Mardi 18 novembre 2014

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Audition M. Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS à l'Université de Montpellier I

La commission auditionne M. Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS à l'Université de Montpellier I sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous entendons aujourd'hui M. Emmanuel Négrier, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste des politiques culturelles, dans le cadre d'une visioconférence qui nous permettra d'échanger avec Montpellier, où il exerce.

Je voudrais rappeler en quelques mots le contexte dans lequel se déroule cette audition : notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication s'est saisie pour avis du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).

Ce texte nous concerne à plus d'un titre. Si je mets de côté les dispositions relatives à l'éducation, qui prévoient le transfert aux régions des collèges et des transports scolaires, notre commission est avant tout concernée par des compétences que la loi n'attribue pas spécifiquement à un niveau de collectivité. Au contraire, sport et culture - et, en creux, vie associative - sont des compétences partagées. Le projet de loi prévoit par ailleurs la possibilité de confier à un guichet unique l'instruction et l'octroi d'aides et de subventions.

Ces concepts de compétence partagée, de guichet unique ainsi que ceux qui en découlent, telle la notion de chef de filât, sont très discutés. Les personnes que nous avons entendues jusqu'à présent - je pense en particulier aux grandes associations d'élus - n'ont pas manqué d'exprimer leurs divergences. Certaines adhèrent, semble-t-il, à la notion de partage sans condition particulière, quand d'autres souhaitent que la compétence partagée soit également obligatoire.

Si j'ai bien compris, monsieur Négrier, c'est à cette conclusion que vous êtes vous-même parvenu. Vous expliquez qu'à l'impasse d'une compétence générale mais facultative, le transfert des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) aux régions, que vous appelez de vos voeux, constitue « une perspective [qui] oppose la force d'une compétence obligatoire et partagée ».

J'ai bien noté qu'à vos yeux, ce nouveau partage présente le mérite de mettre fin à la fragilité actuelle, dans laquelle chacun intervient sans bien connaître le sens global de l'action publique et chaque collectivité n'exerce qu'une compétence facultative, et à ce titre, forcément fragile, surtout dans un contexte général de très grandes difficultés budgétaires.

Avant de vous laisser la parole pour nous présenter votre démarche et vos conclusions, je voudrais que vous nous disiez quels sont selon vous les préalables à la mise en oeuvre éventuelle de cette nouvelle organisation territoriale dans le secteur culturel. Pour le dire autrement, quelles compétences devraient rester du domaine exclusif de l'État, car ce n'est qu'une fois que cette question aura été tranchée que la répartition des compétences entre collectivités territoriales prendra tout son sens.

M. Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS à l'Université de Montpellier I. - D'emblée, je me place dans une position libérale et critique sur les politiques culturelles. L'action publique est déterminante pour la culture, selon une logique qui oppose une option libérale - où l'intervention publique ne se justifie que par la défaillance absolue du marché - et un point de vue keynésien toujours d'actualité. Si l'intervention publique se justifie, ce n'est pas tant parce que le marché ne peut pas fournir le bien ou le service, mais parce qu'il est dans l'incapacité de le faire de façon favorable du point de vue de l'accès social, de l'intérêt général et de la créativité.

J'examine ainsi le bilan des politiques culturelles, les relations entre l'État et les collectivités dans le domaine de la culture, les aspects positifs et plus critiques de ce bilan.

Je constate que l'État, en jouant le rôle de grand instituteur des politiques culturelles territoriales, a parfaitement réussi dans son rôle. Selon certains observateurs, les politiques culturelles territoriales seraient même aujourd'hui excessivement calquées sur les modèles de l'action publique de l'État.

Les politiques régionales en matière de culture, extrêmement divergentes entre elles dans les années 1990, sont aujourd'hui beaucoup plus convergentes. L'écart en euro culturel par habitant qui était de 1 à 16 est passé, de nos jours, de 1 à 3. Il y a un processus de convergence qui s'est traduit sur le plan financier et en termes de qualité des politiques culturelles. Par ailleurs, le nombre d'opérateurs culturels soutenus par l'action publique a augmenté.

Nous sommes loin, aujourd'hui, du « désert culturel » caractéristique des années 1970. Les publics sont bien présents : ils ont un rapport à la culture à la fois plus éclectique et plus informé, n'en déplaise à ceux qui pensent que la démocratisation de la culture serait un échec structurel.

Pour autant, il existe aujourd'hui plusieurs éléments de fragilité :

- la première fragilité réside dans l'évolution des dépenses culturelles des collectivités territoriales, notamment à l'échelle départementale. À l'issue des dernières élections, le changement d'équipes municipales a parfois entraîné une réduction des dépenses culturelles.

- j'ai également noté, du point de vue des professionnels de la culture, un certain essoufflement de l'action publique en matière culturelle. La réussite de la professionnalisation des politiques culturelles a peut-être été trop importante d'une certaine façon : un certain nombre de créateurs ne se posent même plus la question de savoir s'ils sont éligibles à des aides faute d'en connaître l'existence ;

- une autre difficulté réside dans la situation de l'action déconcentrée de l'État. Les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) sont dans une situation de double contrainte : sous l'effet d'une certaine forme de reconcentration dans les domaines du patrimoine, de la création ou des industries culturelles, et sous la contrainte du rôle croissant des préfets dans la gestion des affaires culturelles régionales.

Je me suis donc posé la question du transfert des attributions des DRAC vers les régions. La France est l'un des rares exemples en Europe où il existe une concurrence d'interventions publiques à l'échelle régionale. Est-il toujours aussi nécessaire pour l'État de continuer d'exercer une action territorialisée en matière culturelle, en fragmentant le dispositif d'action publique plutôt qu'en réfléchissant à sa concentration ?

Je propose de maintenir les attributions de l'État, qui échappent à toute intervention régionale, comme par exemple les relations internationales, l'élaboration des grands textes cadres législatifs et réglementaires, la définition stratégique d'une politique publique culturelle à l'échelon national et la mise en oeuvre des instruments propres qui en découlent, comme les labels. Mais pour la mise en oeuvre des politiques culturelles, est-il nécessaire d'avoir toujours un maillage territorial de l'État ? Je ne le pense pas, mais certaines conditions doivent être réunies. Je vais maintenant les détailler.

La justification de ce transfert tout d'abord : à la lecture du rapport Malvy-Lambert (2014) sur l'évaluation correcte des ressources transférées, il me semble que la question n'est pas tant la compétence que la capacité d'action. Ainsi, d'après les chiffres de 2010, la DRAC du Languedoc-Roussillon bénéficie de 50 % de ressources de plus que la politique culturelle du conseil régional, et en Alsace c'est trois fois plus. Si elles sont transférées aux régions, les capacités d'action peuvent faire l'objet de compensation et obligent les destinataires de ce transfert à agir dans ce domaine.

Une fois actée la question de la sanctuarisation des budgets aujourd'hui importants, au profit de régions qui n'ont pas ou peu de compétence obligatoire dans ce domaine, il convient de s'interroger sur la traduction de ce transfert du point de vue de l'action culturelle. Le transfert des DRAC aux régions doit entraîner une mutation de l'action culturelle à l'échelle des collectivités territoriales ou, au moins, des régions.

Si la région devient la principale bénéficiaire des capacités d'action de l'État et des compétences des conseils généraux - s'ils disparaissaient, le volume d'intervention culturelle publique de la part des régions correspondrait au tiers des interventions publiques en régions des collectivités territoriales, les deux autres tiers relèvent du bloc local-intercommunal.

Cette organisation nécessite une organisation beaucoup plus collective de la compétence culturelle et de la capacité à définir les projets culturels au niveau régional.

C'est pourquoi je plaiderai en faveur d'une conférence territoriale de l'action publique « plus » (CTAP+), c'est-à-dire qui non seulement soit interinstitutionnelle mais qui associe également les acteurs de l'action culturelle - professionnels, représentants du monde associatif et citoyens -, en vue d'une discussion collective régionale d'élaboration d'un projet pour la culture. Avec tout le respect que je dois au Sénat, il s'agit d'une forme de parlementarisation des politiques culturelles régionales. Je pense que c'est la garantie de dépasser les tendances à l'entre soi des politiques culturelles, les clivages et les frontières entre les sous-secteurs de la culture. Il s'agit de mener des actions concertées, permettant d'élaborer des projets politiques de la culture, sans les réserver à un dialogue entre les professionnels et les élus. Il faut éviter enfin que la croissance des capacités d'action régionale n'entraîne une instrumentalisation politique ou marchande.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci M. Négrier pour cet exposé liminaire. Je vais, dans un premier temps, proposer à un représentant de chaque groupe de réagir.

Mme Marie-Christine Blandin. - Je me fais la porte-parole de Mme Corinne Bouchoux, trop éloignée du micro, pour vous demander si des dispositifs de sécurité ou de contre-pouvoirs sont prévus, afin d'éviter qu'une région contrôlée par un parti extrême, par exemple d'extrême droite, ne prenne en otage la conférence territoriale d'action publique (CTAP) chargée de favoriser l'exercice concerté des compétences des collectivités ? Ces garanties sont-elles comparables à celles de l'État-garant aujourd'hui ?

Mme Sylvie Robert. - Il vrai que les préfets vont voir certaines de leurs responsabilités s'accroître, mais ma collègue Maryvonne Blondin et moi-même ne partageons pas l'appréciation selon laquelle on assisterait à une reconcentration.

Par ailleurs, il est encore trop tôt pour affirmer que les départements vont disparaître et que les régions vont reprendre leurs compétences. Il y aura une organisation en subdélégation de l'action publique qui pourra revenir à des métropoles ou à des intercommunalités importantes. Le transfert des crédits des DRAC aux régions reste une question en discussion. La récente loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) donne la possibilité de créer des CTAP et des conventions de délégation du type de ce qui se pratique en Bretagne.

Nous disposons déjà des outils de gouvernance et le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République sera l'occasion de clarifier les choses.

M. Louis Duvernois. - Le Sénat a souhaité que la loi de 2010 relative à l'action extérieure de l'État, qui a créé l'Institut Français, prévoie la participation des collectivités. Quelle est votre appréciation de l'effectivité de cette participation ?

M. Emmanuel Négrier. - Je répondrai à Mme Bouchoux que je peine à trouver des arguments qui justifieraient d'envisager des mesures destinées à restreindre l'action de responsables dont on ne partagerait pas les opinons, mais qui auraient été élus démocratiquement. Dans ce genre de situation, il me semble que le débat public et démocratique constitue le moyen le plus approprié de s'opposer à une politique, notamment dans le cadre de la CTAP+ que j'appelle de mes voeux.

Les remarques de Mme Robert et de Mme Blondin me conduisent à nuancer quelque peu mon propos comme je le fais dans mes articles. Il est vrai que l'on assiste certes pas à une reconcentration généralisée dans tous les domaines : les questions liées, par exemple, au patrimoine ne sont pas concernées par le phénomène. Cela dit, alors que la période 1990-2014 peut globalement être considérée comme une période de déconcentration, un focus sur les années allant de 2010 à aujourd'hui permet d'observer certains mouvements contraires. On constate par exemple que, de par ses capacités de financement, la direction générale de la création artistique a repris langue avec les acteurs de terrain en court-circuitant les collectivités territoriales.

Par ailleurs, j'ai observé que ce sont les petites structures qui ont le plus pâti des restrictions budgétaires ayant diminué les possibilités d'intervention des DRAC.

En outre, le préfet, s'il n'est pas autant devenu une sorte de potentat, occupe aujourd'hui, sur les questions culturelles, une place qu'il n'avait pas il y a quelque temps.

Je suis parfaitement d'accord avec Sylvie Robert pour dire qu'une partie des compétences des conseils généraux qui seront supprimés devrait naturellement revenir aux métropoles et aux intercommunalités : on pourrait citer, par exemple, l'organisation des festivals. Notre réflexion ne doit pas être par trop binaire et il est important de prendre en compte l'action de l'État et l'action de l'Europe, dont on connaît l'importance en matière culturelle, non pas tant au titre d'une politique strictement culturelle qu'au titre de sa politique régionale.

Sur l'existence d'outils de gouvernance au travers des CTAP actuelles, je mettrais volontiers un bémol, dans la mesure où ces conférences sont trop polarisées sur les institutions publiques et mal adaptées à la définition et à la mise en oeuvre d'actions culturelles. Pour l'heure, les collectivités territoriales sont victimes d'une sorte de crispation sur la question de leurs compétences et ne sont pas prêtes à débattre, comme on le ferait au sein d'un parlement, sur les questions culturelles.

M. Duvernois n'ignore pas qu'en matière d'action extérieure, la collaboration des collectivités territoriales avec les organismes qui ont précédé l'Institut français date des années 1990. Sous l'impulsion, notamment, de M. Jean Digne, directeur de l'Association française d'action artistique à l'époque, un certain nombre de conventions ont été signées, par exemple dans les régions de Nantes ou de Marseille, qui se sont avérées très fructueuses et très profitables. Je ne dispose malheureusement pas d'éléments suffisants pour vous répondre sur la situation actuelle.

M. Jacques Grosperrin. - L'éventualité d'un transfert des compétences des DRAC aux régions inquiète les milieux culturels, qui savent parfaitement qu'il existe des régions riches et des régions moins dotées. Par ailleurs, l'action de l'État concernant, par exemple, les scènes nationales, me semblait assez appréciée.

L'idée de CTAP+ que vous prônez a des aspects séduisants, mais ne pensez-vous pas que le fonctionnement de ces conférences risque de se heurter au principe, bien ancré dans les esprits des élus, que l'instance qui finance doit être celle qui décide ?

S'agissant des financements croisés, et bien que l'on sache que le dynamisme culturel d'un territoire est porteur de potentialités économiques, la situation budgétaire des collectivités les fera sans doute hésiter à s'engager financièrement.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je voudrais rebondir sur la question de mon collègue Jacques Grosperrin en vous demandant votre appréciation sur le fonctionnement, l'organisation et l'efficacité des DRAC ?

Pouvez-vous nous donner des précisions sur la façon dont vous envisagez la notion de chef de filât au sein des CTAP ? Comment éviter que cette position ne se traduise par la mainmise d'une collectivité sur les autres membres de la conférence ?

Enfin, quels sont selon vous les avantages, et peut-être aussi les inconvénients du guichet unique ?

M. Emmanuel Négrier. - Concernant la première question de M. Grosperrin, j'entends les inquiétudes du milieu culturel qui reçoit les financements des collectivités territoriales mais il faut savoir que certains acteurs ne sont pas soutenus financièrement. En France, chacun considère que l'État doit corriger les inégalités de fait avec des politiques régulatrices. Mais l'État joue mal son rôle : son intervention est inégale sur le territoire. Il existe un clivage dans la répartition des financements entre Paris et le reste du territoire. Si l'on regarde la carte d'intervention des DRAC, les activités et les financements se concentrent là où se trouve la vie culturelle, c'est-à-dire à Paris et dans les autres métropoles. On ne peut pas réfléchir à partir du présupposé que la présence de l'État a créé une situation idéale et qu'un pouvoir plus important accordé aux collectivités territoriales biaiserait le modèle. Le pilotage par l'État lui donne un rôle plus correctif dans les régions. Cependant, rien n'empêcherait un État sans administration culturelle déconcentrée d'avoir un rôle d'homogénéisation.

C'est bien souvent la collectivité qui paye le plus qui décide. Le chef de file est donc tout désigné : il n'est pas nécessaire d'en définir un dans la loi. Ainsi, dans les CTAP+, le chef de file serait le coordinateur principal, pas le décideur. La CTAP+ court le risque de l'encombrement des débats mais c'est le prix de la démocratie. Cela aura un impact positif pour le partage culturel et évitera la crainte d'une région trop renforcée. Si l'essentiel des dossiers est géré au sein de ces CTAP+, cela réduira la sensibilité à l'égard du pouvoir régional.

Je me souviens d'une enquête que j'avais menée sur la naissance des DRAC dans les années 1970. Elles étaient alors à la recherche d'acteurs à soutenir et se trouvaient obligées d'aller les chercher dans le vivier de la jeunesse et des sports pour trouver un projet valable. Aujourd'hui, les DRAC sont encombrées. Les choix qu'elles effectuent sont de plus en plus contestables car, avec l'augmentation du nombre de projets éligibles, le risque d'arbitraire augmente. Actuellement, sur le plan des compétences professionnelles et des capacités d'action, les DRAC restent un acteur important. Il faut tirer parti de ces capacités et les régionaliser.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Et concernant le guichet unique ?

M. Emmanuel Négrier. - S'il s'agit d'une facilité de bureau, la question n'est pas vraiment importante. S'il est question d'économie, elles ne sont pas substantielles et représentent peu par rapport aux craintes que le guichet unique éveille. S'il s'agit d'un procédé de rationalisation, alors les craintes sont probablement légitimes. En revanche, s'il s'agit de la dernière décision d'une vaste discussion au sein des CTAP, que tout a été débattu sur l'engagement, qu'il soit pour un ou dix ans, alors le guichet unique sera l'instrument des CTAP et je n'y vois pas d'obstacle.

Mme Maryvonne Blondin. - Je viens de Bretagne où nous sommes en avance dans ce domaine avec le Pacte d'avenir. La CTAP a déjà permis un dialogue entre la DRAC et la région mais ce, au détriment des grandes métropoles et des conseils généraux. Les choses vont maintenant être actées dans deux domaines importants alors que la métropole de Rennes et les départements n'ont pas pris part aux débats. Dans les CTAP+, il faudra plus de relation et plus de partage. Il faut associer tous les acteurs si l'on souhaite en faire un lieu de concertation. Les conseils généraux ont montré leur volonté de coopérer et ont permis de faire émerger un projet de danse contemporaine dans une petite ville de la région mais, sans cette volonté commune, ce projet n'aurait pas vu le jour.

M. Pierre Laurent. - Dans les échanges que nous avons eus, l'action de l'État figurait toujours en creux : quelle est selon vous la mission de l'État en matière culturelle. Comment devrait se caractériser une politique culturelle nationale structurante ?

M. Emmanuel Négrier. - Je sais que la question du guichet unique fait peur à un grand nombre d'acteurs habitués à la logique de remplacement. Car si une collectivité territoriale refuse, une autre peut accepter. C'est une peur de la rationalisation de l'attribution des aides.

Le rôle de l'État s'étend à tout ce qui concerne la règlementation du travail, la rémunération des droits d'auteur, la responsabilité des acteurs. L'État a également un rôle auprès des grandes institutions, une mission d'aménagement et de rectification des inégalités qu'il ne remplit d'ailleurs pas pleinement aujourd'hui.

Le Gouvernement doit donner une impulsion politique nationale en fonction de la majorité, il lui appartient par conséquent de dresser des priorités - on sait par exemple que la droite a plus tendance à augmenter les crédits du patrimoine que la gauche. C'est au Gouvernement d'assumer une responsabilité d'aménagement du territoire et de compensation des inégalités. Il s'agit, comme je le disais plus tôt, d'une mission qui n'est pas forcément bien remplie aujourd'hui. La confusion actuelle tient à la continuité entre les alternances. Sauriez-vous me dire quelle est la politique actuelle du Gouvernement ?

Pour conclure, je dirai que l'ensemble des compétences législatives, la représentation à l'international et les grandes institutions doivent rester dans le giron de l'État.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'heure est arrivée de nous séparer. Merci d'avoir répondu positivement à notre invitation. Vos diverses appréciations nous seront utiles dans la poursuite de notre travail sur le projet de loi NOTRe.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Médias, Livre et industries culturelles » - Crédits « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public » et « Audiovisuel extérieur » - Examen des rapports pour avis

Puis la commission examine les rapports pour avis de M. Jean-Pierre Leleux sur les crédits « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public » et de Mme Claudine Lepage sur les crédits « Audiovisuel extérieur » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2015.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits du programme « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public ». - L'année 2014 constitue assurément un tournant pour le paysage audiovisuel français.

L'arrivée de Netflix en France aura servi de déclic pour mettre sur la place publique des problématiques qui constituent autant de défis pour le secteur audiovisuel français. Quel avenir pour la télévision classique dite « linéaire » ? Quelle place pour les services « délinéarisés » (video on demand - VOD, subscription video on demand - SVOD) ? Quelles conséquences, enfin, pour le métier même d'éditeur de programmes qui consiste précisément à « recommander » des choix si les algorithmes se substituent au savoir-faire des chaînes de télévision ?

La révolution numérique qui s'accélère constitue un défi pour le service public de l'audiovisuel qui doit élaborer une réponse fidèle à ses valeurs tout en étant confronté à une réduction des moyens disponibles.

Avant aborder les problématiques propres à chacun des acteurs de l'audiovisuel public, je commencerai par évoquer l'évolution des moyens consacrés à l'audiovisuel public.

Le Gouvernement a annoncé en juillet dernier, lors du débat d'orientation budgétaire, son intention de supprimer à l'horizon 2017 l'ensemble des dotations budgétaires et de leur substituer la seule contribution à l'audiovisuel public (CAP). Dès 2015, l'augmentation de la contribution à l'audiovisuel public de 3 euros (dont 1 euro au titre de l'inflation) prévue par l'article 27 du projet de loi de finances permet de financer intégralement France Médias Monde et TV5 Monde ainsi que nous le verrons, dans un instant, avec le rapport de notre collègue Claudine Lepage.

Toutefois, cette hausse ne permet pas de répondre aux besoins de financement de l'ensemble de l'audiovisuel public comme l'illustrent le maintien d'une dotation de 160,4 millions d'euros pour France Télévisions et les incertitudes qui demeurent concernant le bouclage du budget 2015 de l'opérateur public.

Voilà pourquoi le débat sur la contribution à l'audiovisuel public est devenu une nécessité. Avant d'évoquer la question de son élargissement, il m'a semblé utile d'examiner son rendement actuel. Nous savons, en effet, que le produit de la contribution à l'audiovisuel public devrait être en 2015 de 3,67 milliards d'euros, soit une hausse de 3,3 % par rapport à 2014. Mais j'ai été étonné de constater à la fin du mois d'octobre que les questions sur le taux de recouvrement et la lutte contre la fraude n'avaient reçu aucune réponse du ministère de la culture et de la communication, celui-ci m'indiquant par écrit ne pas avoir recueilli d'éléments de la part de Bercy.

Plus étonnant encore, la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) m'a répondu, par écrit, que la direction générale des finances publiques ne réalisait pas de mesure du taux de fraude.

Que doit-on penser de cette situation ? Faut-il en conclure que la politique de lutte contre la fraude à la contribution à l'audiovisuel public n'est pas une priorité et que son rendement serait si défaillant qu'il y aurait urgence à nous refuser ces informations ? Quelle serait, dans ces conditions, la légitimité de la hausse de 3 euros demandée cette année et du débat sur l'élargissement de l'assiette ?

Avant d'augmenter ce prélèvement, il convient d'abord de s'assurer - au nom de l'équité fiscale - que tout le monde le paye bien. C'est pourquoi nous avons décidé avec Mme la présidente d'écrire le 30 octobre dernier au secrétaire d'État chargé du budget pour lui demander des explications. Or, au 18 novembre, nous n'avons toujours pas reçu la moindre réponse, ni même un accusé de réception, ce qui ne me semble pas être le meilleur moyen de mener un dialogue constructif avec le Parlement sur ce sujet.

Ce qu'il faut avoir à l'esprit, c'est que plus la fraude serait importante, moins un élargissement de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) serait pertinente puisque le contrôle de la possession d'une tablette ou d'un smartphone ne sera pas moins difficile que celui d'un poste de télévision, bien au contraire. Une telle situation devrait alors nous amener à examiner d'autres fondements à la CAP comme l'ont fait nos voisins allemands.

Jusqu'au 1er janvier 2013, la redevance en Allemagne était prélevée par récepteur mensuellement à hauteur de 5,76 euros pour la radio, 12,22 euros pour un téléviseur et, on le sait moins, 5,76 euros pour un ordinateur ou un smartphone depuis le 1er janvier 2007. Elle était aussi due pour une résidence secondaire ou de vacances.

La réforme de 2013 a prévu la substitution d'un système de contribution (« Beitrag ») à un système de redevance dont le produit baissait du fait de l'accroissement du nombre d'ordinateurs (moins taxés que les téléviseurs) et du développement de la fraude.

La nouvelle contribution repose sur le fait que les contenus de l'audiovisuel public sont maintenant accessibles à tous sur tous supports et qu'il n'y a plus lieu de taxer les supports. Le nouveau prélèvement - 17,98 euros par mois soit 215 euros par an - est donc payé forfaitairement par résidence (principale ou secondaire), indépendamment du nombre de personnes y résidant ou du nombre d'appareils de radiodiffusion disponibles.

Cette réforme allemande doit nous interpeller. Faut-il, en effet, élargir l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public sachant que nous ignorons à peu près tout des conditions de son recouvrement et que le risque de fraude ne fera que grandir ? Ou faut-il nous orienter vers un prélèvement forfaitaire par résidence qui aurait le mérite de la simplicité et de l'équité ? Je souhaite, pour ma part, qu'un vrai débat ait lieu avec le Gouvernement sur ce sujet car je ne trouve aucune raison convaincante de ne pas nous orienter, à notre tour, sur le chemin choisi par nos voisins allemands.

J'en viens maintenant à France Télévisions qui constitue l'autre grand sujet du moment. Les crédits prévus pour France Télévisions dans ce projet de budget pour 2015 s'élèvent à 2,48 milliards d'euros, soit une baisse de 0,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Ils comprennent une part prédominante de crédits issus de la contribution à l'audiovisuel publique - 2,32 milliards d'euros HT inscrits au programme 841 du compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public » - et une dotation budgétaire de 160,4 millions d'euros en provenance du programme 313 du budget général. Cette dotation est inférieure de 4,6 millions d'euros HT au montant inscrit au plan d'affaires de l'avenant 2013-2015 au contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2011-2015.

Mais cette baisse de dotation ne constitue pas le seul motif de la précarité de la situation budgétaire de France Télévisions. L'objectif de retour à l'équilibre en 2015 prévu par l'avenant au COM risque, en effet, de ne pas être tenu compte tenu des aléas qui pèsent sur la trajectoire des ressources et des charges de l'entreprise.

Trois difficultés rentrent, en effet, en ligne de compte :

- les incertitudes fortes qui continuent à peser sur l'évolution du marché publicitaire ;

- la réduction de la dotation budgétaire de 7 millions d'euros dans le cadre de la loi de finances rectificative a montré que le financement public de France Télévisions n'était pas pleinement assuré dans sa composante issue du budget de l'État ;

- la diminution de la trajectoire d'effectifs prévue par l'avenant au COM nécessite un plan de départs important.

Dans ces conditions, l'entreprise va devoir en 2015 finaliser le plan de départs volontaires ramenant l'effectif à 9 750 équivalents temps plein (ETP) fin 2015, poursuivre la politique de rationalisation induite par la fusion et rechercher avec l'État un nouveau schéma de financement.

Le groupe France Télévisions se trouve donc dans une situation compliquée à la veille de 2015 car les incertitudes identifiées fragilisent les dispositions du projet de loi concernant France Télévisions.

Face à cette situation, le président de France Télévisions a ouvert un débat sur le retour à la publicité de 20 heures à 21 heures et pendant la diffusion des grands événements sportifs afin de pouvoir augmenter les ressources publicitaires. Je ne vous cacherai pas ma circonspection face à cette perspective. Quel serait, en effet, le sens de maintenir la suppression de la publicité seulement après 21 heures ? Comment ne pas penser que, pour les mêmes motifs budgétaires, il nous sera proposé ultérieurement de rétablir la publicité entre 21 heures et 22 heures ? On le voit, la direction de France Télévisions est aujourd'hui réduite à trouver des expédients pour boucler son budget ce qui jette le flou sur le projet même de l'entreprise.

Or force est de constater que la réforme de 2013 sur les modalités de nomination du président de France Télévisions n'a pas arrangé la situation. Loin de moi l'idée de rouvrir le débat de l'année dernière et je prends acte du fait que la nomination par le Président de la République ne faisait pas l'unanimité entre nous, mais je crains aujourd'hui que la réforme adoptée n'ait, en fait, aggravé la situation.

Le budget de France Télévisions est négocié entre l'opérateur et son actionnaire, c'est-à-dire l'État. C'est donc à l'État de définir un projet, une vision, un modèle économique et de faire des choix. La désignation du futur président de France Télévisons par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) rend la situation extrêmement complexe puisque, comme le prévoit l'article 12 de la loi de du 15 novembre 2013 : « les candidatures sont présentées au CSA et évaluées par ce dernier sur la base d'un projet stratégique » et rien n'indique que ce projet sera celui de l'actionnaire.

Plus grave encore à mon sens, en confiant le pouvoir de nomination au régulateur, le Législateur a créé une situation de conflit d'intérêts qui affaiblit structurellement France Télévisions par rapport à ses concurrents. TF1, par exemple, n'hésite pas à contester en justice des décisions du CSA devant les tribunaux. Qui peut imaginer que le président de France Télévisions pourrait faire de même sachant que c'est le CSA qui a le pouvoir de le nommer et de le révoquer ?

On le voit, la situation de France Télévisions demande une vraie clarification qui passe par la définition d'un véritable projet. Une réflexion est nécessaire sur le périmètre de l'opérateur - et notamment sur la pertinence de France 4 et France Ô - mais aussi sur le modèle économique, ce qui nous ramène à la contribution audiovisuelle publique. Ces réflexions sont au coeur de la mission qui a été confiée par le Gouvernement à Marc Schwartz afin de définir une feuille de route pour l'actionnaire. Je proposerai à notre présidente que notre commission joue un rôle actif dans les prochains mois pour définir également sa propre vision de l'avenir du service public de l'audiovisuel et des réformes qui doivent être menées, ce qui pourra aussi concerner la gouvernance.

À cet égard, je propose que l'on étudie, pour l'avenir, la possibilité que les conseils d'administration des entreprises de l'audiovisuel public nomment eux-mêmes leurs présidents, ce qui constituerait, à mon sens, le vrai signe d'une normalisation de ce secteur.

La situation d'Arte est très différente de celle de France Télévisions. La clarté du projet de la chaîne culturelle franco-allemande coïncide avec des résultats de plus en plus satisfaisants.

Concernant les moyens, le projet de loi de finances prévoit de lui attribuer 261,8 millions d'euros HT soit une enveloppe en légère hausse de +0,5 % qui correspond à une quasi-stabilisation de la ressource publique, après une réduction exceptionnelle d'un million d'euros décidée par la loi de finances pour 2014.

Alors que le nombre de chaînes a augmenté sur la télévision numérique terrestre (TNT), la chaîne franco-allemande a accru son audience de 33 % en deux ans, passant de 1,5 % en 2011 à 2 % en 2013. La ligne éditoriale qui est devenue plus accessible sans rien céder sur le niveau de qualité constitue également une réussite qui doit être soulignée.

La situation d'Arte France reste cependant fragile financièrement. Malgré la hausse de la ressource publique, la chaîne devra prélever 7,5 millions d'euros sur son fonds de roulement. Arte compte à l'avenir retrouver des marges de manoeuvre avec l'arrêt de la diffusion en basse définition (SD) au printemps 2016 qui devrait lui permettre d'économiser 6,5 millions d'euros en année pleine et mise sur une augmentation de ses ressources propres qui comptent aujourd'hui pour 3 millions d'euros à travers, notamment, la commercialisation de programmes.

J'en viens maintenant à Radio France. Le montant de la ressource publique s'établit à 614,4 millions d'euros TTC (601,8 millions d'euros HT) soit un montant stable par rapport à 2014, mais en baisse significative par rapport à 2013. Depuis 2012, la contribution de Radio France au plan de retour à l'équilibre des finances publiques s'est élevée à 87,6 millions d'euros. Radio France s'est engagé dans un effort de contrôle de la masse salariale avec un objectif de stabilité des effectifs et a mis en place une nouvelle politique des achats et de contrôle des frais généraux.

Faute de marges de manoeuvre supplémentaires, Radio France ne devrait pas être en mesure en 2015 d'absorber la baisse attendue de ses ressources propres due, pour l'essentiel, aux moindres résultats du marché publicitaire ainsi que l'augmentation de ses charges incompressibles (hausse de la fiscalité locale, amortissements liés au chantier de réhabilitation, glissement sur la masse salariale...). La direction de la société prévoit ainsi un déficit de 15 à 20 millions d'euros. Pressée de trouver des solutions, la direction de Radio France en est à demander un élargissement de la publicité à travers une refonte de son cahier des charges permettant de diversifier les annonceurs. Je ne suis pas sûr que ce type d'expédients constitue, là encore, une solution durable et souhaitable.

Le nouveau président de Radio France, Mathieu Gallet, semble avoir pris la mesure des difficultés ainsi que l'urgence qu'il y a à adopter des mesures structurelles. Faut-il fusionner des antennes ? Faut-il ne garder qu'un seul orchestre au lieu des deux actuellement ? Faut-il engager un plan de départs volontaires ? Toutes ces questions ainsi que celle de la stratégie numérique de Radio France devront recevoir des réponses dans le nouveau COM qui devrait être adopté en décembre et soumis à notre examen au premier trimestre 2015.

Quelques éléments maintenant sur le chantier de rénovation dont le coût est passé de 333 millions d'euros à 584 millions d'euros. Cette « dérive » est liée au fait que le projet n'a pas été conçu, dès le départ, dans sa globalité et que les travaux ont été engagés tout en conservant l'activité dans le bâtiment. Mathieu Gallet m'a indiqué que l'incendie du 31 octobre dernier devrait reporter à 2018 la fin du chantier, alors que le coût des locations est estimé à 10 millions d'euros par an.

Un mot sur les crédits en faveur du Fonds de soutien à l'expression radiophonique qui s'élèveront à 29 millions d'euros en 2015. La réforme du Fonds prévue en 2015 devrait permettre de rendre plus exigeants les critères d'octroi des subventions et d'éviter l'effet de « saupoudrage ». Il convient d'être attentif à l'évolution de ce dispositif qui joue un rôle social et culturel important au niveau local.

J'en viens, enfin, à l'Institut national de l'audiovisuel (INA) qui constituait l'année dernière un sujet de préoccupation pour notre commission compte tenu de la forte baisse de la dotation qui était intervenue au travers d'un prélèvement de 19,8 millions d'euros sur le fonds de roulement. Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit une dotation équivalente à celle de 2013, à hauteur de 90,9 millions d'euros.

L'INA est sans doute arrivé à un moment charnière de son histoire après l'achèvement du cycle engagé dans les années 1990 consacré au plan de sauvegarde du patrimoine et à l'ouverture des archives au public. La nouvelle présidente désignée en mai 2014, Agnès Saal, a compris qu'un nouveau projet était nécessaire pour motiver les équipes. Elle a également intégré la nécessité de développer un nouveau projet industriel privilégiant un accroissement des ressources propres. Agnès Saal est, en particulier, mobilisée pour proposer une démarche de sauvegarde à de nouveaux acteurs du monde culturel et de l'entreprise, en France comme à l'étranger. Elle a aussi une forte ambition dans le domaine numérique avec un projet d'offre de vidéo à la demande par abonnement.

Ces nouvelles priorités devraient figurer dans le prochain COM 2015-2019 que nous devrions être amenés à examiner au premier trimestre 2015. Ce COM présentera un nouveau projet immobilier qui devrait prévoir le maintien à Bry-sur-Marne avec la construction d'un nouveau bâtiment, les locaux de l'INA dans le 13e arrondissement à Paris devant, à terme, être abandonnés. Je crois, Mme la présidente, que notre commission pourrait utilement envisager un déplacement à l'INA, à nouveau, au premier trimestre 2015 dans le cadre de l'examen du COM pour examiner ce projet immobilier.

La situation de l'audiovisuel en 2015 est donc contrastée. Certes, à court terme, il peut sembler que les crédits ont été préservés mais, en fait, trop d'incertitudes demeurent notamment concernant France Télévisions et le flou qui entoure aujourd'hui la contribution à l'audiovisuel public n'est pas satisfaisant.

Je vous propose donc de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à l'audiovisuel.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, monsieur le rapporteur pour cet examen très complet. Je cède la parole à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage, rapporteure pour avis des crédits du programme « Audiovisuel extérieur ». - Comme vient de nous le rappeler notre collègue Jean-Pierre Leleux, cette année est marquée par une accélération de la convergence numérique qui touche tous les médias, transforme le paysage audiovisuel en favorisant l'émergence de nouveaux acteurs et rend indispensable l'élaboration de nouveaux services innovants.

L'audiovisuel extérieur n'échappe pas à ce phénomène puisque le numérique, par nature, se joue des frontières. Il est d'autant plus concerné par ces changements que l'actualité est redevenue brulante sur un certain nombre de fronts : en Ukraine, en Syrie et en Irak, au Mali. Dans ces conditions, tous les acteurs ont bien compris que l'information était devenue un instrument d'influence. La Russie vient ainsi de lancer un nouveau service multimédia international dénommé « Sputnik » qui intègre un nouveau site Internet et la nouvelle agence de presse « Russie d'aujourd'hui » qui comprend la radio « Voix de Russie » et un service en langues étrangères. Ce nouveau service diffusera ses informations sur Internet mais aussi à la radio dans une trentaine de pays - dont la France - afin de donner je cite « une interprétation alternative » des événements du monde.

Nous ne pouvons évoquer cette explosion du numérique dans les médias, sans mentionner, bien sûr, la douloureuse et toute récente actualité, et l'impact certain qu'elle a eu sur les dizaines voire les centaines de jeunes partis pour l'Irak et la Syrie qui ont tous muri leur projet au contact de médias étrangers - souvent arabophones ou anglophones - qui ont investi Internet et les chaînes d'information en continu.

Le temps n'est plus, où l'audiovisuel extérieur pouvait être considéré simplement comme un outil du développement de la francophonie. Plus que jamais, notre audiovisuel extérieur constitue un instrument d'influence au service aussi de la défense de nos valeurs. C'est le cas lorsque les Russes regardent France 24 en anglais pour s'informer sur la guerre de Crimée et d'Ukraine (avec des taux d'audience supérieurs à ceux de BBC - British Broadcasting Corporation - et CNN - Cable News Network). C'est aussi le cas lorsque Monte Carlo Doualiya (CMD), chaîne publique de radio arabophone diffuse à Marseille et propose une alternative aux médias étrangers dont la conception d'une information vérifiée, pluraliste et indépendante diffère de la nôtre.

Ces enjeux, effectivement particulièrement sensibles cette année, appellent une attention nourrie quant à la mission plus que jamais essentielle de l'audiovisuel public extérieur. Il me semble que dans le contexte difficile que nous connaissons, l'essentiel a été préservé et un certain nombre de clarifications bienvenues ont été opérées.

La première clarification concerne le financement de l'audiovisuel extérieur au travers de la seule contribution à l'audiovisuel public. Dans la perspective de la suppression de l'ensemble des dotations budgétaires à l'audiovisuel public à l'horizon 2017 une première étape importante a été atteinte cette année avec la suppression du programme 115 « Action audiovisuelle extérieure » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

Le compte de concours financiers s'enrichit ainsi d'un nouveau programme 847 « TV5 Monde » doté de 77,8 millions d'euros TTC (soit 76,2 millions d'euros HT), un montant stable par rapport à 2014. Il voit ensuite croître les crédits du programme 844 « France Médias Monde » qui passent de 169,9 millions d'euros en 2014 à 247 millions d'euros en 2015 (242 millions d'euros HT) du fait du transfert de crédits du programme 115. À périmètre constant, la dotation augmente de 0,9 %.

Dans le contexte budgétaire extrêmement contraint que nous connaissons, je tiens à saluer particulièrement la stabilité de ces crédits. Cependant, l'annulation de crédits de France Médias Monde à hauteur de quelques 612 000 euros en juillet dernier dans le collectif budgétaire m'enjoint à la plus grande prudence et les menaces n'ont pas disparu en cette fin d'année. Nous demeurons donc vigilants.

Pour autant, on ne peut que se féliciter que le financement des deux groupes publics repose dorénavant entièrement sur la contribution à l'audiovisuel public - CAP. Cela constitue un progrès en termes de stabilité de la ressource comme d'indépendance du financement. Mais cette louable situation d'un financement complet de l'audiovisuel extérieur par le contribuable met d'autant plus en exergue l'incongruité et même l'injustice d'un accès aussi limité à cette source d'information pour le contribuable en France. Je vous ferai quelques propositions pour combler cette lacune.

J'en viens maintenant aux détails de la situation des deux opérateurs.

Concernant France Médias Monde tout d'abord, comme vous le savez, mes précédents rapports n'ont jamais éludé mes interrogations sur les conditions de la fusion. J'évoquais, par exemple, l'année dernière, le fort sentiment de délaissement ressenti par Radio France internationale - RFI - et le manque d'objectifs de France 24. Le climat social constituait également un motif de préoccupation que nous étions nombreux à partager.

La fusion juridique a été engagée le 13 février 2012 tandis que Marie-Christine Saragosse a été désignée présidente de France Médias Monde (FMM) le 7 octobre 2012 avec pour mission de mener à bien le rapprochement et de restaurer la confiance au sein de l'institution.

Afin de pouvoir me rendre compte des progrès accomplis, j'ai rencontré cette année les cinq organisations syndicales de France Médias Monde (CFDT - Confédération française démocratique du travail, CFTC - Confédération française des travailleurs chrétiens, CGT - Confédération générale du travail, FO - Force ouvrière - et SNJ - Syndicat national des journalistes) ainsi que sa présidente avec l'intention de leur poser, à chacun, les mêmes questions : la fusion a-t-elle été une bonne chose ? Comment s'est passé le rapprochement des structures et des personnels ? Où en est-on, enfin, de l'harmonisation des statuts ?

Concernant la fusion tout d'abord. C'est un point essentiel : aucun des syndicats de salariés ne demande le retour en arrière, la fusion constitue un acquis. Cela ne veut pas dire, pour autant, que tout est pour le mieux. Si la CFDT, 1er syndicat de France Médias Monde, reconnaît que la fusion était « une bonne chose » et que le rapprochement radio/télévision/Internet est positif, la CFTC, qui était contre la fusion, considère que les salariés ont envie maintenant de « passer à autre chose ». Pour le SNJ, « la nouvelle structure a le mérite d'exister ». FO rappelle qu'elle ne voulait pas la fusion mais qu'elle a joué le jeu et qu'il n'y a plus de retour possible. La CGT, quant à elle, estime qu' « il n'y a pas de culture commune » et s'inquiète d'une éventuelle future fusion des rédactions.

On le voit, au-delà des différences, le principe même de la fusion est aujourd'hui acquis. Ce sont plus les conditions de cette fusion et les nouvelles places de chacun qui font débat. Ces conditions de rapprochement font, en effet, l'objet de griefs plus nombreux même si rien ne semble irrémédiable. Tout d'abord - et je souhaite vivement lui en reconnaître le mérite - tous s'accordent à considérer que Marie-Christine Saragosse a su restaurer les conditions de la confiance nécessaire pour assurer le succès de l'opération de fusion juridique. La CFTC évoque ainsi des « améliorations concernant le dialogue social » et des relations plus « courtoises et détendues ». Mais dans le même temps, ce même syndicat considère que « les personnels vivent côte-à-côte » et qu'il n'y a « aucune synergie ni aucune ambition éditoriale commune ». Ce constat va souvent de pair avec des inquiétudes sur les moyens et la charge de travail. Le SNJ pointe que les journalistes sont plutôt « ouverts à se former à de nouveaux médias comme la vidéo et la photo » mais il insiste sur le fait qu' « un journaliste ne peut produire pour tous les médias ». Le SNJ déplore également que les journalistes doivent faire des tranches d'information plus longues, sans avoir suffisamment le temps de préparer leurs papiers. Cette surcharge de travail mise en avant par ce syndicat est aussi ressentie par la CGT qui évoque des « flux tendus à RFI ».

Il demeure donc des difficultés, peut-être inhérentes à toute fusion. Mais ce qui pose véritablement problème aujourd'hui concerne d'une part l'harmonisation des statuts et, d'autre part, le projet de développement de l'entreprise.

L'ensemble des syndicats des salariés redoute, en effet, le futur statut commun d'autant plus que la négociation a pris du retard, les réunions ayant été suspendues depuis juillet. Cette situation laisse tout autant place aux inquiétudes sincères qu'aux rumeurs pas toujours bien intentionnées. La coexistence de personnels pouvant avoir des statuts très différents - tout en exerçant le même emploi - ne peut pas perdurer. Pour autant, les syndicats estiment que l'enveloppe de 3,5 millions d'euros provisionnée pour financer l'harmonisation sera insuffisante pour réaliser un alignement par le haut ce qui leur fait craindre des remises en cause des acquis.

Mais plus encore, c'est bien l'ambition des pouvoirs publics pour France Médias Monde, dans un contexte de contraintes budgétaires accrues, qui fait débat. La diminution des départs en mission des journalistes pour couvrir les événements - pour des raisons budgétaires mais aussi pour des raisons de sécurité - le projet d'abandonner les ondes courtes en Chine, en Russie et en Iran, le report de la création de l'antenne en bambara qui a coïncidé avec la baisse des crédits dans le collectif budgétaire en juillet dernier, ont alimenté le pessimisme. FO s'interroge ainsi sur la stratégie de l'État pour l'audiovisuel extérieur et tous ont pris conscience de la concurrence accrue initiée par l'arrivée des nouveaux acteurs.

Paradoxalement, ces inquiétudes sont plutôt rassurantes puisqu'elles illustrent aussi l'attachement des personnels à leur entreprise et une conscience aigüe de leur mission d'information. Pour ma part, je suis particulièrement confiante dans l'avenir de France Médias Monde. Cela d'autant plus encore que beaucoup des inquiétudes que je viens d'évoquer recevront bientôt des réponses précises. Je ne doute pas, en effet, que Mme Saragosse mette tout en oeuvre pour parvenir non seulement au meilleur résultat possible mais aussi à un résultat accepté par tous. Ainsi, comme elle me l'a confirmé au cours des auditions, le processus de remise à plat des statuts est maintenant achevé et, sans vouloir divulguer des éléments de la négociation qui devraient être présentés très prochainement par la direction, il semble que la solution pourrait être trouvée au travers d'une convergence réciproque des temps de travail assortie, bien entendu, d'un effort financier pour ceux qui verront leur temps de travail augmenter. J'insiste sur le fait que les efforts demandés devraient être raisonnables et être source d'améliorations, par exemple, dans la prise des congés à RFI. Quant à la négociation sur les métiers, elle devra prendre en compte leur évolution très rapide aujourd'hui. Au regard de ces informations, il me semble que l'objectif de conclure un accord au premier semestre 2015, même s'il est ambitieux, est parfaitement crédible. Cet accord constituera une des fondations de la nouvelle société, il faut souhaiter qu'il permette aussi d'insuffler un nouvel esprit commun propre à favoriser de nouvelles dynamiques.

J'en viens maintenant à la stratégie de France Médias Monde. Celle-ci ne peut être appréciée que remise en perspective dans son cadre budgétaire. France Médias Monde devrait bénéficier en 2015 de 242 millions d'euros (HT). Cela correspond à une baisse de 10,7 millions d'euros des ressources publiques d'exploitation sur la période 2011-2015 soit, en cumulé, une économie pour les comptes publics de 54 millions d'euros par rapport à la dotation de 2011. Autant dire que France Médias Monde a déjà fortement contribué à l'effort de redressement des comptes publics.

Si l'on considère que les ressources propres ont augmenté de seulement 6,1 % entre 2011 et 2015 du fait de la mauvaise tenue du marché publicitaire, on comprend mieux pourquoi France Médias Monde a été dans l'obligation de réaliser d'importants gains de productivité. La mise en place de deux plans de départ volontaire (PDV) a eu pour conséquence une baisse nette des effectifs de 253 équivalents temps plein (soit une baisse de 20 % des effectifs) et une économie globale annuelle de 19 millions d'euros. Par ailleurs, un gros effort a également été fait sur les achats et les frais de fonctionnement, ce qui a permis de réduire ce poste de 16,7 millions d'euros par an. Enfin, 4,1 millions d'euros ont été économisés sur les dépenses de marketing et de communication avec le risque de limiter le développement de l'entreprise.

Ces économies n'ont pas empêché le développement de la version arabophone de France 24 et une migration de la production vers la haute définition (HD). Mais les moyens sont aujourd'hui extrêmement contraints ce qui limite le nombre des nouveaux projets. L'antenne en bambara de RFI est toutefois aujourd'hui sur les rails et devrait commencer à émettre au plus tard au second semestre 2015, c'est fondamental compte tenu des enjeux qui traversent la partie du continent africain où cette langue est pratiquée. Par ailleurs, France 24 sera bientôt diffusée au Québec et un projet existe d'une antenne hispanophone.

Comme je le disais en introduction, nous avons maintenant un bel outil, financé entièrement par la contribution à l'audiovisuel public. L'audience progresse d'ailleurs sensiblement : +5,4 % en un an pour RFI et +4,2% pour France 24.

Il me semble maintenant éminemment souhaitable de mieux valoriser les antennes de France Médias Monde ce qui passe, à mon sens, par une diffusion de France 24 sur la TNT, non seulement en Île-de-France, mais sur tout le territoire, comme je l'ai indiqué à la ministre de la culture et de la communication lors de son audition. De même, si la diffusion de RFI et MCD à Marseille est déjà en discussion, il semblerait également pertinent d'étendre la diffusion de ces radios au reste du territoire, tout au moins, aux grandes villes.

J'en viens maintenant à TV5 Monde, la grande chaîne francophone dont le capital est partagé entre la France (6/9e), la Suisse (1/9e), la Fédération Wallonie-Bruxelles (1/9e) et le Québec et le Canada (1/9e). Le total des ressources de la chaîne s'établira en 2015 à 108,76 millions d'euros dont 99,91 millions d'euros de contributions publiques et 8,85 millions de ressources propres. La quote-part de la France s'établira à 76,23 millions d'euros HT, soit le même niveau qu'en 2014. La nouveauté tient au fait que, ici aussi, ce financement sera intégralement assuré en 2015 par la contribution à l'audiovisuel public ce qui constitue une bonne nouvelle.

Un mot sur les ressources propres. Les recettes de publicité continuent à constituer une préoccupation depuis la fin du minimum garanti qu'assurait la régie de France Télévisions puisque les recettes sont passées de 4,2 à 2,5 millions d'euros. TV5 Monde considère ainsi qu'il y aurait moyen de mieux valoriser ses audiences en Afrique et en Asie, mais cela nécessiterait un plus grand investissement de la régie dans son démarchage local. C'est pourquoi l'essentiel des ressources propres continue à dépendre des recettes de distribution pour un montant en légère baisse de 6,18 millions d'euros en 2014.

Les grandes priorités de TV5 Monde concernent le basculement en HD qui a été opéré aux États-Unis, en Asie, dans le Golfe persique et qui reste à faire en Amérique latine et en Afrique. La chaîne est ensuite en négociation au Brésil afin de développer un quota de production locale. Mais les deux grandes priorités concernent surtout le lancement d'une chaîne enfant en Afrique pour lequel il manque encore 1,5 million d'euros et le projet d'une chaîne consacrée à l'art de vivre à destination de l'Asie.

TV5 Monde est également très présent sur le numérique avec des offres de replay et de streaming mais aussi une offre de vidéo à la demande par abonnement en Amérique latine. La société qui dispose d'une forte notoriété a aussi lancé une offre Internet d'accès à 200 grands classiques de la littérature francophone qui a reçu un excellent accueil du public.

J'évoquerai également, pour conclure, le lancement par Canal + de la nouvelle chaîne A+ destinée à l'Afrique francophone qui constitue à la fois une concurrence pour TV5 Monde mais aussi une opportunité pour développer des coproductions.

En définitive, mes chers collègues, je crois qu'il n'est plus possible de penser séparément la diffusion de TV5 Monde du service public de l'audiovisuel. Avec le financement intégral de la quote-part de la France par la contribution à l'audiovisuel public, le téléspectateur français est en droit de pouvoir accéder à ces programmes de qualité qui devraient avoir toute leur place sur la TNT.

En somme, ce dont nous avons besoin, c'est bien d'une vision globale du service public de l'audiovisuel. Nous savons que son avenir dépendra de deux critères, le niveau de la contribution audiovisuelle publique d'une part et son périmètre d'autre part. Plus il y aura de chaînes à financer, plus les ressources nécessaires seront importantes ; moins nous voudrons augmenter la contribution à l'audiovisuel public pour nous rapprocher des niveaux pratiqués au Royaume-Uni et en Allemagne, moins il nous sera possible de maintenir certaines chaînes qui n'ont pas trouvé leur public mais qui coûtent cher.

TV5 Monde constitue une belle fenêtre sur d'autres cultures francophones : belge, suisse, québécoise mais aussi africaine, arabe, asiatique. Le coût de sa diffusion sur la TNT serait de 13 à 15 millions d'euros du fait du surcroît de droits qui devrait être payé. Ce coût est à comparer, à mon sens, au budget de France 4 qui s'élève à 40 millions d'euros pour une audience très faible. À un moment où l'on s'interroge sur l'avenir de France Télévisions et notamment sur son périmètre, j'observe que la substitution de TV5 Monde à France 4 sur la TNT permettrait d'enrichir l'offre de programmes proposée aux téléspectateurs français et de réaliser plus d'une vingtaine de millions d'euros d'économies, cela mérite réflexion.

À l'issue de l'examen des crédits de l'audiovisuel extérieur, je vous propose de donner un avis favorable à leur adoption.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie, Madame la rapporteure. Je vous rappelle que ces rapports s'inscrivent dans le cadre d'une mission plus large « Médias, livre et industries culturelles ». Nous examinerons les crédits « Presse » et « Livre et industries culturelles » la semaine prochaine. Le vote global sur l'ensemble de la mission aura lieu à ce moment-là. Aujourd'hui, s'ouvre plutôt une discussion.

M. David Assouline. - Dans sa présentation du budget « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public », M. Jean-Pierre Leleux a mis en exergue plusieurs phénomènes, mais je pense qu'il adopte un point de vue qui reflète une vision artificielle de la réalité. Je vous entends dire que c'est la loi que l'on vient de voter sur l'indépendance de l'audiovisuel public qui est la cause des malheurs de France Télévisions. Mais, jusqu'à la loi de 2010, cette société connaissait une stabilité financière et le redressement opéré au cours de la décennie précédente était très net. Cette loi, que vous avez défendue avec Nicolas Sarkozy, a supprimé la publicité et a créé une instabilité. À cette époque nous dénoncions le fait que le budget ne dépendrait plus que d'une dotation de l'État, qui, selon les années, pouvait ne pas venir, notamment en période de vache maigre. Ce qui est exactement le cas aujourd'hui ; quand l'État a des difficultés, il peut décider d'autres priorités en ajustant le montant de sa dotation, surtout avec un taux de chômage élevé et des difficultés quotidiennes dans la vie de nos concitoyens.

Auparavant il y avait d'un côté la redevance, de l'autre, la publicité. On a enlevé la publicité, le système de financement est devenu bancal. Mais la ligne budgétaire choisie est la bonne - même si on peut peut-être réfléchir au rétablissement de la publicité sur la tranche 20 heures-21 heures. Globalement, le principe est que la redevance stabilise le budget de l'audiovisuel public. C'est la voie que prend ce budget. L'augmentation de la CAP assise sur le coût de la vie finance globalement l'audiovisuel, même si il y a besoin d'une petite rallonge. Une stabilisation est prévue d'ici 2017. Vous ouvrez un débat ; j'aimerais que notre commission le mène à son terme. Jusqu'à présent, il y avait une dynamique positive de l'assiette, notamment liée à l'évolution des modes de vie, les couples séparés multiplient les foyers fiscaux. L'émergence des nouvelles technologies peut entraîner une diminution du produit de la CAP ; la question de l'élargissement de l'assiette se pose.

M. Leleux a pris l'exemple de l'Allemagne, qui est un bon et un mauvais exemple. C'est un bon exemple : ce pays a décidé d'appliquer la redevance à tout foyer fiscal comme un impôt ; c'est ce à quoi nous aimerions arriver. Mais si nous faisons cela, cet impôt ira dans les caisses de l'État. Ce n'est plus une contribution directement affectée à l'audiovisuel public et on retombe dans le travers que je critiquais précédemment. Notre objectif est de réussir à ce que tout le monde paye, mais que l'assujettissement soit fondé sur un objet qui permette de recevoir la télévision. C'est pour cela que l'on parle de l'élargissement de l'assiette aux tablettes et smartphones.

Je suis très étonné de votre critique sur le Gouvernement qui cacherait le taux de recouvrement pour cacher la fraude à la CAP ; je comprends que vous vous adressiez à Bercy pour avoir des informations. Mais si les services fiscaux ne vous répondent pas en temps et en heure, il ne faut pas pour autant s'engager sur la voie de la théorie du complot et dire : « ils veulent nous cacher quelque chose ». C'est un procès d'intention. Je dispose des chiffres de 2012 ; ils sont à votre disposition. En 2012, le taux de recouvrement constaté de première année était de 91,7 % et le taux cumulé sur deux ans de 99,5 %, ce qui est remarquable pour un impôt déclaratif.

En conclusion, nous soutenons tout ce qui permet le débat cette année sur l'audiovisuel public. La ministre a annoncé que l'État allait établir une lettre de mission avant l'ouverture des candidatures au poste de président de France Télévisions ; ces dernières devront s'inscrire dans une stratégie pour le service public. Cela répond à votre demande, vous ne pouvez pas l'ignorer.

M. Louis Duvernois. - Sauf erreur de ma part, c'est la première fois qu'on entend à la suite les deux rapports pour avis relatifs, d'une part, à l'audiovisuel public national et, d'autre part, à l'audiovisuel public extérieur. Je trouve que c'est une très bonne chose, pour la raison très simple que c'est désormais une entreprise commune. On ne peut donc plus dissocier le national de l'international puisque le financement repose entièrement sur la contribution publique.

Rappelons que la réalisation de l'audiovisuel national n'a pas été facile, que des réticences à divers niveaux se sont manifestées. Il n'en demeure pas moins que cette intégration financière existe et nous ne pouvons que nous en réjouir, mais, puisqu'il s'agit d'un financement commun, les difficultés que rencontre l'audiovisuel national auront des conséquences sur l'audiovisuel extérieur.

Je tiens à rappeler l'effort substantiel de l'audiovisuel extérieur pour arriver à la situation d'aujourd'hui. Il a fallu se « délester » de 20 % des personnels, soit 240 personnes qui ont quitté volontairement l'entreprise, ce qui est considérable.

Nous sommes arrivés, en 2014 et dans le budget pour 2015, à la croisée des chemins en ce qui concerne le développement de l'audiovisuel extérieur sans le soutien de l'audiovisuel national. Les Français doivent pouvoir avoir accès à l'audiovisuel extérieur dans l'hexagone. Puisqu'il s'agit d'un financement public, quelle est la part apportée par l'audiovisuel national à l'audiovisuel extérieur, pour assurer notamment l'harmonisation des statuts, le développement de la diffusion, la multiplication de nos vecteurs de diffusion, ou la nécessité d'être davantage présent sur le territoire national ? La réponse à cette question permettra d'évaluer véritablement si le rapprochement entre les deux niveaux se fait dans les meilleures conditions et si l'un et l'autre contribuent à l'objectif de service public.

Mme Corinne Bouchoux. - Ma question porte sur le soutien à l'expression radiophonique locale. Même si les radios libres d'antan ont beaucoup évolué, des radios associatives, qui jouent un rôle important sur notre territoire, disparaissent, d'autant que la presse a subi beaucoup de concentrations. Sauf erreur de ma part, le Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER) a été bloqué à son niveau de 2010. Non seulement il n'y a pas eu une diminution du nombre des radios libres ces dernières années, mais de nouvelles sont apparues. Mécaniquement, cela va diminuer les ressources financières pour les différentes radios. Je voudrais simplement attirer votre attention sur le fait qu'un effort budgétaire important pesant sur ce fonds risque de fragiliser un certain nombre de radios associatives et, par conséquent, l'emploi et la liberté d'expression dans un secteur garant de la diversité démocratique.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Les radios nous alertent actuellement sur les conséquences très préjudiciables du gel des crédits, il faut qu'on puisse leur apporter une réponse.

M. Jean-Louis Carrère. - Je voudrais contester l'organisation de nos débats qui attribue d'abord trois minutes pour un orateur de chaque groupe. Je ne suis pas sûr qu'elle repose réellement sur des fondements très orthodoxes. En commission, lors de l'examen de tels rapports, la parole est libre, même si on peut donner la primeur à l'expression des groupes, ce que vous faites d'ailleurs, madame la présidente, avant de donner la parole aux autres membres de la commission. La limitation à trois minutes de chaque intervention n'a pas été respectée parce que ce n'est pas tenable. Ou on n'a pas grand-chose à dire et on ne prend pas la parole, sauf pour se faire inscrire, ou on s'exprime dans le temps imparti. Confère la durée des interventions de M. Assouline et de M. Duvernois. Nous avons écouté aujourd'hui deux rapports pour avis, très intéressants au demeurant, et je reconnais à chacun le droit d'avoir des inflexions compte tenu des orientations politiques de nos rapporteurs pour avis. Ils donnent un avis intéressant et je m'étonne que vous ne nous fassiez pas voter. Votera-t-on rapport par rapport ou globalement ? Ou n'aura-t-on eu que des approches partielles, qu'elles soient favorables ou défavorables ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous voterons sur l'ensemble de chaque mission, ce qui n'empêche pas que, au fur et à mesure des rapports examinés, ces avis soient commentés et que les groupes prennent position.

M. Jean-Louis Carrère. - Le rapport de M. Leleux est-il lié à une seule mission ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le rapport de M. Leleux porte sur un des programmes de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ainsi que sur le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».

M. Jean-Louis Carrère. - Que le vote sur la mission se fonde sur des avis partiels, certes, mais ces derniers n'ont pas grand intérêt.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cela a toujours été la règle. Je fais en sorte que chacun puisse s'exprimer. Le bureau de la commission a fixé un cadre sur lequel nous nous sommes tous mis d'accord pour les temps de parole permettant à chacun de s'exprimer. J'ai d'ailleurs veillé à ce que M. Assouline et M. Duvernois aient pu aller au terme de leur propos en parlant près de 5 minutes chacun.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Monsieur Assouline, loin de moi l'intention de rouvrir le débat sur la nouvelle gouvernance de l'audiovisuel public. Je n'ai pas l'intention de polémiquer sur la loi de 2013, mais m'est-il interdit de souligner une ambiguïté qu'il faudrait lever ?

Trois personnes morales : le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), l'État et le président de France Télévisions peuvent se contredire à un moment donné en ayant un accord à deux mais pas avec la troisième. C'est le CSA qui nomme le président, certes, dans le cadre d'un projet, lequel a été ou sera proposé sur la base d'une mission stratégique que lui confiera l'État. Ceci étant, l'État affecte les fonds. Il y a là matière à débat.

Sur la contribution à l'audiovisuel public, les statistiques de 2012 n'ont pas été communiquées par le ministère des finances. Nous attendons des précisions de Bercy. Le pourcentage de 99 % de recouvrement ne me paraît pas juste. Combien ne déclarent pas ? Et comment le sait-on ?

Plus les images seront reçues sur de multiples écrans, smartphones, tablettes audiovisuelles, téléviseurs, plus il sera difficile d'aller contrôler les « consommateurs » d'images. J'ai souvent préconisé, lors des débats en séance publique, suivant ainsi Mme Morin-Desailly sur ce sujet, un prélèvement à la réception de l'image ou éventuellement par écran. Étant donné la diminution progressive du nombre de téléviseurs traditionnels, une CAP basée sur la possession ou non d'un téléviseur au sein du foyer va présenter des difficultés. On pourrait réfléchir sur une redevance sur l'audiovisuel public, comme en Allemagne, sur la base du foyer. La multiplication des écrans et des usages liés au numérique rend les contrôles de plus en plus problématiques et nous conduit à envisager une redevance par foyer.

Le fonds de soutien à l'expression radiophonique (FSER) est maintenu et nous serons attentifs à ce que la réforme prévue en 2015 permette une nouvelle répartition visant à la survie des petites stations et luttant contre les concentrations.

Mme Claudine Lepage, rapporteure pour avis. - Je remercie M. Duvernois pour son intervention relative à France Médias Monde (FMM) qui a effectivement dû consentir à de réels efforts, dans la mesure où les suppressions de postes ont représenté environ 20 % des effectifs globaux initiaux. Reste un important chantier d'harmonisation sociale - devant porter à la fois sur les rémunérations, sur le temps de travail et sur la nomenclature des professions - pour lequel une enveloppe de 3,5 millions d'euros a été débloquée.

L'éventualité d'une diffusion de France 24 sur la TNT est une piste de réflexion que nous avons souhaité indiquer à la ministre.

Mme Maryvonne Blondin. - Une prochaine réunion interministérielle devait traiter de la question des radios locales : avons-nous des informations à ce sujet ?

De même, avons-nous des informations sur les suites données au rapport de Mme Anne Brucy sur France 3, qui est chaîne de service public de proximité ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous pourrons interroger la ministre à ce sujet en séance publique.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour traiter des questions budgétaires, mais nous ne pourrons nous exonérer, notamment dans le cadre de cette commission, d'une réflexion relative à ce que doit être le service public de l'audiovisuel. Cette réflexion libre et profonde pourra être poussée jusqu'à envisager la suppression même du service public de l'audiovisuel et les conséquences qu'aurait une telle suppression pour mieux apprécier son intérêt. Elle conduira alors à nous interroger à nouveau sur la présence et l'importance de la publicité sur les antennes de l'audiovisuel public.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Ce type de réflexion, M. le rapporteur, relève en effet du domaine de compétence de notre commission. Nous vous remercions pour ce rapport qui contient un certain nombre de propositions ambitieuses, voire iconoclastes.

L'apparition du numérique entraîne de multiples changements, tant au niveau des usages que des supports de diffusion, qui nous obligeront à repenser les modèles économiques et la fiscalité. Certaines chaînes, comme Arte, prennent en compte ces évolutions et s'y adaptent rapidement, d'autres, comme les chaînes du groupe France Télévisions, semblent éprouver davantage de difficultés.

Par ailleurs, de nouveaux types d'opérateurs, tels Netflix, arrivent sur le marché et les réponses à donner tardent malgré nos alertes répétées : la contribution à l'audiovisuel public n'intègre pas encore ces nouveaux phénomènes.

Nous devons reprendre un travail de fond sur le financement de l'audiovisuel public, comme le faisait notre ancien collègue rapporteur spécial de la commission des finances M. Claude Belot. Je prendrais l'attache de la présidente de cette commission, Mme Michèle André, afin de coordonner les démarches de nos deux commissions dans ce domaine.

La réunion est levée à 17 h 20.

Mercredi 19 novembre 2014

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La séance est ouverte à 9 h 40.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Enseignement scolaire » - Crédits « Enseignement scolaire » et « Enseignement technique et agricole » - Examen des rapports pour avis

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission examine les rapports pour avis de M. Jean-Claude Carle sur les crédits « Enseignement scolaire » et de Mme Françoise Férat sur les crédits « Enseignement technique agricole » de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2015 et article 55 rattaché.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous examinons aujourd'hui les crédits de l'enseignement scolaire et de l'enseignement agricole, dont les crédits sont rapportés respectivement par M. Jean-Claude Carle et Mme Françoise Férat.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis les crédits « Enseignement scolaire ». - Les crédits de paiement pour 2015 de la mission « Enseignement scolaire » s'élèvent à 66,4 milliards d'euros, dont 65 milliards d'euros au profit des cinq programmes relevant du ministère de l'éducation nationale. L'enseignement scolaire demeure le premier budget de la nation et l'éducation nationale constitue un des rares ministères dont les crédits augmentent - de 2,4 % -, ce qui témoigne, dans un contexte de maîtrise des finances publiques, d'un effort important.

Compte tenu des amendements votés à l'Assemblée nationale, voici l'évolution des crédits par rapport à la loi de finances pour 2014. Les crédits de l'enseignement scolaire public du premier degré augmentent de 3 %, pour atteindre 19,8 milliards d'euros. Ceux de l'enseignement scolaire du second degré public progressent de 1,8 %, à 31 milliards d'euros. Le programme 230 « Vie de l'élève » voit ses crédits de paiement atteindre 4,8 milliards d'euros, en hausse de 9,5 %, grâce notamment à la montée en puissance des versements du fonds d'amorçage de la réforme des rythmes scolaires, budgétés à hauteur de 307 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 103 millions d'euros supplémentaires du fait de la reconduction de l'intégralité des aides pour 2015-2016. Les crédits de l'enseignement privé du premier et du second degré n'augmentent que de 1,1 %, pour atteindre 7,18 milliards d'euros. Le forfait d'externat est légèrement revalorisé par rapport à 2014, avec une hausse de quatre euros en moyenne par élève du second degré. Enfin, la baisse de 0,2 % des crédits du programme 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale » est essentiellement imputable à des mesures de périmètre. À structure constante, ces crédits augmentent de 1,9 %.

La qualité d'un budget ne se mesure pas à l'aune du montant de ses crédits. Depuis près de vingt ans, je soutiens que l'inflation des moyens se révèle sans effet sur la situation de l'école.

En effet, alors que la dépense d'éducation, tous financeurs confondus, ne cesse d'augmenter pour atteindre en 2013 près de 127 milliards d'euros, soit 6 % de la richesse nationale, la France n'obtient que des résultats moyens dans les évaluations internationales : voyez les résultats des évaluations PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves). Plus encore, de tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France est celui où les résultats des élèves dépendent le plus de leur milieu d'origine.

L'éducation nationale ne parvient pas non plus à inculquer à tous les élèves les compétences et les savoirs fondamentaux que sont la lecture et l'arithmétique. Les évaluations à l'issue du primaire, de la classe de troisième ainsi que lors de la journée défense et citoyenneté font état d'une proportion importante d'élèves ne les maîtrisant pas ou trop peu. À la veille de leur entrée au collège, plus de 20 % des élèves ne maîtrisent pas les compétences du socle en matière de lecture, proportion qui s'élève à 30 % pour les mathématiques. Enfin, chaque année, 140 000 jeunes Français sortent sans qualification du système scolaire.

Le projet de loi de finances pour 2015 n'apporte à ces problèmes qu'une réponse quantitative, en persistant dans sa démarche de recrutement à marche forcée : 9 421 postes seront créés dans l'éducation nationale en 2015, ce qui implique le recrutement de 24 735 enseignants dans l'enseignement public. Cette politique est financièrement risquée et insoutenable. En effet, la profession d'enseignant souffre d'un réel défaut d'attractivité. En 2013, il y avait moins de deux candidats présents par poste offert au concours du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (Capes) dans les matières qui recrutent le plus - mathématiques, anglais, lettres. La situation est identique pour les concours du premier degré. Les créations de poste réalisées étant bien en-deçà des prévisions, cette politique du chiffre conduit les jurys à abaisser le niveau d'exigence afin d'atteindre les objectifs fixés. En outre, les crédits consacrés aux heures supplémentaires effectives diminuent depuis 2012, ce qui témoigne d'un arbitrage en faveur de la création de nouveaux postes au détriment des heures supplémentaires, qui apportent pourtant un complément salarial appréciable aux enseignants.

C'est au contraire d'une véritable réforme qualitative dont notre système éducatif a aujourd'hui besoin. La refondation prétendue de l'école néglige plusieurs chantiers essentiels : d'abord, revaloriser le métier d'enseignant. La valeur de l'école est celle des personnes qui y enseignent. Nous ne pouvons espérer des progrès substantiels si nous n'attirons pas vers l'enseignement les éléments les plus brillants, alors même que nous savons l'importance de l'« effet » maître. Cela passe par une revalorisation des salaires, en particulier pour les enseignants du primaire, mais surtout par l'amélioration des conditions de travail et la mise en oeuvre d'une gestion des ressources humaines digne de ce nom. Or le Gouvernement n'apporte que des modifications superficielles au statut des enseignants, sans engager de réflexion globale sur leur métier. Il s'agit également d'améliorer la formation de nos enseignants. Si la refondation de l'école a le mérite de réintroduire une formation initiale, dont j'avais déploré la suppression, les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) font l'objet de nombreuses critiques : formations trop éloignées du métier et manquant de cohérence, cadrage national insuffisant. La formation continue des enseignants, elle, demeure quasiment absente.

De plus, l'allocation des moyens de notre système scolaire est défaillante. La dépense par élève à l'école élémentaire ne représente encore que deux tiers de la dépense par élève dans les collèges et les lycées et moitié moins que dans l'enseignement supérieur. C'est d'autant plus inacceptable que l'école primaire constitue la phase essentielle de la scolarité, où sont enseignés les apprentissages et les principes de la vie en société. C'est également là que se révèlent les difficultés d'apprentissage et où se creusent les inégalités sociales. La priorité au primaire affichée par le Gouvernement est une fiction, qui repose essentiellement sur la mise en oeuvre du dispositif « plus de maîtres que de classes », dont l'efficacité, au regard des expérimentations et des précédents à l'étranger, est plus que discutable. Consacrons plutôt les moyens supplémentaires à des initiatives ayant fait leurs preuves, à l'instar de la réduction du nombre d'élèves par classe, ou encore à la création d'un véritable statut de directeur d'école. L'effet d'entraînement du chef d'établissement est avéré ; le directeur d'école doit cesser d'être un primus inter pares pour devenir un véritable dirigeant.

La réussite de tous passe encore par la valorisation de toutes les intelligences et de toutes les compétences. Le développement de l'enseignement professionnel et de l'apprentissage me tient à coeur. Je déplore que la politique menée consiste à retarder le plus possible l'orientation des élèves au profit du maintien dans la voie générale : le dispositif d'initiation aux métiers en alternance a été tellement contraint qu'il est devenu inopérant, quand les options de découverte professionnelle ont été supprimées. La règlementation sur l'utilisation des machines dangereuses pénalise le développement de l'apprentissage ainsi que les offres de stages de l'enseignement professionnel.

Enfin, je demeure attentif au sort de la médecine scolaire, qui favorise la réussite des élèves et réduit les inégalités sanitaires. Or celle-ci se dégrade : 263 postes étaient vacants en octobre dernier. Avec plus de 12 millions d'enfants scolarisés, les 1 100 médecins scolaires ont un secteur moyen de 11 000 élèves, parfois beaucoup plus. Alors que la moyenne d'âge du corps est relativement élevée - 53 ans en 2010 -, une grande partie des postes offerts au concours demeurent vacants du fait des conditions de rémunération et de travail insuffisamment attractives.

La pénurie de médecins scolaires pénalise au premier chef les enfants les plus défavorisés et participe du maintien d'importantes inégalités de réussite scolaire. Le ministère doit engager une réflexion sur l'attractivité du métier, la hiérarchisation de ses missions et poursuivre l'accueil d'internes. Enfin, diverses tâches devraient être dévolues à la médecine de ville ou du travail, à l'instar de la délivrance des certificats médicaux exigés pour les élèves en stage en entreprise.

Un aspect très positif de ce budget : la poursuite des efforts en faveur de la scolarisation des enfants handicapés. Les crédits en faveur de l'accompagnement du handicap augmentent ainsi de 6,6 %, permettant de poursuivre la dé-précarisation des accompagnants d'élèves en situation de handicap et de financer le recrutement de 350 accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) supplémentaires à la rentrée 2015.

Enfin, des gisements d'économies demeurent inexploités, notamment en ce qui concerne les projets immobiliers et informatiques du ministère, dont la gestion défaillante est à l'origine de retards et de surcoûts gigantesques. Les trois grands projets informatiques du ministère, SIRHEN, OCEAN-CYCLADES et GFC, engendrent un surcoût de plus de 225 millions d'euros, dont 210 millions pour le seul logiciel SIRHEN, dont le coût n'était à l'origine que de 80 millions d'euros ! Il en va de même pour les subventions aux associations, dont la hausse de 10 millions d'euros est dissimulée par le ministère par la prise en charge des conseillers départementaux de l'Union nationale du sport scolaire (UNSS) sur des crédits de personnel.

Bref, nous demeurons confinés dans une logique de dépense alors qu'il nous faut entrer dans une logique d'investissement, et l'éducation est le meilleur que la Nation puisse faire. Cette logique d'investissement implique que soit revue en profondeur la gouvernance du système éducatif, dont la réforme des rythmes scolaires témoigne du caractère dépassé. Sortons de la culture de la circulaire - multiplication des instructions hiérarchiques de plus en plus longues et détaillées mais de moins en moins suivies et comprises par les acteurs de terrain - au profit de la culture du contrat, fondée sur la concertation et la responsabilisation de tous les acteurs. Expérimentons et évaluons systématiquement les politiques éducatives. Cette mission pourrait revenir au conseil national d'évaluation du système scolaire, dont la crédibilité dépendra des moyens qui lui sont affectés comme de ses garanties d'indépendance.

Enfin, un mot sur l'article 55 du projet de loi de finances pour 2015 rattaché à la mission « Enseignement scolaire ». Il prévoyait, dans sa version initiale, la reconduction de la seule part majorée du fonds d'amorçage pour la réforme des rythmes scolaires. Si le Gouvernement a accepté de proroger l'intégralité des aides du fonds jusqu'en 2015-2016, cette reconduction est soumise à l'élaboration d'un projet éducatif territorial (PEDT). Cependant, le surcoût à la charge des communes du fait de la mise en oeuvre de cette réforme - estimé entre 600 millions et un milliard d'euros par l'AMF - n'est qu'insuffisamment compensé par le fonds d'amorçage, dont le montant des aides s'élève à 373 millions d'euros pour 2014-2015 et autant pour 2015-2016.

L'État doit tirer toutes les responsabilités de cette réforme imposée d'autorité, sans concertation et dans la précipitation. Le fonds d'amorçage doit être pérennisé et ses aides doivent couvrir l'intégralité des surcoûts.

J'ai ainsi décidé de vous proposer plusieurs amendements. Le premier organise un transfert de 140 millions d'euros de crédits de paiement vers le programme « Vie de l'élève » afin d'abonder le fonds d'amorçage pour la réforme des rythmes scolaires. Ces crédits proviennent de l'annulation des créations de postes d'enseignants stagiaires et du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux dans l'enseignement public du second degré, à hauteur de 87 millions d'euros de crédits de personnel, de l'annulation de 3 millions d'euros de crédits de personnel de l'enseignement privé, afin de limiter le recrutement d'enseignants du second degré,...

M. Jean-Louis Carrère. - Voterez-vous seulement la première partie du budget ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Et enfin de l'annulation de 50 millions d'euros sur le programme 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale » afin de contraindre le ministère de l'éducation nationale à revoir la conduite de ses grands projets immobiliers et informatiques.

Le deuxième amendement prépare la revalorisation des carrières des personnels de médecine scolaire par le transfert de 5 millions d'euros de crédits de titre 2 du programme « Soutien de la politique de l'éducation nationale »vers l'action « Santé scolaire » du programme « Vie de l'élève » ; le troisième annule 15 millions d'euros de crédits du programme « Soutien de la politique de l'éducation nationale » afin de faire participer davantage les opérateurs de l'éducation nationale - ONISEP, CNED, CANOPE - aux efforts de maîtrise de la dépense publique.

Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je vous proposerais de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire ». Bien qu'étant opposé à l'obligation de conclure un PEDT, un vote négatif de notre part sur l'article 55, qui reviendrait sur la reconduction de la part forfaitaire des aides, desservirait les communes. Aussi, je donne un avis favorable à l'adoption de l'article 55 du projet de loi de finances.

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole. - Le budget de l'enseignement agricole évolue favorablement en 2015, du moins en apparence. Les crédits consacrés à l'enseignement technique agricole augmentent de 2,6 % d'une année sur l'autre, pour atteindre 1,38 milliard d'euros. Dans un contexte très difficile, l'effort est appréciable et montre que l'enseignement agricole n'est pas moins bien traité que l'éducation nationale.

Cette hausse provient essentiellement de l'augmentation importante des crédits de personnels, en hausse de 4,1 %, du fait notamment du recrutement de 140 enseignants à la rentrée 2015. Le plafond d'emplois du programme s'établit ainsi à 14 987 emplois, soit un niveau comparable à celui de 2011. L'effort en faveur des emplois d'avenir professeur se poursuit également, qui permet de soutenir en amont les vocations d'enseignant.

Ce budget s'inscrit également dans le respect des protocoles d'accord conclus en 2013 avec le Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) et l'Union nationale rurale d'éducation et de promotion (UNREP) pour les établissements du temps plein, ainsi qu'avec l'Union nationale des maisons familiales rurales (UNMFR). Un protocole d'accord est d'ailleurs en cours de finalisation avec les établissements du rythme approprié affiliés à l'UNREP. Ces accords ont permis de clore les risques contentieux liés au financement des établissements privés. Ils donnent à tous les acteurs une lisibilité et une prévisibilité très appréciables des enveloppes budgétaires jusqu'en 2016. Les représentants de l'enseignement privé agricole m'ont fait part de leur satisfaction quant à l'application de ces accords. En effet, je suis attachée au développement équilibré de toutes les composantes de l'enseignement agricole, qu'il s'agisse du public, du privé temps plein ou du privé rythme approprié. Toutes répondent aux besoins des élèves, des familles et des territoires.

L'effort d'accompagnement des élèves handicapés est appréciable. La dotation 2015 de compensation du handicap s'élève à 4,9 millions d'euros, soit une progression de 17 %, due essentiellement au recrutement de 25 auxiliaires de vie scolaire supplémentaires.

L'enseignement agricole n'échappe toutefois pas aux efforts de maîtrise des finances publiques. La rationalisation des dépenses de fonctionnement se poursuit, notamment par la réduction des subventions de l'établissement public national de Rambouillet de 10 % ou la baisse de 1 % des crédits dédiés aux moyens communs de l'enseignement agricole. De plus, le ministère a décidé la réduction de plus de moitié - de 51,6 % -, soit 3,39 millions d'euros, des dotations couvrant les charges de pensions pour les emplois gagés des centres de formation d'apprentis et des centres de formation professionnelle et de promotion agricoles.

Malgré l'apparente hausse des crédits, la situation financière et administrative des établissements est de plus en plus fragile. La réduction des crédits couvrant les charges de pensions pour les emplois gagés des centres de formation d'apprentis (CFA) et des centres de formation professionnelle pour adultes (CFPPA), ainsi que la sous-dotation chronique des 1 27 assistants d'éducation, reviennent à mettre à la charge des établissements des dépenses qui relèvent normalement de l'État. De plus, beaucoup de ces établissements rencontrent de sérieuses difficultés dans leur gestion quotidienne, du fait de l'absence de créations de postes administratifs et de la diminution des moyens de remplacement.

Vous savez l'importance que j'attache au développement de cet enseignement d'excellence. J'ai toujours mis un point d'honneur à conserver un regard lucide et impartial sur un budget que j'ai l'honneur de rapporter depuis quatorze ans. L'évolution des effectifs d'élève, question d'ordre existentiel pour cette filière, m'inquiète profondément. En-deçà d'un certain seuil d'élèves, le maintien d'un réseau éducatif distinct de l'éducation nationale n'aura plus de sens, quelle que soit l'excellence de ses formations et de ses résultats.

Or les évolutions des deux dernières années sont nettement défavorables. Les effectifs de l'enseignement agricole s'élèvent à la rentrée 2014 à 165 222 élèves, en diminution de 3,6 %, qui fait suite à la légère hausse, de 0,7 %, observée en 2013. Mais une fois ces chiffres corrigés des effets de la rénovation de la voie professionnelle, une tendance structurelle à la baisse des effectifs apparaît, qui touche tout particulièrement les classes dites d'appel que sont les classes de 4e et de 3e ainsi que les classes de 2nde.

La raison en est simple : les élèves sont de moins en moins orientés vers les formations proposées par l'enseignement agricole. Retarder le plus tard possible l'orientation des élèves est un choix délibéré qui relève d'une vision dépassée d'une hiérarchie des savoirs et des intelligences, particulièrement prégnante au sein de l'éducation nationale. Dans certaines académies comme Toulouse et Bordeaux, la réduction de l'orientation des élèves vers l'enseignement agricole et les maisons familiales rurales (MFR) est un objectif explicite du dialogue de gestion.

L'enseignement agricole peine à se défaire de la vision d'une filière de remédiation pour élèves en difficulté ou d'une voie de garage qui ne formerait que des exploitants agricoles - qui ne représentant d'ailleurs que 20 % des effectifs. On en oublierait les excellents résultats de l'enseignement agricole en matière d'insertion professionnelle, meilleure que celle des diplômés de l'éducation nationale. En 2013, sept mois après la sortie de formation, le taux d'insertion des titulaires d'un brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) était de 13 points supérieur à celui des titulaires d'un diplôme équivalent de l'éducation nationale, et l'écart avec les titulaires d'un baccalauréat professionnel et d'un certificat d'aptitude professionnelle agricole (CAPA) respectivement de 23 et 4,5 points.

Je déplore un manque d'ambition et de perspectives pour l'enseignement agricole. La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt constitue un véritable rendez-vous manqué. Elle n'a quasiment rien repris des propositions ambitieuses formulées en 2013 par l'Observatoire national de l'enseignement agricole présidé par Henri Nallet. Elle ne porte aucune vision stratégique pour l'enseignement agricole, pas plus que le projet stratégique présenté au conseil national de l'enseignement agricole à l'automne 2013, dont le statut comme la portée demeurent incertains. Enfin, malgré ma persévérance, la loi d'avenir ne prévoit pas la conclusion de partenariats formalisés entre les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), les régions et les rectorats, qui permettraient pourtant de donner un cadre pluriannuel stable aux différents acteurs et de mettre fin à des disparités flagrantes entre les territoires.

Nous assistons à une dégradation lente mais certaine de la situation. Une logique de régression, d'adaptation des effectifs aux moyens, s'installe au sein de l'enseignement agricole. C'est l'exact inverse de la démarche promue par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : la performance ne consiste pas seulement à faire mieux avec moins, mais également à évaluer les différentes politiques publiques et à investir dans celles qui produisent des résultats. Or l'enseignement agricole constitue une filière d'excellence dynamique, innovante, au rayonnement international, appelée à jouer un rôle majeur dans la transition vers l'agroécologie. Mais encore faut-il que l'enseignement agricole soit reconnu et préservé.

En conclusion, si ce budget est globalement favorable et qu'il satisfait les acteurs de la filière, il dissimule cependant une fragilisation des établissements ainsi que de l'enseignement agricole dans son ensemble. L'amendement du Gouvernement adopté la semaine dernière à l'Assemblée nationale, qui réduit d'un montant de 2,5 millions d'euros les crédits hors titre 2 du programme 143 afin de financer la reconduction de la part majorée des aides pour la réforme des rythmes scolaires, témoigne d'un véritable mépris pour l'enseignement agricole. Celui-ci ne doit pas redevenir la variable d'ajustement du budget de l'enseignement scolaire.

C'est pourquoi Jean-Claude Carle et moi-même vous proposons un amendement rétablissant 2,5 millions d'euros de crédits hors titre 2 au profit de l'enseignement agricole. Ces crédits sont prélevés sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement du programme 214 « Soutien à la politique de l'éducation nationale ». Sous réserve de son adoption, je recommande un avis favorable sur l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

Mme Danielle Michel. - Tout le monde reconnaît l'excellence de notre enseignement agricole. Le budget de l'agriculture diminue, mais celui de l'enseignement agricole est préservé, conformément à la priorité donnée par le Gouvernement à l'éducation et à la jeunesse. Ce budget augmente de 2,8 % par rapport au budget précédent, pour atteindre 1,38 milliard d'euros. Dans la conjoncture que nous traversons, c'est un budget solide, qui respecte les engagements pris par le Gouvernement auprès de ses partenaires. L'année dernière, le plafond d'emploi avait progressé de 222 équivalents temps plein (ETP) par rapport à l'année antérieure. Le présent budget crée 140 postes dans l'enseignement scolaire, 20 dans la recherche et 25 postes d'auxiliaires de vie scolaire individuels. L'objectif de créer environ 1 000 nouveaux postes pendant le quinquennat est maintenu. Notre enseignement agricole doit disposer des moyens de poursuivre l'excellent travail qui est le sien, et c'est le cas depuis 2012.

Mme Férat parle de régression de l'enseignement agricole, mais ses arguments sont fallacieux. La régression des effectifs n'est pas liée au budget, mais à l'évolution de la profession. Nous soutenons globalement la politique du Gouvernement en matière éducative.

Mme Françoise Cartron. - Les engagements du Président de la République sont tenus : le budget de l'enseignement scolaire reste le premier de la Nation. Votre argumentaire, monsieur Carle, ne nous surprend pas, mais il a le défaut d'être excessif. Or tout ce qui est excessif est dérisoire...

Vous contestez les créations de postes, les nouvelles comme celles de l'année passée. Créer des postes n'améliore pas la qualité de l'enseignement, dites-vous. Allez donc plus loin : défendez cette idée sur le terrain. Ces postes sont en grande partie liés au rétablissement de la formation des enseignants. Dites clairement que vous souhaitez revenir au système mis en place sous le précédent quinquennat, qui conduisait les jeunes professeurs à débuter devant leurs élèves sans aucune formation, politique qui s'est révélée catastrophique.

Ce n'est pas tout. Ces créations de postes sont concentrées dans l'enseignement primaire, conformément aux recommandations de la Cour des comptes, qui a dénoncé le déséquilibre des moyens entre primaire et secondaire. Ayez le courage de dire que vous souhaitez toucher au secondaire, c'est-à-dire aux options, très consommatrices de postes, et aux moyens alloués aux équipes enseignantes...

Mais pourquoi, au fait, dépense-t-on de l'argent ? Parce que nous avons la particularité de maintenir des écoles rurales à petits effectifs, qui coûtent cher. Si vous souhaitez faire des économies, proposez-donc de les regrouper ! Mais c'est un discours que l'on ne peut tenir à Paris tout en soutenant ceux qui, sur le terrain, manifestent pour conserver leur école de village ! C'est en effet là que les postes sont créés, car c'est une nécessité, non un souci électoraliste. Ces postes vont aussi rendre possible la scolarisation des enfants de moins de trois ans, autre pan du système malmené par le précédent gouvernement. Bref, vous ne pouvez pas raisonnablement proposer leur suppression.

L'attractivité du métier d'enseignant dépend de nombreux paramètres, dont leur place dans la société. Sans doute faut-il le revaloriser financièrement. Mais les enseignants demandent surtout une reconnaissance ; ils demandent à être salués pour leur travail au quotidien, plutôt que dénigrés constamment. Vous proposez d'améliorer leurs conditions de travail : c'est en contradiction avec la suppression des postes, qui font diminuer le taux d'encadrement des élèves... Les créations de postes prévues répondent précisément à la dynamique démographique de notre pays. Vous défendez tout et son contraire !

Un mot sur les rythmes scolaires. C'est la première fois qu'un gouvernement impulse une action et l'accompagne financièrement. Cette aide bénéficie pour l'heure indifféremment à toutes les communes, quels que soient leurs projets. On ne pourra toutefois pas donner sans cesse davantage à ceux qui ne font pas le minimum. Mettons à présent l'accent sur l'exigence de qualité, et modulons les aides du fonds en conséquence.

Mme Françoise Laborde. - Je partage nombre des propos de Mme Cartron.

Les rapporteurs proposent de voter les crédits de la mission sous réserve que nous adoptions leurs amendements : c'est un peu rapide comme détricotage !

Vous semblez opposer considérations budgétaires et vie des élèves. Fonds d'amorçage, médecine scolaire : très bien, mais pas au prix d'une réduction des postes.

Enfin, pouvez-vous revenir sur l'objectif explicite de réduction du nombre des élèves orientés vers l'enseignement agricole dans l'académie de Toulouse ?

Mme Corinne Bouchoux. - En matière d'enseignement agricole, les choses sont encourageantes, même s'il existe des points d'inquiétude. Le maintien d'une formation autonome est un avantage à court terme. Mais à moyen et long termes, cela empêchera les mouvements entre l'enseignement public ou privé et l'enseignement agricole, compte tenu de l'évolution démographique. Sans doute eut-il été plus intéressant de réfléchir à une mutualisation de certaines formations. La centralisation de la formation agricole coûte cher : il suffit pour s'en convaincre d'observer la dépense relative aux billets de train et à l'hébergement.

S'agissant de l'enseignement scolaire en général, le dispositif nous satisfait. Rétablir la formation des enseignants était une nécessité. La quantité ne fait pas tout, mais nous avions besoin de ces créations de postes. Sur le terrain, tout le monde s'en réjouit.

Nous ne défendons pas les aides tous azimuts, mais au contraire la critérisation des aides à la mise en place de la réforme des rythmes scolaires, et favorables à une contractualisation plus poussée sur les territoires, au moyen des PEDT.

M. Jacques Grosperrin. - Je félicite les deux rapporteurs, dont le travail montre avec courage que les faits sont têtus : 40 % des élèves arrivant en 6e sont en difficulté, 130 000 à 150 000 jeunes quittent le système scolaire sans formation chaque année... En vérité, le système est à bout de souffle et aucun gouvernement n'a réussi à s'attaquer au problème.

La Cour des comptes, l'institut Montaigne, les classements PISA, NAEP (National Assessment of Educational Progress) ainsi que les autres évaluations internationales montrent qu'une augmentation des dépenses ne suffit pas à régler les problèmes. Il faut travailler différemment, changer de gouvernance. J'attendais beaucoup de la refondation de l'école ; malheureusement certaines organisations syndicales ont défendu le statu quo.

Notre système n'est pas performant car l'enseignement n'attire pas les meilleurs étudiants. Il n'est en effet pas attractif car le métier n'est plus respecté. La Nation n'a plus confiance en ses enseignants. Mais comment redonner un signal fort en distribuant aux néotitulaires des tickets restaurant ? C'est un scandale. J'ai rencontré hier un néotitulaire non payé depuis deux mois, à qui l'on a suggéré de souscrire un prêt bancaire... Comment l'accepter ? Plus de moyens, oui, mais pas fléchés de cette façon.

La suppression brutale des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) n'a pas été une bonne chose, je le reconnais. Mais il fallait les toiletter, pour les débarrasser d'un pédagogisme qui place l'enfant au centre du système sans chercher à résoudre ses difficultés. Je vois d'un bon oeil la création des ÉSPÉ, mais attention à ne pas tomber dans les mêmes travers.

Nous avons besoin d'un autre mode de gouvernance. Les établissements pourvus d'un chef d'établissement efficace obtiennent les meilleurs résultats, nous le savons bien. Donnons un statut juridique aux directeurs d'école pour instaurer un lien hiérarchique avec les enseignants.

La performance passe aussi par la réussite dans la classe, question taboue. Les États-Unis ont augmenté leur budget de 80 % depuis les années 1990, et n'ont jamais eu aussi peu d'élèves par classe. Les résultats n'ont pourtant pas été significatifs !

Il faut donc changer la structure de financement, arrêter de piloter le système depuis la rue de Grenelle, donner plus d'autonomie aux établissements, changer le mode de gouvernance et mieux payer les enseignants.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je me félicite du rétablissement de la formation des enseignants. Mais il reste beaucoup à faire, car la reconstitution du vivier est difficile, surtout dans les lycées professionnels : 27 % des postes ne sont pas pourvus ; 11 % des enseignants sont des contractuels. Vincent Peillon s'était engagé à diminuer ce dernier taux : où en est-on ? Notre commission s'est beaucoup engagée dans la revalorisation de la voie professionnelle, pour lui donner une dignité égale à celle des autres voies, et lutter contre l'orientation par l'échec. La réforme du bac professionnel était une piste. Approfondissons l'étude de ses résultats en termes de poursuite d'études.

Où en est la progression de l'apprentissage ? Je ne voudrais pas que la voie scolaire tombe en désuétude. Son financement pose également problème. Les 20 000 nouveaux apprentis, dont on peut craindre le saupoudrage, ne doivent pas conduire à déstabiliser l'offre et la répartition géographique des formations scolaires.

Les lycées professionnels risquent également d'être touchés par la réforme de la carte de l'éducation prioritaire, notamment dans les Hauts-de-Seine.

L'équilibre promis aux familles entre insertion professionnelle et poursuite des études pose problème. Beaucoup d'enseignants de brevet de technicien supérieur (BTS) ne savent pas comment prendre ces élèves issus de lycées professionnels.

M. Claude Kern. - Merci pour vos deux rapports, que j'approuve entièrement. Le métier d'enseignant est insuffisamment attractif, et il ne s'agit pas seulement d'un problème de formation : une vraie revalorisation s'impose. La réforme des filières dans les lycées a eu pour conséquence que la spécialisation intervient de plus en plus tard, ce qui pose problème aux entreprises. Nous devons créer des pôles d'excellence, qui regroupent des filières entières dans des lycées technologiques ou professionnels, jusqu'au BTS, voire jusqu'au niveau Bac+3. Voilà ce que devraient être des lycées des métiers ! Une enquête récente a montré que malgré l'engagement de l'État, la réforme des rythmes scolaires se traduit par un surcoût important pour les communes. Souvent, les nouvelles activités périscolaires (NAP) sont à la charge des familles : plus d'une sur deux s'en dit mécontente.

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. - Mes arguments sont-ils fallacieux ? Depuis 14 ans, j'ai toujours défendu ce budget, quel que soit le ministre : c'est bien le signe d'une certaine objectivité. Bien sûr, les crédits augmentent de 2,8 %, mais certains chiffres sont inquiétants. La baisse de 51,6 %, soit 3,39 millions d'euros, de la dotation couvrant les charges de pension pour les emplois gagés des centres de formation d'apprentis, aura des effets regrettables : cette charge reviendra aux établissements, qui s'en trouveront fragilisés.

L'enseignement agricole ne forme pas que des agriculteurs : seuls 20 % de ses élèves choisissent ce métier. Les auditions m'ont montré qu'on adapte les effectifs aux moyens et non l'inverse : c'est tout le problème. L'orientation est un problème crucial. Membre du conseil général, je siège au conseil d'administration d'un collège de mon canton. Quelle ne fut pas ma surprise d'entendre la principale annoncer fièrement que tous ses élèves seraient orientés vers une seconde générale ! Certains jeunes peuvent avoir des bonnes notes et souhaiter apprendre un métier. Je vous rappelle que le dialogue de gestion de l'académie de Toulouse comporte comme objectif explicite la réduction du nombre d'élèves orientés vers l'enseignement agricole.

Mme Bouchoux connaît parfaitement l'enseignement agricole et son rôle dans l'aménagement du territoire. J'ai évoqué la question de la mutualisation devant le ministre de l'agriculture et celui de l'éducation nationale. Il est souvent trop difficile d'affecter un enseignant sur deux établissements, par exemple. Les billets de train ont un coût, certes. Mais dans l'enseignement agricole, l'internat est une force : c'est ainsi qu'on construit l'homme. Nous ne devons pas craindre la petite taille des établissements : c'est le secret de leur réactivité.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Je n'ai jamais dénigré les enseignants. Si je suis sévère pour le système, j'admire les enseignants, qui pratiquent un métier difficile dans des conditions pénibles. Nous devons rendre leur métier plus attractif et faire qu'ils soient mieux considérés.

M. Jean-Louis Carrère. - Avec quel budget ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Ils gagnent, au début de leur carrière, 1 300 euros net par mois. Certainement, le secteur privé est plus attractif...

J'avais dénoncé la suppression par M. Chatel des IUFM, que rien n'a remplacé. Nous devons faire le bilan des ÉSPÉ, académie par académie. Je suis défavorable à une augmentation du budget. Il ne s'agit pas d'une dépense mais d'un investissement, qui doit produire des retours sur investissement. La logique n'est pas de dépenser toujours plus ! M. Lang, à son arrivée, a créé 100 000 postes car les résultats de l'enquête PISA n'étaient pas bons. Neuf ans plus tard, ces résultats se sont détériorés...

M. David Assouline. - Après neuf ans de gouvernement de droite !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - L'école n'est ni de gauche ni de droite.

M. Jean-Louis Carrère. - Elle est plutôt de gauche...

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Loin de s'améliorer, les résultats se sont détériorés. L'école n'assume par sa mission républicaine, et ce n'est pas l'augmentation de son budget qui règlera le problème. Certes, les résultats sont meilleurs dans le secondaire que dans le primaire. Est-ce à dire qu'il faut accroître les moyens du primaire ? Je crois plutôt à un redéploiement : c'est la multiplication, sans doute excessive, des options et des filières dans le secondaire qui coûte cher.

Je n'étais pas favorable à la réforme des rythmes scolaires, mais je respecte la loi : une fois promulguée, il faut l'appliquer. Dans mon département de Haute-Savoie, toutes les communes l'ont fait. Le décret Hamon y a aidé, mais une grande partie du coût de cette réforme reste à leur charge. Que l'État l'assume !

Le « détricotage » n'est possible qu'au sein de la mission. Il faut rétablir la formation des enseignants. Subordonner les aides aux rythmes scolaires à certains critères, pourquoi pas ? Mais ne créons pas une usine à gaz ! Les petites communes n'ont pas les moyens de mettre en place un PEDT. Nous devons redéployer les moyens, et donner un statut aux directeurs d'école. Quant à la gestion des ressources humaines au sein du ministère, elle est archaïque et doit être améliorée.

Je partage votre volonté de mettre sur un pied d'égalité l'enseignement professionnel et la voie générale. Nous savons bien, toutefois, que cet objectif se heurte à nos stéréotypes culturels, qui hiérarchisent les formes d'intelligence. Pourtant il y a une intelligence de la main, du geste... N'opposons pas la voie scolaire et l'apprentissage ! Il faut les conjuguer, et valoriser les deux parcours, qui comportent tous deux d'excellentes filières.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - L'apprentissage peut être suivi sans sortir d'une voie scolaire.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Notre commission devrait s'intéresser au devenir des titulaires d'un bac professionnel. Ils constituent une bonne partie des 80 000 étudiants qui quittent l'université en première année. Mieux vaudrait les orienter en amont.

L'aide fournie par l'État pour financer la réforme des rythmes scolaires est insuffisante. Le coût moyen global par élève lié à la mise en oeuvre de la réforme se situe, en réalité, entre 150 et 200 euros. Dans mon département, les chiffres fournis par les communes aboutissent à une moyenne de 207 euros.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La formation professionnelle a été étudiée il y a quelque temps par une mission transversale sur la jeunesse. Je vous propose de créer une mission d'information sur l'orientation dans la filière professionnelle et la réforme du bac professionnel.

M. Jean-Marc Todeschini. - J'ai cru rêver en entendant votre réquisitoire contre la politique menée par les gouvernements que vous avez soutenus ! Vous n'avez pas évoqué la casse de la formation des maîtres, qui est à l'origine de bien des difficultés et notamment de l'accroissement des inégalités. Vous étiez aussi favorable à la suppression des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased). Certes, l'école souffre depuis longtemps. Certes, l'école primaire est fondamentale. Mais l'école a surtout besoin de cohésion, de stabilité et de sérieux. Quelle est votre vision de l'école publique ? Vous avez politisé, à la veille des élections municipales, le débat sur la réforme des rythmes scolaires. Mais qu'avez-vous fait pour l'école primaire ? Les élus se plaignent, sans doute, mais nous avons hérité d'une situation financière désastreuse. Nous savons tous, et depuis fort longtemps, que le rythme des temps d'apprentissage est un paramètre fondamental.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - J'ai été le premier à regretter que M. Chatel ait supprimé la formation des maîtres, et je le lui ai dit ! Je n'ai pas dressé de réquisitoire, j'ai fait un constat. Nous n'avons pas la même vision de l'école, sans doute : c'est la démocratie. Pour ma part, je n'accepte pas qu'un fils d'ouvrier ait dix-sept fois moins de chance d'intégrer une grande école qu'un fils d'enseignant, par exemple.

M. Jean-Marc Todeschini. - L'école est donc de gauche ! Et vous ne teniez pas ces propos quand la droite était au pouvoir...

Mme Marie-Pierre Monier. - J'ai enseigné pendant 34 ans en collège : ce n'est pas du tout la même chose d'être devant 15 ou 30 élèves, surtout de niveaux différents. Il faut rendre plus attractif le métier d'enseignant, qui est très difficile : il ne s'agit pas seulement de respecter les programmes, il faut aussi conduire le plus d'élèves possibles vers la réussite. Les parents se reposent de plus en plus sur les enseignants pour éduquer leurs enfants, ce qui peut générer des malentendus. Les élèves de l'enseignement agricole sont 40 % à venir d'une famille d'agriculteurs. Si seuls 20 % d'entre eux choisissent ce métier, n'est-ce pas dû à la crise que connaît ce secteur ?

Enfin, je trouve bon que les lycées agricoles recueillent des élèves en grande difficulté : c'est un moyen de leur faire retrouver le chemin de l'école.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nombre des membres de cette commission ont été enseignants...

Mme Marie-Christine Blandin. - Le coût des billets de train a été évoqué à propos de la formation des professeurs de l'enseignement agricole, qui se tient à Toulouse. Pourquoi ces enseignants ne sont-ils pas formés au même endroit que les autres ? Les ghettoïser ainsi ne favorise pas l'ouverture sur d'autres orientations. La réforme des rythmes scolaires ne modifie pas le temps scolaire, mais y ajoute du temps collectif qui, au moins, ne sera pas passé devant la télévision, cette garderie électronique. Les communes sont aidées, et cela relève de leur mission de soutien à l'éducation populaire et au tissu associatif.

Le jour de la mise en oeuvre de la LOLF, Mme Férat nous avait mobilisés pour que soient rétablis les crédits de l'enseignement agricole, que le ministre avait oubliés. En fait, ils étaient gagés par l'argent consacré à l'école maternelle. Aujourd'hui, votre gage porte sur le soutien à la politique de l'éducation nationale. Sur quoi voulez-vous taper ? L'évaluation, le contrôle, l'expertise juridique, l'action internationale, les établissements d'appui à la politique éducative ? Vos gages vont faire du dégât...

Mme Vivette Lopez. - L'école n'est ni de droite ni de gauche. Les enseignants, certes, sont plutôt de gauche, mais les élèves sont là pour apprendre. La réforme des rythmes scolaires ne les rendra pas plus intelligents. Ils continueront d'aller à l'école de 7 h 30 à 18 h 30, sauf le mercredi après-midi, où seront regroupées toutes les autres activités. Résultat : le jeudi et le vendredi matin, les enfants ne sont plus réceptifs.

Nos jeunes ne sont pas suffisamment formés en langues étrangères. Dans l'hôtellerie et le tourisme, la pénurie se fait sentir ; il parait même qu'on doit recruter des jeunes issus des pays de l'Est, qui parlent plusieurs langues. À Strasbourg, dès la maternelle, il y a un jour d'école en français et un jour dans une autre langue. Pourquoi ne pas généraliser cette pratique, plutôt que de les livrer à la garderie à quoi se résument parfois les activités périscolaires ? D'ailleurs, dans mon village, seuls 30 enfants sur 140 y participent !

M. Jean-Louis Carrère. - Merci et bravo aux deux rapporteurs. Depuis deux ans, nous n'avons pas examiné la seconde partie de la loi de finances. Cette fois, avez-vous l'intention d'aller jusqu'au bout ? Nous n'avons pas envie de perdre notre temps.

Je me souviens que M. Carle a travaillé avec M. Millon. Déjà, sa vision de l'éducation était assez particulière : il préconisait que les régions définissent leurs propres programmes et choisissent leurs enseignants !

Certes, il faut renforcer l'attractivité du métier d'enseignant. Dès que nous serons revenus à meilleure fortune économique, nous devrons nous y consacrer. Mais votre discours manque de cohérence ! Vous supprimez d'un côté 100 millions d'euros de dépenses, tout en augmentant de l'autre les crédits pour renforcer l'attractivité de la profession... Il faut être cohérent !

Tous les rapports montrent que l'éducation élémentaire est presque en déshérence. C'est terrible ! Les créations de postes de maître ont été annulées, la formation des maîtres a été mise à mal. N'est-il pas dangereux, dans une démocratie comme la nôtre, de transformer un débat comme celui sur les rythmes scolaires en une controverse politicienne ? Il s'agit de l'avenir de l'école de la République. L'un des points forts de notre pays, c'est l'excellence de la formation. L'intérêt général doit prévaloir sur tout comportement politicien.

Mme Dominique Gillot. - La réforme des rythmes scolaires a rendu aux enfants cinq demi-journées d'enseignement, au moment où ils sont le plus capable d'assimiler. Inversement, les après-midis s'en trouvent allégées, ce qui permet des activités éducatives, comme l'apprentissage ludique des langues.

Mme Vivette Lopez. - Très bien !

Mme Dominique Gillot. - Vous avez évoqué les créations de postes par M. Lang. Les suppressions de postes effectuées par M. Darcos ont-elles produit de meilleurs résultats ? Non ! La source du problème est la formation des maîtres. Les ÉSPÉ doivent à la fois garantir le niveau académique des professeurs et les former progressivement au contact avec les élèves. Cela demande du temps et requiert la création de postes de stagiaires. Les 20 000 postes créés à cet effet ne suffiront pas. Sur certains territoires, il faut un effort supplémentaire : zones rurales, banlieues à forte densité de population... C'est pourquoi la ministre a annoncé aujourd'hui la création de 500 postes pour le département de Seine-Saint-Denis. M. Carle propose de retirer 87 millions d'euros à l'enseignement secondaire pour rembourser les communes. Cela représente de nombreuses suppressions de postes...

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. - Je crois bien connaître l'enseignement agricole. Le nombre moyen d'élèves par classe est de 13 et 8 % des heures d'enseignement sont effectuées devant moins de 10 élèves. Certes, la sociologie de l'agriculture a considérablement changé, avec la mécanisation des tâches et l'accroissement de la taille des exploitations. Cela explique sans doute les chiffres que vous avez mentionnés. La remédiation existe, elle est nécessaire et fort utile. Grâce à elle, des jeunes sortis de quatrième en perdition reprennent confiance en eux. Pour autant, l'enseignement agricole ne doit pas y être assimilé : c'est un enseignement d'excellence.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je parlais de la baisse des effectifs consécutive à la mise en place du bac professionnel agricole.

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. - Cette réforme n'explique pas tout. Ce qui est crucial, c'est l'orientation. Un socle partagé, oui, mais comment le mettre en place dans des petites structures ? Je vais y réfléchir.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Bien sûr, le nombre d'élèves compte. Mais le contexte aussi ! L'important est de prendre rapidement en charge les élèves qui décrochent.

S'agissant des amendements que je vous propose d'adopter, il n'y a pas lieu de prévoir de gage au titre de l'article 40, puisque nous parlons d'une répartition à l'intérieur de la mission. Les crédits proviennent, d'une part, de l'enseignement scolaire du second degré, où nous proposons le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux et le gel des créations de postes, et d'autre part des 675 millions d'euros de crédits consacrés à la logistique et aux systèmes d'information, sur lesquels des dérives importantes ont été constatées.

Quelle sera l'issue du vote sur les recettes ? Je ne lis pas dans le marc de café ! Nous verrons... Je n'ai jamais souhaité donner aux régions des compétences pédagogiques, même si je suis profondément décentralisateur.

M. Jean-Louis Carrère. - Vous avez fait partie des équipes de M. Million !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Nous n'avons jamais mis cela en place !

M. Jean-Louis Carrère. - Vous l'avez souhaité.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - La région Rhône-Alpes était citée en exemple... Pour renforcer l'attractivité, nous allons...

M. Jean-Louis Carrère. - Accroître les déficits !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Non. Entre 2007 et 2012, nous n'avons pas remplacé un enseignant sur deux lors de son départ en retraite. La moitié de l'économie ainsi réalisée a été consacrée à la revalorisation du salaire des enseignants et de la rémunération des heures supplémentaires - dont nous souhaitions augmenter le nombre -, le reste a contribué au désendettement. Je n'étais pas partisan de la réforme des rythmes scolaires, mais à présent que la loi est votée, il faut l'appliquer.

En effet, un bilan des ÉSPÉ sera nécessaire. La suppression des IUFM sans solution de remplacement n'était pas acceptable, je l'ai dit à l'époque, mais il faut laisser aux ÉSPÉ le temps de faire leurs preuves.

M. Christian Manable. - La polémique conduite par certains élus et certains parents contre la réforme des rythmes scolaires est injuste, car elle occulte tous les autres aspects de la grande loi de la refondation de l'école. Ainsi, l'accueil en maternelle des enfants de moins de trois ans, qui avait été précédemment supprimé, constitue une chance supplémentaire de réussite pour les enfants issus de familles défavorisées. La suppression des Rased fut une erreur, car ce dispositif venait en aide aux enfants en grande difficulté, comme le fut la suppression de 80 000 postes, heureusement corrigée par la création récente de 60 000 postes.

La République a toujours pourvu à la formation des maîtres, depuis Jules Ferry. Les Écoles normales formaient les hussards noirs de la République, qui ont inculqué les valeurs républicaines et les connaissances fondamentales à des générations d'enfants français. Les IUFM de M. Jospin avaient pris la relève. Depuis, plus rien ! Après un mastère, les jeunes enseignants sont envoyés sur les postes les plus difficiles sans aucune formation à la pédagogie. Comment s'étonner que les résultats ne soient pas à la hauteur ?

J'ai enseigné pendant 36 ans, en milieu rural, l'histoire et la géographie. Les élèves de sixième avaient des journées de six à sept heures. En fin d'après-midi, retenir leur attention relevait de l'exploit ! Concentrer les enseignements de base le matin, lorsque les enfants sont plus réceptifs - tous les chronobiologistes le disent - est un progrès. Les activités périscolaires sont une chance. Dans mon département de la Somme, des enfants issus de milieux défavorisés ont ainsi accès à des activités artistiques, culturelles ou sportives. Pour cela, il faut une volonté locale. Certains maires ont le courage d'assurer la gratuité des activités périscolaires en réduisant d'autres dépenses.

M. Jean-Léonce Dupont. - Sans remonter jusqu'à Jules Ferry, essayons de regarder les problèmes en face. La question du temps scolaire n'est pas résolue. La réforme des rythmes scolaires pose le problème de la prise en charge par les collectivités territoriales d'un temps qui était auparavant assumé par l'État. Il s'agit d'un transfert. Toutes les collectivités territoriales ont-elles les moyens d'y faire face ? Les aides actuelles sont insuffisantes. L'État a déjà imposé d'autres charges aux collectivités territoriales. Les activités mises en place sont-elles partout de même qualité ? Dans les territoires ruraux, il est difficile d'attirer des intervenants de qualité pour de courtes périodes de travail... Bref, une évaluation de cette réforme s'impose.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - Nous ne sommes pas d'accord sur la scolarisation avant trois ans. L'important est ce qui se passe entre quatre et sept ans. Je propose de rétablir ce qui était prévu par la loi dite « Jospin » de 1989 : regrouper en un premier cycle des préapprentissages la dernière section de maternelle, le CP, le CE1 et le CE2. L'avenir scolaire d'un jeune se joue en grande partie entre quatre et sept ans. Certes, les élus locaux doivent construire des bâtiments. Mais le plus important, c'est ce qui se passera à l'intérieur !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - M. Carrère m'a demandé si nous allions examiner la seconde partie du budget : la réponse ne m'appartient pas.

Nous avons été frustrés de ne pas avoir pu débattre de l'ensemble du budget ces dernières années. Le blocage, je voulais le rappeler, pourtant, n'est pas tant venu des sénateurs de l'actuelle majorité alors dans l'opposition, que de certains de vos alliés politiques qui n'ont pas voté la partie recettes... Pour l'instant, nous examinons les missions en recettes et en dépenses en vue de l'examen en séance ; il n'y a aucune raison d'esquiver le débat.

Pour revenir au sujet, les charges qui ne cessent de s'accumuler sur les collectivités territoriales avec toujours plus de normes imposées et de missions nouvelles deviennent insupportables. Les élus s'en plaignent. Le Conseil d'évaluation des charges a chiffré le surcoût lié aux nouvelles charges obligatoires à 1,2 milliard, chiffre qui ne comprend pas les coûts liés à la réforme des rythmes scolaires.

M. Jean-Louis Carrère. - Votons !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je soutiens la proposition du rapporteur qui vise à prendre en charge le surcoût lié à la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires. Le fonds d'amorçage, dont les crédits sont insuffisants pour assurer le financement de la réforme, se voit ainsi abondé de 150 millions d'euros. Il s'agit aussi d'une question d'égalité de nos territoires. Mme Cartron considère que cela ne constitue pas un bon signal et préfère mettre l'accent sur la qualité. Mais hélas, dans bien des communes, la question de la qualité ne se pose même pas, les élus n'ayant pas les moyens de mettre en place les activités périscolaires. Il faut que notre commission poursuive ses travaux d'évaluation, après un an de mise en oeuvre. M. Carle propose de compenser le surcoût.

M. Jean-Louis Carrère. - Où en sommes-nous ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur Carrère, ne soyez pas discourtois ! Laissez-moi finir mon propos, je ne vous ai pas interrompu !

M. Carle propose de compenser le surcoût en reventilant des crédits du budget de la mission. Mme Laborde a fait part de son inquiétude. La commission des finances travaille aussi sur cette question ; elle a adopté un autre amendement qui vise à prendre en compte le surcoût des normes pour les collectivités territoriales en minorant de 1,2 milliard la baisse des dotations. Toutefois ce montant n'inclut pas le surcoût lié à aux rythmes scolaires. Je propose que nous nous rapprochions de la commission des finances pour parvenir à une position commune. En attendant, l'amendement n° 1 de M. Carle constitue un bon amendement d'appel.

La commission adopte l'amendement n° 1.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 2 consacre cinq millions d'euros supplémentaires à la médecine scolaire, notamment pour préparer une revalorisation des carrières des médecins et infirmières scolaires

La commission adopte l'amendement n° 2.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 3 réalise 15 millions d'économie grâce à une meilleure gestion des opérateurs du ministère de l'éducation nationale, à l'instar du Centre national d'enseignement à distance (CNED) ou de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep).

La commission adopte l'amendement n° 3.

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 4 rétablit les 2,5 millions en faveur de l'enseignement agricole qui ont été ponctionnés à l'Assemblée nationale, et ce de manière incompréhensible alors que l'enseignement agricole ne représente que 2 % d'un budget de plus de 66 milliards d'euros.

Mme Mireille Jouve. - Je m'abstiens.

La commission adopte l'amendement n° 4.

M. David Assouline. - L'adoption de ces amendements modifie l'équilibre de la mission telle que la présentait le gouvernement. C'est pourquoi nous votons contre les crédits ainsi modifiés.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits ainsi modifiés de la mission «Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2015.

Article 55 rattaché

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - L'article 55 rattaché concerne le fonds d'amorçage.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 55.

La réunion est levée à 11 h 45.

Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 05.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Culture » - Crédits « Patrimoines », « Création et cinéma » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » - Examen des rapports pour avis

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission examine les rapports pour avis de M. Philippe Nachbar sur les crédits du programme « Patrimoines », de M. David Assouline sur les crédits « Création et cinéma » et de M. Jean-Claude Luche sur les crédits du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner les crédits des trois programmes de la mission « Culture ». Je cède d'abord la parole à M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis sur les crédits du programme 175 « Patrimoines ».

M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme « Patrimoines ». - Les crédits du programme « Patrimoines » évoluent de la façon suivante en 2015 : -2 % en autorisations d'engagement (AE) avec 745,57 millions d'euros, et +0,6 % des crédits de paiement (CP) avec 751 millions d'euros. Si les crédits sont globalement stables, leur évolution varie fortement d'une action à l'autre.

En observant les subventions aux opérateurs du programme 175, on constate que les efforts qui leur sont demandés sont moins importants que les années précédentes. Deux baisses significatives de crédits sont à signaler : une diminution d'un million d'euros pour le Musée d'Orsay et de deux millions d'euros pour le Musée du Louvre. Ces établissements ont en effet mis en oeuvre des politiques audacieuses visant à assurer leur autofinancement, notamment par une démarche de « labellisation ».

Les arbitrages relatifs aux emplois de titre 2 n'ont pas encore été rendus, mais le ministère a indiqué que le maintien des effectifs placés au contact du public était une priorité d'ores et déjà acquise. En outre, dans le cadre de l'ouverture sept jours sur sept des établissements publics de Versailles, du Louvre et d'Orsay, les emplois nécessaires seront progressivement mis en place. J'observe que certains établissements souhaiteraient pouvoir bénéficier d'une marge de manoeuvre plus grande sur les emplois de titre 3 qu'ils auto-financent, car bien souvent, ils doivent faire face à des vacances de poste durables sur les emplois de titre 2. Cela serait également le gage d'une plus grande souplesse dans leur gestion. Espérons que les mesures catégorielles décidées en matière de ressources humaines pour 2015 permettront de revaloriser les postes en question et d'attirer de nouvelles candidatures.

Je souhaiterais dire un mot du Centre des monuments nationaux (CMN), qui jouit d'une situation financière excellente et de crédits constants, alors même que son périmètre a récemment été élargi. Après le domaine national de Rambouillet en 2009, le fort de Brégançon a rejoint le CMN. Ces élargissements ont été réalisés à budget constant, hormis pour le fort de Brégançon pour lequel un transfert de crédits de 175 000 euros est intervenu en provenance du ministère de la défense, qui assurait jusqu'ici l'entretien du monument.

Le CMN s'est surtout vu confier, cette année, une nouvelle mission par le Président de la République. En effet, il devra assurer la gestion de l'hôtel de la Marine que nous avions visité, il y a quelques années, alors qu'une polémique était née au sujet de sa reprise par une entreprise privée. Le CMN aura pour mission de rendre accessible au plus grand nombre les appartements historiques de l'hôtel et notamment les salons d'apparat. Le reste des espaces, soit 8 000 mètres carrés, seront composés de bureaux et locaux techniques loués à des opérateurs privés. Le coût du projet a été évalué à 59 millions et devrait faire l'objet d'un financement mobilisant des subventions versées par le ministère, le fonds de roulement du CMN et un emprunt auprès de la Caisse des dépôts et consignations. La subvention d'investissement du CMN passe cette année de 18 à 18,5 millions d'euros et la subvention de fonctionnement à 9 millions d'euros. L'organisation d'un tirage exceptionnel du Loto à son profit lors des journées du patrimoine, comme l'évoque l'article 50 bis du projet de loi de finances, permettrait de lui apporter une ressource supplémentaire et je vous proposerai donc d'émettre un avis favorable à l'adoption de cet article rattaché.

Concernant les monuments historiques, on constate la poursuite de la lente érosion des crédits qui s'établissent à 340 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une baisse de cinq millions d'euros, et 327 millions d'euros en crédits de paiement. Si les crédits d'entretiens sont préservés à hauteur de 48 millions d'euros, ceux destinés à la restauration diminuent de 9 millions. Les grands projets financés en 2015 sont principalement la poursuite du schéma directeur de Versailles et le schéma directeur de restauration et d'aménagement du Grand Palais.

J'ai auditionné ce matin le groupement des entreprises de restauration de monuments historiques et du patrimoine (GMH), dont les représentants m'ont fait part de leur grande inquiétude quant à la situation financière de ces entreprises. En effet, depuis le 1er janvier 2014, six entreprises de restauration ont été placées en liquidation judiciaire, ce qui représente la destruction de deux cents emplois de métiers d'art. Les recrutements d'apprentis sont au point mort. La fragilisation de la situation de ces entreprises, qui est directement liée à la baisse des financements pour la restauration du patrimoine, mène à la perte d'un savoir-faire que nous ne retrouverons plus jamais. Il s'agit là d'un véritable cri d'alarme. Des solutions existent et doivent être mises en oeuvre. Je suis favorable à ce qu'une partie des produits du jeu et de la loterie soient partiellement affectés à la restauration du patrimoine.

La politique muséale est confortée cette année après des baisses importantes de crédits en 2013 et 2014. Les crédits de paiement de l'action 3 se stabilisent à hauteur de 339 millions d'euros. Les dépenses d'intervention en crédits déconcentrés sont fixées à 17 millions d'euros en crédits de paiement pour financer la poursuite du plan « Musées en région ». Parmi les exemples de projets financés par ce plan, on trouve le musée Unterlinden de Colmar ou la cité de la tapisserie d'Aubusson.

Les crédits de l'action 8, relative aux acquisitions des collections publiques, sont maintenus cette année à 8,35 millions d'euros, mais je rappelle qu'ils avaient diminué de 48 % en 2013. Les travaux du récolement décennal sont toujours en cours, avec un taux de réalisation de 63 %. Compte tenu de l'affaiblissement de la capacité d'acquisition des musées ces dernières années, le ministère de la culture encourage désormais la circulation des oeuvres et lance une nouvelle initiative intitulée « l'entreprise à l'oeuvre » : cinq entreprises ont été retenues pour cette expérimentation qui consiste à exposer des oeuvres des collections nationales pendant une semaine sur des lieux de travail. Ainsi, une exposition des oeuvres de Fernand Léger a lieu dans les locaux de l'usine Renault de Flins. J'ajoute, pour conclure sur la politique muséale, que nous devrions très prochainement être destinataires du premier bilan de la commission scientifique nationale des collections, qui doit présenter une stratégie en matière de déclassement ou de cession de biens culturels appartenant aux collections publiques.

Un mot sur les archives, dont les crédits s'élèvent à 24 millions d'euros, pour dire que la politique de numérisation de poursuit et que le projet VITAM (valeurs immatérielles transmises aux archives pour mémoire) bénéficie cette année de 2,3 millions d'euros en AE et 1,7 million d'euros en CP.

Je terminerai ma présentation en évoquant le cas difficile de l'archéologie préventive qui devait être réglé par la réforme de la redevance d'archéologie préventive (RAP). Je vous rappelle que nous avions en effet adopté un nouveau dispositif pour la collecte au sein de la filière urbanisme dans le cadre de la loi de finances rectificative du 28 décembre 2011 afin d'adosser la RAP à la taxe d'aménagement. Nous avions également fixé son rendement à 122 millions d'euros.

Or les acteurs de l'archéologie préventive ont été confrontés à une situation extrêmement préoccupante en 2013 et 2014 puisque la collecte de la filière urbanisme a été empêchée en raison d'un dysfonctionnement grave du logiciel Chorus au sein du ministère du logement. De l'aveu même du ministère de la culture, cette situation a mis en péril l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), établissement public national, mais aussi le Fonds d'aides, le Fonds national pour l'archéologie préventive (FNAP), et les vingt services territoriaux d'archéologie préventive qui perçoivent directement la RAP pour financer leurs activités. 49 millions d'euros, prélevés sur d'autres chapitres, ont dû être versés à l'INRAP pour éviter les défauts de paiement. La ministre nous a expliqué que les choses allaient rentrer dans l'ordre dès la fin de l'année, mais aucune information ne nous a été transmise sur le plafonnement de la RAP, dont le seuil a été abaissé cet été de 4 millions pour servir de « gage » au relèvement du plafond de la taxe sur les spectacles alimentant le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV).

Une grande incertitude pèse donc sur ce secteur déjà fragilisé économiquement, au sein duquel un certain nombre d'opérateurs ont d'ores et déjà disparu.

Compte tenu de ces observations, je propose à la commission un avis de sagesse pour l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » de la mission « Culture ».

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, y a-t-il des questions sur les crédits du programme « Patrimoines » ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Conclure à une « sanctuarisation » des crédits me semble bien optimiste, quand la stabilisation relative que nous observons dans ce budget suit deux années consécutives de forte diminution des crédits. En tenant compte de l'inflation, l'évolution des budgets dédiés au patrimoine me paraît très défavorable.

S'agissant du financement des musées, il est vrai que les établissements déploient des ressources d'imagination et de volonté extraordinaires pour stabiliser leurs budgets, notamment par le recours au mécénat. Pour autant, le mécénat constitue un financement par essence aléatoire. Il ne saurait se substituer à une dotation pérenne. Si le mécène fait défaut, de nombreux emplois et projets sont instantanément compromis : c'est d'ailleurs ce qui a récemment contraint le Centre Pompidou de renoncer à plusieurs initiatives, décentralisées et internationales.

Mme Corinne Bouchoux. - Ma question a pour objet les réserves des musées. La mission d'information de l'Assemblée nationale sur la gestion des réserves et dépôts des musées créée fin 2013 a rendu l'été dernier un rapport d'étape dont les constats me semblent particulièrement préoccupants, notamment en ce qui concerne les oeuvres issues de la spoliation, dites « Musées Nationaux Récupération » (MNR). Contrairement aux engagements répétés du Gouvernement, aucun financement n'est prévu pour la quête de provenance des MNR. Il s'agit là d'une niche à contentieux qui risque de nous coûter beaucoup plus cher qu'une quête de provenance mise en oeuvre en amont !

M. Jacques Grosperrin. - Connaît-on l'impact financier et budgétaire de l'ouverture sept jours sur sept des musées concernés, c'est-à-dire le Louvre, Orsay et Versailles ? Quels rapports peuvent être noués entre l'archéologie préventive et l'archéologie commerciale ? N'y aurait-il pas là des pistes d'amélioration ?

Mme Marie-Annick Duchêne. - Je souhaite revenir sur le sujet de la participation du Loto au financement du patrimoine. L'installation de la statue équestre de Louis XIV sur la place d'armes du palais de Versailles a été financée par la Française des jeux, grâce, notamment, à l'implication de M. Aillagon. En l'occurrence, la Française des jeux s'était montrée très disponible. Il revient aux acteurs du patrimoine de prendre l'initiative de les solliciter.

Mme Marie-Pierre Monier. - Après les baisses des crédits du programme « Patrimoines » observées les années précédentes, il nous faut nous réjouir de la hausse des crédits pour 2015, si petite soit-elle. De plus, ces baisses correspondaient à l'achèvement de grands projets de rénovation. Le projet de loi relatif au patrimoine, qui devrait nous être présenté sous peu, nourrit de grandes attentes.

M. Philippe Bonnecarrère. - Ma question porte sur le rôle en matière de maîtrise d'ouvrage public pour les équipements culturels de l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), évoqué notamment dans les documents qui nous ont été présentés par le Gouvernement. Nous savons que la maîtrise d'ouvrage publique dans le domaine patrimonial n'a pas toujours été aussi pertinente qu'on aurait pu le souhaiter. Avez-vous un avis à nous présenter sur l'efficacité de cet opérateur immobilier propre au ministère de la culture ?

Dans un contexte de stabilisation - ou d'érosion, selon le point de vue - de ce budget, je souhaite émettre une réserve liée aux pertes financières qui vont concerner le patrimoine à travers les contrats de plan État-régions. Nombre de contrats de plan comprenaient des volets « patrimoine » et certains d'entre eux ont permis le financement d'opérations ambitieuses, à l'instar de la rénovation de la cathédrale de Chartres, qui a été permise en partie par le contrat de plan de la région Centre. Je m'inquiète car on constate un glissement des financements depuis le volet « patrimoine » des contrats de plan vers les volets territoriaux, sans engagements de l'État à ce jour. Or, à ma connaissance, l'État a indiqué qu'il ne serait pas signataire de ces volets territoriaux. Ce renvoi aux collectivités me préoccupe et laisse prévoir une perte sèche de financements en faveur du patrimoine, avec pour conséquence les effets de levier que nous connaissons.

Mme Sylvie Robert. - Ma question porte sur l'architecture. La loi dite « Grenelle II » prévoit la transformation des zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager (ZPPAUP) en aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) à la date du 14 juillet 2016. Le budget prévoit le financement d'une partie des études préalables à cette transformation. En tout état de cause, toutes les ZPPAUP devront donc être converties en AVAP avant cette date. Avez-vous des informations sur le nombre de ZPPAUP en cours de transformation en AVAP ?

Pourriez-vous nous en dire plus sur les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), qui sont financés par une taxe spécifique, et sur l'évolution de leur rôle en matière d'aménagement de l'espace ? Le futur projet de loi sur le patrimoine devra-t-il prévoir des évolutions en la matière ?

M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis. - Je répondrai à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, qu'effectivement les budgets ont subi une forte baisse pendant deux ans, en 2013 et 2014, et que la stabilisation actuelle des crédits pour 2015 me satisfait. Je suis d'accord pour rester très vigilant quant à la suite de l'exécution du budget, sur les annulations de crédits en loi de finances rectificative et les mesures de régulation budgétaires en cours d'exercice. C'est le rôle de notre commission que d'y veiller.

Mon rapport ne contient aucun élément quant à la recherche de provenance des MNR, mais je vous propose de me faire l'interprète de notre commission sur ce point lors de l'examen des crédits de la mission en séance.

Le ministère de la culture a d'ores et déjà accompagné les musées dans la mise en oeuvre de la mesure d'ouverture sept jours sur sept. Le projet annuel de performances indique que les emplois seront créés progressivement.

Je ne dispose pas d'éléments particuliers sur les collaborations possibles entre archéologie préventive assurée par l'INRAP et par les opérateurs privés mais je pense que tous subissent les mêmes difficultés.

La loi « Patrimoine » devrait être examinée au premier semestre 2015, selon les informations données par M. Vincent Berjot, directeur général du patrimoine, auditionné dans le cadre du groupe d'études sur les patrimoines, et confirmées par Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, lors de son audition par notre commission le 12 novembre dernier.

Un crédit de 3,35 millions d'euros est prévu au titre de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, question posée par notre collègue Bonnecarrère.

Compte tenu des éléments budgétaires et en conclusion de ce débat, je proposerai à la commission d'adopter une position de sagesse sur ces crédits, sachant qu'à titre personnel je serai favorable à leur adoption.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits « Création et cinéma » de la mission « Culture ». - J'ai l'honneur de présenter cette année l'avis de notre commission sur les crédits du programme 131 « Création » et sur le soutien public au cinéma.

Je débuterai ma brève présentation sur le budget destiné à la création. Nous pouvons nous féliciter du maintien des crédits visant à encourager la création et à favoriser la diffusion dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques. Hors investissements dans la Philharmonie, les crédits sont en hausse de 2 %. C'est un excellent signe en période de contrainte budgétaire, et je note que la promesse du Premier ministre a été tenue.

Le programme mobilise au total un peu plus de 734 millions d'euros en crédits de paiement, dont 667 pour le spectacle vivant et 66 millions pour les arts plastiques. Certes, les amoureux des arts plastiques les trouveront injustement minorés mais la stratégie du ministère est cohérente et dynamique, et propose une maquette de performance qui montre bien le souci de rationalisation des objectifs et des moyens mis en oeuvre.

Les dépenses de fonctionnement des opérateurs du spectacle vivant diminuent encore légèrement de 2 millions d'euros environ, avec un effort demandé pour une année supplémentaire à l'Opéra de Paris et à l'Orchestre de Paris. Le chantier de la Philharmonie, que les gouvernements successifs ont eu à gérer depuis le début de l'année 2009. Le projet, qui a fait l'objet de dépassements budgétaires faramineux suite à des prévisions sous-estimées arrive enfin à terme avec le lancement de la première saison début 2015 et 9,8 millions d'euros de crédits d'intervention. Ce nouvel équipement devrait constituer un atout réel pour le rayonnement de la France et pour la démocratisation culturelle puisque de nouveaux publics seront privilégiés dans la programmation et la politique tarifaire. Son emplacement dans les quartiers populaires du Nord-Est de la capitale illustre d'ailleurs cette volonté d'ouverture. D'autres équipements du programme 131 sont soutenus dans le cadre de ce budget, je pense notamment aux fonds régionaux d'art contemporain, avec la réalisation de FRAC « de nouvelle génération », les prochaines ouvertures étant prévues en Basse-Normandie et en Aquitaine.

Les crédits déconcentrés de fonctionnement dans le domaine du spectacle vivant s'élèvent à 284 millions d'euros, dont 192 millions pour les labels et réseaux.

Malgré une hausse de 5 % des crédits de paiement, qui mérite d'être soulignée, les arts plastiques continuent à faire figure de « parent pauvre » de la création française. J'ai découvert à l'occasion de cet avis et des nombreuses auditions que j'ai effectuées les difficultés rencontrées par les artistes plasticiens :

- ils bénéficient de moins de 10 % des crédits du programme ;

- ils ne peuvent pas s'appuyer sur un régime d'indemnisation du chômage comme celui des intermittents ;

- beaucoup d'entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté avec un revenu médian des artistes visuels affiliés à la Maison des artistes de 14 010 euros en 2010 ;

- ils attendent toujours une réponse du ministère du travail pour mettre en place une convention collective ;

- alors que la contractualisation devrait bientôt atteindre le taux de 100 % pour les structures du spectacle vivant, les artistes plasticiens se voient refuser tout contrat avec les galeries d'art, même si une réflexion a été mise en oeuvre l'année dernière ;

- les acteurs privés, mais aussi - et c'est le plus choquant - les structures publiques ne respectent pas leur droit d'exposition, les privant ainsi de revenus complémentaires, et diminuant l'assiette de leurs cotisations à la sécurité sociale ;

- enfin des dérives des systèmes de cotisations ont été dénoncées à plusieurs reprises par l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui ont décrit la situation dramatique d'artistes privés de retraite.

Je souhaiterais que nous prenions le temps d'appréhender ensemble tous ces sujets en amont du projet de loi, par l'organisation de tables rondes et d'auditions, sur la liberté de création, l'architecture et les patrimoines, que la ministre a annoncé pour le printemps 2015.

J'aimerais maintenant prendre le temps d'évoquer deux sujets qui me paraissent essentiel pour la création française, et pour lesquels je vous proposerai tout à l'heure deux amendements.

Le premier concerne le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV). Principalement financé par une taxe sur les spectacles, cet établissement public est aujourd'hui un outil essentiel pour la filière musicale. En s'appuyant sur la vitalité des plus importantes sociétés, il collecte la taxe - en forte augmentation ces dernières années du fait, non pas tant de la diversification que de la concentration du public sur les grosses productions - pour en redistribuer 35 % sous forme d'aides sélectives qui visent à soutenir les entreprises les plus fragiles et faire émerger de nouveaux talents. Cette année, après avoir été abaissé à 24 millions d'euros lors de la loi de finances pour 2014, le plafond de cette taxe sur les spectacles a été relevé à 28 millions d'euros par la loi de finances rectificative du 8 août, sur la base d'un « gage » financier pesant sur la redevance d'archéologie préventive, momentanément affaiblie en raison de problèmes de collecte. Or dès 2014 le rendement devrait être compris entre 28,5 et 29 millions d'euros, pour croître jusqu'à 30 millions en 2015. Alerté par les nombreux professionnels sur ce sujet, je m'en suis ému auprès de la ministre de la culture. J'ai été très heureux de constater que mes propos avaient été entendus puisqu'elle nous a indiqué la semaine dernière qu'un arbitrage favorable avait été rendu pour relever le plafond. Je vous proposerai donc de ne pas attendre le collectif budgétaire et d'adopter dès aujourd'hui un amendement proposant les mêmes mesures. À terme, il me semble urgent d'envisager un déplafonnement de cette taxe pour que le CNV puisse remplir de nouvelles missions et répondre aux attentes du secteur. Ma religion sur cette question est que quand un secteur est potentiellement dynamique, écrêter décourage la production et réduit alors le montant des aides qu'il est possible de verser aux entreprises les plus fragiles.

Le second sujet concerne la TVA applicable aux livraisons d'oeuvres d'art, qui est passée au taux intermédiaire de 10 % tandis que les importations sont assujetties au taux de 5,5 %.

Après la théorie de l'avantage comparatif démontré par Ricardo au début du 19e siècle, nous avons inventé, en 2014, la théorie du « désavantage comparatif » : en privilégiant les importations d'oeuvres d'art aux livraisons locales de nos artistes, nous avons en effet institutionnalisé une concurrence déloyale dont la scène française est aujourd'hui victime. Nous avons en quelque sorte inventé le contraire du protectionnisme ! Vous comprendrez aisément pourquoi je vous présenterai un amendement tendant à revenir sur cette situation insensée, en proposant que les livraisons d'oeuvres d'art soient assujetties au taux de TVA réduit de 5,5 %.

En ayant préservé les crédits de la création en période de contrainte budgétaire, le ministère de la culture a donné un signal fort. À nous de prendre le relais, de montrer que la culture est autre chose qu'un supplément d'âme. La création est garante de notre liberté d'expression, à nous de la défendre, notamment au moyen d'une volonté budgétairement bien affirmée.

Côté cinéma, le projet de loi de finances préserve ce qui doit l'être, mais on voit bien qu'il en faudra davantage pour pérenniser notre système original et vertueux de soutien à l'activité cinématographique : je vous proposerai de nous opposer à une tentative malheureuse et dangereuse de la commission des finances, qui se propose d'écrêter les taxes affectées au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) d'opérer un prélèvement sur son fonds de roulement. Pourquoi vouloir mettre à bas notre système vertueux de soutien à l'industrie cinématographique, quand tout le monde salue ses résultats, alors que c'est grâce au fonds de soutien que le cinéma français a pu résister au cinéma américain comme nul autre cinéma européen ? C'est un mystère, que nous devrons éclaircir avec nos collègues de la commission des finances.

Une diminution des crédits de 61,5 millions serait un coup terrible porté au secteur. Plus de 300 millions d'euros ont déjà été prélevés ces dernières années et le CNC n'a plus de marges s'il veut tenir les engagements qu'il a pris en matière de financement des profits.

Le rendement des taxes affectées au fonds de soutien va encore diminuer l'an prochain : on était à 800 millions d'euros il y a quatre ans, à 700 millions l'an dernier et les prévisions sont à 630 millions l'an prochain : le recul est de 20 % en quatre ans et de 10 % en un an.

Je rappelle que ces taxes sont par ordre croissant :

- la taxe sur la vidéo, qu'elle soit physique ou en ligne : son produit est estimé à 21 millions d'euros, contre 28 millions l'an passé, c'est 25 % de moins et la baisse va se poursuivre ;

- la taxe sur les entrées en salle, qui, heureusement, reste stable à 134 millions d'euros. Les salles de cinéma attirent toujours plus de public, notamment grâce à leur numérisation désormais achevée ;

- enfin, le nerf de la guerre, c'est la taxe sur les services de télévision, qui représente les trois-quarts du fonds de soutien : elle passe de 537 à 474 millions d'euros, parce que la partie due par les distributeurs, la TST-D, diminue de 70 millions d'euros.

La TST-D a été créée en 2007 pour faire contribuer au fonds de soutien tous les distributeurs de télévision, y compris CanalSat, Numéricable, SFR, Bouygues Télécom et Orange ; on se souvient que pour éviter de la payer, les opérateurs avaient séparé la télévision de leur offre triple-play, puis nous avons élargi l'assiette à l'ensemble de l'abonnement ; les opérateurs l'ont contesté devant la justice européenne, elle a finalement validé l'élargissement. C'est pourquoi le budget pour 2014 a été établi sur une estimation de 270 millions d'euros.

Or, dès le mois de mai dernier, les premiers acomptes ont montré que le produit de cette taxe ne dépasserait pas 200 millions d'euros et qu'il manquerait donc 70 millions d'euros au financement que le CNC pourrait engager cette année pour les nouvelles productions. Dans ces conditions, le Gouvernement a rendu l'arbitrage suivant : la TST-D n'est pas augmentée, le CNC devra se contenter de ces 200 millions sur la ligne TST-D, mais le fonds de soutien sera intégralement « entre ses mains ». Il ne subira ni écrêtement de la taxe, ni prélèvement supplémentaire sur son fonds de roulement.

Pourquoi cet arbitrage est-il si important ? Parce que le fonds de soutien et la « réserve » qui figurent dans le bilan du CNC ne sont pas un « magot » que l'établissement garderait pour des jours meilleurs ; ces fonds ont été prélevés sur l'activité cinématographique spécifiquement pour financer de nouveaux films, c'est le principe. Mais, techniquement, cela veut dire aussi que le CNC n'en dispose pas complètement, car ces lignes de compte correspondent à des provisions et à des contreparties de films qui sont en production ou qui vont l'être rapidement : cet argent n'est pas « disponible », il est déjà engagé dans l'activité cinématographique.

Le CNC pilote une politique publique de soutien à l'activité cinématographique et audiovisuelle, ses dépenses d'intervention irriguent l'ensemble de l'industrie cinématographique, à quoi s'ajoutent les obligations faites aux chaînes de télévision de produire et de diffuser des films, ainsi que des règles pour protéger l'exclusivité des nouveaux films en salle, ce que l'on appelle la chronologie des médias. Cet ensemble constitue notre système de soutien au cinéma, c'est grâce à lui que nous continuons de produire 270 films par an, que les films français captent plus du tiers des spectateurs hexagonaux, que les salles ont réalisé plus de 200 millions d'entrées l'an passé, que la branche représente 250 000 emplois directs et que notre industrie cinématographique est exportatrice.

Or, c'est au moment où le financement du fonds de soutien est en difficulté que notre commission des finances nous propose... de ponctionner encore le fonds de roulement du CNC et d'écrêter les taxes qui lui sont affectées.

La révolution numérique, parce qu'elle change les usages, parce qu'elle facilite les contournements de règles, parce qu'elle limite la valeur marchande du cinéma à la télévision, bouleverse le cadre que nous avons patiemment construit pour le cinéma et l'audiovisuel. Nous devons le moderniser, l'adapter encore à la révolution numérique, certainement pas le fragiliser et faire douter l'ensemble de la filière de l'engagement de l'État. Le CNC ne dispose pas de la trésorerie pour être prélevé de 61,5 millions d'euros, comme le propose notre commission des finances, une telle ponction arrêterait dans l'heure un nombre important de projets sur lesquels le CNC s'est déjà engagé.

C'est pourquoi je vous proposerai de nous mobiliser, collectivement, contre les deux amendements adoptés par la commission des finances sur la première partie du projet de loi de finances : le premier à l'article 15, qui « écrête » les taxes affectées au CNC ; le second qui insère un article additionnel après l'article 16, pour prélever 61,5 millions d'euros sur le fonds de roulement du Centre.

Je vous proposerai, ensuite, un amendement pour corriger un décalage en matière de crédit d'impôt « cinéma », qui joue contre les producteurs établis en France : le crédit d'impôt pour dépenses de production est plus avantageux pour les films produits par des entreprises établies hors de France que pour les entreprises établies en France. En effet, un producteur établi hors de France peut bénéficier jusqu'à 20 millions d'euros d'un crédit d'impôt dit « crédit d'impôt international » (C2I) pour des dépenses effectuées en France, tandis que le plafond est fixé à 4 millions d'euros pour un producteur établi en France.

L'attraction de tournages étrangers est un enjeu pour l'activité cinématographique, ce qui justifie le montant du crédit d'impôt international. Mais il est incompréhensible que les entreprises établies en France soient moins bien traitées, ce qui revient à les décourager, ou à tourner à l'étranger : La Belle et la Bête, film financé par des producteurs français, a été tourné en Allemagne parce que les conditions y étaient plus avantageuses... C'est pourquoi je vous proposerai d'élever à 20 millions d'euros le plafond du crédit d'impôt « national », c'est-à-dire de s'aligner sur celui du crédit d'impôt « international ».

J'interrogerai le Gouvernement, enfin, sur les réformes utiles à notre industrie cinématographique. L'année 2014 a été très riche en analyses, en concertation, le temps est venu d'agir, il faut de la cohérence et, aussi, de l'ambition pour notre activité cinématographique et audiovisuelle. J'en évoque des aspects dans mon rapport, sur le fonds de soutien, sur la chronologie des médias et sur le soutien à l'exportation, autant de sujets où il y a beaucoup à faire, dans les meilleurs délais.

Compte tenu de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Création», au sein de la mission « Culture ».

M. Jean-Pierre Leleux. - Je vous félicite pour votre excellent rapport. Vous avez raison de rappeler comment le système fonctionne dans son ensemble, car ce cycle vertueux du fonds de soutien est méconnu ou mal compris. Notre soutien public au cinéma, qui remonte au lendemain de la dernière guerre mondiale, est un succès incontestable, c'est grâce à lui que la France est au premier rang européen pour l'industrie cinématographique, vous avez raison de rappeler qu'il y a des emplois à la clé. Nos voisins nous envient un tel système, ils le copient, pourquoi devrions-nous le fragiliser, le déstabiliser ?

Notre commission a toujours su trouver un consensus pour défendre ces principes vertueux - c'est pourquoi j'aurais pu signer votre rapport et pourquoi j'aimerais que nous travaillions avec nos collègues des finances. Vous le dites bien : les « réserves » du CNC ne sont pas un « magot », mais des provisions pour investissements, il y a des films à la clé qui sont déjà en production, pour lesquels l'État a déjà donné sa parole. Le CNC a déjà fourni des efforts puisqu'au lieu de percevoir 270 millions d'euros au titre de la TST-D, il n'en percevra que 200 millions : il a déjà ajusté ses interventions, pourquoi lui demander un effort supplémentaire ? C'est pourquoi je m'associe très volontiers à votre suggestion de nous mobiliser contre les deux amendements de la commission des finances. La Fédération des industries du cinéma nous alerte : la production est en baisse, attention à ne pas la fragiliser davantage, la menace est bien réelle !

Quant au crédit d'impôt, je crois que le ministère des comptes publics a fini par comprendre qu'effectivement, un tel crédit rapporte finalement davantage qu'il ne coûte à l'État, ce qui a facilité le relèvement du plafond l'an passé.

Mme Marie-Christine Blandin. - Nous confirmez-vous ce que Mme la ministre nous a dit la semaine dernière : le budget est-il en légère augmentation, même sans compter la contribution exceptionnelle pour la Philharmonie de Paris ?

Vous vous félicitez de la Philharmonie, mais la provinciale que je suis ne peut manquer de constater qu'entre la salle Pleyel, l'auditorium rénové de la Maison de la Radio et maintenant la Philharmonie, il n'y en a que toujours pour les mêmes : une analyse comparée des investissements de l'État entre Paris et les autres territoires serait intéressante...

J'adhère parfaitement à votre approche sociale des professions artistiques ; le sujet est effectivement important et nous manquons également ici de relations de travail avec la commission des affaires sociales. Mme la ministre nous a dit qu'elle réserverait le meilleur accueil à un amendement sur le cumul d'un emploi et d'une pension de retraite pour les auteurs, il faudra y être vigilant. J'observe que les documents budgétaires mentionnent une contribution de l'État aux régimes de retraites de la Comédie Française et de l'Opéra national de Paris. Il est tout à fait normal que ces artistes bénéficient de pensions de retraite, mais d'autres artistes qui ont travaillé longtemps dans d'autres établissements et qui ont cotisé pour des retraites complémentaires, trouvent leurs pensions bloquées ou minorées du fait d'ambiguïtés entre affiliation et assujettissement au régime dont ils dépendent.

Je partage votre plaidoyer pour les arts plastiques et j'y ajouterai les musiques actuelles, qui sont plébiscitées par le public mais pour lesquelles nous ne faisons rien ou presque : il y a 86 scènes importantes, mais nous consacrons à peine 9,7 millions d'euros pour les musiques actuelles, alors que des actions très peu dispendieuses peuvent avoir une grande utilité. Je pense, en particulier, à Skip the use, groupe du Nord : il n'a fallu que très peu de subventions pour les aider, pour leur mettre le pied à l'étrier. Il faut aller dans ce sens, il y a beaucoup à faire en la matière.

Enfin, je suis très attachée, tout comme vous, à la préservation des instruments réunissant culture et cinéma.

Mme Maryvonne Blondin. - Si Jean-Pierre Leleux aurait pu écrire ce rapport, je ne suis pas certaine qu'il en serait de même pour moi, car je ne peux me satisfaire d'un budget « préservé » quand je vois toutes les craintes qu'il inspire, et d'abord celle de voir les grands équipements franciliens absorber les crédits au détriment de nos territoires où, par exemple, les scènes nationales ont le plus grand mal à boucler leur budget. Même chose pour les scènes de musiques actuelles (SMAC) confrontées à la baisse des subventions des collectivités territoriales. Je suis devenue comme allergique à la Philharmonie et à ses demandes sans cesse renouvelées de rallonges... Je comprends qu'il faille terminer un chantier, mais jusqu'à quand faudra-t-il payer pour cet équipement ? Et quelle sera la participation de la Ville de Paris ?

S'agissant des arts plastiques et des plasticiens, il y a effectivement beaucoup à dire et à faire - mais ce budget évite soigneusement le sujet, tout comme celui des intermittents.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je m'associe également aux réserves émises sur les amendements diminuant les ressources du CNC.

La « stabilisation » des crédits doit être mise en perspective, elle intervient effectivement après plusieurs années de recul et il faut compter aussi avec le repli annoncé des collectivités territoriales, qui participent beaucoup aux projets culturels. Voyez les contrats de plan État-région (CPER), leur volet culturel et patrimonial est souvent très riche, mais les moyens vont manquer ; on nous a dit, par exemple, que pour le soutien aux scènes nationales, aucun crédit nouveau ne serait attribué l'an prochain, au-delà de ceux déjà engagés : c'est très inquiétant.

S'agissant de la répartition territoriale des équipements culturels, je me souviens du « contrat moral » en faveur d'une pause sur les grands équipements effectivement implantés en Ile-de-France, auquel Aurélie Filippetti avait souscrit. Toutefois ces équipements devraient prévoir davantage de programmation en région : or je ne trouve nulle trace d'un tel engagement dans ce budget.

Enfin, vous ne faites nulle mention des intermittents, monsieur le rapporteur, alors que ce sujet est sur notre agenda. La semaine dernière, en audition, Mme la ministre nous a dit que la mission Archambaud travaillait à une solution pérenne : qu'est-ce à dire ? Et ne faudrait-il pas provisionner des crédits ? Sinon il n'y aura tout simplement aucun moyen pour la réforme ?

Pour toutes ces raisons, je suis très réservé sur ces crédits.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Je soutiens notre rapporteur lorsqu'il s'intéresse au volet social de la situation des artistes ; cette question, du reste, est liée à celle des intermittents.

Je réserve notre vote sur les amendements, jusqu'à ce que nous ayons pu les examiner au sein de mon groupe. Je suis personnellement favorable aux deux premiers, mais je m'interroge sur le troisième : à qui profitent les crédits d'impôt ? Si l'on élève le plafond, ne va-t-on pas privilégier les grandes sociétés de production, qui profitent déjà tant du système de l'intermittence ?

M. David Assouline, rapporteur pour avis. - Effectivement, la question artistique et la question sociale sont étroitement liées, la grande majorité des artistes plasticiens doivent se résoudre à des conditions de vie difficiles, au seuil de pauvreté : ils le font par passion pour l'art, mais dans des conditions matérielles précaires, et je considère de notre devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider - mes amendements vont dans ce sens.

Avec la commission des finances, nous constatons que tout est à recommencer à chaque renouvellement sénatorial. Nous étions parvenus à faire comprendre l'intérêt du fonds de soutien pour l'industrie cinématographique, pour l'économie de notre pays, mais nous devons expliquer à nouveau ces éléments - et je dois dire que je ne m'attendais pas à de tels amendements... C'est pourquoi j'aimerais que nous nous manifestions collectivement, au nom de la commission, pour bien marquer l'importance de notre engagement contre un nouveau prélèvement sur le fonds de roulement du CNC : peut-être pourrions-nous adopter une sorte de motion en ce sens.

S'agissant la Philharmonie, nous sommes tous d'accord pour dire que les surcoûts sont regrettables, nous nous en sommes tous émus. Mais, maintenant, il faut finir le chantier, personne du reste ne propose d'en rester là et de ne plus rien payer... C'est donc la dernière année de contribution exceptionnelle. La situation sera ensuite dans un cadre plus ordinaire.

Quant à la programmation « hors les murs », en région, je suis parfaitement d'accord avec vous : il faut accélérer les choses, je pense par exemple au Palais de Tokyo, qui n'a rien fait hors Paris depuis trois ans, alors que c'est explicitement dans la lettre de mission de la direction !

Enfin, si je n'ai pas parlé des intermittents, c'est que je n'ai pas lu la dernière page de mon intervention et que je ne vous ai pas exposé tout ce qui figure dans mon rapport, préférant, dans le temps imparti, me concentrer sur le budget.

Mme Sylvie Robert. - Merci à notre rapporteur pour la qualité de sa présentation. Je pense que nous pouvons effectivement nous féliciter du maintien des crédits même si un certain nombre de fragilités sont soulignées. Nous soutiendrons les amendements présentés par notre rapporteur car il faut préserver les outils vertueux tels que le CNV ou le CNC. Dans les éléments positifs que nous pouvons mentionner figure le maintien des crédits déconcentrés. Je partage vos réserves sur le taux de TVA applicable aux plasticiens et l'idée de travailler sur ce sujet me paraît excellente. Mais il me semble également important de mener une réflexion sur l'aménagement du territoire, au-delà de la question de l'équilibre entre Paris et les régions : il faut se pencher sur la situation à l'intérieur des régions pour étudier les leviers en matière de solidarités territoriales, que le ministère de la culture n'actionne pas aujourd'hui. Nous devons rester vigilants sur ce point.

M. Philippe Bonnecarrère. - J'ai omis de mentionner le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) : l'objectivité me conduit à préciser que son impact n'est pas négligeable. Notre collègue a posé la question en pensant aux sociétés de production mais nos acteurs culturels publics en bénéficient également puisque leurs budgets ne sont jamais que des charges salariales qui ouvrent droit à ce crédit d'impôt. L'évaluation de l'effet pour une scène nationale que je connais bien constitue une indication intéressante : le gain est de 40 000 euros pour un budget compris entre 2,5 et 3 millions d'euros.

M. David Assouline, rapporteur pour avis. - À qui profite le crédit d'impôt cinéma ? À l'ensemble des producteurs, à l'ensemble des films produits en France.

L'an passé, nous avons augmenté à 30 % le taux de crédit d'impôt pour les films à « petit » budget, c'est-à-dire de moins de 4 millions d'euros : c'est bien la production dans sa diversité qui est visée. Le relèvement du plafond bénéficiera effectivement aux films à plus gros budget, mais je ne crois pas qu'il faille opposer les uns aux autres, tous participent de l'activité cinématographique dans notre pays, tous créent de l'emploi en France... plutôt que chez nos voisins. C'est le sens de mon amendement : il ne faut pas décourager la production en France, c'est important et urgent.

M. Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis des crédits du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture ». - J'ai l'honneur de présenter pour la première année les crédits du programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Pour résumer mon analyse du budget pour 2015, je dirais qu'au-delà des crédits du programme, globalement préservés, les décisions du ministère de la culture révèlent un désengagement de l'État et un pilotage défaillant.

Les crédits sont préservés pour l'ensemble du programme, avec 1 099 millions d'euros en crédits de paiement soit une hausse très nuancée de 0,38 %. Cependant les évolutions sont très inégales d'une action à l'autre :

- ils sont en forte hausse (3,8 % à périmètre constant) pour l'action 1 relative à l'enseignement supérieur culturel qui bénéficie de 264 millions d'euros en crédits de paiement,

- ils baissent de 5 % au sein de l'action 2 malgré le renforcement des moyens destinés à l'éducation artistique et culturelle. En effet, 41 millions d'euros sont dédiés à l'éducation artistique et culturelle, dont 10 millions pour le plan pluriannuel éponyme qui bénéficiait de 7,5 millions l'année dernière ;

- les crédits baissent de 2 % encore au sein de l'action culturelle internationale mais sont confortés pour l'action 7 dédiée au fonds de soutien du ministère avec une augmentation de 29 équivalents temps plein travaillé. J'ajoute que 3,6 millions d'euros sont prévus pour 2015 au titre des mesures catégorielles et 7 millions pour la mesure de glissement vieillesse-technicité (GVT).

J'aimerais maintenant m'attarder sur la notion de désengagement de l'État qui est flagrante lorsqu'on analyse ce programme. L'illustration la plus évidente de mon propos est la suppression de l'action 3 qui regroupaient les crédits relatifs aux enseignements artistiques, accordés par les directions régionales de l'action culturelle (DRAC) aux communes pour le fonctionnement des conservatoires classés, soit 40 conservatoires à rayonnement régional et 102 conservatoires à rayonnement départemental. Je rappelle que les crédits de cette action devaient être sanctuarisés en attendant leur transfert aux départements et régions en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Plusieurs articles de cette loi organisaient la décentralisation des enseignements artistiques avec une répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l'État.

Alors que nous étions sur le point de pouvoir enfin donner une nouvelle impulsion à cette décentralisation avec la réforme territoriale, le ministère a choisi de faire disparaître les crédits ou presque, puisque seuls 5,5 millions d'euros sont préservés mais au sein de l'action 1 relative à l'enseignement supérieur.

Nous observons aujourd'hui le résultat d'un processus engagé il y a trois ans. Rappelez-vous : dès le projet de loi de finances pour 2013, ils étaient passés de 29 à 22 millions d'euros. L'année dernière, leur montant était à nouveau diminué de 31 %, pour atteindre 15 millions. La suppression de l'action est donc la suite logique de ce désengagement réalisé sans aucune concertation avec les acteurs concernés.

J'ai rencontré l'association des directeurs des conservatoires de France : ils m'ont fait part des conséquences de ce désengagement de l'État, déjà observées sur le terrain en 2014. La première d'entre elles est relative à l'emploi : trois postes ont ainsi été supprimés au conservatoire à rayonnement départemental d'Orléans, quatre dans celui de l'Aveyron. Compte tenu des perspectives annoncées pour 2015, les directeurs s'interrogent sur la pertinence du classement des conservatoires qu'ils dirigent, et c'est la deuxième conséquence que je souhaitais évoquer. Ils estiment que ce classement induit des contraintes coûteuses qui n'ont plus nécessairement d'intérêt compte tenu de la disparition du soutien financier de l'État, perçu jusqu'alors comme une contrepartie. Enfin, ils sont très inquiets en découvrant la nouvelle logique du ministère qui attribuera les crédits résiduels aux conservatoires adossés à un pôle d'enseignement supérieur. En effet, les disparités entre territoires sont fortes et la dynamique d'intégration voulue par la loi dite du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche varie beaucoup selon les pôles. Aussi la rupture d'égalité a-t-elle été évoquée lors de mes auditions, ce qui me paraît particulièrement alarmant.

Désengagement, c'est le mot qui m'est également venu à l'esprit en découvrant le cas de l'école nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA). Cette institution est non seulement la plus prestigieuse école d'enseignement des arts plastiques, mais c'est aussi un musée dont les collections ont été constituées à des fins pédagogiques.

Dans son dictionnaire inachevé des idées reçues, Gustave Flaubert donnait la définition suivante : « Hémicycle : Ne connaître que celui des Beaux-Arts ». Je peux vous dire que cela ne serait pas facile aujourd'hui car les lieux sont dans un tel état qu'il est désormais impossible d'y organiser les cours normalement, avec un système électrique devenu dangereux, un plafond d'amphithéâtre qui s'est récemment effondré, et des menaces de fermeture pour raison de sécurité.

Ce triste état des lieux intervient alors que la Cour des comptes a rendu public, le 3 février 2014, un référé très sévère à l'encontre de l'ENSBA portant sur les années 2001-2011. De nombreuses critiques y sont évoquées. Elles concernent le rayonnement international de l'école, les conditions de conservation des oeuvres, la politique éditoriale et d'expositions, et enfin la gestion administrative de l'établissement.

Malgré ce constat très alarmant, le ministère ne semble pas avoir considéré le cas de cet établissement comme une priorité. L'image de notre enseignement artistique dans le monde entier est en jeu, mais l'effort financier de l'état reste quasi identique, puisque la subvention n'augmente que de 300 000 euros pour atteindre 7,3 millions d'euros, après deux baisses successives en 2013 et 2014.

Au-delà de ce cas, qui me semble particulièrement important, c'est le pilotage de l'enseignement supérieur culturel qui semble faire défaut aujourd'hui. Permettez-moi d'évoquer la situation des écoles d'art, qui reflète cette carence de l'État. En effet, de nombreuses disparités existent entre :

- d'une part, les écoles nationales, désormais sous la double tutelle du ministère de la culture et celui du ministère en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

- d'autre part, les écoles territoriales, constituées en majorité sous forme d'établissements publics de coopération culturelle (EPCC), donc sous tutelle des collectivités territoriales, sous contrôle du ministère de la culture qui autorise à délivrer les diplômes nationaux.

Nous le savons depuis longtemps, les disparités entre ces deux types d'écoles constituent un handicap : les statuts des enseignants sont très différents et celui des enseignants des écoles territoriales ne prévoit pas de temps de recherche alors que les écoles sont tenues de structurer les activités de recherche afin de répondre aux recommandations du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) et du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER).

La marge de manoeuvre financière est également très différente entre les deux types d'écoles, les écoles nationales ne pouvant aujourd'hui rémunérer convenablement leurs professeurs. Ces derniers sont payés entre 1 500 et 3 000 euros en fin de carrière, alors que chez nos voisins européens les salaires sont de 6 000 euros. Comment, dans ces conditions, favoriser le rayonnement international de nos établissements d'enseignement supérieur ?

Ce qui me semble regrettable, c'est que le rapport que nous avions demandé au Gouvernement dans le cadre de l'article 85 de la loi du 22 juillet 2013 n'a pas été rendu. Notre collègue Corinne Bouchoux n'a d'ailleurs, à ma connaissance, pas eu de réponse à sa question écrite sur le sujet, alors que le délai prévu par la loi était fixé au 30 juin 2014.

Je dois reconnaître que le ministère n'a pas tiré les conséquences de la réforme de l'enseignement supérieur puisqu'il n'a pas modifié son organisation interne. En effet, le secrétariat général n'a qu'un rôle de coordination au sein du ministère, mais le pilotage est laissé aux directions générales. Comment, dans ces conditions, relever tous les défis de l'enseignement supérieur culturel ? Il ne suffit pas d'augmenter les crédits comme c'est le cas pour 2015, ainsi que je viens de vous le démontrer.

Vous le constatez, malgré des crédits globalement préservés, l'analyse du programme 224 me paraît extrêmement alarmante.

Compte tenu de ces observations, je vous propose un avis défavorable pour l'adoption des crédits de la mission « Culture ».

Mme Marie-Annick Duchêne. - À la suite du rapport de notre présidente sur ce sujet, j'avais été moi-même alertée en temps voulu sur l'évolution possible des conservatoires en région. Très vite, nous nous sommes rapprochés d'une université afin que le conservatoire y soit adossé. Sur le plan stratégique, c'est la bonne démarche. Il est regrettable que d'autres conservatoires aient raté le coche, l'information ne leur étant pas parvenue à temps. Nous ne pouvons pas laisser tomber tous ces professeurs de musique qui tiennent leur maison à bout de bras. Le ministère de la culture et de la communication va très loin dans ses exigences, peut-être serait-il judicieux de donner à ces conservatoires quelques années supplémentaires pour se repositionner ?

Mme Marie-Christine Blandin. - L'état des lieux de ces écoles supérieures dressé par nos collègues Jean-Pierre Bordier et Cécile Cuckierman dans le cadre du groupe de travail de notre commission sur l'application de la loi relative aux EPCC avait produit le même constat : le statut d'EPCC, qui devait être un statut de désir commun, a été abusivement utilisé par l'État et parachuté autoritairement sur des structures pour lesquelles ce mécanisme n'était pas pertinent, d'où cette difficulté pour ces écoles de sortir de l'ornière en matière de budget, de rémunération et de statut de leurs enseignants.

M. David Assouline. - Nous partageons en grande partie l'état des lieux du rapporteur, nous accompagnons un certain nombre des critiques qui ont été formulées. Permettez-moi de demander une précision : comment procédera-t-on pour le vote de l'avis de la commission sur les crédits de la mission ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous nous prononcerons par un seul vote sur l'ensemble de la mission « Culture » qui regroupe les trois programmes que nous venons d'examiner. Chaque rapporteur émet un avis spécifique sur les crédits du programme qu'il présente. Il revient ensuite à la commission de se prononcer par un avis global sur l'ensemble de la mission.

M. David Assouline. - Même si nous partageons les constats du rapporteur sur ce programme, nous voterons globalement en faveur des crédits de mission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous proposerai volontiers, après les congés de fin d'année, d'auditionner dans le cadre d'une table ronde un certain nombre de directeurs de conservatoires représentatifs de nos territoires, car je pense que persiste une mauvaise connaissance ou appréciation de ces établissements qu'on qualifie encore parfois d'élitistes, alors qu'ils ont beaucoup changé, sont désormais plus tournés vers les pratiques amateurs et ont revu leurs méthodes qui étaient par le passé contestées et contestables. Il ne faut pas opposer éducation artistique et culturelle et enseignement artistique, c'est un continuum, une complémentarité nécessaire.

M. Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis. - Je me réjouis de votre proposition car elle va nous permettre de mieux comprendre les objectifs et les perspectives d'avenir de ces conservatoires. Si on diminue les moyens de nos conservatoires, c'est bien notre développement culturel de demain qui est en jeu. Chaque collectivité a sa spécificité, il sera intéressant d'auditer et de croiser les différentes formules trouvées.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'avais déjà vivement alerté notre commission sur le risque que ces crédits disparaissent un jour, faute d'accord sur une décentralisation assumée collectivement par l'ensemble des élus en faveur d'une ambition pour les enseignements artistiques. Nous voilà désormais devant une réalité préoccupante telle que l'a présentée notre collègue.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous allons maintenant nous prononcer sur les amendements. Il faut bien noter que les amendements de la commission des finances seront examinés dans la partie recettes tandis que les crédits de la mission sont présentés en seconde partie du projet de loi de finances. Concernant la question du CNC, c'est la troisième année de ponction sur le fonds de roulement. Je tiens à rappeler que c'est antiéconomique puisque cela revient à dire aux producteurs « plus vous faites de films et moins cela a d'intérêt pour vous et pour la création ». Ce n'est pas un bon signe à envoyer et cela risque de pervertir le système sur le moyen terme. Je me suis déjà émue auprès de la commission des finances à ce propos. Je vous invite à alerter nos homologues dont le rapporteur général de la culture pour la commission des finances.

Je laisse M. Assouline présenter les amendements et me permettrai d'émettre une réserve sur le troisième.

M. David Assouline. - Je pense que le premier amendement a été suffisamment développé, il doit corriger une inégalité flagrante. Le taux de TVA à 10 % pour les artistes de la scène française n'est pas acceptable s'il est de 5 % pour les artistes des autres pays européens.

Le deuxième concerne l'écrêtement prévu par les amendements de la commission des finances. Il ne faut pas bouleverser le CNV et les petites salles, sachant que 35 % des fonds du CNV sont redistribués à ces dernières.

Le troisième porte sur le crédit d'impôt audiovisuel donnant un avantage comparatif aux producteurs hors de France par rapport aux producteurs français. En effet, le plafond est de 4 millions d'euros pour les producteurs établis en France et de 20 millions pour ceux établis hors de France. Certains producteurs français partent ainsi tourner de grands films à l'étranger. On attire des producteurs étrangers mais on ne sait pas retenir nos propres producteurs. Je suis en accord avec le commentaire de M. Leleux : le désavantage pour les caisses de l'État est compensé par les recettes fiscales et sociales liées aux tournages réalisés dans notre pays.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je tiens à préciser que les amendements n° 1 et 3 sont gagés car il y a une perte de recettes pour l'État.

M. Jean-Claude Carle. - Nous ne sommes pas opposés sur le fond aux amendements de David Assouline mais je m'abstiendrai ainsi que mon groupe à cause du gage. Il y suffisamment de taxes et de prélèvements pour ne pas en ajouter de nouveaux.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je suis personnellement favorable aux deux premiers amendements mais aurai une question concernant le troisième. Je pense que la question est justement soulevée, la localisation du tournage est un sujet important. Nos voisins européens se sont lancés dans des politiques d'exonération afin d'attirer des tournages sur leur sol. Le CNC nous a bien sûr sollicités à ce propos mais ces crédits d'impôt sont des produits d'appel, tandis que notre crédit national est davantage un crédit de soutien. L'année dernière, le plafond du crédit d'impôt a été relevé de 1 à 4 millions d'euros et nous avons relevé son taux de 20 à 30 % pour les films à petits moyens. L'objectif est de soutenir le film mais pas d'exonérer systématiquement tout une branche professionnelle. Je livre donc cette réflexion, c'est un sujet auquel il faudra être attentif.

M. David Assouline. - Je prends note de l'absence de désaccord sur le fond. M. Carle s'interroge, où entend-on prendre cet argent ? Vous connaissez la difficulté de l'exercice pour trouver l'exacte formule financière qui permette de respecter les exigences de l'article 40 de la Constitution. Je n'ai pas l'expertise de la commission des finances, je ne peux pas au moment où je vous parle trouver un mécanisme de redéploiement au débotté. Je vous fais donc la proposition suivante, et je m'y engage en tant que rapporteur : afin que cet amendement soit discuté en séance, car il serait utile que l'on aborde cette question de façon concomitante avec l'examen de la mesure qui vient d'être annoncée sur le crédit d'impôt international dans le prochain collectif budgétaire, je vous propose que cet amendement soit présenté en séance comme un amendement d'appel, pour ensuite le retirer parce que la formule de compensation n'est effectivement pas complètement sécurisée.

M. Jean-Claude Carle. - Nous nous abstiendrons de façon positive !

La commission adopte les amendements n° 1, 2 et 3.

Mme Marie-Christine Blandin. - Si j'entends bien, l'amendement 3 est biodégradable...

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous rappelle que ces amendements, qui portent sur la première partie, n'affectent pas les crédits de la mission. Nous en venons au vote de l'avis de la commission sur les crédits de la mission. Concernant les amendements de la commission des finances, il faudra nous mobiliser en séance.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je ne reviens pas sur l'argumentation que j'ai développée précédemment sur la combinaison de réduction des crédits culturels année après année, de la diminution des dotations des collectivités en matière culturelle et du fait que le volet culturel se trouve dangereusement écarté des contrats de plan État-région (CPER). Je reconnais que la décision sur cette mission n'est pas évidente, c'est un budget finalement assez gris, ni blanc ni noir. Ce budget fait l'objet d'une forme d'affaissement progressif où tous les opérateurs sont mis sous pression. Notre collègue Jean-Claude Luche a largement insisté sur cet aspect. J'ai le sentiment, en définitive, que le vrai problème de ce ministère est l'absence de priorisation : il veut tout tenir quand la situation ne le permet pas. L'affaissement de l'ensemble du dispositif serait regrettable. L'avis défavorable de notre groupe vise à inciter le ministère à mieux prioriser à l'avenir son budget.

M. David Assouline. - Ce qui a été marquant, pour tout le secteur de la création, c'est l'engagement du Premier ministre de ne pas réduire ces crédits. Je trouve que s'il y a un domaine où donner un avis défavorable revient à envoyer un mauvais signal, c'est bien celui-là. Face à cet effort de stabilisation, je trouve dommage de donner un avis défavorable.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - L'examen de ces crédits intervient dans un contexte particulier. La question de l'avenir des collectivités territoriales et des restrictions budgétaires auxquelles elles sont confrontées est importante. Les arbitrages en cours risquent de déboucher sur des décisions dont les conséquences pourraient être graves. Avec les restrictions imposées aux collectivités territoriales dans le domaine de la culture et la restriction apportée au budget des régions de 776 millions, je suis très inquiète.

Mme Corinne Bouchoux. - Bien que nous ayons des sujets d'inquiétude et de préoccupation, comme par exemple le statut des enseignants des écoles d'art, nous voterons favorablement car nous observons certains signaux positifs et encourageants.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, je vous propose de nous prononcer sur l'ensemble des crédits de la mission « Culture ».

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015.

Nous devons aussi nous prononcer sur l'article rattaché 50 bis prévoyant l'affectation du produit d'un tirage du loto au profit du Centre des monuments nationaux (CMN).

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 50 bis du projet de loi de finances pour 2015.

M. David Assouline. - Mme la présidente, serait-il possible, à titre d'information, de consulter notre commission sur les amendements de réduction de la dotation du CNC adoptés par la commission des finances ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Comme vous le constatez, nous sommes unanimement défavorables à ces amendements.

La réunion est levée à 17 h 30.