Mercredi 25 septembre 2013

 - Présidence de M. Yves Daudigny, président -

Agences régionales de santé - Audition de MM. Christian Müller, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d'établissement de centres hospitaliers spécialisés (CME de CHS), Joseph Halos, président, et Gilles Moullec, secrétaire général adjoint, de l'Association des établissements participant au service public de santé mentale (Adesm)

M. Yves Daudigny, président. - Nous poursuivons nos travaux sur les agences régionales de santé (ARS) en recevant le docteur Christian Müller, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d'établissement de centres hospitaliers spécialisés (CME de CHS), M. Joseph Halos, président de l'Association des établissements participant au service public de santé mentale (Adesm) et M. Gilles Moullec, secrétaire général adjoint de cette association.

Nous souhaitons, trois ans après leur mise en oeuvre effective, dresser un premier bilan des ARS et, au-delà, tracer des perspectives d'évolution. Cette audition portera plus particulièrement sur les liens entre les ARS et les établissements de santé mentale. Comment s'organisent leurs relations ? Quel premier bilan pouvez-vous esquisser ?

M. Christian Müller, président de la Conférence des présidents de CME de CHS. - Tout d'abord, je souhaite vous remercier de nous avoir conviés à vos travaux. Il s'agit d'un moment très important pour nous alors que, tout récemment encore, la ministre des affaires sociales et de la santé faisait savoir que la psychiatrie, et la santé mentale de manière plus générale, constituaient une priorité indispensable et trop souvent négligée. Ne négligez donc pas la psychiatrie !

La conférence est la représentation institutionnelle des présidents de CME des établissements monodisciplinaires en psychiatrie. Vous avez déjà reçu le président de la conférence des hôpitaux généraux et celui des hôpitaux universitaires. Les CHS représentent environ quatre-vingt-dix établissements monodisciplinaires sur l'ensemble du territoire national, outre-mer compris, soit plusieurs milliers de structures gérées par ces établissements, ce qui en fait un maillage assez exceptionnel et unique en son genre, du point de vue international, en termes de proximité et de continuité des soins.

Représentant plus de vingt régions, nous participons à l'élaboration de textes législatifs et réglementaires, comme les récents décrets sur les CME ou les modifications de la loi de 2011. Vous avez, à ce sujet, reçu un certain nombre de nos collègues. Nous sommes satisfaits des propositions qui ont été retenues ; elles correspondent pour l'essentiel à celles que nous avions nous-mêmes faites.

Nos partenaires, au-delà des cabinets ministériels et des directions d'administration centrale, sont la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), mais aussi les représentations des usagers, des proches et des familles, qui sont au côté de la psychiatrie et de la santé mentale depuis plus de vingt ans, fait unique en Europe et même ailleurs. Nous avons également engagé des travaux avec le Collège de médecine générale et les organisations syndicales professionnelles.

Pour en venir au sujet des ARS, celles-ci nous semblaient constituer une idée qui allait dans le bon sens, le travail avec les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) nous ayant paru plutôt satisfaisant. L'échelon régional apparaît en effet à même de planifier et définir les politiques publiques en psychiatrie, mais il est aussi pertinent pour évaluer les besoins de santé et, le cas échéant, pour rééquilibrer l'offre de soins. C'est également le bon échelon pour l'organisation de certaines ressources spécialisées de soins et d'accompagnement, comme les services médico-psychologiques régionaux (SMPR), les structures de recherche en santé mentale, en partenariat avec les centres hospitaliers universitaires (CHU), ou encore les structures de formation.

L'idée de rassembler un maximum de compétences de santé en une seule entité pour combattre le « millefeuille administratif » et dans une approche englobant le champ médical, médico-social et social correspondait à nos attentes et à notre pratique dans le domaine de la psychiatrie, discipline par essence transversale, qui revêt un certain nombre de spécificités et fait aussi l'admiration de l'étranger.

La possibilité de disposer d'un seul interlocuteur pour les acteurs de santé nous semblait positive, tout comme la meilleure place accordée au secteur associatif, notamment les représentations des usagers. L'idée était pleine de promesses pour les établissements ayant fait l'expérience positive des ARH et le fait de pouvoir disposer d'un pilote régional pour mieux définir et planifier les besoins paraissait intéressant.

Force est pourtant de reconnaître que l'installation des ARS a posé, depuis trois ans, un certain nombre de problèmes sur lesquels je voudrais revenir rapidement. Pour ce faire, nous avons bien évidemment rassemblé les informations de nos correspondants régionaux.

Il existe d'abord une grande hétérogénéité entre les régions. Dans certaines, les relations avec les ARS sont excellentes et correspondent à ce que nous pouvons en attendre. Dans d'autres, au contraire, les relations avec nos établissements sont assez difficiles. On recense ainsi une région dont nous sommes totalement satisfaits et deux autres où les relations sont très tendues.

Un excellent dispositif ne peut malgré tout fonctionner si les personnes ne s'entendent pas ; au contraire, un dispositif complexe, où existe la volonté d'aboutir, peut très bien fonctionner.

Au-delà de ces aspects, des tendances générales peuvent être dégagées. Force est de constater que l'intégration de différentes administrations, organismes et professionnels ne peut se faire sans mal. C'est un phénomène connu dans l'approche systémique des organisations. On ne peut le reprocher aux ARS mais, en tant que psychiatres, nous avons perçu les souffrances des équipes. La question du management interne se pose donc évidemment.

Par ailleurs, le professionnalisme semble, à certains moments, défaillant. Dans certaines ARS, les équipes, extrêmement hétérogènes sur l'ensemble du territoire, ne comptent pas forcément, parmi les postes à responsabilité, de professionnels connaissant les sujets qu'ils ont à traiter. Par exemple, il n'existe pas forcément de personnels issus des établissements, ce qui peut poser des problèmes dans l'appréhension de certains dossiers.

Une faible lisibilité de l'organigramme est également à déplorer. Qui plus est, lorsque nous avons accès à ce document, il n'est pas toujours à jour... Ceci rend délicate l'identification des interlocuteurs. La connaissance de l'organisation interne des ARS est très variable d'une région à l'autre, d'autant que les modifications sont fréquentes.

Il faut aussi relever une absence de transversalité dans le fonctionnement même des agences. L'un des intérêts de la création des ARS résidait largement dans la volonté de décloisonnement entre des champs qui ne s'articulaient que très peu auparavant, notamment le sanitaire et le médico-social. Or, cet objectif est très difficilement atteint, dans la mesure où la plupart des ARS ont répliqué ces mêmes champs dans leur propre organisation interne avec, le plus souvent, deux directions fonctionnelles distinctes et des schémas peu ou pas coordonnés. La transversalité fait encore plus défaut en psychiatrie, notamment en ce qui concerne les liens avec le secteur social dans la lutte contre la précarité et l'exclusion, ces compétences restant par ailleurs attachées au préfet et aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass).

Enfin, l'existence de cabinets très interventionnistes dans certaines ARS est venue se surajouter à des organisations internes déjà complexes.

Pour ce qui concerne la psychiatrie, le manque de correspondants clairement identifiés, parfois même l'absence d'une telle responsabilité, rend la communication peu aisée. Sur plus de vingt régions, huit ont indiqué que cette identification était insuffisante. Deux nous ont dit que les représentants qui partaient n'étaient pas remplacés. La continuité pose donc également problème.

Le plan psychiatrie santé mentale (PPSM) 2011-2015, dont on doit la genèse à un travail de concertation important de la direction générale de la santé (DGS), est le premier qui soit postérieur à la réforme de l'organisation territoriale des politiques de santé portée par la loi HPST et confiant aux ARS le pilotage local des politiques sanitaires et médico-sociales. C'est, en ce sens, une première expérience de démocratie sanitaire. Il ressort d'une enquête, réalisée par nos soins en février 2013, que ce plan a été pris en compte dans l'élaboration du Projet régional de santé (PRS) dans vingt régions sur vingt-six, dont sept partiellement, ce qui constitue plutôt un bon score. Toutefois, la démarche a été jugée, dans la majorité des régions, comme « descendante » et insuffisamment inspirée des remarques et des propositions des acteurs de terrain. Des actions ont été retenues sans demande locale, le terme de « psychiatrie » disparaissant même au cours des travaux dans une région ! Cette démarche a été considérée comme insuffisante ou nulle dans quatre régions.

Ces évolutions ont souvent été mal comprises et nous assistons paradoxalement à une centralisation accrue du système de santé du fait d'un pilotage serré des ARS depuis le niveau national. Le rôle des agences se limite souvent à une simple exécution de décisions nationales, sans marges de manoeuvre suffisantes pour une réelle politique régionale de santé. En outre, la réduction du nombre des niveaux hiérarchiques - Direction générale de l'offre de soins (DGOS), ARS, directions générales d'établissements - facilite les injonctions, notamment dans le domaine budgétaire.

Le repli des ARS sur un modèle de type bureaucratique a entraîné le développement exagéré de normes, d'enquêtes et d'indicateurs à la pertinence discutable, ainsi que d'inspections et de contrôles, alors même qu'aucun retour ne nous parvient de toutes ces informations fournies à l'ARS. Certes, nous comprenons que, en l'absence d'outils nationaux, les ARS font ce qu'elles peuvent...

On peut donc déplorer l'impression d'une administration en roue libre, délaissant sa mission de développement d'une politique régionale de santé basée sur l'analyse des besoins spécifiques de la population, au profit parfois d'initiatives locales insuffisamment validées et reposant sur quelques acteurs.

Le rôle de contrôleur de gestion est parfois ressenti comme une ingérence dans les établissements de santé, et non comme l'appui d'un partenaire. Des immixtions fréquentes sont ainsi constatées dans le management et la gestion des établissements. La co-signature des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) par les présidents de CME renforcerait de ce point de vue la position de l'établissement.

Quelles sont les conséquences de ces constatations ? La première est majeure : il s'agit du peu de soutien dans la réflexion stratégique des établissements. Les ARS sont rarement perçues comme des aides. Des formules de regroupements d'établissements sont proposées avec insistance, parfois de façon contradictoire, oscillant entre incitation et injonction. Une communauté hospitalière de territoire (CHT) est fortement suggérée sur un territoire par une ARS, et fortement déconseillée sur un autre par une seconde, sans tenir compte du PPSM.

Par ailleurs, la réflexion fait défaut en ce qui concerne la territorialisation, point majeur des discussions à venir dans le cadre du pacte de confiance. Dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale, c'est depuis longtemps, pour nous, un point important. Nous avons cru comprendre qu'un accord se faisait sur le fait que nous avions abandonné un « esperanto » des territoires, mais on a imposé des découpages territoriaux souvent non pertinents, dans un amalgame contre-productif avec la médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), notamment en matière de reconfiguration des secteurs. Nous ne sommes pas opposés à une réflexion et sommes tout à fait d'accord pour reconsidérer les territoires et leurs périmètres, mais encore faut-il savoir ce que l'on veut en faire !

Une politique d'appels d'offres se met en place, au risque de désorganiser les dispositifs existants, sur des thématiques non validées territorialement ou nationalement. Des expérimentations techniques voient le jour à l'échelon local, en dehors de tout cadrage national. C'est ce qui se passe pour la valorisation de l'activité en psychiatrie, à l'origine de projets parfois en contradiction avec le PPSM, et risquant de faire jurisprudence. La psychiatrie, ce n'est pas l'armée mexicaine ! Il lui faut quelques règles. Toutefois, cette discipline ne peut être homogène. Les systèmes où c'est le cas sont des dictatures ! La psychiatrie repose plus sur le doute qu'autre chose. On sait aujourd'hui ce qu'il ne faut pas faire, davantage que ce qu'il faut faire.

Une autre conséquence vient de la réelle perte de proximité pour les établissements hospitaliers : on ne sait plus qui sont nos interlocuteurs. Les projets ayant été mis en place de manière « descendante », les PRS se sont souvent révélés illisibles. Des groupes d'experts viennent ensuite s'imposer aux professionnels eux-mêmes, sur des sujets n'ayant pas fait l'objet de concertation, d'où une déconnexion entre les schémas régionaux et les autorisations délivrées.

Se pose aussi la question de la place des conférences de territoire. Nous pensons qu'il s'agit d'un outil de démocratie sanitaire intéressant. Je le mettrai en perspective avec les conseils locaux de santé que nous tentons de développer - même s'ils n'ont pas du tout le même rôle. Nous voudrions développer ces aspects lors des discussions à venir.

Au total, il existe une perte de confiance entre les établissements hospitaliers et leur tutelle, qui se traduit par une augmentation des inspections qui, alors même qu'elles sont parfois nécessaires, créent en pratique un climat délétère.

Nous avons d'autre part observé la modification des rapports entre le public et le privé. L'introduction positive des associations dans les instances de la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA), notamment la commission spécialisée dans l'offre de soins, a parfois joué en défaveur du secteur public hospitalier. Je vous donne un exemple : dans une région, on a, depuis une quinzaine d'années, enregistré une diminution de la capacité d'hospitalisation en psychiatrie de près de 600 lits, dans une dynamique - que nous avons également souhaitée - de réduction de l'hospitalisation inadéquate, au profit de la création de places dans le secteur médico-social, souvent à la faveur d'un débasage budgétaire du secteur sanitaire. Dès lors, comment interpréter la délivrance de nouvelles autorisations de création de lits en psychiatrie au profit du secteur privé lucratif alors que les besoins avancés par le service public ne sont pas satisfaits ?

Je le répète, les ARS sont une bonne chose, elles ne sont en place que depuis trois ans, mais des évolutions paraissent hautement souhaitables pour atteindre l'objectif initial, que nous ne remettons pas en cause. C'est dans cette optique que nous avons élaboré sept propositions pour rétablir la confiance.

Première suggestion : refondre les organigrammes des ARS, dans une logique mieux intégrée, territoriale et/ou transversale, comme cela existe dans certaines d'entre elles, en regroupant par exemple dans une même direction fonctionnelle l'offre de soins et le médico-social.

Deuxième suggestion : un accompagnement plus personnalisé des établissements. Un interlocuteur unique, ou un groupe technique thématique pérenne et identifié par les acteurs, serait le bienvenu.

Troisième suggestion : l'identification d'interlocuteurs dédiés à la psychiatrie et à la santé mentale au sein des ARS. Ce point est apparu comme un facteur déterminant dans la réussite d'une authentique politique régionale.

Quatrième suggestion : une meilleure représentation des compétences des établissements hospitaliers dans les ARS, qui peut constituer un levier important d'amélioration.

Cinquième suggestion : la mise en place d'un véritable dialogue stratégique entre ARS et établissement, en privilégiant la mission de stratégie, d'accompagnement des établissements et d'appui à la communication.

Sixième suggestion : animer une véritable politique de santé s'adaptant aux particularités locales et favorisant les actions concertées avec l'ensemble des acteurs : conseils généraux, DRCSS, Education nationale, qui représentent des acteurs essentiels en psychiatrie et en santé mentale dans le domaine du logement, de la précarité et du champ médico-social.

Septième et dernière suggestion : développer une démarche ascendante d'évaluation des besoins.

Il nous arrive de recevoir des mails extrêmement lourds de la part de l'ARS, auxquels on ne peut répondre sous huit jours, même avec la meilleure volonté du monde. Les documents ont été préparés par les experts dont j'ai parlé et leur travail doit être respecté. Cependant, nous sommes dans une situation délicate pour répondre à ces sollicitations de manière satisfaisante.

Enfin, il nous semble que la mise en place d'une instance nationale éviterait des confusions contre-productives dans notre discipline, grâce à la validation des orientations stratégiques, voire des expérimentations. La psychiatrie est un domaine complexe et rigoureux, qui prend en charge des personnes suicidaires ou agitées. Si nous devons décider d'une contention, dans une situation de violence en rapport avec un trouble psychique, il ne faut pas tergiverser ! Ce sont des choses très sérieuses, et les aspects humains que nous abordons sont extrêmement importants.

Une telle instance nationale a déjà été préconisée par le plan « Santé mentale ». Il y était question d'un pilotage permettant de s'assurer que les ARS déclinent dans leur projet régionaux de santé les objectifs définis dans le plan, et mettent en oeuvre et évaluent les actions ainsi programmées. Ceci autoriserait également l'articulation avec l'Anap et la HAS. Il nous faut une méthodologie ; elle ne s'invente pas, même s'il existe beaucoup de forces créatives et novatrices dans les régions.

Nous sommes en faveur d'ARS qui impulsent, qui incitent, sur la base d'orientations validées. Des ARS qui imposent seraient manifestement contre-productives, alors que nous souhaitons un service public hospitalier rénové.

M. Joseph Halos, président de l'Adesm. - Merci de permettre à l'Adesm de faire entendre sa voix au sujet des relations avec les ARS dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale.

Le rapport de Gérard Larcher proposait d'exclure la psychiatrie et la santé mentale du champ de la loi réformant l'hôpital, dans l'attente de rapports complémentaires spécifiques sur ces deux sujets. Nous avons alors eu le rapport Couty sur la psychiatrie, mais il dort dans un tiroir, comme le dit lui-même son auteur, si bien que la loi HPST concerne nos établissements d'une manière qui n'était pas prévue.

Nous étions donc quelque peu déçus lors du passage de la loi HPST. Nous étions favorables, sur ce principe, à la transformation de l'ARH en ARS, bien que nous ne soyons pas totalement des hospitaliers - l'activité de nos établissements est largement ambulatoire et extérieure. Les établissements monodisciplinaires ne sont plus des établissements hospitaliers, mais se trouvent dans une autre logique. Nous pouvons penser que l'évolution allait être très favorable à la discipline, même si elle n'était pas inscrite dans la loi elle-même. Nous pensions également bénéficier du regroupement des sept organismes qui constituent les ARS. En effet, nous devions auparavant frapper à cinq ou six portes pour le moindre dossier. Nous gérons en effet des maisons d'accueil spécialisées (MAS), des établissements et services d'aide par le travail (Esat), des foyers, etc. Toutes ces structures ont une diversité d'interlocuteurs et de tutelles. Nous aurions donc été très satisfaits d'un regroupement mais, comme l'a dit le docteur Müller, ce regroupement externe n'est qu'apparent ; les ARS fonctionnent largement en « tuyaux d'orgue », ce qui crée des dysfonctionnements importants.

Nous espérions une loi générale de l'organisation de la psychiatrie, déjà évoquée par le rapport Milon, par le rapport Blisko, par le rapport du comité Fourcade sur l'hôpital ou par le rapport Couty, sans parler du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ou encore du rapport de la Cour des comptes sur l'évaluation du précédent plan psychiatrie et santé mentale. Tous disaient qu'il fallait une grande loi d'organisation de la psychiatrie et de la santé mentale ! Nous étions donc convaincus, candides, que cela allait arriver et nous permettait d'entrevoir une évolution positive. En attendant, nous avons vu se construire les ARS.

Je souscris entièrement à la présentation du docteur Müller. Les organigrammes qui ont été créés dans les ARS sont parfois déplorables. Un exemple : dans une ARS, le contrôle de la fonction de tatoueur est bien identifié mais les mots de psychiatrie ou de santé mentale ne sont pas mentionnés. La fonction de tatoueur est fort honorable au demeurant, mais le fait de ne même pas évoquer le fonctionnement de la psychiatrie et de la santé mentale est pour le moins étonnant...

On avait, à l'époque, interrogé la directrice générale de l'offre de soins pour savoir si l'organigramme des ARS comporterait ou non des personnes ad hoc pour la santé mentale. Elle nous a répondu par la négative : en substance, nous étions dans le courant général de la médecine et de l'hospitalisation, et nous devions nous couler dans le moule ! Nécessité faisant loi, il a bien fallu, notamment lors de l'élaboration des projets régionaux de santé (PRS), mettre progressivement en place, selon les régions, les personnes-ressources nécessaires pour traiter, coordonner, gérer les problèmes de la psychiatrie et de la santé mentale.

Je rejoins là encore le docteur Müller au sujet du fonctionnement général des ARS et de la création de l'inégalité. Le docteur Müller a parlé d'hétérogénéité : c'est, a minima, le mot que l'on doit effectivement employer ! La marge de manoeuvre régionale donnée au travers de la loi ne confère pas plus d'égalité. C'est le grand débat entre jacobins et girondins ! Le meilleur moment pour examiner l'inégalité, c'est celui de la répartition financière : d'une région à l'autre, en 2012, l'affectation de la dotation annuelle de financement (DAF), qui représente environ 90 % des ressources, a varié, selon les établissements, de - 0,72 % à 1 %.

La mise en place des ARS a eu pour conséquence de placer les établissements monodisciplinaires dans une situation financière plus délicate, les fonds de la DAF ayant servi aux disciplines relevant de la MCO lorsqu'elles étaient en difficulté. Ainsi, seuls les CHS ont connu une augmentation de leur déficit en 2012 et un volume d'établissements déficitaires plus important, alors même que la situation des établissements MCO s'est améliorée. Nos dépenses de personnel n'ont évolué que de 1 %, ce qui est largement inférieur aux autres établissements, toutes catégories confondues.

Nous souhaitons participer à l'effort général, mais également obtenir une juste valorisation de l'activité car l'autonomie que certains souhaitent pour les ARS peut naturellement provoquer des inégalités supplémentaires, dès lors qu'il n'existe aucune évaluation correcte de nos fonctionnements. Toute la question est de savoir ce que l'on veut, et quels sont les accompagnements financiers. Les éléments de comparaison n'existant pas, les ARS utilisent des outils extrêmement rudimentaires pour répartir leurs moyens. Par exemple, la circulaire budgétaire relative à la loi du 5 juillet 2011 sur la protection et la prise en charge des patients faisant l'objet de soins psychiatriques avait prévu une dizaine de millions d'euros pour les établissements pratiquant des soins sans consentement et devant déplacer leurs patients. On a affecté les sommes en fonction du nombre de journées sans consentement sans évaluer les charges réelles des établissements. Qui plus est, ce type d'hospitalisation permet d'obtenir des financements supplémentaires, ce qui est en fait en contradiction avec notre politique, qui consiste à éviter les soins sans consentement, dont la durée est généralement de plus de douze jours. La répartition égalitaire ne doit donc pas être mise en oeuvre. Il est vrai que l'ARS n'a pas la possibilité de faire autrement et, quand elle s'y essaye, elle le fait malheureusement avec des outils inadaptés, renforçant encore les divergences.

On a vu des cas étonnants : lorsque l'éducation thérapeutique s'est développée, des règles spéciales ont été élaborées. Certains établissements ont monté des dispositifs et un même projet a pu être validé dans certaines régions alors que, dans d'autres, l'établissement a reçu un arrêté négatif, qui plus est accompagné d'une menace d'amende de 30 000 euros en cas de poursuite du programme. Autant dire que cela ne motive pas, alors que l'éducation thérapeutique constitue un produit dynamisant, qui permet d'être en phase avec les politiques de relation avec les usagers : ceci n'aide pas vraiment au développement du service public...

Les ARS devraient être stratèges en santé mentale, mais selon une définition nationale. Ainsi, les PRS devraient contribuer aux objectifs fixés dans le PPSM. Certaines régions l'ont remarquablement mis en oeuvre. Le grand défaut de la psychiatrie et de la santé mentale a toujours résidé dans l'absence d'indicateurs simples qui puissent donner une idée de l'hétérogénéité.

Les ARS pourraient également servir à identifier les obstacles juridiques et techniques que nous rencontrons en matière de fluidité dans le parcours des personnes. La prise en charge dépasse notre mission hospitalière : elle est une mission sociale dans bien des cas. Il ne devrait pas être difficile pour un établissement de mettre en place une organisation, avec l'aide de l'ARS, qui elle-même pourrait avoir un partenariat plus solide avec la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), pour trouver un logement prioritaire, élément fondamental dans l'évolution d'une pathologie et qui peut largement contribuer à ralentir son évolution. C'est un investissement qui pourrait avoir un retour très positif, que l'on devrait d'ailleurs pouvoir calculer.

Les souffrances que les médecins perçoivent dans l'organisation des ARS ne sont pas étonnantes quand on considère les différences de statut et l'obligation de répondre à des injonctions particulièrement délicates. Comment alléger le fonctionnement des ARS ? C'est peut-être mission impossible ! La question est cependant bien posée pour nos établissements.

Je pense aussi que les ARS peuvent initier une communication positive de crise. Notre association en a développé le concept. L'un des éléments pénalisant qui retarde la prise en charge et le soin réside dans la stigmatisation de la personne elle-même et de ses proches lorsque le diagnostic doit être établi. Certains retards sont considérables. Les Norvégiens ont réalisé une étude pour expliciter le rôle d'une communication sémantique positive, qui recourt à la grammaire, voire à la philosophie, afin de permettre une lecture collective positive de la pathologie elle-même. On a découvert que la prise en charge avait été ainsi réduite de dix à quinze semaines. Nous pourrions être en avance dans ce domaine si nous utilisions les études norvégiennes et la charte de Trieste, en vertu de laquelle l'association des journalistes italiens a banni certains mots des articles de presse, comme « fou », ou « schizophrène ». C'est une analyse que nous pouvons et devons mener collectivement. On pourrait communiquer sur ce thème en direction des ARS, et faire remonter une étude collective permettant de prendre conscience de l'intérêt même de cette opération. Je pense que le lien local peut y aider, d'autant qu'il peut y avoir, selon les régions, des différences dans les pathologies que nous prenons en compte.

Enfin, je pense que l'ARS doit aussi être un générateur d'évaluations. Beaucoup d'établissements sont maintenant lancés dans des certifications ISO. Le concept de service public ne s'y oppose pas. L'ARS pourrait générer une dynamique complémentaire. Combien d'ARS connaissent le nombre d'établissements certifiés en rang 1 par la HAS ? Combien d'entre eux cumulent les recommandations, voire les réserves ? Ceci constituerait un indicateur dans la connaissance des établissements, tout particulièrement en matière de psychiatrie. Pendant longtemps, nous avons par ailleurs été soumis au même régime que les autres établissements : par exemple, nous devions répondre à des questions sur les dons et prélèvements d'organes ! Sincèrement, il a été très difficile de faire modifier ce critère par la HAS, alors qu'il est manifestement inadapté pour nos établissements. Il est très intéressant d'être évalué et de chercher à améliorer le service public : encore faut-il que les critères correspondent ! Ceci démontre qu'il existe bel et bien une spécificité de la psychiatrie et de la santé mentale. Vous l'avez reconnue en nous invitant, mais elle n'est pas encore prise en compte par toutes les ARS - c'est le moins que l'on puisse dire !

M. Gilles Moullec, secrétaire général adjoint de l'Adesm. - L'approche de la psychiatrie et de la santé mentale par les ARS est tout à fait emblématique de la difficulté à positionner ces spécialités comme nécessitant une approche spécifique, à l'intérieur d'un cadre partagé avec les autres disciplines sanitaires. On remarque fréquemment, dans certaines régions, que la psychiatrie, la santé mentale ou le handicap psychique ne sont pas pris en compte. Ainsi, il arrive que l'on ne parle que de la permanence des soins en MCO, celle de la psychiatrie étant ignorée ou repoussée à plus tard. Dans certaines régions, cette question n'a toujours pas été traitée. Dans d'autres, des projets d'investissements psychiatriques ont été validés dans le cadre du plan Hôpital 2012. Ailleurs, la psychiatrie a été totalement écartée.

S'agissant des soins de premier recours, bien rares sont les schémas ambulatoires qui comportent une référence à la santé mentale. En matière de démocratie sanitaire, quand on évoque les résidents dans le domaine du médico-social, on pense toujours aux personnes âgées et rarement aux handicapés psychiques. Il existe donc vraiment une difficulté pour situer cette problématique.

Par ailleurs, il existe un certain clivage entre les ARS, qui couvrent le sanitaire et le médico-social, et d'autres acteurs. Ainsi, la jeunesse et les sports ont été paradoxalement rapprochés du social au niveau administratif. Ils en sont maintenant plus proches que ne l'est le sanitaire ou le médico-social. Dans ce domaine, on subit la rigidité des procédures nationales, que Mme Fourcade a évoquée devant vous.

Lorsqu'un établissement de santé propose à l'ARS d'augmenter la capacité de son service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah), il faut réviser le programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (Priac), même pour des sommes faibles et même si l'établissement autofinance la part de l'assurance maladie. Pour obtenir de transférer quelques centaines de milliers d'euros de l'assurance maladie vers le médico-social, il faut faire remonter un dossier à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), ce qui prend un an au minimum ! Quand on souhaite reconvertir, en interne, une équipe sanitaire en équipe médico-sociale, on ne peut dire aux personnels quand les choses interviendront. Les établissements subissent donc les rigidités de procédures sur le terrain, mais également dans les ARS.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Même si vous avez dénoncé le mode de fonctionnement général des ARS, vous ne les remettez pas en cause en tant que telles. Elles ont donc leur raison d'être... Je voudrais cependant obtenir de votre part un certain nombre de clarifications. Sommes-nous bien d'accord sur le fait qu'il ne s'agit pas, dans votre esprit, de s'orienter vers la décentralisation mais de rester dans le cadre de la déconcentration de la politique de santé dans les territoires ?

M. Joseph Halos. - En effet...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Un certain nombre de vos analyses pourraient cependant être rattachées à la décentralisation, notamment lorsque vous évoquez les conférences régionales de santé et de l'autonomie.

J'aimerais être éclairé sur votre conception de l'autonomie des ARS : faudrait-il la renforcer, si l'on veut que la partie relative à la santé mentale et à la psychiatrie soit plus consistante en termes de prise en compte des besoins et de financement, notamment pour assurer une meilleure péréquation entre les régions ?

M. Joseph Halos. - Le thème de la déconcentration me paraît intéressant. L'ARS est le bras armé de l'Etat dans la région et, d'une certaine manière, modifie la territorialité des décisions de l'Etat, mais non la valeur juridique du fonctionnement décisionnel.

Si l'on garde l'organisation dans laquelle nous sommes, il ne me semble pas nécessaire de modifier la personnalité juridique de l'ARS. Cependant, je pense qu'il faut en préciser l'organisation. L'exemple de l'organigramme est très explicite... Le fait de placer un grand nombre de personnels dans une structure comme l'inspection régionale, en donnant à celle-ci une forte autorité, peut poser question. A titre personnel, je pense qu'une réforme modifiant la personnalité morale des ARS serait lourde et ne présenterait pas d'intérêt majeur immédiat. Cette question s'adresse plus à l'échelon régional, qui devrait alors pouvoir utiliser l'ARS comme son bras exécutif, dans une répartition de moyens. Je crois qu'il faut plutôt améliorer l'existant. Un jacobinisme de service public me convient, conjugué avec des procédures sérieuses d'évaluation. L'ARH comportait peu de personnels et se situait plutôt dans le registre de l'incitation. L'ARS est une grosse administration de plus de 500 personnes dans certaines régions, un millier en Ile-de-France.

M. Christian Müller. - Pour être psychiatre, je n'en suis pas moins pragmatique, à force de côtoyer des directeurs qui le sont tout autant ! Je crois donc qu'il faut plutôt stabiliser le paysage.

Certains liens libèrent et certaines contraintes favorisent l'autonomie. C'est une question de curseur : il faudrait le positionner en direction des instances nationales. Ce serait déjà une avancée.

S'agissant des conférences de territoire, je ne suis pas sûr qu'il faille beaucoup modifier les choses. Les régions n'ont pas de poids, pas d'impact. Dans certains endroits, on prenait leurs remarques en compte ; dans d'autres, les choses étaient déjà faites alors qu'elles prenaient la parole. Peut-être pouvez-vous intervenir pour que les choses ne se passent plus ainsi et que les conférences de territoire bénéficient d'un peu plus de considération. C'est un outil de démocratie sanitaire très intéressant. Quand on modifie la position d'un satellite de quelques degrés, on en change complètement l'orbite. Peut-être y a-t-il là quelque chose à faire, qui modifierait la considération légitime que l'on devrait avoir pour les conférences de territoire...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Ce sont des lieux de démocratie sanitaire.

M. Christian Müller. - Elles devraient l'être, et nous souhaitons qu'elles le soient. Il existe des endroits où elles fonctionnent bien, sous les réserves que j'ai indiquées.

M. Yves Daudigny, président. - Visez-vous les conférences de territoire ou la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA) ?

M. Christian Müller. - Les conférences de territoire.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Je parlais quant à moi de la CRSA !

M. Alain Milon, rapporteur. - Je voudrais vous remercier d'avoir accepté de venir nous donner votre avis sur la façon dont fonctionnent les ARS sur le territoire national. Vous ayant rencontrés assez souvent dans d'autres circonstances, je savais que vous aviez beaucoup à dire à ce sujet. J'adhère assez largement à ce qui a été dit. Au fur et à mesure des auditions, nous nous sommes rendu compte de la forte hétérogénéité des ARS. Or, nous sommes dans un système de déconcentration et non de décentralisation.

Peut-être notre rapport devra-t-il insister particulièrement sur le fait que les ARS ont été créées au départ pour assurer la transversalité entre le sanitaire, le médico-social, la médecine de ville, la psychiatrie, etc. Il faut donc que les crédits et les politiques soient eux-mêmes transversaux, que l'on écoute les uns et les autres pour mettre en place des plans régionaux conformes aux besoins de la population et aux souhaits des professionnels, quels qu'ils soient. Il existe en outre une question sur l'articulation entre les orientations nationales et la mise en oeuvre régionale.

Docteur Müller, vous proposez d'accompagner les établissements par un groupe technique pérenne. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?

Par ailleurs, si l'on prévoit un interlocuteur dédié à la psychiatrie, que faire pour la MCO et pour les autres domaines ?

Vous avez enfin parlé d'une instance nationale pour la validation des orientations stratégiques. S'agit-il d'une instance nationale de validation ou d'orientation ?

M. Christian Müller. - S'agissant de l'accompagnement, dans certaines ARS, une seule personne s'occupe de la psychiatrie ; dans d'autres, il s'agit d'un groupe technique, dont les intervenants traitent parfois d'autres domaines. Cela permet un lien avec la MCO et rejoint notre revendication d'une spécificité qui s'insère dans un environnement qui est celui de la santé. Nous ne voulons pas être isolés.

Imaginez qu'un groupe s'occupe de la psychiatrie et de la santé mentale et assure d'autres responsabilités dans le domaine médico-social ou hospitalier : vous obtenez ainsi la transversalité recherchée. Par ailleurs, cela éviterait peut-être ce que nous avons malheureusement constaté, à savoir que lorsque des changements interviennent, les fonctions se perdent...

Pour ce qui est de l'instance nationale de validation, il s'agit d'un début. Cette idée reprend d'ailleurs plusieurs éléments du plan psychiatrie et santé mentale où figurent toute une série de points nécessitant d'être revus nationalement en matière d'application et d'évaluation, afin de poursuite la réflexion sur les orientations stratégiques.

On rejoint là un souci qui touche l'ensemble de la discipline : nous n'avons pas réellement de lieu où retrouver à la fois la direction générale de la santé (DGS), la DGOS, etc... Vous le savez, le plan « santé mentale », qui a été remarquablement préparé, a été géré par la DGS. Il faudrait aussi retrouver autour de la table la HAS et l'Anap. Celle-ci détient la méthode d'expérimentation, et connaît bien la MCO. On peut donc beaucoup en apprendre. Nous n'avons pas à craindre de nous engager dans les expérimentations. Par exemple, une expérimentation est actuellement lancée sur la question de la gestion des lits d'urgence. Nous n'en avions pas été informés, alors que cela nous intéresse beaucoup. Nous voulons être intégrés dans ces réflexions. Certes, en psychiatrie, cela ne pose pas seulement la question du site hospitalier, mais aussi celle de l'articulation avec les centres de consultations, qui sont également des centres médico-psychologiques qui doivent recevoir des urgences.

Nous savons ce qu'il ne faut pas faire ou, plutôt, ce qu'il ne faut plus faire....

M. Alain Milon, rapporteur. - Vous avez parlé du parcours de la personne. Avec la Fédération hospitalière de France de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du Languedoc-Roussillon, nous allons organiser, en novembre prochain, un colloque sur le parcours de soins, le parcours de la personne et le parcours du patient. Comment situez-vous le territoire dans ces notions ?

M. Joseph Halos. - Il ne peut pas ne pas y avoir de liens avec le territoire, mais pas au-delà d'une certaine taille. La limite s'effectue dans une approche qui n'est pas forcément sanitaire mais qui relève plus de l'aménagement du territoire. Dans le parcours de vie, la réflexion sur la répartition des populations sera plus importante que le problème de la morbidité.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Actuellement, vous fonctionnez avec la notion de secteur : vous allez donc plus loin...

M. Joseph Halos. - Absolument. Lorsqu'on nous demande d'initier une dynamique de contrat local de santé mentale, on dépasse les actes habituels du soin, en restant toutefois dans notre mission. Il ne faut pas valoriser excessivement l'hospitalisation, mais l'accompagner.

Les Britanniques, en matière de psychiatrie, ont marqué beaucoup de points. L'OMS les place en bonne position dans cette discipline. La gouvernance d'un trust ou d'une fondation du National health service (NHS), en psychiatrie et santé mentale, va largement au-delà de ce que nous faisons. Un maire peut lui déléguer la gestion d'un établissement social, qui a des liens avec la psychiatrie et les populations exclues souffrant d'une pathologie.

M. Gilles Moullec. - On peut penser que le territoire pertinent pour organiser le parcours de la personne n'est pas forcément le même selon les endroits. En matière de santé mentale, le territoire pertinent est celui de l'agglomération pour les grandes villes, alors que pour les départements très ruraux, ce peut être le département avec un secteur de psychiatrie unique.

M. René-Paul Savary. - Les conférences de territoire n'ont peut-être pas eu tous les effets escomptés. Le territoire ne représente pas forcément la même chose en MCO, en psychiatrie ou en matière médico-sociale. On a fait des ARS pour traiter le sanitaire au niveau régional, mais le médico-social est principalement porté par les conseils généraux. C'est une articulation particulièrement difficile à trouver. Les conférences de territoire ne répondent pas à la démocratie sanitaire ou médico-sociale à laquelle nous aspirions. Lors de la définition des territoires, on n'a pas forcément pris en compte les propositions des différents élus du secteur qui, pourtant, connaissent bien la situation. En Champagne-Ardenne, le PRS représente plus de mille pages ! Les plus gros courriers, je les reçois chaque semaine de l'ARS !

Je partage votre point de vue sur les ARS : la situation peut être améliorée. Il faut tirer expérience de ces deux ou trois années de fonctionnement.

L'articulation entre le sanitaire et le médico-social m'interpelle cependant, notamment la transformation de lits en services. C'est un problème auquel nous sommes régulièrement confrontés. Les propositions qui ont été faites n'ont pas suffisamment avancé. On avait un moment imaginé que l'Etat reprenne les maisons d'accueil spécialisées (MAS), mais aussi les foyers d'accueil médicalisés (FAM). On aurait ainsi pu avancer dans un certain nombre de domaines. Avez-vous des propositions concrètes, en tant qu'acteurs de terrain, afin de faire avancer la situation ?

Par ailleurs, nous n'avons pas encore évoqué la pédopsychiatrie, domaine dans lequel nous manquons cruellement de spécialités.

Enfin, le fait qu'il n'existe plus de statut légal pour les unités pour malades difficiles (UMD) ne va-t-il pas remettre en cause leur financement ?

M. Joseph Halos. - Ce n'est pas ce que j'ai compris... Une chambre d'isolement n'a pas de statut et son financement est bien assuré au sein de la DAF.

Il est plus difficile de répondre aux questions concrètes... Certes, il existe des transformations de lits et de services pour les malades au long cours. Valoriser ces solutions serait une bonne chose...

M. Gilles Moullec. - Vous faisiez allusion à la suppression des doubles financements. Dans ma région, on a arrêté de prévoir des projets de FAM. On sait qu'on n'y arrivera pas, pour peu que le département soit en difficulté sur le plan financier. Unifier les modes de financement est donc selon moi une bonne chose. Lorsqu'il s'agit de redéployer l'argent de l'assurance maladie vers le médico-social, il faut aussi donner à l'ARS la capacité de décider localement. On évite ainsi de tomber dans des procédures bureaucratiques invraisemblables.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les crédits résultant de la fongibilité asymétrique ne restent pas attribués à la région, mais remontent à l'échelon national. On pourrait faire en sorte que cet argent abonde les actions en faveur du milieu social ou de la psychiatrie. Plusieurs des personnes que nous avons auditionnées sont de cet avis. Le budget global n'a pas bougé : c'est donc une source de financement intéressante pour mener à bien les actions définies dans le cadre du programme régional de santé.

M. Christian Müller. - Les UMD constituent un sujet extrêmement important, qui va faire l'objet d'un examen particulier de la Conférence dans les semaines qui viennent. Quelle que soit leur appellation, elles doivent disposer d'un personnel extrêmement bien formé et compétent, ce qui est le cas aujourd'hui. Il importe de ne pas voir se multiplier de pseudo-UMD. On en connaît... Nous sommes très soucieux de la dignité des personnes, des soins qui leur sont apportés et de la sécurité des personnels. Il convient donc d'examiner certaines structures avec beaucoup de précautions. Ces unités de soins intensifs sont reconnues au-delà des frontières et ont une excellente réputation.

La répartition de ces UMD est discutable : dans certaines régions, il n'en existe pas. Je ne suis pas sûr, à titre personnel, qu'il faille augmenter le nombre de places, mais je suis persuadé qu'il faut mieux les répartir. Ceci permettrait d' améliorer leur fonctionnement : certains malades peuvent se retrouver à l'autre bout de la France, coupés de leurs familles. Pour le reste, nous demeurons très vigilants à propos des risques financiers que vous évoquez.

S'agissant de la pédopsychiatrie, j'ai parlé de l'ensemble de la psychiatrie, incluant bien évidemment la pédopsychiatrie. C'est pour nous un sujet très important, à propos duquel les politiques régionales posent question. Il a par exemple été question de financer, dans certaines régions, l'association d'équipes médico-sociales et sanitaires, afin de favoriser un diagnostic précoce. Il s'agit d'un appel d'offres pour des formations assez chères. Que se passe-t-il ensuite ? Rien ! Ces velléités n'ont pas de sens, mettent à mal le dispositif existant et laissent croire aux familles qu'on ne fait pas notre travail.

Enfin, je crois beaucoup à la méthode. Il serait préférable que les ARS prévoient des rencontres avec au maximum une dizaine de responsables d'établissements et d'associations médico-sociales, plutôt que des réunions pléthoriques. Au-delà d'une quinzaine de personnes, on ne peut tirer d'effets conclusifs. Par ailleurs, cela coûte cher.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Certains directeurs généraux d'ARS s'immisceraient dans la gestion des établissements. Est-ce également le cas en psychiatrie ? Il est difficile de mettre en place le pacte de confiance souhaité par la ministre dans ces conditions !

M. Joseph Halos. - Dans ce domaine, il n'existe pas de spécificité de la psychiatrie ! Un établissement monodisciplinaire subit les mêmes contraintes qu'un autre établissement. On m'a raconté qu'un directeur général d'ARS voulait mettre en place une procédure de paiement d'office au sein d'un établissement hospitalier. Voilà un exemple d'ingérence totale. Même les préfets n'osaient pas agir de la sorte !

On assiste de la même manière à un véritable retour en arrière en matière de calendrier budgétaire : les budgets n'étaient jamais arrivés aussi tard ! De grands progrès avaient pourtant été réalisés, mais on revient à présent à des délais extrêmement longs. Jusqu'à la fin de l'exercice, on est incapable de savoir si l'on va ou non sécuriser les professionnels, les contrats, les recrutements, n'ayant parfois de certitude sur le budget qu'en septembre, voire en décembre pour les crédits qui ont été gelés !

La question de la visibilité des interlocuteurs me semble également très importante. Que faire pour la MCO si l'on prévoit une personne dédiée pour la psychiatrie et la santé mentale ? Je considère qu'il est normal, dans une direction régionale de l'offre de soins, de prévoir une personne par discipline, surtout s'agissant du continuum de la santé mentale en direction de l'hospitalisation, ou vice-versa, l'hospitalisation étant pour nous une alternative à d'autres prises en charge. C'est d'ailleurs probablement ce qui va continuer à faire la spécificité de la discipline.