Mercredi 7 mai 2014

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Audition de M. Jacques Sallois, président de la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art

La commission entend M. Jacques Sallois, président de la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Dans le cycle des auditions de notre commission dédiées aux politiques patrimoniales, nous recevons M. Jacques Sallois, président de la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art (CRDOA).

La CRDOA a été créée en 1996 à la suite d'un rapport de la Cour des comptes sur les musées nationaux et les collections nationales d'oeuvres d'art, qui avait relevé l'insuffisante rigueur de la tenue des inventaires et du suivi des dépôts consentis par l'État depuis deux siècles. Les compétences de la commission, initialement limitée aux dépôts d'oeuvres d'art des seuls musées, ont été progressivement élargies à l'ensemble des dépôts consentis par les institutions dépendant de l'État

À partir de 2004, son action s'est combinée avec celle engagée dans la foulée de la « loi musées » de 2002 concernant le récolement décennal de l'ensemble des collections muséales de l'État, bénéficiant de l'appellation « musée de France », qui englobe évidemment celui des dépôts, et dont l'obligation législative d'achèvement est fixée au 13 juin 2014 : c'est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre aujourd'hui.

Monsieur le président, nous souhaiterions savoir comment s'est déroulée la mission de récolement jusqu'à aujourd'hui : quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Comment certains musées ont-ils rattrapé le retard observé les années précédentes dans les objectifs de récolement, par exemple le Louvre ? Quelle est la situation aujourd'hui et quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Quelles seraient les réformes nécessaires et comment s'articulent-elles avec le projet de loi sur les patrimoines très attendu ici au Sénat ?

Enfin, peut-être pourrez-vous nous dire quelques mots de la commission scientifique nationale des collections que vous présidez et dont nos collègues Catherine Morin-Desailly et Vincent Eblé sont membres.

M. Jacques Sallois, président de la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art (CRDOA). - C'est toujours un grand plaisir de venir devant vous, je le dis d'expérience puisque ma première audition au Sénat remonte... à 1981.

Lorsque Philippe Seguin m'a demandé de prendre de relais de Jean-Pierre Bady à la tête de la CRDOA, je n'imaginais pas l'ampleur de la tâche qu'il restait à accomplir pour le récolement, ceci malgré le rapport que mon prédécesseur venait de publier et qui montrait combien l'affaire était loin d'être réglée. Une précision : la création de la CRDOA, à l'été 1996, a précédé la publication du rapport de la Cour des comptes sur le récolement, ce qui témoigne bien de l'urgence de la situation constatée dès le début des investigations de la Cour.

Le récolement prendra encore de longues années. Vous rappelez que, pour les « musées de France », un terme a été fixé au 13 juin prochain : il est évident qu'il ne sera pas tenu. Certains musées, par exemple Guimet, en sont à envisager de confier l'exercice à un prestataire extérieur : ils sont donc encore bien loin du compte. Faut-il reporter le délai ? Ce sera au ministère de trancher.

Il n'y a pas que les musées dans cette affaire : le Centre national des arts plastiques (CNAP) a fait des dizaines de milliers de dépôts en France et dans le monde, sans aucun inventaire puisque c'était la pratique de son institution mère, la Maison de l'Empereur Napoléon III. La Manufacture de Sèvres a effectué quelque deux cent mille dépôts en deux siècles et son directeur, David Caméo, m'avouait, il y a peu, être parfaitement incapable de dire avec précision où se trouvaient ces pièces déposées. Au Mobilier national, il y a bien le récolement quinquennal, mais l'exercice est toujours en retard et présente des carences.

Quand bien même le récolement est réalisé, même partiellement, que fait-on ensuite, quelles en sont les conséquences ?

Lorsque les oeuvres sont vues, le déposant peut en demander le retour, ce qui n'est pas toujours simple ; il peut régulariser le dépôt, en demandant éventuellement sa restauration par le dépositaire ; il peut aussi en demander le transfert à une collectivité locale, en vertu de la loi « Musées », ce qui concerne à peine 5 % des pièces déposées par les Musées.

Pour les oeuvres qu'on ne voit pas, on peut constater l'échec des recherches, ce qui est très fréquent puisque bien des dépôts sont mal documentés, d'affectation incertaine ou encore sans document attestant qu'ils ont été reçus, ce qui empêche d'établir la preuve du dépôt. Le déposant peut alors porter plainte : l'an passé, nous l'avons recommandé dans 1 100 cas. Les procureurs n'en font certes pas une priorité mais les plaintes sont utiles, parce qu'elles abondent les fichiers des services spécialisés comme l'office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC), la brigade de répression du banditisme, ou les Douanes.

Notre doctrine évolue : longtemps, nous avons pensé qu'il était vain de poursuivre. C'était le cas, par exemple, pour des pièces tout à fait identifiables comme les portraits souverains du XIXe siècle : sous Napoléon III, bien de ces portraits de l'Empereur et de l'Impératrice avaient été envoyés dans les provinces, sans que ces dépôts aient été bien documentés et ils étaient manquant au récolement. Cependant, quand une administration voyait tel portrait passer en vente, elle le rachetait parfois. Désormais, les plaintes sont bien plus fréquentes.

Enfin, le déposant peut encore émettre un titre de perception à l'encontre de l'administration défaillante. Cela s'est réalisé avec le ministère de l'intérieur, à l'issue d'une négociation intense avec son secrétaire général, qui a consenti à une compensation financière pour les oeuvres disparues ; nous sommes en discussion avec le ministère des affaires étrangères, pour des titres d'une valeur approchant 380 000 euros et je ne désespère pas de les faire régler.

Comment, ensuite, et au-delà de notre rapport annuel, faire mieux pour le récolement des oeuvres déposées et, plus largement, pour la politique de dépôt d'oeuvres d'art ? Je crois que la CRDOA ne doit pas se substituer à l'action des déposants, qui sont responsables des oeuvres d'art. Le pli a peut-être été pris que la CRDOA s'occupait du récolement et qu'il suffisait d'attendre ; or il ne faudrait pas que notre action déresponsabilise les déposants ni les dépositaires. C'est pourquoi j'ai décidé que notre prochain rapport d'activité, au lieu d'être épais comme celui que je vous livre pour l'année 2012, sera très concis dans sa partie générale, pour laisser la plus grande place à une présentation de ce que chaque grand déposant et grand dépositaire fait et peut faire pour une politique de dépôts cohérente et rénovée.

C'est une grande novation : nous demanderons que chaque dépositaire publie une synthèse annuelle des dépôts qu'il accueille ; cela suppose un inventaire, que les administrations n'ont pas toutes ou qu'elles ne tiennent pas toutes correctement à jour. Cela, vous le devinez, concerne également le Sénat, qui est le dépositaire d'oeuvres importantes : la décoration de cette salle en porte témoignage. Du reste, la certification des comptes de l'État et de ses établissements exige désormais que, dans leur bilan, figurent leurs propriétés mobilières : il est donc grand temps de responsabiliser les déposants et les dépositaires, et de mettre plus de transparence dans les politiques de dépôts d'oeuvres d'art.

Enfin, l'état doit être au clair sur ses propriétés. La loi dispose qu'il suit les collections appartenant aux collectivités locales, mais comment pourrait-il y parvenir s'il ne connaît pas ses propres propriétés ? Pour l'y aider et pour plus de transparence, nous avons préparé des outils de présentation synthétique des collections, par département et par grande ville, par exemple Strasbourg, qui, par son histoire, hérite d'une situation complexe en matière de dépôts. L'exercice de transparence concerne aussi nos ambassades, car la France a beaucoup prêté par le passé et beaucoup déposé dans des musées et institutions étrangères : le bilan de ces dépôts reste à faire, nous y travaillons avec nos ambassades dans les pays concernés.

Il faudra donc encore bien des années pour achever le récolement. À l'horizon de quatre ou cinq ans, il me paraît raisonnable d'espérer que chaque dépositaire et chaque déposant, y compris à l'étranger, produise un document de synthèse rigoureux, qui permette de suivre la politique de dépôt d'oeuvres d'art.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La tâche à accomplir est donc encore immense, alors que les administrations font preuve d'une faible réactivité ne serait-ce que pour établir l'inventaire des oeuvres qu'elles accueillent : le tableau que vous nous présentez est inquiétant, nous vous remercions de nous l'avoir dressé sans voile.

M. Vincent Eblé. - Le récolement est indispensable à une reprise en mains du patrimoine mobilier de l'État : il a fallu beaucoup travailler pour maîtriser le patrimoine immobilier, on imagine ce qu'il doit en être pour le patrimoine mobilier...

Vous indiquez dans votre rapport que la moitié des oeuvres déposées à l'éducation nationale doivent être rangées parmi les oeuvres non vues : comment expliquer un chiffre aussi élevé ? Que proposez-vous pour régler ce problème ?

Depuis la circulaire du Premier ministre du 3 juin 2004 relative au dépôt d'objets d'art et d'ameublement dans les administrations, les déposants peuvent émettre des titres de perception ; c'est une demande des conservateurs, que l'on retrouve dans le Livre Blanc sur les musées de France, publié en 2011 par l'Association générale des conservateurs des collections publiques de France. Des collectivités locales en ont fait les frais, mais il y a eu également des contentieux, par exemple à Pézenas.

Comment concilier les normes en matière de dépôts, avec la volonté, affichée par le ministère de la culture, de faire davantage circuler les oeuvres d'art, y compris dans les entreprises ?

Dans le Livre Blanc sur les musées de France, les conservateurs demandent d'alléger les procédures de récolement mais aussi de confier au conservateur qui entre en fonctions dans un musée, un état des lieux des collections : que pensez-vous de ces propositions ?

Enfin, quelle articulation entre la CRDOA et la Commission scientifique nationale des collections ? Leur coexistence vous paraît-elle compatible avec la simplification administrative, ou bien serait-il préférable de les regrouper ?

Mme Françoise Férat. - Existe-t-il des incitations pour accélérer le récolement ? Le temps n'est plus aux aides financières de l'État ni des collectivités locales, mais est-ce qu'il faut se résigner à laisser inachevée une tâche aussi importante ?

Mme Corinne Bouchoux. - Que proposez-vous pour les quelque 2 000 oeuvres dites MNR, pour « musées nationaux récupération », c'est-à-dire des oeuvres spoliées par les nazis puis récupérées à la Libération et déposées dans nos musées, mais qui n'en sont pas propriétaires, pas plus que l'État ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je me joins aux questions de Vincent Eblé sur la commission scientifique nationale des collections, que nous demandions depuis de nombreuses années et que nous avons instituée par la loi en 2010, mais qui n'a été installée qu'en février dernier : comment va-t-elle travailler et s'articuler avec la CRDOA ?

M. Jacques Sallois. - Cette commission scientifique, attendue de longue date, s'articule étroitement avec la CRDOA puisqu'elles ont le même président et que leur secrétariat est commun. Cependant, leurs démarches sont différentes : la CRDOA est un service administratif, chargé de coordonner le récolement, tandis que la commission scientifique a une vocation plus doctrinale et de conseil, elle donne son avis sur les déclassements d'oeuvres qui, en principe, sont propriété inaliénable de l'État. Dans la pratique, bien des oeuvres ont été déclassées : c'est le cas par exemple lorsque la Manufacture de Sèvres récupère des pièces utilisées dans les années 1930 pour l'enseignement de la céramique dans les écoles techniques ; ces pièces ne sont pas toutes jugées dignes d'être conservées - David Caméo a créé une commission interne pour en délibérer. Celles qui ne le sont pas peuvent alors être cassées, pour y récupérer de l'or par exemple, ou vendues, tandis que les pièces à conserver le seront de façon plus satisfaisante. La commission scientifique a précisément pour rôle d'élaborer une doctrine en la matière, c'est bien différent que le récolement proprement dit.

Faut-il des incitations au récolement ? Je ne voudrais pas que mon propos noircisse le tableau, car je ne suis pas pessimiste : il me paraît bien normal qu'après deux siècles de dépôts peu ordonnés, le récolement prenne du temps. Les choses changent : aujourd'hui, les institutions travaillent au récolement, c'est un progrès certain, et j'en rends hommage à Jean-Pierre Bady, qui a su obtenir une vingtaine de postes d'agents pour le récolement. Les résultats, du reste, ne sont pas à attendre seulement de ces agents : c'est parce que les conservateurs, les directeurs de musées et les responsables d'établissements administratifs s'impliqueront, que le récolement avancera et avec lui, une véritable politique de dépôts d'oeuvres d'art. Lorsque j'étais directeur des musées de France, on parlait d'abord d'acquisition, un musée devait acheter pour exister, et se protéger aussi : après des vols, j'avais obtenu des renforts de moyens policiers. Mais un musée doit aussi faire de la conservation préventive, de la restauration, et tout cela suppose de véritables inventaires, ce qui est très loin d'être encore le cas. Quelles incitations effectuer dans ces conditions ? Les avancées, me semble-t-il, relèvent de la discussion avec les établissements, en particulier dans le débat budgétaire : il faut montrer que la réalisation d'un inventaire rigoureux et suivi est devenue une nécessité.

Les biens mobiliers circulent effectivement et nous ne disposons pas, pour ces biens, de l'inventaire que l'État tient de ses biens immobiliers depuis fort longtemps. C'est devenu urgent : nous avons besoin d'un inventaire informatisé du patrimoine mobilier de l'État, abondé par toutes les administrations et suivi dans le temps, plutôt que de dépendre de la volonté et de la méthode de tel ou tel directeur d'administration. Nous y travaillons, des équipes se mettent en place dans les administrations, il faut relever ce défi.

La référence au contentieux avec la ville de Pézenas réveille pour moi une douleur, car dans cette affaire, la Chambre régionale des comptes (contre l'avis de la CRDOA) s'est appuyée sur le seul code civil sans prendre en compte le droit des collections.

La part des oeuvres non vues est effectivement très élevée à l'éducation nationale, mais c'est aussi que de nombreux dépôts ont été réalisés par les écoles des Beaux-arts, qui ont longtemps relevé de ce ministère et qui relèvent désormais de la rue de Valois : cet entremêlement de nos institutions ajoute à la complexité du récolement.

Comment concilier dépôt et circulation des oeuvres d'art ? En fait, la circulation relève du prêt d'oeuvres, pour des durées de moins d'un an, alors que le dépôt s'inscrit dans une durée plus longue. La politique de dépôts d'oeuvres d'art est née de l'idée qu'une collection nationale appartenait à la communauté nationale et qu'il fallait la répartir sur l'ensemble du territoire national. Longtemps, les musées locaux étaient conçus, pour aller vite, comme de petites répliques du Louvre. Aujourd'hui, chaque musée mène sa propre politique, forge son identité, sa personnalité : les dépôts ne relèvent plus d'une logique de répartition territoriale, mais bien d'un ensemble de projets issus des territoires. Au cours des dernières décennies, nous avons fait beaucoup pour les acquisitions et la rénovation, je crois qu'il faut faire un effort sur les dépôts.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Le Sénat a mis de l'ordre dans son propre patrimoine : par lettre de janvier 2004, M. Bady nous a donné acte de l'inventaire et du récolement de ses biens immobiliers et mobiliers ; reste à savoir, cependant, si cet outil est bien suivi dans le temps.

M. Jacques Sallois. - Je vous transmettrai le schéma de synthèse que nous avons élaboré avec le secrétariat général du Gouvernement et que l'Élysée applique déjà...

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous le transmettrons aux questeurs, qui ont la haute main sur ces questions. Nous vous remercions pour toutes les informations que vous nous avez communiquées.

Audition de M. Yves Dauge, ancien président de la commission nationale des espaces protégés

Puis la commission auditionne M. Yves Dauge, ancien président de la commission nationale des espaces protégés.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous entendons maintenant M. Yves Dauge, cofondateur de l'Association nationale des villes et pays d'arts et d'histoire et villes à secteurs sauvegardés et protégés (ANVPAH) et ancien président de la commission nationale des secteurs sauvegardés, dont nous avons pu apprécier l'engagement sans faille en faveur du patrimoine, pendant plusieurs années au sein de notre commission.

Comme vous le savez, cher Yves Dauge, notre commission a organisé, le 19 février dernier, une table ronde sur les régimes de protection du patrimoine. Or, tous les acteurs présents, dont les représentants de l'association que vous avez fondée, nous ont fait part de leurs inquiétudes relatives au projet de loi sur les patrimoines, tant attendus par vos anciens collègues.

Quelle est votre analyse de ce texte dont nous attendons d'ailleurs toujours la dernière version ? Que pensez-vous de l'intégration de la commission nationale des secteurs sauvegardés dans une commission nationale des cités et monuments historiques ? Pensez-vous que la simplification recherchée risque d'entraîner un affaiblissement du niveau protection ou bien estimez-vous au contraire que les réformes proposées vont dans le bon sens ?

J'ajoute que vos anciens collègues ont vivement réagi lors de l'audition de M. Berjot sur l'intitulé choisi de « cités historiques », qui paraît peu approprié.

Lorsque nous avons projeté de vous entendre, de très nombreux collègues s'en sont aussitôt réjouis ; vous faites autorité en matière de politique patrimoniale, à quoi vous joignez un talent non moins établi pour la convivialité : nous sommes très heureux de vous accueillir !

M. Yves Dauge. - J'en suis également très heureux et très touché : le Sénat me manque, pour la qualité du travail qu'on y fait et l'ambiance qui y règne, mais il faut savoir sortir... avant de se faire sortir !

La loi sur les patrimoines est l'occasion d'un grand rassemblement au-delà des clivages partisans : nous pouvons avoir cette ambition pour cette belle cause. Il faut parvenir à une loi de progrès, car ce texte vient après un siècle de progrès sur le patrimoine : ce n'est pas le moment de reculer. J'étais directeur de l'urbanisme et des paysages lorsqu'ont été débattues les premières lois de décentralisation et je me souviens de l'inquiétude que provoquait alors l'idée même « d'abandonner » aux élus locaux la planification urbaine. Vous savez comme moi ce qu'il en est advenu et je suis, pour ma part, convaincu que la décentralisation a été une bonne chose, car ce sont les élus locaux qui sont en capacité de porter les projets territoriaux. La question reste, cependant, des compétences techniques, professionnelles et de la continuité dans les projets, qui prennent toujours du temps.

Les règles de droit ne suffisent pas, le secteur sauvegardé, par exemple, n'est en rien une garantie de sauvegarde ni de développement. Voyez ce qu'il est advenu d'Uzès, qui était un emblème des politiques de sauvegarde, mais dont le secteur a été abandonné, il n'y a pas eu de suivi dans la gestion et le résultat est catastrophique, je le dis sans accabler les élus, c'est un simple constat. Avec le secteur sauvegardé, on est très exigeant sur le niveau d'entrée, pas assez sur les engagements de gestion et de suivi. Or, les règles de droit ne sont pas tout, il faut de la politique, un projet initial mais aussi un engagement dans le temps, parce qu'il faut se battre encore pendant des années pour appliquer les règles du secteur sauvegardé et surtout développer les territoires.

Je crois que nous avons des progrès à faire pour assurer plus de continuité et de suivi, et que nous pouvons nous inspirer ici de ce que fait l'Unesco (Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture). Lorsqu'elle labellise, l'Unesco fait signer une convention qui prévoit un état des lieux initial, un plan de gestion et une évaluation régulière de l'action conduite, qui conditionne le maintien du label accordé par le comité du patrimoine mondial. Je plaide pour un tel conventionnement pour les secteurs sauvegardés, avec une évaluation régulière qui provoque un véritable débat entre les partenaires, un débat de politique locale au conseil municipal, parce que c'est bien de la politique qu'il faut faire pour développer le territoire. Or, que fait-on aujourd'hui ? On laisse l'architecte des bâtiments de France se débrouiller seul, faire des arbitrages techniques qui ne font pas une politique : pense-t-on vraiment qu'un technicien, quelles que soient ses qualités, puisse tenir, seul, le développement d'un secteur sauvegardé ? À l'Unesco, l'évaluation, la mise en débat sont plus rigoureuses, alors qu'on n'a quasiment pas de troupes pour piloter les quelque mille sites du patrimoine mondial : la solution, c'est de contractualiser, de responsabiliser les acteurs locaux et de provoquer du débat, au lieu de laisser des techniciens se débrouiller dans leur coin, dans l'incapacité pratique de porter les projets.

Le projet de loi sur les patrimoines provoque l'inquiétude des professionnels, vous avez raison de le souligner. Effectivement, le basculement des zones de protection dans le PLU (plan local d'urbanisme) patrimonial fait craindre qu'on abaisse le degré de protection et que la protection elle-même ne subisse le jeu des alternances politiques locales. J'en ai beaucoup débattu avec les services, avec les professionnels de la protection du patrimoine et je crois que les esprits évoluent : une mesure utile consisterait à introduire une sorte de cliquet dans la loi, garantissant que pour les zones protégées qui basculeront en PLU patrimonial, le degré de protection actuel soit maintenu. On pourrait généraliser cette sécurité à tous les documents d'urbanisme, garantir un socle de protection, tel qu'il est établi dans les documents actuels : cette garantie rassurerait sur la décentralisation, on serait alors en mesure de faire coïncider les objectifs d'une politique nationale, celle de la protection du patrimoine, avec les projets de développement local, qui ne peuvent être portés que par les élus locaux et non par les techniciens du patrimoine.

La dénomination « cité historique » ne plaît pas à tout le monde, c'est certain, mais personne ou presque ne propose d'alternative : vos suggestions sont bienvenues. Je proposais « cités et espaces protégés », on m'a répondu que « cités historiques », c'était plus lisible sur le plan international.

Faut-il transférer la maitrise d'ouvrage des études et du cahier des charges ? Beaucoup considèrent que ce serait trop risqué, craignent pour la protection ; mais on ne peut pas faire comme si l'État allait continuer d'assumer réellement ces missions ! L'élaboration du cahier des charges est un moment décisif du projet, où il faut dire ce qu'on va faire dans les années à venir : c'est aux élus de le faire, pas aux techniciens de l'État. On parle là d'un projet politique et je crois que ce n'est pas un risque excessif d'aller dans le sens de la décentralisation. Tous les élus n'ont pas le niveau pour concevoir et projeter dans le temps un projet urbain, c'est vrai, mais c'est une autre affaire, qui ne doit pas dissuader de décentraliser.

Quelles compétences transférer à l'intercommunalité ? Il faut répondre avec pragmatisme, en tenant compte des réalités. Chez moi, à Chinon, il est évident que seule la commune centre portait le projet, alors qu'il était d'intérêt commun et que j'avais également intérêt à ce que les communes de l'agglomération mettent la main au portefeuille. Même si je pouvais convaincre les autres maires de cet intérêt commun, il est évident que pour eux, ce n'était pas leur affaire, qu'ils ne voulaient pas s'impliquer. Dans ces conditions, il faut de la souplesse, permettre par exemple que la commune la plus concernée soit délégataire de l'intercommunalité et qu'il y ait aussi une notion de volontariat pour s'engager dans la procédure : vous pourriez introduire un tel mécanisme dans la loi, ou bien prévoir son principe et en laisser les modalités au décret.

Enfin, je crois que nous avons besoin d'une nouvelle géographie des secteurs sauvegardés, qui prenne mieux en compte l'évolution des territoires, en particulier des villes moyennes qui connaissent un déclin alarmant. L'actuelle géographie de la « loi Malraux » compte une centaine de secteurs : c'est peu, mais c'est parce que les conditions d'entrée sont strictes, parce que le coût des études est élevé. Qu'en sera-t-il avec les PLU patrimoniaux ? L'État peut-il élaborer une nouvelle géographie de sauvegarde ? Je crois que c'est nécessaire, et urgent. Nécessaire, parce que certains secteurs, qui ont sauvegardé leur patrimoine, ont su en faire un levier de développement et s'en sortir : faut-il continuer à les soutenir, alors que les moyens manquent ailleurs ? Regardez ce qui se passe dans les villes moyennes en plein déclin : nous en comptons dix-huit en région Centre, des villes qui « décrochent », où les commerçants baissent le rideau et où les biens immobiliers ne se vendent plus... Le géographe Laurent Davezies décrit très bien comment l'État accompagne l'écart croissant entre les métropoles qui gagnent et les territoires qui perdent, il a donné ce titre à son livre qui doit nous alerter : La crise qui vient. Il faut y prêter une très grande attention : la crise frappe de plein fouet ces villes moyennes qui perdent leur économie, leur démographie. L'État ne fait qu'accentuer la fracture en y supprimant des services publics, ici un palais de justice, là un hôpital ou une perception. Nous courons à la catastrophe, le vote extrémiste accompagne inexorablement la désespérance, et c'est à cette échelle que nous devons placer les politiques de sauvegarde du patrimoine, parce que le patrimoine se situe souvent dans ces petites villes qui décrochent. Si on ne fait rien pour le sauver, elles couleront avec lui. Au fond, c'est le second volet de la politique de la ville : il faut intervenir dans les quartiers difficiles, nous le faisons depuis des décennies et je me souviens très précisément de ce que nous avons initié lorsque j'ai été le premier délégué interministériel à la ville en 1988, mais il faut aussi aller dans ces villes moyennes qui décrochent. Les enjeux n'y sont pas moins importants ! On parle de mille quartiers dans le nouveau programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), mettons-y 150 quartiers de ces villes moyennes, c'est urgent.

Ensuite, il faut trouver les mécanismes juridiques pour que la politique de sauvegarde du patrimoine et le développement social urbain aillent de pair, dans le cadre du PLU patrimonial, en laissant suffisamment de souplesse au projet local, tout en tenant les objectifs de politique nationale. Les schémas régionaux d'aménagement du territoire (SRAT) font intervenir le Conseil d'État, c'est son rôle de veiller à la conformité des prescriptions d'un certain niveau figurant dans ces documents de planification décentralisée ; pourquoi ne pas s'en inspirer pour les PLU patrimoniaux ? Cela rassurerait les professionnels du patrimoine, tout en laissant aux élus locaux la possibilité de mettre en oeuvre leur politique de développement local.

M. André Gattolin. - Des crédits importants passent par l'échelon européen, pour soutenir les politiques de développement territorial : le patrimoine ne devrait-il pas en être un critère d'allocation ? Il est, avec la culture, un élément essentiel de l'attractivité territoriale, mais il est absent des fonds structurels européens : qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Leleux. - Je crois comme vous que pour la loi sur les patrimoines, il nous faut obtenir un consensus en apaisant les craintes - mais aussi que nous avons beaucoup de travail pour y parvenir. L'exposé des motifs est tout à fait consensuel : la loi entend simplifier pour mieux protéger, mais le processus législatif risque de conduire au résultat inverse, celui de complexifier tout en protégeant moins.

Nous ne nous satisfaisons pas de l'appellation « cités historiques » mais, comme vous le dites, les alternatives ne sont pas légion : nous sommes ouverts et ce sera aussi à nous de proposer une nouvelle appellation.

Comme vous, je crois encore que la décentralisation de la décision va dans le sens de l'histoire, qu'il faut limiter le risque d'une moindre protection et renforcer l'expertise des services locaux. La crainte existe bien, dans le contexte financier actuel, que le classement en secteur sauvegardé ne devienne rarissime : les études préalables coûtent en moyenne 400 000 euros, l'État en a toujours pris au moins la moitié à sa charge ; quelles collectivités vont pouvoir s'offrir ces procédures, quand l'État ne les soutiendra plus ? On peut craindre une véritable extinction du dispositif. Or, il y a encore bien des secteurs à sauvegarder ; André Malraux espérait au moins quatre cents secteurs protégés, nous n'avons atteint que le quart de son objectif, avec une centaine de secteurs en cinquante ans. On peut attendre du PLU patrimonial qu'il protège davantage de secteurs, à condition que le niveau de protection soit suffisant et qu'on laisse des marges d'action aux élus.

Enfin, comment faire intervenir le secteur privé dans la réhabilitation et la sauvegarde des centres historiques ? Quelle place le mécénat peut-il prendre ?

M. Yves Dauge. - Le patrimoine et l'aménagement du territoire sont imbriqués, au point qu'il n'est pas utile de cibler les demandes de subventions européennes sur le patrimoine : il suffit de cibler le territoire, montrer que son développement passe par la revitalisation des centres villes, pour y trouver le patrimoine ; dans ce combat, du reste, les crédits européens sont des alliés souvent plus sûrs que les crédits régionaux, dont les critères sont insensibles à cet enjeu.

L'État a moins d'argent, cela rend sa réforme plus nécessaire et cette réforme passe par le regroupement des moyens, par la fin des chapelles et de la dispersion. Nous avons besoin, par exemple, d'une cinquantaine de millions d'euros pour les études, globalement, pour fonder cette politique du développement des territoires, avoir des politiques publiques plus cohérentes ; mais chacun veut garder sa petite ligne budgétaire : l'urbanisme dispose, au ministère de 3 millions d'euros sans aucun lien avec les quelques moyens d'études que consacrent au développement des territoires les ministères du tourisme, du commerce extérieur, du logement, de la culture et même des finances. Regroupons ces moyens ! Le Sénat pourrait y aider, par un rapport d'information par exemple, parce que nous avons là un gâchis absurde où chacun préfèrera mourir avec sa petite ligne de crédit, plutôt que de la mettre au pot commun.

Le mécénat est déjà présent, le privé intervient dans la réhabilitation, mais surtout à partir du moment où le marché immobilier repart. Je l'ai vu à Chinon : il a fallu qu'avec les habitations à loyer modéré (HLM) nous commencions par réhabiliter en centre-ville, pour que les promoteurs voient l'intérêt d'y investir, nous avons amorcé la pompe et c'est bien l'utilité qu'il y aurait à inscrire ces centres villes dans le PNRQAD.

Le patrimoine n'est pas une cause étroite, c'est l'autre versant de la politique de la ville, le Sénat peut le faire comprendre, vous pouvez aider à changer les politiques publiques dans ce sens, c'est très important et il y a urgence. Certes, il faut être exigeant pour la protection, il y a une dimension technique importante ; mais il faut hiérarchiser les priorités et bien voir ce qui se passe dans les villes qui décrochent. Quel risque prend-t-on, alors, à donner plus de pouvoir aux élus, eux qui sont les seuls à pouvoir réellement porter des projets de développement ? Ce qu'il faut, c'est un mécanisme qui s'assure de la qualité des projets, avec une contractualisation, un état des lieux au départ, des évaluations régulières et du débat politique entre les différents échelons : l'État, ici, est tout à fait légitime à évaluer sa politique nationale, à en négocier les conditions locales d'application.

Faut-il enfin intégrer la commission nationale des secteurs sauvegardés dans une commission nationale des cités et monuments historiques ? Je ne le crois pas. Il faut y regarder de très près sans oublier qu'on peut faire des bêtises avec de bonnes idées.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous avons bien la volonté de faire réussir la loi sur les patrimoines, sans diminuer le degré de protection. Le parcours de la proposition de loi que nous avions adopté n'a pas été pleinement serein car la deuxième lecture est intervenue, ici même, alors que le Sénat venait juste de connaître une alternance politique et après que l'Assemblée nationale lui eut porté des coups, s'agissant notamment des garanties d'expertise auxquelles nous sommes attachés en matière de protection du patrimoine. Nous sommes désormais en ordre de marche et nous espérons, même, que ce texte nous arrive prochainement : nous sommes fins prêts à l'examiner !

M. Yves Dauge. - Nous avons besoin du Sénat et si vous examinez le texte en premier, votre rôle sera décisif, c'est vous qui écrirez réellement la loi. Il faudra aussi veiller à son application, vous savez comme moi ce qu'il en est... Nous avions beaucoup travaillé sur l'archéologie préventive, mais l'administration traîne pour la répartition financière de la taxe, ce qui enlève tout moyen d'action aux collectivités : les 5 à 6 millions d'euros mensuels des salaires des personnels de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) continuent d'être prélevés de manière indue et certains professionnels font campagne pour le retour du monopole, contre le texte de la loi, ce n'est pas sérieux ! Il faut s'assurer de l'application de la loi !

M. Vincent Eblé. - Nous y travaillons.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Effectivement, l'administration ne peut s'abriter derrière un apparent dysfonctionnement d'un logiciel informatique, en l'occurrence Chorus, pour bloquer l'application de la loi : nous sommes au XXIe siècle !

M. Vincent Eblé. - Ce qui s'est passé pour la rémunération des fonctionnaires des armées n'est pas non plus un exemple.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Les malfaçons existent en informatique, comme elles existent dans le bâtiment et les travaux publics : il faut les sanctionner pareillement.

Nous vous remercions très chaleureusement pour cette audition.

Contrôle de la mise en application des lois - Communication

Enfin, la commission entend une communication de Mme Marie-Christine Blandin sur le contrôle de la mise en application des lois.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Comme chaque année à la même période, nous examinons aujourd'hui le bilan de la mise en application des lois relevant de notre commission pour la session écoulée, c'est-à-dire 2012-2013. Le document détaillé va vous être distribué ; vous pouvez constater que sa dimension - plus de quarante pages - montre toute l'importance des deux principaux textes adoptés au cours de la dernière session (refondation de l'école et enseignement supérieur et recherche).

Par ailleurs, la date du débat annuel en séance plénière organisé sous l'égide de la commission chargée du contrôle de l'application des lois, que préside notre collègue David Assouline, devrait être prochainement fixée par la conférence des présidents.

Si l'on s'en tenait aux chiffres bruts, la session 2012-2013 aurait constitué un point bas quant à l'activité législative de notre commission. En effet, seules trois lois ont été adoptées pendant la session, contre cinq au cours de la précédente. Mais autant la loi du 31 janvier 2013 visant à abroger la loi visant à lutter contre l'absentéisme scolaire, issue d'une proposition de loi de notre collègue Françoise Cartron, était un « petit texte » sur le plan du travail législatif, autant la loi pour la refondation de l'école et la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche se sont placées parmi les textes les plus discutés, si l'on considère la durée de la discussion en séance et, plus encore, le nombre d'amendements adoptés. Au total, l'importance de ces deux textes souligne, une fois encore, combien les projets dont notre commission est saisie tendent à se concentrer sur le début de chaque législature. De ce point de vue, l'activité constatée au cours de la session 2012-2013 est tout à fait comparable à celle de la session 2007-2008, qui, elle aussi, suivait une année d'élections présidentielle et législative.

Par ailleurs notre commission s'est saisie pour avis de quatre textes, dont le projet de loi relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, que nous avons examiné en deuxième lecture, il y a quelques semaines.

Je rappellerai enfin que la proposition de loi relative aux écoles de production, dont le premier signataire était notre collègue Jean-Claude Carle, a été rejetée en séance par l'adoption d'une question préalable.

S'agissant de l'application des trois textes dont notre commission avait été saisie au fond, celle abrogeant la loi sur l'absentéisme scolaire était d'application directe et est donc applicable. Les lois refondation de l'école et enseignement supérieur et recherche (ESR) sont partiellement applicables, ce qui n'étonnera personne compte tenu de la multiplicité de leurs dispositions : pour mémoire, la loi sur la refondation de l'école compte 89 articles et la loi ESR 129.

Bien évidemment, un certain nombre de ces dispositions ne sont pas encore applicables et ne le seront pas avant plusieurs mois voire quelques années, je pense par exemple au rapport annuel des organismes créés par la loi tel le conseil supérieur des programmes. Autre exemple, il y a quelques semaines, nous avons eu l'occasion d'entendre M. Lévy, candidat pressenti pour la présidence de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Nous avons noté que la procédure d'audition préalable par une commission avait été appliquée de manière anticipée car les décrets relatifs au statut des organismes de recherche intéressés doivent être modifiés avant son application pleine et entière.

Il est néanmoins possible de tirer un premier enseignement global de la mise en application de ces deux lois. Toutes deux ont été adoptées à la même date, l'une après application de la procédure accélérée, l'autre au terme du vote conforme du Sénat en deuxième lecture. Mais le choix de la procédure accélérée plutôt que celui de laisser la navette se poursuivre ne veut pas dire que les mesures d'application de la loi sont publiées plus rapidement. Concrètement, la loi ESR peut être considérée comme mise en application pour le quart de ces dispositions alors que la loi sur la refondation l'est pour les trois quarts d'entre elles.

Pour la refondation de l'école, sur les 18 mesures prévues, 12 ont été prises dans un délai de six mois et deux existaient déjà. Manquent donc encore 4 mesures d'application prévues dans la loi. En outre, 15 mesures non prévues ont été prises. Je vous renvoie aux pages 14 à 23 du rapport qui vous été distribué pour l'examen détaillé de chacune d'entre elles. Je mentionnerai simplement le décret du 7 janvier 2014 portant expérimentation d'une procédure d'orientation des élèves, disposition introduite à l'initiative de notre commission et les circulaires non prévues relatives au DIMA (dispositif d'initiation aux métiers en alternance), au fonds d'amorçage ou à la prévention et la lutte contre le harcèlement à l'école.

S'agissant de la loi ESR, les chiffres sont moins favorables puisque sur les 29 mesures prévues, 7 seulement ont été prises dans un délai de six mois. 22 « manquent donc à l'appel ». Par ailleurs, 4 mesures non prévues ont été prises. Le détail de tous ces textes figure dans les pages 24 à 31 du document qui vous a été distribué. Un point particulier : sur le fondement de l'article 128 de la loi, une ordonnance devrait être prise, d'ici au 22 juillet 2014, afin de définir les nouveaux contours du système universitaire aux Antilles et en Guyane, sujet qui a fait l'objet du rapport de nos collègues Dominique Gillot et Michel Magras il y a quelques jours. Par ailleurs, sur les 13 rapports prévus par la loi, le Gouvernement a déjà pris du retard pour l'un d'entre eux, qui, lui aussi, concernait une disposition introduite par le Sénat : dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, soit avant le 22 janvier 2014, le Gouvernement devait remettre un « rapport formulant des propositions en vue d'améliorer le mode de sélection et de formation des futurs médecins et d'élargir les origines sociales et géographiques des étudiants ». Il s'agissait de donner suite aux recommandations de nos collègues de la commission du développement durable en matière de désertification médicale.

Cette disposition me fournit une transition pour aborder une question que je vous avais présentée pour la première fois l'année dernière, consistant en une analyse de l'application des lois conçue comme commençant dès les travaux menés en amont par les commissions. De ce point de vue, outre l'expérimentation que j'ai mentionné à l'instant, je rappelle que la loi pour la refondation de l'école comporte plusieurs dispositions qui s'inscrivent dans la droite ligne des travaux que nous avions menés précédemment, qu'il s'agisse de la mission d'information sur la carte scolaire, de celle sur le métier d'enseignant ou, plus récemment, du travail de notre collègue Jacques-Bernard Magner sur le pré-recrutement des enseignants.

De même, en matière d'enseignement supérieur, l'examen du projet du Gouvernement a pu s'appuyer sur les travaux menés par notre rapporteure Dominique Gillot, conjointement avec notre collègue Ambroise Dupont, sur l'application de la loi relative à l'autonomie des universités au nom de la commission pour le contrôle de l'application des lois, ainsi qu'avec le rapporteur de la commission des finances - Philippe Adnot - sur le financement des universités.

Parmi les autres travaux de contrôle qui n'ont pas eu d'incidence législative directe, je mentionnerai le rapport d'information fait par nos collègues André Gattolin et Bruno Retailleau sur les jeux vidéo et celui de notre collègue Corinne Bouchoux sur les oeuvres spoliées, dont les recommandations, notamment en ce qui concerne la recherche systématique de provenance des oeuvres, ont permis de mettre un terme - que j'aimerais définitif - à l'inertie du Gouvernement sur ce sujet sensible.

Pour terminer ce panorama du contrôle, je rappelle que notre commission a publié neuf rapports dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2014 et que nous avons procédé à l'audition de quatre responsables de l'audiovisuel public dans le cadre du suivi des contrats d'objectifs et de moyens des organismes dont ils assurent la directions (France Télévisions, Institut national de l'audiovisuel - INA -, Arte et Radio-France).

Je ne serais pas complète si je ne mentionnais pas que deux des lois promulguées au cours de la précédente session sont entrées totalement en application au cours de l'année parlementaire 2012-2013. Il s'agit de la loi relative à la rémunération pour copie privée et de la loi tendant à faciliter l'organisation des manifestations sportives et culturelles. Par ailleurs, toutes les mesures d'application de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, promulguée lors de la précédente législature (en 2009) sont désormais parues. Autre signe encourageant, la parution d'un décret d'application de la loi de février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs.

Dernier point, le 8 juillet 2013, a été publié un décret d'application qui atténuait la portée de la loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet. Ce texte a supprimé la peine contraventionnelle complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne.

Preuve, s'il en était besoin, que l'application de la loi n'est pas une question anodine...

J'ajoute, en alertant Brigitte Gonthier-Maurin, que parmi les décrets non publiés figurent de nombreuses mesures sur la parité entre les femmes et les hommes.

Enfin, je signale à tous que Daniel Raoul, notre collègue président de la commission de l'économie, a fait sienne cette doctrine consistant à repousser tout amendement qui demande un rapport au Gouvernement ; si je crois important de ne pas pousser à l'inflation du nombre de rapports au Parlement, je ne suis pas favorable à ce rejet systématique.

M. David Assouline. - Qu'en est-il de la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Cette loi a été examinée puis adoptée lors de l'actuelle session 2013-2014, elle fera donc partie de notre prochain bilan d'application. Il sera probablement plus maigre que celui d'aujourd'hui, car ces temps-ci, nous attendons des textes qui ne viennent pas : sur la création, sur le numérique, sur le patrimoine.

La réunion est levée à 12 h 05.