Mardi 25 novembre 2014

- Présidence de Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 heures

Nomination de rapporteur

M. Michel Mercier est nommé rapporteur de la proposition de loi n° 77 (2014-2015), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Relations avec les collectivités territoriales » - Examen du rapport pour avis

La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport pour avis de Mme Jacqueline Gourault sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Relations avec les collectivités territoriales »).

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Succédant à Bernard Saugey dont les analyses ont éclairé notre commission pendant des années, il me revient de rappeler que la mission « Relations avec les collectivités territoriales » se concentre sur un périmètre restreint : avec 2,73 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,68 milliards d'euros en crédits de paiement, elle représente 3 % seulement des 101 milliards d'euros de transferts financiers de l'État en faveur des collectivités territoriales. Bernard Saugey regrettait à juste titre que la composition de cet effort financier ne soit pas clarifiée. En effet, aux crédits de la mission s'ajoutent les crédits inclus dans l'enveloppe normée, ceux qui ne le sont pas, les dégrèvements et compensations, les transferts de fiscalité. Une présentation plus lisible donnerait une vision globale et, partant, une meilleure appréciation des aides que l'État dégage pour les collectivités locales. C'est important, en période de budget restreint.

Après trois années de gel en valeur des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales entre 2011 et 2013, les prélèvements sur recettes dont elles ont bénéficié ont diminué de 1,5 milliard d'euros en 2014. Le président de la République a annoncé un effort de 50 milliards d'euros d'économies entre 2015 et 2017, pour ramener le déficit public sous le seuil des 3 % du PIB et financer le pacte de responsabilité pour relancer la compétitivité et l'économie du pays. Le Premier ministre a précisé que les collectivités participeraient à hauteur de 11 milliards d'euros, contribution représentative de leur part dans la dépense publique. Correspondant à un abattement annuel de 3,67 milliards d'euros sur trois ans, cette participation devrait entraîner, selon le Gouvernement, une baisse des dépenses des collectivités territoriales d'un même montant. Le bloc communal supportera 56 % de cet effort, avec une baisse de dotation de 2,071 milliards d'euros, dont 30 % pour les EPCI et 70 % pour les communes ; les départements en prendront en charge 31 % (1,15 milliard d'euros) et les régions 12 % (0,4 milliard d'euros).

Plusieurs correctifs sont cependant prévus dans le projet de loi de finances pour 2015. La péréquation verticale augmente de 228 millions d'euros (218 millions d'euros pour le bloc communal, à travers une majoration des dotations de solidarité urbaine, de la solidarité rurale et de la dotation nationale de péréquation, et 10 millions d'euros pour les départements). Le taux forfaitaire du FCTVA passerait à 16,404 % (+ 5 %), et serait exclu du champ de l'enveloppe normée, son dynamisme pouvant peser sur le montant des autres concours.

Les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP)
- représentant 423 millions d'euros - seraient remplacés par une dotation de soutien à l'investissement local d'un même montant, dont la répartition reste à préciser. À l'initiative de son rapporteur général, M. Albéric de Montgolfier, la commission des finances du Sénat a supprimé ce dispositif qui risquerait de fragiliser les communes et les EPCI bénéficiant des attributions versées au titre des FDPTP.

Enfin, la commission des finances a proposé un amendement pour minorer la baisse des dotations des collectivités territoriales, en déduisant les dépenses qui leur sont imposées par l'État - estimées à 1,2 milliard d'euros en 2013 par la Commission consultative d'évaluation des normes. La baisse des dotations serait ainsi ramenée à 2,47 milliards d'euros.

Selon le Gouvernement, la diminution de 12,5 milliards d'euros - 1,5 milliard d'euros en 2014 et 11 milliards d'euros entre 2015 et 2017 - des dotations de l'État devrait s'accompagner d'une moindre dépense des collectivités territoriales. L'impact sur les politiques publiques et les projets d'investissement des collectivités reste difficile à évaluer, d'autant que le remplacement de la taxe professionnelle par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises a déjà orienté leurs recettes à la baisse. Les auditions que j'ai conduites et le rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques locales, publié en octobre 2014, indiquent que les économies pourraient porter sur les dépenses de fonctionnement, via la mise en place d'une gestion plus rigoureuse des personnels. Les collectivités territoriales devraient ainsi mettre un terme à leur politique d'avancements automatiques de grade et d'échelon, ou de durée de temps de travail. Quant aux politiques d'investissement, elles seront directement affectées par le nouveau référentiel de décision imposé aux élus locaux, et l'effet cumulatif de la baisse des dotations de 3,7 milliards d'euros par an entre 2015 et 2017. Enfin, la proposition de loi sur les communes nouvelles de M. Jacques Pélissard, député et président de l'Association des Maires de France, vise à assouplir les dispositions de regroupement des communes, en proposant notamment une bonification de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pendant trois ans.

Sur l'ensemble de ces sujets d'une extrême sensibilité, je vous laisse avec sagesse nous dire quel est votre avis sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

M. François Pillet. - Malgré votre synthèse talentueuse, voilà des perspectives peu enthousiasmantes - nous nous y attendions. Pour que les collectivités locales continuent à participer au redressement du pays, il aurait été plus satisfaisant de maintenir le gel de leurs dotations. Tout le monde s'accorde à dire que leur baisse aura une incidence sur l'investissement. Dans les années à venir, certaines communes ne pourront pas engager les projets qu'elles avaient prévus. D'autres ont déjà abandonné ceux de 2013, vidant ainsi les carnets de commandes des entreprises locales. Les communes rurales sont très fragilisées par cette baisse de l'investissement qui affecte surtout les petites entreprises. En effet, lorsqu'un maire décide de rénover la salle communale, de refaire une toiture, un enduit ou une tranchée, c'est à elles qu'il s'adresse. Si les commandes baissent, le petit tissu local sera le premier à en souffrir. Deux, trois ou quatre compagnons sans travail, c'est autant de dégât social. Le défaitisme s'installe, qui bloque l'imagination de l'investissement. Cette phase risque de s'aggraver en 2016. En tant qu'élu d'un département rural, je suis très inquiet. Les catastrophes humaines iront s'additionnant. On parle beaucoup des plans de licenciements dans les grandes entreprises, mais trop peu des entreprises familiales. Les difficultés qu'elles vont connaître auront des conséquences sociales dont nous n'avons pas suffisamment mesuré l'ampleur.

M. Pierre-Yves Collombat. - Le rapport peut se lire de deux manières. Dans la version pour enfants que nous a livrée notre rapporteur, les collectivités locales sont incitées à participer au redressement des finances publiques. Dans la version pour adultes, il s'agit de les faire contribuer à l'approfondissement de la crise économique qui secoue notre pays. Selon les dernières estimations de l'INSEE, notre appareil de production tourne à 80 % de sa capacité. Les collectivités territoriales représentent 70 % de l'investissement public. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation vient de publier un excellent rapport qui donne une bonne vision de l'avenir. Jacques Mézard nous en parlera. On critique régulièrement le manque de lisibilité du dispositif, alors qu'il tient en partie à la structure même de la LOLF, ce miracle des miracles réduit à une entreprise d'enfumage. Dans la pratique, on noie tout. On prend 100 et on redonne 2, personne n'a rien vu et tout le monde est content. Le meilleur exemple est le fonds de péréquation départemental de la taxe professionnelle. En le modifiant, on transforme des recettes de fonctionnement en recettes d'investissement, et l'on fait participer les communes au sauvetage des départements, en captant une partie de leur dotation. Personne ne se rend compte que nous courons à la catastrophe.

M. Jacques Mézard. - Avec MM. Charles Guéné et Philippe Dallier, nous venons de présenter un bilan d'étape, mesurant les conséquences de la baisse des dotations à échéance de 2017. Nous nous sommes livrés à une analyse mathématique avec l'aide du cabinet Klopfer. Les chiffres sont révélateurs. En 2017, cela représentera une diminution de 6 % de leurs recettes pour les 38 000 collectivités. Elles auront du mal à y faire face, car on ne peut pas diminuer d'un coup les charges de personnel. La fin du rapport est instructive, avec le détail chiffré des conséquences strate par strate. Une majorité des départements et des communes de plus de 10 000 habitants seront en situation de double déficit. Ce n'est pas possible. Le bilan chiffré existe ; il n'est pas contestable. Nous sommes partis d'une évolution au fil de l'eau sur les chiffres de programmation du Gouvernement. Même sans baisse des dotations, le nombre des collectivités en situation difficile est en hausse. Avec la baisse, c'est la majorité des collectivités qui ne pourra plus faire face à leurs dépenses. Je ne dis pas qu'il ne faut pas de baisse de dotations ; il faut trouver les moyens d'absorber le choc.

M. Christian Favier. - Le régime auquel les collectivités locales vont être soumises créera des difficultés de fonctionnement et d'investissement pour un résultat qui est loin d'être acquis en matière de relance économique. Dans les autres pays européens, la baisse de l'investissement public a systématiquement été accompagnée par une hausse du chômage. Je ne crois pas à cette solution. Je ne crois pas non plus que l'effort demandé aux collectivités soit proportionné : elles représentent moins de 10 % de la dette publique ; on leur demande un effort bien plus important - 28 milliards d'euros en cumulé. Beaucoup de collectivités, et pas seulement rurales, seront en grande difficulté. Je réunis, vendredi, dans mon département, 160 entreprises qui s'inquiètent de l'évolution à la baisse de la dépense publique. Les collectivités locales ont déjà réalisé des efforts considérables pour participer au redressement du pays ; on doit les prendre en compte. L'Assemblée des Départements de France (ADF) a chiffré à 48 milliards d'euros la non-compensation du coût du versement des allocations de solidarité assumé par les collectivités départementales en lieu et place de l'État. Une baisse des dotations laisse envisager deux solutions impossibles : soit de nouvelles fermetures de services publics, alors qu'en période de crise, les populations ont besoin de notre solidarité, soit une augmentation de la fiscalité, qui atteint déjà un niveau insupportable pour nos concitoyens.

Non, les collectivités territoriales n'ont pas une politique trop généreuse à l'égard de leurs personnels. Certains agents de la fonction publique ont un niveau de revenus à peine supérieur au SMIC et leur indice est gelé depuis des années. Enfin, on n'a pas forcément besoin de la loi, mais surtout de l'intelligence des élus pour mieux mutualiser les moyens dont ils disposent. Soumettre les collectivités locales à une cure d'austérité n'est pas la solution pour redresser le pays.

M. Alain Marc. - La disparition des FDPTP m'inquiète pour la péréquation. Quel système les remplacera ? Il ne va pas de soi que la mutualisation dégage des économies. À chaque fois que l'on agrège des collectivités locales, ce sont des frais de fonctionnement en plus. Il faudrait évaluer de manière précise les économies que cela représente. Bien souvent, la mutualisation fait peser sur les petites communes un soupçon de mauvaise gestion, avec en arrière-pensée l'idée de les supprimer. Or, sur le terrain, on constate que les communes les mieux gérées sont souvent de petite taille. La secrétaire de mairie n'y travaille qu'aux deux tiers de son temps, ce qui autorise des investissements pour rénover une salle de classe, etc. Les technocrates nous assènent toujours le postulat selon lequel la mutualisation génère des économies de fonctionnement. Cela commence à être indécent ; il est temps de réagir.

M. Jean-Jacques Hyest. - Depuis vingt-cinq ans, l'État supprime des impôts locaux qu'il remplace par des dotations attribuées selon des critères bizarres. On a ainsi créé la dotation globale d'équipement, distribuée par le préfet, ce qui était une voie de recentralisation. En conséquence de quoi, l'autonomie des collectivités s'est fortement affaiblie, surtout celle des régions.

Que les dettes de collectivités comptent dans la comptabilité nationale ne justifie pas de leur imposer plus d'économies qu'à l'État : elles ne sont pas responsables des déficits puisqu'elles sont obligées de gérer leur budget à l'équilibre. Le bloc communal constitue une entreprise de services - crèches, haltes garderies, etc. Elles ont des personnels de catégorie C dont les salaires sont souvent faibles. Si l'on ne peut plus accorder d'avancement de grade, c'est un peu sévère...

Les collectivités doivent participer à l'effort de redressement du pays, sans pour autant que ce soit suicidaire. J'étais à Chartres, avec la commission des lois ainsi que M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances, pour la présentation du rapport de Michel Klopfler. Il faut s'attendre dans les deux ans à une catastrophe industrielle monumentale pour le secteur du BTP.

M. Didier Marie. - Je remercie la rapporteure pour sa présentation mesurée. Nous voici à front renversé par rapport aux débats qui avaient cours il y a quelques années sur le même sujet.

M. Jean-Jacques Hyest. - Nous ne partagions pas la politique de gel des dotations des collectivités locales.

M. Didier Marie. - Pas autant. Quelle que soit notre formation politique, nous sommes tous d'accord sur la nécessité de réduire les déficits. La question du rythme, seulement, nous partage. En fixant le déficit public à 4,4 % cette année et à 4,3 % l'an prochain, le Gouvernement a choisi de ne pas casser le moteur de la croissance. L'effort doit être partagé. Celui qui est demandé aux collectivités locales est proportionnel à leur part dans la dépense publique. L'augmentation de 0,9 % des bases de la fiscalité locale devrait compenser en partie la diminution de leurs dotations. Enfin, le faible taux d'inflation leur est favorable. Les efforts ne sont jamais agréables à consentir mais ils sont absolument indispensables.

En période de restriction budgétaire, il faut donner plus à ceux qui ont moins. L'augmentation de 8 % des dotations de solidarité urbaine et de solidarité rurale (DSU et DSR) contribue à cet effort de péréquation, ainsi que la mise en place d'un fonds d'investissement, dont le financement reste à définir. Si l'on a supprimé les FDPTP, c'est parce que la taxe professionnelle n'existe plus.

M. Jean-Jacques Hyest. - C'est facile...

M. Didier Marie. - Il faut requalifier ce fonds et le répartir différemment. Il ne doit pas pour autant être retiré aux communes qui en bénéficient (704 des 745 communes de mon département !). Il faut maintenir ce financement. Si l'on trouve le moyen de l'alimenter, le fonds d'investissement contribuera à la péréquation, en aidant les collectivités à investir davantage.

Élu local comme vous, je sais que les difficultés ne datent pas d'aujourd'hui. Depuis quelques années, les collectivités se sont efforcées à la maîtrise des dépenses et ce qui apparaissait impossible alors s'est révélé réalisable. Nous devons évaluer avec justesse l'effort que peuvent encore livrer les communes, en veillant à ne pas mettre à mal leur capacité d'investissement.

M. Yves Détraigne. - Les politiques menées par les administrations centrales entrent de plus en plus en contradiction avec les moyens des administrations déconcentrées. L'État baisse ses dotations, tout en imposant aux collectivités des obligations nouvelles : la mise en place d'activités périscolaires, par exemple, est catastrophique pour les finances de beaucoup de communes. L'écart se creuse entre les administrations normatives dont la machine tourne toute seule, et les équipes sur le terrain, en région ou en département. Notre commission pourrait étudier cette inadéquation, qui explique en grande partie l'impasse où se trouvent les collectivités locales.

M. Jean-Pierre Sueur. - Tout le monde est d'accord pour réduire la dépense et le déficit publics.

M. Pierre-Yves Collombat. - Non !

M. Jean-Pierre Sueur. - Un grand nombre d'entre nous l'est. Cela affectera forcément les collectivités locales. Regardez les déclarations de certains partis politiques qui voudraient multiplier nos efforts par deux. Les collectivités locales aussi seront concernées. Je ne souhaite pas reprendre à mon compte, comme mon collègue M. Alain Marc, l'idée que l'intercommunalité entraîne des dépenses supplémentaires. Dans mon département, la situation est contrastée, selon les décisions des élus qui peuvent choisir de bâtir un hôtel communautaire ou bien se réunir dans la salle du conseil municipal de l'une des communes membres. En elle-même, l'intercommunalité ne crée pas de coûts supplémentaires ; tout dépend de la manière dont elle est mise en oeuvre. Les efforts en termes de péréquation se font au sein d'une enveloppe qui reste constante. Cependant, alors que la part des dotations de l'État dans les ressources des collectivités locales a augmenté, celle des péréquations est restée la même. L'État peut faire de la péréquation, mais la DGF est très peu péréquatrice, en réalité. Il reste un gros effort à accomplir. Réduire la part des dotations peut se justifier, si la capacité des collectivités à lever des impôts locaux s'accroît. Dans les régions, les recettes viennent essentiellement des dotations de l'État. Il faut du courage politique pour les réduire et créer des impôts nouveaux.

M. Jean-Patrick Courtois. - L'idéologie ne fera pas avancer les choses. Je suis en train de faire le budget de la commune de Mâcon. Le rapport de la chambre régionale des comptes est excellent et nous avons le triple A. Si l'on applique les mesures gouvernementales, la ville subira une baisse de 2 millions d'euros de DGF. Elle devra trouver 400 000 euros non compensés pour financer la réforme des rythmes scolaires, et 250 000 euros pour financer des mesures catégorielles pour le personnel. Nous devons trouver 2,65 millions en section de fonctionnement, laquelle doit être équilibrée, voire être en excédent, et qu'on ne peut financer par l'emprunt. La seule solution consiste à faire des économies sur les dépenses ou, plus précisément, sur les dépenses facultatives. Le champ se réduit aux dépenses sur le personnel contractuel, à celles sur les travaux de voirie et de bâtiments, et aux subventions aux associations. Les recettes ne peuvent en effet venir que des trois impôts. Les taxes sur le foncier bâti et le foncier non bâti ne rapportent pas des sommes considérables. La seule solution pour garder l'équilibre, à Mâcon, est de combiner ces mesures, d'augmenter les impôts de 20 % sur trois ans, de baisser les subventions aux associations de 15 % et de diminuer les travaux d'entretien de 40 %. Le préfet m'avait d'abord dit que je dramatisais, mais des maires socialistes lui tiennent le même discours.

M. Philippe Bas, président. - Si nous nous accordons pour considérer que les collectivités territoriales doivent contribuer à l'effort national, les modalités et le montant de ces économies, qu'il s'agit désormais de doubler, font débat. Car les charges de nos collectivités augmentent par le transfert, souvent insidieux, des charges de l'État, qui réduit dans le même temps ses dotations. Ces économies doivent en outre être prises non sur les dépenses de fonctionnement, mais d'investissement, ce qui aura des conséquences économiques majeures. Cette situation, bien différente de celle des services de l'État, est critique.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis. - Le sujet n'est ni facile ni enthousiasmant. Le rapport de Jacques Mézard et de ses collègues, que j'avais initié en tant que présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, a irrigué la réflexion de mon rapport : je sais combien les analyses du cabinet Klopfer sont pertinentes.

J'ai évoqué les propositions du Gouvernement et de la Cour des comptes relatives au personnel : si la situation salariale de la catégorie C est médiocre, certains notent sans penser aux conséquences indemnitaires.

Si je partage l'avis d'Alain Marc sur les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, je remarque que les critères en sont très différents d'un département à l'autre. Il ne s'agit pas pour autant de les supprimer.

Jean-Jacques Hyest le soulignait avec raison, les suppressions répétées de recettes locales et de dégrèvements se conjuguent pour donner le sentiment que nous arrivons au bout d'un système. Posons, en parallèle à l'effort des collectivités territoriales, celui que doit faire l'État.

Yves Détraigne a évoqué les dépenses nouvelles consécutives à la production de normes : la commission des finances les a évaluées à 1,2 milliard et demandé une réduction égale de la baisse des dotations de l'État. Elle s'est également prononcée en faveur d'une diminution de la péréquation horizontale la ramenant de 228 à 119 millions d'euros.

La mutualisation peut être source d'économies, j'en suis persuadée, pour l'avoir expérimenté moi-même. L'intercommunalité, en revanche, si elle n'est pas toujours source d'économies, a apporté des services nouveaux.

La baisse des dotations sera évidemment plus sensible pour les communes très endettées et entraînera, comme le disait Christian Favier, une diminution des investissements. Ayons l'honnêteté de reconnaître que cela pourra parfois être une bonne chose de reconsidérer certains projets.

Face à ces réserves, je propose un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

Loi de finances pour 2015 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport pour avis

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-Pierre Sueur sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Pouvoirs publics »).

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. - Cette mission recouvre le Conseil constitutionnel, la présidence de la République, l'Assemblée nationale, le Sénat, la Cour de justice de la République et les chaînes parlementaires. Établi à 988 millions d'euros, le budget de l'ensemble de ces institutions, en baisse de 1,89 million, traduit un important effort d'économie.

M. Pierre-Yves Collombat. - Une baisse modeste...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. - Reçu par la directrice de cabinet du président de la République, j'ai constaté que la dotation de l'État à la présidence passait pour la première fois sous la barre symbolique des 100 millions d'euros : elle fait des économies notables. Ses effectifs ont été réduits de 21 % en six ans : de 1 051 agents en décembre 2007, ils sont passés à 836 équivalents temps plein (ETP) en décembre 2013, et cette tendance se poursuivra ; 83 % de ces personnels sont mis à disposition contre remboursement. Les charges de fonctionnement augmenteront de 4,4 % parce que le coût du pavillon de la Lanterne sera comptabilisé en année pleine. Les sommes affectées à la lutte contre les cyber-attaques progressent : la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (Disic) porte un ambitieux programme de rationalisation de l'offre de data centers pour l'État. Une part importante des infrastructures informatiques de la présidence sera hébergée dans un centre public hautement sécurisé qui couvrira également certaines prestations relevant de la défense nationale et de la gendarmerie, l'idée étant de mutualiser les dispositifs.

Des économies notables seront réalisées sur les déplacements présidentiels : le coût de leur préparation sera moindre, les délégations moins nombreuses et les dépenses liées aux réceptions, notamment dans le domaine audio-visuel, seront réduites, conformément à la recommandation de la Cour des comptes.

Les ressources propres de la présidence sont gérées rigoureusement : elle perçoit des loyers, notamment de logements situés quai Branly ; les usagers de la restauration à l'Élysée en acquittent le prix, et un grand nombre de personnes participant aux voyages présidentiels le font à leurs frais. De grands crûs conservés dans les caves de la présidence de la République ont été vendus aux enchères, et le produit de cette vente affecté à l'acquisition de vins de garde, moins onéreux : c'est un investissement sur dix ou quinze ans.

Les dépenses d'investissement de l'Assemblée nationale baissent, ses dépenses de fonctionnement stagnent. Sa dotation se montant à 518 millions d'euros, son budget pour 2015 s'équilibre à 537 millions : la différence est prise sur ses réserves. Les indemnités parlementaires diminuent grâce à la baisse structurelle du nombre de pensionnés traditionnellement constatée après chaque renouvellement sénatorial : certains députés ont rejoint nos bancs.

Le Sénat, après avoir reconduit entre 2008 et 2011 sa demande de dotation en euros constants, l'a réduite de 3 % en 2012. Les crédits qui lui sont alloués se stabiliseront en 2015 pour la troisième année consécutive, grâce à un prélèvement de 11,6 millions d'euros sur ses disponibilités.

Les crédits de la chaîne LCP-Assemblée nationale sont reconduits ; au sein de la mission « Pouvoirs publics », seuls ceux de Public Sénat augmentent, dans le cadre d'un plan triennal qui prévoit que la chaîne acquitte désormais un loyer pour les locaux qu'elle occupe dans nos murs, et que le Sénat ne mette plus de personnels à sa disposition. Il sera sage que cette augmentation ne se prolonge pas. Je pourrai, si vous le souhaitez, poser dans mon rapport la question rituelle de savoir si une seule chaîne ne suffirait pas. Je plaiderai en tout cas pour certaines mutualisations.

Le Conseil constitutionnel, où nous nous sommes rendus, est un gestionnaire particulièrement vertueux : sa dotation a baissé de 18,22 % en six ans, alors que son activité a triplé depuis l'instauration de la question prioritaire de constitutionnalité en mai 2010. Ses effectifs de catégorie A ont nécessairement crû, au détriment de ceux de catégorie B. Leur total est passé de 50 ETP en 2008 à 53,3 en 2015. Nous avons constaté sur place l'opportunité des investissements réalisés dans le souci de restaurer le patrimoine : le « salon vert » est magnifique. L'investissement informatique diminuera, le logiciel de jurisprudence ayant été mis en oeuvre en 2014. Une version mobile du site Internet du Conseil, destinée au smartphone, sera créée en 2015. Il a enfin diminué les frais d'entretien de ses bâtiments, restreint son parc automobile - seul le président continuant à disposer d'un chauffeur affecté - et réduit ses frais de représentation.

Si le président Jean-Louis Debré ne s'attend pas à une réduction du nombre des questions prioritaires de constitutionnalité - sur 2 211 soulevées devant les juridictions depuis la réforme constitutionnelle, 424 ont été renvoyées au Conseil -, elles devraient néanmoins concerner davantage, à l'avenir, des dispositions techniques que les libertés fondamentales. Il considère que leur multiplication influence le contrôle a priori. Il peut être utile que des décisions prennent effet après un certain temps, cela pouvant être problématique dans d'autres cas, comme on l'a vu au sujet du harcèlement sexuel ou de la garde à vue.

La Cour de justice de la République compte une commission des requêtes, composée de trois magistrats du siège de la Cour de cassation, de deux conseillers d'État et de deux conseillers maîtres de la Cour des comptes ; une commission d'instruction réunissant trois conseillers de la Cour de cassation, enfin une formation de jugement composée de douze parlementaires et de trois magistrats du siège de la Cour de cassation. Ses crédits baissent de 866 à 861,5 millions d'euros. Le rapport de Lionel Jospin proposait que les ministres soient jugés par des juridictions de droit commun. La commission d'instruction parvient à filtrer un certain nombre de requêtes.

La Cour a avantageusement renégocié son bail, arrivé à échéance en 2013 ; espérons que les projets du ministère de la justice l'autorisent à rejoindre l'île de la Cité, où elle pourrait être accueillie dans des conditions moins onéreuses.

La quasi-totalité de ces institutions consentant un effort d'économie, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits qui leurs sont destinés.

M. Philippe Bas, président. - Les budgets des pouvoirs publics constitutionnels doivent être appréhendés dans leur contexte : la séparation des pouvoirs. La tradition républicaine veut que les assemblées votent ces budgets sans que leur contrôle soit de même nature que celui qu'elles exercent sur l'ensemble des budgets de l'État : des pouvoirs séparés doivent pouvoir fonctionner de manière indépendante.

M. Pierre-Yves Collombat. - 1,9 million d'euros d'économies sur 988 millions, c'est bien peu comparé à l'effort demandé aux collectivités. Quant aux 856 ETP de l'Élysée, n'est-ce pas un effectif considérable pour un arbitre ? Si le Premier ministre n'est qu'un collaborateur, pourquoi ne pas mutualiser leurs services ?

M. François Bonhomme. - La période actuelle de renouvellement des présidents des chaînes parlementaires n'est-elle pas propice à trancher la question récurrente de leur fusion? À combien les économies correspondantes se monteraient-elles ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. - Le principe de l'autonomie de chaque assemblée est excipé depuis plusieurs années pour justifier l'existence des deux chaînes. Si une fusion complète n'est guère envisageable à court terme, on peut de manière plus réaliste prévoir une mutualisation importante, lorsqu'il s'agit, par exemple, de couvrir un même congrès.

Pierre-Yves Collombat mérite indiscutablement le prix de l'humour parlementaire. Si les économies que j'ai présentées sont limitées au regard de l'ensemble du budget de l'État, je tiens à rendre hommage à ceux qui les ont réalisées, notamment aux responsables du Conseil constitutionnel, qui font preuve d'une très forte volonté d'économie. La directrice de cabinet du président de la République a en outre répondu de façon très détaillée à notre questionnaire, faisant apparaître un effort remarquable de réduction des coûts.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».

Loi de finances pour 2015 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Crédits « Asile » - Examen du rapport pour avis

La commission procède enfin à l'examen du rapport pour avis de Mme Esther Benbassa sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Immigration, asile et intégration », crédits « asile »).

Mme Esther Benbassa, rapporteure pour avis. - Le projet de réforme en débat à l'Assemblée nationale trouve son origine dans la nécessité de transposer, avant le mois de juillet 2015, deux directives européennes relatives à l'accueil des demandeurs d'asile et à la procédure d'examen de leur demande. Il prévoit que celle-ci se déroule dans un délai de neuf mois, et y apporte des modifications : réforme de la procédure prioritaire, du déroulé de l'entretien, meilleure prise en compte de la vulnérabilité du demandeur au cours de la procédure. Les auditions que nous avons conduites, ainsi que notre déplacement, ont fait apparaître certains manques.

Ce budget de transition tente d'assurer la pérennité du financement de la politique d'asile tout en anticipant cette réforme. Il en résulte de nombreuses incertitudes, en particulier pour le secteur associatif. En 2015, les crédits consacrés à l'exercice du droit d'asile augmenteront de 2,24 %, passant de 498,5 millions d'euros à 509,7 millions. La progression de 6,7 millions de la subvention pour charges de service public de l'OFPRA tient à la création de 55 postes d'agents de protection supplémentaires afin de réduire le stock de demandes.

Les crédits consacrés à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) par l'action 7 du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » augmenteront de près de 3 %, passant de 22,23 millions d'euros à 22,87 millions, afin de financer neuf emplois supplémentaires affectés à la CNDA et de réduire les délais de jugement des recours. Cette hausse est donc sans commune mesure avec celle que connaît l'OFPRA. Il nous faut être vigilants car si ce projet a été écarté pour le moment, il a été envisagé de transférer le contentieux de l'asile aux juridictions administratives de droit commun.

Après les efforts de sincérité budgétaire salués par notre commission depuis 2012, nous ne pouvons que regretter le manque de réalisme des prévisions, en particulier pour l'allocation temporaire d'attente (ATA). Les dépenses d'intervention de l'action « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 ne progressent ainsi que de moins de 1 %, passant de 459,2 millions d'euros à 463,7 millions. L'exécution de ces dépenses en 2013 s'élevait pourtant à 498 millions d'euros en autorisations d'engagement et 497 millions en crédits de paiement, auxquels doivent être ajoutés 41 millions d'euros au titre de l'ATA dont le versement a été reporté sur 2014.

Les crédits destinés au financement des centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) atteignent 220,8 millions, contre 213,8 millions en 2014. Le nombre de places en CADA atteindra 25 689 à la fin de cette année. Ce chiffre reste insuffisant au regard des 35 000 places fixées comme objectif à l'horizon 2019 par le rapport des inspections générales d'avril 2013. Rien n'apparaît à ce sujet dans ce projet de loi de finances.

Après avoir baissé en 2014, le financement de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile augmente de 14,8 %, atteignant 132,5 millions d'euros en 2015. Les crédits destinés à l'ATA continuent en revanche de baisser pour s'établir à 110 millions d'euros.

Dans le cadre de la réforme de l'asile, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui contribue à la politique d'accueil des demandeurs d'asile, voit considérablement s'accroître sa charge de travail sans que le projet de loi de finances prévoie une augmentation de ses moyens. S'il assure aujourd'hui la coordination du réseau des plateformes d'accueil des demandeurs d'asile, il s'appuie largement sur le secteur associatif pour leur gestion. Il est cependant prévu, dans la perspective du guichet unique, que l'OFII internalise nombre des prestations dispensées par les associations. Sera-t-il en mesure d'assumer ces nouvelles missions avec ce budget ?

Les plateformes d'accueil des demandeurs d'asile (PADA) ont été mises en place par le milieu associatif depuis l'année 2000 à la demande des pouvoirs publics afin de pallier les limites du dispositif national d'accueil (DNA) et de réduire les délais d'attente pour entrer en CADA. Ces structures jouent un rôle primordial dans le premier accueil des demandeurs d'asile en assurant leur domiciliation et en les accompagnant dans leurs démarches. Certaines assurent également l'orientation vers une solution d'hébergement d'urgence et suivent les demandeurs d'asile dans l'instruction de leur dossier par l'OFPRA puis, le cas échéant, devant la CNDA.

Assurant une mission de service public, ces plateformes associatives sont financées par des subventions provenant majoritairement de l'OFII et du budget européen, les collectivités territoriales apportant le solde. De l'avis de toutes les associations rencontrées, ce mode de financement pose problème : la demande et surtout le versement des financements européens obéissent à une procédure très lente et inadaptée. Des déconvenues surviennent au moment du règlement. Ce mode de financement entraîne la nécessité pour les associations d'effectuer des avances à l'État, parfois sur plusieurs années, ce qui suscite des difficultés de trésorerie.

L'avenir des PADA et de leur financement est incertain. Le Gouvernement prévoit la création d'un guichet unique d'enregistrement de la demande et d'entrée dans le dispositif d'accueil : le demandeur d'asile, qui doit actuellement rencontrer cinq interlocuteurs différents - la PADA, la préfecture, l'OFII, l'OFPRA et Pôle Emploi - n'aurait plus affaire qu'à l'OFII qui procèderait au premier accueil en l'informant sur la procédure et en lui présentant une offre de prise en charge, et à l'OFPRA.

Si tous les acteurs reconnaissent que l'État doit retrouver son rôle dans le premier accueil des demandeurs d'asile, beaucoup expriment des doutes quant à la capacité de l'OFII de reprendre l'intégralité des missions aujourd'hui assurées par les PADA. C'est pourquoi il a été décidé de maintenir, ne serait-ce qu'en 2015, les missions de celles-ci ainsi que leur financement à hauteur de 8,5 millions d'euros provenant de l'OFII en attendant de mener une réflexion plus approfondie sur les modalités de la mise en place du guichet unique.

Je vous propose, malgré les réserves que j'ai émises, de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

M. Jean-René Lecerf. - Je suis inquiet des résultats de la réforme en cours. J'ai été rapporteur de la dernière loi sur l'asile lorsque Dominique de Villepin était ministre des affaires étrangères : ses ambitions étaient les mêmes et elles se sont heurtées à la réalité. Je ne vois pas, dans la réforme proposée, ce qui réduira les délais d'instruction. Or c'est indispensable pour limiter le séjour prolongé des demandeurs d'asile et les coûts conséquents que cela entraîne.

Une épée de Damoclès pèserait, selon vous, sur la CNDA ? J'aimerais être rassuré sur son avenir.

M. Jean-Yves Leconte. - Le budget de l'OFPRA tient bien compte des nouvelles charges qui pèseront sur lui après la réforme, tout en tentant de répondre à l'enjeu du raccourcissement des procédures, essentiel pour des raisons humanitaires comme financières : le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile revient à plus de 30 millions d'euros par mois. Et il est bien différent d'être débouté après six mois ou après trois ans.

Je suis moi aussi inquiet pour la CNDA, qui recevra davantage de demandes de recours. S'y ajoute la question du traitement, en amont, des demandes déposées en préfecture et des moyens affectés au premier accueil des demandeurs.

Notre dispositif doit véritablement être renouvelé : l'ensemble des pays européens font face à une augmentation des demandes d'asile, pas la France. Notre politique n'est-elle pas devenue dissuasive ? Nous ne prenons pas notre part dans l'accueil des citoyens du monde qui méritent protection. On le voit quotidiennement à Calais car, malgré la publicité sur la possibilité de déposer une demande d'asile en France, les migrants préfèrent traverser la Manche.

M. Jean-Pierre Sueur. - Ayant eu l'honneur de présenter ce rapport ces trois dernières années, je me réjouis que les crédits « Asile » fassent toujours l'objet d'un rapport spécifique, distinct de celui consacré aux crédits « Immigration » : l'asile est un droit garanti par la convention de Genève, l'immigration relève d'une politique.

L'intention du ministre de l'intérieur de raccourcir le délai d'instruction est très louable. Des efforts remarquables ont été accomplis en ce sens au sein de l'OFPRA par Pascal Brice et à la CNDA sous l'autorité de sa présidente. Il était paradoxal que davantage de décisions de droit à l'asile soient prises par la CNDA, instance de recours, que par l'OFPRA. Je partage les interrogations de mes collègues sur l'accueil en préfecture, l'OFII, et la procédure accélérée, qui suscite l'inquiétude, notamment dans les instances internationales. Toutes les procédures doivent évidemment être les plus rapides possibles dans le respect des droits des personnes. Il importera, Madame la rapporteure pour avis, que vous insistiez avec force sur notre profond attachement à la CNDA : ce serait un recul que les recours en matière d'asile s'exercent devant les juridictions de droit commun.

M. Christophe-André Frassa. - Le débat sur le projet de loi relatif à l'asile sera l'occasion de revenir sur les points évoqués par Jean-Pierre Sueur. Jean-Yves Leconte et moi avions rédigé, au nom de la commission des lois, un rapport d'information sur ce sujet, assorti de quelques propositions que nous ne manquerons pas de rappeler. Je m'inquiète moi aussi des faibles crédits de la CNDA qui manque cruellement de moyens. Ceux de l'OFPRA sont enfin suffisants. Renforcer ces deux institutions, c'est faire chuter les coûts exorbitants de l'attente, en elle-même insupportable pour les demandeurs. En l'absence de vision politique, ces crédits sont un replâtrage ; ils seraient bien mieux investis s'ils étaient concentrés en amont sur l'accueil et l'orientation des demandeurs, ainsi que sur le recrutement et la formation des officiers de protection de l'OFPRA.

Mme Esther Benbassa, rapporteure pour avis. - Certains acteurs avaient critiqué les délais ainsi que le fonctionnement de la CNDA et un transfert du contentieux à la juridiction de droit commun avait été envisagé. L'idée a été écartée...

M. Jean-Pierre Sueur. - Heureusement !

Mme Esther Benbassa, rapporteure pour avis. - Sur le triennal 2015-2017, la CNDA disposera de 27 nouveaux emplois et bénéficiera de neuf créations de postes dès 2015. Le guichet unique devrait rassembler des agents de préfecture ainsi que des agents de l'OFII, c'est pourquoi il y a lieu de s'interroger sur les conditions de mise en oeuvre de la réforme par l'OFII. Par ailleurs, que deviendront les associations qui gèrent les plateformes d'accueil ? Enfin, je peux vous indiquer l'inversion des taux de protection accordée par l'OFPRA et la CNDA pour la première fois en 2013 : l'OFPRA a accordé plus de 52 % des protections.

Je vous propose de donner un avis favorable à ces crédits.

M. Christian Favier. - Je voterai contre.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration, crédits « Asile ».

La réunion est levée à 11 heures

- Présidence de Philippe Bas, président, et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -

La réunion est ouverte à 16 h 30

Nouvelle organisation territoriale de la République - Regards croisés franco-allemands sur l'organisation territoriale avec Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, Ministre-présidente du Land de Sarre, et M. Peter Friedrich, Ministre du Land-de Bade Wurtemberg, chargé du Bundesrat, des Affaires européennes et internationales

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, Ministre-présidente du Land de Sarre et de M. Peter Friedrich, Ministre du Land de Bade Wurtemberg, chargé du Bundesrat, des Affaires européennes et internationales, en commun avec la commission des affaires européennes.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - M. le président Jean Bizet et moi-même sommes heureux d'accueillir Mme Annegret Kramp-Karrenbauer et M. Peter Friedrich.

Mme Annegret Kramp-Karrenbauer est aujourd'hui ministre-présidente de Sarre. Elle a commencé sa carrière publique en 1984 comme conseillère municipale de Püttlingen puis est entrée au Bundestag en 1998. En 1999, elle fut élue au parlement de Sarre et elle a rejoint en 2000 le gouvernement de la Sarre où elle a occupé différentes fonctions ministérielles. Mme Kramp-Karrenbauer est devenue Ministre-présidente de la Sarre le 10 août 2011. Elle a présidé en 2008 la Conférence permanente des ministres de l'éducation des Länder et elle est plénipotentiaire chargée des affaires culturelles franco-allemandes depuis août 2011.

M. Peter Friedrich est devenu en 1992 suppléant du président régional de l'organisation de jeunesse du Bade-Wurtemberg, puis en 1997 président régional de la même organisation. Parallèlement, il devient membre du comité directeur du SPD. En 2005, il fut membre du Parlement fédéral allemand et, depuis mai 2011, il est ministre chargé du Bundesrat, de l'Europe et des affaires internationales du Land de Bade-Wurtemberg, ce qui fait de lui un membre du Bundesrat. Depuis mai 2011, il est également président de la commission des questions de l'Union européenne au Bundesrat.

Nous vous avons invités car nous sommes en train d'examiner le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République qui vise à mieux répartir les compétences entre les différents niveaux de collectivités. La commission des lois a nommé deux rapporteurs, M. Jean-Jacques Hyest, membre du groupe UMP, et M. René Vandierendonck, membre du groupe socialiste. Ce choix démontre notre volonté de parvenir à un large consensus sur cette réforme et c'est pourquoi il nous a semblé utile de comparer notre organisation territoriale à la vôtre, qui est fort différente. Notre pays est traditionnellement centralisé et les collectivités territoriales dépendent fortement de l'État pour leur financement, la part des impôts étant minoritaire dans leurs ressources.

Le texte vise à renforcer le pouvoir des régions au détriment de celui des départements. En outre, et cela vous étonnera sans doute, notre gouvernement a souhaité redessiner la carte des régions, chose qui serait impensable dans votre pays. Nos régions ne sont pas héritières d'une longue histoire mais le fruit d'une décision politique nationale.

Votre système fédéral nous intéresse car, en dépit de notre centralisation historique, notre pays accorde depuis 1982 de plus en plus de pouvoirs aux collectivités.

Enfin, la Constitution confie au Sénat le soin de représenter les collectivités territoriales, si bien qu'il examinera ce projet de loi avant l'Assemblée nationale. La commission des lois poursuivra donc son travail jusqu'à la mi-décembre avant que ne commence le débat dans l'hémicycle.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - À mon tour, je salue Mme Annegret Kramp-Karrenbauer et M. Peter Friedrich. Je me permets également de saluer votre ambassadeur, Mme Susanne Wasum-Rainer, avec laquelle nous avons des contacts suivis puisque l'ambassade d'Allemagne nous invite très régulièrement.

À l'occasion de la réforme de la PAC de 2011, des membres du Bundesrat étaient venus nous rendre visite pour que nous parvenions à une position commune : lorsque c'est le cas, la France et l'Allemagne se font plus aisément entendre à Bruxelles.

Nos systèmes respectifs sont largement le résultat des legs de l'histoire. Le fédéralisme a marqué l'unité allemande alors que la France privilégiait un système unitaire qui s'est décentralisé depuis une trentaine d'années avec, parfois, des tentatives de recentralisation.

Comment gérer au mieux nos services publics, comment prendre en charge l'action sociale, comment favoriser le développement économique dans nos territoires, quelles infrastructures devons-nous réaliser, comment promouvoir un développement durable ? Voilà quelques-unes des grandes questions auxquelles toutes nos collectivités doivent apporter des réponses. Pourrez-vous donner des précisions sur les moyens financiers et humains dont vous disposez pour exercer vos compétences ? Les nouvelles règlementations européennes induisent des préoccupations communes : nous échangerons prochainement avec M. Friedrich au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) lors de la session à Rome. La commission des affaires européenne a récemment émis un avis politique après un débat sur le paquet déchet qui inquiète les collectivités, qu'elles soient françaises ou allemandes.

Nous portons aussi une attention toute particulière aux fonds structurels : la consommation des crédits n'est pas toujours satisfaisante. Nous devons donc identifier les blocages.

Enfin, nous travaillerons avec la commission des affaires économiques sur le plan d'investissement de 300 milliards d'euros que la Commission européenne va présenter.

Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre-présidente du Land de Sarre. - Cette invitation témoigne d'une profonde confiance entre votre pays et le mien et de l'intense et fructueux échange que nous entretenons.

Aujourd'hui, 60 % des enfants de Sarre apprennent le français, soit le taux le plus élevé de tous les Länder. Le gouvernement de Sarre a présenté en janvier dernier un ambitieux projet pour l'avenir européen puisqu'il souhaite que la Sarre devienne plurilingue en l'espace d'une génération, le français complétant l'allemand. La Sarre sera alors le seul Land plurilingue de la République fédérale d'Allemagne. Des éducateurs de langue maternelle française accompagneront dès le plus jeune âge la génération qui vient de naître.

La Sarre veut être le médiateur des intérêts français et une porte d'entrée sur l'Allemagne.

La Sarre va créer des pôles de compétitivité, des clusters, sur le modèle français. Nous souhaitons commencer par l'industrie automobile qui est aujourd'hui le secteur industriel le plus important avec 80 000 employés au niveau transfrontalier. Cette coopération suppose de comprendre et de connaître son partenaire. La coopération transfrontalière entre nos deux pays est unique en Europe et elle va permettre de construire l'avenir.

Mon quotidien est marqué par les acquis de notre coopération. Ainsi en est-il de l'université franco-allemande de Sarrebruck qui permet à plus de 5 000 étudiants par an de passer la moitié de leurs études en Allemagne et l'autre moitié en France, du secrétariat franco-allemand des échanges en formation professionnelle avec plus de 4 000 apprentis par an dans 50 domaines d'apprentissage, du lycée franco-allemand avec plus de 1 000 élèves. La coopération franco-allemande universitaire concerne 450 étudiants et 2 500 jeunes ont déjà obtenu un double diplôme. Il existe aussi un réseau de 100 crèches bilingues en Allemagne et en France.

Chaque jour, 18 000 frontaliers se rendent en Sarre, 1 000 en Lorraine et 8 000 au Luxembourg. Environ 70 % des importations et des exportations sarroises sont réalisées dans l'Union ; 106 filiales et succursales d'entreprises françaises sont enregistrées en Sarre où elles y emploient 3 000 personnes et 67 entreprises sarroises avec 119 succursales sont implantées en France.

Des textes permettent de signer des accords et des traités au niveau régional : nous voulons garantir la sécurité juridique des structures de coopération afin de maintenir la continuité des réseaux et des structures transfrontalières. Le droit à l'expérimentation en France nous semble opportun car il donnera aux régions transfrontalières une certaine autonomie, notamment pour gérer les fonds européens.

Les régions transfrontalières sont confrontées à des défis particuliers : la grande région Saar-Lor-Lux est un réseau de coopération dont l'intensité est unique dans l'Union européenne : un État national souverain, le Luxembourg, collabore avec succès avec des Länder fédérés mais aussi avec la Lorraine et la Wallonie.

En France, nous sommes confrontés aux défis des différentes structures administratives. Il serait souhaitable que votre réforme territoriale renforce les relations franco-allemandes en prenant en compte l'importance des régions transfrontalières.

Vive la France, vive l'Allemagne et vive la coopération transfrontalière !

M. Philippe Bas, président. - Merci pour cette intervention qui a touché le coeur de mes collègues. Vous avez montré votre intérêt pour le droit à l'expérimentation et pour la coopération transfrontalière qui peut aller au-delà de nos régions respectives.

Merci aussi de vous être exprimée en français.

M. Peter Friedrich, ministre du Land de Bade-Wurtemberg, chargé du Bundesrat, des Affaires européennes et internationales. - Merci pour votre invitation.

Le Bade-Wurtemberg et la France ont une frontière très perméable de 184 kilomètres. Ma région n'aurait jamais existé sans Napoléon et divers Länder ont dû leur création à la France. A contrario, Montbéliard était la résidence du duc de Wurtemberg au XIVème siècle. Nous avons donc des liens étroits depuis très longtemps. Les Allemands se rappelleront toujours du discours de Charles de Gaulle en 1963 sur le traité d'amitié franco-allemand... Le Bade-Wurtemberg est proche de l'Alsace et il s'agit du premier foyer de coopération européenne. Nous avons un euro-campus avec Fribourg, Strasbourg, Karlsruhe et Bâle. Notre région accueille plusieurs dizaine de milliers de frontaliers chaque jour. Il s'agit d'un exemple vraiment réussi d'intégration européenne. N'oublions pas les 400 jumelages entre nos villes

Nous voulons développer la formation en alternance avec l'accord-cadre sur la formation professionnelle ainsi que la transition énergétique bien que nous n'ayons pas les mêmes intérêts de part et d'autre. Pour les déchets, nos initiatives mutuelles pourraient déboucher sur des projets de coopération à l'exportation.

Votre réforme territoriale sera certainement décisive pour votre pays mais aussi pour la coopération transfrontalière. Le maire de Kehl, lors de son départ, a dit que pendant ses seize ans de mandat, il avait travaillé en bonne intelligence avec Strasbourg, mais qu'il n'avait toujours pas compris comment la mairie fonctionnait. Et M. Ries peut en dire de même pour la mairie de Kehl. Mais ces incompréhensions n'empêchent pas de travailler ensemble.

Votre réforme territoriale ne peut aboutir à une parfaite homogénéité entre nos institutions. En revanche, nos relations doivent être parfaites. Notre système fédéral tient au fait que l'État allemand est né très tard et que les Länder, les communes et les villes ont toujours joué un rôle de premier plan. Leur autonomie en matière de recettes n'est pas totale. En revanche, elle l'est pour les dépenses. Notre système fiscal nous permet de collecter directement certaines taxes. Le Bade-Wurtemberg compte 10,5 millions d'habitants et son budget annuel s'élève à 40 milliards d'euros.

L'échelon national est compétent en matière de défense et d'emploi, mais la plupart des organes d'exécution sont aux mains des Länder et des communes.

La loi accorde aux Länder des dotations financières et un pouvoir de décision. Ils jouent un rôle national très important : le Bundesrat est la seule chambre parlementaire au monde qui est constituée de gouvernements. En matière de droit européen, le Bundesrat a quasiment le même rôle que l'État fédéral. Bien qu'ils n'aient pas de pouvoir en matière de politique étrangère, ils mènent des politiques d'accompagnement, notamment en matière transfrontalière. Dans le domaine éducatif et culturel, le Bundesrat représente la République fédérale d'Allemagne et il dispose d'une représentation à Bruxelles. Enfin, il a conclu des partenariats régionaux, notamment avec l'Alsace et la région Rhône-Alpes.

Nous avons constamment des débats sur l'évolution du fédéralisme, en particulier sur la répartition des moyens financiers entre l'État fédéral et les Länder. Nos compétences sont réparties entre les différents échelons et, parfois, nos marges de manoeuvre sont un peu limitées, surtout en matière européenne.

Je ne vais pas vous donner de conseils sur le découpage de vos régions mais nous espérons que nous pourrons continuer à travailler ensemble. Je crains que nous nous retrouvions avec des régions immenses ce qui diluerait l'intérêt des projets transfrontaliers.

Nous avons mis en place un certain nombre de structures transfrontalières, comme les eurodistricts ou la conférence franco-germano-suisse du Rhin supérieur. Si nous arrivons à tirer profit de notre potentiel géographique, nous aurons sans doute plus d'écoles et d'universités que d'autres régions plus centrales, à condition de travailler de façon transfrontalière. Avec la France, nous avons affaire à des trinités de compétences : le département, la région et l'État. Nous espérons que la réforme dira qui est compétent et dans quel domaine. La répartition des compétences est plus importante que le découpage des régions.

Comme l'a dit Mme Kramp-Karrenbauer, vive l'amitié franco-allemande !

M. Philippe Bas, président. - Mes collègues ont beaucoup apprécié votre intervention qui nous a permis de comprendre comment vous perceviez notre pays, même si vous avez pris soin de ne pas interférer avec nos débats en cours.

Vous appelez de vos voeux une meilleure répartition des pouvoirs entre l'État et les régions alors que le projet de loi insiste plutôt sur la répartition de ceux-ci entre les départements et les régions : la définition des compétences est au coeur de nos réflexions.

M. Jean Bizet, président. - Les répartitions de compétences vous semblent plus importantes que le tracé des régions, mais notre gouvernement a commencé autrement.

Depuis des décennies, la France a du mal à faire émerger un modèle de formation par alternance aussi performant que le vôtre. En Allemagne, les métiers manuels sont bien plus valorisés que chez nous. Comment faire pour améliorer les choses en dépassant le cadre transfrontalier ?

Notre région n'arrive pas à consommer les fonds structurels européens. Comment faites-vous ? Avec les nouvelles modalités de répartition, les régions qui ne consomment pas la totalité des fonds qui leur sont attribués se voient pénalisés l'année suivante par de moindres dotations.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Nos collègues députés auraient dû écouter M. Friedrich : leur regard aurait peut-être été moins hexagonal lors du découpage des régions.

Vous évoquez des coopérations transfrontalières mais aussi des difficultés avec la France dues aux diverses strates de compétences. En Allemagne, qui est compétent en matière d'université, de recherche et d'emploi ? Nos régions ne seraient-elles pas mieux à même de traiter de ces questions ?

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - Est-il préférable d'avoir des dotations garanties par la Constitution ou une autonomie fiscale contingente ?

Vous prônez l'expérimentation pour les territoires transfrontaliers. Enfin, vous souhaitez la simplification des compétences dans notre pays. Comment adapter la règlementation à la diversité des situations et des territoires, sachant que nous sommes soumis à un contrôle de légalité ?

M. Pierre-Yves Collombat. - Je remercie nos invités. En France, l'Allemagne est une référence, mais j'ai cru comprendre que la répartition des compétences n'y est pas toujours aussi claire, car les Länder sont le bras armé de l'État fédéral, d'où certains chevauchements.

M. Jacques Bigot. - Pour améliorer les relations transfrontalières avec la Sarre et le Bade-Wurtemberg, il faut l'Alsace-Lorraine !

La France cherche à doter les grandes régions de compétences économiques. Qu'en est-il en Allemagne ? Nous sommes focalisés sur nos très grandes entreprises alors que l'économie allemande semble plus portée par les entreprises elles-mêmes que par le politique.

M. Michel Amiel. - La réforme des métropoles va se faire dans les Bouches-du-Rhône contre l'avis de 109 maires sur 119. En Allemagne, qui est compétent en matière sociale et de droit du sol ?

M. Mathieu Darnaud. - Le budget de la région Rhône-Alpes s'élève à 2,5 milliards d'euros, alors que le Bade-Wurtemberg dispose de 40 milliards d'euros.

Dans le débat sur la réforme territoriale, il y a les tenants du département et ceux de la région. Dans le Bade-Wurtemberg, comment s'exerce la répartition des pouvoirs entre le Länder et le Länderkreis ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Même au Sénat, certaines régions sont plus fortes que d'autres : les Normands dirigent cinq commissions sur sept, plus la questure !

J'ai longtemps fait partie de l'inspection générale de l'éducation nationale. Quoique l'un de ses ministres l'ait comparée à un mammouth, sa structure centrale est assez faible ; beaucoup de compétences sont exercées au niveau local, mais toujours a minima : les budgets sont gérés depuis Paris, les inspecteurs d'académie n'ont pas tout pouvoir, le nombre d'enseignants par discipline étant déterminé au niveau central... Les seules compétences véritablement décentralisées sont la construction des établissements et la gestion des agents techniques et de service. Ce ministère serait depuis longtemps plus efficace s'il était davantage décentralisé. Comment nos amis allemands gèrent-ils leur système éducatif ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Les Länder subventionnent-ils les projets d'investissement des districts et des villes qui les composent ? Qui s'occupe de la construction et de l'entretien des routes ? Qui décide de l'implantation des collèges ? Les districts, enfin, ont-ils des compétences en matière de développement économique ?

Mme Annegret Kramp-Karrenbauer. - Nous n'avons pas la même conception de l'État. L'Allemagne fédérale a toujours eu une structure décentralisée : les Länder sont l'ossature de la République. Il n'est pas faux de parler de « mythes » : 90 % des parents allemands vous diraient qu'ils préfèrent le système d'éducation centralisé à la française. Or les Länder ont les compétences de la politique scolaire, de la gestion de la police et d'une partie de celle de la justice. Il en résulte une concurrence entre Länder, du fait notamment que les structures scolaires ne sont pas partout les mêmes. Près de 60 % des écoliers de Sarre apprennent le français, mais ne retrouvent pas cette possibilité s'ils déménagent, par exemple, en Rhénanie-Palatinat. L'équivalent allemand du baccalauréat varie d'une région à l'autre. L'étude Pisa a révélé les difficultés qui découlent de ces disparités. La perception des problématiques varie d'un Land à l'autre - à l'exception de la formation en alternance : l'administration fédérale contribue à son organisation, en coordination avec les employeurs et les syndicats, afin de définir les différents métiers et les contenus enseignés. C'est un aspect de notre système qui fonctionne très bien. L'enseignement supérieur est, lui, du ressort des Länder, même si l'État fédéral s'est beaucoup engagé, ces dernières années, dans le domaine de la recherche et si la Loi Fondamentale a été modifiée en ce sens. Les Länder débattent actuellement d'une extension de cette coopération à l'enseignement secondaire.

En matière de sécurité intérieure, seule la police aux frontières relève de l'État fédéral. L'administration de la justice dépend elle aussi largement des Länder. La coopération avec l'État s'est cependant améliorée dans ce domaine comme dans celui de l'éducation. Les cadres des forces de police suivent des formations communes et nombre de tactiques sont développées en commun. Des effectifs peuvent, en cas de besoin, être détachés d'un Land à l'autre.

Les finances des Länder présentent d'importantes différences. La Sarre, région industrielle, a été rattachée tardivement à l'Allemagne, si bien que les sièges de ses grands groupes se trouvent plutôt au Bade-Wurtemberg, qui perçoit l'essentiel des recettes fiscales. Un système de péréquation est donc nécessaire, tant entre Länder qu'entre échelon fédéral et régional. C'est une pierre d'achoppement de nos négociations.

Le développement de notre économie bénéficie de certains programmes européens ; les Länder en pilotent d'autres. La Sarre s'attache à les concerter pour en obtenir le meilleur impact. Nous souhaitons pouvoir proposer des zones industrielles à des prix intéressants afin de soutenir les entreprises qui créent des emplois.

La question des infrastructures est d'actualité : outre les autoroutes, construites et entretenues par l'État, les projets des Länder concernant leur propre réseau routier sont annoncés dans le cadre de plans de transport. Nous avons également besoin d'infrastructures numériques établissant des connexions rapides, notamment grâce à la fibre optique : c'est un argument important pour attirer les entreprises.

La coopération transfrontalière a fait en quelques années des progrès considérables, même si des difficultés surgissent parfois lorsque nous traitons avec des régions autonomes. Le sommet des grandes régions européennes peut être une occasion d'étonnement : nous ne savons pas toujours qui, parmi les représentants de différentes institutions françaises, est notre véritable interlocuteur. Ils ne sont d'ailleurs pas toujours d'accord entre eux, ni bien au fait des intérêts qu'ils défendent.

Le droit à l'expérimentation doit être défini en adoptant le point de vue des citoyens. Certains habitants de la Sarre se rendent quotidiennement en Moselle ; pour eux, le passage transfrontalier est une réalité bien plus concrète que l'État fédéral : Paris est plus proche que Berlin. Mes concitoyens aspirent à une bonne qualité de vie, à un accès facile aux emplois et à la sécurité, sans obstacle aux frontières. Les policiers français doivent pouvoir poursuivre un malfaiteur en Allemagne, avec leurs armes, sans autorisation spéciale ; un malade doit pouvoir accéder aux urgences de l'hôpital le plus proche, même s'il se trouve de l'autre côté de la frontière.

La formation en alternance est l'un des aspects concrets du phénomène transfrontalier. Près de 8 % des jeunes de Sarre sont au chômage et, du fait de l'évolution démographique, six cents places d'apprentis n'ont pas été pourvues. La Lorraine elle, compte plus de 20 % de jeunes chômeurs. Une convention cadre permet désormais aux jeunes Français de suivre une formation en alternance dont la partie pratique se déroule en Allemagne, tandis que les cours ont lieu en France. L'inverse est proposé aux Allemands. Si les divers aspects administratifs ont été réglés, des obstacles culturels subsistent dans les esprits. Les parents français restent réticents à l'égard de la formation en alternance, en dépit d'exemples de réussite : je me suis rendue en janvier dernier dans la première section franco-allemande d'un lycée professionnel qui forme des mécaniciens de l'avionique. Elle a attiré de nombreux élèves parce que la partie française a organisé un concours de recrutement, chose impensable en Allemagne car synonyme d'élitisme. Notre ambition est de créer un réseau de lycées professionnels franco-allemands, notamment dans le domaine social et paramédical. Une action concertée en ce sens, notamment avec la Lorraine dont nous partageons beaucoup d'intérêts, a davantage de chances de réussir. Les éducateurs, comme les personnels soignants de part et d'autre de la frontière, devraient être formés ensemble. La difficulté sera évidemment d'adapter l'apport allemand aux spécificités françaises.

Certaines de nos entreprises qui apparaissent comme de grands groupes à l'étranger sont pour nous des petites et moyennes entreprises (PME), même si elles emploient plusieurs milliers de salariés. Elles sont les véritables moteurs de l'innovation qui permet à l'économie allemande de progresser. La Sarre compte ainsi plusieurs producteurs d'équipement minier qui, dans le passé, réalisaient 90 % de leur chiffre d'affaires en Rhénanie-Westphalie ou en Sarre, et 10 % à l'étranger. Cette proportion s'est inversée : la technologie de cette industrie est désormais exportée vers les mines colombiennes ou chinoises, pour un chiffre d'affaires annuel de 260 millions d'euros concentré dans une PME familiale qui n'est pas cotée en bourse. Voilà l'intérêt d'être plus novateur et plus flexible : les PME forment un tissu économique plus résistant aux crises que quelques grands groupes.

M. Philippe Bas, président. - Merci, madame la ministre-présidente. Votre réponse très complète nous a fait toucher du doigt la puissance des Länder allemands lorsqu'ils interviennent dans des domaines d'action dont certains échappent évidemment à nos présidents de région.

M. Peter Friedrich. - La réalité est une composition complexe de divers éléments : les citoyens allemands ont sur notre efficacité un point de vue analogue à celui des citoyens français sur celle de leur administration. Nous avons, nous aussi, beaucoup d'améliorations à faire. Le président Bizet m'interrogeait sur l'emploi des fonds européens : ils font l'objet en Allemagne d'une gestion décentralisée, particulièrement efficace pour la répartition du Fonds social européen (FSE).

Nos communes jouissent d'une grande liberté d'autogestion : elles disposent de leur budget et d'une compétence règlementaire en matière d'aménagement, d'urbanisme ou encore de gestion des déchets. Les districts sont organisés sur le même modèle : des compétences leurs sont attribuées et ils remplissent des missions, notamment pour le Bund. Les communes perçoivent elles-mêmes certains impôts, et peuvent en faire varier le taux. Les districts sont financés par une redevance des communes et par une subvention du Land. Nous nous efforçons de ne pas laisser la concurrence fiscale s'introduire entre nos territoires, l'évasion fiscale étant une préoccupation générale.

Les Länder sont compétents en matière d'éducation : ils sont les employeurs des enseignants et des chercheurs. Les communes mettent les locaux à disposition et déterminent les sites des nouveaux établissements. Outre ses 100 000 enseignants, le Bade-Wurtemberg emploie encore 40 000 policiers : ce sont ses deux principaux ensembles de salariés. Le Land est également compétent en matière de justice et en matière fiscale - d'où des velléités de concurrence pour attirer les entreprises. Si le Bund fait les lois, elles sont mises en oeuvre par nos agences, comme les caisses d'assurances maladie, d'assurance chômage ou de retraite, qui se gèrent elles-mêmes. Les chambres de commerce et d'industrie, ou encore d'artisanat, assurent, elles aussi, des missions de service public, notamment en matière de formation professionnelle et de contrôle économique.

L'application uniforme des lois est assurée par les juridictions, dont la hiérarchie est dominée par la Cour constitutionnelle. Leur jurisprudence est particulièrement importante dans le domaine des médias.

Les plans locaux d'urbanisme, les cadastres et, en général, le droit foncier sont du ressort des communes. Elles peuvent, lorsqu'elles se voient chargées de missions incombant normalement au Land, demander à en être relevées par l'intermédiaire du district.

Si le Bade-Wurtemberg abrite les groupes Daimler, Mercedes-Benz, Porsche, Bosch ou Hugo Boss, ils ne représentent que 2 % de notre économie. Le reste repose sur les PME qui se gèrent elles-mêmes.

La coopération transfrontalière devrait autoriser des collectivités territoriales des deux pays à se réunir en districts administratifs auxquels elles délégueraient des missions. La langue n'est pas nécessairement un obstacle : notre coopération avec la Suisse allemande n'est pas plus facile qu'avec la France.

M. Philippe Bas, président. - Merci pour vos réponses, monsieur le ministre. Les Français ont parfois une réputation d'arrogance, mais nous sommes aussi capables d'admettre humblement que nous sommes moins bien organisés que nos voisins. Nos échanges auront fait apparaître nos préoccupations communes, tout en facilitant l'acceptation de nos différences. Je laisse à Jean Bizet, orfèvre en matière de relations franco-allemandes, le soin de conclure notre séance.

M. Jean Bizet, président. - Vous nous avez apporté, monsieur le ministre, des pistes de réflexion nouvelles pour le moment où nous nous pencherons sur les compétences de nos collectivités. Dans les régions transfrontalières comme la Sarre, l'esprit européen a bien plus d'influence qu'ailleurs. Le droit à l'expérimentation avait jadis été évoqué dans certaines régions, l'exemple allemand nous incite à l'essayer à nouveau.

La formation en alternance est un enjeu fondamental qui mérite que l'on aille au-delà de la coopération transfrontalière. La sélection des élèves français par concours lui apporterait un prestige supplémentaire.

La péréquation financière est également au coeur de nos réflexions, de même que la mise à plat de la fiscalité locale. Voilà plus de vingt ans que je la défends : la mutualisation entre nos structures va dans le sens de l'histoire.

Vous avez parlé du numérique : c'est un point sur lequel nous pourrions avancer de concert. Le rapport de nos collègues Gaëtan Gorce et de Catherine Morin-Desailly sur la gouvernance européenne de l'internet a fait apparaître notre communauté de vision sur l'enjeu de l'open data. Nous ne pourrons la mettre en oeuvre qu'ensemble.

J'ai noté avec intérêt que vous aviez décentralisé la consommation des fonds structurels. Nous devrions peut-être nous en inspirer : la Basse-Normandie a manqué récemment d'obtenir 4 millions d'euros du cadre financier pluriannuel.

Vous nous donnez, dans l'ensemble, l'impression d'un grand pragmatisme : lorsqu'un Land ne peut assurer la mise en oeuvre de telle ou telle opération, vous n'hésitez pas à la déléguer. Nous aurons donc toujours intérêt à observer ce qui se passe de l'autre côté de ce qui ne doit plus être une frontière, dans le cadre de l'Europe élargie. Essayons de nous enrichir de nos différences.

La réunion est levée à 18 h 20

Mercredi 26 novembre 2014

- Présidence de Catherine Troendlé, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures

Loi de finances pour 2015 - Programme « Développement des entreprises et du tourisme » - Examen du rapport pour avis

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède enfin à l'examen du rapport pour avis de M. André Reichardt sur le projet de loi de finances pour 2015 (programme « Développement des entreprises et du tourisme »).

M. André Reichardt, rapporteur pour avis. - Je souhaite d'abord rendre hommage à notre collègue Antoine Lefèvre, qui a été le premier titulaire de cet avis budgétaire en 2011, puisque notre commission n'examinait pas ce programme auparavant. Il a particulièrement approfondi la question de l'exercice des missions de protection des consommateurs par les services déconcentrés et les motifs du faible succès du régime de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

Le programme n° 134 « Développement des entreprises » recouvre une partie des crédits de la direction générale des entreprises, ainsi que l'intégralité des crédits de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et de l'Autorité de la concurrence. Il recouvre aussi une partie des crédits de la direction générale du Trésor, ainsi que les crédits de deux autorités de régulation sectorielles.

Dans ce programme, cinq actions intéressent plus particulièrement notre commission au titre de ses compétences en droit des affaires et droit de la consommation, ainsi que deux opérateurs associés à la mission, l'Institut national de la propriété industrielle et l'Agence pour la création d'entreprises.

Quelques mots d'abord sur l'évolution du programme et de ses crédits. Ce programme est l'un des trois programmes pérennes de la mission « Économie ».

Dans le projet de loi de finances pour 2015, les crédits diminuent de 10 % environ, tant en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement, par rapport à la loi de finances initiale pour 2014, avec respectivement 867 et 874 millions d'euros. Cette diminution s'impute pour moitié sur les crédits de fonctionnement, pour moitié sur les crédits d'intervention, tandis que les dépenses de personnel ne devraient diminuer que de moins de 3 millions, sur un total de plus de 410 millions. Ces évolutions résultent à la fois de changements significatifs de périmètre et de réductions de certaines dépenses de fonctionnement et d'intervention, ce qui rend difficile l'appréciation de l'évolution des crédits.

Je relève deux changements de périmètre importants : le transfert vers le ministère des affaires étrangères d'une subvention de 30 millions d'euros à Atout France, en raison de la nouvelle compétence de ce ministère en matière de tourisme, qui s'intègre dans la diplomatie économique chère au ministre, ainsi que le transfert du fonds de soutien aux collectivités ayant souscrit des emprunts toxiques, ce qui correspondait à une préconisation de notre collègue Antoine Lefèvre, car ceci n'avait rien à voir avec le développement des entreprises.

Il faut noter en particulier une réduction de 20 millions d'euros des crédits d'intervention sur les dispositifs d'aide aux entreprises en matière de commerce, ainsi qu'une diminution de 500 000 euros des crédits de l'Autorité de la concurrence, sur un total un peu supérieur à 20 millions. S'agissant des crédits de la DGCCRF, ils devraient connaître une progression de 2 % environ, pour atteindre un peu plus de 240 millions d'euros, constitués pour la grande majorité de dépenses de personnel. C'est une deuxième année de répit bienvenue pour une administration jusque-là fortement mise à contribution par l'effort budgétaire.

Pour conclure sur cette analyse des crédits, l'Assemblée nationale a majoré les crédits du programme de 8 millions d'euros, pour abonder le FISAC - on en a parlé en séance -, et en seconde délibération, le programme a connu un coup de rabot de 7,7 millions d'euros, comme beaucoup d'autres, pour « garantir le respect de la norme de dépense en valeur de l'État ».

J'en viens à présent à mes observations sur l'activité et les perspectives des différentes administrations et organismes qui contribuent à la mise en oeuvre du programme.

La direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services a été réorganisée en octobre 2014, à périmètre constant, en direction générale des entreprises. C'est la principale direction d'administration centrale tournée vers les entreprises, qui pilote une partie des DIRECCTE au niveau régional. La contraction continue de ses crédits la conduit aujourd'hui à faire des choix structurels sur ses missions, par exemple la réforme du FISAC pour passer d'une logique de guichet à une logique d'appel à projet ou encore la réduction du soutien au fonctionnement des pôles de compétitivité, invitant les régions à les soutenir davantage.

La DGE contribue aussi à la politique de simplification de la vie des entreprises. Je veux citer un exemple précis : le portail internet « guichet entreprises ». Tout créateur peut réaliser en ligne l'ensemble des formalités de création de son entreprise, ainsi que les procédures supplémentaires spécifiques qui concernent 17 professions sur 105. L'ensemble de ces formalités supplémentaires doivent être prises en charge dans les prochains mois, de sorte que le guichet n'est pas aujourd'hui complètement fonctionnel. Seulement 7 600 entreprises ont été créées par ce moyen en 2013, après 11 500 en 2012.

Lors des dernières années, l'activité de la DGCCRF a été profondément affectée par deux facteurs : une forte mise à contribution budgétaire, avec une diminution de 10 % des effectifs en sept ans - on est un peu en dessous de 3000 emplois aujourd'hui - et une réorganisation drastique des services déconcentrés qui a coupé l'administration centrale de ses agents dans ses anciens services départementaux, rattachés au préfet dans le cadre des directions départementales interministérielles, les DDPP et DDCSPP. Ce sujet reste très sensible pour les agents, c'est un traumatisme qui n'est pas encore digéré. Le résultat, c'est une baisse continue des statistiques d'activité, qui se poursuit en 2014 malgré la stabilisation des effectifs. On m'a dit, ce qui est un peu étonnant, que les agents souffraient d'un défaut d'encadrement qui pénalisait leur activité. Cette diminution, de notoriété publique, n'est pas satisfaisante.

Dans ce contexte, il a y eu une nécessité de réagir au scandale de la viande de cheval, qui a été une fraude économique et non un problème sanitaire. On pourrait dire que, grâce à ce scandale, la DGCCRF a pu interrompre la baisse de ses effectifs : 15 postes créés en 2014 sur cette priorité et un effectif stable prévu pour 2015. La situation reste fragile, d'autant que la DGCCRF doit aussi contrôler les nouvelles dispositions issues de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation.

Le président de l'Autorité de la concurrence m'a fait part de sa grande préoccupation quant à l'érosion régulière de ses crédits et de ses effectifs, alors que les missions de l'Autorité s'accroissent et génèrent des ressources importantes pour le budget de l'État, avec 350 millions d'euros d'amende en moyenne par an, à rapporter à son budget de 20 millions.

M. Pierre-Yves Collombat. - C'est un bon retour sur investissement !

M. André Reichardt, rapporteur pour avis. - Il faut aussi savoir que l'extension de ses prérogatives outre-mer en 2012 s'est faite sans effectifs supplémentaires. Victime de son succès, l'Autorité est de plus en plus souvent sollicitée par le Gouvernement pour son expertise, comme sur les concessions autoroutières.

Les nouvelles missions annoncées pour l'Autorité dans le cadre du projet de loi relatif à la croissance vont accentuer cette fragilité budgétaire, alors qu'elles sont assez éloignées de son coeur de métier. Songeons qu'on pourrait lui confier le contrôle de l'installation et l'indemnisation des notaires... Il y a un vrai risque d'effet de ciseau ne lui permettant plus d'accomplir correctement des missions croissantes avec des moyens décroissants, au détriment de sa mission première de contrôle de la concurrence.

L'Institut national de la propriété industrielle est un établissement public de 750 personnes, qui vit de ses ressources propres que sont les redevances payées au titre de l'enregistrement des brevets, des marques, des dessins et modèles. La protection de l'innovation est un élément essentiel de la compétitivité des entreprises.

L'INPI devra bientôt gérer deux innovations récentes : l'enregistrement d'indications géographiques non alimentaires, pour protéger les savoir-faire industriels et artisanaux locaux, car les entreprises artisanales méritent d'être protégées, et le droit d'opposition sur les demandes de protection de marques dans le domaine des indications géographiques agricoles. Cela concerne les collectivités territoriales, lorsqu'une entreprise veut s'emparer de leur nom.

M. Pierre-Yves Collombat. - Laguiole...

M. André Reichardt, rapporteur pour avis. - La dématérialisation de l'ensemble des procédures auprès de l'INPI doit être achevée en mars 2015, ce qui devrait permettre de réorienter une partie des emplois vers des missions d'amélioration du service aux entreprises, notamment plus de visites d'entreprise, comme le prévoit le contrat d'objectif avec l'État.

L'Agence pour la création d'entreprises a pour mission de promouvoir l'esprit d'entreprise et de diffuser de l'information sur la création d'entreprise, par l'intermédiaire notamment d'un site internet, qui atteint 10 millions de visiteurs cumulés par an. L'APCE a perdu en 2014 son statut d'opérateur de l'État, en raison de la décision prise de supprimer progressivement la subvention qui lui est attribuée, à la suite d'un rapport de la Cour des comptes en 2013 qui était assez vitriolesque... Une réorganisation a donc été engagée, avec un nouveau président et un plan de départ de près du quart des salariés.

La question de la pérennité de la structure s'est posée. À présent, il faut diversifier les ressources et rechercher d'autres partenaires : là encore, nous retrouvons les régions ! Le président de l'APCE n'a pas pu venir en audition car il faisait le tour des régions... L'État reste néanmoins au conseil d'administration, et les autres partenaires - réseaux consulaires, Caisse des dépôts, ordre des experts-comptables et conseil national des barreaux - souhaitent la pérennité de cette structure. Je trouve que beaucoup de personnes s'occupent de la création d'entreprises, l'APCE n'en est qu'une parmi d'autres, mais son expertise semble reconnue. Il faut toutefois qu'elle trouve un nouveau modèle économique.

Sous réserve de ces observations, qui appellent de notre part une certaine vigilance sur les points dont je vous ai parlé, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises ». Je rappelle que la commission des finances a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie », au sein de laquelle se trouve ce programme.

M. Philippe Bas, président. - La qualité de votre rapport montre que le manque de temps ne vous a pas empêché de procéder à un examen approfondi, rien ne vous a échappé. Nous suivons l'avis de notre rapporteur.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises et du tourisme ».

Loi de finances pour 2015 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport pour avis

Puis la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Pierre-Yves Collombat sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Administration générale et territoriale de l'État »).

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis. - La mission « Administration générale et territoriale de l'État » comprend trois programmes d'inégale importance.

- le programme 232, « Vie politique, cultuelle et associative » pour lequel je me limiterai à préciser que ses crédits sont affectés aux actions de « financement des partis » (58,3 M€) en baisse de 10% par rapport au précédent budget ; de financement des élections (236,4M€), en hausse compte tenu des échéances de mars et de décembre 2015 ; de financement de la vie associative et des cultes (quelque 2 millions d'euros). Au total 302,3 millions d'euros.

- le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », dont les crédits représentent 719 millions d'euros, et sont affectés aux fonctions support du ministère de l'intérieur (ressources humaines et moyens informatiques, affaires immobilières notamment) et à la gestion des affaires juridiques et contentieuses.

- le programme 307, « Administration territoriale », 1,718 millions d'euros en autorisation d'engagement et 1,717 millions d'euros en crédits de paiement sur lequel je m'arrêterai plus longuement.

Ces chiffres représentent une baisse de 0,5 % en autorisations d'engagement et de 0,4 % en crédits de paiements par rapport à 2014 soit 3,8 millions d'euros de moins en crédits de fonctionnement et une perte de 180 ETP.

Si l'on passe de la considération brute de chiffres à leur mise en perspective, force est de constater que depuis 2008, changements de majorité ou pas, l'administration territoriale de l'État vit sous le signe de la réforme permanente. Sous des noms différents, « RéATE » pour le gouvernement précédent, « MAP» pour le gouvernement actuel, l'objectif est le même : réorganiser, mutualiser, réduire les effectifs. Pour ce qui les concerne, en 8 ans, les services préfectoraux ont perdu 10 % de leurs effectifs, passant de 30 228 EPTP en 2007 à 27 143 prévus pour 2015.

Les objectifs de cette politique sont doublement ambigus selon moi :

- première ambigüité : optimiser l'affectation des crédits disponibles, améliorer l'efficacité du service public, souci de tout gestionnaire qui se respecte et, en même temps donner la priorité à la réduction des dépenses publiques, ce qui renvoie à un choix politique particulier : bien dépenser versus moins dépenser ;

- deuxième ambigüité : améliorer l'efficacité de l'État gestionnaire de services à la population et assurer la présence, de l'État républicain, des symboles et marques d'une République « une et indivisible » sur l'ensemble du territoire : « manager » versus gouverner. Ce qui pose la question d'une éventuelle redistribution des sous-préfets sur l'ensemble du territoire et de ses conséquences en termes politiques, la question aussi de l'éventuel remplacement du corps des préfets par un cadre d'emploi fonctionnel, ce que souhaite la cour des comptes.

Je vous renvoie au rapport pour plus de détails à moins que vos questions ne m'amènent à développer l'un ou l'autre sujet.

Ces objectifs contradictoires, la rhétorique officielle les présente un peu vite comme toujours conciliables, pourvu qu'on stimule le sens du service public et l'imagination des fonctionnaires, ce que les faits ne vérifient pas. Ainsi, malgré l'évidente bonne volonté des personnels, malgré leur capacité à s'adapter et à innover, le principe selon lequel réduire les crédits c'est mieux les employer, moins de fonctionnaires c'est plus d'efficacité du service public, atteint aujourd'hui ses limites. D'où la suspicion que ne peut pas ne pas susciter chaque réforme nouvelle. Ainsi en va-t-il de la récente création des « maisons de l'État ». Mesure de réorganisation de la localisation des services et regroupement des moyens, de bon sens, comme on a pu le constater lors d'un déplacement à Castellane, elle nourrit aussi la crainte de préparer discrètement la disparition des sous-préfets en secteur rural, remplacés par des chefs de bureau moins coûteux.

Force est aussi de constater que l'amélioration de la gestion des services au public dont le Gouvernement peut, à juste titre se prévaloir, par exemple la réduction de la durée d'obtention de titres, est parfois obtenue au prix de la mobilisation des moyens sur cet objectif au détriment d'autres. Les indicateurs de performance les ignorent, tel le conseil aux élus, ou sont formulés en termes tels qu'ils ne permettent aucun contrôle réel. Que signifie un taux de contrôle des actes dits prioritaires des collectivités en l'absence d'une définition stricte de la frontière entre ces actes prioritaires et les autres.

De réforme en réforme, réalisée ou annoncée, comme celle de la carte des sous-préfectures, de réduction des effectifs en redéploiements, les agents des services déconcentrés, qui se sont adaptés comme ils ont pu, touchent le seuil de saturation. Leur constat est celui de l'inadéquation grandissante entre les moyens alloués à l'administration territoriale au regard de ses missions, nombreuses et diverses puisqu'elles vont de l'appui aux collectivités locales et du conseil aux élus, au contrôle de légalité, en passant par la délivrance des titres ou la coordination des services déconcentrés de l'État sur un territoire. D'une manière générale, ceux qui gèrent au quotidien l'administration déconcentrée souhaiteraient avoir une vision claire de l'avenir, pouvoir s'appuyer sur le cadre pérenne leur permettant de gérer leurs moyens et leurs missions au moins sur le moyen terme.

Or cette instabilité a vocation à perdurer voire à s'amplifier, avec le lancement dès 2015 d'une nouvelle réforme de l'État, prévoyant notamment le transfert de nouvelles missions vers les administrations déconcentrées.

Côté élus cette fois, on peine aussi à voir le lien entre la réorganisation territoriale version « Mapam » puis « NOTRe » et les réformes successives de l'administration déconcentrée alors qu'une bonne articulation entre les deux est essentielle à la réussite de chacune, plus essentielle, en tous cas, que la taille des collectivités. L'impression qui domine est celle de réformes parallèles conduites selon leurs logiques propres, quand ce ne sont pas des logiques changeantes comme on a pu le constater s'agissant de la réforme territoriale. Que les parallèles soient appelées à se rejoindre à l'infini n'est pas spécialement rassurant.

Si je n'étais pas rapporteur je donnerai un avis négatif sur les propositions budgétaires relatives au programme 307. Etant rapporteur et pour une fois prudent, je m'en remets à la sagesse de notre commission.

M. Philippe Bas, président. - . - Cher collègue, nous devons donner un avis.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis. - Alors il est défavorable.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je voudrais remercier Pierre-Yves Collombat pour son rapport, comme toujours extrêmement lucide, qui ne sombre jamais dans l'exhaustivité mais qui fait preuve de la rigueur intellectuelle que nous lui connaissons. Certains prétendent que l'administration de l'État doit disparaître au profit des collectivités territoriales, mais je ne suis pas de cet avis.

Nous avons besoin d'un État substantiel, pas d'un État fédéral. La décentralisation doit être prolongée par un État ayant toute sa force. Des réformes sont certes nécessaires, visant par exemple à regrouper des services trop petits, mais pour la gestion des missions de l'État, on ne doit pas se contenter d'un État minimaliste. Parmi les missions fondamentales de l'État, je pense en particulier à la solidarité : l'addition de mesures prises par chaque collectivité territoriale ne permet pas forcément de réaliser le bien commun ni d'assurer une juste répartition des ressources sur le territoire.

M. Jean-Jacques Hyest. - J'estime que l'administration territoriale a atteint un seuil de danger. L'État n'est plus du tout présent dans les départements. Parler de contrôle de légalité « prioritaire » revient en fait à renoncer à ce contrôle. La fonction de conseil n'existe plus car il faut des gens qualifiés et des compétences pour conseiller les collectivités territoriales. Au contraire, on assiste à des absurdités.

Je remarque que l'administration déconcentrée de l'État n'est forte que de 30 000 personnes ; c'est en administration centrale qu'il faudrait effectuer des ajustements. L'État s'en trouverait plus fort. En outre, on gagnerait du temps : on règlementerait moins.

Sans le dire, on veut supprimer les sous-préfets : c'est le but poursuivi, lorsqu'on remplace les sous-préfets par des attachés principaux. Les préfets sont, quant à eux, placés sous l'autorité hiérarchique de certains directeurs régionaux. Avec de grandes régions, cette tendance s'aggravera encore. Comme l'a dit Pierre-Yves Collombat, beaucoup de réformes sont menées de front, totalement injustes parfois, car politiciennes ; ainsi, certaines sous-préfectures, déjà en sous-effectifs, ont encore perdu des fonctionnaires, alors que des préfectures ont vu leurs effectifs augmenter sans justification. Nos brillants énarques finiront par ne plus choisir le corps préfectoral.

M. Christophe Béchu. - Je serai bref. Le débat actuel est difficile car on ne connaît pas les objectifs du Gouvernement. On a le sentiment qu'il refuse d'endosser l'idée qu'il diminue les moyens, alors même qu'il y a des difficultés sur le terrain. En conséquence, il rabote les dépenses dans les endroits les moins sensibles : ce n'est pas du tout une manière de réformer. C'est ce qui me dérange. Dans le passé, nous avions un système aveugle visant à supprimer un poste sur deux. Aujourd'hui, le système est en outre opaque.

M. François Grosdidier. - Je partage ce qu'ont dit mes collègues. Je souhaiterais revenir sur l'expérimentation menée dans les deux départements d'Alsace et dans la Moselle visant à réorganiser le réseau de sous-préfectures. Les sous-préfets ont été remplacés par des fonctionnaires de catégorie A, voire B, dans l'incapacité d'être les interlocuteurs des acteurs des territoires, en particulier des maires, qui ont pourtant besoin de conseil. En conséquence, on assiste à une explosion du contentieux. J'ajoute que beaucoup de recours sont le fait de requérants systématiques ou d'opposants politiques qui utilisent des voies procédurales plutôt que politiques.

Dans l'exercice de missions relatives à l'ordre public, à la gestion des catastrophes ou au passage des gens du voyage, les collectivités ont besoin d'un représentant de l'État régalien, pas uniquement d'un officier de gendarmerie. On ne peut donc avaliser l'évolution actuelle. Autant il est possible de s'appuyer sur des agences techniques départementales et même sur des agences privées pour la réalisation de prestations techniques, autant l'État est irremplaçable dans l'exercice de ses missions régaliennes.

Aujourd'hui, on assiste à un renforcement des services techniques départementaux qui supplantent l'État régalien, alors que c'est ce dernier qui représente l'intérêt général et la coordination interministérielle. Il faut enrayer cette évolution !

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis. - Dans la suite de la table ronde d'hier avec des personnalités allemandes, je voudrais souligner qu'un système ne peut évoluer que selon sa logique. La France n'est pas un État fédéral mais une République, une et indivisible. C'est dans cette logique-là qu'il faut se situer, et non pas importer des méthodes alternatives. Comme l'a dit Jean-Pierre Sueur, il faut la présence de l'État sur les territoires, en tant qu'État.

Il faut également dire qu'une réforme doit être digérée avant d'en lancer une autre. Lors de notre déplacement, on a constaté par exemple que le personnel des sous-préfectures a le souci de bien accomplir ses missions. Cela gêne les agents de dire que cela ne va pas ; il faut vraiment insister pour qu'ils l'admettent. Ils ont l'impression de voir le métier se dévaluer avec l'irruption de tâches répétitives au détriment de leur fonction de conseil aux collectivités qui est une mission motivante. On retrouve cela à l'échelle des sous-préfets et des préfets. Transformer les préfets en directeurs généraux des services de l'État, tout en oubliant qu'ils représentent l'État, c'est confondre gouverner et « manager ».

M. Philippe Bas, président. - Il existe un syndrome dans l'administration préfectorale : les préfets deviennent les porte-paroles de leurs services techniques, lesquels n'ayant plus le temps d'interpréter les règles et de consacrer l'expertise nécessaire à l'étude des projets développés par les initiatives locales, s'y opposent alors.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Loi de finances pour 2015 - Mission « Immigration, asile et intégration », crédits « Immigration » - Examen du rapport pour avis

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. François-Noël Buffet sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Immigration, asile et intégration », crédits « Immigration »).

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. - Je souhaiterais principalement évoquer deux points à l'occasion de l'examen du budget « Immigration » hors « Asile » : la gestion des centres de rétention administrative et la politique d'accueil et d'intégration des étrangers en situation régulière. Je ne traiterai pas des crédits de l'asile : en effet, ma collègue Esther Benbassa les a présentés hier.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, les crédits examinés se montent à 146,2 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 156,4 en crédits de paiement (CP). On constate une baisse de 2,5 millions d'euros en AE et de 3,9 millions d'euros en CP.

Comme en 2014, ce sont les mêmes principes qui ont guidé l'élaboration du budget pour l'année 2015 : une légère augmentation des crédits de l'asile compensée par une diminution des crédits dédiés à l'immigration et à l'intégration des étrangers primo-arrivants.

Toutefois, pour 2015, les crédits dédiés à l'immigration irrégulière feront l'objet d'une stabilisation alors qu'ils ont diminués de 10 % en 2014 par rapport à 2013, ce qui est une bonne chose.

La gestion des centres de rétention administrative (CRA) doit être encore rationalisée. Décidée en 2011, la reconstruction du CRA de Mayotte a notamment pris beaucoup de retard : l'échéance est désormais fixée au 4 juin 2015. Le CRA de Coquelles va faire l'objet d'une extension : nous en verrons les résultats l'an prochain.

La sous-occupation des CRA se maintient : le taux d'occupation était de 48 % en 2013, il est de 54,7 % au premier semestre 2014. Cela reste relativement faible.

Les salles d'audience délocalisées n'ont permis que des économies modestes : pour les 23 CRA et les 16 zones d'attente, il n'existe que 6 salles d'audience dont 3 sont en réalité utilisées : Coquelles, Marseille et Le Mesnil-Amelot.

Le deuxième point que je souhaite aborder a trait à l'accueil et à l'insertion des étrangers en situation régulière.

Tout d'abord, un état des lieux de l'immigration régulière : les tendances constatées depuis plusieurs années sont confirmées : le Maghreb et la Chine sont encore les principaux pays sources avec une montée en puissance plus récente de la Corée du Sud, du Sri Lanka et du Mali. Le Sénégal est le premier pays africain source, en huitième position, derrière le Brésil. L'immigration en provenance des États-Unis diminue fortement confirmant une tendance de 2011. L'immigration économique est significative en provenance des États-Unis, du Maroc, de Tunisie et d'Inde. L'immigration familiale demeure prédominante en provenance des trois pays du Maghreb. Les étudiants étrangers les plus nombreux sont originaires de Chine et du Maroc. On assiste enfin à une forte augmentation de l'immigration des Comoriens.

Globalement, le nombre de titres de séjour délivrés a augmenté de 13 %.

Le prochain projet de loi relatif au droit des étrangers déposé à l'Assemblée nationale prend en compte le caractère perfectible de la délivrance de titres de séjour puisque l'article 11 du texte institue un titre de séjour pluriannuel de quatre ans, l'étranger devant suivre « avec assiduité et sérieux » les objectifs du contrat d'accueil et d'intégration pour en bénéficier. Ce sera un point important du prochain texte.

Pour les demandes de naturalisation, les plateformes interdépartementales vont être expérimentées dans trois régions pour l'année 2014 : en Lorraine, en Franche-Comté et en Picardie.

Je souhaiterais revenir sur les conditions d'accueil et d'intégration, pour souligner le faible niveau d'exigence de langue en France. Je rappelle qu'il y a six niveaux de langue dans le cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), élaboré dans le cadre du Conseil de l'Europe : A1 équivaut à un niveau de découverte, A2 permet une communication simple, B1 correspond à une communication plus élaborée, permettant notamment d'exprimer ses idées, B2 correspond au niveau d'un utilisateur indépendant ou avancé, C1 à celui d'un utilisateur autonome et C2 à un niveau de langue parfaitement maitrisé. Or le niveau actuellement exigé est A1.1, un seuil qui n'est même pas défini mais qui est inférieur au niveau A1, déjà très faible.

À propos de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), le Gouvernement veut lui donner des missions supplémentaires. À ce titre, je rappelle que le dispositif d'aide au retour a fait l'objet d'une forte baisse en 2014.

En outre, l'OFII assumera d'importantes missions en matière d'asile qui vont augmenter ses charges de personnels et ses dépenses. Or, ses crédits sont réduits pour l'année 2015, ce qui pose une question sur sa capacité à remplir ses missions. Sous ces réserves, je vous propose un avis favorable.

M. Jean-Yves Leconte. - J'aurai une remarque concernant l'externalisation du recueil des données biométriques pour l'élaboration des visas. Je ne comprends pas pourquoi il appartient à l'État de financer les équipements mis à disposition des prestataires extérieurs. La plupart de nos partenaires européens ont fait le choix de faire payer ces équipements aux prestataires. J'attire votre attention sur le coût que cela représente - 5 millions d'euros, ce n'est pas négligeable -, mais aussi, et surtout, sur les conséquences que cela entraîne en termes d'attractivité de la France. Il résulte en effet de ce choix que nous limitons le déploiement de la délivrance des visas dans certains pays, ce qui a pour effet un déficit d'attractivité de notre pays.

S'agissant des centres de rétention administrative, je m'interroge sur l'indicateur relatif à leur taux d'occupation, qui est assez faible. Il me semble que ce qui importe, ce n'est pas tant ce taux d'occupation, mais le fait que les personnes qui y sont placées sont effectivement éloignables et que l'on n'y place pas de manière abusive des personnes dont la situation est peu claire.

Enfin, les documents budgétaires ne font pas apparaître le nombre de reconduites à la frontière de ressortissants communautaires, ce qui est dommage car cela est cher pour un résultat mitigé.

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. - Pour répondre sur l'équipement de recueil des données biométriques, je suppose qu'il faut y voir la volonté de l'État de maîtriser le dispositif, qu'il s'agit d'une question de sécurité. Mais on peut interroger le Gouvernement plus avant sur ce point.

Quant au taux d'occupation des centres de rétention, qui est faible, vous l'avez rappelé, il me semble intéressant dans la mesure où il peut nous aider à envisager les redimensionnements nécessaires. Ainsi, à Nîmes, on a pu constater une sous-occupation, ce qui a conduit à une réduction de 50 % des capacités d'accueil du centre. Il ne faut pas rechercher de trop grandes, ou au contraire de trop petites structures. Il faut avoir une approche pragmatique et chercher à adapter la taille des centres aux véritables besoins.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « immigration, asile et intégration », hors crédits « asile ».

Loi de finances pour 2015 - Mission « Sécurités » - Examen du rapport pour avis

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-Patrick Courtois sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Sécurités »).

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis. - Je voudrais tout d'abord saluer le travail important effectué par mon prédécesseur, notre collègue Éliane Assassi, qui rapportait auparavant les crédits de la mission « Sécurités », hors sécurité civile. Je voudrais également rendre hommage aux forces de l'ordre dont certains des agents ont fait le sacrifice de leur vie pour assurer les missions qui leur étaient dévolues.

Le présent rapport pour avis est consacré à trois des quatre programmes que compte la mission « Sécurités » : les programmes 176 « Police nationale », 152 « Gendarmerie nationale » et 207 « Sécurité et éducation routières ». Le programme 161 « Sécurité civile » fait l'objet d'un rapport spécifique de notre collègue Catherine Troendlé.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, les crédits examinés se montent à 17,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement sur un total de 18,2 milliards d'euros pour la mission, soit une stabilisation des crédits en euros courants par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour l'année 2014.

Je souhaiterais évoquer tout d'abord les difficultés liées aux moyens de fonctionnement des deux forces de police et de la gendarmerie nationales en ce qui concerne surtout le parc immobilier et le parc de véhicules.

Je présenterai ensuite les récentes opérations de mutualisation de moyens opérées entre les services de la police et de la gendarmerie, dans la continuité de ce qui a déjà été fait depuis le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur. Je me suis également rendu à l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, chargé notamment de lutter contre les infractions commises sur Internet. Le rôle de l'office est vraisemblablement appelé à monter en puissance dans les prochaines années, au regard de l'émergence de nouvelles menaces sur Internet, notamment terroristes.

Enfin, ce rapport est l'occasion de faire un bilan des zones de sécurité prioritaires (ZSP) et de présenter un bilan de la lutte contre les organisations criminelles en 2013.

Les difficultés liées aux moyens de fonctionnement de la gendarmerie et de la police nationales se concentrent sur deux sujets : le parc immobilier et le parc de véhicules.

Dans les deux forces, le parc immobilier est conséquent et soumis à un vieillissement accéléré du fait d'investissements et de crédits pour la maintenance insuffisants. Toutefois, pour la gendarmerie nationale, j'observe qu'un plan triennal de réhabilitation et d'investissement a été lancé à compter de cette année pour un montant total de 210 millions d'euros, soit environ 70 millions d'euros par an. Il convient de souligner que c'est un effort important.

Pour le parc automobile, les deux forces sont contraintes d'acheter environ 2000 véhicules par an pour le renouveler. Or, c'est moins le montant des crédits tout juste suffisants qui pose difficulté que les mesures de régulation budgétaire : en effet, gelés très tôt dans l'année, les crédits ne sont à nouveau disponibles qu'en fin d'année, ce qui déresponsabilise les acteurs et nuit à une bonne gestion : les achats doivent être lancés en urgence, ne laissant aucune marge de manoeuvre ou de négociation aux gestionnaires. Ainsi, il n'y a que quelques semaines que les appels d'offre ont pu être lancés pour l'achat de véhicules.

Face à ces contraintes sur les moyens de fonctionnement, il est nécessaire de réfléchir à d'autres sources de financement. En matière immobilière, le dispositif de l'article L. 1311-4-1 du code général des collectivités territoriales qui permettait aux collectivités territoriales de passer des conventions avec l'État, en échange d'une subvention et d'une compensation des dépenses éligibles au fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée pour construire des casernes de gendarmerie ou des commissariats n'est plus autorisé depuis le 31 décembre 2013. Toutefois, j'observe que ce même article a fait l'objet d'une modification à l'Assemblée nationale : l'article 59 septies prolonge en effet l'application de ce dispositif jusqu'en 2017, ce dont je me félicite. J'espère que cette disposition sera votée par le Sénat.

Pour les moyens de fonctionnement en général, j'observe que l'idée d'attribuer aux services une fraction du produit des avoirs criminels saisis a été évoquée par le ministre de l'intérieur, lors de son audition par la commission la semaine passée. Cela me semble être une bonne idée, qui s'inscrit dans la suite logique de la loi d'orientation de programmation pour la sécurité intérieure 2 qui avait permis aux forces de l'ordre d'utiliser les véhicules saisis.

Je souhaiterais maintenant évoquer la question des mutualisations entre les forces, plusieurs projets d'envergure ayant débuté en 2014.

En effet, ont été créés des secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur, dont la fonction est de mutualiser toutes les fonctions « support » de la police, de la gendarmerie, de la sécurité civile et, dans une certaine mesure, des préfectures, au niveau de la zone de défense. Il y aura donc sept secrétariats, après la création en 2016 d'un secrétariat général pour l'Ile de France.

Cette structure aura aussi une fonction prospective, suggérant les domaines pouvant être mutualisés.

Dans le même ordre d'idée, un service unique en charge des achats, de l'équipement et de la logistique est opérationnel depuis le 1er janvier 2014 afin de mutualiser les achats des trois directions générales de la gendarmerie nationale, de la police nationale et de la sécurité civile et de la gestion des crises. Ce service sera en lien étroit avec le secrétariat général pour l'administration du ministère de l'intérieur de chaque zone.

Je souhaiterais enfin revenir plus longuement sur l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication que j'ai pu visiter dans le cadre de cet avis.

C'est un service interministériel, créé en 2000, composé de policiers et de gendarmes, placé depuis l'arrêté du 29 avril 2014 au sein de la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité créée à cette occasion, dont la mission est de prendre en compte les nouvelles formes de délinquances commises sur Internet. Cette sous-direction dépend de la direction centrale de la police judiciaire.

C'est un service opérationnel qui a pour objet de lutter directement contre la cybercriminalité, mais il peut procéder à tout acte d'enquête nécessaire comme par exemple accéder à des données chiffrées ou cachées sur un support informatique saisi. Enfin, l'office est le point d'entrée unique de la France vers les structures internationales sur les questions de cybercriminalité : Europol ou Interpol, par exemple.

Parmi ses missions, l'office administre et gère la plate-forme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS) que j'ai pu voir fonctionner. PHAROS a reçu près de 120 000 signalements en 2013, dont 60 % relèvent d'escroqueries, 12 % d'atteintes aux mineurs et 10 % de discriminations ou racisme.

J'ajouterai que l'office est appelé à monter en puissance : les attaques informatiques ont augmenté de près de 91 % en 2013 par rapport à 2014. Les PME sont notamment les premières cibles des pirates, car leurs systèmes de défenses sont faibles ; les PME constituent ensuite un vecteur pour pirater des sociétés plus importantes.

En dernier lieu, le rapport présente un bilan du fonctionnement des zones de sécurité prioritaires ; celui-ci est satisfaisant, je vous renvoie aux chiffres détaillés du rapport. Je souhaiterais simplement dire que le principe d'une action sur un type particulier de délinquance, une sorte d'action « coup de poing » mais dans la durée, articulée avec les dispositifs locaux de prévention de la délinquance est particulièrement efficace.

Enfin, lors de son audition, le chef du Service d'information de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisé a présenté les trois grandes tendances relatives à la délinquance organisée en France : la délinquance organisée traditionnelle, constituée de délinquants endurcis se livrant aux attaques de banques, de fourgons blindés, au trafic international de stupéfiants, à l'extorsion de fonds, opérant dans les grandes villes diminue. On observe une très forte montée en puissance de la délinquance au sein des cités sensibles structurée autour du trafic de stupéfiants, et l'implantation progressive d'organisations criminelles principalement originaires de l'Europe de l'Est, spécialisées dans la délinquance d'appropriation.

En conclusion, le budget pour la mission « Sécurités » pour 2015, stabilisé en euros courants, redonne quelques marges de manoeuvre pour financer les moyens de fonctionnement des forces et pour améliorer l'état du parc immobilier des deux forces, notamment le parc immobilier de la gendarmerie, même s'il apparaît encore insuffisant pour permettre un fonctionnement optimal des forces de l'ordre. Je souhaite souligner ici que cette situation pèse sur le moral des forces.

J'ai beaucoup hésité sur l'avis à donner sur le budget de la mission « Sécurité » hors sécurité civile pour 2015. Tout en étant favorable au vote de ces crédits, je crains les mesures de gel des crédits, qui auront un effet direct sur les dépenses de fonctionnement. Ce risque m'incitait à proposer un rejet des crédits de la mission.

M. Pierre-Yves Collombat. - J'aimerais connaître les effectifs de la Police et de la Gendarmerie nationales.

M. Jean-Pierre Sueur. - Pour revenir sur la conclusion de notre rapporteur, je rappelle que nous avons récemment débattu de textes et que nous avions trouvé un consensus sur le fait qu'on ne peut condamner quelqu'un pour des fautes virtuelles, seulement susceptibles d'être commises. Par analogie, dès lors que le budget appelle pour le rapporteur une appréciation favorable, il ne serait pas raisonnable de ne pas le voter, au motif qu'il serait susceptible de faire ultérieurement l'objet d'une exécution perfectible ! Il nous appartiendrait alors de nous y opposer mais on ne peut pas, à ce stade, en préjuger. En revanche, nous pouvons faire peser sur le Gouvernement une pression salutaire en séance.

M. Yves Détraigne. - Les fonctions régaliennes de l'État commencent à être affectées par les difficultés que traversent les finances publiques.

Il faut préserver un certain nombre de budgets : la sécurité, la justice. Notre commission suit la problématique des missions régaliennes de l'État et nous nous devons d'insister sur ces missions budgétaires : personne d'autre ne le fera.

Mme Éliane Assassi. - C'est un budget sanctuarisé, mais rien n'est acquis. Pour notre part nous nous abstiendrons. C'est un appel à la vigilance pour que ce budget soit également sanctuarisé dans les années à venir, car au regard de la situation financière de notre pays, il existe des craintes sur son évolution.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis. - Pour répondre à
M. Pierre-Yves Collombat, les effectifs de la Police nationale sont de 145 197 ETP, en hausse de 243 ETP en 2015, ceux de la Gendarmerie nationale de 97 215 ETP, en hausse de 162 ETP pour 2015.

Je suis globalement satisfait du budget pour l'année 2015, mais l'expérience de l'année écoulée, avec un lancement d'appel d'offre pour l'achat de véhicules pour l'année 2014 au dernier moment, et donc sans aucune marge de négociation, pose la question de la gestion des crédits.

Je suis prêt à me rallier à la sagesse positive et à voter favorablement mais en attirant l'attention du ministre sur les dangers qu'il y aurait à reproduire l'année prochaine ce scénario.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « sécurités » hors sécurité civile.

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur -

Loi de finances pour 2015 - Programme « Sécurité civile » - Examen du rapport pour avis

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de Mme Catherine Troendlé sur le projet de loi de finances pour 2015 (programme « Sécurité civile »).

Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. - En 2013, huit sapeurs-pompiers sont morts, trois au moins, cette année, ont péri. Je voudrais saluer l'engagement des sapeurs-pompiers au service de la communauté et rendre hommage à leur courage et à leur civisme, et vous associer à cette démarche.

Le contexte budgétaire est contraint. Le présent budget s'inscrit dans le cadre tracé en 2014 et poursuit la réalisation des grands chantiers lancée par l'État.

Les moyens qui sont mis en oeuvre par l'État dépassent le montant des crédits inscrits dans le programme qui ne financent que les seules actions du ministère de l'intérieur, à l'exclusion de celles des autres administrations de l'État et surtout de l'intervention des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).

Les dépenses supportées par les collectivités locales au titre de la sécurité civile (4,86 milliards €) représentent, je le dis chaque année, cinq fois l'effort de l'État dans ce secteur. Le budget global des SDIS - tout de même 4,86 milliards d'euros - augmente, en 2013, de 1,2 % en valeur brute, mais diminue légèrement de 0,8 % compte tenu de l'inflation.

Les dépenses de personnels constituent 80 % des dépenses de fonctionnement. Pour leur part, les dépenses d'investissement se répartissent principalement entre l'achat de matériel d'incendie (31 %), la construction de centres de secours (18 %), les autres dépenses d'équipement (32 %) et les dépenses financières (19 %). Le coût de ces dépenses s'élève à 81 euros par habitant.

Les dépenses d'investissement des SDIS chutent d'année en année : d'un montant global de 1 103 millions d'euros en 2006, elles étaient de 928 millions d'euros en 2010, 899 millions d'euros en 2011, 851 millions d'euros en 2012. Elles augmentent légèrement. Cette donnée semble participer davantage d'une stabilisation des dépenses que d'un nouveau cycle d'investissement.

S'agissant du fonds d'aide à l'investissement (FAI), l'an dernier, aucune autorisation d'engagement n'a été inscrite à ce titre pour subventionner des opérations nouvelles. L'enveloppe de 2,85 millions d'euros de crédits de paiement, inscrite en loi de finances initiale, était destinée au financement des investissements qui avaient bénéficié d'une subvention du FAI au cours des exercices précédents mais n'avaient pas encore été achevés. D'après les éléments transmis à votre rapporteur par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), le montant final sera moindre compte tenu des annulations de crédits intervenues ; 2,24 millions d'euros leur avaient déjà été délégués à l'automne. Pour 2015, la dotation s'élève à 3,8 millions d'euros en crédits de paiement.

Les crédits finançant les actions de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) sont inscrits au sein du programme Sécurité civile de la mission Sécurités. Elle distingue deux sortes de dépenses :

- les dépenses rigides (subvention à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, contribution aux retraites des sapeurs-pompiers professionnels et le socle de maintenance des aéronefs) ;

- les dépenses liées à l'activité opérationnelle.

Le programme est subdivisé en quatre actions : prévention et gestion de crises ; préparation et interventions spécialisées des moyens nationaux (y compris la réserve nationale) ; soutien aux acteurs de la sécurité civile (aides de l'État, INTP/Antarès, participation aux pensions, prestations rattachées et indemnités aux sapeurs-pompiers volontaires) ; fonctionnement, soutien et logistique (ce sont les dépenses d'état-major afférentes au siège de la DGSCGC situé à Asnières-sur-Seine).

Les crédits correspondants s'élèvent à 401,028 millions d'euros en AE (-1,86 % par rapport à 2014 et à 439,55 millions d'euros en CP), une enveloppe en légère augmentation (+ 0,60 %). En 2014, la forte croissance des AE était destinée à provisionner le lancement du nouveau marché de maintenance des avions de la sécurité civile.

Dans le droit fil des précédents exercices, quatre axes principaux sont fixés pour 2015 :

-  développement des synergies entre les moyens nationaux pour une plus grande qualité de leurs interventions ;

-  développement des partenariats avec les acteurs de la sécurité nationale dans une logique de mutualisation et de prestations de service (médicalisation des interventions héliportées, aérotransport en hélicoptère ou en avion des forces de sécurité...) ;

-  montée en puissance de l'unité mobile de démantèlement des munitions identifiées ;

- développement de l'efficacité des moyens de soutien et de gestion par leur regroupement.

Parallèlement, la rationalisation des dépenses d'équipement passe par le rapprochement des flottes d'hélicoptères de la sécurité civile et de la gendarmerie nationale et la création, au 1er janvier 2014, du service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure, commun à la direction générale de la police nationale, à la direction générale de la gendarmerie nationale et à la DGSCGC.

Le coeur de métier des sapeurs-pompiers, le secours à personne, a connu, en 2013, un recul significatif : 281 900 interventions pour incendies, soit - 8 % par rapport à 2012. En revanche, le secours à victime et l'aide à personne constituent aujourd'hui près des quatre cinquièmes de leur activité en constante progression (+ 2 %).

Le nombre des interventions médicalisées par le service de santé et de secours médical des SDIS s'élève à 192 700, soit + 7 % pour l'année 2013, ce qui représente 6 % des interventions en matière de secours à personne et d'accidents de la circulation.

L'ensemble du référentiel commun SAMU/SDIS a fait l'objet d'une évaluation par les inspections générales de l'administration et des affaires sociales. Sur la base de leurs propositions, le comité de suivi et d'évaluation du référentiel commun a engagé une réflexion qui s'appuie notamment sur la clarification des missions et la coopération des acteurs, la complémentarité des moyens humains et matériels, tant terrestres que héliportés. Les travaux menés entre sapeurs-pompiers et SAMU devraient déboucher au début de l'année 2015. L'usage des hélicoptères « blancs » et « rouges » relève, lui, d'un autre groupe de travail, créé entre la DGSCGC et la direction de l'hospitalisation et de l'offre de soin (ministère de la santé). Lors de sa première réunion au mois de septembre dernier, le groupe a retenu plusieurs mesures dont le gel de toute nouvelle implantation sans concertation entre les deux ministères de l'intérieur et de la santé, l'établissement d'une doctrine d'emploi commune sur le secours primaire et le transport interhospitalier et la fixation d'indicateurs communs. Ce faisant, le groupe de travail a intégré les enseignements d'une expérience positive conduite dans la région Rhône-Alpes.

Parmi Les grands chantiers, je voudrais évoquer les retards apportés au calendrier de la mise en service du système d'alerte et d'information des populations (SAIP). Le budget du SAIP a été initialement estimé à 78 millions d'euros répartis entre deux volets : le déploiement, d'une part, du système (logiciel, sirènes, serveur de diffusion, assistance à maîtrise d'ouvrage) et, d'autre part, du vecteur de la téléphonie mobile, d'un montant estimatif de 32 millions d'euros. Ce chantier est, à ce jour, financé par une enveloppe de 44,7 millions d'euros en AE programmée par la loi du 17 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité, qui prévoyait l'achèvement du déploiement des sirènes de l'État fin 2015, mais on va plutôt vers 2019.

Ces crédits sont destinés à réaliser une première vague de déploiement : 2 830 sirènes des sites les plus exposés, dont 1 293 sirènes d'État à raccorder, 987 nouvelles et 550 sirènes communales. L'installation des sirènes sur les sites pilotes identifiés dans les deux départements du Rhône et des Bouches-du-Rhône a débuté en août 2013. Au 1er janvier 2014, 243 sirènes étaient en place. Cependant, l'achèvement du projet - sur la base des crédits inscrits pour le triennat 2015-2017 - est fixé à 2019.

Je souhaite également souligner la nécessité d'optimiser le fonctionnement d'ANTARES.

À la fin de l'année 2013, les trois quarts des SDIS étaient raccordés au réseau de radiocommunications numériques ANTARES ; 84 % devraient l'être fin 2014. Le taux d'admission est estimé à 89 % pour 2015.

L'État a achevé la mise en place de l'infrastructure en 2010. Ce service est aujourd'hui disponible dans toute la métropole. 95 % du territoire national est couvert. Aucun département n'est totalement exclu de la couverture ; en revanche, dans certaines zones en raison de leurs caractéristiques géographiques, la couverture est insatisfaisante, voire inexistante : il reste des zones blanches. La DGSCGC cible son extension à 97 % du territoire par l'effet de travaux complémentaires en cours de réalisation. L'État s'attache prioritairement à achever le développement du service et à améliorer son fonctionnement à la suite d'interruptions du service constatées lors de la survenance d'incidents climatiques. À compter de 2013, une enveloppe de 24,85 millions d'euros est programmée pour effectuer des travaux d'optimisation du réseau. En 2015 et 2016, l'État prévoit des travaux d'achèvement de la couverture sur l'ensemble du territoire national pour un montant respectif de 8,43 millions d'euros et 8,81 millions d'euros.

Le coût de fonctionnement d'ANTARES est partiellement mis à la charge des SDIS à hauteur de 12 millions d'euros par an, ce qui n'est pas négligeable, au prorata, pour chacun d'entre eux, de leur population au regard de la dotation globale de fonctionnement.

Selon les estimations de la DGSCGC, l'achèvement du réseau, en 2018, devrait correspondre à un montant total de 118,85 millions d'euros, conforme aux prévisions.

La réflexion en cours sur les solutions permettant d'équiper la flotte d'aéronefs de la sécurité civile d'un système de radio compatible avec le réseau, devrait parvenir à identifier une solution d'ici l'été prochain. Des tests sont en cours pour les hélicoptères comme pour les avions de la flotte. Le règlement de cette difficulté est impératif pour permettre une pleine efficacité du réseau ANTARES -dont le déploiement a mobilisé des crédits importants-.

Terminons par une note d'optimisme à propos des résultats prometteurs de la campagne feux de forêt 2013-2014. En 2013, les incendies ont ravagé 1 920 ha dans les départements méditerranéens, dont 990 ha en été. Ces données traduisent une baisse significative de cet aléa par rapport à 2012 qui, déjà, avait enregistré un affaiblissement du nombre des feux. Ces résultats très encourageants relèvent de plusieurs facteurs qui ne sont pas tous maîtrisables. Il s'agit tout d'abord des conditions climatiques. La DGSCGC a indiqué à votre rapporteur que, outre l'absence de vents violents, les premiers mois de l'année ont été frais et pluvieux jusqu'en juin ; la végétation est restée en conséquence « assez peu vulnérable au feu, l'assèchement des réserves en eau des sols restant d'une manière générale limité ».

Plus généralement, la diminution régulière du nombre des incendies depuis les années 80 résulte aussi d'une démarche volontaire grâce aux mesures mises en oeuvre avec les collectivités territoriales et l'Office national des forêts pour prévenir ce fléau : débroussaillage, patrouilles de surveillance des massifs forestiers, recherche de l'origine des incendies au sein de cellules pluridisciplinaires, politique du guet aérien armé qui permet de réduire les délais d'alerte et d'intervention, aménagement des massifs forestiers, maîtrise de l'occupation du sol, sensibilisation de la population.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme Sécurité civile de la mission Sécurités inscrits au projet de loi de finances pour 2015, car, bien que le budget alloué soit trop faible au regard des missions confiées, un progrès peut être constaté.

M. Pierre-Yves Collombat. - Concernant les feux de forêt, c'est une erreur de croire que le problème serait réglé ou qu'il y aurait eu une amélioration. Ce qui ne brûle pas une année brûle de toute façon les années suivantes, sauf à ce qu'il y ait un entretien qui de toute façon n'existe pas.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. - Cet entretien existe !

M. Pierre-Yves Collombat. - Non, il n'existe pas. Concernant ANTARES, je crois qu'il subsiste des problèmes importants de communication, puisque le fait qu'il faut communiquer avec des hélicoptères n'a pas été anticipé. Enfin, il faut souligner que les 4/5ème de l'activité des pompiers concernent le secours à personne. La progression sur ce point est vraiment très lente. Il faut une meilleure répartition des hélicoptères : la santé, par exemple, en achète et les met où elle veut, sans concertation. Sur la mutualisation des moyens entre SDIS et SAMU, je ne vois aucun progrès...

Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. - Des progrès ont été effectués, que ce soit sur la lutte contre les feux de forêt, les secours à la personne ou l'amélioration d'ANTARES, même si, Monsieur Collombat, je ne peux qu'aller dans votre sens : ces progrès ne sont pas suffisamment rapides. Le problème de l'embarquement d'ANTARES dans les hélicoptères est clairement identifié depuis des années : il y aurait eu semble-t-il une avancée récente sur la question.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2015.

Loi de finances pour 2015 - Programme « Coordination du travail gouvernemental » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport pour avis

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Alain Anziani sur le projet de loi de finances pour 2015 (programme « Coordination du travail gouvernemental » et budget annexe « Publications officielles et information administrative »).

M. Alain Anziani, rapporteur pour avis. - Je voudrais en premier lieu saluer le travail effectué les années précédentes par Mme Sophie Joissains, rapporteur pour avis sur la modernisation de l'État, désormais intégrée au programme « Coordination du travail gouvernemental ». Le programme n° 129 « Coordination du travail gouvernemental » est l'un des trois programmes constituant la mission « Direction de l'action du Gouvernement », avec le programme n° 308 « Protection des droits et libertés », qui fait l'objet d'un avis par notre collègue Jean-Yves Leconte, et le programme n° 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées ».

Pour ce programme « Coordination du travail gouvernemental », on constate une progression des autorisations d'engagement de 4,32 %, pour un montant de 567 millions d'euros, et des crédits de paiements de 9,22 %, pour un montant de 603 millions d'euros. L'Assemblée nationale a augmenté à la marge le montant de ce programme, notamment pour accroître les crédits destinés au pilotage interministériel des systèmes d'information de l'État, mission de la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication.

Ce programme assez multiple comporte huit actions, dont les crédits des cabinets du Premier ministre et de deux secrétaires d'État, les crédits du secrétariat général du Gouvernement, du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, du secrétariat général des affaires européennes, de la direction des services administratifs et financiers du Premier ministre, mais aussi les crédits des organismes de conseil et de prospective placés auprès du Premier ministre, les crédits de certains ordres, dont l'ordre de la Légion d'honneur, et enfin les crédits de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.

Je vous propose de développer cinq points particuliers.

En premier lieu, je souhaite aborder la question des cabinets ministériels. Pour la troisième année consécutive, le projet de loi de finances comporte en effet une annexe particulièrement détaillée sur les effectifs et les rémunérations des cabinets ministériels.

On remarque une diminution très significative des effectifs et de la rémunération globale des cabinets ministériels en 2014 par rapport à 2013, avec une réduction de 565 à 461 personnes. Cette baisse est liée au resserrement de la structure gouvernementale : on comptait au 1er août 2014 un nombre de 16 ministres et 15 secrétaires d'État, contre respectivement 20 ministres et 17 ministres délégués au 1er août 2013. Néanmoins, si l'enveloppe globale de rémunération et les effectifs diminuent, la rémunération moyenne augmente, notamment en raison d'un recrutement à un niveau de plus en plus important. Je souligne également l'effort particulier du cabinet du Premier ministre, qui est passé d'un effectif de 60 à 70 personnes en moyenne entre 2007 et 2013, à un effectif de 55 seulement en 2014. Il y a là un souci d'exemplarité.

En second lieu, je souhaite m'intéresser au secrétariat général pour la modernisation de l'action publique, créé par un décret du 30 octobre 2012, et encore méconnu. Il a pris le relais des structures en charge de la révision générale des politiques publiques, avec un objectif d'abord qualitatif et pas quantitatif. Il est placé sous l'autorité du Premier ministre, ce qui est nouveau, et rattaché au secrétaire général du Gouvernement. Il est rattaché également au secrétaire d'État chargé des questions de modernisation et de simplification, M. Thierry Mandon.

Cette structure a notamment pour mission de superviser l'ensemble des systèmes d'information de l'État, sur lesquels on peut attendre des progès. Le SGMAP a également contribué à la mise en place du « marché public simplifié », qui permet à une entreprise qui soumissionne de ne donner que son numéro SIRET, les autres informations requises étant recherchées par l'administration auprès des organismes et autres administrations qui les détiennent. Un autre projet permet de calculer le montant des prestations sociales auxquelles on peut prétendre, sur un site internet dédié, ce qui permet à chacune de connaître ses droits.

Mon troisième point sera consacré au service d'information du Gouvernement. Doit-il gérer la totalité de la communication des ministères, ce qui se heurterait aux ministères, qui souhaitent garder la gestion de leurs crédits, ou simplement la coordonner ? Il n'y a pas de centralisation des crédits, mais une mutualisation de certaines fonctions a néanmoins été engagée, notamment concernant les revues de presse, la veille des médias ou des réseaux sociaux, l'achat des espaces publicitaires ou encore les études et les sondages, notamment sous forme de marchés mutualisés.

Après une forte diminution, il n'existe aujourd'hui par exemple qu'une trentaine de marchés d'études et de sondages dans les différents ministères. À titre personnel, je trouve que l'on va d'un excès à l'autre, même si le volume total des crédits n'est pas substantiel. S'il est nécessaire de baisser les crédits, le Gouvernement doit avoir ses propres canaux d'information. Nous sommes passés de 22 millions d'euros en 2010 à 11 millions d'euros en 2014 pour les crédits du SIG. Le nombre d'emplois suit la même évolution, avec une trentaine d'emplois en moins depuis 2011. Cette réduction, notamment concernant les campagnes d'information d'intérêt général, qui sont nécessaires, n'est pas toujours vertueuse.

Mon quatrième point portera sur le secrétariat général des affaires européennes, créé en 2005. Il pour mission de coordonner les positions interministérielles pour préparer les positions de la France dans les négociations européennes, sur tous les sujets à l'exception de la politique étrangère et de la politique monétaire. Il veille aussi à l'application du droit européen, notamment par le suivi de la transposition des directives. Il faut noter une innovation en 2014 : alors que le secrétaire général des affaires européennes était jusqu'à présent conseiller du Premier ministre pour les affaires européennes, depuis avril 2014, il est le conseiller du Président de la République pour les affaires européennes. Ce rattachement au Président de la République est censé fluidifier les choses.

Depuis 2011, la France fait figure de bon élève en matière de transposition des directives européennes. En novembre 2014, nous n'avons que sept directives de retard et la France se classe au cinquième rang européen en termes de performance dans la transposition des directives.

Enfin, mon dernier point concerne les publications officielles, gérées par la direction de l'information légale et administrative. La décision a été prise de supprimer le Journal officiel en version papier à compter du 1er janvier 2016, au profit d'un basculement complet vers le numérique. Les abonnés de la version papier, qui étaient de 70 000 en 2000, sont désormais 2 500 en 2014, alors que la version électronique compte actuellement 70 000 abonnés. Une solution doit être trouvée pour certaines décisions individuelles, en matière d'état civil. Cette suppression permet d'économiser un million d'euros de matières premières.

Enfin, une nouvelle forme de réponse au citoyen se développe, avec le dispositif « 39 39 », service téléphonique de renseignement administratif, qui permet de poser une question à un agent, qui peut éventuellement transférer l'appel à un deuxième référent spécialisé. Ce service est assuré par un centre d'appels de la DILA à Metz : 1,4 million d'appels ont été effectués en 2013.

Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Coordination du travail gouvernemental » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».

M. Jean-Pierre Vial. - Vous avez mentionné une amélioration quantitative pour la transposition française des directives. Néanmoins, je remarque que, sur le plan qualitatif, la France a tendance à « surtransposer », ce qui implique des rigidités sur le plan économique. Il est possible de faire des gains économiques significatifs en réduisant ces rigidités inutiles. En 2015, dans votre prochain avis budgétaire, pourriez-vous prendre en compte cet aspect qualitatif et étudier ce phénomène de « surtransposition » qui nuit à notre compétitivité par rapport aux autres entreprises européennes ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Je tiens à souligner les efforts de M. Thierry Mandon, secrétaire d'État, pour mutualiser les marchés de conseil entre les ministères. Le Gouvernement pourrait aussi être inspiré de lire les rapports parlementaires, moins coûteux que les cabinets spécialisés. Je crois que la mutualisation est judicieuse.

En termes de simplification, je crois qu'on ne souligne pas assez l'effet d'une proposition de loi adoptée par le Sénat qui a permis la création du Conseil national d'évaluation des normes, présidé par Alain Lambert. Cette instance examine toutes les normes et fait des remarques très pertinentes. On pourrait envisager la création d'une instance qui examinerait en aval les normes applicables à l'État et éviteraient la « surtransposition »...

Concernant le SIG, je rejoins Alain Anziani : il ne faut pas basculer dans l'excès en tombant sous un certain seuil et en éliminant tous les sondages. Je rappelle qu'une proposition de loi adoptée par le Sénat sur ce sujet est en attente depuis maintenant quatre ans. Les sondages d'aujourd'hui sont mal faits et toujours régis par une loi obsolète de 1977.

Concernant la communication du Gouvernement, les ministères font leur propre communication et nous abreuvent de brochures souvent inutiles. Chacun d'entre nous reçoit chaque jour des tonnes de papier ; personne ne peut lire l'intégralité des publications du Gouvernement. J'appelle à une certaine retenue.

M. Yves Détraigne. - Il serait facile de compter sur un mois le pourcentage de ces publications qui vont directement à la poubelle. Les informations nous arrivent par courrier électronique puis sont doublées par papier.

M. François Grosdidier. - Autant il ne fallait pas dématérialiser la propagande électorale, autant il y a des gisements d'économies dans les productions papier des administrations publiques. Tous les rapports sont aujourd'hui dématérialisés. Neuf destinataires sur dix ne lisent pas les rapports papier qu'ils reçoivent. On abat ainsi des arbres pour nous envoyer des rapports portant sur le développement durable !

M. Alain Marc. - L'Assemblée nationale comme le Sénat produisent aussi énormément de papier. Je trouve que l'impression des amendements est une dépense inconsidérée. Nous pourrions aussi dématérialiser.

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente. - Nous avons tous un crédit informatique et nous pourrions suivre l'adoption des amendements sur notre tablette.

M. Alain Anziani. - Pour répondre à Jean-Pierre Vial, il y a en effet un problème de « surtransposition » en France. Le SGAE en est conscient et vient d'éditer un guide des bonnes pratiques pour éviter d'ajouter de la norme à la norme.

Concernant la gabegie de papier, elle n'existe pas que dans les ministères. Je rappelle qu'« un livre, c'est la mort d'un arbre », comme le disait Saint-John Perse. En qualité d'ancien questeur, je rappelle qu'il existe aujourd'hui au Sénat un programme de dématérialisation. Il faudrait un nouvel aménagement de l'hémicycle. Tous nos collègues ne sont cependant pas prêts à travailler sur tablette.

M. Jean-Pierre Sueur. - Avant, on ne pouvait pas recevoir la presse quotidienne régionale le jour même. Désormais, avec notre tablette, on peut voir l'information dès le matin. Cette dématérialisation est très utile.

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente. - Je mets aux voix l'avis favorable du rapporteur.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Coordination du travail gouvernemental » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».

- Présidence de Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30

Loi de finances pour 2015 - Mission « Justice » - Audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la justice

Au cours d'une deuxième réunion tenue dans l'après-midi, la commission a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la justice.

M. Philippe Bas, président. - Nous avons le privilège d'accueillir Mme Christiane Taubira, garde des sceaux et ministre de la justice, qui va nous présenter son budget.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. - La mission « Justice » s'inscrit dans les priorités du Gouvernement. Elle est en hausse de 1,7 %, soit moins que les 2,3 % prévus, il y a quelques semaines encore. En effet, le ministère de la Justice se montre solidaire de l'effort budgétaire pour financer les dépenses des collectivités territoriales liées à la mise en place des nouveaux rythmes scolaires et le prolongement des emplois aidés. Nous contribuons à hauteur de 40 millions d'euros, ce qui réduit le budget total à 7,942 milliards d'euros. Par rapport à d'autres ministères, notre effort reste modéré. Le budget de la mission « Justice » continue d'augmenter au même rythme que l'an dernier. La priorité donnée à la création d'emplois est préservée.

Le Gouvernement a la volonté de mettre en oeuvre les réformes votées par le Parlement, qu'il s'agisse de la loi du 15 août 2014 sur l'individualisation des peines et le renforcement des sanctions pénales ou de celle sur l'hospitalisation sans consentement, consolidée en septembre 2013. Un autre critère a été la réforme de la justice civile, avec la mise en oeuvre de la justice du XXIe siècle, « J 21 ». L'accès au droit et à la justice, dont le ministère a fait sa priorité depuis deux ans et demi déjà, a également guidé la répartition des dépenses de notre mission. Enfin, un dernier critère a été la reconnaissance des compétences du personnel de justice et la modernisation des moyens de travail - notamment l'utilisation du numérique pour la communication et l'exécution des procédures.

Sur le triennal, 1 834 emplois seront créés, dont 500 en 2015 et 100 emplois de résorption de vacances. J'ai dû demander un audit à l'inspection générale des finances pour évaluer les effectifs réels de l'administration pénitentiaire. En effet, les décomptes étaient faits sur des bases différentes (35 heures, heures supplémentaires, etc.) et, surtout, durant les trois dernières années du précédent quinquennat, des créations de postes n'avaient pas été concrétisées. Par conséquent, j'ai obtenu, en milieu d'année, pour résorber ce manque d'effectifs dans l'administration pénitentiaire la création de 534 postes, qui viennent en plus des 500 postes créés chaque année. La formation de ces nouveaux personnels a commencé dès le mois de septembre pour les 200 recrutés en 2014, et nous organiserons des concours supplémentaires en 2015 et 2016.

Afin de faciliter la mise en oeuvre de la loi sur l'individualisation des peines et de renforcement des sanctions pénales, 1 000 emplois supplémentaires de personnels d'insertion et de probation sont créés sur trois ans (+ 25 %). Pour améliorer le fonctionnement du service, une augmentation des moyens de 10 % a été prévue. Une quarantaine de postes de magistrats seront créés, dont 17 en 2016.

Le Conseil constitutionnel a censuré la suramende que vous aviez votée pour le financement de l'aide aux victimes. J'avais insisté, en lecture conclusive, sur les risques constitutionnels en proposant un amendement que l'Assemblée a refusé. Nous en proposerons un autre dans le collectif. Cette année, nous avons augmenté le budget de l'aide aux victimes de 22 %, à hauteur de 3 millions d'euros. Nous l'aurons ainsi porté de 10,8 millions à 16, 885 millions.

Quant à la rénovation des lieux de détention, 6 500 places ont été créées, et dans le prochain triennal, nous avons des autorisations d'engagement d'un milliard d'euros pour créer 3 200 places nettes supplémentaires. Dans ce domaine, les outre-mer sont une priorité. Enfin, le ministère de la justice participe à la politique de prise en charge de l'enfance délinquante sans négliger l'enfance en danger, en collaboration avec les conseils généraux.

La justice du XXIe siècle doit être plus proche, plus efficace et plus protectrice des citoyens. Un effort en matière d'effectifs y contribuera. Nous avons lancé des expérimentations pour un service d'accueil unique de la justice, pour la création d'équipes autour des magistrats du parquet, ainsi que pour le conseil de juridiction. Les tribunaux et les cours d'appel se portent volontiers candidats pour ces expérimentations. J'ai choisi d'accepter toutes les candidatures pour les conseils de juridiction, afin d'avoir une expérimentation en grandeur nature prenant en compte la variété des candidats. Nous avons également renforcé les effectifs, en créant 22 postes de greffiers en 2015, et 59 autres, en 2016, répartis dans les juridictions et dans les maisons de la justice et du droit. Nous augmentons les effectifs dans les juridictions, de telle manière qu'à partir de 2015, nous entrerons en solde positif. Jusqu'à présent, 300 postes étaient créés chaque année, sans parvenir à compenser les départs à la retraite et les vacances de poste. Nous avons progressivement rétabli l'équilibre.

Les crédits de fonctionnement, qui diminuaient chaque année dans l'ancien triennal, sont stabilisés. Une rationalisation dans la gestion des financements publics
- interceptions judiciaires, médecine légale et frais d'affranchissement - les a fixés à 780 millions d'euros, dont 450 millions pour les frais de justice. Les efforts sur l'immobilier de la justice se poursuivent, avec 159 millions de crédits de paiement pour 2015.

En matière d'accès au droit et à la justice, nous avons supprimé la démodulation qui devait être mise en oeuvre en janvier 2015. Nous avons augmenté de 10% le budget de l'aide juridictionnelle, qui passe de 349 à 379 millions d'euros. Nous travaillons obstinément pour réformer le système : nous mettons en place des groupes de travail, associant des représentants de l'État et des avocats, autour de quatre problématiques : les besoins des citoyens, la rétribution des avocats, les mécanismes de gestion au quotidien et la gouvernance du système.

Enfin, l'État poursuit la revalorisation du salaire du personnel de catégorie C ainsi que des agents pénitentiaires (surveillants, brigadiers et directeurs d'établissement). Nous accordons une attention particulière aux greffiers et greffiers en chef : un protocole a été signé avec les principales organisations professionnelles pour revaloriser le métier.

La modernisation du fonctionnement du ministère de la justice implique de travailler sur la plateforme nationale d'interception judiciaire (PNIJ). L'application Portalis pour la justice civile entrera en application en 2015, Cassiopée sera renforcée pour l'activité pénale, Astrea pour le casier pénal, et Genesis pour la gestion des détenus.

L'effort de 40 millions d'économies n'a porté que sur certaines directions du ministère, afin de préserver celles qui sont prioritaires : la protection judiciaire de la jeunesse, l'accès au droit et à la justice, et l'aide aux victimes.

M. Philippe Bas, président. - J'ai été sensible à vos explications sur les emplois de résorption de vacances. Les conclusions de l'inspection générale des finances ne pouvaient pas être récusées par votre collègue du budget. C'était habile de votre part.

Dans l'océan des difficultés budgétaires, il serait malvenu de notre part de fixer la barre trop haut. Les chiffres que vous nous avez indiqués montrent que le ministère de la justice échappe à l'austérité la plus forte. Les temps sont révolus où les ministres sauvaient leur budget sans se montrer solidaires des autres. Dans le programme « Justice judiciaire », la diminution de 2,3 % et 4,1 % des crédits accordés aux tribunaux civils et aux juridictions chargées du pénal est inquiétante, dans la situation actuelle. La Cour de cassation est mieux traitée que les juridictions subordonnées. L'aide juridictionnelle est en baisse ; l'accès au droit plus substantiellement encore : les efforts demandés aux juridictions ne sont-ils pas supérieurs à ceux que vous imposez à votre propre administration centrale ?

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. - Je partage les commentaires de notre président. Le budget des services judiciaires présente la particularité d'avoir un schéma d'emplois stable, alors que sa dotation budgétaire baisse de 26 millions d'euros. Cela reflète une sous-consommation récurrente ainsi que le nombre élevé de postes laissés vacants. Jusqu'à présent, ces emplois étaient partiellement convertis en emplois de vacataires, ce qui était une aide appréciable pour le fonctionnement des juridictions. Si on diminue la dotation budgétaire de 26 millions, restera-t-il une marge de manoeuvre pour recourir à des vacataires, le cas échéant ?

Cassiopée est une application dédiée au pénal. Lors des auditions, on nous a indiqué que ce logiciel n'avait pas encore inclus les mesures relevant de la contrainte pénale, de sorte que les juridictions sont obligées de recourir à des formulaires papier qui devront être ressaisis, une fois que Cassiopée aura été mise à jour. Pourquoi cela n'a pas été anticipé ?

La justice du XXIe siècle se met en place de manière pragmatique, par étapes, et en privilégiant l'accès des justiciables à la justice. Neuf juridictions vont tester le guichet unique de greffe. C'est la voie qui nous avait semblé la plus pertinente, à Virginie Klès et à moi. Avez-vous des précisions à nous apporter sur le calendrier de la réforme ?

J'ai le sentiment que des tensions fortes opposent les greffiers et les magistrats. Cette coupure n'existait pas au moment des entretiens de l'Unesco. Si ces deux corps ne s'entendent pas, compte tenu du peu de moyens dont dispose la justice, cela risque de poser problème dans le fonctionnement des tribunaux. Comment envisagez-vous d'y remédier ?

Enfin, l'échéance de la création de Lyon Métropole et du découpage du département du Rhône approche. Des problèmes subsistent, notamment sur le TGI de Lyon qui sera bi-départemental. Quel avenir pour le tribunal de Villefranche-sur-Saône ? Peut-on envisager la création d'un tribunal de première instance qui se substituerait aux deux autres ?

Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - En termes de carrière, les personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse trouvent les services en milieu ouvert plus attractifs que les établissements de placement. Comment faire pour éviter que les plus expérimentés d'entre eux délaissent ces établissements ?

Les crédits consacrés au financement du secteur associatif diminuent depuis plusieurs années : les mesures de prise en charge sont moins nombreuses et le nombre d'associations habilitées par la PJJ plus faible. Cette baisse est-elle vouée à durer ? Certaines associations apportent des idées innovantes à la PJJ. Comment les préserver ?

En 2012, un rapport de l'Inspection générale des services judiciaires s'inquiétait de l'imprécision du statut juridique des familles d'accueil. Comment le sécuriser ? Enfin, sur la réforme du droit pénal des mineurs, avez-vous prévu de fixer un âge minimum pour la responsabilité pénale ?

Par ailleurs, vous avez annoncé une réforme de l'ordonnance du 2 février 1945. Fixera-t-elle un âge minimal de responsabilité pénale ?

Le budget de la Protection judiciaire de la jeunesse n'a pas été affecté par le plan d'économies supplémentaires de 40 millions d'euros. Heureusement, car il permet tout juste de mettre en oeuvre l'individualisation du suivi des jeunes. Cependant, d'autres programmes ont été affectés, ce qui aura forcément des conséquences sur l'efficacité de l'ensemble de la mission.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis. - L'encellulement individuel n'a guère été appliqué. Le moratoire prévu par la loi pénitentiaire de 2009 vient d'expirer. À l'Assemblée nationale l'amendement qui le prolongeait a été retiré, et une mission a été confiée à notre collègue député Dominique Raimbourg. Je passe sur les dernières polémiques. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté a émis le voeu qu'il n'y ait plus de matelas au sol dans les prisons de la République. Le rapporteur pour avis du budget de l'administration pénitentiaire à l'Assemblée nationale a demandé sa démission. Il va de soi que je ne m'associe en rien à cette demande. Il y a un vrai problème avec des risques de contentieux considérables. Il convient d'agir vite. Le Sénat a sauvé le principe de l'encellulement individuel, sans se faire l'ayatollah du système car l'encellulement collectif reste tout à fait acceptable dans certaines circonstances.

Je ne reviens pas sur les débats tranchés par la loi pénitentiaire. Les 1 000 places prévues pour les services pénitentiaires d'insertion et de probation prévus par Jean-Marc Ayrault seront créées dès l'an prochain. Entre 600 et 700 seront réservées aux conseillers d'insertion et de probation, alors que l'étude d'impact qui accompagnait la loi pénitentiaire en prévoyait 1 000. Cette loi est entrée en vigueur et les formations sont en cours. Les deux années à venir ne vont-elles pas être très difficiles ?

Je viens de visiter Fresnes pour la troisième ou quatrième fois. L'établissement public national de santé y accomplit un travail remarquable. Des travaux importants de confortation du bâtiment ont été réalisés. Le matériel médical y est de plus en plus adapté. Pourquoi une épée de Damoclès menace-t-elle encore la pérennité de ce site ? On ne trouve pas plus d'une ou deux personnes dans le centre socio-médico judiciaire de sûreté, car la loi n'est pas encore entrée en vigueur. Cependant, il existe une demande forte pour qu'une aile inutilisée du bâtiment soit affectée aux personnes âgées bénéficiant d'un allègement de peine pour des raisons médicales, avant leur transfert en Ehpad. Pour ce qui est de la résorption de vacances, je dirai simplement qu'à Fresnes, il y a encore 65 emplois vacants.

Peut-on prévoir dans les règlements types d'élargir la cantine à certains produits ? Les médecins s'arrachent les cheveux pour traiter les détenus diabétiques - il n'est pas dans leur culture de boire de l'eau. Il suffirait de prévoir systématiquement une vingtaine de produits pour résoudre des problèmes élémentaires de santé publique.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je salue la continuité de votre action, depuis trois ans que vous occupez ces fonctions. Vous avez fait voter la loi pénale, il était important que vous en assumiez le suivi. Un engagement fort a été pris lors du vote de la loi du 15 août 2014, celui de présenter devant le Parlement un projet de loi relatif à la justice des mineurs, au premier trimestre de 2015. Nous tenons à ce que cet engagement solennel soit respecté.

La décision prise par l'Assemblée nationale sur l'encellulement individuel est bonne. À quoi servirait de proroger sans cesse jusqu'à l'échéance suivante ? Le réalisme et le courage consistent à ne pas en faire un dogme mais à le mettre en place par étapes, parallèlement à la mise en oeuvre de la loi pénale. Si des alternatives à la détention sont possibles, avec le suivi approprié, il faut les mettre en oeuvre dans un projet à moyen terme. Dominique Raimbourg, qui y travaille, pourra nous présenter des propositions réalistes.

Madame la ministre, pour financer l'aide juridictionnelle, on pourrait en appeler à la solidarité des cabinets d'avocats d'affaires, en les invitant à faire preuve de péréquation vis-à-vis de leurs collègues qui oeuvrent auprès des populations en difficulté. J'ai bien conscience qu'une telle mesure ne passerait pas. Dans leur rapport, Sophie Joissains et Jacques Mézard proposent sinon de taxer, du moins de prélever les contrats d'assurance juridiques attachés aux cartes bancaires. J'ai deux cartes, dont le contrat d'assurance juridique ne me servira pas plus qu'à la plupart des titulaires de cartes. Une autre mesure pourrait être d'effectuer un prélèvement de solidarité sur certains actes notariés, sans pour autant stigmatiser la profession. Les quatre pistes de réflexion que vous proposez sont intéressantes. Si l'on ne trouve pas des financements alternatifs, la réflexion restera vaine.

M. Philippe Bas, président. - Vous voyez, madame la Ministre, que nous défendons le ministère de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. - J'y suis sensible.

M. René Vandierendonck. - La réforme territoriale est en cours d'examen. Votre ministère est concerné par la revue des missions coordonnée par Thierry Mandon. Les ateliers sur la ruralité dans les Hautes-Pyrénées se sont achevés lundi dernier : en milieu rural, l'accès au droit et à la justice a toute son importance. Une réflexion est-elle menée sur ce thème qui vous est cher ?

Lorsque M. Arthuis a déposé sa proposition de loi sur les mineurs étrangers isolés, vous aviez annoncé qu'un comité serait mis en place, et que des parlementaires y siégeraient, qu'une mission d'inspection rendrait ses conclusions... Reste un point de litige : la prise en charge par l'État de la première étape de l'orientation de ces mineurs. Où en est-on ?

Mme Catherine Troendlé. - Nous sommes plusieurs à avoir été alertés sur les difficultés qu'ont certains tribunaux à honorer les frais de justice. L'on range les factures dans un tiroir en attendant de pouvoir payer experts et interprètes.

M. Alain Anziani. - Les crédits de la justice sont stabilisés. Je m'en félicite. Aider la justice, c'est aider la cohésion sociale. Les magistrats du siège seront satisfaits de voir leur nombre augmenter. Les mesures sur les établissements pénitentiaires et sur le greffe sont bonnes également. Vos cibles sont les bonnes. L'aide juridictionnelle est une vieille affaire. On avait même envisagé, il y a une vingtaine d'années, de créer des avocats publics, des fonctionnaires, à l'américaine. La solution qui consiste à taxer les plus gros cabinets d'avocats n'est pas viable.

M. Jean-Pierre Sueur. - J'en ai convenu.

M. Alain Anziani. - La solution réside dans une sécurité juridictionnelle, comme il y a une sécurité sociale : il faudra regarder du côté des contrats d'assurance. Pourquoi une nouvelle ligne budgétaire d'1,7 million d'euros pour l'indemnisation des avoués ?

M. Christian Favier. - Une circulaire nationale a contribué à mieux répartir les mineurs isolés étrangers sur le territoire, je m'en réjouis. Cependant, à l'expérience, des améliorations restent possibles. Dans mon département, nous sommes bien au-delà du chiffre fixé par la circulaire. En effet, l'aide sociale à l'enfance du département est tenue de prendre en charge les mineurs qui font appel devant le juge pour enfants, lorsque leur demande a été rejetée. Nous avons dû ajouter 7 millions d'euros à notre budget pour faire face au surcoût conséquent. Nous accueillons plus de mineurs isolés que Paris ou la Seine-Saint-Denis. Le Fonds national pour l'enfance en danger aurait dû être alimenté à hauteur de 150 millions d'euros, pour financer ces charges supplémentaires imposées aux départements. Si nous assurons bien volontiers cet accueil, nous souhaitons que la circulaire s'applique de manière juste.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - J'ai été interpelée par les personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation sur le fait que, faute de financement, la convention avec l'agence pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) avait été dénoncée au 1er juillet dernier. Paradoxalement, certains choix budgétaires ont pour effet de fragiliser le travail des personnels de justice. Pourquoi cette convention a-t-elle été dénoncée ?

M. Félix Desplan. - Je veux vous dire ma satisfaction de la création de 3 200 places nettes dans les prisons durant le prochain triennal et de la priorité donnée à l'outre-mer. Vous connaissez bien la situation grâce à la mission d'information que vous avez établie. J'ai visité la prison de Baie-Mahault en 2013 et, cette année, celle de Basse-Terre, dont un ministre de la République disait il y a vingt ans qu'elle était la honte pour la République. Hélas !, la situation n'a guère changé. Deux à trois matelas ont parfois été jetés par terre. Ces mesures amélioreront la dignité des détenus.

Mme Sophie Joissains. - Je partage votre avis sur la démodulation. Le budget de l'aide juridictionnelle augmente de 10% Avec M. Mézard nous proposions des mesures pour le doubler. Pourquoi ne pas les avoir retenues ?

M. Jean-Jacques Hyest. - On ne peut que se féliciter de la hausse du budget de la justice. Il est tellement faible...Les comparaisons de l'OCDE sont sans appel. Et encore, il faudrait distinguer le judiciaire du pénitentiaire pour avoir une image fidèle de l'écart avec les autres pays.

Vous présentez des résorptions de vacances de poste comme des créations... Vous aurez seulement des résorptions en plus grand nombre.

Les interceptions judiciaires coûtent cher, à la différence des interceptions administratives qui fonctionnent très bien. Une plateforme nationale des interceptions judiciaires sera créée, mais les sociétés qui assurent les écoutes téléphoniques actuellement menacent de bloquer le système. Quand la plateforme fonctionnera-t-elle ?

Les expertises judiciaires sont de plus en plus nombreuses, ce qui augmente les frais de justice et les délais. Or les retards de paiement sont considérables, les professionnels ne sont souvent plus payés après juin. Comment améliorer la situation ?

Vous avez eu raison de rappeler que les professions réglementées relevaient de la Chancellerie. Certains veulent tellement s'en occuper. Ce n'est pas sans risque, on se souvient de la tentative d'autoriser de grands cabinets internationaux à devenir mandataires de justice. Faut-il, au nom du pouvoir d'achat, réformer ces professions qui ont déjà consenti des efforts pour se réformer ? Les juridictions commerciales ont été regroupées. Si les juges des tribunaux de commerce rendaient leur robe, ce serait une catastrophe...

M. René Vandierendonck. - Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest. - En plus d'aucuns voudraient recourir aux ordonnances !

M. Philippe Bas, président. - Cela nous fâche...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. - Non, nous ne nous contentons pas de résorber des vacances de postes. Nous en créons, les crédits des recrutements correspondants sont prévus, la formation est au rendez-vous et il y aura affectation. La situation est inégale selon les établissements pénitentiaires : en général, le taux de couverture des effectifs varie entre 96 et 98%, mais parfois il tombe à 92%. Nous résorberons ces inégalités. Ce sera le cas pour Fresnes, monsieur Lecerf.

Les frais de justice sont stabilisés. J'ai annoncé un dégel total de 100 millions d'euros de crédits, dont 35 millions pour les frais de justice ; au budget de 455 millions, nous ajoutons 20 millions. Nous essayons de rationaliser. Certains frais échappaient à la vigilance, comme les frais de gardiennage, que nous recensons systématiquement pour éviter d'avoir à continuer à payer indéfiniment dans certains cas. Il en va de même pour les frais médicaux acquittés par les ministères de la santé et de la justice. Les interceptions judiciaires seront moins coûteuses grâce à la nouvelle plateforme. Celle-ci soulevait des questions quant à la conservation des données, la durée, les conditions de destruction, etc. J'ai saisi la Cnil qui a rendu son avis. L'opérateur n'aura pas accès aux données car celles-ci seront cryptées. Les retards tiennent à des problèmes techniques : le budget pour la sécurité de la plateforme n'avait pas été prévu ; la Cnil a mis six mois pour rendre son avis. Finalement la plateforme sera opérationnelle fin 2015.

Monsieur Détraigne, je connais votre attachement tenace aux tribunaux de première instance, ce que n'est pas le service d'accueil unique que nous expérimentons. Les débats préparatoires et les 2 000 contributions ont révélé un refus de cette rationalisation, mais sans doute est-ce la conséquence du traumatisme provoqué par la réforme de la carte judiciaire... Cette crainte non fondée est irrationnelle : nous avons rouvert des tribunaux, mais la crispation est très vive. C'est pourquoi nous ne créerons pas le TPI mais nous rationalisons l'articulation entre les TI et les TGI, en créant des pôles au sein des TGI, en spécialisant les TI sur les contentieux de vulnérabilité.

Il y a des tensions épisodiques chez les greffiers. J'espère qu'elles disparaîtront. Je les ai perçues en août 2012 : les greffiers ont mal vécu que notre première mesure catégorielle concerne les magistrats, alors qu'il ne s'agissait que de l'application du dernier volet d'un décret plus ancien. J'ai rêvé un moment d'une répartition entre les deux cadres, mais cela n'était pas possible... Nous avons accompli des efforts pour les personnels pénitentiaires ; nous avons revalorisé la grille des catégories C. Sur les 19 millions consacrés à des mesures catégorielles, nous prévoyons 11 millions (1 million en 2014, 10 millions en 2015) pour les greffiers dans le cadre du protocole signé avec la profession. J'ai senti une autre période de tension en début d'année à la suite de décisions de présidents de cour d'appel. Mais les greffiers ont été responsables et n'ont pas cessé de travailler. Il y a eu une autre tension lorsque nous avons revalorisé les astreintes de jour des magistrats à 80 euros et de nuit à 120 euros. Cette mesure ne représentait que 500 000 euros ; de plus, le statut des greffiers prévoit des compensations pour les astreintes. Toute mesure catégorielle en faveur des magistrats crée des tensions.

La directrice de la PJJ a cherché par sa note d'orientation de septembre à encourager la diversification des parcours et à inciter les personnels à postuler dans les établissements de placement. Les crédits du secteur associatif habilité sont sauvegardés, la légère baisse n'est due qu'à l'effort important accompli dès la première année pour apurer nos créances à l'égard des associations et ramener le délai de paiement à un mois.

Madame la Rapporteure, je vous propose une séance de travail. Il faut tenir compte de la convention internationale des droits de l'enfant et de la position de l'Unicef. La France n'a pas d'âge de responsabilité pénale. Quelles garanties en deçà ? Le risque est que les mineurs qui n'ont pas atteint l'âge de responsabilité pénale ne soient pas pris en charge par la justice. Dans les autres pays, les réponses sont exclusivement administratives. Cela supposerait de s'en remettre aux conseils généraux, dont les politiques sont très variables. Il faut que la réponse soit équivalente sur tout le territoire. Je pense que nous ne fixerons pas d'âge légal mais apporterons des garanties de manière à répondre très concrètement aux stipulations de la convention internationale des droits de l'enfant.

La convention SPIP-AFPA n'a pas été dénoncée pour des raisons budgétaires, mais en fonction de la fructueuse expérimentation menée avec les régions Aquitaine et Pays de Loire : nous avons généralisé la prise en charge de la formation professionnelle par les régions.

Mon amendement à l'Assemblée nationale ne proposait pas un moratoire sec de l'encellulement individuel. La question est celle de la dignité des conditions de détention. Dominique Raimbourg travaille en bonne intelligence avec nous. Les nouveaux programmes pénitentiaires prévoient un taux d'encellulement individuel de 90%. La mise en oeuvre de la contrainte pénale limitera la surpopulation carcérale et évitera l'incarcération automatique des personnes condamnées à de courtes peines. Je me rendrai à Fresnes, monsieur Lecerf : il paraît que ces lieux pourraient avoir un usage plus intelligent.

Vous vous rappelez d'où nous venons sur les professions réglementées. Le texte préserve la notion d'acte authentique et la signification. Des avancées ont eu lieu aussi sur la liberté d'installation, même si le terme existe encore. Je n'ai pas souhaité de querelle publique avec le ministre de l'économie de l'époque, j'ai exposé publiquement les principes qui selon moi doivent prévaloir : l'accès au droit, la sécurité juridique, l'accessibilité de la justice indépendamment des ressources financières. J'ai livré au sein du gouvernement les batailles qui s'imposaient.

M. Jean-Pierre Sueur. - Dans plusieurs rapports, nous avons plaidé pour une hausse de l'aide juridictionnelle.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. - En effet, il y a eu plusieurs rapports sur le sujet. Nous avons agi. L'aide juridictionnelle a augmenté de 10 % grâce à des ressources nouvelles, susceptibles de monter encore en puissance. Une politique solidaire suppose de doubler le budget. L'augmentation de 2 % de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance de protection juridique rapporte 25 millions d'euros. Voyez la hausse qu'il faudrait pour dégager les 300 millions nécessaires au doublement de l'aide. J'installerai les groupes de travail le 5 décembre. Ils comprendront pour la première fois des avocats. Ils rendront leurs conclusions en mars.

Le dispositif de prise en charge des mineurs étrangers isolés fonctionne. Les conseils généraux particulièrement concernés par les arrivées ont conservé à charge moins de mineurs isolés étrangers qu'il n'en était entré sur leur territoire. La prise en charge par l'État est assurée pendant les cinq jours passés à déterminer l'âge des enfants - l'analyse osseuse, certes sujette à caution, sert parfois à lever des doutes. Il nous reste 1,5 million sur la dotation. La prise en charge est financée par mon ministère, celui de l'intérieur, ceux de la santé et des affaires sociales. Je sollicite la participation des ministères des affaires étrangères, des transports, de l'éducation nationale, du logement. Nous attendons un arbitrage du Premier ministre. L'excellent rapport de la triple inspection que j'ai demandé montre les pistes pour améliorer un dispositif qui pèse sur les conseils généraux. Mais le comité de pilotage se réunit régulièrement. L'ADF y participe. Il est bon que les départements nous fassent remonter les difficultés.

M. René Vandierendonck. - La question viendra dans les débats.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je vous adresserai une note précise ainsi que le rapport des inspections.

Quand leur profession a été supprimée, les avoués ont obtenu par voie de justice une indemnisation. L'État la finance grâce à un prêt auprès de la Caisse des dépôts qu'il rembourse avec les recettes tirées du timbre d'appel. Mais cette recette est insuffisante et je dois faire des acrobaties budgétaires pour trouver des financements. Nous avons renégocié avec la Caisse des dépôts et prolongé de trois ans la durée du remboursement.

M. Jean-Jacques Hyest. - Voilà l'autopsie d'une bonne réforme... Évitons de recommencer l'erreur !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. - Les maisons d'arrêt en outre-mer constituent une priorité. Nous avons lancé des travaux à Baie-Mahault et à Basse-Terre où les conditions de détention sont indignes. Les personnels pénitentiaires ont du mérite et les détenus ne se révoltent pas.

M. Jean-Pierre Sueur. - Il faut aussi parler de ce qui a été fait. À Nouméa, la situation s'est considérablement améliorée.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. - En effet. Nous avons entièrement restructuré la prison.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie d'avoir pris le temps de nous éclairer. Cependant, le problème des mineurs isolés est loin d'être résolu. Les dispositifs d'urgence des conseils généraux qui ont accueilli beaucoup de mineurs étrangers sont saturés. Ils ont peu de places, car celles-ci avaient vocation à accueillir les mineurs confrontés à un risque de maltraitance. Il ne suffit pas d'augmenter les moyens. Nous restons loin de l'équilibre. Les présidents des conseils généraux ne savent pas comment assurer en même temps l'accueil des mineurs étrangers et celui des enfants maltraités, retirés à leur famille.

La réunion est levée à 16 h 15

- Présidence de Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 16 h 20

Loi de finances pour 2015 - Programme « Administration pénitentiaire » - Examen du rapport pour avis

Au cours d'une troisième réunion tenue dans l'après-midi, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Jean-René Lecerf sur le projet de loi de finances pour 2015 (Programme « Administration pénitentiaire »).

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis. - Le programme n° 107 « Administration pénitentiaire » représente 43 % des crédits de la mission justice.

Le projet de budget pour 2015 s'établit à 3,39 milliards d'euros en crédits de paiement et 4,72 milliards d'euros en autorisations d'engagement. Avec une croissance des crédits de paiement de 5 %, il marque une certaine progression des moyens alloués à l'administration pénitentiaire dans un contexte d'augmentation continue du nombre de personnes placées sous main de justice. L'augmentation significative des autorisations d'engagement s'explique principalement par la renégociation prévue pour 2015 de quatre marchés de gestion déléguée qui arrivent à échéance et par le renouvellement de marchés, notamment de restauration, dans des établissements en gestion publique.

Le plafond d'autorisation des emplois augmente de 528 ETP. Je salue l'effort consenti par le Gouvernement avec la création de 300 emplois destinés aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), de 128 emplois pour l'ouverture des nouveaux établissements pénitentiaires et de 100 emplois au titre du comblement des postes vacants de surveillants en établissement. Néanmoins, cette satisfaction est relativement mesurée. À la maison d'arrêt de Fresnes, j'ai récemment pu constater qu'il y avait encore 65 postes de surveillants vacants. Si la promesse de M. Ayrault de 1 000 postes dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation est tenue, on considère qu'il y aura effectivement entre 600 et 700 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.

J'ai examiné dans mon rapport deux sujets particulièrement importants : d'une part l'encellulement individuel et d'autre part la question de l'islam radical en prison.

Concernant les indicateurs, j'avais suggéré, avec notre collègue député Sébastien Huygue, la création d'un indicateur portant sur le délai de convocation des personnes devant les SPIP. Reprenant partiellement cette proposition, un nouveau sous-indicateur permet de mesurer la part de personnes placées sous main de justice effectivement prises en charge par le SPIP dans les délais de convocation suivant leur libération.

Je signale également la disparition de deux indicateurs, à savoir le taux de formation à la prévention du suicide et le taux d'occupation des unités hospitalières. Ces derniers ne reflétaient pas véritablement une performance.

Je note néanmoins la persistance de lacunes dans l'évaluation de la performance de l'administration pénitentiaire, notamment l'absence d'indicateur sur les violences commises en détention entre les personnes détenues alors même que l'administration pénitentiaire établit un tableau de bord national du nombre d'agressions entre codétenus. Je souligne également la création d'un nouveau sous-indicateur relatif au taux d'agressions physiques et verbales contre le personnel, qui complète le sous-indicateur du taux d'agressions contre un personnel ayant entrainé une interruption temporaire de travail.

En outre, j'exprime mon inquiétude concernant le manque d'ambition des prévisions retenues pour les indicateurs. Ainsi, le pourcentage de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée, qui s'établissait à 37,7 % en 2012, est prévu à 29,5 % pour 2015. Le taux d'occupation des places en maison d'arrêt, après une réalisation de 124 % en 2011, est prévu à 135 % pour 2015.

Quant à l'augmentation générale des moyens de fonctionnement de l'administration pénitentiaire, elle masque d'importantes disparités.

Je regrette ainsi la diminution des crédits de fonctionnement consacrés à la santé des personnes détenues ainsi qu'à l'école nationale d'administration pénitentiaire alors même que d'importants recrutements s'opèrent.

Parallèlement, les dépenses de fonctionnement liées au travail des détenus ainsi qu'aux aménagements de peines des personnes placées sous main de justice diminuent. De même, si votre rapporteur salue la légère augmentation des dépenses de formation des nouveaux arrivants dans les SPIP, il ne peut que s'étonner de la très faible hausse des crédits destinés au placement à l'extérieur (+0,1 million d'euros) et aux subventions aux associations pour des politiques d'insertion en faveur des personnes placées sous main de justice. Au regard de ces montants, votre rapporteur s'interroge sur la réelle détermination de l'administration à mettre en oeuvre sa réforme.

En investissement, la croissance des autorisations d'engagement s'explique presque exclusivement par le lancement de nouvelles opérations immobilières, principalement en outre-mer. Ainsi, seront lancées les constructions du centre pénitentiaire de Lutterbach en Alsace mais aussi le centre de semi-liberté de Martinique, d'établissement à Koné en Nouvelle-Calédonie ainsi que la rénovation de la maison d`arrêt de Basse-Terre et du centre pénitentiaire de Faa'a en Polynésie française. Cette priorité s'impose au regard de la situation très dégradée de l'immobilier pénitentiaire ultra marin.

Les crédits de paiement prévus pour les dépenses d'investissements en 2015 sont tout aussi nécessaires. 64 % d'entre elles seront consacrées aux opérations de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) qui achèvera le programme de construction « 13 200 » avec notamment la reconstruction du centre pénitentiaire de Draguignan et la construction de la maison centrale de Vendin-le-Vieil. L'agence poursuivra également le programme de construction du triennal 2013-2015, qui comprend surtout les opérations de réhabilitation de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et la construction du centre pénitentiaire de Beaumettes 2, ainsi que la construction du centre pénitentiaire de Papéari en Polynésie française et l'extension du centre pénitentiaire de Ducos en Martinique.

L'augmentation des crédits de personnel demeure modeste. Les 1000 postes « SPIP » sous trois ans ne concerneront pas les seuls conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation. Outre 650 postes de conseillers, devraient être créés 70 postes d'encadrement, 100 de personnels administratifs, 70 de psychologues et 110 d'assistants de services sociaux. Aujourd'hui, le nombre de dossiers suivis par conseiller est en moyenne de 100, avec des pointes à 150. Nous n'avons pas d'indicateur sur ce point alors que cela serait pertinent.

Nous sommes également confrontés au problème aigu de manque de logements de fonction des personnels notamment en région lyonnaise et parisienne où il est relativement fréquent que les personnels de surveillance dorment dans les véhicules.

Je note aussi une inadéquation durable entre la population carcérale et les capacités du parc immobilier. Au 1er octobre 2014, le nombre de personnes écrouées détenues est de 66 494, soit une diminution de 1,2 % par rapport au 1er octobre 2013. Au sein de cet effectif, on compte 17 090 prévenus, 2 487 femmes et 712 mineurs.

Mais cette légère diminution intervient dans un contexte d'accroissement constant de la population carcérale. La durée moyenne en détention a augmenté entre 2007 et 2013 de 33 %, alors que la durée moyenne en détention provisoire est restée stable. On constate aujourd'hui une stabilisation du nombre de peines d'emprisonnement ferme prononcées par les juridictions ainsi qu'un recours de plus en plus important aux aménagements de peines.

La dégradation des conditions de détention est particulièrement liée à la promiscuité née de la surpopulation carcérale. En 2013, on dénombre 4 192 agressions physiques et 15 880 agressions verbales contre le personnel, soit un niveau légèrement en baisse par rapport à l'année précédente. De même, les violences entre codétenus sont en légère baisse passant de 8 861 en 2012 à 8 560 en 2013.

Je signale une trop légère baisse des suicides (97 en 2013 contre 106 en 2012), mais aussi une baisse plus nette des actes suicidaires (en comptant les tentatives de suicide) : on dénombre 2 048 actes suicidaires en 2011, 1 777 en 2012 et 1 488 en 2013.

On note des taux élevés d'occupation des établissements pénitentiaires mais qui recouvrent de fortes disparités. Au 1er octobre 2014, les établissements disposaient de 58 054 places opérationnelles. Le taux d'occupation s'élevait à 114,5 personnes détenues pour 100 places. À titre de comparaison, il s'élevait à 118,2 au 1er août 2013.

Ce phénomène n'existe que dans les maisons d'arrêt puisque les établissements pour peine sont soumis à une règle non écrite numerus clausus. Au 1er octobre 2014, le taux d'occupation moyen dans les maisons d'arrêt était de 131,5 personnes pour 100 places. Je cite Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation des libertés : « Les maisons d'arrêt, à la différence des établissements pour peine, mais aussi des maisons de retraite ou des hôpitaux, soient les seuls lieux où il y a encore de le place même quand il n'y en a plus. » Aussi, dans ce contexte, a-t-elle proposé l'interdiction immédiate des matelas au sol par voie réglementaire ou législative.

Je note que la surpopulation dans les maisons d'arrêt s'aggrave par le maintien de personnes condamnées au-delà du délai maximal de deux ans. Au 1er juillet 2014, environ 22 % des 29 279 personnes condamnées détenues en maison d'arrêt (soit 6 335 personnes) purgeaient une peine supérieure à 2 ans d'emprisonnement.

Les taux d'occupation marquent d'importantes disparités géographiques. Ainsi, le centre de détention de Lannemezan a un taux d'occupation de 40 %, celui de Béziers 100 %. De même, le quartier maison centrale d'Alençon-Condé-sur-Sarthe a un taux de 41,7 % alors que celle d'Ensisheim atteint 96,5 %. On relève de tels écarts entre les maisons d'arrêts d'Aurillac (54,2 %), et celle de la Roche-sur-Yon (230,8 %).

La surpopulation carcérale touche particulièrement l'Outre-mer avec une sur occupation parfois proche de 300 % dans certains établissements.

Au-delà de l'indicateur du taux d'occupation qui présente de nombreuses limites, M. Pierre-Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS, mesure le nombre de « détenus en surnombre » : selon ses calculs, ils étaient 12 164 au 1er octobre 2014. Il tient compte dans ses calculs des places non occupées dans les établissements pour peine.

Selon l'administration pénitentiaire, au 28 octobre 2014, 26 341 détenus sur 67 806 étaient seuls en cellule, soit 38,85 % de la population carcérale. Ainsi, plus de 40 000 détenus sont en mesure aujourd'hui de demander à bénéficier de l'encellulement individuel auquel ils ont droit depuis la fin du moratoire, voici quelques jours. Le syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP) faisait observer que « la moitié des problèmes dans les maisons d'arrêts sont dus à l'encellulement collectif».

Je ne suis pas pour autant favorable au numerus clausus. J'estime qu'il porte atteinte au principe d'égalité et au principe d'individualisation de la peine. La réflexion sur l'encellulement individuel s'insère dans une réflexion globale sur l'organisation de la détention.

Je signale un développement très irrégulier des aménagements de peine avec une sous-utilisation considérable des quartiers de semi-liberté, une stagnation des placements à l'extérieur et une augmentation assez vertigineuse du placement sous surveillance électronique fixe.

Concernant l'étude de l'islam radical, je souhaite souligner plusieurs éléments. M. Moulay el Hassan el Alaoui Talibi, aumônier national musulman des prisons, me faisait observer que le problème du radicalisme était lié à l'ignorance. Plus il y aura d'enseignements sur la pratique religieuse, plus on pourra lutter valablement contre ce phénomène. Il observait aussi qu'il y avait peu d'aumôniers musulmans : ils sont aujourd'hui 169 pour 673 aumôniers catholiques, 326 aumôniers protestants, 70 aumôniers israélites. Ce faible nombre s'explique aussi par le faible niveau des aides financières. À la différence des aumôniers militaires ou des établissements hospitaliers, les aumôniers de prison ne sont pas des agents publics. Il constatait néanmoins une baisse des tensions religieuses dans les établissements lorsqu'un aumônier compétent, désigné par l'aumônier national après accord du directeur interrégional des services pénitentiaires, venait remplacer un imam autoproclamé.

Dans la mesure où il y a une augmentation du budget et que les promesses sur les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation sont tenues, j'émets un avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « administration pénitentiaire ».

Loi de finances pour 2015 - Programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice » - Examen du rapport pour avis

La commission a ensuite examiné le rapport pour avis de M. Yves Détraigne sur le projet de loi de finances pour 2015 (Programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice »).

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. - Je voudrais tout d'abord saluer le travail accompli par notre précédent rapporteur pour avis, Catherine Tasca.

Dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, on pourrait croire que le budget de la justice est relativement préservé, puisqu'il progresse de 1,7 %. Toutefois, cette croissance profite exclusivement aux crédits dédiés à l'administration pénitentiaire.

Ceux dévolus aux juridictions régressent de 1 %, pour la première fois depuis les années 2000. Il en va de même pour les crédits relatifs à l'accès au droit.

Cette baisse est d'autant plus inquiétante que la programmation triennale prévoit une contraction du budget de 0,36 %. C'est la fin de l'état de grâce dont a profité, jusqu'à présent, la justice judiciaire. Celle-ci est soumise, comme les autres programmes, à la rigueur budgétaire. L'effet s'en fera inévitablement sentir sur le fonctionnement des juridictions.

C'est le premier point que je voudrais signaler : des auditions que j'ai conduites comme du déplacement que j'ai effectué à la cour d'appel de Lyon, je retiens le constat d'une tension dans les juridictions.

Cette tension est avant une tension sur les effectifs.

Le présent projet de budget est construit sur un paradoxe : le schéma d'emploi augmente d'un emploi, mais la dotation budgétaire diminue de 26 millions d'euros. L'explication ne peut en être trouvée dans une modification de la structure des emplois, puisque, au contraire, des emplois de catégorie C, moins rémunérés, sont remplacés par des emplois de catégorie A ou B.

En fait, le ministère de la justice entend mettre un terme au surdimensionnement du schéma d'emploi par rapport aux emplois réellement pourvus. En cinq ans, nous sommes passés d'une consommation du plafond d'emploi de 100 % à une consommation de 97,5 %.

Ceci a amené ces dernières années le ministère de la justice à transformer les ETPT non pourvus en emplois de vacataires ou de contractuels. Ainsi en 2012, 244 des 562 ETPT non consommés ont été utilisés à cette fin, ce qui représente plus de 10 millions d'euros.

Finalement, en diminuant la dotation budgétaire de 26 millions d'euros, le Gouvernement se privera de la possibilité de recourir aux vacataires. Or, les juridictions en ont réellement besoin.

En effet, elles connaissent un très important taux de vacances : en moyenne 5 % des postes de magistrats ne sont pas pourvus, et 7,6 % pour des postes de fonctionnaires.

Certes, le Gouvernement a fait d'importants efforts de recrutement. Mais ceux-ci ne seront pas à la hauteur des besoins : outre que tous les postes ouverts au concours n'ont pas été pourvus, nous arriverons, en 2015, 2016, 2017 et 2018 au plus haut niveau des départs à la retraite. Ainsi, plus de 300 magistrats partiront à la retraite en 2017 et 700 fonctionnaires, ce qui absorbera la totalité des sorties d'écoles.

Cette tension, perceptible dans les effectifs, l'est aussi entre eux. J'ai pu constater, lorsque j'ai travaillé avec Nicole Borvo-Cohen Seat sur la réforme de la carte judiciaire, combien la solidarité traditionnelle qui unit les magistrats et les greffiers avait compté pour garantir le bon fonctionnement des juridictions. Or, cette année, pour la première fois, j'ai observé de grandes tensions entre les greffiers et les magistrats. Pourtant, et c'est là un point positif, la garde des sceaux a tenu l'engagement qu'elle avait pris d'une revalorisation statutaire des personnels de greffe. Mais ceci n'a pas suffi : les discussions qui ont eu lieu à l'occasion de la réflexion sur la justice du XXIème siècle ont laissé des traces. Les greffiers ont parfois mal ressenti les propos tenus par certains magistrats qui leur ont contesté la compétence suffisante pour les remplacer dans certaines tâches. La ministre de la justice devra apaiser ce conflit, car il est délétère pour le bon fonctionnement des juridictions.

Enfin, dernier point de tension dans les juridictions : les frais de justice. Il y a eu de notables progrès les deux années passées. Mais la situation risque à nouveau de se dégrader et les magistrats que j'ai interrogés m'ont confirmé qu'ils étaient obligés de différer à partir de juillet le paiement de nombreuses factures. J'ai le sentiment sur cette question d'un retour en arrière comme aux premières heures de la LOLF.

Au 31 juillet de cette année, la dotation « frais de justice » était consommé aux trois quarts, ce qui représente un rythme de consommation supérieur de 5 % à ce qu'il était l'année dernière. Les besoins réels, selon les services de la chancellerie seraient de 570 millions d'euros : le budget pour 2014 n'en a prévu que 455 millions, et l'enveloppe devrait être encore réduite l'an prochain : la sous-dotation potentielle est de 110 millions d'euros !

Le Gouvernement espère de substantielles économies grâce à une maîtrise des frais de justice. Il compte notamment économiser 30 millions grâce à la plateforme nationale des interceptions judiciaires. Cette somme correspond aux frais de location du matériel d'interception : l'État se fournit aujourd'hui auprès d'opérateurs particuliers. Demain, les juridictions feront appel à la plateforme nationale. Toutefois, j'observe que le déploiement de cette plateforme a pris du retard.

D'une manière générale, l'expérience enseigne que la dépense des frais de justice est dynamique et que les économies sont toujours inférieures à ce qu'on en attend. L'enveloppe des frais de justice devra donc faire l'objet d'une attention vigilante l'an prochain.

La principale nouveauté en ce qui concerne le programme relatif à l'accès au droit est la mise en oeuvre de nouveaux financements de l'aide juridictionnelle, pour un rendement de 43 millions d'euros. Afin de respecter la consigne de ne pas créer de taxe nouvelle, le ministère de la justice propose d'augmenter trois taxes déjà existantes :

- celle sur les actes d'huissiers ;

- celle relative au droit fixe de procédure pénale, payée par les condamnés à un procès pénal ;

- celle sur les contrats de protection juridique.

L'essentiel de la ressource proviendrait de cette dernière taxe, puisque son rendement serait de 25 millions d'euros. La fédération française des sociétés d'assurances, comme le groupement des entreprises mutualistes, y sont farouchement opposées.

Pour une part, ces nouveaux financements compenseront les nouvelles dépenses créées par des lois récentes : assistance de l'avocat lors de l'audience libre ou lors des déferrements devant le parquet.

Le rapporteur général de la commission des finances a proposé de les supprimer et de rétablir la contribution pour l'aide juridique. Mais le Sénat ne l'a pas suivi.

Enfin, avant de conclure, je voudrais formuler trois observations.

La première a trait à la réforme de la justice engagée par la garde des sceaux, et désignée sous l'appellation « Justice du 21e siècle ». Les premières concrétisations de cette réforme devraient advenir en 2015, avec le dépôt d'un projet de loi organique et d'un projet de loi ordinaire, la mise en place d'une première version d'un portail du justiciable et l'expérimentation de services universels d'accueil de greffe. Le Gouvernement a visiblement renoncé à l'idée d'un bouleversement immédiat de l'organisation judiciaire et s'est rangé à l'analyse que nous avions développée avec Virginie Klès d'une réforme pragmatique, étape par étape, qui privilégie le guichet universel de greffe et qui garantisse immédiatement un meilleur accès à la justice. Il y a tout lieu de s'en féliciter.

Ma deuxième observation concerne la façon dont les réformes sont conçues. J'ai été réservé sur la réforme relative à la contrainte pénale, parce que je craignais que les moyens ne suivent pas ou qu'ils soient retirés à d'autres secteurs pour combler les nouveaux besoins créés. Le présent budget en est une bonne illustration : l'administration pénitentiaire absorbe les marges de manoeuvres disponibles, au détriment du budget des services judiciaires. À privilégier certains maillons de la chaîne pénale par rapport à d'autres on court le risque d'en fragiliser l'ensemble. L'idéal serait de cesser de faire des réformes sans moyen. Mais, une fois votées, il incombe au Gouvernement de mobiliser les moyens nécessaires ou de les adapter : est-il raisonnable, comme le propose le présent texte, de reporter une nouvelle fois la collégialité de l'instruction et la suppression des juridictions de proximité ?

Enfin, ma dernière observation porte sur le lien entre la réforme territoriale et la réforme judiciaire. La loi MAPAM nous en fournit un exemple avec la création de la métropole de Lyon. Actuellement, le département du Rhône est divisé en deux ressorts judiciaires : le nord dépend du TGI de Villefranche-sur-Saône, le sud du TGI de Lyon. La création de la métropole, le 1er janvier prochain, va bouleverser la donne, puisqu'elle se substituera au département et aux communes sur l'ensemble de son territoire. Les juridictions s'interrogent sur les évolutions possibles, mais la Chancellerie ne semble pas avoir encore tranché.

En conclusion, vous l'aurez compris, dans un contexte budgétaire très difficile, les crédits dévolus aux juridictions restent relativement préservés. Toutefois certains suscitent de légitimes inquiétudes, dont la ministre me semble consciente. Je vous propose de donner un avis favorable, mais vigilant, à l'adoption des crédits de ce budget.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la justice judiciaire et à l'accès au droit au sein de la mission « justice ».

Loi de finances pour 2015 - Programme « Protection judiciaire de la jeunesse » - Examen du rapport pour avis

La commission a enfin examiné le rapport pour avis de Mme Cécile Cukierman sur le projet de loi de finances pour 2015 (Programme « Protection judiciaire de la jeunesse »).

Mme Cécile Cukierman, rapporteur pour avis. - Il me revient, pour la première fois, de vous présenter l'avis budgétaire sur les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », succédant ainsi à notre collègue Nicolas Alfonsi qui a mené cet exercice pendant une décennie au nom de notre commission. C'est donc pour nous l'occasion de rendre hommage à cette constance et à la qualité de son engagement dans ce domaine.

Les crédits de la Protection judiciaire de la jeunesse ont connu au cours des dernières années des évolutions contrastées.

Ils ont en effet connu une forte diminution entre 2008 et 2011, de près de 6 %, passant de 804,4 millions d'euros à 757,6 millions d'euros en crédits de paiement. Cette diminution des crédits s'est accompagnée d'une diminution des effectifs de - 632 ETPT sur la période 2008-2012, dans un contexte de réforme et de réorganisation territoriale d'ampleur de cette administration.

En revanche, les années 2012 et 2013 avaient vu augmenter les crédits de la PJJ, essentiellement au bénéfice des solutions de placement à destination des auteurs de faits les plus graves, en particulier des centres éducatifs fermés. Cette tendance avaient d'ailleurs fait l'objet de prises de position de notre commission, soulignant la nécessité de ne pas sacrifier la diversité des prises en charge des mineurs délinquants à la mise en place de ces centres éducatifs fermés, certainement utiles dans la panoplie dont dispose la PJJ mais aussi très coûteux et dont l'efficacité à long terme reste à évaluer.

Après cette augmentation des crédits en 2012-1013, la PJJ n'avait pu se soustraire à la rigueur budgétaire commune en 2014, avec une diminution de 0,6 % des crédits de paiement par rapport à la LFI 2013.

Le projet de budget du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » pour 2015 se caractérise pour sa part par la stabilité même si on note une légère dégradation. Les crédits de paiement s'élèvent à 778 millions d'euros environ (-0,7 %), résultant de la hausse des dépenses de personnel et d'une baisse des autres dépenses (fonctionnement, investissement et interventions) de plus de 3,2 %. Les autorisations d'engagements connaissent quant à elles une légère augmentation.

En revanche, il convient de saluer la création d'une soixantaine d'ETPT en 2015. Lorsque nous l'avons entendue, la directrice de la PJJ nous a fait part de sa satisfaction à cet égard mais n'a pas fait mystère de sa conviction qu'après la baisse des années 2008-2012, cette hausse n'offrait pas pour autant un quelconque confort de fonctionnement à la PJJ, qui aurait selon elle juste - tout juste -les moyens d'assurer ses missions. Cette administration fonctionne à flux tendus. En outre, les syndicats ont souligné que les créations d'emplois annoncés dans la loi de finances initiale étaient souvent assez longues à se traduire concrètement, comme la directrice de la PJJ l'a reconnu elle-même à propos des créations des deux années précédentes.

Par ailleurs, il existe un jeu de vases communicants entre les moyens du secteur publics de la PJJ et ceux du secteur associatif habilité, dont il faut rappeler qu'il met en oeuvre, à travers les prestations de ses établissements et de ses services, une partie non négligeable des mesures décidées à l'encontre des mineurs par les juges des enfants, les juges d'instruction et les magistrats du parquet. Or, entre 2008 et 2014, les crédits du secteur associatif habilité ont diminué d'environ 80 million d'euros, soit plus de 25 %. En outre, le nombre d'associations habilitées est lui-même en forte baisse.

Or, les créations de postes dans le secteur public de la PJJ prévues pour 2015 vont nécessairement aller de pair avec une mobilisation accrue de crédits de fonctionnement du titre III, dont le volume n'augmente pas. Or, le titre III comprend l'ensemble des crédits du secteur associatif habilité, y compris les dépenses de personnel. Ainsi, mécaniquement, les crédits du SAH vont encore diminuer en 2015, passant de 232 à 225 millions d'euros.

Certes, le secteur associatif habilité n'a pas de droit acquis au maintien de son activité. Néanmoins, il faut reconnaître que cette diminution constante suscite une inquiétude compréhensible chez les associations. Certaines d'entre elles, en effet, sont de petites structures, par exemple celles qui mettent en oeuvre les mesures de réparation pénale, mesures dont l'utilité est unanimement reconnue. La diminution des budgets conduit rapidement à la nécessité, pour ces petites associations spécialisées, de diminuer leurs effectifs.

En effet, la PJJ ne peut se passer des associations, qui sont souvent les premières à mettre en place les solutions innovantes que le secteur public reprend ensuite à son compte : ainsi le secteur associatif a-t-il été le premier à mettre en oeuvre des mesures de réparation pénale dans les années 90 ; il a également été le plus investi dans le dispositif des centres éducatifs fermés.

Il semble donc nécessaire de refonder les relations entre la PJJ et le secteur associatif de manière à ce que les associations aient davantage de visibilité à moyen terme sur les intentions du ministère de la justice à leur égard. D'un point de vue financier, l'extension du système de la dotation globale de financement, qui n'est mis en oeuvre actuellement que pour les centres éducatifs fermés associatifs, est sans doute souhaitable.

Par ailleurs, la garde des sceaux a annoncé une prochaine réforme de la justice pénale des mineurs.

En effet, s'il ne semble pas choquant qu'un texte aussi important que l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante soit modifiée de temps à autres pour tenir compte des évolutions du droit pénal général , de nos engagements internationaux ou encore des évolutions de notre société, toutefois, en 10 ans plus d'un dizaine de lois sont venues modifier, de manière souvent importante, ce texte fondateur. Pas toujours cohérentes entre elles, ces modifications stratifiées ont rendu l'ordonnance du 2 février 1945 difficilement lisible pour les juges eux-mêmes.

Cette complexité a un risque : celui que les juges ne prononcent que quelques mesures qu'ils connaissent bien, parfois davantage en fonction des disponibilités des services du secteur public de la PJJ ou du secteur habilité que des besoins réels de chaque mineur.

Dès lors, une réforme d'ensemble s'impose. Cette réforme devra d'abord respecter les principes dégagés par le Conseil constitutionnel en la matière, c'est-à-dire « l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées » (Décision sur la loi Perben I du 9 septembre 2002).

Cette réforme devra aussi respecter les engagements internationaux de la France en matière de droits des enfants. En effet, les règles minimales des Nations-Unies, la convention internationale des droits de l'enfant et la convention européenne des droits de l'homme imposent toutes une forme de spécificité de la justice des mineurs par rapport à celle des majeurs.

Sur le fond, il me semble d'abord que cette spécificité plaide fortement pour la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, que notre commission avait déjà souhaité abroger lors de l'examen du projet de loi sur la récidive en juillet dernier. A cette occasion, la garde des sceaux nous avait demandé d'attendre la future réforme de l'ordonnance du 2 février 1945.

Par ailleurs, le fait d'instaurer la césure du procès au centre de la procédure ordinaire de jugement des mineurs permettrait de sortir du débat sur les mesures de comparution rapide sans instruction qui ont été insérées progressivement au sein de l'ordonnance du 2 février 1945. En effet, les faits commis par les mineurs sont rarement des faits d'une grande complexité nécessitant une longue instruction. Il semble donc possible, le plus souvent, de statuer rapidement sur la culpabilité. En revanche, il est raisonnable de prévoir un temps plus long pour mieux connaître la personnalité et la situation précises dues mineurs afin de prononcer, dans un second temps, la sanction la plus adaptée.

Enfin, une simplification de l'organisation des mesures et sanctions éducatives et des mesures de suivi éducatif en milieu ouvert serait souhaitable afin de redonner de la lisibilité au bénéfice du juge comme des citoyens.

Je souhaiterais enfin évoquer le placement de mineurs délinquants dans des familles d'accueil.

En 2013, 762 jeunes ont été confiés à des familles d'accueil relevant du secteur public et des associations.

Le rôle de ces familles dans la prise en charge des mineurs délinquants est généralement salué, tant il offre un cadre propice à leur progression.

Les familles d'accueil elles-mêmes sont, en général, satisfaites de leur suivi par la PJJ. En effet, le placement familial est en réalité une mesure où la responsabilité de l'évolution du mineur est assumée à la fois par la famille et par les éducateurs de la PJJ, ceux-ci assurant un suivi très intense en étant notamment joignables 24 heures sur 24 en cas de besoin. Les éducateurs participent ainsi à toutes les décisions relatives à ce que le mineur peut ou ne peut pas faire, de sorte qu'ils assument une part prépondérante de la dimension éducative du placement.

En 2012, un rapport de l'inspection générale des services judiciaires a fait le point sur cette mesure.

Ce rapport constate le bon fonctionnement général du dispositif mais relève un flou juridique concernant le statut des familles. Celles-ci sont en effet considérées par la PJJ comme des bénévoles indemnisés mais il n'est fait mention de leur existence dans aucun texte législatif, seul un décret faisant référence à leur existence, sans autre précision. Or, il existe à contrario un statut des familles de placement dans le secteur de l'enfance en danger, compétence des conseils généraux, ces familles étant salariées et non pas indemnisées, et bénéficiant des avantages sociaux liés à ce statut contrairement aux familles d'accueil des mineurs délinquants. Dès lors, l'IGSJ estime qu'il existe un certain risque juridique de requalification de la mission des familles d'accueil de la PJJ en contrat de travail.

Or, toute évolution en la matière serait assez coûteuse pour la PJJ, qu'il s'agisse d'une professionnalisation de ces familles d'accueil sur le modèle des mineurs en danger ou d'une délégation au secteur associatif habilité. En outre, il faut reconnaître que le placement en famille d'accueil tel qu'il existe actuellement permet une certaine souplesse, qui risquerait d'être perdue en cas de changement de statut. Dès lors, il semble que la PJJ ait décidé de ne pas trancher. Encore faudrait-il améliorer la reconnaissance de ces familles dont les deux tiers estiment que leur indemnisation est insatisfaisante au regard des frais engendrés par l'hébergement d'adolescents, bien que cette indemnisation ait été revalorisée en 2013.

Voici, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Pour ma part, les crédits prévus pour 2015 me paraissent quelque peu insuffisants pour assurer au quotidien l'individualisation et la continuité du parcours des jeunes.

Sous réserve de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable, mais vigilant, aux crédits de la PJJ pour 2015.

Votre commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182 « protection judiciaire de la jeunesse » du projet de loi de finances pour 2015.

La réunion est levée à 17 h 05

Jeudi 27 novembre 2014

- Présidence de Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35

Nouvelle organisation territoriale de la République - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.

M. Philippe Bas, président. - Nous avons le plaisir et l'honneur d'accueillir M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, qui pourra nous éclairer sur les enjeux financiers de la réforme territoriale. Nous devrons nous prononcer sur ce texte en décembre, et nous avons déjà procédé à de nombreuses auditions - présidents de Länder, universitaires, Conseil d'État, associations... Nous nous sommes même rendus sur le terrain, dans l'Eure-et-Loir, pour échanger avec les différents acteurs locaux de ce département.

M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. - Je suis heureux de répondre à votre invitation.

Un certain nombre des mesures qui figurent dans le projet de loi soumis à votre examen concernent la Cour des comptes.

Ainsi, l'article 30, qui reprend l'une de nos préconisations, prévoit que l'exécutif local présentera à l'assemblée délibérante un rapport sur les suites données aux observations des chambres régionales des comptes. C'est une mesure utile qui renforcera la transparence de ces contrôles. Dans le même article, des précisions sont données sur les documents à remettre dans le cadre du débat d'orientation budgétaire qui sera organisé. Cela répond à nos recommandations pour enrichir ce débat et mieux informer les élus. Tout ce qui concerne la gestion de l'endettement et la structure de la dette sera particulièrement utile.

L'article 31 prévoit que la Cour remettra chaque année un rapport sur la gestion financière des collectivités territoriales. Nous avions anticipé, puisque nous avons présenté le deuxième rapport de ce type, il y a quelques semaines déjà. Inscrire ce rapport dans la loi va dans le bon sens. Les juridictions financières y trouveront un réel intérêt, et la Cour et les chambres régionales pourront travailler en complémentarité.

L'article 32 dispose qu'une expérimentation sera mise en place pour la certification des comptes de grandes collectivités territoriales, sur la base du volontariat. Elle ne peut être pertinente que dans le cas de collectivités d'une certaine importance ; ce ne serait qu'un excès de lourdeur pour les autres. Le dispositif proposé envisage à juste titre des travaux préalables à mener : sur quoi portera la certification ? Selon quelles modalités ? La question du compte financier unique devra également être résolue. La Cour est prête à apporter son concours à une telle expérimentation, mais la signification de « la Cour coordonne » mérite d'être précisée. Doit-il y avoir plusieurs acteurs ? Mieux vaudrait écrire « la Cour conduit » l'expérimentation, selon des modalités restant à préciser, sachant que pour l'Europe, la certification entre dans le champ concurrentiel. La Cour bénéficiera-t-elle d'un droit exclusif pour certains établissements à statut particulier ? Au-delà de l'expérimentation, je ne suis pas certain que ce soit son rôle de procéder elle-même à l'exercice de certification des comptes. Enfin, rappelons que certifier les comptes n'est pas un exercice de contrôle : vous le savez bien, puisque la Cour certifie les comptes du Sénat.

Je n'ai pas d'observations particulières sur les autres articles, sinon que la création d'un observatoire de la gestion publique locale me parait aller dans le bon sens. En revanche, certaines dispositions ne figurent pas dans le texte ; ainsi, rien n'est prévu au titre IV pour éviter que certaines collectivités, mises en garde par un contrôle budgétaire, ne récidivent dans leur mauvaise gestion des comptes.

J'en arrive à quelques remarques d'ordre général.

La Cour des comptes a eu de nombreuses occasions pour livrer ses constats ou ses observations sur la situation des finances publiques et des finances locales. Dans le cadre européen, l'État s'est engagé vis-à-vis de ses autres partenaires, non seulement sur les finances publiques, mais aussi sur les finances de la Sécurité sociale et sur celles des collectivités territoriales. Or il ne dispose pas d'outils pour faire respecter ses engagements au niveau des collectivités territoriales. Des propositions restent à faire pour améliorer la gouvernance entre l'État et les collectivités territoriales. Elles pourraient s'inscrire dans un cadre constitutionnel, puisque les articles 72 et 34 de la Constitution prévoient la « libre administration des collectivités territoriales dans le cadre des lois qui la règlementent ». Le législateur est donc en droit de fixer des règles pour encadrer les relations entre l'État et les collectivités.

Chacun doit contribuer à l'effort de redressement des comptes publics. Nous invitons l'État à clarifier ses compétences par rapport aux collectivités territoriales. À vouloir tout faire, il ne pourra plus exercer pleinement ses compétences régaliennes. Chaque nouvelle étape de décentralisation devrait s'accompagner d'une redéfinition des missions de l'État. Les juridictions financières n'ont jamais été très favorables à la clause de compétence générale. Nous verrions d'un bon oeil sa remise en cause. Il faudrait clarifier les compétences à tous les niveaux. Par exemple, dans le bloc communes et intercommunalités, on reste souvent à mi-chemin dans le partage des compétences. La mutualisation des moyens n'est pas menée à son terme, de sorte qu'elle crée des facteurs de dépenses supplémentaires plutôt que de maximiser les économies possibles. Nous avons également suggéré de conclure, au sein des intercommunalités, un pacte de gouvernance financière et fiscale. Ce pacte existe déjà ; il faudrait le rendre obligatoire. Quant aux régions, leur part de fiscalité pourrait être revue à la hausse, en fonction des nouvelles compétences qui leur seront attribuées. Enfin, des propositions restent à faire pour le calcul des péréquations.

M. Philippe Bas, président. - Le Sénat est toujours très attentif aux recommandations de la Cour des comptes. Dans les dispositions relatives à la transparence financière, vous n'avez pas mentionné l'article 33 qui inquiète les responsables des collectivités territoriales, car il est lourd de conséquences : quand l'État est condamné pour manquement à ses obligations par la Cour de justice de l'Union européenne, il peut engager une action récursoire à l'encontre des collectivités territoriales responsables du manquement. Mais s'il y a eu manquement, c'est que le contrôle de légalité a nécessairement été défaillant... La Cour des comptes s'est-elle penchée sur ce problème ? Enfin, vous nous avez dit que le Gouvernement disposait de moyens limités pour contrôler les dépenses des collectivités territoriales. La baisse des dotations est pourtant une contrainte réelle et substantielle.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - J'ai défendu l'idée de la certification des comptes, il y a vingt ans déjà. Cela fonctionnerait mieux que certains classements AAA. Je partage votre insatisfaction sur la rédaction de l'article 32. Les rapports de la Cour des comptes sur la situation des collectivités territoriales ont parfois été sévères. Néanmoins, il existe bien des communes qui récidivent dans la mauvaise gestion de leurs comptes. J'en connais ! C'est un phénomène récurrent. Quant à la clarification des compétences, elle est nécessaire. Au fil de la décentralisation, l'État a conservé ses compétences régaliennes tout en demandant de l'aide aux communes pour pallier ses manques pécuniaires. On a maintenant une police municipale à côté de la police nationale ; c'était hors de question, il y a trente ou quarante ans. Dans certains domaines, l'État accorde peu de crédits publics, tout en prétendant garder le contrôle.

Où sont les avancées de la décentralisation dans ce projet de loi ? Il ne propose en fait qu'une nouvelle répartition des compétences entre les collectivités. Les péréquations ont transformé la fiscalité locale en maquis impénétrable. Jusqu'à présent, l'État transférait des recettes sous forme de dotations, en même temps que les compétences. Une loi sur les finances des collectivités locales contribuerait à plus de clarté.

Enfin, le projet de loi ne modifie en rien le bloc communal. Ne faudrait-il pas aller plus loin ? Et pourquoi demander aux collectivités d'assumer une part si importante de l'effort de redressement des comptes publics, puisqu'elles doivent présenter des budgets en équilibre ?

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - Depuis hier, Bruxelles a ouvert une procédure d'infraction sur le barrage de Sivens. L'article 33 prévoit la subrogation automatique de la responsabilité de l'État aux collectivités locales. Comme mon collègue Jean-Jacques Hyest, je suis extrêmement réservé sur cette mesure. Concernant les crédits européens et leur mobilisation, l'État a mis en place une usine à gaz, dont l'exemple paroxystique est le Fonds social européen. D'autres États européens - la Belgique, par exemple - ont une procédure beaucoup plus fluide. Il y a quelques jours, une ministre- présidente allemande nous expliquait qu'elle n'échangerait pas pour tout l'or du monde la garantie constitutionnelle de ses dotations contre la prétendue autonomie fiscale dont nous nous gargarisons, ici... Selon les rapports de la Cour des comptes - que nous lisons attentivement, au Sénat ! -, l'optimisation de l'action publique doit être recherchée plutôt au niveau du bloc communal, en éliminant les doublons qui subsistent après le transfert des compétences. Pourquoi vos recommandations n'ont-elles pas d'effets ? Il y a plus de dix ans, vous avez dit que la communauté urbaine de Lyon devait prendre en charge l'entretien de la voirie dont elle avait la compétence. Pourquoi ce principe n'a-t-il pas été appliqué sur tout le territoire ? C'est parce que j'ai une haute idée de la juridiction financière que je vous fais remarquer cette disparité d'application.

Dans votre dernier rapport - et je vous en remercie - vous préconisez, pour aider des régions exsangues, de leur donner des recettes fiscales supplémentaires indexées sur leurs nouvelles compétences. Avant de créer un Ondam pour les collectivités territoriales, ne faudrait-il pas rendre leurs recettes fiscales plus cohérentes ?

M. Rémy Pointereau, rapporteur pour avis de la commission du développement durable. - J'ai été très contrarié, cet été, par les conclusions de votre rapport, reprises en boucle par les radios, selon lequel les collectivités territoriales dépensaient trop et avaient une dette abyssale. Nombre de citoyens nous ont interrogés. Vous savez pourtant d'expérience que la majorité des communes, surtout rurales, sont gérées en bon père de famille, et souvent presque bénévolement. Il aurait fallu parler davantage des transferts de compétences effectués par l'État, qui a chargé les communes ou les communautés de communes de fonctions supplémentaires : crèches, sports, PLUi, police municipale... En évoquant l'explosion de la dette, il aurait fallu mieux distinguer entre dépenses d'investissement et dépenses de fonctionnement. Contrairement à l'État, notre budget doit être équilibré et nous ne pouvons emprunter que pour investir. Rappelons-le, pour éviter d'inquiéter la population.

En quoi l'agrandissement des régions ou le transfert à celles-ci des routes départementales sera-t-il un facteur d'économies ? Les transports scolaires requièrent une gestion de proximité. Confier cette gestion à d'immenses régions, notamment dans le Sud ou l'Est de la France, générera-t-il des économies ? Il y a un ministre de l'égalité des territoires. Comment peut-on employer cette expression alors que les dotations par habitant sont, en moyenne, de 20 euros pour les communautés de communes, essentiellement rurales, de 40 euros pour les habitants des communautés d'agglomération et de 60 euros pour les communautés urbaines et les métropoles ? Pouvez-vous nous expliquer ces écarts ?

M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Allez-vous faire évoluer le mode de calcul de la DGF ? Son logiciel de fonctionnement correspond à un modèle dépassé, dont la logique semble être : « Aide-toi, le ciel t'aidera » : plus on augmente la fiscalité, plus on est aidé. C'est une incitation à l'inflation fiscale. Mieux vaudrait reconnaître les efforts de celui qui gère avec rigueur et ne prélève pas d'impôts excessifs. Or, de tels gestionnaires sont actuellement pénalisés de manière systématique dans les dispositifs de péréquation.

Comment maintenir un équilibre budgétaire alors même que sont prises en permanence des mesures qui ne peuvent que déséquilibrer les budgets des collectivités territoriales, notamment des départements ? Dès 2016, les trois quarts d'entre eux ne pourront plus respecter les règles comptables d'équilibre, puisqu'ils ne pourront plus affecter leur épargne brute à l'amortissement, alors même qu'ils devront amortir les subventions d'investissement octroyées aux communes. Nous en avons longuement parlé à l'Assemblée des départements de France (ADF) : les règles comptables doivent être adaptées.

Une grande région, qui se verra confier 35 000 kms de routes, 600 collèges, 400 lycées, aura 25 000 personnels pour gérer l'ensemble ! Est-ce de la rationalisation ? Les départements qui ont fait de gros travaux sur leurs routes ou dans leurs collèges transféreront à la région un patrimoine bien entretenu et celle-ci touchera une dotation importante, puisqu'elle aura été calculée sur le fonctionnement ou l'investissement des dernières années. La situation inverse prévaudra si le département n'a pas fait son travail. Il y aura donc des déséquilibres. Cette déstructuration budgétaire ne fera qu'accentuer la pente sur laquelle glissent les budgets des départements.

Allons-nous parvenir à clarifier les compétences sociales ? Nous ne pouvons que faire des propositions par voie d'amendement, mais l'article 40 de la Constitution restreint notre marge de manoeuvre. Pour régler le problème des mineurs étrangers isolés ou celui des personnes âgées, il faut absolument clarifier les compétences des uns et des autres. Merci, en tout cas, pour le référé adressé à la ministre de la santé sur la tarification des EHPAD : les décrets ne sont pas pris, les financements mal répartis... Le dossier va peut-être enfin avancer !

M. Jean-Pierre Sueur. - Certaines des questions posées s'adressent à nous-mêmes : le Premier président n'est pas chargé de voter la loi... Son discours, très intéressant, aurait sans nul doute encore plus d'effet au Congrès des maires de France !

Vous avez raison de dire que, dès lors qu'il faut réduire la dépense publique après vingt-cinq années trop peu précautionneuses, les collectivités territoriales doivent prendre part à l'effort. Vos remarques sur l'intercommunalité sont très justes. N'y manque que l'évocation du moyen de s'assurer que, si une dépense ou une compétence est transférée, les personnels et les moyens afférents le soient aussi. Certaines collectivités territoriales sont vertueuses, d'autres, peut-être plus nombreuses, le sont moins.

C'est un partisan du non cumul qui l'affirme : dès lors que les parlementaires appelés à statuer sur l'organisation territoriale sont les représentants d'un niveau de collectivités, cela pose problème. Lorsque M. Raffarin nous a présenté sa loi de décentralisation en 2003-2004, il voulait en faire une loi pour la région. Résultat : seuls les départements ont gagné dans le processus...

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Pas vraiment...

M. Jean-Pierre Sueur. - La loi a été plus départementaliste que régionaliste. J'espère qu'il n'en ira pas de même pour ce texte, mais j'ai quelques craintes... Pourtant, les parlementaires n'ont pas vocation à se faire les relais d'un niveau territorial ou d'une strate de collectivités.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Dites-le en séance !

M. Jean-Pierre Sueur. - Nous sommes le pays au monde, à l'exception de l'Allemagne, dans lequel il y a le plus de dotation. Ce qui le justifie, c'est la mission de solidarité de l'État. Il devrait donc y avoir davantage de péréquation. Or la complexité du calcul de la DGF l'empêche. Il n'est pas possible que les ressources de grandes régions, surtout si elles ont davantage de compétences, proviennent exclusivement des dotations de l'État. La solution ? Baisser la dotation de l'État et augmenter d'autant la fiscalité locale. Bon courage !

M. Jean-René Lecerf. - Vous avez évoqué une nouvelle répartition des ressources fiscales des collectivités territoriales au profit des régions. S'agit-il de poursuivre la dévitalisation des départements ? Dans de nombreuses communes, l'État devient le principal payeur des impôts locaux, ce qui n'incite en rien à maîtriser la fiscalité locale et a même des effets pervers : membre de la commission communale des impôts directs d'une grande ville, j'ai constaté que les services fiscaux s'évertuaient à classer aussi bas que possible les bâtiments nouveaux, au risque de porter atteinte à la mixité sociale.

M. Michel Bouvard. - Merci pour cet éclairage. Je suppose que la Cour des Comptes attend de ce texte un accroissement de l'efficacité du fonctionnement des collectivités territoriales et de l'État et, donc, des économies.

Malgré la décentralisation, l'État a conservé certaines compétences, ce qui nuit au financement de ses missions régaliennes. Doit-il, dans son organisation, tirer les conséquences de la réforme de la carte des collectivités territoriales ? Par exemple, qu'adviendra-t-il des résidus du réseau routier de l'État gérés par la direction interrégionales des routes Rhône-Alpes-Bourgogne si la région devient Rhône-Alpes-Auvergne ? Il convient de compléter la RéATE à la lumière de la nouvelle organisation territoriale.

Les compétences doivent-elles être réparties uniformément par niveau de collectivité ou devons-nous, dans certains secteurs, envisager des adaptations territoriales, quitte à admettre des délégations de compétences d'une collectivité vers une autre ?

La question de la certification avait été abordée lors de la précédente réforme des juridictions financières. La Cour des Comptes ne saurait, bien sûr, mener une certification généralisée, mais elle pourrait fixer un cadre au travail d'acteurs privés, voire des orientations : information des assemblées délibérantes, structure de la dette...

Pour être efficace, la péréquation ne devrait-elle pas être plus vertueuse ? Au lieu d'avoir un effet pousse-au-crime sur la fiscalité, elle devrait prendre en compte l'efficacité de la gestion et ne pas récompenser celui qui a laissé filer la dépense.

M. Philippe Kaltenbach. - Merci pour cet exposé brillant sur les finances des collectivités territoriales. Pourriez-vous nous donner une liste exhaustive des doublons assurés par l'État malgré les transferts de compétences ? Il s'agit d'un véritable gisement d'économies. N'est-il pas temps de réformer la DGF, dont le fonctionnement est complexe, difficile à comprendre, et pas toujours très juste ? Les péréquations horizontales suscitent également des difficultés. Mieux vaudrait un système unique, juste et lisible. Tous les élus veulent davantage de moyens mais aucun ne souhaite augmenter les impôts. Nous devrions peut-être engager une réforme des bases fiscales qui fasse porter davantage la fiscalité locale sur les ménages, en l'indexant mieux sur le niveau des revenus, ce qui serait plus juste qu'un système fondé sur la valeur des biens. Les compétences, sur lesquels nous débattons, requièrent des moyens. Puisque les départements vont rester, finissons-en avec la clause de compétence générale, afin que chaque collectivité territoriale se concentre sur ses objectifs propres.

M. Didier Migaud. - Beaucoup de vos questions se rejoignent... et certaines réponses sont au-dessus de ma condition : respectueuse de l'organisation des pouvoirs publics, la Cour des Comptes n'a nullement l'intention de se substituer au législateur. Nous nous bornons à faire des constats et à formuler des recommandations. Le dernier mot appartient aux parlementaires, qui votent la loi.

Je vois que plusieurs d'entre vous ont été contrariés par notre dernier rapport sur les finances locales ; j'ai d'ailleurs eu un échange intéressant avec le comité des finances locales. Le rapport n'avait aucunement pour but de stigmatiser les élus locaux ou leur gestion des collectivités territoriales : je vous invite à le lire de bout en bout. Hélas, il peut arriver que notre message soit déformé ou réduit par les médias à quelques titres. Il y a eu, aussi, des sur-réactions à ce rapport, qui ont peut-être contribué à l'instauration d'un climat qui a pu paraître hostile. Des communiqués ont paru avant même que je ne le présente...

Nous raisonnons sur l'année 2013, à partir de chiffres officiels et des contrôles effectués par nos chambres régionales. Nous avons bien établi la différence entre la dette des collectivités territoriales et la dette de l'État ou de la sécurité sociale, en précisant dans le rapport que la première n'est pas de même nature que les deux autres, puisque les collectivités territoriales ne peuvent emprunter que pour financer des investissements. Cela dit, leurs emprunts sont comptabilisés dans la dette globale, telles que la définissent les traités européens et nos propres lois. Elles contribuent donc à la dette au sens de Maastricht, tout comme elles contribuent à la dépense. Elles sont donc responsables, pour un tiers, du non-respect par la France de ses engagements en matière de finances publiques : c'est incontestable. Bien sûr, nous avons fait remarquer que l'État contribuait aussi à la dépense locale puisqu'il prend des décisions qui ont des conséquences sur celle-ci, qu'il s'agisse de l'évolution des normes ou de la revalorisation de certaines catégories de personnel. Pour autant, les acteurs locaux ont une part de responsabilité. De même, constater que les dépenses augmentent plus vite que les recettes, ce n'est pas dénigrer la gestion des collectivités territoriales. Et les engagements de l'État valent pour tous ! Peut-être le législateur pourrait-il organiser différemment le dialogue entre l'État et les collectivités locales... mais cela dépend de vous.

Vous avez auditionné des élus allemands, qui n'ont pas de pouvoir fiscal. Pour autant, leurs recettes sont garanties et leur pouvoir, réel. En France, le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas d'autonomie fiscale aux collectivités territoriales mais uniquement une autonomie financière. Nous appelons à donner à la région une part plus importante de la fiscalité locale pour qu'elle puisse faire face aux transferts proposés par le texte.

Pour optimiser l'action publique, la clarification des compétences est essentielle. Nous avons remis il y a deux ans un rapport sur l'organisation territoriale de l'État, dans lequel nous avons formulé deux recommandations. D'abord, l'État doit mettre fin à un certain nombre de doublons et tenir compte de l'organisation territoriale dans sa propre organisation. Il doit s'interroger sur son propre fonctionnement : au 21ème siècle, doit-il fonctionner comme au 20ème, voire au 19ème ? La question ne concerne pas seulement les sous-préfectures...

Le contrôle de légalité est exercé de manière très inégale selon les territoires ; savoir si l'article 33 est justifié relève de votre travail de législateur. Il est prévu qu'une commission soit mise en place, qui comprendrait pour moitié des membres du Conseil d'État et pour moitié des magistrats de la Cour des comptes, afin de proposer des solutions en cas de désaccord entre l'État et les collectivités territoriales.

Il importe également de clarifier les compétences entre les collectivités territoriales. Cela dégagera des économies, même si celles-ci ne seront pas perceptibles immédiatement. De même, des économies sont possibles dans les politiques publiques sans remettre en cause leur qualité : alors que nous sommes un des pays où la dépense publique est la plus élevée, notre score dans les évaluations est généralement médiocre. Hélas, cette réalité laisse relativement indifférents nos hommes politiques. Évaluer mieux l'efficacité de la dépense serait un facteur d'économies. Dans la santé, en particulier, il y a des marges de progrès, sans remettre en cause la qualité et l'accès aux soins. Mais pour chaque euro mal dépensé, il y a quelqu'un derrière, ce qui explique les récriminations...

Il y a aussi des marges de progression importantes dans le bloc communal. En nous appuyant sur des exemples, nous essayons de mettre en avant les bonnes pratiques. Certaines collectivités territoriales ont fait des efforts de mutualisation : nous les citons. Naturellement, certains élus peuvent ne pas se reconnaître dans nos observations : notre territoire n'est pas uniforme... ce qui justifie qu'une règle nationale s'applique différemment selon les territoires.

Dans le domaine de la santé et de l'action sociale, l'efficacité de l'action publique est obérée par la multiplicité des acteurs et, parfois, par la confusion des politiques. Il y a un gros travail d'évaluation des politiques publiques à mener ; le Sénat y a déjà consacré beaucoup de ses efforts.

Je partage vos propos sur la péréquation. Une mission a été constituée à l'Assemblée nationale sur le sujet. Le dispositif actuel n'est pas totalement satisfaisant : nous sommes prêts à vous aider.

Enfin, nous ne sommes pas opposés à la certification des comptes, pourvu qu'en soient bien précisés les objectifs et les modalités. Nous sommes prêts, là encore, à accompagner l'expérimentation.

La réunion est levée à 13 h 05

- Présidence de Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 16 h 10

Nouvelle organisation territoriale de la République - Auditions, sous forme de table ronde d'universitaires spécialisés dans l'approche comparative des organisations territoriales au sein de l'Union européenne

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition, sous forme de table ronde, d'universitaires spécialisés dans l'approche comparative des organisations territoriales au sein de l'Union européenne.

M. Philippe Bas, président. - Nos invités à cette table ronde ont en commun de s'être penchés, à un titre ou à un autre, sur l'approche comparée des organisations territoriales. M. Jean-Bernard Auby dirige, depuis 2006, la chaire « Mutation de l'action publique et du droit public » de l'Institut d'Études Politiques de Paris ; il a été professeur de droit public à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas entre 1994 et 2006 et directeur adjoint de l'Institut de droit européen comparé de l'Université d'Oxford. Il est, en outre, président d'honneur de l'Association française de droit des collectivités locales. M. Luciano Vandelli enseigne à l'Université de Bologne et à l'école supérieure d'administration publique qu'il a présidée plusieurs années. Il nous apportera le regard d'un grand voisin européen sur nos institutions locales. M. Robert Hertzog, professeur agrégé de droit public, enseigne à Sciences Po Strasbourg et à l'Institut Robert Schuman de Strasbourg. Il participe également aux travaux de l'Observatoire des finances locales. Il a également été élu à la communauté urbaine de Strasbourg et pourra ainsi nous faire bénéficier de sa double approche d'universitaire et de praticien. Fin connaisseur des institutions des pays européens, il a beaucoup oeuvré au sein du Conseil de l'Europe. Mme Marie-Christine Steckel-Assouère est maître de conférence à l'Université de Limoges, chercheuse au GRALE-CNRS de l'Université de Paris I et membre titulaire du Conseil national des universités dans la section droit public. Elle a dirigé un ouvrage collectif récemment publié, Regards croisés sur les mutations de l'intercommunalité. M. Hervé Le Bras, enfin, aujourd'hui chercheur émérite, est bien connu pour son oeuvre de démographe et de géographe. Il est souvent consulté sur l'architecture institutionnelle et ses relations avec la géographie réelle, et s'est récemment exprimé, notamment, sur le découpage régional devant la commission spéciale du Sénat.

M. Jean-Bernard Auby, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris. - Je vous remercie de votre invitation, qui m'honore.

Je constate que les réformes en cours, en dépit de quelques cahots ou palinodies, suivent certaines lignes de force. Comme si la crise économique poussait à aller vers l'essentiel, et à s'engager dans des voies dont on sentait depuis un moment déjà qu'elles devaient être suivies : une intercommunalité élargie et aux compétences étoffées afin de traiter le problème de l'émiettement communal ; une région érigée en niveau de pilotage stratégique. C'est une évolution que j'estime positive, et qui correspond à ce que les esprits éclairés prônaient depuis bien longtemps.

Une autre évolution se dessine, également salutaire à mon sens, qui tend vers une différenciation de l'administration des territoires urbains et celle des territoires ruraux, et voit corrélativement émerger la métropole, dont on sait toute l'importance dans la structuration de l'action publique.

Certes, des sujets d'hésitation demeurent. Ainsi du sort à réserver au département. Faut-il le conserver partout ? Avec quelles compétences ? La métropole ne peut-elle dans certains cas exercer ses compétences ? J'avoue que s'il y a quelque temps, j'aurais approuvé des deux mains sa suppression pure et simple, je suis moins tranché aujourd'hui. Il est des territoires ruraux sans métropole à proximité. Par ailleurs, entre les intercommunalités, appelées à couvrir des bassins de vie d'au moins 20 000 habitants et les treize régions de la nouvelle carte, qui réuniront chacune quelque cinq millions d'habitants, il manque certainement un échelon intermédiaire. Autre zone d'ombre, le système financier local, sur la soutenabilité duquel il convient de s'interroger - M. Hertzog vous en parlera mieux que moi.

Faire des intercommunalités et de la région les deux pôles forts sur lesquels s'appuyer n'est pas sans inconvénient. Ces deux échelons sont, politiquement parlant, les plus faibles ; c'est là un paradoxe qu'il faudra lever. Autre difficulté : contrairement à ce qui prévaut chez beaucoup de nos voisins, notre système territorial n'est pas articulé verticalement. Quand il existe, dans des pays comme l'Italie ou l'Espagne, un lien quasi hiérarchique entre niveaux de collectivités, les différents échelons territoriaux sont, chez nous, simplement superposés. C'est là un problème qu'il faudra traiter et dont le texte à venir, semble-t-il, se préoccupe. Enfin, reste devant nous la question du rôle que l'État doit assumer dans les territoires. J'estime que si celui-ci reste indispensable dans des domaines comme la sécurité ou la gestion de crise, il est beaucoup trop présent dans l'exercice des politiques publiques locales, alors même qu'il manque de moyens financiers.

Pour conclure, notre système territorial, partant de bases différentes de celles de ses voisins, tend, peut-être, à s'en rapprocher lentement. Restent, cependant, le défaut d'articulation verticale que j'évoquais, l'absence de structure de concertation ou de gouvernance commune entre État et collectivités et le fait que l'État veut conserver, par-delà toute raison, la maîtrise de toutes les compétences normatives, alors qu'il serait bon, sans aller nécessairement jusqu'à confier, comme l'ont fait l'Italie ou l'Espagne, des compétences législatives aux régions, de leur laisser une part du pouvoir réglementaire d'application de la loi, ce qui suppose d'accepter, corrélativement, que ces normes s'imposent aux autres collectivités.

M. Luciano Vandelli, professeur de droit public à l'Université de Bologne. - Votre invitation m'honore et est l'occasion de réfléchir aux évolutions de votre système territorial. Si les exigences de modernisation et de clarification des compétences, de rationalisation, de simplification et de transparence nous sont communes, partout en Europe, nous y apportons néanmoins des réponses assez différenciées. Je partage toutefois l'idée avancée par le professeur Auby que les spécificités nationales sont moindres qu'autrefois, ce qui nous amène à mettre en cause des éléments très enracinés dans notre tradition commune.

Alors qu'a toujours prévalu, historiquement, un principe d'uniformité dans l'organisation du système territorial, on en vient à différencier les territoires métropolitains et les autres. Dans le même temps, la gouvernance de chaque métropole est modulée, chacune étant dotée de moyens spécifiques. En France, c'est le législateur qui s'en charge, tandis qu'en Italie, chaque territoire est appelé à écrire son propre statut. La loi votée cette année crée des villes métropolitaines, collectivités qui, pour les villes les plus importantes, vont se substituer aux provinces, à compter du 1er janvier 2015. Dans l'intervalle, chaque ville est appelée à définir son propre statut, sa gouvernance, les relations des communes et associations de communes avec la métropole.

S'agissant de la répartition des compétences, j'observe qu'en Italie, à la différence de la France, la clause de compétence générale n'a pas été mise en cause : c'est plutôt la contrainte financière qui amène les collectivités à réduire le champ de leur intervention.

En Espagne, en Allemagne et en Italie, les régions sont dotées d'un pouvoir législatif. En Italie, la réforme constitutionnelle, approuvée en première lecture au Sénat, prévoit de réduire ce pouvoir législatif, pour renforcer, en corollaire, la participation des régions à l'établissement des règles nationales, via un Sénat des représentations territoriales. Quant aux provinces, leurs compétences administratives, en vertu d'une récente réforme, s'amenuisent, pour être transférées aux villes métropolitaines, qui se renforcent. En l'absence de métropole, ces compétences vont, pour une part, aux régions, pour une autre part aux communes et associations de communes. J'ajoute que la métropole est appelée à jouer un rôle important dans l'élaboration et l'approbation d'un plan stratégique de développement économique du territoire.

Pour simplifier ce que vous appelez le mille-feuille - qu'en bon Bolognais je qualifierai plutôt de lasagnes -, nous n'avons pas supprimé les provinces, ce qui aurait supposé une réforme constitutionnelle. La loi relative aux métropoles, cependant, a prévu que celles-ci, de même que la ville métropolitaine, seront gouvernées par les maires et conseillers communaux. Il faut savoir que chez nous, en l'absence de cumul des mandats, chaque niveau de collectivité avait sa classe politique. Il n'y en aura désormais plus qu'une seule, prémices d'une simplification des compétences : les mêmes personnes auront à se prononcer sur la proximité et sur ce qui relève d'un territoire plus vaste.

Géographiquement parlant, nos régions sont de petite taille. Surtout, les plus petites sont aussi celles qui ont une langue différente et bénéficient parfois d'une protection internationale, comme le Val d'Aoste ou le Haut-Adige. Pour les autres, cependant, des fusions sont envisagées. Mais c'est avant tout sur les provinces que le débat est le plus vif. Alors qu'elles étaient 70 à l'époque de l'unité nationale, elles sont aujourd'hui 110, certaines de très petite taille. Simplifier appelle aussi, à mon sens, une réforme de l'administration de l'État, afin de faire des préfectures des bureaux généraux de la représentation de l'État, absorbant toutes les administrations périphériques.

Pour les communes, l'Italie n'a pas, comme la France, suivi la voie des fusions qu'ont empruntée l'Angleterre, l'Allemagne, la Belgique ou les pays du nord. En dépit d'incitations financières à la fusion, nous comptons toujours 8 100 communes. Depuis deux ans pourtant, la tendance semble s'inverser. Ainsi, dans la province de Bologne, six communes viennent de fusionner pour n'en former qu'une seule, de 30 000 habitants. Les avantages en sont multiples, tant pour le respect du pacte de stabilité que par le poids que peuvent prendre les subventions économiques.

Les associations intercommunales, enfin, au nombre de quelque 400, regroupent un peu plus de 2 000 petites communes, et la loi récente se donne pour objectif de parvenir à couvrir l'ensemble du territoire.

M. Robert Hertzog, professeur de droit public à l'Université de Strasbourg. - Je suis honoré de votre invitation, qui nous appelle à porter un regard comparatif sur les organisations territoriales en Europe. Je crois cependant qu'en ce domaine, comme en matière de finances publiques, nous avons plus à apprendre de nos erreurs que des exemples étrangers, et qu'une analyse sans concession des défauts ou des dysfonctionnements de notre système est susceptible de nous éclairer davantage que la recherche de modèles extérieurs. Pour avoir travaillé au Conseil de l'Europe, j'ai constaté que nos collectivités respectives diffèrent du tout au tout. Une commune danoise, par laquelle passe tout le welfare state, n'a rien à voir avec une commune française. Surtout, et c'est là le vrai problème, on peine à définir ce que serait le modèle français. La Constitution dispose que l'organisation de la République est décentralisée. Soit, mais si les Allemands savent fort bien ce qu'est un État fédéral, si les Italiens, les Espagnols, savent ce qu'est un État autonomique, nous serions bien en peine de dire ce qu'est un État décentralisé. Alors que la réforme des régions est en cours, nous n'avons pas de vraie vision de notre système. Au reste, si modèle il y a, on ne peut dire d'aucun qu'il soit la panacée, puisque partout, on cherche à réformer, que ce soit pour des raisons institutionnelles ou en vertu de contraintes économiques et financières. Le fait est que nous sommes engagés dans une mutation économique, géopolitique, financière irréversible. C'est une donnée qu'il convient, dans la réflexion, de garder présente à l'esprit.

Il peut être intéressant, en revanche, de se demander pourquoi certaines réformes sont entreprises, pourquoi certaines réussissent, pourquoi d'autres ne parviennent pas à prendre racine. Alors que bien des rapports ont été produits, qui décrivent parfaitement la situation, on peine, tant en matière d'organisation institutionnelle que de finances locales, à réformer. Or il est, à mon sens, un invariant. Pour qu'une réforme réussisse, il faut qu'elle s'appuie sur des études approfondies, de géographes, de démographes, d'historiens, sur le fondement desquelles se construit une négociation politique. Si l'on se contente, pour bâtir une réforme, du versant technocratique des experts, cela ne débouche pas, de même que si tout le champ est laissé à la seule négociation politique, le résultat n'est pas durable. Voyez l'exemple allemand : nous avons davantage à apprendre du fonctionnement politique du système que de son architecture.

Un système local doit trouver son équilibre en s'appuyant sur un territoire, des compétences, des ressources financières et humaines. À défaut d'être assis sur ce triangle, le système ne fonctionne pas. En France, cependant, nous devons travailler non seulement sur un triangle, mais sur des triangles superposés. Nous sommes pris entre la clause de compétence générale et l'interdiction de la tutelle. Pour en sortir, de deux choses l'une, soit on fait jouer le principe de subsidiarité, qui suppose un minimum de hiérarchie, soit on procède à une répartition rigoureuse des compétences.

Au demeurant, c'est souvent le législateur qui, en répartissant les compétences, a créé de la complexité. Le principe de spécialité exige, de fait, un difficile travail de rédaction. Quant à l'articulation verticale, elle ne saurait fonctionner qu'associée à de bons mécanismes de coopération. Le fédéralisme allemand n'est pas un fédéralisme de partage à l'américaine, mais un fédéralisme de coopération. Une telle coopération, engagée sur des bases volontaires, peut fonctionner. Mais il faut des moyens. Les régions ont pu jouer un rôle d'intermédiaire tant qu'elles avaient de l'argent ; ce n'est plus le cas à présent. On réforme, aujourd'hui, sans argent ; je dirais même plus, pour l'argent, pour trouver des économies. Or toute réforme a, dans un premier temps, un coût. Ce qu'il faut savoir, c'est si le coût que l'on expose aujourd'hui produira, à terme, une amélioration. Prenons l'exemple du projet de fusion départements-région en Alsace. Il est clair que le projet aurait eu, dans un premier temps, des surcoûts - ce qui n'est pas facile à expliquer au citoyen - mais pouvait générer, à terme, des bénéfices, certes difficiles à évaluer précisément, mais sur la survenue desquels tout le monde s'accordait. Cela suppose des études précises, qu'il serait important de mener.

Un mot sur les métropoles. La loi récente, en dépit des complications qu'elle introduit, représente une incontestable avancée. Si l'on se tourne vers les exemples étrangers, on constate les bénéfices d'un couplage entre région et métropole. Si l'on peine à se représenter le périmètre d'une région, chacun comprend bien de quoi on parle quand on évoque sa capitale. Il faut donc parvenir à une puissante synergie entre l'une et l'autre. Voyez la réussite d'une région comme le Bade-Wurtemberg, appuyée sur Stuttgart, métropole régionale. C'est pourquoi il faut, dans toute réforme, faire sans cesse l'aller-retour entre architecture institutionnelle et substrat économique et humain.

Mme Marie-Christine Steckel-Assouère, maître de conférence en droit public à l'Université de Limoges. - À mon tour de me déclarer honorée de votre invitation. Avant de brosser devant vous un tableau comparatif, permettez-moi de poser trois préalables. La rigueur scientifique impose de garder à l'esprit qu'une organisation territoriale est le fruit de l'Histoire et de la géographie, et qu'elle doit toujours tenir compte à la fois de la superficie mais aussi de la densité de population des territoires, pour éviter tout rejet de greffe, ce qui ne manquerait pas d'advenir si l'on se contentait de plaquer un modèle étranger.

En matière d'organisation territoriale, les mots ne recouvrent pas, en Europe, les mêmes réalités. Quand, en France, les régions ne disposent que d'un pouvoir administratif, elles jouissent, en Italie, d'un pouvoir législatif et sont même dotées, en Allemagne, d'un pouvoir constituant. Je mets de côté nos régions ultramarines, qui ne sauraient entrer dans le tableau, compte tenu de leurs spécificités.

Comparaison n'est pas raison. On peut se demander, au vu de telles différences, s'il est fructueux de s'interroger sur les pratiques d'autres pays. Ce que l'on constate, cependant, à y regarder de près, c'est, au-delà de la diversité des organisations territoriales en Europe, une tendance nette vers l'harmonisation.

Des organisations territoriales diversifiées, donc, où les États unitaires sont surreprésentés : neuf avec un niveau de collectivité, onze avec deux ou trois niveaux de collectivités, à quoi l'on peut ajouter les trois États fédéraux, à un ou deux niveaux de collectivités. La France compte parmi les États unitaires à trois niveaux de collectivités, comme la Pologne et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni, plus inclassable eu égard aux différences des pays qui le composent. Viennent ensuite deux États régionalisés, l'Italie et l'Espagne, à trois niveaux de collectivités.

Dans tous les États, cependant, on relève une volonté commune de valoriser les grandes agglomérations, ainsi que les régions. Avec cette particularité qu'en France, la métropole n'est pas une collectivité mais un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Le niveau régional est considéré comme le plus pertinent pour mettre en oeuvre les politiques économiques et réaliser des économies d'échelle pour l'accès au service public. Le projet en cours de discussion retient le seuil de 20 000 habitants pour la constitution d'un EPCI, seuil que l'on retrouve dans d'autres pays, pour des entités chargées de la gestion de l'eau, de la santé, de l'éducation...

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - C'est le seuil généralement retenu ?

Mme Marie-Christine Steckel-Assouère. - Ce peut être parfois 25 000, mais c'est plus généralement 20 000. On constate une sous-représentation des États cumulant organisation décentralisée et intercommunalité. Sur huit États concernés, six sont marqués par un émiettement communal. Et parmi eux, la France se distingue en cela qu'elle cumule trois niveaux de collectivité et un nombre pléthorique de communes, plus de 36 000 quand, ailleurs, le maximum est de 9 000. Il est vrai qu'elle a du même coup poussé, par des incitations financières, au développement de l'intercommunalité.

Pour autant, on observe une tendance à l'harmonisation de l'organisation territoriale des États européens, sous l'impulsion de fondements communs. Les impératifs économiques, tout d'abord, érigés par la plupart des pays en obligation juridique via la charte européenne de l'autonomie locale et le traité sur la stabilité. L'exigence de transparence, ensuite, qui s'impose aux collectivités, requises de rendre compte de leur administration aux contribuables, et que l'on retrouve dans le projet de loi en cours d'examen. Alors que compétences et financements croisés provoquent une dilution, c'est là une revendication démocratique forte. Alors que toutes les réformes engagées en France se donnent sous ce registre de la démocratie, il est au reste paradoxal de constater que, dans le projet de loi en cours de navette, les règles de consultation des populations locales sur les regroupements ont été supprimées par voie d'amendements...

Autre question, les dispositifs utilisés dans la plupart des pays sont quasiment les mêmes. Les pays d'Europe du Nord ont opté, dans les années 1990, pour un renforcement de la décentralisation quand les autres pays tendaient plutôt à recentraliser, sous la pression d'une raréfaction des ressources. Depuis le milieu des années 2000, on assiste à un renversement de tendance : on va d'une logique incitative vers une logique plus coercitive. La France s'inscrit dans ce mouvement. Alors que l'intercommunalité reposait sur le consentement des communes, elle devient, avec la loi du 27 janvier 2014, réformant le statut des métropoles de droit commun ou à statut particulier, contraignante. La voie consensuelle, incitative, n'ayant pas fonctionné, la France joue la carte autoritaire, comme l'ont fait le Danemark en supprimant les comtés ou la Grèce les départements, au profit des régions. De même, certains pays ont rendu les fusions de communes obligatoires, la loi ne leur permettant d'exercer certaines compétences qu'à partir d'un seuil de 20 000 habitants. Seuil que l'on retrouve dans la réforme en cours d'examen.

J'en viens à la clarification des compétences. Les pays européens sont tentés, même si persistent entre eux de grandes différences, d'aller vers une réduction des compétences des collectivités. La France s'inscrit dans cette tendance à alléger les structures territoriales, empilées au fil des textes de loi qui ont superposé aux différents niveaux de collectivités une multiplicité de structures intercommunales. Alors que l'on entendait simplifier, on a, à chaque fois, créé de nouvelles structures. Ce projet de loi marque la volonté, tout en respectant les diversités, d'aller vers l'unité. Parce que, même si son organisation est décentralisée, la France est une République une et indivisible.

Si la tendance est à recentraliser, c'est aussi parce que les États ont besoin de reprendre du pouvoir pour assurer le respect de leurs engagements en matière de redressement des finances publiques. Le projet de loi en cours d'examen prévoit ainsi que les collectivités pourront être amenées à prendre leur part des amendes réclamées par la Cour de justice de l'Union européenne en cas de manquement qui leur serait imputable. La France s'inscrit, par là, dans une tendance générale.

M. Hervé Le Bras, directeur d'étude à l'École des hautes études en sciences sociales, chercheur émérite à l'Institut national de la statistique et des études démographiques. - Je suis honoré de votre invitation, qui me fait partie à cette docte assemblée de juristes. Il est vrai que si ma spécialité me range plutôt du côté des sciences sociales et de l'Histoire, je n'en ai pas moins eu, au cours de ma carrière, l'occasion de me familiariser avec les questions qui nous occupent ici, pour avoir animé un groupe de prospective de la Datar dont j'ai présidé, in fine, le conseil scientifique.

Ce qui m'a frappé, lorsque le projet de nouvelle carte territoriale, fusionnant des régions, a été annoncé, c'est le défaut d'objectifs assignés à cette réforme. Certes, trois arguments étaient mis en avant dans la lettre du Président de la République - donner à nos régions une taille européenne, assurer leur dynamisme économique, réaliser des économies de fonctionnement. Mais ils se laissent aisément démonter. La taille critique ? Mais celle des Länders allemands est très variable, et leur coefficient de Gini, qui mesure la dispersion de la population, est double de celui des nouvelles régions françaises, dessinées comme sous l'influence de notre vieux tropisme, l'illusion de l'égalité. Le dynamisme économique ? Mais il n'y a aucune corrélation entre la taille des Länders allemands et leur PIB par tête. Même chose pour la croissance de leur PIB au cours des dix dernières années. Quant à la question des économies d'échelle, je souscris pleinement à ce qu'a dit Robert Hertzog. Il faut y regarder de près. Une étude de l'Institut Esprit public sur une éventuelle fusion entre Haute et Basse-Normandie fait apparaître que l'on y perdrait de l'argent les sept premières années, pour n'en gagner un peu - 5% - qu'à partir de la huitième.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Et combien de temps faudrait-il pour rattraper ce qui a été perdu ?

M. Hervé Le Bras. - Une vingtaine d'années, je crois...

Les départements ? J'ai été le seul, au sein de la commission Attali, à prendre leur défense, ce qui m'a donné droit à une petite annexe au rapport. Le département français, et c'est là sa qualité, est la division du territoire qui réalise le mieux la mixité sociale. Si l'on dresse une carte des revenus ou des niveaux d'éducation, par exemple, on voit, comme en négatif, se dessiner les départements. La teinture est la plus forte autour de la préfecture, et pâlit decrescendo jusqu'aux frontières du département, où l'on trouve les populations les moins bien loties. Le département, qui saisit la diversité sociale, est la division la plus apte à traiter les problèmes sociaux. Au cours de l'Histoire, ils ont meublé l'espace qui les entoure. Il serait regrettable de les mettre en cause. Sauf à privilégier, pour mettre en oeuvre des politiques sociales, la logique de l'homogénéité - comme dans le redécoupage, au reste remarquable, qu'a opéré François Lamy pour les quartiers prioritaires -, auquel cas les intercommunalités, plus homogènes, sont sans doute un instrument mieux adapté.

Les communes enfin, pour lesquelles j'ai un faible, ont évolué au cours de l'Histoire. En 1791, elles étaient 43 000. On a gagné un peu de terrain dans la première moitié du XIXème siècle, mais on patine depuis. La dernière loi en date, la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, n'a donné lieu qu'à onze fusions. Sur 36 700 communes, ce n'est pas lourd...

Si les communes sont des réalités humaines incontournables, la question se pose, néanmoins, de leurs compétences, notamment en matière d'urbanisme. J'observe qu'au Danemark, où il ne reste certes qu'une soixantaine de communes, on n'en continue pas moins à prendre en compte, y compris dans les recensements, les paroisses, qui ont conservé certaines prérogatives.

J'en viens à la question des métropoles. La loi votée est intéressante, elle va dans le sens des évolutions de la société et de l'économie, mais je suis surpris de constater que lorsqu'on en vient à modifier, par fusions, la carte des régions, il n'en est plus question. Si bien que dans la nouvelle carte, certaines régions ont deux métropoles, certaines une seule, certaines aucune. Il y a là un manque d'articulation criant. J'abonde totalement dans le sens de Robert Hertzog : ce sont les métropoles qui sont visibles sur les territoires. L'idée de frontière en devient obsolète. D'ailleurs, ce n'est pas en ces termes que l'on raisonnait dans les temps anciens : voyez la carte de Cassini.

Ces évolutions appellent de nouvelles formes de gestion, articulant fermement les régions aux métropoles. J'ai dressé un atlas des pays de la Loire, que j'ai intitulé La forme d'une région, par un clin d'oeil à Julien Gracq qui évoque Nantes dans La forme d'une ville. La région Pays de la Loire, faite de lambeaux de régions historiques - Vendée, Anjou, Maine, Bretagne du sud - n'en est pas moins très cohérente. Disant cela, je me suis mis à dos les bonnets rouges, qui revendiquent Nantes pour la Bretagne... C'est d'ailleurs une caractéristique de ce redécoupage des régions que de réveiller des tendances très passéistes... La région Pays de la Loire, pourtant, forme une entité économique solide autour de Nantes et les responsables régionaux sont très satisfaits, quelle que soit leur couleur politique, de la puissance de la métropole nantaise, flanquée de relais régionaux - Angers, Le Mans, Saint-Nazaire, La Roche-sur-Yon - bien articulés entre eux.

Telles sont les quelques réflexions que m'inspire votre invitation. Il faut certes mener la réforme, mais s'est-on attaqué aux vrais problèmes ? Fusionner me semble moins urgent que régler le problème des doublons, de l'émergence des métropoles. Je suis sensible à l'idée émise par Jean-Bernard Auby de donner davantage de pouvoir réglementaire aux régions. Quand on dresse des cartes du chômage, de la sous-éducation, on voit se teinter de grands noyaux de territoire. Il serait bon que les régions puissent prendre en charge, à cette échelle, les problèmes spécifiques qui sont les leurs.

M. Philippe Bas, président. - Cette audition est source de multiples inspirations, au point que je regrette qu'elle n'ait pas eu lieu plus tôt. Je ne me hasarderais pas à tenter une synthèse, mais je n'en observe pas moins une certaine convergence entre vos interventions.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Nous avions déjà entendu, en d'autres occasions, quelques-uns d'entre vous, et notamment M. Le Bras, seul parmi les esprits éclairés à défendre le département, ce qui ne se laisse pas oublier. M. Auby a plaidé en faveur du pouvoir réglementaire des régions, tout en relevant que cet échelon territorial est politiquement faible. Il est vrai que ce ne sont pas elles qui attirent les personnalités politiques les plus en vue de notre pays. La notoriété des présidents de région est à peu près nulle.

M. Gérard Longuet. - Elle a beaucoup baissé avec le cumul.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Pourriez-vous préciser à quel type de pouvoir réglementaire vous pensez ? S'agit-il de l'application des lois ? Il est aussi une autre voie : M. Vandelli nous a rappelé ce qu'il en est en Italie, où l'on demande aux régions de définir leur statut. C'est ce que l'on songe, chez nous, à faire pour l'Ile-de-France, sans parvenir à aboutir.

Oui, monsieur Hertzog, il est bon de se pencher sur nos erreurs, sans se contenter de regarder ailleurs. La question des objectifs assignés à la réforme, enfin, m'inquiète tout autant que M. Le Bras. S'agit-il de faire des économies ? Mais on les fera de toute façon, puisqu'on nous enlève une partie de nos dotations... Atteindre la taille critique européenne ? M. Le Bras a suffisamment montré que ce concept n'a pas de sens. Surtout, nous avons voté une loi sur les métropoles, qui prend en compte le projet très abouti de la métropole lyonnaise laquelle, à l'instar des villes métropolitaines italiennes, reprend les compétences du département, voire davantage. Quelle relation, dès lors, entre métropole et région ? Quand la métropole représente 60 % du PIB d'une région, quel rôle reste à la région en matière de développement économique et d'emploi ? Comment les deux entités peuvent-elles s'articuler ? C'est une question que je me pose, tout en étant favorable aux métropoles - à condition qu'il n'y en ait pas trop. C'est pourquoi je comprends mal certaines fusions de régions, qui n'ont pas été pensées en relation avec la métropole. Pour moi, réunir Toulouse et Montpellier dans une même région est aberrant à tous points de vue.

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - Ce sont là des questions que l'on se pose collectivement. Quid de l'articulation entre région et métropole ? Si l'on donne, dans le projet de loi en cours d'examen, compétence exclusive à la région en matière économique, d'aide aux entreprises, il convient de se poser la question de ses relations avec la métropole, auxquelles la loi a reconnu un rôle dans les pôles de compétitivité ou la négociation des contrats de plan. Le Sénat avait considéré que région et métropole devaient aller de concert, sauf à risquer l'immobilisme. Quand un président de région et un président de métropole parviennent à s'accorder, ce peut être un puissant moteur. Quels éclairages pouvez-vous nous apporter sur ces questions ?

Défendre le département, ce n'est pas s'interdire de moderniser et de rationaliser ses compétences. Voyez la récente synthèse des ateliers sur la ruralité lancés par le Gouvernement. Les fameux pays, créés par la loi Voynet, puis stoppés par la loi de 2010 avant d'être ressuscités sous l'appellation de pôles d'équilibre territorial et rural, apparaissent spontanément dans le discours des communes, qui sont prêtes à s'entendre pour travailler, sur un bassin de vie, à une politique de la ruralité. Le président de l'association des pays vous le confirmera.

J'aimerais également recueillir votre avis sur la solidarité territoriale. Je pense à la possibilité pour les départements de concourir à des actions de maîtrise d'ouvrage intercommunale dès lors qu'elles répondent à un objectif de solidarité territoriale.

Le pouvoir normatif local ? Nous avons demandé au président de la section de l'intérieur du Conseil d'État s'il fallait conférer un pouvoir réglementaire aux régions. Il nous a répondu que les textes le leur reconnaissaient déjà, et qu'il leur suffisait de l'exercer.

M. Philippe Bas, président. - Il n'en a pas moins précisé que s'il s'agissait d'édicter des règles s'imposant aux départements et aux communes, ce serait inconstitutionnel. Car c'est ainsi que le Conseil d'État interprète l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre.

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - Prenez le problème, crucial à mon sens, de l'artificialisation des sols. L'équivalent en terres arables d'un département de la taille des Hautes-Pyrénées disparaît tous les sept ans, sous l'effet de l'étalement urbain. Or les Scot ne couvrent que 20 % du territoire national. Est-il donc déraisonnable d'imaginer que la région, stratège, puisse produire un document, comme le fait déjà l'Ile-de-France, qui assure la compatibilité globale des politiques des différentes collectivités, sans pour autant ressusciter le spectre de la tutelle ?

M. Jean-René Lecerf. - Je vous remercie de la richesse de vos exposés. Il arrive que les enseignants, dont je fus, rêvent d'une université sans étudiant. Les pouvoirs publics n'en viennent-ils pas à rêver, de même, de collectivités territoriales sans citoyen ? Le projet de loi en cours d'examen met l'accent, de fait, sur les collectivités dont la légitimité citoyenne et démocratique est la plus faible - l'intercommunalité plutôt que la commune, la région plutôt que le département. Cela n'impose-t-il pas d'aller jusqu'au bout du raisonnement, en s'attaquant aux modes de scrutin ? Je pense au scrutin proportionnel, qui prévaut pour la région et prévaudra demain pour les intercommunalités, dicté par les partis politiques, dont la légitimité a tendance à s'effriter, alors que la véritable démocratie est communale et départementale.

Je me demande dans quelle mesure l'idée, portée par la précédente majorité, du conseiller territorial, qui réunissait en sa personne l'élu départemental et l'élu régional, n'était pas plus féconde que la stérile opposition entre départementalistes et régionalistes.

Ma dernière remarque, enfin, concerne la métropole. La locomotive de la région ? Comme sénateur du Nord, je puis vous dire que la métropole lilloise se moque de Valenciennes, de Cambrai ou de Dunkerque. Sans parler de Boulogne, Arras ou Calais, ni, a fortiori, de ce qu'il en sera, demain, de Laon, Compiègne ou Amiens... La véritable péréquation, c'est le département qui la réalise.

M. Gérard Longuet. - Il ne faut pas perdre de vue le lien qui existe, à mon sens, entre organisation territoriale et mode de production. Avant la Révolution Française, l'agriculture était le mode prédominant de production. Puis est venue la révolution industrielle, qui a su se marier avec le chemin de fer et le département. Aujourd'hui, on s'achemine vers une mondialisation de l'économie, avec des lieux de décision très circonscrits. La République ne peut y rester indifférente. Avez-vous le sentiment que les disparités en termes de densité de population se soient accentuées en France ? Pour moi, les Trente Glorieuses ont marqué une rupture, le passage d'un monde encore largement agricole vers une population active industrielle. Ce qui est en passe de donner, au-delà de ce que décrivait Jean-François Gravier dans Paris et le désert français, des villes environnées de déserts.

Ma deuxième question a trait aux centres de décision. Le budget de l'État représente 17 % du PIB, mais si l'on y ajoute les prélèvements sociaux, de l'ordre de 20 % à 22 %, ce sont près de 40 % de la dépense publique qui est décidée à Paris. On observe, dans le même temps, que la décision économique se délocalise hors de France et qu'à l'intérieur de nos frontières, le capitalisme régional tel qu'on l'a connu autrefois a vécu. Il ne reste guère de bourgeoisie industrielle que dans le Nord, dans la région lyonnaise, et peut-être une partie de la Bretagne, mais je puis vous dire que dans une région comme la Lorraine, elle a totalement disparu. La décision économique n'appartient plus aux territoires, elle est centralisée ou externalisée. Il en va de même de la décision en matière culturelle, parisienne et non plus provinciale, à l'exception de quelques manifestations teintées d'un passéisme régionaliste, que je ne réprouve pas, bien au contraire, mais dont on ne peut pas dire qu'elles soient tournées vers la modernité. J'ajoute que la carte isochrone de la France a changé avec l'apparition du TGV et des autoroutes. Lorsque l'on est à 250 kilomètres de Paris par le TGV, on prend l'habitude d'aller chercher des réponses là-bas plutôt que vers la capitale régionale, souvent moins bien desservie...

L'État est le plus grand perturbateur de l'organisation territoriale. De plus en plus impécunieux, il cherche des partenaires pour cofinancer ses projets. L'organisation territoriale se construit dans de tels partenariats avec des collectivités prêtes à jouer le jeu de l'État pour des raisons qui leur sont propres. Là-dessus, s'ajoute un autre facteur de désordre, l'Europe. M. Vandierendonck a évoqué les pays : je ne suis pas hostile à la vie associative qu'ils apportent, mais souvenons-nous qu'à l'origine, ils ont été portés par l'Europe, qui n'hésitait pas à mettre malicieusement la main à la poche, en déstabilisant l'organisation territoriale existante et surtout, en contournant l'État... Souvent de même, l'État n'hésite pas à court-circuiter les collectivités territoriales, pour peu qu'il trouve une ville prête à financer tel équipement qui le flatte. Le bon sens voudrait pourtant qu'une politique culturelle soit gérée contractuellement entre l'État et la région, charge à cette dernière d'assurer le lien avec les autres collectivités.

D'où deux questions. Quel poids reconnaître aux réalités techniques qui modèlent l'organisation territoriale ? Comment encadrer l'effort perturbateur de l'État qui, en tendant la sébile, désorganise le système ?

M. Philippe Bas, président. - Je comprends ce qui a été dit des métropoles, lieu de la puissance, de la notoriété, du dynamisme, mais n'oublions pas qu'il n'en existe que neuf ou dix sur le territoire. Il est des régions entières dépourvues de toute métropole, et que le relief rend, de surcroît, difficiles d'accès.

M. Gérard Longuet. - C'est sans doute pourquoi elles sont sans métropole.

M. Philippe Bas, président. - La métropole, de surcroît, n'est pas spontanément portée vers la redistribution en faveur d'autres territoires.

M. Gérard Longuet. - C'est le moins qu'on puisse dire.

M. Philippe Bas, président. - Lorsque l'on a voté la création de la métropole lyonnaise, beaucoup se sont demandés comment le département pourrait continuer de fonctionner. C'est qu'il y a un petit codicille : plus de 70 millions d'euros par an seront reversés au bénéfice du nouveau département du Rhône, soit le territoire extra-métropolitain. Si l'on élargit la réflexion à la région Rhône-Alpes, et que l'on se penche sur la malheureuse Auvergne, on se rend compte que construire l'organisation régionale autour de la métropole, c'est coller à une réalité géographique profondément injuste. Nous avons besoin de redistribution, et de lieux de pouvoir à même de compenser la concentration de la richesse autour de la métropole. C'est là une équation très compliquée.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Sans parler de Paris. Quand la métropole comptera, avec les intercommunalités associées, 7 à 8 millions d'habitants sur les 12 millions que compte l'Ile-de-France, que restera-t-il à la région, qui portait pourtant des politiques de cohésion ?

M. Jean-Bernard Auby. - Vos réserves sont fondées, mais nous sommes, avec la métropole, face à un phénomène inéluctable. Elle est le fruit d'une économie de plus en plus mondialisée, tertiarisée, numérisée, orientée vers le développement durable et les villes intelligentes.

Un mot sur la question, qui commence à percer dans le débat, du pouvoir normatif local. Je comprends mal que l'éminent membre du Conseil d'État que vous avez cité estime que la région est déjà détentrice d'un pouvoir réglementaire. Le président de l'exécutif régional peut certes réglementer la circulation dans les ports régionaux, par exemple, mais cela ne va pas au-delà de telles broutilles.

M. Philippe Bas, président. - Toutes les collectivités territoriales détiennent, pour l'exercice de leurs compétences, un pouvoir réglementaire.

M. Jean-Bernard Auby. - La commune est dépositaire depuis longtemps d'un pouvoir réglementaire. Je pense, par exemple, aux pouvoirs de police du maire. À quoi s'ajoute le pouvoir des conseils municipaux en matière d'urbanisme, qui n'est pas négligeable.

M. Gérard Longuet. - C'est la liberté de choisir son voisin.

M. Jean-Bernard Auby. - Sans doute, mais c'est là un pouvoir réglementaire de bout de chaine. Quand à celui des départements et des régions, il est à peu près nul.

L'objection tirée de la disposition constitutionnelle relative à l'interdiction de la tutelle entre collectivités ne tient pas, à mon sens. Quand vous légiférez, vous prenez, en tant que législateur, des actes qui s'imposent à nous, sans être pour autant nos tuteurs. J'ajoute qu'en droit public, la tutelle est la faculté, reconnue à l'État, de s'opposer aux actes que prend une autorité publique, de les modifier, de les annuler. Autre chose est le fait d'édicter des normes dans un champ de compétence donné, comme le font le législateur et le Gouvernement en vertu de son pouvoir réglementaire.

Autre objection : ce serait un problème que de confier un pouvoir réglementaire à une instance politiquement faible. Mais tous les sondages confirment que les citoyens ont une image plutôt positive de la région. Quant aux faiblesses que vous avez relevées, tenant aux règles électorales et au cumul des mandats, rien n'empêche d'y remédier, pour lui rendre plus de légitimité.

En quoi pourrait consister le pouvoir réglementaire des régions ? Prenons l'exemple de la Bretagne qui, connaissant son littoral dans ses moindres détails, s'estime la mieux à même, pour le protéger, de déterminer les règles d'application de la loi littoral sur son territoire. Il ne s'agit pas de priver le Gouvernement de son pouvoir réglementaire, mais de donner la possibilité aux régions, dans certains secteurs, de fixer les règles d'application de la loi. Ces règles s'imposeront de fait aux autres collectivités sur le territoire régional, mais de la même manière que les règles fixées par le législateur ou le Gouvernement s'imposent à tous, sans qu'il soit question de tutelle.

M. Philippe Bas, président. - Vous nous incitez à la prise de risques, mais je trouve votre raisonnement très convaincant. La tutelle est la possibilité, pour l'État, d'empêcher l'entrée en vigueur d'une décision prise par une autre personne morale, collectivité ou établissement public. Autre chose est d'édicter une norme qui s'imposerait à une autre collectivité.

M. Robert Hertzog. - Confondre tutelle et pouvoir réglementaire est évidemment une erreur. D'autant que personne ne sait dire clairement ce qu'il faut entendre par tutelle, sinon par référence à des pratiques anciennes. Lorsque les autorités départementales ou communales définissent un plan local d'urbanisme (PLU), elles prennent des décisions qui s'imposent à tous. Dès lors que la loi dit que telle collectivité est compétente dans tel domaine, elle lui confère un pouvoir exclusif de réglementer. Les autres collectivités ne sont, de ce point de vue, que des opérateurs. Ce qu'il faut, c'est que la loi renvoie clairement le pouvoir réglementaire, dans tel ou tel domaine, à une collectivité - le tout est de savoir laquelle.

La redistribution se fait par le pouvoir fiscal. Or région et département n'en ont quasiment plus ; seules les communes et les intercommunalités conservent un pouvoir fiscal assez général. C'est pourquoi j'évoquais un manque de cohérence dans la réforme.

Un mot sur la méthode, enfin. Quand on dit que l'on veut supprimer un échelon, on suscite immanquablement des réactions de défense. On ne pourra pas passer en force. On se rend enfin compte, après trente ans, qu'il faut procéder en renforçant les entités que l'on entendait privilégier. C'est ce que l'on a fait pour les métropoles. C'est ce qui aurait dû être fait, il y a beau temps, pour les régions - et l'on sait bien pour quelles raisons on a transféré aux départements des pouvoirs qu'il n'était pas pertinent de leur confier, et qui les font beaucoup souffrir aujourd'hui.

Il faut créer un mouvement, en renversant la logique des compétences. La clause de compétence générale devrait revenir aux intercommunalités - dont il faudrait peut-être faire de véritables collectivités, tout en revoyant leur mode de scrutin. Pour avoir été adjoint dans une commune, j'ai constaté combien limitée était la liste des compétences qu'elle exerçait effectivement. Le tout est de ne pas parler de suppression. Au reste, si la fusion avait eu lieu en Alsace, peut-être est-ce la région que l'on aurait départementalisée, plutôt que l'inverse. Rappelons-nous aussi que les régions, quand elles ont été créées, dans les années 1950, l'ont été sur le modèle départemental, dont elles ont aujourd'hui quelque difficulté à sortir...

M. Hervé Le Bras. - S'agissant des densités, le mouvement que l'on a connu au cours des deux siècles passés est en train de s'inverser. Les communes comptant entre 500 et 2 300 habitants sont celles qui connaissent la plus forte croissance démographique. Leurs habitants ne sont pas des ruraux, ils ont un mode de vie urbain et travaillent souvent à distance. C'est là un mouvement général en Europe. Plus une région est éloignée d'un centre, plus sa croissance démographique est rapide. La transformation des modes de transport a, naturellement, beaucoup joué.

Le reproche d'égoïsme fait à la métropole ? Mais la région, précisément, ne peut-elle être un contrepoids ? C'est la région Midi-Pyrénées qui a ainsi encouragé le développement de la « Mecanic Valley », qui va du sud de l'Aveyron au Lot, et qui vise à encourager les PME sous-traitantes de l'aéronautique. Même chose avec le Choletais, dont le tissu de petites entreprises s'articule autour de Nantes.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Et d'une partie de la Vendée.

M. Hervé Le Bras. - Les économistes de l'industrie, comme Pierre Veltz, ont bien montré ce rôle de la région. La région de Bade-Wurtemberg, en Allemagne, qui a soutenu la création, autour de Stuttgart, d'un réseau de moyennes entreprises, en donne une illustration.

Nos métropoles ne seraient pas assez nombreuses pour former un tissu ? À mon sens, ce qui existe n'est déjà pas si mal. Edward Fox, dans son livre L'autre France, tente de montrer que l'Histoire de France peut se lire comme l'histoire de la victoire du pouvoir central étatique contre les villes périphériques, d'esprit plus girondin. Il l'illustre par l'image de la place de la Concorde, où l'obélisque représente le pouvoir central, entouré par les huit statues, représentant les principales villes métropolitaines, qui le regardent, domestiquées. Il n'y a guère que le centre de la France qui manque d'une métropole. Ce pourrait être Clermont-Ferrand, dont je regrette qu'elle ait été écartée.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - On a voulu, lorsque l'on a légiféré, retenir un critère démographique, de même que pour les communautés de communes.

M. Hervé Le Bras. - Toujours ce tropisme bien français du chiffre. La cohérence du peuplement compte plus que le nombre. La Datar pourrait être un outil pour mener une telle réflexion - une sorte de commissariat général à l'égalité des territoires...

Mme Marie-Christine Steckel-Assouère. - Le projet de loi prévoit une bonification de la dotation globale de fonctionnement (DGF), afin de récompenser les efforts entrepris pour prévenir l'étalement urbain. Mais la question des moyens financiers nécessaires à l'exercice des compétences n'en reste pas moins posée. Nous sommes impatients de savoir comment la loi de finances la règlera.

M. Luciano Vandelli. - Alors que je pensais être minoritaire, je m'aperçois que tel n'est pas le cas. J'appartiens à un pays qui a supprimé depuis longtemps la tutelle sur les communes, à une culture qui n'est guère portée à établir une hiérarchie entre les niveaux de collectivités, et pourtant, on ne s'offusque pas de voir les régions édicter des lois liant les communes et les provinces, qui exercent des compétences différentes. On fait ainsi jouer le pouvoir discrétionnaire entre les niveaux de collectivités. Il ne peut y avoir tutelle qu'entre des collectivités qui exerceraient les mêmes compétences. Les régions ont un pouvoir législatif, et les communes sont en charge de l'administration - ce qui n'empêche pas la carrière de maire d'être politiquement plus attrayante...

Le monde économique et social nous demande de la simplification. Dans une province composée de soixante communes, les petits entrepreneurs doivent connaître, pour chaque opération, soixante séries de règles, car chaque commune a les siennes. Nous sommes requis d'homogénéiser, soit en empruntant la voie de l'association de communes, soit via un pouvoir réglementaire intermédiaire, de niveau régional, entre l'État et la réglementation fractionnée des communes.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Chez nous, il existe des Scot.

M. Robert Hertzog. - L'Allemagne a dix-sept lois sur les marchés publics - seize Länders, plus le Bund. On imagine les problèmes que cela pose.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Chez nous, les permis de construire sont délivrés dans le cadre d'un PLU ou, pour le moins, d'une carte communale ; ils doivent tenir compte des règlements d'urbanisme, et sont soumis au contrôle de légalité, l'État étant le gardien de l'homogénéité. Ce que décrit le professeur Vandelli ne peut se produire en France. Pour approuver le schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), il faut un décret en Conseil d'État.

M. Philippe Bas, président. - Il me reste à vous remercier de ces éclairages.

La réunion est levée à 18 h 10