Mercredi 26 juin 2013

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Table ronde sur la prévention du suicide

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à une table ronde sur la prévention du suicide.

Mme Annie David, présidente. - J'ai souhaité que nous puissions consacrer une partie de notre réunion de ce matin à la problématique de la prévention du suicide.

De plus en plus d'experts, de professionnels de santé et de responsables publics s'accordent aujourd'hui pour considérer le suicide comme un fait social, appelant des réponses en termes de politiques publiques, et non comme la simple résultante de comportements individuels. Avec plus de 10 000 suicides par an, et 20 fois plus de tentatives de suicide, la France s'avère plus exposée que la moyenne des pays européens à ce phénomène qui touche aussi bien les jeunes que les personnes âgées ou isolées, et présente de fortes disparités selon les régions et les catégories socio-professionnelles.

Je remercie de leur présence aujourd'hui, pour débattre avec nous :

- Didier Bernus, rapporteur de l'avis adopté en février 2013 par le Conseil économique, social et environnemental sur la prévention du suicide ;

- le docteur Michel Debout, professeur de médecine légale et de droit de la santé à l'université de Saint-Etienne, ancien membre et rapporteur du Conseil économique et social, ancien président de l'Union nationale de prévention du suicide et actuellement rapporteur de l'association Bien-être et société ;

- et Jean-Claude Delgennes, directeur général du cabinet Technologia, spécialisé dans l'évaluation et la prévention des risques professionnels qui est intervenu à plusieurs reprises à la suite de faits suicidaires dans les entreprises ou administrations.

Au cours de ces derniers mois, vous avez les uns et les autres plaidé pour l'instauration d'un observatoire national de la prévention du suicide et la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, en a annoncé la création prochaine lors de la séance du Conseil économique, social et environnemental du 12 février. Mais cet outil destiné à mieux appréhender les tentatives de suicide et les comportements suicidaires ne peut constituer qu'un volet d'une politique plus large et plus globale de prévention qui ne se réduit pas à la seule santé publique, mais concerne également d'autres domaines comme l'éducation nationale ou le travail.

Je précise que lors d'un récent déplacement au Québec, une délégation de notre commission a constaté que la province, confrontée il y a quelques années à des taux de suicide extrêmement élevés, a su prendre un certain nombre de mesures concrètes qui ont produit des résultats tangibles.

Je souhaite que nous puissions ce matin, avec nos intervenants, mieux saisir les enjeux de la prévention du suicide et évoquer les orientations qui permettraient de la renforcer. Je propose à chacun d'entre eux d'effectuer une brève présentation avant d'ouvrir le débat.

M. Didier Bernus, membre du Conseil économique, social et environnemental. - Je vous remercie de cette audition qui permet de prolonger le rapport du CESE dont le titre dit l'ambition « Suicide : Plaidoyer pour une prévention active ». Ce rapport intervient, symboliquement, vingt ans après celui présenté par Michel Debout au Conseil économique et social qui avait montré que le suicide est un problème de santé publique.

Je ne reviendrai pas sur les éléments de constat que vous avez donnés. Je pense qu'il faut retenir qu'il y a en France plus de dix mille morts par suicide chaque année et que ce sont des morts évitables. Contrairement à ce que l'on entend souvent, le suicide n'est pas une fatalité. C'est pour cela que nous souhaitons une prévention active. Il s'agit d'empêcher qu'une personne souffrant de mal être ne fasse un geste définitif. Il faut convaincre qu'il est possible d'éviter le passage à l'acte.

Le premier problème est de mieux connaître le phénomène. Le suicide a des causes multifactorielles et chaque situation est différente car elle relève de l'intime. En aucun cas il n'est question de se pencher sur la vie de chacun mais il est nécessaire de prendre des dispositions générales en matière de prévention.

Le nombre de suicides est relativement constant en France même s'il tend à baisser depuis vingt ans car les pouvoirs publics se sont réveillés. Nous ne partons donc pas de rien et des plans relatifs au suicide, ainsi que des plans de santé mentale, ont été mis en place. L'Institut de veille sanitaire travaille sur les données relatives aux suicides mais les chercheurs reconnaissent eux-mêmes les limites de leurs travaux et la nécessité de mesures concrètes. La volonté militante d'acteurs associatifs et de soignants a également beaucoup contribué à la mise en place de dispositifs efficaces. Des actions concrètes sont menées à Lyon, Lille ou encore à Brest. Il faut néanmoins reconnaître que les initiatives militantes actuelles manquent de coordination.

En matière d'épidémiologie, on sait qu'il y a entre deux cents et deux cent vingt mille tentatives de suicide par et que plus de 60 % des personnes qui se suicident ont auparavant tenté de le faire.

Les actions ciblées sur les jeunes ont pu donner des effets, le pic épidémiologique des suicides se situe entre 30 et 60 ans, ce qui doit nous amener à réfléchir sur les causes de ce phénomène. Il existe une sociologie des suicides et des facteurs de risque ont été identifiés par les professionnels au travers de conférences de consensus. Ainsi dans 70 à 90 % des cas, le suicide est lié à la dépression.

Il y a aussi des facteurs aggravants qui déclenchent le passage à l'acte. Il faut trouver les moyens d'intervenir pour interrompre le processus. L'isolement, qui ne se limite pas à la solitude, est un point déterminant et il faut essayer de rétablir un lien social avec ceux qui en souffrent. Les différents cadres que sont la famille, les associations, le travail devraient être un facteur d'intégration mais ils peuvent parfois créer de l'isolement par manque de communication.

Comment prendre en charge les personnes suicidaires ? On peut regretter que le plan de lutte contre le suicide et les plans de santé mentale ne soient pas coordonnés. A mon sens, l'appellation de plan de lutte contre le suicide n'est pas la plus adaptée. Mieux vaudrait parler de plan de prévention.

Les centres de prévention du suicide, qui sont animés par des associations ou des établissements de santé, sont très fragilisés pour des raisons budgétaires. Des conventions leur permettant d'exercer leur mission ne sont pas reconduites, ce qui a entraîné la disparition de 60 % de centres en Ile-de-France.

Il faut soutenir la mise en place de dispositifs de veille et de suivi et permettre l'accès rapide à des professionnels formés dans tous les services d'urgence. A l'heure actuelle, ce sont principalement les CHU qui disposent d'unités dédiées. Trop souvent, les personnels non formés tendent à minimiser les tentatives de suicide alors qu'une barrière a été franchie.

Plusieurs axes se dégagent en matière de prévention. Tout d'abord, il faut colliger les informations disponibles et récolter les informations manquantes pour dégager des actions concrètes. Si l'on prend l'impact de la crise économique et des plans sociaux sur les salariés, il est incontestable qu'il s'agit d'un facteur aggravant. La Grande-Bretagne a la capacité d'évaluer la surmortalité suicidaire liée à la crise. Il s'agit de mille suicides de plus par an. En France, nous ne savons pas évaluer cet impact.

La question de l'observatoire national dont nous souhaitons la création est centrale. Il doit être appuyé sur les équipes de terrain car les situations locales ne sont pas identiques. Il faut également utiliser les capacités d'expertise dont nous disposons déjà et créer des réseaux. L'observatoire doit être en mesure de faire des recommandations en dehors de toute contingence.

La prévention du suicide n'est pas seulement une affaire de spécialistes. Cela nous concerne tous. Comme il y a trente ans avec les accidents de la route, il faut dépasser le fatalisme. On doit faire prendre conscience à la population que l'on peut agir et qu'il faut reconnaître les signes d'alerte. Cela passe aussi par des mesures concrètes. En Grande-Bretagne, des barrières ont été placées près des zones sensibles sur les voies ferrées et un message y est destiné à ceux qui envisagent le suicide pour tenter de les faire réfléchir, de retarder le plus possible le passage à l'acte.

Mme Annie David, présidente. - Lors du récent déplacement d'une délégation de la commission des affaires sociales au Québec nous appris que la province a mis en place un réseau de « sentinelles » chargées de la prévention du suicide. Il s'agit là d'un autre exemple de mesure concrète.

Pr Michel Debout, professeur de médecine légale et de droit de la santé à l'université de Saint-Etienne, président de Bien-être et société. - Le suicide me paraît être une question majeure car la manière dont il est traité montre le prix qu'une société attache à la vie humaine.

Peut-on accepter que des personnes quittent la vie et qu'elles ne fassent rien de leur existence ? Je suis professeur de médecine légale et j'ai donc « rencontré » beaucoup de personnes mortes de suicide, mais aussi beaucoup de familles, et cette expérience a été particulièrement marquante. J'ai créé à l'hôpital de Saint-Etienne un des premiers services d'urgences qui a pris en charge de nombreuses personnes ayant tenté de se suicider.

La question du suicide est rendue plus complexe car, quand il y a cinquante ou soixante ans on parlait de suicide, on parlait des morts. Aujourd'hui, on parle plutôt de personnes vivantes et le problème est d'éviter la répétition des actes suicidaires. La démarche est donc différente.

C'est une vieille affaire que le suicide, la question se pose depuis qu'il y a des humains. La question est à la fois philosophique, sociale et religieuse, et ce sont des dimensions qui ne peuvent être évacuées. En France, l'interdit moral et religieux a longtemps pesé, on violentait le corps du suicidé et l'opprobre pesait sur sa famille. Ce n'est que depuis 1969 qu'une personne décédée par suicide a la possibilité d'obtenir des obsèques catholiques. Pendant longtemps donc, la question n'était pas celle de la prévention, mais l'interdiction. Le suicide était une réalité dont on ne parlait pas.

Le temps de la prévention n'a donc débuté que très récemment. On ne s'en préoccupe que depuis l'après-guerre. Il reste d'ailleurs beaucoup de freins et d'interrogations sur la société concernant le suicide. Ces questions se retrouvent en chacun de nous. Dès lors, une politique de prévention est difficile à développer. Il est révélateur qu'on en soit toujours aujourd'hui à demander un observatoire sur cette question, alors qu'en France, on observe tout. On nous a opposé de nombreux arguments pseudoscientifiques pour écarter cette création, mais le suicide ne concerne pas seulement l'épidémiologie, ni même les seuls acteurs médicaux.

Il y a eu deux ruptures en matière de pensée sur le suicide. Tout d'abord, les médecins aliénistes de la première moitié du XIXe siècle ont noté la fréquence du suicide dans les asiles. Ils ont établi un lien entre suicide et folie, et considéré que l'on ne se suicide que si l'on est fou. Cela est faux bien sûr, mais cela a eu l'intérêt de poser la question non plus en terme de morale, mais de médecine. La deuxième rupture intervient en France à la fin du XIXe siècle, avec l'oeuvre de Durkheim. Il montre que le suicide est certes un problème individuel, mais aussi qu'il existe un taux de suicide dans une population, et que ce taux varie dans une société et augmente surtout quand elle est en crise. Les effets de la crise sur le taux de suicide sont observés au Royaume-Uni, en Grèce, en Italie et en Espagne, mais nous ne disposons d'aucun élément pour la France.

Il y a donc deux approches qui se complètent. Il y a tout d'abord une approche médicale qui s'adresse aux individus, mais pas uniquement : elle s'adresse également aux groupes qui sont les plus exposés, les chômeurs, les exclus, les personnes surendettées. Parce que le suicide est un fait de société, il faut également développer une prévention sociale.

Parler de suicide est parler d'une chose négative, il faut donc plutôt essayer de développer le bien-être dans la société en prenant en compte la détresse humaine. Comment pouvons-nous accepter que des personnes s'immolent ? C'est contraire à la fraternité humaine qui figure dans la devise républicaine.

Je souhaite enfin souligner que quand un suicide survient, il y a une onde de choc sur la famille et sur l'entourage qui se trouve marqué et déconstruit. Le Québec mène des actions intéressantes d'accompagnement des endeuillés et de prévention les concernant.

Mme Annie David, présidente. - Au Québec, effectivement, nos interlocuteurs nous ont présenté le concept de « postvention » qui prend la suite de la prévention en matière de suicide.

M. Jean-Claude Delgènes, directeur général de Technologia (cabinet d'évaluation et de prévention des risques professionnels). - Je tiens tout d'abord à saluer la constance de vos travaux, puisque je suis déjà intervenu devant votre commission en 2009 à l'occasion de la crise de suicides au technocentre Renault de Guyancourt.

La prévention du suicide suppose un effort constant et une approche globale, associant des sociologues, des psychologues, des spécialistes du monde de l'entreprise... Nous avons travaillé sur les crises de suicides qui ont frappé différents sites de Renault, France Telecom, ou encore La Poste. Au total, nous avons suivi une centaine de situations depuis ces six ou sept dernières années. Il y a effectivement un phénomène nouveau de crises suicidaires dans le monde du travail. Je voudrais aborder ce sujet sous l'angle de préconisations.

Ma première recommandation est d'inscrire le « burn-out », autrement dit l'épuisement professionnel, au tableau des maladies professionnelles. Le 26 septembre dernier, un colloque important a réuni les syndicats de salariés, qui soutiennent quasiment tous aujourd'hui cette recommandation. Épuisé par son travail, un individu peut facilement basculer dans le suicide. Quand on va trop loin dans les exigences professionnelles, on peut mettre les gens dans une situation difficile. Les exemples abondent. Certes, on peut actuellement faire reconnaître un « burn-out » comme maladie professionnelle, mais la démarche est compliquée et peut durer quatre à cinq ans.

Ma deuxième recommandation consiste à revoir le système d'évaluation individuelle dans les entreprises. A l'origine destiné aux commerciaux pour accroître la rentabilité des entreprises, ce système s'est imposé à de nombreux salariés depuis les années 1980. Le problème vient qu'il aboutit parfois à nier l'identité et les efforts des salariés. Certains passages à l'acte ont d'ailleurs lieu peu après des évaluations qui se sont mal passées. C'est pourquoi je propose de donner une dimension collective à ces évaluations.

Ma troisième recommandation vise à modifier les règles de mobilité professionnelle. Il s'agit là d'un problème spécifique à notre pays. Des salariés rayonnants peuvent parfois très mal vivre une mobilité mal conçue. Un exemple éloquent : dans une entreprise de construction automobile, un cadre s'est trouvé propulsé en quelques mois directeur d'un établissement, suite à la nomination à l'étranger de son supérieur hiérarchique puis à une maladie grave touchant son nouveau supérieur. N'étant pas préparé à de telles responsabilités, le nouveau directeur s'est finalement suicidé. Les phénomènes de crise identitaire résultent souvent d'une mauvaise anticipation de la hiérarchie. Certains pays scandinaves procèdent, avec raison, à des mobilités virtuelles. Dans le même sens, il est nécessaire de mieux accompagner les personnes de retour au travail après un long arrêt maladie, car entretemps l'entreprise a changé et des collègues sont partis. Le problème s'est posé avec acuité à France Telecom, où 3 000 personnes s'étaient réfugiées dans des arrêts maladie. Des mesures comme le recours au temps partiel, l'instauration de tuteurs ou l'accompagnement par des délégués syndicaux permettraient d'améliorer le retour au travail des salariés concernés.

Quatrième recommandation : mieux accompagner les salariés victimes d'un plan social. La situation actuelle en France est un scandale : les salariés sont traités comme des fétus de paille. Tout le monde se moque du sort réservé aux personnes licenciées une fois retombée la pression politique et médiatique, six ou douze mois plus tard. Des cabinets ont gagné par le passé des sommes considérables. Aujourd'hui, le métier est mortifère et pâtit d'une très mauvaise image. Un conseiller suit parfois entre cent et cent cinquante salariés, alors qu'il ne devrait en suivre qu'une cinquantaine. Schématiquement, on peut distinguer trois catégories de salariés dans un plan social : la première considère le plan social comme une aubaine, la seconde comme un passage délicat qui peut être surmonté. La troisième catégorie en revanche regroupe les salariés faiblement formés ou âgés, que certains appellent avec dédain le « fond de panier ». Pour eux, rester six ou douze mois au chômage représente une épreuve parfois insurmontable. C'est sur eux que devraient se concentrer tous les efforts des cabinets !

Cinquième recommandation : il faut revoir la formation des cadres intermédiaires dans les entreprises. Un acte suicidaire dans une entreprise constitue une brûlure, une onde de choc, qui bouleverse beaucoup de choses. Comment agir et prévenir de tels actes dans les entreprises ? Notre pays a beaucoup à apprendre des expériences à l'étranger, comme au Québec. L'ancienne direction de Renault a par exemple refusé de recevoir pendant plusieurs mois les familles des salariés qui se sont suicidés, et a conservé leurs effets personnels.

Dernière recommandation : il faut une campagne d'action spécifique pour mieux connaître le phénomène des suicides. Il est regrettable qu'aucune étude n'existe sur le lien entre le surendettement, le chômage, la désindustrialisation par exemple, et le passage à l'acte. Ce déni est époustouflant. Comment prévenir les suicides si on ne les connaît pas mieux ?

« La France a le blues », pour reprendre le titre d'un article récent publié dans le journal Le Monde. Il est vrai que les salariés, quel que soit leur niveau de responsabilités, ont des difficultés à anticiper leur évolution professionnelle. Cette difficulté renvoie selon moi au problème de la formation de nos élites dans notre pays. L'existence d'un plafond de verre, bien connu dans les carrières des femmes, touche également les hommes qui ne disposent pas des diplômes attendus. En Allemagne, les cadres commencent toujours leurs carrières dans le « Mittel-management » : cette expérience au sein de l'encadrement intermédiaire leur permet de mieux connaître les hommes et la portée de leurs décisions. Le patron de Boeing est un homme qui a commencé sa carrière comme simple technicien de maintenance. Imagine-t-on pareille situation en France ? A mes yeux, la sinistrose que traverse notre pays tient à l'incapacité des salariés à se projeter, en raison notamment d'une élite dirigeante éloignée de leurs préoccupations.

Vous le savez, 240 000 tentatives de suicides ont lieu chaque année en France, d'où 4 millions de personnes touchées indirectement par ce phénomène : la famille, les amis, les collègues. Ces personnes sont marquées à vie par ces stigmates, comme l'explique Boris Cyrulnik. Il est donc nécessaire de mieux connaître les tentatives de suicide pour mieux les prévenir.

Mme Isabelle Pasquet. - Je remercie la Présidente d'avoir bien voulu donner suite à ma demande d'organiser une table ronde sur le suicide. Ce sujet fait écho à mon histoire familiale et à la fermeture des chantiers de La Ciotat, véritable onde de choc. Je crois qu'il est nécessaire d'insister sur la notion de reproduction, et pas seulement sur celle de récidive. Il faut informer l'entourage proche des personnes qui se sont suicidées, nos concitoyens, dans les entreprises et au-delà, sur les risques liés au phénomène de reproduction. La ministre souhaite créer un observatoire du suicide, c'est une bonne chose, mais il faut agir vite. Je souhaite pour ma part aller plus loin et déposer une proposition de loi pour que la question du suicide soit érigée au rang de grande cause nationale en 2014.

M. Louis Pinton. - J'approuve naturellement votre souhait de mieux connaître les causes du suicide. Tous les salariés étant soumis à la même pression dans une organisation donnée, qu'est-ce qui fait que certains passent à l'acte, et d'autres non ? D'où vient cette résistance selon vous ? Il faut donner à nos concitoyens les moyens de résister aux agressions extérieures.

J'entends vos remarques sur les élites. Que faut-il changer dans nos entreprises pour lutter contre les suicides ? Quelles conséquences en tirer pour les élites politiques ?

Enfin, comment expliquez-vous le fait que la pendaison soit le mode opératoire privilégié dans le monde rural ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je salue, à l'instar de mes collègues, la qualité des interventions, qui font écho à mes préoccupations professionnelles. La qualité de la dimension psychosociologique du management est une question qui se pose à tous les responsables. Parfois, l'on souhaite donner sa chance à quelqu'un, avec le risque qu'il ne soit pas en mesure de relever le défi et développe un sentiment de mal-être au travail. Comment former les managers pour prévenir ces situations difficiles ?

« La France a le blues » dit-on. Mais prenons garde à ne pas sombrer dans l'autopersuasion ! En outre, certains déploraient, peu avant les événements de mai 1968, que la France s'ennuyât, on sait ce qu'il en a résulté... Les Français sont malades, diagnostiquait il y a trois ans Jean-Paul Delevoye. Mais quelle elle la situation dans les autres pays ?

M. Marc Laménie. - Je crois comme vous que la prévention du suicide est l'affaire de tous. S'agissant des trois fonctions publiques, il y aurait beaucoup à dire sur le mal-être au travail. Souvent, des personnes compétentes sont mises de côté à cause de « petits chefs ».

Les retards de train causés par des suicides se multiplient, même si l'on ne dispose pas de chiffres officiels en France. Comment prévenir ces suicides ? Ne pourrait-on pas s'inspirer de certaines expériences étrangères, comme en Grande Bretagne ?

M. Jean-François Husson. - Je crois savoir que le taux de suicide des jeunes en France est le plus important d'Europe. A mes yeux, cette situation s'explique essentiellement par la désintégration du lien entre les jeunes et la cellule familiale. Mais j'aimerais qu'un observatoire du suicide se penche objectivement sur cette question et effectue des études sur les vingt ou trente dernières années. Face au suicide, on reste bien souvent sans voix pour essayer de mieux comprendre. Je pense qu'il est plus facile de baisser le nombre de morts sur les routes que le nombre de suicides, mais que l'on peut malgré tout agir, si l'on dispose de connaissances objectives et que l'on surmonte ce tabou de notre société qu'est le suicide.

M. Didier Bernus. - Vos questions sont symptomatiques car elles renvoient toutes, à des degrés divers, à vos expériences personnelles ou professionnelles. En outre, il y a toujours la tentation de vouloir une sorte de « catalogue des recettes » pour combattre le suicide, mais bien sûr, il n'y a pas de solutions miracle.

Il est effectivement essentiel de suivre les personnes qui ont fait des tentatives de suicide et leur entourage, et d'accompagner également les proches des personnes qui se sont suicidées pour éviter toute reproduction du geste. Le risque est grand, car le suicide s'inscrit alors dans le « logiciel » de pensée de l'entourage, surtout pour les personnes les plus proches de la victime.

S'agissant de la prévention sur les lieux de travail, il est clair que cette question renvoie plus globalement à l'organisation du travail elle-même. Le suicide apparaît comme un symptôme, la résultante de certains types d'organisation du travail. Certains salariés reçoivent des injonctions paradoxales, c'est-à-dire des ordres contradictoires, qui peuvent être déstructurants. Bien souvent, les responsables dans les entreprises ne prennent pas la mesure de leurs décisions sur la santé mentale de leurs salariés. Prenons un exemple concret : on a réussi à diminuer le nombre de chutes de hauteur dans le secteur du BTP en imposant de nouvelles règles de sécurité et grâce à une prise de conscience des employeurs sur les conséquences d'un accident du travail sur la bonne marche de l'entreprise. C'est pourquoi il faut prendre du recul sur les modes d'organisation dans les entreprises, et redonner du sens au travail des salariés.

Pr Michel Debout. - Depuis le premier rapport du Conseil économique et social sur la question, les choses ont heureusement évolué. Nous avions déjà à l'époque consacré un chapitre de notre rapport à la question du suicide au travail. Perdre son travail est un moment psychotraumatique. Or, aujourd'hui, les salariés victimes d'un plan social ne sont pas suffisamment accompagnés. Paradoxalement, quand on perd son travail, on perd la médecine qui va avec, alors que justement c'est dans ces moments-là que les services de santé au travail auraient le plus d'utilité.

Vouloir faire du suicide une grande cause nationale, pourquoi pas. Mais l'expérience prouve qu'ériger un sujet en grande cause nationale n'apporte pas toujours les résultats attendus. Je préfèrerais quant à moi faire du suicide une grande cause de santé publique. J'avais dans ce sens demandé il y a quatre ans un « Grenelle de l'humain », afin de sensibiliser l'opinion publique et les acteurs institutionnels au suicide des jeunes, des adultes au travail et des personnes âgées, et je souhaite que le Sénat appuie ma démarche.

J'en viens aux modes opératoires choisis par les personnes qui décident de se suicider. Il faut comprendre que trois choix sont faits simultanément : la date, le lieu et le mode opératoire du suicide. Ces choix sont personnels, chargés de symboles, et difficilement modifiables. A mon sens, la pendaison renvoie à un contexte culturel et à un sentiment de culpabilité très fort, tandis que l'utilisation d'une arme à feu implique une mise à distance entre la personne et son corps. Se suicider sur son lieu de travail, en public, comporte une dimension symbolique très forte. De même, les personnes qui s'auto-immolent envoient un signal, elles veulent que les choses bougent pour les autres. Je rappelle que 95 % des suicides se font à l'écart du public.

S'agissant de la prévention des suicides au travail, je crois qu'il faut au préalable distinguer deux notions : il existe des « travailleurs fragiles », c'est vrai, mais il existe aussi des « travailleurs fragilisés » par leur emploi. Il faut donc aussi s'occuper de la dimension collective dans la prévention des suicides. A cet égard, les lois votées sur le harcèlement moral ont permis d'avancer sur le chemin de la prévention.

M. Jean-Claude Delgènes. - Dans les situations très difficiles, le travail en équipe avec des médecins du travail, la direction de l'entreprise, des experts, permet de redonner du sens à l'activité des salariés et de surmonter le choc du suicide d'un collègue.

On a tiré également les conséquences de l'éloignement des services de ressources humaines par rapport aux salariés : entre eux et le management, il faut une direction des ressources humaines digne de ce nom, avec une vision stratégique et de vrais pouvoirs. On a aussi mesuré les méfaits de l'instrumentalisation des médecins du travail par certaines directions d'entreprise. Il faut enfin renforcer le rôle des organisations syndicales.

La résistance à la pression dans le monde de l'entreprise varie considérablement entre individus, et chez un même individu selon les différentes périodes de sa vie. Il faut donc des collectifs forts au sein des organismes publics et privés pour prévenir les suicides. Quand une direction traite ses salariés avec respect, considération, dans un esprit d'écoute, les risques de suicide au travail sont bien moindres.

J'ai longtemps travaillé avec les trois fonctions publiques. Schématiquement, je pourrais dire que l'on observe surtout à l'hôpital des problématiques de surinvestissement émotionnel et d'impuissance face à certains patients. Dans la fonction publique territoriale, les problèmes viennent plutôt de difficultés relationnelles qui s'aggravent avec le manque de mobilité interne et externe.

Je ne suis pas dans la dénonciation du rôle des élites. Mais j'observe tout simplement que les enfants issus de quartiers défavorisés peuvent réussir aussi bien que ceux issus de milieux privilégiés, comme le montre l'exemple d'Alexander Fleming, le célèbre biologiste qui a découvert la pénicilline : fils d'agriculteur, il a pu faire ses études grâce à une bourse. Et nous avons tous connaissance de décisions prises par des responsables d'entreprise qui sont dénuées de bon sens...

M. Didier Bernus. - S'agissant du suicide des jeunes, il est évident que la cellule familiale joue un rôle essentiel. Le phénomène d'isolement engendre souvent un sentiment de culpabilité. Or, on peut peser sur ces facteurs d'isolement, à une période de la vie où le rapport à la mort est particulier et la personnalité se construit. Rappelons-nous que les jeunes d'aujourd'hui sont les adultes de demain, et qu'il faut donc agir le plus tôt possible pour lutter efficacement contre les tentations suicidaires.

M. Jean-Claude Delgènes. - En quinze ans, le nombre de jeunes qui se sont suicidés a pratiquement été divisé par deux, passant de 900 à un peu plus de 500. Beaucoup d'actions ont été entreprises qui montrent que la prévention est possible. En revanche, de manière plus préoccupante, le nombre de tentatives de suicide n'a pas bougé, il a même augmenté. Il faut prendre garde aux phénomènes d'imitation chez les jeunes, et notamment aux pactes suicidaires qui se multiplient sur internet.

Pr Michel Debout. - Quand une personne jeune se suicide, un travail important de suivi doit être mené sur l'entourage. Des jugements dramatiques sont souvent portés sur la famille, et on fait porter la responsabilité de l'acte sur des insuffisances parentales sans, généralement, savoir ce qu'il en est réellement.

Mme Catherine Génisson. - La région Nord-Pas-de-Calais, qui a des indicateurs sociaux et sanitaires très préoccupants, a néanmoins des habitants qui, à 84 %, se déclarent heureux. La question est donc bien celle du vivre ensemble. S'agissant de la situation au sein des entreprises, vous avez parlé des problèmes liés au management et au sentiment de culpabilité qui pèse sur les cadres quand il y a eu un suicide. Je pense que le problème tient également au fait de se sentir comme un simple instrument, un pion qui n'est pas reconnu pour sa participation à un projet collectif.

Mme Catherine Deroche. - Vous souhaitez que l'observatoire dont vous demandez la création ne soit pas un simple lieu d'analyse, mais ait une capacité opérationnelle. Pourra-t-il partir de données fiables ? Par ailleurs, la pratique de la « postvention » auprès de l'entourage me paraît importante, il me semble qu'elle devrait également s'exercer pour les personnes victimes d'agression ou de viol. De plus, je souhaiterais savoir si, en matière de recherche, il existe une bonne coordination nationale et européenne, et si des travaux apportent de nouvelles connaissances, notamment en matière génétique. Le suicide des préadolescents est également un problème grave et je souhaite savoir si la politique de prévention se penche sur le rôle parfois délétère des réseaux sociaux. Enfin, vous avez parlé de la dimension symbolique du suicide et nous avons eu un exemple intéressant au Québec : une barrière a été posée sur un pont traversant le Saint-Laurent et, en empêchant les personnes de se jeter directement à l'eau, on a réduit considérablement le nombre de suicides car c'était l'acte en lui-même qui était porteur de sens.

Mme Claire-Lise Campion. - Je pense qu'il nous faudra revenir sur les questions importantes que vous avez évoquées, et plus particulièrement sur la nécessité d'un accompagnement sur le problème de la culpabilité pour les proches et sur le risque que pose la reproduction d'un acte suicidaire.

M. Alain Milon. - Je trouve importante la distinction que vous avez opérée entre les personnes fragiles et les situations qui fragilisent. Vous avez noté que les adolescents sont ceux qui font le plus de tentatives de suicides, mais qu'ils en meurent moins, puisque le pic de décès se situe entre trente et soixante ans. Ces personnes ont-elles fait des tentatives de suicide à l'adolescence ? Enfin, vous avez parlé de l'immolation comme acte suicidaire : quelle est votre analyse des suicides terroristes ?

M. Gérard Roche. - J'ai longtemps été médecin rural, et j'ai été confronté aux mystères du suicide. Il existe de multiples types de suicides, et des différences importantes selon les territoires. Je suis d'accord avec vous que le volet sanitaire de la prévention doit être personnalisé et doit reposer sur le corps médical. Mais comment faire de la prévention quand il n'y a plus de psychiatres, et qu'il faut attendre deux à dix-huit mois pour une consultation ? S'agissant du volet social, il me semble que l'éducation a un rôle essentiel à jouer, et il faut qu'aucun jeune ne perde le sentiment que sa vie a un sens. Les conduites addictives, certains jeux dans les cours de récréation, ou certaines pratiques sportives qui sont à mes yeux des jeux de mort, doivent faire réfléchir. S'agissant du suicide en entreprise, je tiens à souligner que personne n'est à l'abri, même dans les petites structures. Par ailleurs, je pense qu'il faut effectivement traiter avec attention le choc de la précarité et éviter de donner dans le discours du désenchantement global. Je souhaiterais enfin citer un écrivain que nous aimons pourtant peu, Céline, qui disait qu'il faut mettre de la musique dans nos coeurs pour faire danser nos vies.

Mme Annie David, présidente. - Au Québec, je note qu'il n'y a pas de séparation entre les aspects sociaux et sanitaires de la prévention. Il y a un discours très évolué sur la santé mentale, à la différence de la France qui catalogue encore trop les personnes. Le suicide y est considéré comme une mort évitable et je partage avec vous la conviction qu'il faut agir pour diffuser cette idée.

Pr Michel Debout. - Le Québec mène effectivement des initiatives intéressantes en matière de prévention, mais la France a également été pionnière en créant notamment la journée nationale de prévention du suicide. Il me semble important que l'on puisse rassembler les forces pour renforcer tant le bien-être individuel que le bien-être social, et ne pas considérer seulement le premier. En matière de recherches, les neurosciences peuvent certainement nous apporter beaucoup, mais sans négliger pour autant d'autres approches : il faut voir l'individu comme un tout, biologique, éducatif, affectif, social et symbolique. Nous ne souhaitons pas la mise en place d'un observatoire qui serait purement administratif, il faut qu'il soit porté par les acteurs de terrain, et il doit disposer d'une réelle autonomie. Il faut utiliser tous les indicateurs qui existent et tous les moyens de communication : j'avais moi-même initié une bande dessinée sur les effets d'un plan social dans une entreprise ; on pourrait imaginer la même chose pour le monde rural. En ce qui concerne les familles, l'important est de leur permettre de parler et de rompre avec l'opprobre. J'ai tendance à penser qu'il est heureux que le suicide garde une part de mystère, car cette altérité est constitutive de l'humanité.

M. Jean-Claude Delgènes. - Sur la question des indicateurs, le problème que mon cabinet a rencontré est qu'il a été accusé de les utiliser comme moyen de communication quand il a voulu en publier. Il existe des sources potentielles importantes, les sociétés de prévoyance et les assurances, qui disposent de nombreux chiffres, mais ceux-ci ne sont pas réunis. A mon sens, l'observatoire devrait être ouvert sur la société civile. Il faut que ce soit un lieu de vie en phase avec notre réalité quotidienne. Des progrès ont été accomplis, par exemple s'agissant du suicide en prison. Mais pour le monde agricole, on vient seulement de publier la première étude sur le sujet, financée par la mutualité sociale agricole. Dans le cadre d'un colloque que nous avions organisé, Boris Cyrulnik a indiqué que les populations africaines, étant donné le lien précoce entre l'enfant à naître et la famille, connaissent un taux de suicide moins élevé. Il faut donc réfléchir au lien social, la carence collective en matière de prévention entraîne en effet une surmortalité et des drames. On considère qu'1,4 % de la population française est schizophrène. Cette proportion se retrouve donc au sein de la population professionnelle. Ceci implique que le travail, qui contient nos vies, est un facteur de protection. Il faut travailler sur le mieux-vivre ensemble dans les entreprises, car les nouveaux univers professionnels, loin d'être protecteurs, sont parfois des facteurs précipitants. Les entreprises sont l'une des bases sur lesquelles on peut faire des progrès. Une autre base est la précarité liée au repositionnement professionnel. La situation actuelle est inacceptable : dans le cadre d'un plan social, il n'y a pas de bilan systématique des plans de repositionnement.

Mme Annie David, présidente. - Il y a souvent néanmoins des réunions organisées en préfecture, mais peut-être les informations données sont-elles insuffisantes.

M. Didier Bernus. - Je pense qu'il est important d'appuyer les initiatives qui existent en matière de recherche. Par ailleurs, le suicide préadolescent concerne un nombre très faible de personnes, environ cinquante par an, mais l'impact émotionnel est particulièrement fort. Je pense aussi qu'il faut rectifier quelques éléments de langage : on entend trop souvent qu'il y a des suicides ratés ou des suicides réussis ; il faut parler de tentatives. Le nombre de psychiatre est effectivement un problème, et les délais dans certains centres médico-psychologiques sont difficilement acceptables. Enfin, je souhaite rappeler que le suicide donne l'illusion de la maîtrise, alors que l'on est le jouet de son mal-être.

Pr Michel Debout. - Une personne qui a déjà fait une tentative de suicide a un risque quarante-cinq fois plus important que les autres de mourir de sa propre main. S'agissant des attentats, je pense qu'ils reposent d'abord sur la volonté de faire du mal aux autres, quitte à le payer de sa vie, ceci pour moi n'a rien à voir avec le suicide.

Situation des finances sociales - Communication de M. Yves Daudigny, rapporteur général

M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Je vous présente aujourd'hui les principaux éléments du rapport d'information que publiera cette année encore la commission en vue du débat d'orientation des finances publiques programmé le 4 juillet prochain.

Ce débat, qui permettra de préparer l'examen des deux textes financiers de l'automne, se déroulera dans un contexte économique marqué par la progression continue du chômage et par des perspectives de croissance incertaines. Je vous rappelle à cet égard que l'hypothèse de croissance de + 0,8 % sur laquelle ont été établis les PLF et PLFSS pour 2013 a dû être révisée à + 0,1 % dans le cadre du programme de stabilité 2013-2017 transmis à la commission européenne fin avril. Au-delà de l'aspect anecdotique, cette hypothèse joue un rôle essentiel dans la définition du niveau de nos déficits, dans le respect de nos engagements européens et dans notre crédibilité internationale. Une révision à la baisse de 1 % des prévisions du PIB entraine en effet mécaniquement une hausse de 0,5 point de la prévision de déficit public.

Dans ce contexte, le Gouvernement a pris les décisions nécessaires pour réduire les déficits qui pèsent sur nos budgets et nous privent de marges de manoeuvre importantes. L'ajustement structurel, d'une ampleur sans précédent, a été amorcé par les textes financiers votés à l'été et à l'automne dernier. Malgré une croissance nulle, le déficit public a été ramené à 4,8 % du PIB en 2012 (après 5,3 % en 2011), au prix d'un ajustement structurel de 1,2 point de PIB. En 2013, l'effort structurel, porté à 1,9 point de PIB, permettrait d'atteindre un déficit public nominal de 3,7 % du PIB.

Jugeant que l'adoption de mesures supplémentaires pousserait la France en récession, le Gouvernement a ainsi convaincu ses partenaires européens de reconnaître les efforts déjà fournis et d'accepter de reporter à 2015 le retour du déficit sous la barre des 3 %. Il s'est néanmoins engagé à ramener le déficit public à 2,9 % du PIB en 2014 et à l'équilibre structurel en 2016.

Après avoir porté majoritairement sur les hausses de recettes, l'effort d'ajustement devrait désormais concerner la réduction des dépenses publiques. Le débat de jeudi prochain sera l'occasion d'aborder ce point et d'interroger le ministre des finances sur ses intentions en ce domaine.

Les administrations de sécurité sociale participeront bien entendu à cet effort sans précédent de maîtrise de la dépense publique. Ce choix correspond à la mise en oeuvre d'un principe de bonne gestion, le principe d'équilibre des différentes branches qui composent le régime général étant inscrit dans le code de la sécurité sociale. Il répond également à un principe de justice intergénérationnelle. Financer les prestations sociales d'aujourd'hui par des déficits et de la dette, c'est reporter des charges sur les générations à venir tout en hypothéquant leur niveau de protection sociale.

A cet égard, quelle est la situation des finances sociales en ce milieu d'année 2013 ?

Conformément à l'objectif de redressement des comptes sociaux fixé par le Gouvernement, les prévisions fixées en loi de financement pour 2012 ont été atteintes.

Le déficit d'ensemble des différentes branches du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) est même repassé pour la première fois depuis 2008 sous les 20 milliards pour s'établir à 17,5 milliards d'euros. A lui seul, le solde des différentes branches du régime général s'est amélioré de plus de 4 milliards par rapport à 2011.

Ce déficit reste sans doute trop élevé. Mais il doit être comparé, dans un contexte économique pourtant moins favorable, au point bas historique atteint en 2010 - soit 28 milliards de déficits pour les comptes du régime général et du FSV.

Au niveau des dépenses, l'Ondam a ainsi été inférieur à l'objectif fixé en 2012. Selon le constat issu des comptes du régime général, les dépenses de l'assurance maladie se sont élevées à 170,3 milliards d'euros, soit 870 millions de moins que l'objectif fixé par la loi de financement pour 2012 et 520 millions de moins que l'estimation des dépenses de 2012 retenue à la dernière rentrée pour la construction de l'Ondam 2013.

Mais cette amélioration des comptes sociaux est surtout le fruit des nouvelles recettes votées dans le cadre de la loi de finances rectificative du 16 aout 2012. Les mesures de suppression des niches fiscales - recommandées par la Cour des comptes depuis juillet 2011 - et le relèvement des taxes sur le capital - déjà proposé par la majorité du Sénat dans le cadre du PLFSS pour 2012 - ont largement contribué à la croissance de 4,4 % des produits du régime général en dépit du ralentissement de leur croissance spontanée.

Le découvert de trésorerie de l'Acoss s'est quant à lui établi à plus de 16 milliards d'euros au 31 décembre 2012.

Je tiens à cet égard à vous rappeler que si la LFSS pour 2011 a programmé la reprise annuelle des déficits de la branche vieillesse et du FSV jusqu'en 2018, rien n'a à ce jour été prévu pour les déficits des branches maladie et famille du régime général à compter de 2012. Ces déficits, financés en trésorerie par l'Agence, contribuent donc à peser sur les résultats de l'Acoss et à dégrader les comptes du régime général.

Au regard des taux courts particulièrement attractifs dont bénéficient les organismes publics, la question du transfert des déficits de l'ensemble des branches à la Cades est sans doute moins stratégique qu'il y a quelques années. Mais je tiens néanmoins à rappeler la position de principe de la commission sur le sujet : dette et trésorerie ne doivent pas être confondues et il convient de s'interroger sans tarder sur les conditions prochaines d'un transfert à la Caisse d'amortissement de la totalité des déficits constatés.

Si l'année 2012 a été marquée par un recul considérable des déficits sociaux, l'année 2013 devrait se caractériser par leur stabilisation.

Pénalisé par une croissance quasi nulle et - surtout - par une progression de la masse salariale moins dynamique que prévue (1,3 % contre 2,3 % retenus dans le cadre du PLFSS), le déficit du régime général et du FSV devrait s'établir à 17,3 milliards d'euros en fin d'année soit une réduction de 200 millions d'euros par rapport à l'année passée.

En dépit de 5 milliards d'euros de recettes nouvelles, le solde du régime général devrait se dégrader d'un milliard en 2013 pour atteindre 14,3 milliards d'euros.

Tous postes confondus, les dépenses de l'Ondam pour l'année 2013 devraient pourtant être contenues. Le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie a ainsi considéré dans son avis du 31 mai dernier qu'une « prévision prudente prenant en compte tous les aléas négatifs conduit pour 2013 à un montant de dépenses inférieur de 200 millions d'euros à l'objectif ». Mais le très faible dynamisme des ressources de la Cnam, en particulier la faible progression des recettes nettes de CSG - qui représentent 35 % des produits de la caisse - devrait contribuer à aggraver le déficit de la branche de 2 milliards d'euros.

Le même paradoxe est perceptible pour les comptes de la Cnaf. En dépit du ralentissement des dépenses lié à l'évolution modérée de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), les comptes de la branche famille seraient pénalisés par la décélération des produits, reflétant l'impact du ralentissement de la masse salariale sur les recettes de cotisation et de CSG, qui représentent 83 % de son financement.

S'ils devaient se confirmer, ces chiffres s'écarteraient sensiblement des objectifs votés dans le cadre de la loi de financement pour 2013. Par rapport aux tableaux d'équilibre adoptés le 17 décembre 2012, le solde du régime général se dégraderait de près de trois milliards tandis que le déficit du FSV progresserait de 500 millions d'euros.

Les comptes du régime général semblent être une illustration du mythe de Sisyphe ! Malgré les recettes supplémentaires, malgré la maîtrise des dépenses, le déficit peine à diminuer, traduisant l'importance des variables exogènes telles que l'évolution de la masse salariale et l'existence de déficits structurels non corrigés au moment où la conjoncture économique était favorable.

Au total, près de 13 milliards d'euros de recettes nouvelles auront été votées entre septembre 2011 et septembre 2012 afin de rompre avec la dérive des comptes sociaux constatée entre 2009 et 2011, pour une réduction effective des déficits du régime général de 3 milliards d'euros !

Nous n'avons certes pas à regretter ce choix. En l'absence de mesures correctrices, le déficit avoisinerait cette année les 26 milliards d'euros et les perspectives financières seraient de nouveau catastrophiques.

L'écart entre les efforts réalisés - et les résultats obtenus - mettent néanmoins en évidence le chemin restant à parcourir pour atteindre l'équilibre des comptes sociaux.

Cet équilibre comptable n'est certes pas une fin en soi. En période de crise, notre système de protection doit bien évidemment jouer son rôle « d'amortisseur » social. C'est là l'un des piliers de notre « pacte républicain ». Mais comment pourrait-il continuer à le faire lorsque le niveau de ses déficits est tel qu'il remet en cause la soutenabilité des politiques qu'il porte ?

Afin de répondre à ce défi et de restaurer la crédibilité de nos comptes sociaux, le Gouvernement s'est engagé dans la voie des réformes, conformément à la feuille de route déterminée à l'issue de la première conférence sociale de juillet 2012.

S'inspirant des travaux menés par Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la famille, le Premier ministre a ainsi annoncé le 3 juin dernier une série de mesures visant à rendre la politique familiale plus juste et mieux adaptée au besoin des familles d'aujourd'hui. Ces mesures permettront, en augmentant la contribution des ménages les plus aisés au financement de la politique familiale, de garantir des ressources supplémentaires aux familles les plus vulnérables - les familles mono parentales et les familles nombreuses - par le biais d'une hausse de 25 % de l'allocation de soutien familial et de 50 % du complément familial. Elles contribueront aussi à améliorer sensiblement les comptes d'une branche en déficit chronique depuis dix ans en dégageant 1,9 milliard de recettes supplémentaires d'ici 2016 dont 1,3 milliard dès l'an prochain.

Je tiens à préciser qu'en proposant une réduction du montant du plafond de l'avantage fiscal accordé au titre du quotient familial plutôt qu'une mise sous condition de ressources des allocations, la réforme envisagée me parait opportune pour au moins trois raisons :

- elle confirme d'une part le principe d'universalité des prestations familiales auquel nous sommes toutes et tous attachés ;

- elle conforte d'autre part les acquis d'une politique familiale qui, de l'avis général, a jusqu'ici donné d'excellents résultats ;

- elle évite enfin de faire peser sur les Caf de nouvelles contraintes administratives susceptibles d'altérer une fois de plus leur fonctionnement.

S'agissant de l'autre grande réforme de l'automne, à savoir la réforme des retraites, les conclusions rendues par la commission présidée par Yannick Moreau ouvrent, à compter du 4 juillet prochain, la voie à une dernière phase de concertation avec les partenaires sociaux.

Si nul ne connaît aujourd'hui le détail des dispositions du projet de loi qui nous sera présenté en septembre, je tiens néanmoins à rappeler les trois piliers de la réforme évoqués par le premier ministre à l'issue de la conférence sociale. Le texte comprendra ainsi :

- des mesures garantissant le financement des retraites à court terme ;

- des évolutions garantissant la pérennité du système de retraite par répartition ;

- des mesures de justice visant à prendre en compte certaines situations particulières (pénibilité, jeunes, femmes, poly pensionnés...).

Après l'accord conclu entre les partenaires sociaux le 13 mars dernier sur les régimes complémentaires Agirc-Arrco, il s'agit d'une nouvelle étape vers la réduction des déficits de la branche retraite susceptibles de passer, tous régimes confondus, de 15 milliards en 2013 à plus de 20 milliards dès 2016.

Voici, mes chers collègues, les quelques dossiers qui nous attendent dans les mois à venir. Famille, retraites, auxquels je me permets d'ajouter la renégociation de la future convention d'assurance chômage programmée en fin d'année, seront au menu de nos discussions. Il s'agit de sujets sensibles sur lesquels nous allons pouvoir nous expliquer. Il s'agit d'enjeux essentiels sur lesquels nos concitoyens seront extrêmement vigilants. Il s'agit de thèmes structurants qui conditionneront grandement l'avenir de notre pays.

Je souhaiterais conclure mon propos en faisant état des travaux du Haut Conseil du financement de la protection sociale, au sein duquel j'ai l'honneur de vous représenter. Je me limiterai, dans la perspective de la discussion du prochain PLFSS, à vous indiquer les principes dégagés par le Haut Conseil susceptibles de guider l'évolution de la structure de financement des différents régimes.

Alors que nous dénonçons régulièrement la complexité des modalités de financement de notre protection sociale et l'opacité de la tuyauterie imaginée pour en assurer la mise en oeuvre, ces recommandations, si elles étaient suivies, permettraient à chacun d'y voir plus clair.

Le Haut Conseil préconise ainsi la définition de schémas de financement pérennes pour chacun des grands risques de la protection sociale. Une telle démarche permettrait de considérer les problèmes d'équité dans leur ensemble et de limiter les transferts de couvertures entre les régimes au gré de leurs besoins propres de financement, avec des incidences parfois mal prises en compte sur les droits des assurés.

Le Haut Conseil appelle également à la prise en compte de la dynamique des diverses sources de financement. Il s'agit de veiller à ce que les recettes complémentaires ou alternatives aux ressources transférées permettent d'accompagner la dynamique de moyen terme des risques auxquels elles sont affectées. Par le passé, il nous est arrivé de substituer des produits peu dynamiques à des ressources en fortes progression. Je pense ici à la Cnaf qui s'est vu attribuer, en lieu et place d'une part de CSG, le « préciput assurance vie » dont le rendement diminue de 200 millions d'euros par an pour s'éteindre définitivement en 2020.

Le Haut Conseil appelle également de ses voeux une affectation plus rationnelle des impôts et taxes affectés aux différents régimes ou aux différentes branches.

Il préconise enfin l'amélioration de la gouvernance des modes de financement de la protection sociale grâce à la publication, dans une annexe au PLFSS, des données relatives aux dépenses et aux recettes de l'ensemble des régimes de protection sociale, y compris les régimes complémentaires de retraite et d'assurance chômage. Cette innovation, que j'avais appelée de mes voeux lors de l'examen de la loi de programmation des finances publiques 2013-2017, nous permettrait d'assurer un suivi global, rapproché et régulier des modes de financement de l'ensemble des dépenses de protection sociale par grands risques.

J'ai bon espoir que ces principes de bon sens guident notre action au cours des mois à venir afin de renforcer la lisibilité et, par conséquent, l'acceptabilité de notre système de protection sociale.

M. Gilbert Barbier. - Je crains que la présentation du rapporteur général soit encore trop optimiste et que les hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement doivent être prochainement révisées.

Je souhaiterais par ailleurs connaître les propositions du Haut Conseil du financement de la protection sociale relatives à l'évolution des modalités de financement de la branche famille.

Ma dernière question porte sur la branche maladie, dont les comptes sont appelés à se dégrader en 2013. Dans la mesure où de récents rapports laissent entendre qu'il serait possible de limiter les dépenses de santé, le Gouvernement envisage-t-il de diminuer le montant de l'Ondam ?

M. Yves Daudigny, rapporteur général. - L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) vient effectivement d'annoncer un chiffre de croissance du PIB égal à - 0,1 % pour l'année 2013, légèrement inférieur à celui retenu par le Gouvernement dans le cadre du pacte de stabilité 2013-2017 présenté à Bruxelles en avril dernier. Les conséquences financières d'un tel écart restent néanmoins limitées.

Si les perspectives de croissance sont inquiétantes, certains éléments permettent d'espérer une amélioration du contexte économique. La production manufacturière et les exportations ont ainsi dépassé les prévisions au mois d'avril. Il convient toutefois de reconnaître que la croissance devrait être nulle pour la deuxième année consécutive dans notre pays, ce qui ne facilite pas la réduction des déficits du régime général de la sécurité sociale.

Concernant l'Ondam, il faut se féliciter du respect des objectifs fixés. Cela n'a pas été toujours le cas par le passé. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 prévoit d'ailleurs un nouvel effort en 2015, année au cours de laquelle l'objectif de dépenses passera à 2,5 % par an. Avant d'aller plus loin, il faut en mesurer les conséquences sur le fonctionnement des hôpitaux et sur l'efficacité de l'ensemble de notre système de soins.

Demande de saisine pour avis et nomination d'un rapporteur
pour avis

La commission décide de se saisir pour avis, sous réserve de son dépôt, du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes dont la commission des lois sera saisie au fond.

Elle nomme Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de ce projet de loi.

Politique familiale - Audition de Mme Dominique Bertinotti, ministre chargé de la famille

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille, sur la politique familiale.

Mme Annie David, présidente. - Je remercie Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille, d'avoir bien voulu venir devant notre commission pour évoquer l'avenir de la politique familiale.

Vous le savez, le Premier ministre a présenté le 3 juin dernier un ensemble de mesures visant à réorienter les aides aux familles, qu'elles soient de nature fiscale ou sociale, avec l'objectif de résorber une partie du déficit de la branche famille, déficit dont nous savons qu'il résulte essentiellement de décisions prises ces dernières années en matière de recettes.

Par ailleurs, les discussions sont toujours en cours sur la prochaine convention d'objectifs et de gestion (COG) de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) pour les années 2013 à 2017. Nous avons évoqué à de nombreuses reprises dans cette commission les difficultés actuelles des caisses d'allocations familiales (CAF), qui sont de moins en moins en mesure de faire face dans de bonnes conditions à leur charge de travail. C'est dire l'importance des choix qui seront effectués dans la prochaine COG en termes de moyens humains et de moyens d'intervention, au travers notamment du fonds d'action sociale.

Je souhaiterais, madame la ministre, que vous puissiez nous présenter les différentes décisions annoncées par le Premier ministre en matière de prestations familiales et d'avantages fiscaux liés à la situation familiale.

Nous voudrions également que vous fassiez le point sur l'état des discussions relatives à la prochaine COG, en distinguant peut-être ce qui est d'ores et déjà acquis et ce qui reste en débat.

Je vous propose de commencer par un exposé liminaire avant d'engager le débat avec nos collègues.

Mme Dominique Bertinotti, ministre chargé de la famille. - Je reviendrai sur les grandes lignes de notre politique familiale qui repose sur deux piliers : les prestations financières et les services, au développement desquels nos concitoyens sont particulièrement attachés. Il existe en effet une aspiration à ce que les services d'accueil de la petite enfance et de soutien à la parentalité soient offerts à tous, conformément au principe d'universalité.

S'agissant de notre mobilisation en matière de services offerts aux familles, le Premier ministre a annoncé un plan quinquennal, la durée de la COG actuellement en préparation ayant été portée de quatre à cinq ans.

Dans ce cadre, les objectifs fixés sont à la fois quantitatifs et qualitatifs. Au plan quantitatif, nous visons 275 000 nouvelles solutions d'accueil pour les enfants de 0 à 3 ans. Elles se ventileront de la façon suivante : 100 000 places en crèche, 100 000 enfants supplémentaires accueillis par des assistant(e)s maternel(le)s et 75 000 places au titre de la préscolarisation des 2-3 ans. Cela se traduit par une augmentation substantielle, de l'ordre de 7,5 %, du fonds national d'action sociale (Fnas). Je rappelle que dans la précédente COG le niveau du Fnas est passé de 4 milliards à 4,6 milliards d'euros alors qu'il s'élèvera à 6,6 milliards à la fin de la prochaine COG.

Cet effort financier important est motivé par la volonté de corriger les profondes inégalités territoriales et sociales dont pâtit notre territoire : selon la Cnaf, les écarts vont de 1 à 10, les solutions d'accueil pour 100 enfants de moins de 3 ans variant selon les départements de 9 à 90 %. Ces inégalités territoriales sont jugées d'autant plus insupportables que l'on demande à nos concitoyens de faire preuve de mobilité.

Les inégalités sont également sociales. Dans les familles précaires, qui ont le moins accès aux modes d'accueil des enfants de 0 à 3 ans, plus de 90 % des enfants sont gardés par leur mère. Ces inégalités en génèrent d'autres. Je pense en particulier aux futures inégalités scolaires auxquelles seront exposés les enfants.

Je note d'ailleurs que les parents ne souhaitent plus aujourd'hui simplement faire « garder » leurs enfants mais veulent que ceux-ci soient accueillis dans un cadre qui contribue plus largement à leur éveil. A cet égard, tandis que 55 000 enfants de 0 à 3 ans ont été déscolarisés dans un passé proche, nous allons créer 75 000 places de préscolarisation.

L'effort portera également sur le soutien à la parentalité puisque le budget inscrit dans la précédente COG doublera pour s'élever à 100 millions d'euros. Nous faisons face à de véritables déserts territoriaux  dans ce domaine : certaines zones du territoire ne sont pourvues d'aucune forme de soutien à la parentalité, que celui-ci soit assuré par des associations ou des collectivités. La demande est pourtant grande, en particulier chez les familles monoparentales.

Deux lignes budgétaires supplémentaires ont été créées. La première consiste en un fonds de correction des inégalités territoriales. Dans les zones où le déficit en matière d'accueil des enfants de 0 à 3 ans est particulièrement significatif, en sus des fonds traditionnels du Fnas, la Cnaf fournira ainsi un soutien financier aux initiatives visant à corriger les inégalités. La seconde prend la forme d'un fonds d'accompagnement destiné à aider plus spécifiquement les collectivités qui connaissent des difficultés dans la pérennisation de leurs structures, des difficultés de gestion ou des difficultés de mise en adéquation avec la circulaire de la Cnaf en matière de fourniture de repas.

Afin d'établir ces objectifs, nous avons suivi une nouvelle méthode qui privilégie la concertation de toutes les parties prenantes et la consultation citoyenne. Dans quatre régions, des parents ont été tirés au sort pour réfléchir à leurs attentes en matière d'accueil de la petite enfance et de soutien à la parentalité. Tous les acteurs locaux ont également été réunis.

Face au large éventail d'intervenants dans le secteur de la petite enfance (conseils généraux, communes et intercommunalités, associations gestionnaires), nous nous sommes ainsi aperçus que nous manquions d'un véritable pilote. Or, nous ne pouvons plus faire dépendre le développement de la politique de service en matière de petite enfance du bon vouloir des uns et des autres. A l'issue de la réflexion entreprise avec l'ensemble de ces partenaires dans le cadre de la modernisation de l'action publique, nous allons donc mettre en place au niveau de tous les départements des schémas territoriaux de la petite enfance et de la parentalité dont le préfet sera le pilote.

A cet égard, il reviendra aux communes ou aux intercommunalités de faire part au préfet de leurs choix et priorités. Le préfet réunira alors l'ensemble des partenaires, y compris les CAF et les conseils généraux, pour définir des objectifs. Dans chaque territoire, il faudra hiérarchiser les priorités et assortir leur réalisation d'un calendrier. Les fonds seront affectés en fonction des priorités définies dans le schéma territorial de la parentalité et de la petite enfance tel qu'acté par le préfet.

La consultation que nous avons menée a également montré la nécessité de professionnaliser les métiers de la petite enfance. S'agissant de la formation initiale, nous devrons nous pencher sur le contenu du certificat d'aptitude professionnelle (CAP), du brevet d'études professionnelles (BEP) ou encore du bac professionnel. Quant à la formation continue, celle-ci devra faire partie intégrante des obligations des assistant(e)s maternel(le)s. Dans cette perspective, nous devrons travailler avec les régions, compétentes en matière de formation professionnelle.

Enfin, s'agissant de la branche famille, le rapport Fragonard a évoqué de nombreuses pistes d'évolution. Dans l'avenir, il faudra s'interroger sur l'architecture des prestations. Dans l'immédiat, il s'agissait surtout de réduire le déficit de la branche famille et d'établir une plus grande justice. Ce rapport proposait soit une modulation des allocations familiales, soit une réforme du quotient familial. Le Gouvernement s'est engagé dans la voie d'un abaissement du quotient familial qui concernera 12 % des familles.

Parallèlement, cette mesure permettra de revaloriser deux prestations à destination des familles les plus précaires : le complément familial, destiné aux familles de plus de trois enfants, et l'allocation de soutien familial, visant les familles monoparentales. Ces mesures contribueront à lutter contre la précarisation, en particulier celle des familles monoparentales. Je rappelle que l'Unicef a pointé du doigt le taux de pauvreté des enfants encore bien trop élevé en France.

Mme Isabelle Pasquet, rapporteure pour la branche famille. - Les mesures annoncées par le Premier ministre lors de la réunion du Haut Conseil de la famille (HCF) du 3 juin dernier ont le mérite de dégager des économies pour redresser les comptes de la branche tout en renforçant le caractère redistributif de certaines prestations familiales. Cependant, elles ne répondent que très partiellement à la nécessaire modernisation de l'architecture et des outils de la politique familiale.

Lors de votre audition devant notre commission à l'occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, vous aviez convenu que le système actuel était trop complexe et qu'il était indispensable que la prochaine COG prévoie des mesures de simplification. Qu'en est-il ?

Par ailleurs, dans un récent référé concernant l'action sociale de la branche famille à destination de la jeunesse, la Cour des comptes constate que cette politique, pourtant dotée de moyens financiers significatifs et en forte augmentation, est peu lisible et peu redistributive.

Quelles suites comptez-vous donner à ce référé ? La nouvelle COG tient-elle compte des recommandations formulées par la Cour ?

M. Yves Daudigny, rapporteur général. - J'ai eu l'occasion, ce matin, de rappeler mon soutien à l'orientation prise par le Gouvernement en matière de réduction du déficit de la branche famille.

Compte tenu de la conjoncture économique, le surcroît de recettes obtenu grâce à la diminution du plafond du quotient familial sera-t-il intégralement reversé à la branche famille ? Une partie des économies réalisées par le biais de cette réduction de niche fiscale pourrait-elle plutôt être utilisée pour financer le budget de l'État ? D'un point de vue technique, quelles seront les modalités retenues pour transférer les sommes issues de cette opération vers la Cnaf ?

A combien estimez-vous le surcroît de dépenses occasionné par la majoration de 50 % du complément familial et par la revalorisation de 25 % de l'allocation de soutien familial ?

Les prévisions réalisées par la commission des comptes de la sécurité sociale laissent entrevoir pour 2013 une dégradation des comptes de la branche famille supérieure à celle envisagée dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale : 3,2 milliards d'euros contre 2,5 milliards initialement prévus, soit 700 millions d'écart. D'autres mesures de résorption du déficit de la branche pourraient-elles être envisagées pour tenir compte de cette évolution inattendue ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille. - La rénovation de la politique familiale que nous proposons entend effectivement enrayer la dégradation des comptes de la branche famille. Ce n'est pas pour autant que la modernisation de l'architecture des prestations familiales est mise de côté ; elle fait toujours partie de nos objectifs. Ce chantier reste à mener.

La simplification des outils de la politique familiale est une autre problématique, à laquelle la COG va apporter des réponses. Quels sont les enjeux ? D'une part, faciliter les démarches des allocataires, d'autre part, alléger le travail des personnels des CAF. Autrement dit, améliorer les conditions de travail dans les CAF pour offrir une meilleure qualité de service public.

Le développement de la dématérialisation est l'une des pistes envisagées. La CAF de Montbéliard, que je suis allée visiter, met ainsi à disposition de ses allocataires un accès à internet et leur fournit des explications sur le fonctionnement de cet outil.

L'objectif de simplification requiert, en tout état de cause, un engagement à la fois de la Cnaf, pour ce qui est des démarches administratives, et de l'Etat, pour ce qui concerne la réglementation relative aux prestations.

S'agissant du référé de la Cour des comptes, qui constate une utilisation imparfaite voire inefficace des crédits destinés au secteur de l'adolescence, je ne peux qu'abonder dans ce sens. Ce secteur est en déshérence car, ces dernières années, nous avons porté nos efforts sur la petite enfance et non pas sur la tranche d'âge des 11-16 ans. Se pose dès lors la question du financement d'actions qui n'ont pas prouvé leur efficacité.

Sur l'affectation à la branche famille des recettes nouvellement dégagées, il faut reconnaître que le scenario de la modulation des allocations familiales avait le mérite de ne pas poser ce problème ! Il est clair que les modalités techniques de ce mécanisme devront être définies à l'automne, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances.

Enfin, pour ce qui est des autres sources d'économie envisageables, j'ai envie de vous dire : faites des propositions ! Toute la difficulté consiste à trouver un équilibre entre le maintien du niveau des prestations familiales et la résorption du déficit de la branche. Pour le moment, le Gouvernement n'envisage pas de réformer d'autres prestations.

Mme Isabelle Debré. - J'ai entendu parler de 250 000 nouvelles solutions d'accueil pour les jeunes enfants, or vous avez évoqué le chiffre de 275 000 places. Quelle est la bonne estimation ? Comment se répartissent ces places entre l'accueil collectif et l'accueil individualisé ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille. - Nous parlons bien de 275 000 nouvelles solutions d'accueil, dont 100 000 places de crèches, 100 000 places auprès des assistant(e)s maternel(le)s et 75000 places en école maternelle pour les moins de trois ans.

Mme Isabelle Debré. - Les inégalités territoriales en matière d'offre d'accueil sont, il est vrai, un réel problème. Nous savons très bien qu'il existe des écarts de richesse entre les collectivités locales tels que toutes n'ont pas la capacité d'ouvrir de nouvelles places.

A la création de ces 100 000 places d'accueil collectif supplémentaires s'ajoute la réforme des rythmes scolaires. Nous sommes contactés par des maires, affolés par le coût que ces mesures vont engendrer. Avez-vous consulté l'association des maires de France (AMF) ?

En matière de petite enfance, nous manquons souvent de personnels qualifiés. Ne pourrait-on pas prendre appui sur le dispositif de la valorisation des acquis de l'expérience (VAE). Avez-vous envisagé cette piste ?

Mme Gisèle Printz. - De nombreuses communes envisagent d'ouvrir des maisons d'assistant(e)s maternel(le)s, mais se pose la question du financement de telles structures. Quelles garanties pouvez-vous nous apporter sur ce sujet ? Par ailleurs, de plus en plus de parents se regroupent pour créer des structures d'accueil ; ce sont les micro-crèches.

M. René-Paul Savary. - Je suis sidéré par l'organisation territoriale que vous nous proposez, Madame la ministre ! Alors que les départements élaborent, en partenariat avec l'ensemble des acteurs, des schémas de la petite enfance contenant des objectifs précis, sont compétents en matière de protection maternelle et infantile (PMI) et ont la responsabilité de la protection de l'enfance, vous les dessaisissez du pilotage de cette politique au profit du préfet ! C'est un très mauvais signal que vous leur envoyez. Une tout autre solution aurait été de revaloriser leur action.

M. Jean-Noël Cardoux. - Je souscris totalement à la remarque de mon collègue. Dans mon département, le Loiret, nous définissons un schéma de la petite enfance tous les cinq ans et l'évaluons tous les deux ans. Cela fonctionne très bien. C'est une forme de recentralisation que vous nous proposez !

S'agissant des 275 000 nouvelles places, quel sera le montant de l'enveloppe financière affectée ? Il faudrait, par ailleurs, profiter de cette réforme pour supprimer certaines structures consultatives particulièrement redondantes.

Notre groupe n'est favorable ni à une réduction du plafond du quotient familial, ni à une modulation des allocations familiales. Je partage toutefois l'interrogation du rapporteur général quant aux modalités de réaffectation à la branche famille du surcroît de recettes attendu de cette réforme. Vous ne semblez pas pleinement assurée que ces économies seront bien réattribuées à la branche ! Je rappelle, à ce sujet, qu'une partie voire la totalité de ses difficultés financières résulte de la prise en charge de prestations auparavant assumées par la branche vieillesse. Dans l'hypothèse où la branche retrouverait à terme l'équilibre financier, reviendrez-vous sur la diminution du plafond du quotient familial ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre chargé de la famille. - Nous ne sommes pas responsables de l'affectation à la branche vieillesse de recettes provenant de la branche famille, décidée par la précédente majorité. Ceci étant dit, nous devons surtout garder à l'esprit que la réduction du déficit de la sécurité sociale est un objectif commun. Cet objectif doit être apprécié toutes branches confondues ; chacun doit y prendre sa part.

Indépendamment du déficit de la branche famille, la politique familiale ne donne pas entière satisfaction puisque, après impôts, une famille modeste perçoit moins qu'une famille aisée. Nous devons y apporter des réponses.

S'agissant des schémas territoriaux, s'ils fonctionnaient si bien, nous ne ferions pas face aujourd'hui à de telles disparités dans la couverture par les services d'accueil des enfants et de soutien aux familles ! Certains territoires ruraux renoncent à développer des structures d'accueil.

Nous n'allons pas opérer de recentralisation. Le préfet assurera un rôle de chef d'orchestre et la partition sera écrite par les collectivités dans leur diversité. Nous avons besoin d'un opérateur qui soit le garant des objectifs de correction des inégalités territoriales. La concertation que nous avons menée avec l'ensemble des parties prenantes, y compris les représentants des départements, a permis de faire émerger cette vision des choses, partagée notamment par l'AMF. Le préfet a été choisi car il est perçu comme un interlocuteur neutre. Il ne donnera pas de directives à l'endroit des collectivités. Celles-ci continueront à exercer leurs responsabilités dans leur champ de compétences.

Vous affirmez que les schémas territoriaux existent déjà. Cependant, vos différentes interventions soulignent l'existence de divergences dans leurs modalités d'exécution et d'évaluation.

M. Jean-Noël Cardoux. - Nous refaisons des schémas tous les cinq ans et les évaluons tous les deux ans.

Mme Dominique Bertinotti, ministre chargé de la famille. - Il n'en reste pas moins que si nous avons décidé d'allonger d'un an la COG, cela doit contribuer à ce que la notion d'évaluation devienne beaucoup plus commune. Nous ne pouvons attendre cinq ans pour corriger ce qui doit l'être.

Il ne s'agit ni de reconcentration, ni de recentralisation, mais d'une redéfinition du rôle qu'un État moderne doit assumer aujourd'hui dans le cadre de la décentralisation. Il s'agira de fusionner les comités départementaux en matière de petite enfance et de parentalité afin de permettre l'élaboration de véritables schémas territoriaux.

Pour l'ensemble de la France, nous disposons d'une enveloppe de 2,6 milliards d'euros en 2013. Cette enveloppe sera de 3,8 milliards en 2017, ce qui n'est pas négligeable. Les collectivités ne financent qu'une partie du tout ; elles bénéficient du concours des CAF ainsi que d'une hausse et d'une redistribution substantielles du budget du Fnas.

S'agissant de la réforme des rythmes scolaires, 250 millions d'euros ont été budgétés au titre de l'intervention de la Cnaf. Les communes qui s'engagent dans cette voie bénéficieront à la fois du fonds d'amorçage prévu dans la réforme et du fonds Cnaf. La volonté d'accompagnement est donc forte.

Mme Isabelle Debré. - Les inégalités ne sont pas que financières mais aussi foncières.

Mme Dominique Bertinotti, ministre chargé de la famille. - Vous avez raison. Il va être demandé aux CAF d'aider les petites communes, souvent les plus démunies, à établir leur diagnostic en matière de demande.

L'un de nos objectifs est d'établir de véritables passerelles en adaptant les formations et les équivalences. Nous savons, par exemple, que dans certains départements frontaliers du Luxembourg, des infirmières qui n'ont pas trouvé d'emploi en France et n'ont pu se reconvertir dans les métiers de la petite enfance sont accueillies à bras ouverts par le pays voisin.

Les maisons d'assistant(e)s maternel(le)s permettent à ces derniers de se regrouper en un même lieu, de mutualiser leurs compétences et de sortir de leur isolement tout en gardant le même lien contractuel avec les parents. S'agissant du cahier des charges, nous devons peut-être faire preuve d'une exigence accrue et nous attacher à mieux en expliquer le contenu aux parents. Ceux-ci ne s'intéressent pas forcément au statut juridique du mode d'accueil car cela est excessivement compliqué.

Mme Gisèle Printz. - Ces maisons obtiennent-elles un financement par ailleurs ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre chargé de la famille. - Non. Mais il n'existe aucun obstacle à la réflexion. Les modes de garde, qu'il s'agisse de micro-crèches, qui ne présentent d'ailleurs pas nécessairement le système de financement le plus idoine, ou de maisons d'assistant(e)s maternel(le)s, sont en évolution. La Cnaf doit également avoir les moyens d'évoluer.

Mme Michelle Meunier. - Je ne vois pas en quoi la méthode de gouvernance proposée par le Gouvernement représente une menace pour les départements. Elle est, au contraire, gage d'une meilleure organisation de la politique familiale au niveau local. Les départements ont tout à gagner à ce que le préfet endosse un rôle de chef d'orchestre. Cette gouvernance permettra en outre de lutter plus efficacement contre les inégalités territoriales qui, j'ai pu le constater en tant que membre du HCF tout comme ma collègue Catherine Deroche, sont particulièrement fortes en matière d'accueil de la petite enfance. Une remarque toutefois : il ne faudrait pas que cette réforme ait pour effet pervers de pénaliser les bons élèves. Les collectivités, qui font des efforts en matière d'accueil, doivent être soutenues dans leur démarche.

Sur le dossier de la professionnalisation des métiers de la petite enfance, comment comptez-vous procéder ? Engagerez-vous une concertation sur le modèle de ce qui a été fait pour les structures d'accueil avec l'ensemble des acteurs du secteur (associations, régions, organismes de formation...) ?

Mme Catherine Deroche. - Effectivement, les disparités territoriales sont importantes, mais il est vrai aussi que certaines collectivités sont très actives en matière d'accueil des enfants ; c'est le cas de mon département, le Maine-et-Loire. Veillons à ne pas les pénaliser.

Je rappelle que toutes les structures liées à l'enfance font l'objet d'un financement partagé entre la Cnaf et les collectivités. Les maires ont parfois le sentiment d'une course sans fin ; on leur demande d'ouvrir toujours plus de structures d'accueil alors qu'ils font face à des contraintes financières de plus en plus fortes !

S'agissant de l'accueil des enfants âgés de moins de trois ans, sur quel mode d'accueil allez-vous porter vos efforts ? J'ai constaté que les parents ont une nette préférence pour l'accueil collectif car il est plus rassurant que l'accueil individuel. Je ne suis toutefois pas sûre que ce soit la solution la plus adaptée au rythme biologique de l'enfant.

Mme Muguette Dini. - Je trouve votre objectif de 275 000 nouvelles places extrêmement positif, en particulier pour permettre aux femmes de concilier vie professionnelle et vie personnelle.

Les maisons d'assistant(e)s maternel(le)s, dispositif que - vous le savez - je soutiens avec conviction, ont l'avantage d'offrir pour les parents un cadre plus sécurisant que le domicile d'un(e) assistant(e) maternel(le) exerçant seul(e).

Bien sûr, en matière de mode d'accueil, le critère financier joue beaucoup : on sait que cela revient plus cher de confier son enfant à un(e) assistant(e) maternel(le) que de le faire garder en crèche.

Je ne conteste absolument pas l'objectif de 75 000 places en école maternelle pour les enfants de moins de trois ans, mais je m'interroge sur un point : on sait très bien qu'un enfant de moins de trois ans est encore un bébé, or les professeurs des écoles ne sont pas formés pour s'occuper des tout petits. La qualification des personnes qui seront chargées d'accueillir les enfants en préscolarisation est une question majeure.

Mme Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille. - Sur ce sujet, je rappelle que les classes passerelles fonctionnent très bien ; elles sont un « pont » entre les structures d'accueil et l'école. Je plaide fortement pour le développement de ce dispositif, notamment auprès de mon collègue de l'éducation nationale, car cela ne peut se faire que grâce à une organisation plus souple de l'école maternelle.

Mme Isabelle Debré. - Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais il faut faire attention à ce que les parents n'en profitent pas pour demander que leur enfant, une fois âgé de trois ans, saute une classe sous prétexte qu'il a déjà une année de maternelle derrière lui.

Mme Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille. - Vous avez parfaitement raison. C'est pourquoi je crois préférable de développer ce dispositif dans les quartiers défavorisés afin que les parents, qui n'ont pas forcément les moyens financiers de recourir à un(e) assistant(e) maternel(le) ou à un placement en crèche, puissent eux aussi accéder à une solution d'accueil.

Il est vrai qu'il existe, chez les parents, une préférence pour le mode d'accueil collectif. La crèche est souvent perçue comme l'antichambre de l'école avec tout ce que cela emporte en termes de sécurité. Pour les parents, il est inconcevable qu'un incident puisse se produire dans une crèche, tout comme à l'école. Or le risque zéro n'existe pas...

N'oublions pas non plus que la crèche familiale constitue un bon intermédiaire entre l'accueil individualisé et l'accueil collectif.

Mme Muguette Dini. - Tout à fait, mais ce mode d'accueil coûte cher aux collectivités !

Mme Isabelle Debré. - Très juste.

Mme Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille. - Je précise que nous allons, par ailleurs, apporter un soutien financier accru au développement des relais d'assistant(e)s maternel(le)s, qui permettent de concilier accueil individualisé et temps collectif.

S'agissant du reste à charge pour les familles, le HCF a été saisi de cette question dont je mesure pleinement l'importance.

J'ai aussi annoncé l'abrogation prochaine du décret du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans dit « décret Morano » qui, en encourageant le « surbooking » des crèches, a entraîné une baisse inacceptable du taux d'encadrement.

J'ai également conscience de l'essor grandissant du marché des crèches privées dont la logique de rentabilité financière ne manque pas d'interpeller.

Enfin, sur le « plan métiers », j'entends bien entendu mener ce chantier avec l'ensemble des partenaires concernés. Les consultations commenceront dès la signature de la nouvelle COG.

Jeudi 27 juin 2013

- Présidence M. Yvon Collin, puis de M. Roland du Luart, vice-présidents de la commission des finances -

Perspectives des finances publiques - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

La commission procède à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur les perspectives des finances publiques, conjointement avec la commission des affaires sociales.

M. Yvon Collin, président. - Nous accueillons M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, pour l'entendre, conformément à la tradition, sur le rapport qu'elle prépare, en application de la loi organique relative aux lois de finances, avant le débat d'orientation des finances publiques. Le rapport de la Cour des comptes est opérationnel, car il propose des pistes d'économies budgétaires, et prospectif, en développant différents scénarios d'évolution des comptes sociaux ; il accorde aussi une large place aux comparaisons internationales. Il intervient au moment où les autorités de l'Union européenne ont accordé à la France un délai jusqu'en 2015 pour ramener son déficit sous la barre des 3 % du produit intérieur brut (PIB). Comment concilier l'assouplissement de trajectoire du déficit effectif et le maintien d'une trajectoire exigeante de baisse du déficit structurel ? Quel est votre point de vue sur le débat politique qui émerge sur l'exécution 2013, et en particulier sur l'évolution des recettes ?

M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes. - Chaque année, la Cour des comptes remet au Parlement un rapport public sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui livre une analyse, à la fois rétrospective et prospective, de la situation des finances publiques de l'ensemble des administrations publiques (Etat, Sécurité sociale, collectivités territoriales) dont les dépenses représentent 56,6 % de la production nationale en 2012. Ce rapport, destiné à assister le Parlement dans son débat de juillet sur l'orientation des finances publiques, s'adresse aussi au citoyen. La Cour joue ainsi un rôle de vigie indépendante en matière de finances publiques.

Chaque année, ce rapport s'enrichit. L'an dernier, des développements détaillés sur la situation des finances publiques au moment de l'alternance avaient été ajoutés, en réponse à une demande du Premier ministre. Cette année, la Cour a attentivement examiné la situation des finances publiques à mi-année pour déterminer les risques pesant sur la fin de la gestion 2013. Il nous semble qu'il est de notre mission d'apporter au Parlement une analyse la plus complète possible sur le sujet avant que ne s'engage le débat d'orientation sur les finances publiques. La Cour relève à cet égard que les informations qui lui ont été transmises par le ministère des finances ont été moins complètes que l'an dernier.

La France a engagé depuis 2011 l'indispensable redressement de ses déficits publics. Des premiers résultats ont été obtenus. La moitié du chemin a bien été parcourue. Pour autant, si l'atonie de la croissance doit être naturellement prise en compte dans le calendrier du rééquilibrage de nos comptes, les efforts ne doivent en aucune manière être relâchés. La seconde moitié du chemin reste à parcourir et, selon les propres engagements du Parlement et du Gouvernement, elle doit consister, de façon quasi-exclusive, en un effort de réduction du poids de la dépense publique. Cela implique en 2014 et 2015 d'importantes réformes qui devront concerner tous les acteurs publics, et permettre de résorber en priorité les déficits des régimes de sécurité sociale. Tel est le message essentiel de ce rapport.

Depuis de nombreuses années la Cour prône une rupture avec plus de trois décennies de déséquilibre des comptes publics, qui ont conduit la dette, chaque année, à s'accroître pour atteindre 90,2 % du PIB fin 2012, alors que ce ratio était deux fois moindre en 1993 (46 %). Cet appel à un retour à l'équilibre structurel des comptes publics ne repose pas sur le seul attachement formel à des comptes à l'équilibre.

La souveraineté de la France, tout d'abord, est en jeu. Aussi longtemps que notre pays aura une dette élevée, il sera exposé au risque d'une hausse des taux d'intérêts. Jamais le niveau des taux n'a été aussi bas que ces derniers temps ; leur remontée, plus ou moins forte et rapide, est inéluctable ; on observe d'ailleurs, depuis quelques jours, la réapparition de tensions sur les marchés obligataires et un relèvement des taux lié aux perspectives de resserrement de la politique monétaire américaine. Si les taux augmentent d'1 %, la charge des intérêts pour l'État augmente de 2 milliards d'euros l'année suivante et de plus de 12 milliards d'euros au bout de dix ans. Le risque d'un emballement de la dette est réel et peut remettre en cause la souveraineté des Etats concernés. Notre pays a commencé à redresser sa crédibilité en matière de finances publiques, après une dizaine d'années de non-respect de ses engagements ; cette crédibilité reste fragile et doit encore être confortée. L'absence de redressement aurait un effet négatif plus important encore sur l'activité que celui des mesures de redressement. Il serait sanctionné par un alourdissement brutal des charges d'intérêt qui obligerait à mettre en place des politiques très restrictives.

Le retour à l'équilibre structurel des comptes contribuera, en outre, à rétablir la compétitivité de l'économie française. La charge d'intérêts des administrations publiques a atteint 52,2 milliards d'euros en 2012, plus du double de l'effort budgétaire consacré à la recherche et à l'enseignement supérieur. Elle retire à notre pays d'importantes marges de manoeuvre pour relever sur le moyen et long terme son potentiel de croissance. En s'attaquant aux déficits publics, on se donne les moyens de pouvoir remédier à terme au second déficit majeur dont souffre la France, son déficit de compétitivité.

Enfin, le stock de dette accumulé pose de façon croissante une question d'équité entre les générations. La plus grande partie de la dette accumulée correspond en effet très largement à des dépenses de fonctionnement et de transferts sociaux et non à des dépenses d'investissement qui auraient contribué à préparer l'avenir. Dès lors, rien ne justifie que leur charge soit transférée d'une génération sur l'autre.

Ainsi ce sont avant tout des considérations touchant à son intérêt national qui doivent conduire la France à redresser ses comptes publics, et non une contrainte venant de l'extérieur, même si celle-ci n'est pas sans réalité. Comme les mesures de redressement ont un effet négatif à court terme sur l'activité économique, la Cour considère qu'il est logique de viser des objectifs de déficit structurel, corrigé des effets des variations conjoncturelles de l'activité, parallèlement aux objectifs de déficit effectif. S'en tenir à ce seul dernier objectif obligerait à prendre des mesures de redressement, au fur et à mesure que les prévisions de croissance sont revues à la baisse, en ignorant l'effet négatif que ces mesures peuvent avoir sur la situation économique, effet d'autant plus accentué que les pays voisins conduisent de façon concomitante le redressement de leurs comptes.

Le traité européen du 2 mars 2012 prévoit que les engagements des différents Etats en matière de finances publiques sont exprimés en termes de solde et d'effort structurel, notions familières à la Cour, qui raisonne, depuis plusieurs années déjà, en termes de déficit structurel. Toutefois le Pacte de stabilité européen, mis en place au moment de l'entrée en vigueur de la zone euro, continue de reposer principalement sur des critères de solde effectif. Cette notion garde toute sa pertinence dans l'analyse des finances publiques car c'est le niveau du déficit effectif qui détermine l'accumulation de dette nouvelle. Les raisonnements en termes de déficit structurel et effectif sont complémentaires, le premier améliore le pilotage des finances publiques en assurant un meilleur dosage dans le temps des efforts de redressement, et le second permet d'en mesurer les résultats.

La Cour estime que la moitié du chemin de retour vers l'équilibre structurel a été parcourue. En 2010, plus des deux tiers du déficit public étaient indépendants de la crise et présentaient un caractère structurel. Le déficit structurel était alors d'environ 6 % du PIB. Il s'est réduit pour atteindre 4 % fin 2012 et devrait encore se réduire significativement en 2013.

J'en viens à l'analyse de l'année passée. L'effort de redressement des comptes a été très significatif en 2012. L'effort structurel, c'est-à-dire la somme des mesures nouvelles en recettes et de maîtrise des dépenses, a représenté 1,1 point de PIB, un niveau jamais atteint depuis les années 1995 et 1997, au moment de la qualification pour l'euro. Cet effort a été obtenu, en quasi-totalité, par des hausses de prélèvements obligatoires. Le rythme de croissance des dépenses publiques a été ralenti par rapport à la moyenne des années précédentes, pour atteindre 1 % en volume, c'est-à-dire en plus de l'inflation. L'objectif d'une croissance limitée à 0,4 % en volume n'a pas été tenu. Si les normes de dépenses de l'État ont été respectées, ainsi que celles concernant la sécurité sociale, la croissance des dépenses des collectivités territoriales a été plus rapide qu'anticipé, en particulier en matière de dépenses de fonctionnement.

Toutefois, cet effort structurel important ne s'est traduit que par une réduction limitée du déficit public, qui est passé de 5,3 % du PIB en 2011 à 4,8 % en 2012, en raison d'une nette dégradation de la conjoncture. La croissance était de 2 % en 2011 et a été nulle en 2012. La situation fin 2012 demeure préoccupante pour deux raisons principales : tout d'abord que le niveau de déficit est encore très éloigné de celui qui aurait permis de stabiliser la dette, soit 1,3 % du PIB. Dès lors, la dette a continué d'augmenter sur un rythme soutenu, puisqu'elle est passée de 85,8 % du PIB à 90,2 % en un an. Ensuite, malgré l'effort accompli, le déficit de la France se situe toujours au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro, qui est de 4 % et de la moyenne de l'Union européenne, qui est de 3,7 %. En effet les autres pays ont consenti, dans la même période, un effort au moins équivalent à celui de la France. Elle n'a donc pas pu rattraper son retard relatif. Le déficit structurel de la France, ramené à 4 %, demeure deux fois plus important que celui de la zone euro, à 2,1 %. L'Italie a ramené son déficit structurel à 1,4% du PIB. L'Allemagne, quant à elle, est parvenue à dégager un excédent structurel. Dès lors, les trajectoires d'endettement de la France et de l'Allemagne continuent de diverger, la première augmentant le niveau de sa dette pendant que la seconde le réduit.

Ainsi, si notre pays a réduit son déficit structurel, ses finances publiques sont encore loin d'être assainies. Le niveau du déficit demeure très important : il représentait fin 2012 près de 100 milliards d'euros et 8,5 % des dépenses publiques : un mois de dépenses est financé par l'emprunt.

En 2013, l'effort de redressement programmé a été amplifié, pour atteindre 1,9 point de PIB. L'objectif de déficit public fixé à 3 % en loi de finances initiale a été révisé en avril dans le programme de stabilité à 3,7 %. Il pourrait néanmoins être assez sensiblement dépassé. La Cour a évalué le risque sur le produit des recettes et le niveau des dépenses.

S'agissant des recettes, deux formes de risques ont été identifiées. La première porte sur les prévisions de croissance du PIB. Le programme de stabilité table sur une croissance de 0,1 %, prévision qui demeure fragile. Si la dernière prévision de l'INSEE, moins pessimiste que celle de l'OCDE, se réalise, soit une diminution du PIB de 0,1 %, 2 milliards d'euros de recettes manqueront. Le déficit serait alors accru de 0,1 point de PIB. La seconde forme de risque concerne les hypothèses techniques dites d'élasticité, qui mesurent la façon dont le produit des recettes varie en fonction de la croissance. Or ces hypothèses avaient été surestimées dans le projet de loi de finances pour 2013. Elles ont été en grande partie révisées dans le programme de stabilité, mais des fragilités demeurent. Ainsi, la prévision de TVA suppose que les facteurs qui ont provoqué la baisse du produit de cet impôt en 2012 ne joueront pas en 2013. Hors révision de la croissance économique, les risques sur le produit des recettes pourraient atteindre jusqu'à 6 milliards d'euros, soit 0,3 point de PIB.

Selon la Cour, les objectifs de dépenses apparaissent réalisables. Elle a identifié, sur le champ de la norme en valeur, des risques de dépassement d'un ordre de grandeur habituel, soit entre 1 et 2 milliards d'euros, que les redéploiements et annulations de crédits peuvent couvrir. En 2012, 3,7 milliards d'euros avaient été annulés en cours de gestion. Au-delà de ces risques habituels, il convient de souligner l'importance de l'aléa que constitue le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne, qui pourrait être majoré d'1,8 milliard d'euros. En sens inverse, des économies pourraient être constatées sur la charge d'intérêts de la dette. Dans le domaine social, si le rythme actuel de la dépense de soins observée se prolonge, les dépenses pourraient être inférieures de 500 millions d'euros à l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) voté, compensant, au moins pour partie, les risques qui s'attachent à une sous-estimation des dépenses des collectivités territoriales. L'objectif d'une croissance des dépenses publiques dans leur ensemble limitée à 0,9 % en volume, après 1 % en 2012, apparaît, sur la base des informations actuellement disponibles, atteignable.

Au total, la Cour considère que le nouvel objectif de déficit de 3,7 % du PIB retenu dans le programme de stabilité risque d'être dépassé en raison de prévisions de recettes qui demeurent trop optimistes. Il ne faut pas exclure l'hypothèse d'un déficit effectif se situant autour de 4 % du PIB.

Compte tenu de l'ampleur de l'effort programmé et de l'atonie de la croissance économique en 2012 et en 2013, la Cour considère qu'il n'y a pas lieu d'envisager des mesures de rééquilibrage en cours d'année. Elle prolonge en cela le raisonnement de nature structurelle qu'elle avait tenu à l'occasion du rapport public annuel de février dernier. En revanche, il convient que l'effort programmé, le plus important de l'histoire budgétaire récente, soit entièrement réalisé. La plus grande vigilance doit être portée au strict respect des objectifs de dépense.

La même logique de prise en compte de la conjoncture conduit à décaler dans le temps des objectifs de déficit effectif. Le programme de stabilité établi par le Gouvernement prévoit un déficit public inférieur à 3 % en 2014. En réalité, en reprenant les efforts structurels prévus dans le programme de stabilité, soit 1 point de PIB en 2014 et 0,6 point en 2015, mais en retenant des hypothèses plus prudentes en matière de croissance économique et de dynamique des recettes, ce ne serait qu'en 2015 que le déficit public serait ramené à 3 %. Cette analyse rejoint la proposition de recommandation formulée fin mai par la Commission européenne, sur le point d'être adoptée par le Conseil de l'Union européenne. Ce report de deux ans met en évidence le caractère déjà en partie dépassé du programme de stabilité d'avril. Plus fondamentalement, les trajectoires de soldes effectif et structurel de la loi de programmation des finances publiques apparaissent aujourd'hui en décalage manifeste, tant avec les résultats de l'exercice 2012 qu'avec les prévisions du programme de stabilité, en particulier pour 2013. Ces écarts posent la question d'une mise à jour de la loi de programmation qui doit constituer la référence principale en matière de conduite et de surveillance des finances publiques. Le desserrement du calendrier n'autorise aucun relâchement de l'effort structurel de réduction du déficit. L'effort programmé pour 2014 et 2015, soit 1,6 point de PIB au total, s'il est moins important que celui de la seule année 2013, représente une exigence forte, car il est prévu qu'il porte à 80 % sur les dépenses publiques, conformément aux objectifs fixés par le Gouvernement pour rester sur la trajectoire qu'il a tracée et sur laquelle le Parlement s'est prononcé en avril. Ce choix de privilégier désormais le levier des dépenses va dans le sens des préconisations de la Cour depuis plusieurs années. Il représente une rupture par rapport aux années passées, pendant lesquelles le redressement avait été réalisé, en quasi-intégralité, par des mesures de recettes nouvelles. En conséquence, le taux de prélèvements obligatoires a atteint 45 % du PIB en 2012, le niveau le plus élevé jamais atteint. Cette hausse, qui devrait se prolonger en 2013, s'est accompagnée d'une forte instabilité fiscale. Dans un contexte de concurrence entre Etats et de déficit de compétitivité et d'attractivité de notre territoire, il serait contreproductif d'augmenter encore sensiblement ce niveau. Le Gouvernement prévoit un freinage accentué de la dépense publique, dont la croissance en volume serait limitée à 0,4 % en 2014 et à 0,2 % en 2015. En dépit de ce freinage, le programme de stabilité prévoit des mesures significatives de hausse des prélèvements obligatoires à hauteur de 12 milliards d'euros, dont 5 milliards d'euros correspondraient à une compensation de la baisse du rendement de certaines mesures passées et 7 milliards d'euros à un surcroît net de recettes. La Cour estime que ces mesures devraient concerner surtout la sécurité sociale. Ces 7 milliards de mesures nouvelles en recettes en 2014, suivies par une stabilisation en 2015, sont à rapprocher des 33 milliards d'euros votés en 2013, aux 22 milliards d'euros en 2012 et aux 18 milliards d'euros en 2011. Elles devraient en priorité passer par une réduction du coût des niches fiscales et sociales.

Pour réaliser l'effort programmé, d'importantes économies sur la dépense publique devront être dégagées: 13 milliards en 2014, puis 15 milliards en 2015. Cependant, à ce stade, les réformes permettant une réduction du poids de la dépense publique ne sont, pour la plupart, qu'esquissées. La Cour estime que cette réduction est réalisable, si l'on agit rapidement. Prendre des mesures ayant un impact significatif dès aujourd'hui évitera de devoir prendre des mesures plus drastiques demain. Aucun acteur de la dépense publique ne doit par principe être écarté de la participation à l'effort. Les services de l'État et l'assurance maladie, pour lesquels les outils de pilotage de la dépense sont les plus développés, ont subi ces dernières années une contrainte plus forte que les autres acteurs, en particulier les opérateurs de l'État et les collectivités territoriales. Tous les acteurs sont concernés, toutes les formes de dépenses également. La maîtrise de la masse salariale est indispensable. Des économies sur les dépenses d'intervention, c'est-à-dire les subventions et les prestations sociales sont d'autant plus essentielles qu'elles représentent plus de la moitié de la dépense publique et qu'elles ont été peu concernées par les mesures prises jusqu'ici, notamment dans le cadre de la RGPP.

La maîtrise des dépenses passe par des réformes de fond. L'effort à venir est une occasion de rompre avec une culture qui met trop l'accent sur les moyens et pas assez sur les résultats obtenus. La France occupe en 2012 la deuxième place parmi les pays de l'OCDE en matière de dépenses publiques dans le PIB, avec 56,6 %, et se rapproche du Danemark qui occupe la première place. Mais notre pays figure bien plus rarement parmi les premiers lorsque les résultats de ses politiques publiques sont mesurés notamment pour le logement, la formation professionnelle, l'éducation nationale. Trop souvent en effet, le réflexe, lorsqu'il s'agit de régler un problème consiste à apporter des moyens nouveaux. Des dispositifs s'ajoutent aux anciens sans que ces derniers ne soient supprimés. De nombreux dispositifs sont peu suivis ; or, leur étude révèle souvent qu'ils sont insuffisamment ciblés. La tolérance envers ces effets d'aubaine, pour peu que l'objectif principal soit à peu près atteint, a longtemps empêché un nécessaire travail de rationalisation. La multiplication d'acteurs publics, dont les compétences se recoupent souvent, est en elle-même une source de dépenses. Il existe incontestablement d'importantes marges de progrès pour améliorer la performance des politiques publiques et des organismes publics, sans remettre en cause la qualité du service rendu ni les principes du modèle social français. Faire aussi bien, voire mieux, est possible, en dépensant moins. La démarche de recherche d'économies doit être comprise et utilisée comme une opportunité pour initier des réformes plus profondes, touchant à l'adaptation et à la modernisation des politiques publiques. La Cour a montré le mois dernier qu'une révision profonde des modes de gestion des enseignants améliorerait les résultats du système scolaire et répondrait mieux aux attentes des enseignants que la variation des effectifs. Elle a livré en janvier un rapport sur les politiques relatives au fonctionnement du marché du travail mettant en évidence que les dispositifs existants, d'indemnisation du chômage ou de formation professionnelle, ne bénéficiaient que peu à ceux qui en avaient le plus besoin. D'autres rapports de la Cour illustrent le contenu qui peut être donné à des réformes de fond : l'organisation des forces de sécurité, la politique en faveur du sport, les musées, le service de santé des armées, la psychiatrie, les services d'incendie et de secours, etc. Pour faciliter l'acceptation des choix, et réussir dans la conduite du changement, il est préférable que ces réformes structurelles résultent d'un diagnostic aussi partagé que possible. Pour cela, l'outil à privilégier est l'évaluation des politiques publiques, à laquelle concourent le Parlement, la Cour des comptes mais aussi le Gouvernement, par la démarche de modernisation de l'action publique, la MAP. Il est essentiel que les travaux engagés dans le cadre de la MAP aboutissent. Le retard pris dans la mise en place de ces réformes structurelles, le fait que la révision générale des politiques publiques (RGPP) n'apporte plus de nouvelles économies et l'ampleur des efforts à réaliser en 2014 et 2015 rendent nécessaire, à court terme, la mise en place de mesures transversales de freinage de la dépense publique, comme le gel de la valeur du point dans les fonctions publiques ou une moindre progression de l'ONDAM. Cela peut passer également par une moindre revalorisation de certaines prestations sociales, à l'exception des minima sociaux comme le minimum vieillesse ou le revenu de solidarité active. Ces revalorisations inférieures à l'inflation ou modulations pourraient concerner les pensions de retraite, les prestations familiales ainsi que les aides au logement. Pour préserver les retraités les plus modestes, cette mesure pourrait être modulée en fonction du niveau total des pensions perçues.

De telles mesures transversales produisent des effets rapides et substantiels. Elles seront d'autant mieux admises qu'elles seront temporaires et limitées, dans l'attente des indispensables réformes structurelles. Les décideurs doivent définir des priorités, effectuer des choix explicites, améliorer le ciblage de dispositifs qui touchent un trop large éventail de bénéficiaires, reconsidérer des politiques publiques qui n'atteignent pas leurs objectifs ou le font à un coût trop élevé. A cette fin, la Cour livre dans la cinquième partie de ce rapport un éventail de réformes possibles susceptibles de contribuer à la maîtrise des dépenses. Pour l'État, sont suggérées notamment un ciblage plus pertinent des dispositifs d'aide à la presse, d'aide aux buralistes, de certaines aides au logement ou de certaines dépenses dans le secteur de la formation professionnelle continue. La poursuite de la professionnalisation de la politique des achats de l'État entraînerait des économies substantielles. Sur la seule maintenance des équipements militaires, la Cour avait identifié 300 millions d'euros d'économies potentielles. Les coûts de gestion des services de l'État pourraient être encore allégés, par exemple en modernisant la gestion des pensions ou celle de l'impôt.

L'organisation des services déconcentrés de l'État peut encore être améliorée ; la Cour avait cité en janvier 2012 l'exemple des sous-préfectures. Elle livrera prochainement un rapport sur l'organisation d'ensemble des services territoriaux de l'État. L'organisation des services à l'étranger présente également des marges d'amélioration.

La maîtrise de la masse salariale de l'État, qui représente le tiers de ses dépenses, constitue naturellement un enjeu central. A effectifs constants, de nombreux facteurs contribuent à la hausse tendancielle de la masse salariale, estimée à 1,3 milliard d'euros. Il s'agit notamment des mesures catégorielles et de l'effet des avancements, appelé GVT positif. Pour tenir les objectifs de dépenses, le Gouvernement a prévu de limiter l'accroissement de la masse salariale à 300 millions d'euros par an à effectifs stables. Cela suppose de mener une politique salariale très rigoureuse qui combine le gel du point de la fonction publique ou une très faible revalorisation de celui-ci, une réduction importante des mesures catégorielles et un ralentissement des déroulements de carrière. Une telle option risque ainsi de priver l'État d'une grande partie des leviers d'une politique dynamique de gestion des ressources humaines. D'autres leviers peuvent être actionnés, notamment une réduction limitée des effectifs. La Cour présente plusieurs scénarios ; parmi ceux-ci figure par exemple le non-remplacement d'un départ à la retraite sur six, soit une réduction d'effectifs de 10 000 emplois à temps plein. Une telle réduction pourrait s'accompagner d'une augmentation de la durée effective du travail des agents, afin de limiter les conséquences sur la qualité des services publics rendus. Ces orientations valent également pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière.

Les régimes de protection sociale doivent d'autant plus contribuer à la maîtrise des dépenses que leurs comptes s'inscrivent dans des perspectives non soutenables.

Les projections de la Cour, fondées sur les hypothèses actualisées du programme de stabilité et, pour les années suivantes, sur des hypothèses d'évolution de la masse salariale équivalentes à celles connues au cours des douze dernières années, font apparaître une dégradation de près de 10 milliards d'euros du solde du régime général de la sécurité sociale à l'horizon 2017. A politique inchangée, le régime général serait constamment déficitaire d'ici 2030, y compris la branche maladie. Le déficit de l'ensemble du système de retraite, d'1,6 % du PIB en 2030, serait plus élevé que celui envisagé par le Conseil d'orientation des retraites. Ces perspectives appellent des mesures de redressement rapides pour prévenir les déficits à venir, et des réformes plus structurelles pour contenir la croissance spontanée des dépenses.

Une réforme des modalités d'organisation et de prise en charge des transports sanitaires, ou une simplification du régime des indemnités journalières pour congé maladie entraîneraient des économies. S'agissant des retraites, plusieurs possibilités sont sur la table, comme la limitation des avantages familiaux accordés aux retraités, notamment la majoration de 10 % des pensions pour avoir élevé trois enfants, ou la réduction du coût de certaines niches sociales bénéficiant aux retraités. La Cour a aussi identifié la possibilité d'économiser un milliard d'euros dans les dépenses de personnels et de gestion administrative des caisses de sécurité sociale.

Enfin, les collectivités territoriales ont à participer à l'effort, leurs dépenses non liées aux transferts de compétences s'étant fortement accrues au cours des dernières années. La loi de programmation des finances publiques a prévu une stabilisation, puis une réduction d'une partie des concours financiers de l'État, qui représentent le quart des ressources des collectivités. Il convient de veiller à ce que cette diminution ne s'accompagne pas d'une hausse symétrique des impôts locaux. Un mécanisme de redistribution des ressources entre collectivités permettrait de ne pas pénaliser les plus fragiles. L'État pourrait accompagner cet effort d'une démarche de réduction du coût des normes qu'il leur impose. De nombreuses pistes d'économies existent pour les collectivités. Les mutualisations permises par le développement de l'intercommunalité sont encore loin d'avoir produit tous leurs effets bénéfiques. La masse salariale - effectifs, mesures catégorielles et déroulements de carrière - doit être mieux maîtrisée : elle a augmenté de 3,3 % en 2012 contre 2,4 % en 2011, alors que l'État a quasiment stabilisé cette dépense. La rationalisation de la gestion du patrimoine des collectivités, dont l'entretien coûte chaque année 3 milliards d'euros, dégagerait d'importantes économies. Certains postes de dépenses sont susceptibles d'être sensiblement réduits, comme la publicité et les relations publiques, pour 1,5 milliard d'euros.

Ainsi les réformes à venir constituent une opportunité pour moderniser l'action publique, clarifier des rôles tenus par chacun, évaluer des dispositifs pour mieux les cibler. Le redressement est possible sans les mesures drastiques d'austérité que d'autres pays ont parfois mises en place (fortes diminutions de prestations sociales ou de rémunérations). Cela suppose d'agir rapidement et de faire en sorte qu'aucun acteur ne soit exonéré de l'exigence collective d'un usage efficace et proportionné des moyens publics dont il dispose. Il appartient aux représentants du suffrage universel de définir ces choix, à partir de leurs objectifs et priorités. La Cour cherche à formuler des propositions pour que notre pays parcoure la seconde moitié du chemin du redressement des comptes qui reste devant lui et comble son déficit de compétitivité. Le sens final de cette action est le relèvement de la croissance de demain et la garantie de la cohésion sociale de notre pays.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. - Votre analyse contribue à éclairer le Parlement dans la perspective du débat d'orientation des finances publiques et de l'examen de la loi de règlement.

Avez-vous d'ores-et-déjà identifié des risques de dépassement des plafonds de crédits dans certaines missions, en raison de sous-budgétisations ou en raison de décisions coûteuses qui nécessiteraient un pilotage rigoureux ?

Quelle pourrait être l'incidence, sur la trajectoire des finances publiques, de la décision de Bruxelles d'accorder à la France un délai pour ramener son déficit sous la barre des 3% ? L'objectif demeure de revenir à l'équilibre en 2017.

La Cour des comptes regrette l'absence d'une gouvernance adaptée aux engagements européens qui couvre l'ensemble des administrations publiques et des collectivités territoriales. Quelles évolutions suggère-t-elle s'agissant de la structuration et de l'articulation des textes financiers ?

Enfin beaucoup souhaitent réduire les niches fiscales. Quelle méthode préconisez-vous : le rabot ou une baisse sélective ?

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - La Cour des comptes souligne la gravité de la situation des finances publiques ; les perspectives sont inquiétantes, notamment pour les finances sociales.

Que pensez-vous des mesures de réforme de la politique familiale annoncées, notamment de la baisse de 25 % du plafond du quotient familial ? Ces mesures seront-elles suffisantes pour rétablir l'équilibre de la branche Famille ?

Concernant les retraites, sur quelles variables joueriez-vous pour rétablir l'équilibre du régime général : taux de remplacement, âge de départ, indexation des pensions ?

La Cour présente différents scenarios d'évolution des comptes des différentes branches du régime général : dans le pire scénario l'évolution de la masse salariale retenue, variable essentielle dans la définition du niveau des produits du régime général, est de 3,1 %, alors que le taux moyen ces dernières années est de 1,5 %. Ce ralentissement implique-t-il une baisse tendancielle des produits de la Sécurité sociale ces prochaines années?

M. Didier Migaud. - Je ne saurais vous répondre sur les risques de dépassement par missions. Les services de Bercy ne nous ont pas fourni des informations aussi détaillées que l'an passé, le Gouvernement ayant considéré qu'il n'avait pas demandé un audit. Pourtant ce rapport est avant tout destiné au Parlement et un éclairage sur l'exécution en cours d'année est précieux.

M. Jean Arthuis. - Y a-t-il eu rétention d'information ?

M. Didier Migaud. - Les services de Bercy n'ont pas fait preuve de la même disponibilité que l'an passé.

M. Jean Arthuis. - Dissimulation !

M. Didier Migaud. - Espérons simplement que l'an prochain nous pourrons travailler dans de meilleurs conditions. Les risques que nous avons identifiés sont les mêmes que ceux que nous identifions chaque année - sous-budgétisation et dépassement de crédits. Ils représentent un à deux milliards d'euros. La réserve de précaution ou les gels de crédits décidés en loi de finances apparaissent suffisants pour y remédier. La seule interrogation concerne le prélèvement sur recettes pour l'Union européenne.

Les risques les plus importants se situent du côté des recettes. D'une part le calcul du Gouvernement est optimiste, d'autre part la croissance risque de ne pas s'élever à plus 0,1 %, comme prévu, mais plutôt à moins 0,1 % selon l'Insee. C'est pourquoi nous anticipons un déficit proche de 4 %, et non de 3,7 %, en 2013.

En reportant de deux ans de l'objectif de ramener le déficit sous la barre des 3 %, Bruxelles a tenu compte du principe de réalité et de la croissance atone. Mais cela ne signifie pas qu'il faille relâcher les efforts. La Cour des comptes ne considère pas que des efforts supplémentaires par rapport au programme de stabilité soient nécessaires mais juge qu'il convient de préciser les mesures qui seront prises pour réduire les dépenses en 2014 et 2015. Jusque-là l'effort a consisté en des hausses d'impôts. Le Gouvernement souhaite faire porter l'effort sur une réduction des dépenses structurelles, qui représentera deux tiers de l'effort en 2014, 80 % en 2015. Nous appelons de nos voeux ces mesures structurelles. D'ici-là des mesures immédiates de freinage des dépenses ou de modulation s'imposent : rabot, gel du point des fonctionnaires, etc. Plus les mesures structurelles seront prises tôt, plus les mesures de freinage de la dépense seront temporaires.

Aucun instrument équivalent à la loi de finances ou de financement de sécurité sociale ne retrace les objectifs et les engagements financiers des collectivités territoriales. Selon la Constitution, les collectivités territoriales s'administrent librement dans le respect des lois qui les réglementent. L'État dispose néanmoins de moyens d'action. La loi de programmation évoque un pacte de confiance et de responsabilité entre l'État et les collectivités territoriales ; il est essentiel de parvenir à un engagement contractuel de maîtrise des dépenses. L'État peut aussi modifier le niveau des dotations mais il ne doit pas augmenter les charges des collectivités territoriales par des transferts de compétence non compensés ou en imposant de nouvelles normes.

Concernant les niches fiscales ou sociales, au rabot ou au forfait, nous préférons une méthode sélective fondée sur une appréciation du rapport entre le coût et l'efficacité de chaque dispositif. Il faut développer l'évaluation. Nous proposons également de diminuer les niches dont les bénéficiaires sont aisés, comme les crédits d'impôts pour frais de garde, ou les dispositifs d'investissement outre-mer, peu efficaces et qui s'apparentent à des mécanismes d'optimisation fiscale.

Nous avons mentionné aussi la CSG des retraités au-delà d'un certain niveau de retraite, l'exonération d'impôts au profit des arbitres et des juges sportifs, l'exonération d'impôt sur le revenu pour les apprentis - qui est inopérante pour les apprentis d'origine modeste, puisqu'ils sont déjà non imposables -, l'abattement de 10 % pour frais professionnels des retraités, qui peut être progressivement ajusté, la différence de traitement, difficile à comprendre, entre les contrats collectifs de santé et de prévoyance, soumis à une taxe de 8 %, et la participation et l'intéressement qui sont taxés à 20 %. Vous n'avez plus qu'à décider !

M. François Marc, rapporteur général. - J'ai bien compris que vous n'étiez pas un adepte du rabot, mais plutôt du filet de pêche à grosses mailles, qui prend de gros poissons, ce qui serait, il est vrai, plus rentable...

M. Didier Migaud. - En effet. Il ne m'appartient pas de commenter les récentes décisions qui ont été prises en matière de politique familiale. Pour la branche Famille, il peut être pertinent de ne pas raisonner seulement en termes d'imposition mais aussi d'examiner le niveau de la dépense. L'effet sur les comptes publics serait différent. Nous avons souhaité alerter sur les perspectives de déficit des comptes sociaux : les hypothèses retenues par le COR et la commission Moreau sont optimistes au regard de l'expérience que nous avons. Nous avons chiffré l'écart et insisté sur l'urgence qu'il y a à traiter ce dossier. Il appartient aux responsables politiques de décider des mesures à adopter.

M. Raoul Briet, président de la première chambre. - Nous n'avons pas fait des projections par branche sur vingt ans, à législation constante, avec une progression de l'Ondam de 2,5 % et un niveau de prestations inchangé. Nous avons souhaité illustrer la sensibilité des besoins de financement à une modification, même réduite, des hypothèses macroéconomiques : le simple fait de substituer les hypothèses officielles du programme de stabilité, que le Haut Conseil avait considérées comme légèrement optimistes, à la projection utilisée pour élaborer la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 génèrerait 10 milliards d'euros de déficit supplémentaire pour le régime général en 2017. De même, le besoin de financement du système de retraites est très sensible aux hypothèses macroéconomiques. Plutôt que de présenter plusieurs scenarios, nous en avons privilégié un, qui correspond au scenario C du COR, et fait l'hypothèse que l'évolution de la masse salariale que nous avons connue depuis 2000 se prolongera après 2018.

M. Didier Migaud. - Cela reste optimiste !

M. Raoul Briet. - En effet. Cela donne une lecture différente de l'acuité des besoins de financement... La prudence impose de privilégier un tel scenario, qui n'est lui-même pas garantit. Le Haut Conseil des finances publiques conduit des travaux sur la croissance potentielle à l'issue de la crise. Il faudra installer un jour une homogénéité.

M. Yvon Collin, président. - Merci pour ces réponses. Quel jugement la Cour des comptes porte-t-elle sur l'augmentation du poids des dépenses publiques dans le PIB ? Existe-t-il un mouvement conjoncturel, ou un processus structurel, résultant du déficit de production par rapport au niveau potentiel ? Vous préconisez une baisse du niveau des dépenses publiques, et indiquez que cela suppose une réforme en profondeur des politiques publiques. Depuis la révision constitutionnelle, la Cour des comptes a des responsabilités en ce domaine. Comment les avez-vous organisées ? Cette évolution vous paraît-elle heureuse, au vu des canons théoriques qui veulent que l'évaluation des politiques publiques soit ouverte et reliée étroitement au processus de décision publique ? Une étude du Conseil des prélèvements obligatoire met en évidence la faiblesse du niveau d'imposition des grandes entreprises, et une autre fait le même constat pour les entreprises bancaires. Peut-on remédier à la faiblesse du taux d'imposition réel de ces entreprises ? N'y a-t-il pas là un gisement de recettes inexploité ?

M. Vincent Delahaye. - Merci pour cet exposé, que j'ai déjà entendu ce midi à la radio ! La qualité et la rigueur de votre analyse et de vos travaux clarifient la situation. J'espère que vos préconisations seront suivies. Je ne partage pas votre optimisme : nous sommes loin de la moitié du chemin. Je m'étais opposé à la décomposition du solde effectif en solde conjoncturel et solde structurel, pour intellectuellement séduisante qu'elle puisse paraître, car je pressentais que la première partie irait croissante et la seconde, décroissante, pour montrer que nos efforts sont importants mais que la conjoncture annule leurs effets. Le tableau que vous nous présentez confirme mes pressentiments : de 2011 à 2014 la composante conjoncturelle a augmenté, et la composante structurelle a diminué. L'atonie actuelle de la croissance est-elle conjoncturelle ? Je la considère comme structurelle, étant donné l'état de notre économie. Si vous la considérez comme conjoncturelle, quel serait notre déficit dans de meilleures conditions ? L'environnement international nous est-il vraiment plus défavorable qu'en 2008, pour que la composante conjoncturelle soit si élevée ?

M. Jean Arthuis. - Merci pour cet éclairage précis. Ce que vous nous avez dit est très grave. Le Gouvernement n'a pas été coopératif pour vous aider à lever le voile, ce qui me paraît contraire au processus vertueux enclenché par la Lolf, qui prévoyait l'éclairage du débat d'orientation budgétaire par les résultats de la loi de règlement. La rhétorique de la Cour ne tamise-t-elle pas l'éclairage que vous nous apportez ? Aucune décision n'est prise, alors que les déficits s'accumulent. Vous avez évoqué les niches fiscales pour l'outre-mer ; la presse se faisait ce matin l'écho d'un arbitrage du Premier ministre : une fois de plus, il ne va rien se passer. Tout va très bien, c'est du Ray Ventura ! Je souhaiterais un vrai débat sur ces niches fiscales, autour de données factuelles que nous fournirait la Cour des comptes.

Je me suis rendu récemment à Bruxelles avec Marc Massion. Les restes à liquider (RAL) s'élèvent à 240 milliards d'euros. Les chefs d'État et de Gouvernement viennent d'arrêter un cadre pluriannuel pour la période 2014-2020 comportant des autorisations d'engagement de 960 milliards d'euros et 908 milliards d'euros de crédits de paiement. L'écart va donc continuer à se creuser : la Cour ne devrait-elle pas dénoncer cette pratique ? En 2013 nous risquons de voir une progression très sensible de la contribution de chaque État membre, et notamment de la France : nous avons prévu quelque 20 milliards d'euros, il y aura certainement des lois de finances rectificatives dans le budget européen qui accroîtrons notre déficit de plusieurs milliards d'euros, surtout s'il faut aussi participer au comblement des déficits d'autres pays de la zone euro, comme Chypre.

Pour sortir de ce tamisage, qui nous rend tous plus ou moins complices, ne pourriez-vous faire observer au Gouvernement que le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) est une manière de reporter sur 2014 l'allègement des charges sociales de 2013 ? Les entreprises qui bénéficieront de ce crédit d'impôt pourront inscrire dans leur bilan 2013 une créance sur l'État d'à peu près 10 milliards d'euros - 20 milliards d'euros fin 2014 - mais l'État ne constatera pas sa dette ! Pour créer l'électrochoc nécessaire à ce qu'enfin la lumière que vous apportez suscite le courage de décider, ne soyez pas complice d'une atténuation du diagnostic.

Le déficit de l'Unedic, qui sera de l'ordre de 5 milliards d'euros en 2013, pèse sur le déficit public. La montée du chômage le creuse, mais il n'est jamais débattu par le Parlement, alors que l'État garantit la dette de l'Unedic, qui était de 15 milliards d'euros fin 2012. Ne pensez-vous pas qu'une loi organique devrait donner au Parlement la possibilité de se prononcer sur le déficit de l'Unedic et de faire pression sur les partenaires sociaux qui en sont gestionnaires ?

- Présidence de M. Roland du Luart, vice-président -

M. Francis Delattre. - Il est exceptionnel de vivre un moment de vérité : je salue celui-ci ! Nous avons fait la moitié du parcours, mais essentiellement en augmentant les impôts. Le problème de la réduction des dépenses publiques demeure entier : aucun chemin ne se dessine. Le CICE devait être financé à 50 % par des économies. Les ressources fiscales rentrent mal - le manque à gagner semble être de 5 à 7 milliards d'euros - et des dépenses nouvelles sont annoncées : un milliard d'euros pour les emplois aidés, le CICE, pour lequel la BPI va assumer cette année 2 milliards d'euros de financement pour le compte de l'État, et jusqu'aux crèches, il y a quelques jours, sans parler des incertitudes européennes. Vous êtes président du Haut Conseil des finances publiques, qui a été créé faute d'adopter la règle d'or. Ne croyez-vous pas qu'il est temps de demander au Gouvernement de nous présenter une loi de finance rectificative ? Ce serait bien dans l'esprit de la LOLF, dont vous avez été l'un des actifs promoteurs.

M. Philippe Dallier. - Les perspectives de croissance que vous annoncez ne sont guère réjouissantes. L'investissement des collectivités locales est en baisse, alors que nous sommes en année pré-électorale, où l'investissement atteint généralement un pic. Nombre de conseils généraux connaissent d'importantes difficultés et réduisent leurs investissements. Les communes et les intercommunalités, de même, anticipant les baisses de dotation et constatant la baisse de leurs recettes, ralentissent leurs investissements. Ce phénomène se prolongera sans doute en 2014 et en 2015. La Cour des comptes a-t-elle intégré dans ses prévisions l'impact de ces réductions de dépenses des collectivités locales ? Environ 70 % de l'investissement non militaire en France tient aux collectivités locales : si elles dépensent moins, l'impact sur la croissance sera réel.

L'État dialogue avec les grandes associations de collectivités locales : association des régions de France, association des départements de France, assemblée des communautés de France, association des maires de France... Les élus locaux ont-ils véritablement conscience que les décisions financières qu'ils prennent contribuent en partie à la situation financière du pays ? Face aux baisses de dotations, ils réagiront de différentes manières : compresser les dépenses de fonctionnement, augmenter les impôts locaux, ou la dette, ou réduire les investissements... Je n'ai pas l'impression qu'ils se sentent vraiment concernés. Sans remettre en cause la libre administration des collectivités locales, faut-il leur imposer de respecter certains critères, afin de maîtriser mieux les finances publiques ?

M. Joël Bourdin. - Nous avons eu un débat sur la sensibilité du déficit aux recettes et aux dépenses. Le Gouvernement a choisi les recettes, malgré l'opposition de certains qui souhaitaient que les dépenses soient d'abord diminuées. Au point où nous en sommes, ce qui peut infléchir le déficit, c'est la dépense. Connaît-on l'impact de certaines catégories de dépenses sur le déficit ? Faut-il passer, pour le réduire, par les dépenses sociales ? Par les dotations aux collectivités locales ? La croissance potentielle en France semble avoir baissé de 2 % à 1,2 %. Quel est le chiffre exact ?

M. Didier Migaud. - J'ai rappelé le niveau de la dépense publique en France : 56,6 %. Nous sommes le deuxième pays de l'OCDE, après le Danemark que nous allons peut-être dépasser dans les deux prochaines années. Mais nous sommes loin des premières places quand il s'agit d'efficacité et de qualité de l'action publique. D'autres pays, sans dépenser plus que nous, obtiennent de meilleurs résultats. Sans doute, notre culture du contrôle et de l'évaluation est insuffisante. Nous avons aussi tendance à résoudre chaque problème en accroissant les effectifs ou les moyens, ce qui n'est pas toujours la réponse la plus pertinente : il faut s'attaquer aussi aux problèmes d'organisation, de gestion, de répartition, pour obtenir de meilleurs résultats. Même en faisant porter l'effort structurel sur la dépense, celle-ci continue d'augmenter : notre objectif actuel est une croissance de 0,4 % en volume, c'est-à-dire supérieure à l'inflation. L'effort est réalisable, à condition de mener des réformes de fond, comme l'ont fait d'autres pays. Il faut mener la modernisation de l'action publique. Le Parlement doit se saisir de son pouvoir d'évaluation des politiques publiques, avec l'aide de la Cour des comptes.

Oui, les grandes entreprises utilisent des mécanismes d'optimisation fiscale. Le coût de la gestion des pensions, celui de la collecte peuvent être diminués. Nous suivons ces sujets de près. Le Haut Conseil des finances publiques s'est saisi de la question de la croissance potentielle, qui diffère considérablement selon les organismes d'études. Tout dépend de l'analyse de la crise et de son impact sur notre croissance potentielle : quelle perte définitive ? Les points de vue des économistes divergent. Il est intéressant d'avoir le solde effectif et le solde structurel : raisonner indépendamment de la conjoncture est utile, mais le solde effectif est celui qui nourrit la dette... La moitié du chemin aura été parcouru à la fin de l'année 2013, sous réserve que les engagements soient tenus. En effet, les services n'ont pas été aussi disponibles que l'an dernier. Cela ne nous a pas empêchés de faire notre travail et de vous apporter un éclairage. Ce rapport vous est d'autant plus utile pour préparer la loi de règlement qu'il comporte de premiers éléments sur l'exercice 2013 ; nous fournissons aussi une balance des risques, pour les recettes comme pour les dépenses, avec un regard impartial.

La Cour des comptes européenne a formulé des recommandations sur les sujets que vous avez abordés. Faut-il intégrer l'Unedic dans une loi plus générale de financement de la protection sociale ? Nos outils de gouvernance ne sont pas encore totalement adaptés à un pilotage du solde des administrations publiques. A vous d'utiliser votre droit d'amendement pour proposer des améliorations !

M. Jean Arthuis. - Nous le ferons !

M. Didier Migaud. - Il n'appartient pas à la Cour des comptes ou au Haut Conseil des finances publiques de se prononcer sur la pertinence d'un collectif budgétaire. Le Haut Conseil des finances publiques peut recommander des mesures des corrections, mais nous n'en sommes pas à ce stade. Nous évaluerons les hypothèses macroéconomiques du projet de loi initiale pour 2014, et apprécierons si la loi de finances est cohérente avec elles. Nous appelons à davantage de cohérence entre les textes qui fixent les objectifs : programme de stabilité, loi de programmation, lois de finances... Il serait utile qu'après que le Conseil européen aura acté des objectifs, la loi de programmation en tire les conséquences : quand chacun se fonde sur des références différentes, le débat est difficile.

L'investissement local a augmenté en 2012 et augmente en 2013. Mais toute dépense d'investissement n'est pas obligatoirement pertinente ! L'effort de maîtrise concerne aussi les collectivités territoriales. L'État doit-il les contraindre davantage ? Il peut être utile de prolonger la possibilité d'accords contractuels, mais les collectivités locales doivent se sentir concernées par la nécessité, pour la France, de tenir ses engagements. Il faut raisonner toutes administrations publiques confondues. La Cour n'a pas mesuré la sensibilité du déficit à différents types de dépenses. Les conséquences sont différentes sur l'activité et l'emploi, bien sûr ; tout dépend de la nature de l'économie réalisée et de l'ampleur du coup de rabot. Notre rapport sur l'éducation montre que des redéploiements de crédits aboutiraient à des meilleurs résultats de notre système éducatif : cela n'aurait pas d'impact sur l'emploi. Il y a des marges de manoeuvre grâce auxquelles nous pourrons revenir à l'équilibre en 2017, comme les pouvoirs publics s'y sont engagés.

La Cour des comptes reste à votre disposition.

M. Jean Arthuis. - J'ai rencontré récemment le président de la Cour des comptes européenne, qui m'a paru davantage préoccupé par la régularité des comptes que par leur sincérité.

M. Didier Migaud. - Par l'évaluation des politiques publiques, également.

M. Jean Arthuis. - Notre contribution au budget européen pour 2013 va être fortement réévaluée : c'est la dernière année du cadre budgétaire 2007-2014, au cours duquel nous avons poussé devant nous des autorisations d'engagement pour lesquelles il n'y avait pas de crédit de paiement. Il y a plus de 200 milliards d'euros de RAL !

M. Didier Migaud. - Nous en sommes conscients, et avons insisté sur cet aléa. Nous ne pouvons pas considérer qu'il s'agit d'une dépense exceptionnelle.

M. Roland du Luart, président. - La tension sur les marchés m'inquiète : en une semaine, les taux ont augmenté de 45 points de base. Depuis un an, ces taux étaient extrêmement bas. S'ils augmentent d'un coup de 150 ou 200 points de base, le déséquilibre de nos finances publiques s'aggravera sensiblement. Qu'en pensez-vous ?

M. Didier Migaud. - Les taux d'intérêt ont vocation à remonter dans les années à venir, c'est pourquoi nous appelons à maîtriser l'endettement : plus la dette est élevée, plus la charge de la dette est importante et sensible aux évolutions des taux. Cent points de base supplémentaire coûteraient 2 milliards d'euros supplémentaires la première année, et 12 milliards d'euros après dix ans. Il s'agit de sommes considérables, qui pourraient remettre en cause la capacité de l'État à agir. Les évolutions récentes des marchés sont une réaction excessive aux propos du président de la Réserve fédérale américaine. Vont-elles se poursuivre ? Pour l'année 2013, la France a fait la plupart de ses opérations. Il faut néanmoins surveiller cette situation, et respecter nos engagements.

M. Philippe Marini. - La Constitution comporte un article 40, qui limite, ce qui est une excellente chose, les initiatives dépensières des parlementaires. Par définition, une telle contrainte ne saurait exister à l'encontre du pouvoir exécutif. Je regrette cependant parfois qu'il n'existe pas une sorte de compteur des engagements. Indépendamment du budget, de la loi de règlement, des programmes de stabilité adressés à Bruxelles, il rassemblerait les paroles publiques susceptibles de se traduire par des dépenses. L'actualité montre que de tels engagements continuent à émailler la chronique : volume des contrats aidés, modifications de la gestion des rythmes scolaires - que les dépenses induites soient supportées par les communes ou par l'État -, suppression de la journée de carence dans la fonction publique... Toutes ces annonces ne correspondent pas à une inscription immédiate de crédits, mais si elles sont suivies d'effet, elles ne manqueront pas de se traduire par de nouvelles charges. Je regrette parfois qu'il n'existe pas une obligation, pour l'auteur de tels engagements, de préciser, en contrepartie, les réductions de dépenses ou les ressources supplémentaires par lesquelles les mesures annoncées seraient équilibrées. La Cour des comptes ne pourrait-elle pas tenir le compte de ces engagements non gagés ?

M. Didier Migaud. - Vaste sujet. Ce n'est pas dans les missions de la Cour des comptes, qui sont déjà nombreuses, ni dans celles du Haut Conseil des finances publiques. Cette question s'adresse plutôt au législateur, c'est-à-dire à vous-même, Monsieur le Président ! Le Parlement a l'occasion d'interroger les ministres ; il dispose aussi de la capacité de faire évoluer la législation, voire la Constitution...La Cour des comptes sait rester à sa place : nous faisons des constats, nous éclairons le débat par nos rapports, mais les décideurs, ce sont les responsables politiques.

M. Philippe Marini. - De la majorité !

M. Jacky Le Menn. - Vous l'avez eue longtemps !

M. Roland du Luart, président. - Merci pour cet éclairage, à la veille du débat d'orientation sur les finances publiques.