Mercredi 26 juin 2013

- Présidence de M. Yves Daudigny, président -

Agences régionales de santé - Table ronde avec les syndicats de médecins

M. Yves Daudigny, rapporteur général. - Nous poursuivons nos auditions dans le cadre de la préparation du rapport d'information confié à Jacky Le Menn et Alain Milon sur les agences régionales de santé (ARS).

Les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) s'occupaient presque exclusivement du secteur hospitalier alors que les ARS sont compétentes, à des degrés divers, pour l'ensemble du système de santé : prévention, santé publique, établissements et médecine de ville, sans compter le secteur médico-social. Quelles ont été les conséquences de la création des ARS pour les professionnels, notamment les médecins que vous représentez ? Les ARS sont-elles un partenaire ou un régulateur ? Quel est la place et le rôle des unions régionales des professionnels de santé (URPS) ? L'organisation des agences doit-elle évoluer, en particulier en termes d'autonomie ou de champ de compétences ?

Dr Roger Rua, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). - Le transfert aux ARS des budgets destinés à assurer le financement de la permanence des soins n'a pas été suffisamment transparent. Nos demandes d'aménagements, notamment en ce qui concerne le financement des astreintes pour certaines spécialités médicales, n'ont pas été prises en compte. Nous souhaiterions donc que ce sujet puisse être étudié à nouveau avec les ARS. L'enjeu est particulièrement prégnant pour ce qui est du financement de la permanence des soins en établissement. Quant à l'intégration de ces budgets dans le fonds d'intervention régional (FIR), elle ne facilite pas le suivi de l'évolution des dotations. Alors que le fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins avait une vision nationale des enjeux, il n'en est plus de même avec la régionalisation des enveloppes. Les possibilités d'évaluation s'en trouvent sensiblement réduites.

Pour tirer un bilan de la création des URPS, il faut se référer en premier lieu aux unions régionales des médecins libéraux (URML), dont la création en 1993 a semble-t-il suscité un malentendu. Les syndicats ont cru voir dans ces unions des outils à leur service. Ils ont cependant beaucoup de mal à en appréhender le fonctionnement. Les médecins sont obligés de cotiser auprès des URPS, ce dont ils n'ont pas toujours conscience. Ces dernières se retrouvent dès lors dotées de budgets importants, dont la pertinence de l'utilisation reste à prouver. Au regard de cette situation, j'en viens à me poser la question de l'existence même des URPS. Certes, il est nécessaire d'assurer la représentation des professionnels libéraux. Mais les missions et l'utilisation des budgets des URPS doivent être repensées afin que leur utilité apparaisse pleinement aux médecins.

La création des ARS a été ressentie par la médecine de ville comme une forme d'étatisation du système. L'assurance maladie apparaît mise à l'écart, tandis qu'on a pu parler de « préfets sanitaires » pour désigner les directeurs généraux des ARS. Au final, la régionalisation a du mal à se mettre en place dans la mesure où l'articulation entre l'Etat et le système conventionnel demeure imparfaite. Nous serions favorables au maintien d'un cadre conventionnel national, qui serait éventuellement décliné au niveau régional, plutôt qu'à une régulation dépendant directement du secrétariat général des ministères sociaux.

M. René Teulade. - Vous avez fait référence à la création des URML par la loi de janvier 1993 dont j'étais à l'origine. Je signalerai cependant que les dispositions de cette loi relatives à la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, qui avaient obtenu l'accord de l'ensemble des professions de santé, n'ont jamais été mises en oeuvre faute de publication des décrets d'application.

Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). - Quel bilan tirer de la création des ARS, notamment des relations qu'elles ont nouées avec la médecine libérale ? Avant la loi HPST, la convention était l'unique niveau de régulation du système, ce qui créait une centralisation excessive empêchant la prise en compte des particularités de terrain. La création des ARS avait donc pour objectif de pallier cette difficulté et d'améliorer les relations entre l'Etat et l'assurance maladie.

Nous nous sommes cependant heurtés à la connaissance insuffisante qu'ont les directeurs généraux d'ARS du monde libéral. La gestion de la médecine hospitalière a bien souvent pris le pas sur celle de la médecine ambulatoire. Certes, les choses évoluent mais cela nécessite du temps. Les situations dépendent en outre de la personnalité de chaque directeur général d'ARS.

Parmi les enjeux figure la permanence des soins, organisée par les ARS et désormais financée à travers le FIR. Le bilan est, pour le moins, mitigé. L'objectif initial était de parvenir à une meilleure organisation ainsi qu'à une implication accrue des médecins dans le dispositif. Or, on constate aujourd'hui une diminution globale des forfaits destinés à la permanence ambulatoire : la baisse a été de 3,7 % entre 2011 et 2012. Dans le même temps, les effectifs des médecins y participant ont diminué de 1,8 %. Les montants alloués varient fortement d'une région à l'autre. En Poitou-Charentes, l'heure de régulation est fixée à soixante-dix euros contre cent euros en Lorraine. La garde de nuit est rémunérée cent cinquante euros en Provence-Alpes-Côte-d'Azur alors qu'elle peut l'être jusqu'à six cent cinquante euros en Bretagne. La définition même des plages horaires pour les gardes de nuit varie d'une région à l'autre. Pour ce qui est de la permanence des soins en établissement, on observe une diminution de 3 % du nombre de médecins concernés, résultat contraire à l'objectif poursuivi. Le nombre de forfaits a quant à lui diminué de 5,8 %. La régionalisation de la permanence des soins a été effectuée avec pour objectif premier de réaliser des économies. Le budget global qui lui est alloué diminue chaque année de 10 %. L'effort budgétaire est réparti entre les régions en fonction d'indicateurs peu lisibles. Pourtant, les besoins augmentent et la permanence des soins demeure une préoccupation centrale des patients.

L'organisation en tuyaux d'orgue des services de l'Etat et de l'assurance maladie demeure. C'est cette dernière qui reste l'interlocuteur privilégié des médecins libéraux.

Quant à l'articulation entre URPS et ARS, elle varie fortement selon les régions et selon la personnalité du directeur général de l'ARS. Le turn over des directeurs généraux ne contribue pas à clarifier la situation.

Dr Philippe Cuq, coprésident du Bloc, président de l'Union des chirurgiens de France. - En effet, les situations varient selon le directeur général de l'ARS et on a noté à l'origine une très mauvaise connaissance de l'activité libérale de la part des agences. La permanence des soins en établissement est un bon exemple d'une vision parfois trop administrative des choses : l'hôpital public a souvent été privilégié alors même que les acteurs publics et privés étaient parvenus à s'organiser et à mutualiser leurs moyens, ce qui a pu déstabiliser les équipes.

L'idée d'avoir une autorité unique au niveau régional pour l'organisation sanitaire et médico-sociale n'est pas mauvaise. Tout l'enjeu est de trouver un équilibre entre la prise en compte des particularités de chaque territoire et le maintien d'une organisation globale cohérente du système de santé.

En pratique, je ne sais pas si les objectifs qui ont présidé à la création des ARS ont été atteints. Il me semble en tout cas que l'organisation des soins n'a pas gagné en simplicité et demeure trop administrative.

Dr Claude Leicher, président de MG France. - La création des ARS a de toute évidence eu des effets positifs. Les ARS connaissent de mieux en mieux le secteur ambulatoire. Les réalités de terrain sont davantage prises en compte et le souci de réorganisation est réel. Par exemple, concernant le parcours de santé des personnes âgées, des analyses macro-économiques ont été réalisées dans certaines régions qui montrent les facteurs de risques liés aux hospitalisations ou réhospitalisations évitables et permettent de tracer des pistes pour éviter les dépenses inutiles.

Nous partageons également la vision des ARS qui estiment aujourd'hui que la réorganisation des soins primaires constitue le préalable à toute réforme, notamment de restructuration des dépenses de santé

Plus problématique, la gestion des ARS demeure parfois excessivement budgétaire. Je prendrai l'exemple de la permanence des soins. La négociation conventionnelle en janvier 2002 avait permis de définir des forfaits de garde et d'astreinte sur la base d'une cartographie de trois mille deux cent cinquante secteurs pour les médecins généralistes. Depuis cette date, la tendance est à une diminution du nombre de secteurs qui devrait atteindre deux mille prochainement. Parallèlement, des gardes de nuit profonde sont supprimées, en particulier dans les départements les moins peuplés. Mais dans le même temps, pour parvenir à l'objectif présidentiel d'accès de chaque Français aux soins urgents en moins de trente minutes quel que soit son lieu de résidence, des médecins correspondants du SAMU vont être recrutés. Ces médecins ne seront pas intégrés dans un système d'astreintes, seront très peu actifs et uniquement rémunérés à l'acte. On amorce donc un retour à la situation d'avant 2002.

Il existe par ailleurs des divergences entre les objectifs d'organisation territoriale des ARS et les dispositions conventionnelles. La convention prévoit par exemple une option démographie qui permet de majorer des actes et de leur ajouter une part de rémunération forfaitaire à la condition que le médecin soit implanté en zone fragile et réalise au moins les deux tiers de ses actes pour des patients qui demeurent dans ces zones. Or, les ARS ont défini les zones de façon tellement fine qu'il est très difficile pour les médecins de remplir cet objectif des deux tiers.

Les ARS doivent disposer de davantage d'autonomie. Le FIR ne suffit pas à organiser l'offre de soins sur les territoires, même si son périmètre a été élargi.

Il faut également que les ARS interviennent dans la gestion du risque.

Les ARS sont de plus en plus des partenaires. Elles sont également des régulateurs même si leurs pouvoirs dans ce domaine sont extrêmement limités.

Les URPS n'ont qu'une utilité limitée car elles ne s'inscrivent pas dans un dispositif territorial d'organisation des soins primaires. Leur rôle doit être réévalué. Les médecins généralistes demeurent peu associés à la prise de décision.

Quel rôle doivent jouer les ARS vis-à-vis de la médecine de ville ? L'organisation du système par le biais d'une convention nationale doit perdurer car il faut que certains dispositifs d'intérêt général soient les mêmes sur l'ensemble du territoire. Je pense par exemple au régime de conventionnement des médecins, à la nomenclature des actes médicaux, à la mesure de l'efficience ou de la pertinence des actes. Un deuxième niveau de contractualisation doit exister au niveau des territoires et permettre un travail en équipe pour l'organisation des soins primaires. L'ARS serait en charge de valider un projet de santé défini par les professionnels et facilitant la coordination entre ces derniers. Cette double articulation garantirait un cadre national stable tout en ouvrant l'initiative aux acteurs de terrain, chargés de montrer leur capacité à répondre à un cahier des charges fixé.

Il faut donc donner tous leurs moyens aux ARS, sans négliger la convention nationale, et penser de façon structurée et cohérente le système de santé, en développant les soins primaires à côté de l'hôpital et des autres acteurs de soins ambulatoires.

Dr Antoine Leveneur, secrétaire général de la Fédération des médecins de France (FMF). - Outre mes fonctions de secrétaire général de la Fédération des médecins de France, je suis également président d'une URPS, celle de Basse-Normandie.

Globalement, la création des ARS a été positive. La situation antérieure n'était pas satisfaisante. La multiplication des acteurs était source de conflits. Certes, le nouveau système est perfectible. La personnalité du directeur général joue beaucoup et les ARS sont plus ou moins ouvertes à la médecine libérale.

Pour ce qui est de la permanence des soins, les enveloppes régionales sont fonction du nombre d'astreintes qui étaient versées avant la constitution du FIR. Demeurent donc des références historiques liées à la situation de chaque région avant la définition des enveloppes. Il n'est pas illégitime que le montant de celles-ci varie selon les régions. La fongibilité entre les différentes enveloppes du FIR est intéressante mais nous devons être vigilants à ce que les fonds destinés à la permanence des soins en ambulatoire soient sanctuarisés. La permanence des soins en établissement a largement été organisée au bénéfice des seuls hôpitaux publics. La distinction entre permanence des soins et continuité des soins a été source de conflits internes. Les médecins libéraux ont servi de variable d'ajustement et la situation n'est pas stabilisée.

Nous espérions davantage d'autonomie pour les ARS. Il faut distinguer ce qui relève des objectifs généraux, qui peuvent être définis par le conseil national de pilotage, et ce qui a trait en région à la définition et au respect d'objectifs opérationnels. Le pilotage reste centralisé alors même que la logique des ARS et des URPS est de davantage responsabiliser les acteurs en région. Les ARS devraient par exemple être en mesure de structurer les initiatives des professionnels de santé en matière d'expérimentation de nouveaux modes de rémunération. A cet égard, l'expérimentation en cours doit se terminer à la fin de l'année et nous ne savons toujours rien de son devenir après cela.

Nous estimons qu'il est nécessaire d'assurer une unité de lieu entre l'organisationnel et le financement. Nous sommes à ce titre favorables à la création d'objectifs régionaux des dépenses d'assurance maladie, des « Ordam ». Cela serait de nature à responsabiliser les acteurs de terrain.

Je serais plus nuancé concernant le jugement porté sur les URPS. Elles constituent l'interface incontournable entre les ARS et les professionnels de santé.

Par ailleurs, les usagers ont vocation à participer pleinement au fonctionnement de la démocratie sanitaire. Nous notons cependant que les efforts déployés par les URPS pour participer à leur formation ne sont pas toujours récompensés. Sans doute faut-il du temps pour que les choses se stabilisent.

Au final, les médecins libéraux s'engagent. Il faut qu'ils aient en face d'eux des ARS performantes. Nous sommes favorables à davantage de libertés et à une utilisation accrue des expérimentations.

M. Alain Milon, rapporteur. - Comment seraient mis en place les Ordam ? Qui aurait vocation à les financer ?

Dr Benoît Feger, vice-président de la Fédération des médecins de France (FMF). - Il faut avant tout clarifier le rôle de chaque acteur. L'assurance maladie n'a pas vocation à organiser les soins.

M. Alain Milon, rapporteur. - La loi HPST a répondu à cette question : ce sont les ARS qui assurent l'organisation des soins.

Dr Benoît Feger. - En pratique, les choses ne sont pas aussi claires et les ARS demeurent insuffisamment connues des médecins. Nous avons besoin de marges de manoeuvre en région. Une réflexion doit être développée à laquelle puissent adhérer les professionnels de santé. Or, les contraintes budgétaires auxquelles sont soumises les ARS peuvent créer des freins. Je pense par exemple aux réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) en cancérologie pour lesquelles les médecins en Bretagne s'étaient fortement investis. Leurs efforts n'ont pas été reconnus par l'ARS, contrainte de faire des économies. Chaque territoire a ses particularités. Il faut accompagner les adaptations. C'est pour cette raison que nous militons pour la création d'Ordam.

M. Alain Milon, rapporteur. - Mais comment financerait-on les Ordam ?

Dr Michel Chassang. - Au-delà de l'Ordam, le problème est celui de la fongibilité. Est-on aujourd'hui en mesure d'assurer la transversalité du parcours de soins du patient alors que les sous-enveloppes de l'Ondam sont étanches ? Le FIR est-il capable de faire face à ces défis ? Avant toute réflexion sur la mise en place d'Ordam, il convient de s'assurer que le FIR soit suffisamment alimenté.

Nous sommes avant tout confrontés à un problème de gouvernance. Certes, le secrétariat général des ministères sociaux est en charge d'assurer le pilotage, mais le système demeure complexe, tant et si bien qu'il a même fallu créer un groupe de pilotage auprès du secrétaire général...

Toutes les organisations syndicales n'ont pas signé la convention nationale. Or, l'ensemble des syndicats est présent dans les URPS. Cela pose un problème majeur. Nous estimons que, si les URPS peuvent être utiles, elles n'ont pas vocation à prendre en charge la gestion de la convention.

Dr Claude Leicher. - Les Ordam, qui ne peuvent être qu'un « découpage » régional de l'Ondam, constituent éventuellement un outil, mais pas un objectif en eux-mêmes. On parle de gouvernance ou d'Ordam mais la vraie question devrait être : quels sont nos objectifs ? Quelle est la cohérence ?

En tout état de cause, confier des missions aux ARS ne peut que s'accompagner d'attribution de moyens financiers ; le FIR est un début, il prend de l'ampleur mais il faut passer à une étape véritablement territoriale. Le niveau territorial constitue d'ailleurs le contrepoint logique de la convention nationale si tant est que nous disposions des outils pertinents. Ce niveau ne peut cependant correspondre à la région, qui est trop vaste, mais à celui où les soins primaires s'organisent en équipes, au plus près de la population.

Dr Antoine Leveneur. - Le niveau national est bien évidemment nécessaire mais il faut aussi savoir mobiliser les acteurs en région. Pour cela, des marges de manoeuvre sont indispensables, qu'elles s'appellent Ordam ou FIR... Aujourd'hui, la fongibilité n'est pas équitable car elle a tendance à profiter aux établissements publics.

L'architecture est régionale et l'URPS constitue l'interface naturelle avec les ARS pour organiser la prise en charge des patients.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Une certaine dichotomie entre l'ARS et l'assurance maladie a été évoquée. Or, la Cour des comptes évoquait cette question dans son rapport de septembre 2012 en prenant l'exemple des systèmes d'information, l'assurance maladie n'attribuant notamment qu'un accès très limité au Sniiram pour les agents des ARS.

N'est-il pas nécessaire de clarifier les responsabilités et les compétences de chacun ? Incidemment, n'estimez-vous pas que les compétences des ARS sont trop larges ?

Par ailleurs, certains estiment que la fameuse contractualisation, tant mise en avant, relève plus du « gosplan » que d'une réelle négociation entre partenaires. Qu'en pensez-vous ?

Dr Claude Leicher. - Dans les petites régions, le niveau de l'ARS est pertinent pour organiser les soins, mais ce n'est pas le cas dans les régions plus grandes, que ce soit en Rhône-Alpes, Ile-de-France ou Provence-Alpes-Côtes-d'Azur. D'ailleurs, nous avons beaucoup de contacts avec les délégués territoriaux ; c'est au niveau territorial que peut s'organiser la contractualisation, éventuellement validée par l'ARS.

M. Michel Chassang. - Aujourd'hui, il existe en effet une certaine confusion sur les responsabilités, entre d'un côté le financeur, à savoir l'assurance maladie, et de l'autre le pilote, c'est-à-dire les ARS. Il est par exemple plus légitime que le financeur soit responsable de la gestion du risque, ça l'est moins pour le pilote. Les rôles doivent être mieux répartis entre les différents acteurs.

Dr Benoît Feger. - Nous devons sortir d'une logique concurrentielle entre les offreurs de soins pour aller vers plus de complémentarité. Un pilote régional peut permettre cette souplesse mais doit disposer des moyens suffisants pour avoir la capacité de remplir ce rôle. Aujourd'hui, nous ne savons plus véritablement avec qui discuter...

Dr Antoine Leveneur. - Un exemple malheureux illustre parfaitement ces difficultés : au moment même où l'ARS, les professionnels et l'ensemble des acteurs discutaient des projets régionaux de santé, notamment du schéma pour la périnatalité, l'assurance maladie mettait en oeuvre, en catimini, son propre dispositif de retour à domicile des parturientes, appelé Prado.

Par ailleurs, la loi HPST autorise bien la contractualisation sur le territoire entre différents acteurs, par exemple au travers des contrats locaux de santé ou dans le cadre des maisons ou pôles de santé.

Dr Claude Leicher. - C'est très limité de plusieurs points de vue !

M. Gilbert Barbier. - Le passage de l'ARH à l'ARS entendait justement supprimer le clivage entre secteur hospitalier public et médecine libérale. Vous ne semblez pas estimer cet objectif atteint. Qu'en est-il ? Par ailleurs, qu'entendez-vous les uns et les autres par le « territoire », la notion pouvant recouvrir de nombreuses situations ?

Dr Claude Leicher. - A mon sens, il existe trois territoires : d'abord, celui du médecin traitant et de sa patientèle, c'est-à-dire celui qui correspond à la prise en charge et à l'organisation des soins primaires - ce territoire est valorisé dans la convention, notamment via des objectifs de santé publique - ; ensuite, le territoire de proximité qui correspond à celui nécessaire pour organiser la continuité des soins entre plusieurs médecins ; enfin, un territoire plus large dont l'espace doit être suffisant pour mutualiser les ressources et apporter des solutions de répit. Plusieurs expériences ont été menées à ce sujet, notamment ce qui a été appelé les coordinations territoriales d'appui en Bourgogne. Cette organisation permet de maintenir les patients à domicile ou en maison de retraite ou d'éviter les réhospitalisations mais elle nécessite évidemment des moyens adaptés qui structurent les différents niveaux de territoire.

Dr Benoît Feger. - Ceci correspond en pratique aux pôles de santé. Il faut ajouter le rôle d'enseignement de ces structures. Les territoires sont nécessairement à géométrie variable pour assurer au mieux la complémentarité et la hiérarchisation des acteurs. Le niveau régional est aujourd'hui le plus simple pour réaliser cela. Mais ce n'est pas nécessairement la logique de l'assurance maladie ou du paiement à l'acte qui doit être complété par des forfaits de structure pour les cabinets quelle que soit leur organisation.

Dr Antoine Leveneur. - Lorsqu'on réfléchit à cette organisation, un acteur ne doit pas être oublié : l'élu. Aujourd'hui, quand une ARS envisage la fermeture d'un service hospitalier, par exemple une maternité, les élus vont directement au ministère et demandent un arbitrage national qu'ils obtiennent souvent... Chacun défend son territoire ! Ainsi, on affiche la proximité mais parfois proximité et sécurité peuvent être antinomiques.

M. Gilbert Barbier. - Comme proximité et qualité...

Dr Antoine Leveneur. - Je ne parle même pas de qualité mais simplement de sécurité !

Dr Claude Leicher. - Qualité et sécurité sont indissociables.

M. Alain Milon, rapporteur. - La rédaction initiale du projet de loi HPST prévoyait que les ARS étaient chargées d'organiser la santé au niveau du territoire. L'assurance maladie est, quant à elle, chargée de rembourser les patients. La loi, comme la loi annuelle de financement de la sécurité sociale, s'impose à tous.

Agences régionales de santé - Audition de M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé

M. Yves Daudigny, président. - Les ARS, au-delà du conseil national de pilotage (CNP) et de leur statut d'établissement public autonome, relèvent principalement de trois directions d'administration centrale : la direction générale de l'offre de soins (DGOS), la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et la direction générale de la santé (DGS). Cette nouvelle organisation fait écho à certains objectifs de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) : décloisonnement et regroupement de services.

Tout en saluant les conditions globalement satisfaisantes de la mise en place des ARS, la Cour des comptes évoquait en septembre dernier un pilotage national « trop peu stratégique » et un rôle encore prégnant des administrations centrales. Parmi les personnes que nous avons déjà auditionnées, plusieurs ont évoqué la persistance d'un fonctionnement en « tuyaux d'orgue ». La situation s'est-elle améliorée depuis le constat de la Cour des comptes ? Quel bilan tirer de la création des ARS pour la mise en oeuvre de la politique de santé sur le territoire ? Quelles sont les évolutions souhaitables en termes d'autonomie ou de champ de compétence ?

M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé. - Je vous remercie pour cette invitation. Ce sujet me tient particulièrement à coeur car j'ai été directeur de l'ARH puis de l'ARS de Lorraine. Je tiens tout d'abord à souligner l'importance de la création des ARS, qui se sont substituées à sept entités préexistantes. Cette assimilation de structures et de personnels de statuts différents demande du temps avant de produire pleinement tous ses effets. Je porte donc un regard pragmatique sur l'évaluation des ARS trois ans après leur naissance : c'est une durée qui, dans ce contexte, me semble sur certains points un peu courte.

En ce qui concerne le positionnement de la DGS vis-à-vis des ARS, je n'ai pas assisté à la mise en place des ARS en tant que DGS puisque j'ai pris mes fonctions il y a environ deux ans. Néanmoins, après le choc de décloisonnement qui a eu lieu en région, il me semble qu'on assiste à un développement progressif de la transversalité au niveau central, que ce soit dans les administrations ou dans les relations avec l'assurance maladie. Le rapport de la Cour des comptes souligne bien l'approche insuffisamment stratégique du CNP. De mon point de vue, cette fonction de coordination est culturellement nouvelle pour les administrations centrales, il faut donc un certain temps pour qu'elle produise pleinement ses effets. Etant membre du CNP, je pense que celui-ci a évolué, qu'il est désormais bien intégré dans le paysage et je suis partisan du renforcement de la fonction de secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales dans ce périmètre. Cela pourrait également conduire à la rectification du périmètre de certaines directions d'administration centrale.

Le CNP a deux fonctions : il assure la mise en cohérence stratégique de l'ensemble des partenaires nationaux pour définir et impulser une politique nationale dans le champ des ARS et il joue le rôle de filtre des instructions envoyées aux ARS afin de les harmoniser. L'analyse commune des instructions permet de mettre en lumière des lignes stratégiques communes à tous les acteurs concernés. Les ARS demandent d'ailleurs une unité, une meilleure coordination dans la transmission de ces instructions : le CNP est à ce titre particulièrement utile.

Un point qui n'est pas assez mentionné est la demande régulière des agences sanitaires d'avoir la possibilité de donner directement des instructions aux ARS. En tant qu'autorité de tutelle de la plupart de ces agences, je me dois d'être prudent sur cette question et de prendre garde à ne pas submerger l'opérateur unique en région de demandes provenant de l'ensemble des structures nationales. Je porte, en CNP, les requêtes des agences sanitaires : c'est une des responsabilités de la tutelle. Le CNP est bien le point de sortie des demandes nationales.

La création des ARS a eu un impact sur le fonctionnement et la structure de la DGS. Ainsi, un bureau spécifique chargé de l'organisation et de la coordination des instructions ou des politiques à destination des ARS a été récemment créé. Il sert d'interface entre la direction générale et le CNP. Les discussions se poursuivent régulièrement entre les directions « métier » et celles des ARS, avant que la formalisation des instructions n'ait lieu.

Au-delà de ces questions d'organisation, les directions d'administration centrale doivent porter une attention particulière au caractère opérationnel des instructions et bien veiller à distinguer ce qui relève du niveau national de ce qui relève du niveau régional. Il y a sûrement encore du chemin à faire pour que la transversalité nécessaire se traduise de façon plus stratégique et pour que les évolutions intervenues loin de Paris y trouvent un écho, afin que certains agents cessent de considérer les ARS comme des services déconcentrés de l'Etat. C'est un combat quotidien que je mène, mon expérience de directeur d'ARS m'ayant montré qu'il s'agit d'un travail de fond indispensable à mener.

Quelle cohérence entre une politique nationale de santé publique et les projets régionaux de santé (PRS) ? Il faut qu'il y ait un cadre stratégique, des principes édictés au niveau national, et que leur déclinaison sur le terrain soit faite par les ARS. Cette appropriation d'une politique qui a vocation à toucher l'ensemble du territoire ne peut pas se faire de façon uniforme et identique en Lorraine ou en Bretagne. Les ARS ont vocation à adapter la politique publique au niveau de leur territoire, avec leurs acteurs, leurs spécificités et l'épidémiologie qui est la leur. De mon point de vue, il faut renforcer l'autonomie des ARS tout en gardant les principes d'action d'une politique menée sur l'ensemble du territoire et définie au niveau national. Il faut faire preuve de bon sens pour l'adapter ensuite au niveau régional.

Sur le plan financier, le fonds d'intervention régional (FIR) est un levier intéressant, à conforter dans sa vocation transversale et polyvalente mais également sur le plan quantitatif. Les actions de prévention et de promotion de la santé bénéficient de la fongibilité asymétrique, ce qui me semble être une bonne chose. J'ai plaidé, dès l'origine, pour que les crédits du programme 204 consacrés à la prévention soient intégrés dans le FIR. En 2012, ces actions ont bénéficié de sept millions d'euros supplémentaires par ce biais dans l'ensemble du pays.

Dans le champ de la santé publique, deux types d'actions sont menées en région : la déclinaison ou l'adaptation des politiques publiques nationales et le traitement de problèmes sanitaires spécifiques, ce qui démontre tout l'intérêt des ARS. Les deux peuvent coexister sans antagonisme.

Enfin, le développement de l'animation territoriale, au plus proche des populations, répond à une véritable demande. Il faut une traduction opérationnelle des politiques publiques auprès des populations. Les ARS offrent une telle opportunité, grâce à des outils dont les résultats sont très satisfaisants, comme le contrat local de santé, qui associe l'ARS, les collectivités territoriales, les associations, voire les professionnels de santé, dans une logique de décloisonnement.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Notre but n'est pas de remettre en cause les ARS mais de lever les incompréhensions qui subsistent et de faire des propositions constructives au Gouvernement. C'est la raison pour laquelle j'aimerais vous faire part de remarques qui nous ont été faites lors de précédentes auditions. Le représentant des présidents de commissions médicales d'établissement des centres hospitaliers a estimé que les difficultés dans les relations entre le directeur général de l'ARS et les établissements découlent de l'ambiguïté des missions assignées aux ARS par la loi HPST. Il s'interrogeait sur la nature de ces relations : contractuelles, tutélaires ou partenariales ? Il y aurait une volonté de la part de certaines ARS de s'immiscer dans la gestion des établissements. Cela ne va pas dans le sens du pacte de confiance voulu par la ministre de la santé.

Des critiques sont apparues, de la part de syndicats représentant les chefs d'établissement, sur la planification des soins. Un média en a fait le titre choc suivant : « Pour les directeurs, la planification des soins tient davantage du gosplan que de la négociation ». C'est sans doute excessif, mais comment réagissez-vous à ce déficit de négociation ?

Les syndicats de médecins font état d'un problème de gouvernance et d'un manque de lisibilité dans les structures : avec qui contractualiser ? Ils dénoncent un manque de cohérence quant aux objectifs donnés aux ARS sur le terrain et sont bien en peine de répondre à la question pourtant primordiale de savoir qui précisément exerce les responsabilités. La réponse se trouve bien sûr dans la loi, mais son application ne semble pas conforme à sa lettre. L'insatisfaction de la médecine libérale est grande.

Ces remarques peuvent paraître disparates mais trouvent leur unité dans la perception critique des ARS qu'ont les acteurs de terrain. Certains en viennent pratiquement à regretter les ARH. La loi HPST n'a-t-elle pas été trop ambitieuse, en donnant aux ARS une palette de missions trop large ?

M. Jean-Yves Grall. - Je vais vous répondre sur la base de mon expérience d'ancien directeur d'ARH puis d'ARS. Ce que vous soulignez est exact. Toutefois, les ARH étaient les interlocuteurs uniques et exclusifs du monde hospitalier. Ce mode de fonctionnement a fait ses preuves et a donné satisfaction, notamment dans les relations avec les professionnels. Ces agences avaient en leur sein du personnel issu de la fonction publique hospitalière, ce qui facilitait la création de liens avec les acteurs de terrain. La création des ARS, dont l'hospitalisation n'est plus qu'une des missions, les a sans nul doute déroutés car ils avaient des partenaires clairement identifiés, dans une sphère spécifique. Le fait que l'hôpital ne constitue plus l'unique champ d'action de ces agences est, à mes yeux, à l'origine de ce ressenti. Les interlocuteurs ont pu changer lors de la constitution des ARS, les organigrammes ont parfois pu donner l'impression que le domaine hospitalier n'était plus mis en exergue comme auparavant.

Il faut également prendre en compte, dans ce constat, l'hétérogénéité des situations régionales. Parfois, dans les premiers temps, les préoccupations prioritaires des directeurs d'ARS étaient liées à leur origine professionnelle, à leurs connaissances ainsi qu'aux équipes qu'ils avaient recrutées. La compétence hospitalière s'est parfois amoindrie dans certaines agences, et les liens professionnels développés auparavant avec les agents de l'ARH ont pu disparaître, d'où les critiques que vous avez relayées.

Les directeurs d'ARS sont en contact permanent avec les établissements de santé dans le cadre d'un dialogue de gestion, afin de travailler à l'adaptation du fonctionnement et des financements ainsi qu'à l'amélioration de la qualité et à la diminution des risques. Ce n'est pas une tutelle au sens administratif du terme. Quant à la planification des soins, elle s'inscrit dans la lignée des anciens schémas régionaux d'organisation des soins (Sros). Ce n'est donc pas une nouveauté. La négociation qui conduit à la définition de ces schémas est très hétérogène et varie d'une région à une autre. Je ne pense donc pas qu'on puisse généraliser sur la base de critiques dénonçant un cas local.

Les médecins libéraux n'avaient pas l'habitude d'avoir face à eux une telle structure administrative. Ils traitaient auparavant avec les caisses primaires d'assurance maladie (Cpam) ou avec les préfets de questions comme la permanence des soins, qui relève désormais de l'ARS. Un accompagnement a été réalisé par les unions régionales des professionnels de santé (URPS), qui ont servi de point de contact. Une fois de plus, l'hétérogénéité des situations a pu avoir pour origine la méconnaissance des spécificités de l'organisation de la médecine libérale de la part de certains acteurs et la très grande différence de leurs cultures, suscitant des incompréhensions et ne facilitant pas le dialogue.

M. Alain Milon, rapporteur. - L'hétérogénéité des décisions prises par les ARS ressort clairement des auditions que nous avons menées jusqu'à présent et témoigne du poids de la personnalité de leurs directeurs. La loi prévoit pourtant qu'ils doivent appliquer territorialement la politique nationale de santé. Que pensez-vous de cette contradiction potentielle ?

Les syndicats de médecins ont l'impression d'avoir face à eux deux interlocuteurs chargés d'appliquer la même politique, l'assurance maladie et l'ARS, sans réelle coordination et parfois en empiétant sur leurs compétences respectives. Serait-il possible de faire en sorte que l'assurance maladie, chargée de rembourser les soins et de lutter contre les dépenses excessives, se cantonne à ses missions et que l'ARS s'occupe pleinement de l'organisation territoriale de la santé ?

M. Jean-Yves Grall. - Les politiques nationales de santé publique sont toutes mises en oeuvre en région. L'hétérogénéité vient plutôt des modalités selon lesquelles elles sont conduites par les différents directeurs d'ARS. Les contrats locaux de santé ne progressent parfois pas à cause des partenaires des ARS ou, justement, de l'absence de partenaires. Les principes de toutes les politiques publiques sont homogènes sur l'ensemble du territoire. Je ne souscris pas à la thèse selon laquelle c'est l'absence de volonté des directeurs d'ARS de les mettre en place qui contribue à leur hétérogénéité. Je suis catégorique sur ce point.

Une meilleure coordination est nécessaire pour ne pas disperser les efforts des différents acteurs et les moyens qu'ils consacrent, notamment en ce qui concerne la prévention, pour laquelle l'effet masse et la constance sont des facteurs importants de résultat. Il est donc nécessaire d'améliorer la cohérence de nos actions et de celles de l'assurance maladie. En région, il faut éviter que deux voix s'expriment à destination des professionnels. Il ne faut pas donner l'impression qu'il y a deux façons de voir alors qu'en pratique il n'y en a qu'une, celle de l'ARS. Il ne m'appartient pas de suggérer des modifications à l'assurance maladie, c'est un sujet qui ne manquera pas de faire l'objet de nombreuses réflexions.

De plus, l'assurance maladie ne passe pas de conventions régionales avec les professionnels de santé, à l'exception de financements spécifiques pour certaines activités. Ce sont des conventions nationales, négociées avec les représentants des différentes professions.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Lors des différentes auditions auxquelles j'ai assisté, j'ai souvent entendu parler de l'ingérence de l'ARS dans la gestion des soins et de la lourdeur des procédures d'appel à projet dans le médico-social, notamment pour le secteur public. Le manque de transparence dans la gestion du FIR a également été dénoncé. Le constat de l'hétérogénéité de la conduite des politiques de santé publique et d'organisation des soins est également partagé, la principale explication semblant être la qualité et l'expérience antérieure des équipes des ARS.

M. Jean-Yves Grall. - Les ARS ont été constituées à partir de structures et de personnels d'origines diverses, chargés de dossiers très différents. Il n'est pas étonnant que leur fusion et le changement d'affectation de certaines personnes aient pu causer, transitoirement, des inadéquations dans les compétences ainsi que des changements dans les interlocuteurs des acteurs de terrain.

Quelle est véritablement la définition de l'ingérence hospitalière ? Il ne s'agit pas pour l'ARS d'intervenir sur les modalités de fonctionnement interne de l'établissement, mais elle doit avoir un dialogue avec lui sur ses grands équilibres financiers, sur son positionnement stratégique à l'échelle de la région dans le cadre du PRS et du Sros et sur la qualité et la sécurité. J'étais personnellement très attentif à ce dernier point, car l'ARS est garante de la sécurité sanitaire. Elle ne doit pas s'immiscer dans les discussions internes, mais l'établissement doit respecter certaines lignes directrices.

L'appréciation de la transparence de l'utilisation du FIR me semble très subjective. Il est vrai que l'installation des ARS a eu des conséquences très lourdes pour le secteur médico-social, avec de nouvelles modalités d'attribution de projets.

M. Gilbert Barbier. - Il y a quelques années, un inventaire avait recensé cent quarante et un plateaux techniques dont la qualité était jugée insuffisante. Pour des raisons largement politiques, aucune restructuration ne fut entreprise. Le problème reste pourtant entier, notamment dans les départements ruraux. Comment la DGS peut-elle agir sur la qualité des professionnels, en particulier des médecins ? Comme vous le savez, les directeurs sont amenés, pour diverses raisons, à recruter sans critères précis de qualification ou d'expérience. Finalement, la volonté de maintenir des soins de proximité peut se faire au détriment de la qualité, dans un contexte d'évolution forte des pratiques médicales. Selon le degré d'information du patient, il choisira où se faire soigner mais n'optera que rarement pour l'établissement à proximité de son domicile, sauf en cas d'hospitalisation d'urgence.

M. Jean-Yves Grall. - Certaines des questions que vous posez font partie du champ de compétence de la DGOS. Je peux néanmoins vous répondre que la qualité et la sécurité en santé sont un des principaux axes d'action de la DGS. Concernant la qualification des professionnels, il appartient à la profession de délivrer des diplômes de qualité, afin de garantir le niveau de compétences de leurs titulaires. Je plaide également pour le développement d'une culture du signalement. Les ARS ont mis en place, avec leurs cellules de veille, d'alerte et de gestion sanitaires (CVAGS), un outil efficace. Nous travaillons actuellement à la refonte du processus de gestion des événements indésirables afin que l'ARS puisse recueillir la totalité des informations et être en situation d'intervenir en cas de besoin. La sécurité sanitaire est une mission importante des ARS et inclut le secteur hospitalier. J'ai moi-même eu, en tant que directeur d'ARS, à suspendre un service de chirurgie cardiaque sur la base d'éléments qui mettaient en évidence la multiplication d'événements indésirables. Il est donc possible d'agir sur la qualité et la sécurité grâce à plusieurs outils, notamment les données du PMSI. L'inspection et le contrôle ont été réorganisés et nous cherchons désormais à renforcer le rôle de l'ARS comme pilote de la sécurité sanitaire dans la région et d'amélioration des pratiques, en coopération avec les professionnels.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Dans le cadre de l'élaboration du schéma régional d'investissement en santé, une instruction du ministère de la santé ordonne aux ARS de réaliser avant le 15 juillet prochain un diagnostic des projets d'investissement et d'identifier les priorités ayant un impact sur le parcours de soins des patients. Il est précisé que ce schéma devra être établi « indépendamment des circuits de financement existant actuellement ». Comment cela va-t-il se passer ? Cela donnera-t-il lieu à une négociation ? Les élus seront-ils impliqués ? Cela ne risque-t-il pas d'apparaître comme technocratique ?

M. Jean-Yves Grall. - Je ne peux malheureusement pas vous répondre car la DGS n'est pas impliquée dans cette démarche, qui relève de la DGOS. Habituellement, un tel cheminement technique très en amont se fait en lien avec l'ensemble des partenaires, au premier rang desquels les élus. Les projets d'investissement importants sont tout d'abord discutés dans le cadre du PRS.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Selon les fédérations hospitalières, les instructions données par les ARS pour élaborer les PRS contiennent un certain nombre de mots clés tels que « complémentarité », « coopération » ou « coordination des acteurs ». Toutefois, la réflexion en amont pour faciliter leur mise en oeuvre aurait été insuffisante. Ce fut, par exemple, le cas en ce qui concerne la prise en charge des personnes âgées, à propos des modes de financement les plus adaptés ou des complémentarités à trouver entre soins de suite et de réadaptation (SSR), hospitalisation à domicile (HAD), établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et soins infirmiers à domicile (Ssiad).

Par ailleurs, le plan Alzheimer a été décliné par mesures avec des objectifs à atteindre par institution, et non par objectifs d'offre graduée ou complémentaire au sein des territoires.

Aviez-vous déjà eu connaissance de ces critiques ? Les ARS ont-elles suffisamment réfléchi à la mise en oeuvre sur le terrain des orientations du PRS ?

M. Jean-Yves Grall. - Chaque mois, les directeurs généraux des ARS se réunissent avec les directeurs d'administration centrale pour présenter les difficultés qu'ils rencontrent et solliciter l'appui du ministère sur des points techniques. En conséquence, la DGOS et la DGS produisent régulièrement des guides méthodologiques qui offrent une réponse unique, pour toutes les ARS, à une question précise. Il y a donc un dialogue permanent entre le niveau national et les ARS, ainsi qu'entre les ARS, afin d'aller vers une homogénéisation des pratiques et des solutions à apporter aux problèmes rencontrés. A titre d'exemple, la DGS a réalisé récemment un guide sur la santé environnementale. Elles ont désormais un cadre commun pour mener cette politique. De même, pour les relations entre le préfet et les ARS, un guide définit, pour tout le pays, les grandes lignes des protocoles qui régissent leurs relations. Le travail en commun pour définir des procédures harmonisées est réel.

La déclinaison, au plus proche des populations, des plans nationaux de santé publique peut parfois poser des difficultés car ils sont souvent en tuyaux d'orgue. Le traitement de la maladie d'Alzheimer, au-delà du plan national, fait l'objet d'un décloisonnement avec la promotion des maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades d'Alzheimer (Maia). Les ARS sont justement l'outil pour traduire cette nouvelle démarche qui vise à mettre en résonance, auprès de tous les acteurs locaux, des orientations nationales de santé publique. Les réalisations pratiques seront de plus en plus nombreuses. Ainsi, l'action des ARS devrait faire progresser les thématiques actuelles comme celle du parcours de santé, au-delà du parcours de soins. On constate ainsi de véritables progrès en ce qui concerne la moindre mise en avant de l'hôpital au profit de l'ambulatoire ou du médico-social. Il faut toutefois un peu de temps pour faire converger des cultures parfois très éloignées : les administrations peuvent paraître cloisonnées, mais les univers professionnels le sont aussi.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les questions de santé environnementale figureront sans doute en bonne place dans le projet de loi de santé publique que le Parlement devrait examiner d'ici le début de l'année prochaine. Quel est le rôle des ARS en la matière ? Quelle est la complémentarité avec d'autres secteurs comme l'agriculture ou l'industrie ? Quelle est la place des ARS par rapport aux autres ministères ?

M. Jean-Yves Grall. - La santé environnementale illustre la volonté du législateur d'unifier les compétences sur le champ de la filière santé et relève pleinement des ARS, que ce soit pour les déterminants de santé ou l'accompagnement des événements qui peuvent avoir des effets néfastes sur la santé.

C'est une fonction qui demande un important travail interministériel avec les services préfectoraux ainsi qu'avec les collectivités territoriales, en particulier les communes. Les relations avec les autres services de l'Etat sont bonnes et se font sans difficultés : c'est l'héritage de l'organisation antérieure de l'administration déconcentrée, très intégrée pour l'exercice de cette mission. Des réunions périodiques ont d'ailleurs lieu, entre le préfet et le directeur de l'ARS, afin de garantir la bonne articulation des services, et les délégués territoriaux assistent aux réunions des directeurs départementaux organisées par le préfet. Les thématiques de santé environnementale sont au coeur de ces relations.