoucher dans des conditions moins médicalisées.

La définition d'un objectif cible permettrait d'avancer.

L'accompagnement des femmes à leur retour à domicile est à la fois essentiel et structurant. Des stratégies d'accouchement ambulatoire sont mises en place dans certains pays, comme la Suisse, où le temps de l'accouchement n'est qu'un moment de la prise en charge. Ce retour plus précoce suppose un accompagnement et pose la question de la durée d'accès au lieu de naissance. Notre pays a fait le choix de la proximité du domicile de la parturiente. En Suède, 18 maternités accueillent un nombre de naissances que l'Ile-de-France répartit sur 92 maternités. Ce n'est pas un modèle absolu mais c'est une organisation différente qui suppose de faire en sorte que les femmes soient hébergées avant la naissance à proximité du lieu d'accouchement. Les expérimentations d'hôtels hospitaliers peuvent être intéressantes à cet égard.

Pour les établissements pratiquant plus de 4 000 accouchements par an, il y a un besoin de règles d'organisation et d'exercice de leurs responsabilités qui soient plus claires. La Cour a proposé que les maternités de niveau III soient dotées de services de réanimation adulte au regard des problématiques de mortalité maternelle. Cela suppose des flux de formation d'anesthésistes réanimateurs mais aussi, une réorganisation accrue dans le domaine chirurgical.

Le rapport contient des éléments relatifs aux césariennes de confort. Sur ce sujet, la Haute Autorité de santé a lancé des actions sur l'optimisation du recours à la césarienne qui ont été puissamment relayées par les réseaux de santé périnataux et se sont traduites, dans certains établissements, par une véritable chasse à la mauvaise indication.

En ce qui concerne la relation ville-hôpital, le Prado est effectivement une initiative intéressante mais elle n'est pas la seule. De fait, il s'est souvent superposé à des initiatives hospitalières et libérales existantes et s'est parfois révélé désorganisateur par rapport à des pratiques antérieures. Il va dans la bonne direction mais n'a pas toujours été introduit de la façon la plus efficiente.

Mme Laurence Cohen. - Ce rapport est très orienté sur les chiffres et la rentabilité financière. En quoi les maternités peuvent-elles être considérées comme rentables ? En quoi l'évolution à la baisse du nombre de maternités est-elle un progrès ? Il faut bien sûr tenir compte des conditions de sécurité mais la maternité n'est pas une maladie. La surmédicalisation, le développement des maternités de niveau III sont des mouvements contestables. Il est indispensable d'avoir également des structures qui accueillent les grossesses ordinaires. Un temps de séjour moindre ne constitue pas forcément un progrès. Il faut faire attention aux critères. Les restructurations nuisent à la politique de santé. La tarification à l'acte est-elle appropriée à la maternité ? Le temps d'accès médian de 17 minutes n'est pas un critère pertinent : il occulte des difficultés réelles dans certaines zones, en montagne par exemple, mais aussi dans certaines zones urbaines denses. Les préconisations 2 et 9 ont retenu mon attention. De nombreux professionnels défendent des maternités de proximité au seuil de 300 accouchements. Il faut optimiser les équipes et non fermer les structures. On se sert souvent d'arguments économiques pour fermer des maternités mais Dourdan, qui a rouvert depuis, ou Les Lilas sont des structures exemplaires.

Mme Brigitte Micouleau. - Le nombre des maternités à fermer a-t-il été évalué, quelle est leur répartition territoriale ? Je m'interroge également sur le coût d'un accouchement ordinaire et sur le nombre de césariennes de confort.

Mme Catherine Deroche. - Je vois un grand intérêt à la réalisation d'une enquête épidémiologique. Le débat entre sécurité et proximité est toujours présent. Je voudrais pour ma part insister sur l'importance du suivi des enfants nés prématurés.

Mme Corinne Imbert. - La sécurité est au coeur de nos préoccupations. Il faut adapter le délai de séjour aux conditions familiales et aux possibilités d'accompagnement dont les femmes peuvent bénéficier. A propos du lien avec les services de PMI, je voudrais mettre en garde contre un phénomène souvent observé de glissement du sanitaire vers le social. Il faudrait dans ce cas donner les moyens financiers nécessaires aux départements. Je voudrais évoquer les cas où le risque de fermeture de la maternité, alors qu'elle se situe pourtant au-delà du seuil des 300 accouchements, est une conséquence de la fermeture de la chirurgie de nuit, dans le cadre d'un équilibre économique global. Enfin, les établissements qui pratiquent entre 300 et 500 accouchements rencontrent-il systématiquement des difficultés ?

M. Michel Forissier. - Chacun, en fonction de son parcours, notamment d'élu, a un prisme personnel sur ce sujet. Il nous faut retisser une nouvelle toile dans la gestion des territoires. L'importance de la prévention soulève aussi la question de la difficulté à tenir les normes.

Mme Annie David. - Je suis contrariée par l'angle financier qui est toujours privilégié dans ces travaux. On peut faire parler les chiffres avec une prise en compte du sujet. Je partage le souci financier. Si l'on observe le temps d'accès à la maternité, celui-ci, d'après une étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), a augmenté dans une cinquantaine de départements. Le développement des maternités de type III s'oppose effectivement au souhait des femmes d'avoir un accouchement plus physiologique. Il faut renforcer la proximité alors qu'on observe une augmentation du nombre des naissances et une diminution du nombre de lits. Les conditions du retour au domicile sont très importantes. Une étude épidémiologique serait effectivement très importante alors que les maternités font partie de l'aménagement du territoire.

M. Alain Milon, président. - Le président Durrleman pourra le confirmer mais à la lecture du rapport, je n'ai vraiment pas eu le sentiment d'une vision comptable du sujet. J'ai plutôt constaté la mise en évidence d'un sous-financement des maternités.

Mme Catherine Procaccia. - Quelle est la localisation des maternités qui pratiquent plus de 4 000 accouchements par an ? La mortalité néonatale a-t-elle connu une dégradation récente ? Quelle est sa cartographie, peut-on la relier à la classification de maternités ?

M. Daniel Chasseing. - Je voudrais souligner qu'une grossesse non risquée peut néanmoins demander une prise en charge rapide. L'évolution du nombre de praticiens constitue une réelle préoccupation. Un numerus clausus très bas conduit à augmenter le besoin de médecins à diplôme étranger.

M. René Caillet, adjoint au délégué général et responsable du Pôle organisation sanitaire et médico-sociale de la fédération hospitalière de France (FHF). - La France n'a jamais été bien classée en termes de mortalité périnatale, ce qui doit amener une réflexion. On observe en particulier des différences par rapport aux pays anglo-saxons où se pratique une individualisation des responsabilités des acteurs médicaux très différente des pratiques françaises.

La concentration des établissements n'est pas un sujet financier. Les chirurgiens, les anesthésistes ne peuvent plus travailler autrement que dans des équipes étoffées, ce qui entraîne une course à la taille raisonnable, plutôt située autour de 1 200 accouchements par an. Il s'agit d'une évolution économique, mais aussi médicale et juridique.

Pour ce qui concerne la T2A, le secteur de la maternité et de la pédiatrie sont sous-financés. La liste des établissements pratiquant plus de 4 000 accouchements par an est dans le rapport. Il faut faire un travail de segmentation entre les grossesses simples et les autres. Il faudrait faire venir les futures mamans avant et opérer un rapprochement des gros plateaux techniques.

Mme Martine Aoustin, directrice générale de l'agence régionale de santé du Languedoc-Roussillon. - Il y aurait un grand intérêt à l'évaluation des éléments qui sont responsables des difficultés, avec l'analyse épidémiologique, celle des pratiques médicales. Une analyse médico-économique devrait être conduite pour chaque établissement avant toute décision.

M. Alain Milon, président. - L'évolution des modalités d'exercice des médecins, en équipe, avec un plateau technique structuré, est irréversible. Elle s'explique aussi par le niveau des assurances.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. - Je voudrais revenir sur ce qu'a été notre approche pour cette enquête. Il ne s'agit pas d'une approche financière - même si l'intérêt de la Cour pour les questions financières ne doit surprendre personne - mais plutôt d'une évaluation de la politique publique par rapport aux objectifs et aux indicateurs que le Gouvernement a lui-même définis. Le constat, c'est qu'au regard de ces indicateurs de santé publique, les résultats ne sont pas présents.

L'ordre de nos recommandations reflète celui dans lequel les questions ont été abordées au fil des différents chapitres. Ce n'est pas un ordre de priorité. Néanmoins, la recommandation principale est bien celle que nous formulons en premier : la nécessité de la réalisation d'une enquête épidémiologique pour mieux documenter certaines situations. Il y a étonnamment peu de littérature scientifique sur ces sujets. Le peu que nous avons trouvé figure dans le rapport. C'est préoccupant : comment peut-on avoir un pilotage collectif d'un sujet aussi important en l'absence de données ? Chaque ARS peut se faire une idée sur son territoire, mais il est de la responsabilité des pouvoirs publics d'éclairer les décisions sous un angle de santé publique.

Nous sommes conscients de la dialectique entre sécurité et proximité. La Cour ne propose pas la fermeture abrupte des petites maternités mais recommande de ne les laisser fonctionner qu'à condition d'assurer, pour les femmes et les enfants, une sécurité identique à celle garantie dans les autres structures. Notre enquête était en cours lorsque la maternité d'Orthez a dû être fermée dans l'urgence alors que ses conditions de fonctionnement n'étaient ignorées de personne. La procrastination a eu des conséquences au moins pour une femme.

Le trésor de notre système de soins, c'est la confiance des patients. C'est un trésor récent. Jusqu'à la fin des années 1950, l'hôpital était le lieu de prise en charge des plus pauvres. Ce qui s'est construit sous la Vème République avec l'hôpital public est très comparable à l'oeuvre de la IIIème République pour l'école publique. Si la confiance n'est plus là, c'est l'ensemble du dispositif qui est mis en risque. Ces problématiques de sécurité sont majeures.

Pour ce qui concerne les problématiques de sous-financement, le tarif d'un accouchement facturé par un établissement de santé est de 2 435 euros auxquels s'ajoutent 931 euros au titre de la prise en charge du nouveau-né. Il y a une sous-valorisation qui varie selon les situations mais est toujours nette. Il y a une réflexion à relier à l'efficience du fonctionnement des maternités.

En matière de taux d'occupation et de durée de séjour, il y a des progrès sensibles à réaliser sans pour autant compromettre la qualité des soins. C'est pourquoi la Cour insiste sur le suivi post-natal. Un effort très important, bien qu'encore insuffisant pour les populations précaires, a été réalisé sur le suivi prénatal.

Elle n'a pas une approche financière mais une approche d'évaluation des politiques publiques par rapport aux objectifs fixés par les pouvoirs publics. Le constat, c'est que les objectifs n'ont pas été atteints.

La Cour ne préconise pas une absorption des maternités par le niveau III. Au contraire, elle pointe une déformation anormale au détriment des maternités de niveau I et appelle à une réflexion sur la structuration des maternités en niveaux qui pose de graves difficultés dans notre pays. En raison de la pénurie démographique de professionnels, il y a un risque à ce que cette aspiration se poursuive et que les territoires soient vidés de leur substance. Les professionnels de la naissance vont tous se retrouver dans les grands établissements. Quinze ans après les décrets de 1998, il faut faire un constat et définir un projet d'ensemble. Les ARS ont besoin de cette toile de fond qui ne peut s'élaborer qu'à partir d'une vision épidémiologique.

Faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement - Examen du rapport et du texte de la commission

Puis, la commission examine, sur le rapport de Mme Claire-Lise Campion, la proposition de loi n° 126 (2014-2015) visant à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - En décembre 2013, le Sénat a adopté la proposition de loi présentée par notre collègue Didier Guillaume et les membres du groupe socialiste visant à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement. Ce texte, qui avait fait l'objet d'un très large consensus au sein de notre Haute assemblée, a été à son tour adopté par l'Assemblée nationale le 25 novembre 2014. Cette dernière lui ayant apporté quelques modifications d'ordre purement rédactionnel, la navette parlementaire se poursuit. C'est pourquoi nous examinons en deuxième lecture un texte quasiment identique à celui que le Sénat a voté il y a un peu plus d'un an. De quoi s'agit-il ? Tout simplement d'apporter une solution pragmatique aux obstacles pratiques - et non financiers - que rencontrent trop souvent les personnes en situation de handicap pour exercer un acte de la vie quotidienne qui en conditionne beaucoup d'autres : accéder à une place de stationnement.

Vous le savez, au moins 2 % des places de stationnement matérialisées sur la voie publique et 2 % de celles des parkings des établissements recevant du public doivent être réservées aux titulaires de la carte de stationnement pour personnes handicapées. Celle-ci est délivrée par le préfet à toute personne atteinte d'un handicap qui réduit de façon importante et durable ses capacités de déplacement ou qui rend nécessaire l'intervention d'une tierce personne. Les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont par ailleurs la possibilité de moduler leur politique tarifaire, notamment en accordant une tarification spécifique à certaines catégories d'usagers telles que les personnes en situation de handicap. Se fondant sur ces dispositions législatives, des communes ont fait le choix de rendre le stationnement gratuit sur les places réservées aux titulaires de la carte de stationnement. L'association des paralysés de France (APF), qui recense ces initiatives sur son site internet, en dénombre aujourd'hui près de 250.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture a pour objet de généraliser ces bonnes pratiques. Dans sa version initiale, elle modifie l'article L. 241-3-2 du code de l'action sociale et des familles afin de rendre gratuit et illimité le stationnement sur les places réservées aux titulaires de la carte de stationnement.

Le Sénat a apporté au texte initial plusieurs ajouts substantiels au cours de la première lecture. En premier lieu, sur proposition du rapporteur, notre ancien collègue Ronan Kerdraon, notre commission a étendu les règles de gratuité et de non limitation de la durée du stationnement à l'ensemble des places, qu'elles soient ou non réservées. Afin de laisser aux communes le temps d'adapter leur politique de stationnement, un délai de deux mois a été fixé pour l'entrée en vigueur de cette mesure. Le fait de ne pas prévoir de limite de temps ne doit pas constituer un encouragement à des pratiques abusives conduisant à des durées de stationnement démesurées. J'évoque par là le phénomène des « voitures ventouses ». Pour prévenir ce risque, la commission a ouvert aux autorités compétentes la possibilité de fixer une durée maximale de stationnement tout en leur imposant de respecter un seuil de douze heures minimum.

Pour les parkings publics gérés dans le cadre d'une délégation de service public (DSP), le texte initial prévoyait que soient passés, dans un délai de trois ans suivant son adoption, des avenants mettant en oeuvre le principe de gratuité. Compte tenu de leur incidence financière, ces avenants risquaient d'être considérés comme modifiant un élément substantiel du contrat initial et par conséquent entachés d'illégalité en l'absence de nouvelle mise en concurrence. La proposition de loi prévoit donc désormais que la gratuité s'appliquera à la date du renouvellement des contrats.

Dernière modification, introduite en séance publique à l'initiative de notre ancienne collègue Muguette Dini, un régime spécifique a été prévu pour les parcs de stationnement qui disposent de bornes d'entrée et de sortie accessibles par les personnes en situation de handicap depuis leur véhicule. Dans ces cas, la contrainte physique que représente l'accès à l'horodateur est en effet moins prégnante. Il a donc été précisé que les autorités compétentes pourraient soumettre les titulaires de la carte de stationnement au paiement des redevances en vigueur.

C'est ce texte que l'Assemblée nationale a adopté en novembre dernier tout en lui apportant trois ajustements rédactionnels. Ces précisions n'ont aucune incidence sur le fond de la proposition de loi. Aussi, je vous propose d'adopter le texte dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.

Je conclurai mon intervention en revenant rapidement sur quelques-unes des interrogations qui ont pu être soulevées au cours de la navette parlementaire. La question de l'impact de la proposition de loi sur les finances communales méritait une attention particulière dans le contexte que nous connaissons. Si les estimations sont difficiles - chaque commune applique sa propre politique tarifaire -, la ministre nous a rassurés l'année dernière en séance publique en indiquant une fourchette comprise entre 16 et 21 millions d'euros par an, marginale au regard de l'ensemble des finances communales. Il convient par ailleurs d'indiquer que le texte n'aura pas d'impact financier sur les communes, de plus en plus nombreuses, qui appliquent d'ores et déjà la gratuité.

Une autre question tenait au risque que cette proposition de loi apparaisse comme voulant singulariser les personnes en situation de handicap. Didier Guillaume lui a apporté une réponse particulièrement claire lors des débats de première lecture : la gratuité et la non limitation de la durée de stationnement ne constituent pas une fin en soi mais une avancée concrète destinée à faciliter la vie des personnes en situation de handicap. En d'autres termes, il ne s'agit pas de créer une forme de « discrimination positive » mais de mettre fin aux discriminations que peut engendrer un dispositif physiquement beaucoup plus contraignant pour les personnes en situation de handicap.

Enfin, l'objet très circonscrit de la proposition de loi a parfois été regretté au regard des très nombreux enjeux qui continuent d'exister pour assurer l'accessibilité universelle. La loi du 11 février 2005 a fixé des objectifs très ambitieux en la matière. Beaucoup de retard a été pris. Dans ce contexte, la proposition de loi propose une avancée certaine qui a su rassembler en première lecture sur l'ensemble des bancs de nos deux assemblées. Sachons la saisir tout en restant engagés sur les autres chantiers qui doivent tous nous mobiliser.

Mme Catherine Deroche. - Ce texte a fait l'objet de longs débats en première lecture. Nous nous étions notamment inquiétés du risque de stigmatisation des personnes handicapées et avons estimé qu'il fallait que le principe de gratuité soit encadré afin de prévenir tout abus. Pour les parcs de stationnement disposant de bornes accessibles depuis le véhicule, un équilibre a été trouvé puisque les autorités compétentes auront la faculté de soumettre, ou non, les personnes en situation de handicap au paiement d'une redevance. Le groupe UMP votera donc ce texte.

M. Philippe Mouiller. - Je profite de l'examen de ce texte pour vous faire part de l'inquiétude de plusieurs maires face au problème de la falsification des cartes de stationnement. Le phénomène semble relativement répandu. Peut-être pourrons-nous interroger le Gouvernement sur les mesures prises en la matière.

Mme Catherine Procaccia. - Je regrette, pour ma part, que la période de stationnement soit uniformément fixée à 12 heures. Dans ma commune, des emplacements spécifiques de stationnement ont été aménagés pour permettre l'accès à une pharmacie. Par nature, ces places ne devraient pas être occupées plusieurs heures par le même véhicule. Je pense que les communes, spécialement celles qui ont un tissu urbain dense, devraient pouvoir réserver certaines places pour un stationnement bref et rotatif. Par ailleurs, des usages abusifs sont régulièrement signalés. Mais ceci est un autre débat.

Mme Agnès Canayer. - Dans ma commune du Havre, nous avons mis en place depuis longtemps la gratuité. Cela fonctionne très bien. Pour ma part, je regrette que nous en passions par la loi pour imposer une solution uniforme à l'ensemble des communes. La gratuité fait partie des choix de gestion des municipalités et je crains que l'on ne nuise au dialogue souvent noué de longue date avec les associations pour faciliter les déplacements des personnes en situation de handicap. Cette proposition de loi s'apparente à une nouvelle contrainte pour les communes.

M. Dominique Watrin. - L'accessibilité des lieux de vie, c'est-à-dire de travail et de loisir aux personnes handicapées, est un objectif que nous partageons tous. C'est pour cette raison que le groupe communiste républicain et citoyen avait soutenu ce texte en première lecture. Nous y avions vu notamment un moyen de compenser le manque d'accessibilité des transports publics ; le nouveau report de l'application de la loi de 2005 conforte cette analyse.

Je suis cependant réservé sur la restriction apportée s'agissant de l'article 2 qui me paraît inverser le principe de gratuité en un principe de paiement pour les parcs de stationnement disposant de bornes accessibles depuis le véhicule. Cette question n'a pas encore été discutée au sein de notre groupe mais, pour ma part, je m'abstiendrai.

M. Gilbert Barbier. - Le stationnement sur des places réservées par des personnes parfaitement valides crée une irritation forte chez nos concitoyens. Or le problème me paraît particulièrement difficile à résoudre, et ce d'autant que, comme le souligne l'article 1er de la proposition de loi, le véhicule peut être conduit par la personne handicapée ou par celle qui l'accompagne. Je crains par ailleurs que l'entrée en vigueur de ce texte n'encourage la multiplication du nombre de cartes de stationnement falsifiées.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Les problèmes relatifs à la falsification des cartes et aux comportements de stationnement inadéquats, s'ils n'ont pas de lien direct avec l'objet de la proposition de loi, sont connus de nous tous et nous les dénonçons. Le Gouvernement se penche actuellement avec l'Imprimerie nationale sur la création de nouveaux types de documents non falsifiables. J'espère que des solutions seront trouvées rapidement. S'agissant de la question que soulève Gilbert Barbier, elle doit pouvoir trouver un premier niveau de réponse dans la verbalisation des comportements répréhensibles.

Nous avons eu, sur ce texte, un débat approfondi en première lecture qui a amené à des améliorations, notamment s'agissant des parcs de stationnement disposant de bornes de stationnement accessibles depuis le véhicule. Je note que l'Assemblée nationale n'est pas revenue sur le fond du texte, ce qui m'invite à penser que les travaux du Sénat sont allés suffisamment loin lors de la première lecture.

M. Alain Milon, président. - J'avais exprimé un certain nombre d'inquiétudes lors du débat en première lecture mais cette proposition de loi est néanmoins intéressante. J'indique par ailleurs qu'une telle proposition avait à l'origine été formulée par notre collègue Philippe Bas. Pour ma part, je la voterai.

Nomination de rapporteurs

La commission nomme MM. Gilbert Barbier et Yves Daudigny, comme rapporteurs sur la politique du médicament.

La séance est levée à 12h40.