Mercredi 5 juin 2013

- Présidence de M. Yves Daudigny, président -

Agences régionales de santé (ARS) - Audition de MM. Guy Moulin, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d'établissement des centres hospitaliers universitaires (CME de CHU), et Frédéric Martineau, président de la conférence des présidents de CME des centres hospitaliers (CME de CH)

M. Yves Daudigny, président. - Mes chers collègues, dans le cadre de nos travaux sur les ARS, nous recevons cet après-midi les présidents des commissions médicales d'établissement des centres hospitaliers universitaires et des centres hospitaliers, respectivement le Professeur Guy Moulin, de l'Assistance Publique de Marseille, et le docteur Frédéric Martineau, du centre hospitalier de la côte basque.

En tant que médecins et présidents de CME, vous avez été particulièrement concernés par l'ensemble de la loi HPST mais nous souhaitons concentrer nos travaux sur les seules agences régionales de santé (ARS).

Dans quelles conditions se sont-elles mises en place ? Quelles ont été les conséquences de cette création pour les établissements de santé, notamment pour les équipes médicales et soignantes ? L'organisation des ARS doit-elle évoluer, en particulier en termes d'autonomie ou de champ de compétences ?

M. Guy Moulin, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d'établissement des centres hospitaliers universitaires (CME de CHU). - S'agissant de l'analyse que l'on peut avoir des relations avec les ARS, je pense que les réponses seront très partagées par les CME de CHU et de CH.

Dans l'ensemble, la mise en place des ARS n'a pas été ressentie comme marquant une modification substantielle de l'accompagnement ou du non-accompagnement des établissements, antérieurement développé par les agences régionales de l'hospitalisation (ARH).

Ce qui prédomine, c'est le grand sentiment d'hétérogénéité selon les régions dont au moins deux connaissent de grandes difficultés avec leur ARS. Néanmoins, ces difficultés tiennent plus à la personnalité du directeur ou de ses collaborateurs qu'à la structure elle-même. Il est vrai que parfois le professionnalisme des équipes paraît peu satisfaisant aux yeux des hospitaliers.

Dans la région qui est la mienne, les relations avec l'ARS sont plutôt bonnes ; il y a un accompagnement, un suivi, des discussions sur le projet médical d'établissement. Mais ceci n'est pas très différent de ce que nous connaissions avec l'ARH.

Nous avons un regret. Les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) qui impliquent les CME paraissent être la part émergée de l'iceberg. Pour tous les autres sujets qu'elle traite, l'ARS s'adresse directement aux experts hospitaliers sans passer par la CME. Ceci ne serait pas très grave si les décisions prises n'avaient pas d'effet sur le projet médical d'établissement.

Globalement, les structures sont considérées par les CME comme difficilement lisibles.

Les contrôles liés à la tarification à l'activité sont réalisés de manière hétérogène entre régions mais aussi à l'intérieur d'une même région. Certains ont un aspect inquisitorial qui est d'autant plus mal ressenti que les conséquences sur les finances d'un établissement sont importantes. C'est une épée de Damoclès qui pèse sur nos têtes. D'autant qu'ici encore le contrôleur n'a pas nécessairement la même compétence que le médecin hospitalier qu'il contrôle, ce qui pose des difficultés. Le cas du CHU de Lyon qui a été placé dans de sérieuses difficultés financières suite à un contrôle doit amener à réfléchir sur les pénalités imposées aux établissements.

Nous avons également l'impression que les ARS n'ont pas de réelle autonomie. Elles apparaissent comme le bras armé du ministère qui, par leur biais, impose des objectifs comptables aux établissements.

L'organisation des ARS nous semble verticale et bureaucratique et nous avons parfois l'impression que le mode d'intervention dans l'organisation des établissements vise à transposer des méthodes issues du monde du commerce et de l'industrie plus qu'il ne s'adapte à celui de la santé.

S'agissant de la démocratie sanitaire, les différentes commissions mises en place réunissent un patchwork d'acteurs et il faut prendre garde que le consensus ne se fasse pas sur le plus petit commun dénominateur.

Sur le périmètre de compétences des ARS, nous pensons surtout qu'il faudrait plus d'actions et plus de cohérence entre les objectifs affichés par le ministère et les moyens mis à disposition.

En conclusion, les ARS nous apportent une aide indéniable sur les projets que nous souhaitons développer, mais il y a un véritable problème de relation avec les élus sur les objectifs de santé. Il faut que nous nous interrogions sur l'indépendance de fait de l'ARS face aux autorités politiques du territoire, par exemple en ce qui concerne le régime d'autorisation des équipements lourds.

M. Frédéric Martineau, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d'établissement des centres hospitaliers (CME de CH). - Je dresserai un constat globalement plus sévère et ce d'autant que les CME de CH étaient favorables à la mise en place des ARS.

Il y a besoin d'une structure permettant d'assurer une cohérence entre la médecine hospitalière, la médecine de ville et le médico-social, la dimension régionale nous apparaissant la bonne échelle. Cependant, après quelques années de mise en place, on ne peut que constater certaines difficultés. Elles sont parfois la conséquence de comportements ou de relations personnelles conflictuelles, nous l'avons dit. Mais au travers de l'analyse faite par le rapport Boiron-Fellinger qui rejoint le constat dressé par notre conférence, ces conflits peuvent renvoyer aussi aux missions assignées aux ARS par le législateur, à leur pilotage national qui multiplie les circulaires et les indicateurs et au type de relation entre ARS et établissements de santé. S'agit-il de relations contractuelles, tutélaires ou partenariales ?

Vous nous avez interrogés sur les conséquences de la création des ARS sur le fonctionnement des établissements de santé, y compris sur les équipes soignantes. Tout dépend du degré d'implication des ARS dans le fonctionnement des établissements. Trois constats s'imposent à notre conférence :

1. Il y a un problème de compréhension de la politique des ARS. Elle n'est ni transparente ni lisible. Si l'on prend par exemple la question de la vision territoriale de l'offre de soins, on rencontre des cas d'incitation à créer des communautés hospitalières de territoire et d'autres où, au contraire, il y a injonction de faire.

La dissociation entre les projets, même une fois validés, et leurs financements, qui parfois ne suivent pas, est également très mal ressentie.

Enfin, il y a un sentiment, de la part des équipes soignantes, d'une ingérence dans l'organisation des établissements de santé que ce soit en matière de politique d'achat, que certaines ARS voudraient uniformiser sur l'ensemble du territoire, ou de ressources humaines lorsqu'il y a conflit. Ceci paraît entraîner une perte d'autonomie des établissements de santé.

2. Il y a aussi une forte lourdeur bureaucratique.

Les Cpom sont imposés aux établissements avec des délais contraints et un nombre d'indicateurs démesuré, près de 200 dans une région !

Le processus d'élaboration du projet régional de santé (PRS) est également disproportionné et aboutit à des documents de 900 à 1 000 pages, ce qui est contraire à l'objectif de plus large diffusion et d'appropriation du document.

La « culture » de la réunion est aussi décourageante, avec des convocations au dernier moment et souvent des difficultés à obtenir un retour ou une traduction concrète sur le terrain, ce qui conduit inévitablement à s'interroger sur l'utilité de se rendre à la énième réunion sur le même sujet.

Par ailleurs, les délégués territoriaux n'ont pas de marge de manoeuvre. Ils doivent systématiquement rendre compte avant toute décision, ce qui les prive de toute autonomie tout en étant source d'une grande rigidité. On constate toutefois un certain rééquilibrage.

Il est très difficile d'identifier les acteurs dans les ARS et ils ne communiquent pas entre eux de façon transversale.

3. On constate aussi un échec du décloisonnement.

Les ARS n'ont pas une implication suffisante dans la médecine libérale et dans le médico-social et on a parfois le sentiment que les agences s'occupent des établissements pour lesquels elles ont un levier d'action, c'est-à-dire l'hôpital. Sur ce point, il n'y a toutefois pas d'homogénéité entre les régions.

Sur la démocratie sanitaire, elle fonctionne dans l'ensemble. Le directeur d'ARS s'appuie sur les commissions spécialisées. La commission permanente qui est mensuelle approuve le Schéma régional d'organisation sanitaire et sociale (Sross) et, en Aquitaine, assure le suivi. La conférence territoriale ne dispose d'aucun moyen.

S'agissant des contrôles relatifs à la tarification à l'activité, les ARS informent généralement les établissements mais il y a un problème de méthode. Les contrôles dépendent beaucoup de la personnalité des contrôleurs qui n'aident pas toujours les établissements à se préparer. Les échanges avec les départements de l'information médicale (DIM) sont problématiques. Les contrôles ciblent trop souvent des atypies, des actes frontières et cette pratique est diversement ressentie.

Sous prétexte de régulation, rôle que par ailleurs nous ne remettons pas en question, les ARS ont parfois tendance à s'immiscer dans la gestion des établissements, ce qui suscite incompréhension et pose la question du périmètre de leurs compétences.

Nous recherchons avec les ARS un véritable dialogue stratégique, voire des initiatives dans le but de favoriser la coopération, les réseaux et le décloisonnement entre les différents acteurs de santé.

En fait, cela revient à se demander si les ARS doivent avoir une relation de partenariat ou de tutelle avec les établissements. Comment un directeur d'établissement public de santé peut-il manifester des désaccords lorsqu'il sera ensuite évalué par la même autorité ? C'est là que le président de CME peut jouer un rôle en participant aux discussions avec la tutelle et en exprimant les préoccupations partagées avec le directeur. Dans cette perspective, il pourrait cosigner les Cpom, ce qui est une de nos propositions en faveur d'un rééquilibrage.

Il faut aussi reconnaître que les ARS sont dépendantes du pilotage national. Elles ont de nombreuses missions qui leur ont été confiées par le législateur et font elles-mêmes face à une multiplication des indicateurs. Ceci les conduit à s'éloigner de l'objectif de mise en place d'une véritable stratégie régionale.

La question de l'autonomie des ARS rejoint la problématique des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac) et du fonds d'intervention régional (FIR).

Notre conférence fait le constat d'un manque de transparence sur la répartition des Migac et s'interroge sur le caractère totalement fongible de l'enveloppe FIR dont on ne connaît pas les « clés » de distribution. De plus, il faut, à un niveau supérieur, s'assurer d'une certaine équité entre les régions : un contrôle national nous semble opportun, associé à une exigence de transparence.

Sur l'organisation administrative et politique, nous pensons qu'aujourd'hui le système mis en place est extrêmement rigide entre l'échelon national, l'échelon régional et le local, c'est-à-dire les territoires.

On observe des injonctions venant d'en haut que les ARS doivent appliquer en exerçant un rôle de tutelle et en gommant toute notion d'autonomie des établissements de santé. Ceci crée un problème de confiance avec les acteurs de terrain.

M. Yves Daudigny, président. - Vous dressez un tableau plus que gris de la situation...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Vos interventions liminaires, très riches, ont d'ores et déjà apporté une réponse aux questions qui vous avaient été adressées. Pour aller plus loin, avez-vous des propositions à faire concernant le pilotage national des ARS, qui a été critiqué par la Cour des comptes ? A l'origine, c'était au Conseil national de pilotage (CNP) de jouer le rôle de filtre entre les ARS et l'administration.

J'ai l'impression que vous n'avez pas fait le deuil des ARH, qui étaient ciblées sur les hôpitaux. Les ARS ont un champ d'action plus large, peut-être même trop d'ailleurs. Elles sont compétentes pour l'ensemble des domaines de la santé, y compris en matière de gestion des risques. Je me fais peut-être l'avocat du diable, mais à vous entendre, cela n'allait-il pas mieux avec les ARH, qui avaient une meilleure connaissance de l'hôpital ?

M. Alain Milon, rapporteur. - Je n'ai pas entendu cela...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - J'alimente le débat...

Les contrôles T2A suscitent de nombreux malentendus entre l'assurance maladie, les ARS et les hôpitaux. Un nombre croissant d'établissements a recours à des prestataires extérieurs pour réaliser les codages, dans un souci d'améliorer leurs ressources. Comment réagissez-vous vis-à-vis du recours à ces organismes ?

Vous avez cosigné le 17 mai dernier, avec la Fédération hospitalière de France (FHF), un communiqué dénonçant le récent rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) qui préconise de soumettre à l'accord des ARS tout emprunt d'une durée de plus d'un an réalisé par un hôpital. Vous y voyez une remise en cause profonde de l'autonomie financière des établissements de santé. Dans ce contexte, comment parvenir à préserver celle-ci tout en reconnaissant aux ARS, qui représentent l'Etat, la possibilité d'intervenir en matière d'investissements, du fait de leur lourd impact pour les finances publiques, et notamment celles de l'assurance maladie ? Quelles seraient les limites à imposer aux ARS en matière de contrôle financier des établissements de santé ?

M. René Teulade. - Quel serait pour vous le bon équilibre entre autonomie et exercice de la tutelle ?

M. Frédéric Martineau. - De nombreux établissements s'interrogent sur l'exhaustivité et la qualité du codage, qui sont essentielles. Sur ce sujet, on peut distinguer deux tendances : l'une repose sur la délégation de cette tâche à des experts ou des sociétés extérieurs, la seconde au contraire s'appuie sur le codage par les médecins dans les différents pôles.

Ces méthodes ont toutes deux des avantages et des inconvénients. Le codage réalisé par un prestataire est sans nul doute exhaustif, mais je ne suis pas convaincu qu'il soit de qualité. Or, les contrôles T2A portent sur la qualité du codage, afin de s'assurer qu'il n'y a pas d'erreurs ou de négligences. Le second cas de figure est plus compliqué à mettre en place, mais je suis convaincu que c'est la marche à suivre. Une partie essentielle du codage fait appel à la compétence médicale du praticien. Seul le médecin du patient est à même de réaliser le codage le plus pertinent. Cela implique un effort de formation permanent très important, car les nomenclatures évoluent constamment.

La société extérieure va se baser sur le dossier du patient et, principalement, sur la lettre de sortie. Si celle-ci est incomplète, le codage sera incorrect. Certes, le codage des actes sera réalisé pour tous les patients, avec un indéniable effet volume. Mais une erreur de codage peut faire varier le tarif du simple au triple, comme j'ai pu le constater avec un exemple récent dans le service d'hématologie de mon établissement. Pour parvenir à une tarification qui corresponde à l'activité, il faut s'appuyer sur les différents services et pôles ainsi que sur un DIM compétent.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les sociétés extérieures ne voient-elles que les résumés de sortie standardisés (RSS) ? Y-a-t-il un risque d'atteinte au secret médical si elles ont accès au dossier ?

M. Guy Moulin. - Elles travaillent aussi en lien avec les DIM. Je ne suis pas sûr que le recours à des sociétés privées ait un impact sur le contrôle. De nombreux établissements leur confient plutôt le « recodage », ce qui permet d'augmenter a posteriori les recettes grâce, notamment, à l'analyse des comorbidités.

Les contrôles réalisés sur la tarification ont malheureusement un objectif purement comptable et financier. La pertinence des actes n'est pas contrôlée, alors que ce devrait être la mission des ARS. Cela pose la question de la compétence de leur personnel face aux spécialistes hospitaliers. Un reproche qui peut donc être fait aux ARS est de ne pas réaliser correctement cette tâche. En outre, elles se concentrent quasi-exclusivement sur l'hôpital, alors que cette même question de la pertinence des actes mériterait d'être examinée dans nombre de structures libérales. Je ne remets pas en cause l'objectif financier des contrôles, mais il ne faut pas oublier les patients.

En ce qui concerne le communiqué que nous avons cosigné avec la FHF, cela s'explique par la dureté du rapport de l'IGF envers les hôpitaux. Leur endettement est avant tout la conséquence de la mise en oeuvre d'une politique publique décidée par l'Etat en faveur des investissements hospitaliers !

Je suis tout à fait conscient, pour travailler dans un établissement très endetté, que l'endettement doit être maitrisé. Toutefois, il est impossible d'arrêter d'investir. Quelle est l'alternative ? Laisser les femmes accoucher dans la rue ? Ce serait sans doute malvenu...

La question n'est donc pas celle des limites de l'autonomie des établissements. Ils doivent être aidés et surtout continuer à investir, sans être soumis à une tutelle purement comptable. Il en va de leur mission de service public.

M. Frédéric Martineau. - Il y a plusieurs types d'investissements. Il faut distinguer l'investissement courant et l'investissement lourd, en particulier immobilier. Pour reprendre l'exemple de l'établissement dans lequel je travaille, l'investissement de 240 millions d'euros qu'il a entrepris n'a reçu une aide de l'Etat qu'à hauteur de 7 %. Il est difficile, par la tarification à l'activité, de financer une telle restructuration. Il est donc logique que la tutelle intervienne. Pourquoi ne pas imaginer un plan national de programmation des grands investissements immobiliers hospitaliers, pour éviter le saupoudrage des financements. En outre, il faut mesurer les coûts induits par les investissements sur le fonctionnement ultérieur de l'hôpital. Il faut donc un regard fort et appuyé des autorités de tutelle sur des projets qui sont parfois disproportionnés.

M. Alain Milon, rapporteur. - Selon vous, il est nécessaire que les ARS aient plus d'autonomie et que le financement des missions d'intérêt général (MIG), de l'aide à la contractualisation (AC) et du Fonds d'intervention régional (FIR) soit plus transparent. Dans le même temps, vous nous avez expliqué qu'il existe une grande hétérogénéité dans la façon dont les directeurs d'ARS appliquent la politique nationale. Cela veut donc dire qu'ils disposent déjà d'une certaine autonomie et que la loi la leur reconnaît.

Contrairement à mon collègue Jacky Le Menn, je n'ai pas entendu dans vos propos de nostalgie concernant les ARH, mais plutôt une déception par rapport à l'application de la loi. Déception également quant aux limites auxquelles font face les directeurs d'hôpitaux, dont l'évolution de carrière dépend des directeurs d'ARS, comme celle de ces derniers dépend du ministère de la santé. Ne faudrait-il pas dissocier ces questions afin de garantir aux acteurs une véritable liberté d'action ? Je m'interroge sur ce point, qui s'éloigne du sujet de cette audition.

Sur le financement des établissements de santé, le rapport que Jacky Le Menn et moi-même avons présenté à la Mecss en juillet 2012 préconisait déjà que les investissements immobiliers des hôpitaux ne reposent pas uniquement sur un financement « assurance maladie » mais aussi sur des crédits budgétisés liés à la solidarité nationale. Pourquoi ne pas s'inspirer de l'éducation nationale ou de l'enseignement supérieur, où l'Etat prend en charge les universités, les régions les lycées, les départements les collèges et les communes les écoles ? Rendre les collectivités territoriales responsables de ces investissements : telle était une piste de réflexion, qui jusqu'à aujourd'hui n'a pas fait réagir les représentants du secteur. Qu'en pensez-vous ?

M. Frédéric Martineau. - Il y a effectivement plus de déception que de nostalgie dans nos propos. Nous sommes déçus que les ARS se comportent d'abord en contrôleurs de gestion dont l'ingérence dans les établissements de santé paraît la principale occupation. L'organisation régionale et territoriale de la santé est délaissée, tout comme l'aide à la réflexion stratégique et à la transversalité de l'offre de soins. Il est évident que les hôpitaux doivent avoir un lien avec l'amont comme avec l'aval : les ARS auraient pu jouer le rôle d'interface. Dans la plupart des régions, leur action en la matière n'est malheureusement pas satisfaisante.

Je partage votre constat sur le financement. Toutefois, si on reproduit le schéma de l'éducation nationale, n'y-a-t-il pas un risque d'ingérence trop forte de la part des élus ? Il est indispensable d'avoir des établissements qui correspondent aux besoins d'un bassin de population et qui répondent à des critères précis de qualité et de pertinence des soins. Il ne faut pas maintenir une structure uniquement en raison de son implantation territoriale, malgré une qualité des soins de niveau insuffisant. Un subtil équilibre entre ces facteurs doit donc être trouvé. Cela doit s'accompagner d'une réflexion sur l'évolution des besoins en matière de soins, dans un contexte de population vieillissante et de développement des maladies chroniques. Voila à quoi doit servir la stratégie nationale de santé, ce qui ne dispensera pas d'un travail collectif de tous les acteurs sur le territoire. Une véritable révolution intellectuelle est nécessaire !

On le constate lors de la mise en place de coopérations entre établissements. Lorsqu'un projet territorial est porté par les communautés médicales et partagé localement, une grande partie du chemin a été accomplie. Il faut ensuite convaincre les directeurs d'établissements et les élus. Dès lors que ceux-ci ont clairement perçu les enjeux pour leur bassin de population, leur soutien joue le rôle de catalyseur. En revanche, leur incompréhension conduit au blocage. La place de l'élu dans la gouvernance hospitalière a d'ailleurs figuré en bonne place dans les travaux du groupe de travail n° 3 du pacte de confiance pour l'hôpital mené par Edouard Couty.

M. Guy Moulin. - Votre proposition concernant le rattachement des investissements hospitaliers aux collectivités territoriales ne me semble pas mauvaise. Je m'interroge simplement sur la place des CHU : seraient-ils nationaux ou régionaux ? Il ne faut pas non plus oublier que les écarts de richesse entre collectivités sont très importants. Quelle forme prendraient alors les financements ? Reposeraient-ils uniquement sur les capacités des collectivités ou bien l'Etat leur affecterait-il des ressources ? Pour autant, je ne suis pas choqué par cette idée qui soulève une question plus large : n'est-ce pas le premier pas vers une régionalisation des politiques de santé ?

M. Gilbert Barbier. - Il y a un antagonisme entre la préoccupation des élus pour l'aménagement du territoire et la garantie d'un égal accès à des soins de qualité sur l'ensemble du territoire. Le problème vient de la volonté de certains de préserver à tout prix certains établissements. Alors qu'il y a quelques années 126 plateaux techniques proches de la limite acceptable en matière d'efficacité et de qualité avaient été identifiés, des considérations politiques ont conduit à l'abandon des restructurations envisagées. Quel doit être le rôle de l'ARS dans cette situation ?

Un exemple récent survenu dans ma région, la Franche-Comté, me permet d'illustrer mon propos. La fermeture du service mobile d'urgence et de réanimation (Smur) de nuit au sein d'un petit hôpital a rencontré l'opposition unanime des élus et des présidents de CME. Je n'ai d'ailleurs jamais vu un président de CME soutenir la fermeture d'un service ou une réorganisation. Ce n'est pas votre discours : qu'en est-il au sein de votre conférence ? Par ailleurs, le recours à l'intérim se développe très fortement dans certains établissements. Ne croyez-vous pas que les ARS devraient intervenir dans ce recrutement plutôt que de laisser les directeurs d'établissements seuls face à ces difficultés ?

M. Frédéric Martineau. - Mon discours est sans nul doute différent de celui tenu par un président de CME directement concerné par un projet de restructuration et qui cherche à sauver son activité ou son établissement. Toutefois, la majorité des membres de ma conférence sont de cet avis. Nous avons un devoir de qualité des soins et de pérennité de prise en charge des pathologies dans nos établissements. Si ce n'est plus possible, il faut sortir par le haut de ces situations difficiles. Dans ces circonstances, la seule solution est, pour moi, la collaboration entre établissements et l'organisation d'une prise en charge par paliers. Il est de la responsabilité de l'hôpital référent au niveau départemental de venir en aide aux établissements en difficulté et de leur proposer des collaborations. Elles peuvent prendre de multiples formes : consultations spécialisées avancées, recours à la télémédecine, délégation de tâches, pérennisation de l'offre de soins grâce aux concours de médecins référents de l'hôpital, etc. La population peut le comprendre, dès lors qu'un bon maillage est organisé et qu'on détermine précisément jusqu'où aller dans le maintien d'activité dans l'établissement. Pour autant, l'offre doit être pérennisée et stabilisée dans la durée une fois qu'elle est décidée, au risque de voir la confiance s'effilocher, ce qui est dramatique.

M. Gilbert Barbier. - Cela doit se faire sous l'égide de l'ARS.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les principes de la tarification à l'activité n'handicapent-ils pas le développement de ces coopérations, pourtant nécessaires ?

M. Frédéric Martineau. - Effectivement, la T2A n'incite pas à la collaboration entre établissements, ni d'ailleurs à une amélioration de la qualité. Une coopération revient avant tout, d'un point de vue comptable, à une perte d'activité pour les établissements, aussi bien pour celui qui cherche à préserver son offre de soins que pour celui qui lui apporte son concours.

M. Guy Moulin. - C'est un problème avant tout politique. La fermeture d'un hôpital est justifiée par le manque de personnel qualifié ou l'existence d'un autre à proximité. Les oppositions sont souvent liées à la perte d'emplois et d'activité économique que la disparition de l'établissement entraînerait. L'ARS doit prendre ses décisions sur des critères objectifs, au regard de l'offre de soins sur le territoire. Il appartient ensuite aux collectivités territoriales d'accompagner ces restructurations et de prendre les mesures nécessaires pour en limiter les effets. Chacun doit prendre ses responsabilités, et l'ARS doit être soutenue par le pouvoir politique local.

M. Gilbert Barbier. - Je ne vois pas quel maire ou quel directeur d'hôpital déciderait de la fermeture de son établissement...

M. Frédéric Martineau. - On a fortement besoin de l'ARS : c'est une évidence. Elle a les outils pour contraindre les établissements à coopérer afin d'éviter la disparition totale de l'offre de soins sur un territoire. Son intervention marque les esprits.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Dans un discours prononcé la semaine dernière au salon Hôpital Expo 2013, Marisol Touraine a notamment déclaré avoir « entendu les inquiétudes sur l'autonomie des établissements de santé », tout en soulignant que l'autonomie « ne veut pas dire isolement ». Elle a surtout rappelé que les ARS sont là pour épauler les hôpitaux et leur apporter la visibilité et la cohérence dont ils ont besoin. Il existe donc à ses yeux une relation partenariale entre les ARS et les hôpitaux. Est-ce bien ce que vous constatez au quotidien ? Répondent-elles présentes lorsque vous en avez besoin ?

M. Frédéric Martineau. - Les ARS ne sont malheureusement pas suffisamment nos partenaires, mais encore trop nos contrôleurs. Elles devraient davantage nous aider à trouver des solutions aux problèmes territoriaux que nous rencontrons.

Une fois de plus, ce constat général mériterait d'être nuancé selon les régions : la situation n'est pas homogène. J'ai toujours connu, dans la région Aquitaine, une volonté de dialogue de la part de l'ARH puis de l'ARS. Ce n'est pas le cas partout : certains directeurs d'ARS ne se rendent jamais dans les établissements de leur région ! Cela ne nous empêche pas de les solliciter régulièrement.

M. Guy Moulin. - Il est difficile d'avoir un jugement tranché sur cette question. Dans ma région, l'appui de l'ARS a été utile pour des projets internes aux établissements. Un comité commun ARS-CHU, qui existe de longue date, constitue un lieu de dialogue et donne un support méthodologique à nos initiatives. Toutefois, la situation devient plus complexe dès qu'on atteint les limites de la réglementation. Le caractère bureaucratique de l'ARS refait alors surface. De même, la gestion des crédits MIG, qui font l'objet d'un saupoudrage, constitue une vraie difficulté.

Le contrôle est permanent, ce qui ne facilite pas la tâche des directeurs généraux de CHU. Une fois de plus, les relations varient selon la personnalité du directeur général de l'ARS et de son équipe, qui font parfois preuve d'une méconnaissance complète du fonctionnement des institutions hospitalières.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Le conseil de surveillance de l'ARS est présidé par le préfet de région. Quelles sont vous relations avec lui ?

M. Guy Moulin. - Il n'y a pas de contact particulier avec le conseil de surveillance de l'ARS.

Agences régionales de santé (ARS) - Audition de M. Jean Debeaupuis, directeur général de l'offre de soins

M. Yves Daudigny, président. - Nous accueillons maintenant M. Jean Debeaupuis, directeur général de l'offre de soins au ministère des affaires sociales et de la santé (DGOS).

Monsieur le directeur général, la direction dont vous avez la charge depuis quelques mois est l'héritière de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) qui avait un lien naturel très étroit avec les agences régionales de l'hospitalisation (ARH). Les agences régionales de santé (ARS) dépendent quant à elles principalement, au-delà du Conseil national de pilotage (CNP) et de leur statut d'établissement public autonome, de trois directions d'administration centrale : la DGOS, mais aussi la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et la Direction générale de la santé (DGS).

Cette nouvelle organisation fait écho aux objectifs de décloisonnement et de rationalisation poursuivis par la loi HPST.

Or, tout en saluant les conditions globalement satisfaisantes de la mise en place des ARS, la Cour des comptes évoque un pilotage national trop peu stratégique et un rôle encore prégnant des administrations centrales.

La situation s'est-elle améliorée depuis le constat de la Cour des comptes ? Quel bilan tirer de la mise en place des ARS ? Quelles sont les évolutions souhaitables, par exemple en termes d'autonomie ou de champ de compétences ?

Outre ces questions relatives aux agences, l'actualité récente amènera peut-être mes collègues à vous interroger sur la situation financière des hôpitaux. Cette question nous intéresse d'autant plus que nous avons adopté, l'an passé et à l'unanimité, un rapport sur leur financement où se trouvait déjà, je me permets de le signaler, l'essentiel du constat dressé par l'Inspection générale des finances (IGF).

M. Jean Debeaupuis, directeur général de l'offre de soins. - Comme vous le savez, les ARS ont reçu des attributions beaucoup plus larges que les ARH, puisque leur champ de compétences couvre aussi le secteur médico-social, la médecine de ville et la politique de santé publique. Dans le même temps, en 2010, la DGOS a succédé à la DHOS avec deux objectifs : englober au sein d'une seule direction l'ensemble de l'offre de soins, hospitalière et ambulatoire, et accompagner la mise en place des ARS tout en positionnant l'administration centrale sur des fonctions plus stratégiques. Il s'agit d'une évolution très profonde qui a entraîné pour la DGOS au moins trois changements significatifs.

Tout d'abord, elle contribue au pilotage des ARS, sous l'égide du secrétariat général en charge des ministères sociaux. Elle siège au sein du CNP, participe aux séminaires mensuels des directeurs généraux d'ARS et, de manière générale, entretient au quotidien des relations et des échanges renforcés avec l'ensemble des acteurs concernés.

Deuxièmement, vous l'avez évoqué, Monsieur le président, la DGOS se trouve vis-à-vis des ARS dans une position moins centrale que ne l'était celle de la DHOS vis-à-vis des ARH. La DGOS est à l'origine d'un tiers seulement des instructions adressées chaque année aux ARS et les relations directes entre DGOS et ARS sont limitées aux dossiers particuliers.

Enfin, c'est un réel défi que d'assurer la coordination et la transversalité entre un nombre d'acteurs beaucoup plus élevé, qu'il s'agisse des administrations centrales, des organismes de sécurité sociale et de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ou des grandes fédérations et organisations représentant le secteur de la santé.

Vous avez mentionné le constat effectué par la Cour des comptes. Les objectifs de décloisonnement et de transversalité qui nous sont assignés impliquent des modalités de mise en oeuvre parfois complexes et exigent un temps d'appropriation. Je crois que depuis lors, des progrès ont été réalisés en faveur d'une fluidité croissante de l'information. Quant à l'autonomie des ARS, c'est une réalité, notamment parce que les directeurs généraux ont toute latitude dans l'organisation interne des agences, mais il est également normal que des instructions leur soient adressées puisqu'elles exercent des compétences au nom de l'Etat.

Je voudrais aborder les différentes questions que les rapporteurs m'ont fait parvenir.

Quels enseignements peut-on tirer de la mise en place du Fonds d'intervention régional (FIR) ? Nous étions en 2012 dans une logique de transition. Les circuits sont maintenant établis et les modes de gestion ont été améliorés. Nous aurons une vision plus complète lors de la publication du rapport d'activité des ARS pour 2012. Des améliorations sont attendues par la simplification des circuits comptables et le suivi du FIR bénéficiera en 2014 du déploiement de l'application Hapi (harmonisation et partage d'informations) destiné au secteur médico-social. En 2012, les ARS ont utilisé certaines marges de redéploiement en fonction de leurs priorités régionales, principalement au profit de la restructuration de l'offre de soins (16 millions d'euros), de la prévention (10 millions d'euros) et du secteur médico-social (5,5 millions d'euros). En 2013, le montant du FIR fera plus que doubler, passant de 1,5 à 3,3 milliards d'euros. Son périmètre inclut dorénavant quatorze missions d'intérêt général (MIG), dont dix nouvellement transférées en 2013, ainsi que les aides à la contractualisation (AC) à l'exception des plans d'investissements et des engagements nationaux. 2013 sera donc une année d'approfondissement pour le FIR qu'il faut ancrer en tant qu'outil stratégique d'action régionale.

Qu'en est-il des critiques récurrentes à l'encontre d'un interventionnisme excessif des agences ? Je ne dispose pas d'exemples précis sur ce sujet. Les hôpitaux sont responsables de leur gestion et il est de ce fait nécessaire de respecter leur autonomie. Pour autant, comme l'a indiqué la ministre des affaires sociales et de la santé, l'hôpital n'est pas une institution « hors sol », isolée de son environnement. Les ARS sont là pour épauler les hôpitaux, pour leur apporter une indispensable visibilité et favoriser leur ancrage sur le territoire. C'est par un travail collectif, au niveau régional, que les choses peuvent progresser.

Vous souhaitiez des précisions sur la mise en oeuvre de l'expérimentation sur le parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d'autonomie (Paerpa) prévue par l'article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Celle-ci s'effectuera dans huit régions, donc cinq dès septembre 2013 et trois supplémentaires à partir de 2014. Le cahier des charges a retenu quatre axes : les systèmes d'information et les outils de partage de données ; la coordination des professionnels de santé ; les conditions de recours à l'hôpital et les sorties d'hospitalisation ; l'évaluation des projets. Cette expérimentation bénéficiera d'une dotation spécifique du FIR, la circulaire correspondante devant être prochainement publiée.

Enfin, Monsieur le président, vous évoquiez les premières données sur la situation financière des hôpitaux en 2012. Il s'agit d'éléments provisoires qui devront être confirmés par l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (Atih) lorsqu'elle pourra consolider, à l'automne, l'ensemble des comptes des établissements. Ces éléments traduisent une amélioration du résultat des établissements publics de santé, tous budgets confondus, de 400 millions d'euros en 2012, soit environ 0,4 % de la masse budgétaire. Pour l'ensemble des établissements, on enregistrerait en 2012 un excédent global de 100 millions d'euros tous comptes confondus et un déficit de 100 millions d'euros sur les seuls comptes de résultat principaux.

On peut noter que toutes les catégories d'établissements contribuent de façon équilibrée à ce redressement. Tous comptes confondus, l'amélioration s'élève à 260 millions d'euros pour les trente-deux CHU-CHR, qui dégageraient un excédent de 20 millions d'euros, et à 200 millions d'euros pour les centres hospitaliers, au nombre d'environ 400, qui dégageraient un excédent de 70 millions d'euros. Ces résultats tiennent à l'effort de productivité engagé depuis plusieurs années, mais aussi à un niveau plus élevé des réalisations d'actifs en 2012. Ils s'appuient sur des comptes fiabilisés en vue de la certification, les traitements comptables ayant joué dans les deux sens, en positif et en négatif, sur le résultat.

Nous constatons aussi que la capacité d'autofinancement des établissements s'est stabilisée en 2012 à 4 milliards d'euros, soit un taux de 6,5 %, ce qui constitue son meilleur niveau depuis 2008. Cette capacité d'autofinancement couvre le montant des remboursements en capital des emprunts et constitue, pour la deuxième année consécutive, la source de financement principale des investissements.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Sans remettre aucunement en cause les ARS, la Mecss souhaite en évaluer la mise en place et le fonctionnement afin qu'elles jouent effectivement le rôle qui leur a été attribué par le législateur.

Vous avez dressé un large tableau de la situation mais, au fil de nos auditions, nous entendons parfois une sonorité quelque peu discordante : faible lisibilité, difficulté de compréhension des politiques menées, lourdeur technocratique, qui se concrétise par exemple dans la taille des documents comme les projets régionaux de santé (PRS) ou les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom), problème pour identifier les acteurs compétents, échec relatif du décloisonnement ou de la transversalité, opacité dans les modalités de redistribution des ressources... Bien entendu, ces différents éléments dépendent largement des situations locales et des personnalités, mais ce sont ceux que les acteurs de terrain mettent, pour certains, en avant.

En définitive, on peut s'interroger : les agences ne jouent-elles pas simplement un rôle de contrôle de gestion, plutôt que celui d'animateur des politiques publiques sur le territoire ? Ceci pose indirectement la question du champ de compétences des ARS qui est très large.

Je ne partage pas votre réaction sur la question de l'interventionnisme des agences dans la gestion quotidienne des hôpitaux : nous avons eu connaissance d'exemples concrets et divers intervenants nous ont exposé cette préoccupation.

M. Jean Debeaupuis. - Peut-être existe-t-il un sentiment ou une perception, mais j'ai quelques difficultés à comprendre les critiques sur la lisibilité ou le décloisonnement. Les ARS, structures récentes, ne sont pas des « monstres » bureaucratiques ! D'ailleurs, si elles focalisent ainsi les critiques, cela va plutôt dans le sens d'une bonne identification par les acteurs de terrain...

J'ai la même incompréhension sur le médico-social où la création des ARS a signifié le regroupement de plusieurs services éparpillés : cette synergie constitue au minimum le début d'une transversalité. On ne peut pas dire que nous n'avons pas progressé par rapport à la situation antérieure !

J'ai la même réaction sur la pertinence de l'allocation des ressources. Depuis la mise en place de la tarification à l'activité (T2A) dans les établissements de santé, les dotations de type budgétaire ne constituent qu'une faible part des crédits, dont la grande majorité correspond à des prix ou tarifs fixés nationalement. En outre, pour des raisons de transparence et de respect de nos diverses obligations, tous les crédits sont parfaitement « tracés ».

Il est vrai que les Cpom peuvent paraître lourds et entraîner un certain découragement, mais le sens de la démarche est clair et nous utilisons au maximum des indicateurs qui existent par ailleurs et qui peuvent être aisément renseignés sans charge administrative excessive.

En ce qui concerne le supposé interventionnisme des ARS, il existe peut-être quelques cas qui ne peuvent cependant invalider le constat général : dans l'écrasante majorité, les relations sont tout à fait satisfaisantes, apaisées, professionnelles et respectueuses de chacun.

M. Alain Milon, rapporteur. - Nous entendons tout de même fréquemment cette remarque et je partage l'inquiétude de Jacky Le Menn sur le ressenti lié à cet interventionnisme. Cela ne remonte peut-être pas jusqu'à Paris !

Plus globalement, on constate une grande hétérogénéité des situations et des comportements, ce qui m'amène à ne pas me montrer aussi optimiste que vous...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Par ailleurs, le fait que les directeurs d'établissement soient évalués par les directeurs généraux des ARS ne pose-t-il pas des difficultés ? Négocier son budget ou ses projets d'avenir avec la personne qui décide également de votre carrière crée une ambiguïté.

M. Yves Daudigny, président. - Cette question revient fréquemment. N'y a-t-il pas une incompatibilité entre la relation hiérarchique et celle plus partenariale ou contractuelle que semble afficher la loi HPST et qui est certainement souhaitable ? Est-il possible de développer en même temps ces deux types de relations ?

M. Jean Debeaupuis. - Cette situation existait avant la création des ARS et provient tout simplement du fait que les services de l'Etat, sous cette forme ou sous une autre, assurent la tutelle des établissements. L'application peut varier mais l'ARS incarne l'Etat tout en animant une politique de santé qui doit s'adapter aux spécificités régionales.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Avant la loi HPST, les conseils d'administration disposaient de compétences plus importantes qu'aujourd'hui et jouaient un rôle dans l'évaluation des directeurs. En outre, l'ARS regroupe dorénavant plusieurs services, ce qui peut enfermer le chef d'établissement dans un dialogue singulier où il n'est pas en position de force.

M. Gilbert Barbier. - Il existe des disparités importantes sur le territoire dans l'offre de soins, alors que nous vivons toujours avec une forme de slogan : « nous sommes bien soignés partout » ! Comment allier les exigences d'aménagement du territoire et celles, tout aussi importantes, d'égale qualité des soins pour l'ensemble des patients ? Il y a quelques années, il a été question, à un moment, de fermer plus d'une centaine de plateaux techniques en raison des risques ou de la qualité des soins prodigués ; ce projet a vite été abandonné en raison des pressions !

M. Jean Debeaupuis. - Nous pouvons tous partager l'objectif de qualité des soins. Son respect passe par la formation, initiale et continue, par le contrôle des pratiques etc. Le Gouvernement a pris la décision de refonder le service public hospitalier et a engagé une stratégie nationale de santé. Nous réfléchissons notamment à la meilleure manière de soutenir les activités isolées et nous devons mettre en place une série d'outils pour cela : coopérations avec la médecine de ville, ambulatoire, télémédecine...

M. Gilbert Barbier. - Bien sûr mais comment continuer de tolérer des établissements où les taux de complications, par exemple à la suite de la pose d'une prothèse totale de hanche, sont si éloignés de la moyenne nationale ?

M. Jean Debeaupuis. - Nous avons fait des progrès considérables en préparant et en diffusant des recommandations basées sur des consensus scientifiques. Nous devons être attentifs à l'ensemble des indicateurs pour apprécier la qualité des actes. Il faut prolonger le chemin engagé pour rendre les données accessibles, par exemple celles servant à la certification des établissements par la Haute autorité de santé, et nous travaillons également sur le développement d'incitations à la qualité des soins.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Le récent rapport de l'IGF sur les hôpitaux propose notamment de limiter voire d'interdire les lignes de trésorerie. Le Gouvernement a, quant à lui, proposé dans le cadre de la réforme bancaire d'autoriser certains hôpitaux à émettre des billets de trésorerie. Notre commission avait soulevé la question du coût de gestion de ces outils financiers et du risque qu'ils font peser sur les émetteurs. Elle avait donc privilégié la piste de l'Acoss, qui aurait pu être chargée de signer des conventions avec les établissements concernés pour gérer au mieux la trésorerie. L'Acoss en a toutes les compétences, l'expertise et les capacités financières.

M. Jean Debeaupuis. - Comme tout rapport, celui de l'IGF n'engage ni le ministère des affaires sociales et de la santé ni le Gouvernement dans son ensemble. Transférer la trésorerie des établissements à l'Acoss pose la question de la mutualisation des risques et de la responsabilité propre de chaque hôpital. La proposition faite par le Gouvernement dans le projet de loi de réforme bancaire contient tous les garde-fous et filtres nécessaires à une correcte mise en oeuvre de ce dispositif.

M. Yves Daudigny, président. - Il est uniquement question de l'émission de billets de trésorerie. Nous n'avons jamais proposé de transférer la trésorerie des établissements à l'Acoss. Il nous semble simplement, de manière pragmatique, que le coût collectif serait moindre si nous utilisions la performance de l'Acoss car le rôle des intermédiaires financiers serait alors minimum voire nul...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Une dernière question : où en sont les réflexions du comité de réforme de la T2A que vous animez et quel est le calendrier envisagé ?

M. Jean Debeaupuis. - Ce large comité regroupe les fédérations, les conférences, des personnalités qualifiées, les administrations concernées etc. Il continue ses travaux de manière régulière. Nous souhaitons faire de premières propositions en vue du PLFSS pour 2014, tout en travaillant sur des chantiers à plus longue échéance.