Mardi 23 avril 2013

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -

Modernisation de l'action publique territoriale - Audition d'élus sur le projet de Métropole de Paris

La commission procède à des auditions sur le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.

Elle entend, autour d'une première table ronde, des élus sur le projet de la Métropole de Paris.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Notre commission des lois a grand plaisir à tenir ces auditions, commencées ce matin avec l'audition de Mme le maire de Lille Métropole.

Je salue d'abord le rapporteur de la commission des lois, M. René Vandierendonck. Longtemps maire de Roubaix, le vice-président de la communauté urbaine de Lille est un homme de dialogue. La commission des affaires économiques a eu la sagesse de choisir comme rapporteur pour avis un élu francilien, éminent spécialiste du sujet, M. Claude Dilain. Tous deux s'intéressent à la politique de la ville avec le coeur.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Le Conseil de Paris se réunit une fois par mois. Je regrette que vous n'ayez pas tenu compte de la réunion de ce jour, ce qui empêche nombre d'élus parisiens d'assister à ces auditions.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous n'avions guère le choix compte tenu des contraintes du calendrier parlementaire.

M. Philippe Laurent, président du syndicat mixte d'études Paris Métropole. - Merci de nous avoir conviés à cette table ronde. Nous sommes tous membres du bureau de Paris Métropole, dont M. Dilain a été l'un des initiateurs - il l'a accueilli à Clichy-sous-Bois pour sa constitution. Merci à lui d'avoir accepté cette charge, de même qu'à M. Vandierendonck, qui connaît parfaitement le fonctionnement des métropoles en région.

La structuration de l'action publique en région parisienne est extrêmement complexe en raison du poids des acteurs en présence, à commencer par l'Etat. Lorsque M. Delanoë a été élu maire de Paris, il a voulu travailler avec les élus des territoires qui entourent Paris, tandis que M. Sarkozy proposait de structurer le Grand Paris en donnant la priorité aux transports.

Cela dit, Paris Métropole a été créé il y a douze ans, non pour ajouter une couche supplémentaire à l'organisation territoriale, mais pour dessiner la métropole de demain. Le principe est celui de « une collectivité, une voix », en termes de vote comme d'expression, d'où la longueur et la richesse de nos réunions. La présidence du syndicat tourne tous les ans entre les familles politiques. Ainsi, Jacques J.P. Martin et Patrick Braouezec m'ont précédé à ce poste.

Le syndicat Paris Métropole tente de construire, sinon un consensus, du moins une approche commune des problématiques franciliennes, à commencer par celle des transports. L'accord est désormais général sur la démarche du nouveau Grand Paris, qui associe nouveau réseau et rénovation du réseau existant.

La solidarité entre les territoires, le logement, avec l'objectif de construire 70 000 logements par an contre 35 000 aujourd'hui, le développement et l'attractivité économique sont autant de préoccupations partagées.

En 2012, nous avons longuement travaillé sur la gouvernance, en y associant les citoyens, en tenant une dizaine de débats dans toute l'agglomération. Notre philosophie est de privilégier ce que nous appelons la polycentralité, qui fait l'objet d'un assez large accord. L'on ne peut pas concevoir une centralisation de la décision dans la région ; tous doivent être associés à la gouvernance, avec une volonté forte de respecter pleinement le rôle et l'identité des communes. De là, nous concevons les établissements publics de coopération intercommunale comme des coopératives de villes et non comme un regroupement de communes autour d'une ville-centre. « Faire ville », voilà ce qui doit inspirer une dynamique ascendante dans la construction du maillage territorial.

M. Jean-Marc Nicolle, délégué spécial auprès du président de la région Ile-de-France sur le Grand Paris et sur la métropole francilienne. - Je donnerai mon point de vue sur le texte en tant que représentant de la région Ile-de-France. Mon propos s'inscrit dans les ambitions rappelées par le Président de la République.

La compensation des charges transférées devra être juste, ce qui suppose une autonomie fiscale retrouvée, à la hauteur des dépenses. Nous prônons un rétablissement de la compétence générale pour la région et les départements, et une répartition des responsabilités entre chaque échelon. La région doit être clairement légitimée comme échelon moteur de la croissance et de la compétitivité. L'exigence d'efficacité et de cohésion passe par un renforcement de l'intercommunalité et par la reconnaissance du fait métropolitain. Il convient en outre de tenir compte des spécificités territoriales, avec les contrats de développement territorial, qui consolident des démarches partenariales.

Pour que la métropole soit un outil d'inclusion bien encadré, elle devra être ouverte à toutes les communes. Pour nous, elle doit être une instance de coopération entre des territoires, autour du triptyque emploi-logement-transport. C'est l'idée d'une coopérative de villes. Nous nous interrogeons sur la création d'une métropole à partir d'une unité urbaine que l'INSEE redéfinit régulièrement. Nous avons besoin d'une réponse souple, adaptée à un ensemble comprenant une région, huit départements, 1 281 communes et des EPCI et où l'Etat est très présent. La région soutient donc la suppression de la société du Grand Paris et la création d'un seul établissement public foncier (EPF) pour la région, l'échelon le plus adapté. L'établissement public foncier a engagé 1,5 milliard d'euros pour construire 155 000  logements et 2,6 millions de mètres carrés d'activité. L'établissement public foncier ne suffit pas, il faut rassembler les synergies pour répondre aux 500 000 demandeurs de logements sociaux en attente. Inspirons-nous des travaux des architectes dans le cadre de la société du Grand Paris : le périurbain ne doit pas être écarté.

Le schéma régional de l'habitat est le bon niveau pour élaborer la politique du logement en concertation avec tous les acteurs au sein du comité régional de l'hébergement et du logement. Les aides à la pierre pourraient être gérées à ce niveau. Un plan métropolitain de l'habitat nous paraît superfétatoire. Nous ne devons pas découpler le tryptique habitat-transport-emploi. L'enjeu est d'abord de répondre à la crise majeure du logement en Ile-de-France et d'améliorer les politiques publiques en atténuant les fractures territoriales.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - J'ai bien noté que vous souhaitiez une métropole ouverte à toutes les communes.

M. Michel Teullet, président de l'Association des maires d'Ile-de-France. - Pour faire simple, les maires d'Ile-de-France ne veulent pas voir leur rôle remis en cause. Les précédents intervenants ont insisté sur le terme de « coopérative de villes ». Le pôle de décision devrait être composé des maires ; nous ne voulons pas que leur pouvoir soit délégué à des représentants désignés selon des méthodes à définir, tandis qu'ils ne seraient consultés que pour avis. L'Ile-de-France a des spécificités en matière d'intercommunalité qu'il convient de prendre en compte. Le seuil « couperet » de 300 000 habitants prévu par le projet de loi n'a pas grand sens s'il ne correspond pas à un bassin de vie, d'autant que des intercommunalités existent déjà. Conservons de la souplesse !

Ensuite, l'Ile-de-France est une et indivisible. Evitons d'aboutir à « la métropole de Paris et le désert francilien », pour paraphraser un titre célèbre. D'un côté, 80 % de la population sur 15 % du territoire, de l'autre, le reste... Une telle coupure ne serait pas bienvenue. Sachons mettre au point une articulation pour avoir une vraie région, et non la richesse et l'espérance d'un côté, et le reste de l'autre.

M. Pierre Mansat, adjoint au maire de Paris, chargé des relations avec les collectivités d'Ile-de-France. - Je vous prie d'excuser l'absence du maire de Paris, retenu. Notre attitude est pragmatique sur la démarche métropolitaine comme sur ce projet de loi : ce texte devrait marquer un progrès dans la métropolisation de Paris, qui avait été laissée de côté par les lois de 2004 et de 2010. L'objectif est atteint, étant entendu qu'un retard dommageable avait été pris.

Le projet de loi aboutit à un point d'équilibre satisfaisant, en achevant et rationalisant l'intercommunalité dans la première couronne, en s'inspirant du droit commun, tout en respectant la singularité du territoire francilien. C'est heureux pour que se constitue la métropole politique que nous attendons. Le statu quo ne faisait pas partie de la réflexion commune.

Deuxième motif de satisfaction, le Gouvernement a fait le choix du réalisme sur l'intitulé de la métropole - nous ne sommes pas attachés au nom.

En revanche, la question du périmètre doit, selon nous, être revue. Le périmètre interurbain correspond à une nécessité, à des enjeux spécifiques. Le conseil régional et les conseils généraux doivent être parties prenantes avec la ville de Paris, les autres communes et les intercommunalités dans la métropole pour éviter de créer une division entre zones rurales et urbaines. Ce choix d'une métropole intégrée est pragmatique, nous le préférons à l'addition d'agences thématiques. La compétence du logement sera certes partagée mais cela n'enlèvera rien aux structures existantes ; tout est question d'articulation.

Enfin, la nouvelle métropole s'accompagne d'une exigence renforcée de péréquation. Paris sera bien sûr partie prenante du fonds départemental de péréquation, qui sert à surmonter les disparités territoriales les plus flagrantes.

M. François Pupponi, maire de Sarcelles. - L'Ile-de-France a beau être l'une des régions les plus riches de France, la solidarité financière est primordiale, au niveau régional comme au niveau départemental, car nous concentrons les plus fortes inégalités. Nous avons besoin d'un schéma directeur de la région Ile-de-France rénové. Par ailleurs, paradoxalement, des communes qui ont une population en difficulté sont appelées à contribuer à la solidarité. Réglons-nous ce problème dans ce texte ou attendons-nous la loi de finances ?

Le logement et la solidarité urbaine restent des sujets majeurs en Ile-de-France. L'ANRU, compte tenu de sa charge dans notre région, n'a accompli que la moitié de la tâche dans les communes concernées. Il faudra l'achever : l'urgence est de savoir quels seront les territoires à cibler durant la période intermédiaire 2014-2017. Il est impératif de régler cette affaire de tuilage. La lutte contre l'habitat insalubre est également un objectif essentiel, notamment dans les centres-villes anciens. Or, il faut savoir que le nord de la région, en raison de la présence des aéroports internationaux, est inconstructible. Il faudra modifier les règles de constructibilité si nous voulons remplir l'objectif de construire 70 000 logements nouveaux par an.

M. Patrick Braouezec, président de la communauté d'agglomération Plaine Commune. - Je suis heureux d'être là. Avec Jack Ralite, nous avons beaucoup travaillé sur le copilotage Etat-collectivités locales, ainsi qu'avec René Vandierendonk, qui est le père du contrat de développement territorial. Il faut partir des territoires pour en arriver à la polycentralité que nous souhaitons.

Se loger et se déplacer, ce n'est pas habiter : réfléchissons au vivre ensemble. On n'est pas loin d'un accord sur le logement. Il revient à la région de définir un plan régional de l'habitat, mais nous avons besoin d'une autorité d'organisation du logement au niveau de l'aire urbaine à articuler avec le schéma régional. Sur l'intitulé, nous préférons « Grand Paris Métropole » à « Métropole de Paris » : la métropole n'appartient pas à Paris. Personne d'ailleurs ne sait d'où vient ce nom retenu dans le projet de loi - apparemment pas de Paris... Autre point d'accord, il faut de la souplesse sur les seuils de l'intercommunalité ; les préfets pourraient y déroger ponctuellement au nom de la cohérence territoriale.

En matière de gouvernance, prévoir une conférence des maires une fois par an
- pourquoi pas sur la Seine en bateau-mouche - n'est pas sérieux. Les maires doivent conserver leur pouvoir de décision. Nous sommes favorables à un collège des maires au sein de l'établissement public. Au demeurant, prévoir la création de celui-ci au 1er janvier 2016 me paraît un peu court. Il faudrait un an supplémentaire, en raison de la tenue des élections municipales en mars 2014, pour achever la carte intercommunale. Entre-temps, le syndicat Paris-Métropole pourra préfigurer l'établissement public et travailler sur l'épineuse question du logement. Ainsi, nous passerons du « chacun pour soi » au « tous pour un ». Concernant les compétences, faut-il les prévoir dans la loi ou par décret ? En tout cas, la réflexion sur les compétences n'est pas achevée, ne les figeons pas trop dans la loi.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je passe la parole au maire de Nanterre, ville chère à notre coeur, non seulement parce que sainte Geneviève y élevait ses moutons, mais aussi parce que nous sommes nombreux à y avoir été étudiants...

M. Patrick Jarry, maire de Nanterre. - Nanterre est peut-être la vraie Lutèce. Voilà qui inverse le rapport entre banlieue et ville-centre...

Construire une métropole, c'est créer de la solidarité : 13 % de la population de la région vit sous le seuil de pauvreté. En réalité, la situation est complexe : des villes pauvres en richesse fiscale qui hébergent des gens pauvres, des villes pauvres qui hébergent des gens riches, des villes riches qui hébergent des gens pauvres et, enfin, des villes riches qui hébergent des gens riches... La région est une mosaïque de tout cela et Nanterre, aux portes du quartier d'affaires de La Défense, en est un symbole. On ne peut pas continuer à bâtir des intercommunalités avec qui le veut. Les seuils de 200 000 habitants en grande couronne et 300 000 en petite couronne sont arbitraires. Si l'on veut des intercommunalités de projet, il est nécessaire d'assouplir les seuils ou de prévoir des dérogations précisément motivées sous la responsabilité du préfet.

Allons plus loin : il faut des coopératives de villes. La mienne compte 92 000 habitants, Rueil-Malmaison 85 000 et Courbevoie 85 000 habitants. Impossible de parler de ville-centre dans cette situation, il y aura, aux côtés des communautés, des coopératives de ville, où chacune pèse le même poids. Autant il est pertinent de transférer la compétence de développement économique à l'intercommunalité, autant il n'y a pas lieu de transférer la voirie... Tant que l'intercommunalité n'était pas obligatoire, Rueil, Suresnes et Nanterre, trois villes très différentes, ont pu se regrouper... L'idée de coopérative de villes ne doit pas rester un simple slogan.

Un mot sur La Défense. Nous faisons face à une impasse de 300 à 400 millions d'euros selon la Cour des comptes et l'Inspection générale des finances, une charge héritée du passé. Il est juste que le législateur revienne sur le pacte qui a transféré de facto les pouvoirs à l'Etablissement public pour l'aménagement de la région de La Défense. Le législateur ne doit pas toutefois recentraliser la décision au sein de l'EPAD. Créé en 1958, celui-ci n'a plus lieu d'être, car l'aménagement est achevé : il ne s'agit plus de bâtir 72 tours, mais de rénover les espaces urbains et sur dalle. Il faut dissocier l'aménageur et le gestionnaire. Il est désormais possible de porter un projet métropolitain.

M. Jacques J.P. Martin, maire de Nogent-sur-Marne. - Roland Nungesser, mon brillant prédécesseur, m'avait appris que rien n'était possible sans travailler au niveau du district de Paris. Il disait aussi que Paris était la banlieue de Nogent... Un commentaire, d'abord, sur l'unité urbaine du Grand Paris. Il lui faut, bien sûr, des limites. La métropolisation doit néanmoins se faire autour des intercommunalités, pour une organisation polycentrique, mais avec des intercommunalités de taille suffisante pour entrer dans la métropole : ce serait la métropolisation des intercommunalités.

Le projet de loi me pose certains problèmes. Le modèle de l'établissement public nous semble inadéquat. De fait, le conseil métropolitain, composé d'élus désignés par les EPCI, est contraire aux principes de la démocratie représentative, car trop éloigné des communes, ce qui pose un problème de légitimité. Ce serait tourner le dos à la proximité, sans laquelle il n'y aura pas de citoyens métropolitains. En outre, le principe de non tutelle n'est pas assuré. On ne sait pas qui fait quoi...

Laissons plutôt de la souplesse dans la répartition entre collectivités territoriales, en pariant sur la collaboration. La loi fait primer une logique supra-communale, verticale, hiérarchique, qui marginalisera les communes là où il faudrait privilégier l'intérêt communautaire, le concept de coopération, les mutualisations ascendantes.

En matière d'urbanisme, la décision ne doit pas être autoritaire, mais résulter de la décision des maires. Le plan local d'urbanisme, document totalement politique, doit être co-élaboré par les maires, décidés à partager sur le plan intercommunal les enjeux d'aménagement de leur territoire. Pourquoi le rapprocher arbitrairement du programme local de l'habitat ?

Je suis sur la même ligne que Patrick Braouezec - étonnamment ! Plus de 200 collectivités se sont regroupées dans le syndicat Paris-Métropole, nous avons démontré notre capacité à travailler ensemble.

Avant de figer une nouvelle organisation, transformons le syndicat Paris-Métropole en établissement public, pour dix-huit mois environ. Rendez-vous en 2016. J'ai même rédigé un amendement en ce sens ! Le nouvel établissement public proposerait au Gouvernement un projet de schéma régional de coopération intercommunale portant sur le territoire de l'unité urbaine de Paris. Les EPCI à fiscalité propre, composés d'au moins cinq communes, regrouperaient au minimum 150 000 habitants, portés par une cohérence d'objectifs au sein d'une cohérence de territoire. Ce schéma définirait un programme de coopération autour d'objectifs communs en matière de transport, de logement, de solidarité. Le « Grand Paris Métropole » serait administré par un conseil métropolitain composé de collèges, représentant chacun une catégorie de collectivités ou d'EPCI, dont aucun ne disposerait de la majorité des sièges et son président serait élu en son sein.

En somme, hâtons-nous en prenant le temps pour aboutir à la métropole sur laquelle compte la France. Petit bémol, n'oublions pas de parler de l'aspect financier...

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Je vous retrouve avec plaisir. Je me réjouis de voir progresser l'intercommunalité en région parisienne. Il était aberrant que la région n'ait pas un pilotage plus intégré en matière d'habitat. Quel que soit son nom, la structure qui s'ajoutera aux autres doit avoir un rôle d'ensemblier pour optimiser l'action publique, en particulier en matière de logement. Sans quoi, le quidam n'y comprendra rien.

Patrick Braouezec a raison de réfléchir à des préfigurations et de s'interroger sur le calendrier. Il faudra du temps, du doigté. Des réflexions sont encore à faire. Vous avez répondu sur l'articulation avec la région, avec l'ANRU et la politique de la ville. Je ne laisserai pas la loi malmener la libre administration des collectivités territoriales. Soyons souples sur les seuils en matière d'intercommunalité. Fixons des objectifs, prévoyons une évaluation. Vous avez été en pointe des régions qui ont contractualisé avec l'ANRU, je vous fais confiance. Mais il faudra en fin de compte une évaluation neutre, objective.

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Premier point : l'achèvement de la carte de l'intercommunalité en Ile-de-France constitue un préalable. On sait pourquoi il ne s'est pas fait : les riches se sont mariés entre eux, les pauvres aussi, de force... J'en sais quelque chose. Avec un seuil de 300 000 habitants, je vois déjà ce qui risque de se passer en Seine-Saint-Denis... Faut-il prévoir un potentiel financier maximum pour obliger les villes riches à s'associer avec des moins riches ? Les contrats de développement territorial ne sont pas une garantie en ce domaine... Il faut descendre le seuil, d'autant que je suis sceptique à l'égard du rôle du préfet s'il peut déroger.

M. Patrick Braouezec. - Il faudrait un seuil de 100 000 en grande couronne.

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Deuxième point : le périmètre. Paris-Métropole en a très longuement discuté, peut-être trop, ce qui a créé un blocage. D'accord sur la zone dense telle que l'INSEE la définit, à condition qu'elle ne change pas tous les deux ans en fonction des variations statistiques, et d'accord pour régler la question de son articulation avec le reste de l'Ile-de-France. La proposition de Pierre Mansat me semble aller dans le bons sens. Je regrette qu'une autorité s'occupe du logement et une autre des transports. Il faut un dialogue entre transport et logement, comme entre la zone dense et le reste de la région. Enfin, je comprends mal la superposition entre les intercommunalités et les coopératives de villes ...

M. Yves Pozzo di Borgo. - A l'origine de la réflexion sur le Grand Paris, il y a la mondialisation, dans laquelle les grandes villes sont porteuses de développement économique. Paris est une ville-monde, selon les critères de l'OCDE : la région Ile-de-France représente 29 % du PIB national, dont 7 % sont redistribués dans le reste du pays. Or, Paris est une très petite ville : 2 millions d'habitants. A l'échelle de la Chine, c'est un gros village...

La ville de Paris, avec Bertrand Delanoë, a eu l'intelligence d'ouvrir un dialogue avec toutes les villes franciliennes, même si Paris-Métropole nous paraît un peu figé. Je m'étonne de la rapidité du processus. Tous les élus n'ont pas été consultés et le projet de métropole de Paris aurait mérité un texte spécifique.

L'objectif initial était le développement économique. Et voici qu'il est absent du nouveau modèle : la région s'en occupera, nous dit-on. Comme s'il n'y avait pas toujours une opposition mécanique entre le maire de Paris et le président de région, quelle que soit leur couleur politique... On crée une structure très large autour de 412 unités urbaines, coupant les départements en deux : résultat, les champs de patates seront chargés du développement économique ! On ne peut pas laisser le développement économique à la région seulement.

« C'est pour mon travail de dans deux ans » disait le Chirac des Guignols de l'Info en 1993. Là, on peut se dire que la métropole est le travail du maire de Paris dans un an, ce qui peut expliquer la précipitation avec laquelle on doit l'examiner...

M. Vincent Capo-Canellas. - Qu'est-ce que la coopérative de villes que vous prônez ? On redoute que le logement soit traité au niveau métropolitain. Pourquoi ? Pierre Mansat propose qu'on intègre la région et les conseils généraux dans la métropole. Ne serait-ce pas une usine à gaz ? La proposition de M. Martin, l'option « conclave », agrée-t-elle aux autres intervenants ?

M. Christian Favier. - Un mot sur la méthode : on a découpé en trois le projet de loi et on commence par la métropole, alors qu'il aurait été plus logique de s'interroger d'abord sur le devenir des communes et des départements... Tout le monde est d'accord sur le fait métropolitain. Paris-Métropole a montré l'exemple. Nous avons su travailler ensemble, notamment sur le Grand Paris Express. Or, le projet de loi est bien loin de ce qui a fait le succès de Paris-Métropole, avec un mode de gouvernance très centralisé, de très grosses intercommunalités, très loin d'une représentation de la diversité de la région. Sur le plan démocratique, ce n'est pas satisfaisant.

Pourquoi le seuil de 300 000 habitants ? A ce niveau, a-t-on encore besoin du département ? La question est posée, même si ce n'est pas dit explicitement. En tant que président d'un conseil général, je suis convaincu de l'utilité de cet échelon ; je souhaite une réflexion sur son rôle. Il faut achever la carte intercommunale en Ile-de-France en s'interrogeant sur sa cohérence, sur le projet que porte l'intercommunalité.

Le contrat de développement territorial offre une base de réflexion utile, y compris pour revoir l'existant, peu égalitaire. Enfin, les citoyens doivent être consultés sur cette réforme majeure. En cette période de crise très grave, attention à ces bouleversements qui perturbent plus qu'ils n'apportent de solutions - voyez le référendum alsacien... Les élections municipales approchent, ne brusquons pas les choses.

Mlle Sophie Joissains. - Pourquoi M. Martin a-t-il émis des réserves sur l'établissement public, qui nous paraît tellement préférable à la métropole rigide qui nous est proposée à Marseille et à Aix-en-Provence ? Avez-vous réalisé des simulations sur les dotations de l'Etat ?

Mme Catherine Tasca. - Comment mêler des villes riches et des villes pauvres tout en respectant le principe de continuité territoriale ? De quelle manière faire bouger la carte de l'intercommunalité quand ces ensembles se sont constitués au fil des ans ? L'idée d'une phase transitoire avant la mise en place de la métropole mérite réflexion. Pensez-vous qu'elle passe nécessairement par la constitution d'un établissement public ? Comment adapter les règles à la grande diversité de l'Ile-de-France ?

M. Philippe Dominati. - Je salue la qualité de ces auditions. Il en ressort que ce texte est aussi précipité qu'inopportun, et qu'il n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Sans remonter au baron Haussmann, deux Présidents de la République ont changé la vie des Franciliens, le général de Gaulle en créant huit départements et le président Valéry Giscard d'Estaing en donnant un maire à Paris. Deux autres ont essayé : le président Mitterrand a tenté la loi Paris-Lyon-Marseille, le président Sarkozy a mis en avant la nécessité du Grand Paris. L'acte III de la décentralisation étant tronçonné en trois textes, on commence par la métropole, alors que deux autres textes vont venir. Qu'est-ce que cela apportera, sinon une couche de plus ? A Lyon, on propose de supprimer le département. Pourquoi sectoriser, faire des cas particuliers ? Les bons sentiments ne suffisent pas. Le Gouvernement a pourtant la chance d'avoir de son côté les régions et les villes ! On sent le désappointement des intervenants.

L'Ile-de-France est une exception en matière de transport ; c'était l'occasion de réformer. Sur le périmètre, sur la gouvernance, sur les ressources financières, que de flou ! En revanche, les nouvelles charges financières que ce texte entraîne sont très claires. Le Premier ministre annonce dans la Gazette des communes qu'il serait favorable à l'élection au suffrage universel du président du Grand Paris Métropole. Pourquoi n'est-ce pas dans le projet ? La proximité exige un projet plus clair, plus simple que ce texte alibi dépourvu de toute vision nationale.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - N'oubliez pas qu'il y pourrait y avoir quatre lectures sur ce texte, nous ferons valoir nos prérogatives de parlementaires.

M. Jacques J.P. Martin. - Vous avez une métropole et vous n'en voulez pas, mademoiselle Joissains. Nous souhaitons nous aussi une démarche métropolitaine différente de celle que propose ce projet de loi. On ne peut pas la résumer à la Ville de Paris et aux grandes intercommunalités. La plupart des communes comptent plus de 30 000 habitants, certaines dépassent 80 000. Elles ne seraient représentées que par un représentant dans une intercommunalité de 300 000 habitants ? Comment l'opposition se fera-t-elle entendre ? Oui à une métropole, mais démocratiquement valable.

M. Patrick Jarry. - Ce texte doit beaucoup évoluer. L'urgence du logement ne peut être un prétexte à la précipitation, d'autant que, en l'état, ce texte ne le résoudra pas. L'idée coopérative, c'est que l'on puisse, là où les communes le souhaitent, constituer des intercommunalités sous forme de coopératives de villes, ce qui nécessite de faire évoluer la loi Chevènement.

M. Patrick Braouezec. - Ce n'est pas un texte alibi, précipité, inopportun. Solidarité et logement sont des impératifs ! Nous revendiquons expérimentation et innovation, en partant de la réalité des territoires.

Si l'on ne peut pas marier villes riches et villes pauvres, on peut, en se mariant entre pauvres, créer une dynamique porteuse de développement économique et social. Plaine commune, nous sommes la 173ème des 174 communautés d'agglomération, mais ce n'est pas un handicap et nous ne demandons pas l'aumône : nous voulons transformer le développement économique en développement social.

Enfin, nous marions attractivité économique et solidarité. Les villes-mondes, dans les autres pays, sont trop souvent synonymes de paupérisation, d'exclusion d'un côté et de gentrification de l'autre. Nous voulons montrer un autre exemple de villes solidaires et non ségrégatives.

M. Pierre Mansat. - Cela fait dix ans que nous travaillons, collectivités de gauche comme de droite, au sein de Paris-Métropole. Le moment est venu d'aboutir. Le Gouvernement a fait preuve de réalisme en proposant ce projet de loi, qui est une étape. Le logement n'est pas un alibi, il constitue bien une urgence. Il faut un ensemblier qui intègre la région et l'aire urbaine pour compenser la diversité des acteurs.

M. Michel Teulet. - L'échelon de base doit rester la commune, la gouvernance doit reposer sur la commune, la méthode ne doit pas être coercitive, mais être celle de la coopérative de villes avec, pour objectif, la solidarité des territoires et le développement économique et social.

M. Jean-Marie Nicolle. - Tenons-nous en à l'objectif du Président de la République : simplification, pragmatisme, réalisme. Nous ne devons pas créer une strate de plus ; les conséquences négatives de l'amendement Dallier dans la loi du 16 décembre 2010 n'ont pas été mesurées.

Reconnaissons le fait métropolitain dans une instance pour fluidifier les politiques, sans faire concurrence à la région qui est l'échelon démocratique. Sans quoi, les communes qui ne seront pas dans le périmètre de la métropole, aux franges de l'Ile-de-France, se sentiront de nouveau reléguées, exclues. Ce texte ne répond pas à l'urgence en matière de logement. Enfin, la solidarité des territoires repose sur le triptyque transport-logement-développement durable. Ne découplons pas ces problématiques.

M. Philippe Laurent. - La majorité des élus d'Ile-de-France, dans la veine de ce qu'a dit M. Braouezec, souhaitent construire une métropole différente, dans ses finalités, des autres grandes métropoles dans le monde. Ce texte, qui a le mérite d'exister, est un point de départ à notre réflexion sur la question complexe de la gouvernance de la métropole parisienne. La création des grandes métropoles de province a pris trente à cinquante ans, nous aurons également besoin de temps, même si nous avons une certaine expérience de l'intercommunalité, dans les syndicats intercommunaux. Les élus de la région ont pris la responsabilité des transports depuis 2006 seulement, il ne faut pas l'oublier. De même, si la carte intercommunale est imparfaite, cela s'explique par l'attitude des préfets qui n'ont pas utilisé les possibilités offertes par la loi Chevènement de 1999. D'ailleurs, les critères de la loi Chevènement doivent sans doute être amodiés pour le cas parisien, sur le plan des compétences, voire sur le plan fiscal.

Modernisation de l'action publique territoriale - Audition d'élus sur le projet de Métropole de Lyon

La commission entend, au cours d'une deuxième table ronde, des élus sur le projet de Métropole de Lyon.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Bienvenue aux élus concernés par le projet de la Métropole de Lyon. Merci de nous dire en toute franchise ce que vous pensez de ce projet de loi. Nous savons qu'il y a eu un gros travail entre l'agglomération et le département. Et il y a eu également certaines déclarations...

M. Michel Mercier, sénateur, maire de Thizy-les-Bourgs, conseiller général du Rhône. - Merci au président de la commission des lois et au rapporteur de nous avoir invités. Je soutiens le projet de création de Lyon Métropole depuis longtemps ; je l'ai dit devant la commission Balladur, devant la commission Larcher- chaque fois que l'on est venu voir les bonnes gens de province !

Le temps est venu de simplifier l'organisation territoriale, de la rendre plus efficace et d'y associer davantage nos concitoyens. A Lyon, le projet est très facile à comprendre : avec M. Gérard Collomb, nous proposons de créer une collectivité territoriale nouvelle, dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, la métropole, qui exercera les compétences départementales. Le département se retire en conséquence de l'aire métropolitaine.

J'adhère à cette philosophie et je suis heureux que le Gouvernement l'ait reprise. J'espère que nous parviendrons à porter cette instance sur les fonts baptismaux juridiques. On nous a reproché d'aller un peu vite en besogne mais nous sommes élus et nous l'avons été pour agir.

Le Rhône deviendra, après la création de la métropole, le 51ème département donc par la population. Le département du Rhône dans sa future configuration sera-t-il viable ? Oui, avec 440 000 habitants et une croissance annuelle de 1,1 %, cela ne fait pas de doute. Les relations entre le département et la métropole se poursuivront, nous n'élevons pas un mur entre nous ! Nous conserverons des services communs, celui des archives et le service d'incendie et de secours, mais aussi d'autres, dans le domaine culturel par exemple.

Cette solution a le mérite de la clarté : une métropole de Lyon, un département du Rhône. L'essentiel de l'effort portera sur la métropole. Le département du Rhône compte aujourd'hui 56 000 bénéficiaires du RSA ; ils ne seront plus que 8 000 dans le futur département, les autres relevant de la métropole.

Le partage de la population sera de 75 % pour la métropole et de 25 % pour le département. Le président de la chambre régionale des comptes s'assurera de la répartition équitable des recettes correspondantes.

Que le Parlement prenne son temps pour légiférer... mais pas plus ! Les électeurs devront être informés assez tôt, car les élections municipales seront aussi celles qui désigneront le futur conseil communautaire provisoire, qui entrera en fonction en 2015 - la première fournée de conseillers métropolitains sera composée de conseillers communautaires jusqu'en 2020.

Il y aura deux collectivités territoriales : il faudra des élections pour chacune. Le conseil général du Rhône avait seulement 54 élus. Avec la nouvelle loi et la règle du minimum qu'elle a posée, il ne comptera plus que treize cantons. Nous attendons de voir le découpage que proposera le ministre de l'intérieur... Quoi qu'il en soit, 54, ce n'est pas beaucoup pour un département d'un tel poids.

M. Jean-Jack Queyranne, président du conseil régional de Rhône-Alpes. - Nous sommes très déçus par ce texte. Il n'est pas à la hauteur des enjeux, dans la crise actuelle : voilà ce qui est ressorti du débat au conseil régional. Il aurait fallu une nouvelle étape de décentralisation. Or, ici, aucune simplification, aucune clarification des compétences...

Président de région, je crois qu'il faut souligner le rôle de chef de file qui revient à celle-ci en matière de développement économique. Cela inclut, à mon sens, le tourisme et l'aménagement numérique que les départements ont obtenus lors du dernier round de négociation. Il ne s'agit pas de déshabiller le département : sur un territoire aussi étendu que la Suisse et aussi peuplé que le Danemark, cet échelon doit exercer les compétences de proximité, le logement par exemple.

La conférence territoriale de l'action publique réinvente la conférence des exécutifs... Sur l'évolution des territoires, il y a deux écoles : dans la première, le développement économique vient des métropoles, conception qui prédomine au niveau gouvernemental ; la seconde prête davantage attention aux fractures territoriales. Or, en mettant l'accent dans le premier texte sur les métropoles, le Gouvernement fait une erreur : il aurait fallu commencer par les solidarités territoriales, pour déboucher sur les questions d'organisation. La lecture économique est datée, elle n'est plus pertinente à l'heure de la société industrielle ; on le voit avec le développement des pôles de compétitivité en réseau.

Oui à la métropole lyonnaise, je le disais en 2009 devant le comité Balladur, car elle apporte de la lisibilité ; en revanche, la région doit rester chef de file du développement économique, lequel repose sur la couverture du territoire et les pôles de compétitivité qui innervent le territoire. Instiller la concurrence entre région et métropole, comme on le fait dans le deuxième texte de l'acte III de la décentralisation, serait destructeur. Dans une région aussi grande que la nôtre, seule la région peut assurer l'égalité des territoires.

Enfin, pourquoi réécrire dans le texte les délégations de compétences ? Que je sache, il existe déjà un article L. 1111-8 au sein du code général des collectivités territoriales. Le texte ne correspond pas à la situation lyonnaise. Pour résumer : « oui, mais... ».

Mme Danielle Chuzeville, présidente du conseil général du Rhône. - Je serai brève car au niveau du département, c'est M. Michel Mercier qui porte le bébé de cette nouvelle métropole. Pour moi, le challenge est de garantir l'équité. Nous avons des territoires riches, d'autres pauvres ; la métropole devra poursuivre des actions de solidarité.

Le département devra se transformer : il ne pourra pas être la copie de l'ancien, avec 450 000 habitants contre 1,7 million aujourd'hui. Il devra s'articuler avec les communes et les intercommunalités, de même qu'avec la métropole où seront concentrés les principaux atouts culturels.

Autre question-clé, la répartition des 5 400 agents. Ce devrait être environ 4 000 pour la métropole et 1 500 pour le département. Une nouvelle décentralisation ! Il faudra le faire avec doigté, en concertation avec les agents.

M. Jean-Paul Bret, maire de Villeurbanne. - Villeurbanne est la deuxième ville du département, et même la première des « deuxièmes villes » de France. Avec 150 000 habitants, elle est plus peuplée que la capitale de la région Auvergne, Clermont-Ferrand, sans parler de nos atouts culturels et sportifs. Nous ne voulons pas devenir une collectivité subalterne.

Le transfert des compétences du département à la communauté urbaine puis à la métropole fait à peu près consensus. En revanche, le projet de loi, tel qu'il est rédigé, change quelque chose pour les communes, contrairement au discours lénifiant que tiennent certains. On va au-delà de la communauté urbaine de Lyon qui, depuis sa création en 1966, a déjà poussé très loin le transfert des compétences dans un processus démocratique avec une représentation des communes. Désormais, la métropole décidera en lieu et place des communes. Ainsi, les établissements culturels d'intérêt métropolitain seraient transférés à la métropole. Nous ne pouvons nous laisser dépouiller sereinement de notre théâtre, qui appartient à l'histoire de Villeurbanne, qui est un élément de son identité. Autre exemple, les pouvoirs de police des maires. Au nom de la simplification, on crée une police métropolitaine, qui s'ajoutera à la police municipale - c'est hallucinant. La voirie et le stationnement sont déjà de la compétence de la communauté urbaine, et il faudrait demain une police de la voirie et du stationnement, troisième strate entre police municipale et police nationale... Où en est la simplification ? Ce projet de loi est censé viser l'efficacité de l'action publique. La centralisation métropolitaine de la prévention de la délinquance est aussi une mauvaise idée. Tout cela ne vient ni de M. Mercier ni de M. Collomb... Laissons libre cours à l'expérimentation plutôt que d'imposer des mutualisations par le haut. Idem pour l'action sociale ...

La métropole est une bonne idée, ne la bâtissons pas en allant à l'inverse des objectifs affichés.

M. David Kimelfeld, adjoint au maire de Lyon, vice-président du Grand Lyon. - Je suis aussi maire d'un arrondissement de Lyon qui, il y a 150 ans encore, abritait un mur pour marquer la frontière avec Lyon !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - La Croix-Rousse !

M. David Kimelfeld. - Ce texte est le fruit d'une histoire, d'une volonté politique. M. Gérard Collomb évoquait déjà le Grand Lyon dans son premier discours d'investiture.

Que voulons-nous ? Une métropole qui s'inscrive dans la compétition européenne mais avec les outils de la cohésion sociale, qui ait une stratégie partagée et le souci de la proximité. Ce projet est enthousiasmant. Avec des corrections et des améliorations, il emportera l'adhésion des élus. Laissons libre cours à l'expérimentation.

La volonté du président du Grand Lyon n'est pas de préempter les pouvoirs des communes, mais de travailler avec elles. Nous le faisons déjà avec les centres communaux d'action sociale et les maisons départementales.

Je suis en charge du développement économique. Nous avons besoin d'une région forte pour une métropole forte, nous travaillons déjà avec les élus de la région Rhône-Alpes sur les questions économiques. Depuis quatre ans, je n'ai pas noté de dissensions : nous cofinançons les pôles de compétitivité, à raison de 15 millions d'euros par an.

Il faudra revenir sur les outils, dont la conférence locale des maires ; les communes doivent rester l'échelon de la proximité.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - J'ai dit, au début des auditions, notre enthousiasme à travailler avec des élus qui ont des projets variés. Nous faisons notre travail de parlementaires du mieux que nous pouvons.

M. Patrice Verchère, député du Rhône, maire de Cours la Ville, membre du bureau de l'association départementale des maires du Rhône. - Je vous prie d'excuser l'absence de Mme Lamure, présidente de l'association départementale des maires du Rhône. L'association n'a pas encore pris position mais ses membres sont plutôt favorables au projet, tout en exprimant des inquiétudes. La présentation faite en novembre dernier par MM. Mercier et Collomb a pu paraître abrupte à certains, mais comment mieux préparer l'avenir qu'en prenant ainsi les devants ?

Les maires du Grand Lyon s'inquiètent de l'avenir de leurs communes après 2020. Les communes existeront encore en 2015, mais ensuite ? La conférence locale des maires « peut » être consultée. Ce n'est pas très précis... A la loi de rendre obligatoire une réunion au moins deux fois par an. Les habitants souhaitent le maintien du service départemental d'incendie et de secours au sein du département. Ne cassons pas ce qui marche bien.

Les maires du futur département s'inquiètent du financement du conseil général. Le département du Rhône a commencé à répondre à leurs inquiétudes, il faut poursuivre dans cette voie.

Le vote définitif de la loi instaurant le binôme entraînerait la création de cantons de 70 000 habitants dans le Rhône ; avec la métropole, on reviendra à des cantons de 30 000 habitants, c'est une bonne chose. Sinon, c'en était fini du Rhône rural.

Quid de la représentation parlementaire de ces deux collectivités ? Y aura-t-il des représentants, sénateurs et députés, de la métropole lyonnaise ? Sur les quatorze parlementaires actuels, un seul n'a pas dans sa circonscription un morceau de la métropole...

M. Jean-Pierre Sueur, président. - En tant que député, vous représentez la nation ! En matière de « ruralicide », le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat ont pris des décisions sur le critère démographique dans le cadre des élections, tant nationales que locales ; elles s'imposent à tous. C'est un autre débat...

M. René Vandierendonck, rapporteur. - J'avais lu vos opinions sur le projet de loi dans Lyon Magazine.

« Oui, mais », dit le président Queyranne. Cette réforme a le mérite d'exister, même s'il y a de nombreuses ambiguïtés dans le texte. Si ce dernier a été saucissonné, c'est parce que des sénateurs l'ont souhaité, rappelons-le ! Et les mêmes préfèrent maintenant un seul bloc...

Le terme de « métropole » a un double sens : c'est à la fois un élément de motorisation du développement économique, au sens d'Eurostat, ce que certains contestent, mais aussi une politique de solidarité et de développement social. Développement et solidarité forment un couple, au sens mécanique. L'initiative lyonnaise est positive et mérite d'être citée en exemple.

Il y aura quatre lectures, dit le président Sueur. S'il n'y avait pas les élections municipales à l'horizon, je pense que ce texte avancerait bien moins vite...

Comment articuler les compétences et préserver le sacro-saint principe des pouvoirs de police des maires ? La réalité est que des élus de droite et de gauche - en l'occurrence le sénateur François Pillet et votre serviteur - ont montré, au sujet des polices municipales, que l'on pouvait avancer dans la mutualisation sans se dessaisir une seule seconde de ses compétences communales.

Ce texte ne passera que si l'on donne des points de repère qui font aujourd'hui défaut, sur l'avenir des départements, la perspective de l'élection des représentants communautaires au suffrage universel direct, l'autonomie communale, etc. Autant de sujets sur lesquels nous travaillerons patiemment ensemble au Sénat.

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - La délégation aux collectivités territoriales du Sénat s'est rendue récemment à Lyon. A participer à des réunions de travail, à vous écouter, on sent le projet, sinon abouti, du moins mûrement réfléchi et construit. Comment l'action économique se partage-t-elle avec la région ? Quel rôle les communes gardent-elles dans cet ensemble ? Ce sont les deux questions auxquelles il faudra répondre.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le président du conseil général de Loire-Atlantique plaide pour des conventions entre les départements et la métropole, il refuse fermement que la loi confie à la métropole les compétences du conseil général. Qu'en pensez-vous ? La présidente d'une importante communauté urbaine du nord de la France nous a dit ce matin que la métropole ne doit pas s'occuper du social mais rester dans une dimension stratégique. Est-ce votre avis ?

Enfin, si une collectivité rassemble toutes les compétences d'une communauté urbaine et d'un département, ne faudrait-il pas que le conseil soit élu au suffrage universel direct ? Pour les élections départementales, nos concitoyens votent.

M. Patrice Verchère. - La métropole, c'est une belle expérimentation pour le Rhône et pour Lyon. Elle doit exercer les compétences pleines et entières du département
- sinon, elle n'aura aucun intérêt. Cela dit, méfions-nous de la tentation de créer des métropoles partout : il faut de vrais ensembles de niveau européen. Quant à l'élection au suffrage universel direct du conseil métropolitain, c'est une évidence !

M. David Kimelfeld. - Déclaration abrupte ? MM. Collomb et Mercier ont pris le risque de renverser la table : je leur en sais gré ! Du reste, ils n'ont pris personne de court, car ils ont toujours exprimé cette volonté.

Un exemple : le Grand Lyon est tête de pont de la solidarité urbaine et du renouvellement urbain. Demain, la métropole s'occupera de cohésion sociale. Compétitivité, cohésion sociale et exercice démocratique, avec l'élection des conseillers au suffrage universel, doivent aller de pair. Je rends hommage à MM. Mercier et Collomb qui ont su faire une proposition courageuse.

Sur le pouvoir de police, il existe un problème juridique : la métropole ne revendique pas les pouvoirs de police. Les établissements d'intérêt métropolitain devront être définis : le théâtre national populaire restera à Villeurbanne, comme l'Astroballe et les Canuts !

M. Jean-Paul Bret. - Sans mettre en cause la démarche, nous pensons que la loi doit laisser aux collectivités la possibilité de s'auto-organiser, d'évoluer librement, Oui à la mutualisation, à condition de laisser les communes et la métropole se mettre d'accord.

Mme Danielle Chuzeville. - Lyon Métropole est un cas bien particulier : deux élus de tendances politiques distinctes mais pas si différentes se sont mis d'accord. L'expérience est concluante, peut-être ferons-nous des envieux.

Quant aux délégations de compétences aux communes, elles devront se faire dans un cadre très précis si l'on veut conserver l'équité sur le territoire. Un allocataire du revenu de solidarité active doit être traité de la même façon, qu'il vive dans un quartier riche ou un quartier pauvre.

M. Jean-Jack Queyranne. - Ancien ministre des relations avec le Parlement, je compte sur la sagesse du Sénat pour éviter que la loi ne soit trop bavarde... Inutile de répéter le principe de libre administration des collectivités territoriales.

Pour nous, il s'agit bien d'une simplification. Peut-on créer une collectivité territoriale de statut particulier sans élection au suffrage universel ? A relire l'article 72 de la Constitution, je ne le crois pas : l'élection s'imposera d'emblée.

La région Rhône-Alpes est la sixième région européenne par son PIB, le Grand Lyon est la vingt-et-unième agglomération par son produit intérieur brut et l'aéroport de Lyon est le quarante-septième aéroport européen !

M. Michel Mercier. - L'unité de la République n'est pas renforcée par l'uniformité, au contraire ; il importe de tenir compte des spécificités. Lyon n'est pas un modèle : l'organisation que nous avons trouvée découle de notre tradition modérantiste. En Loire-Atlantique, la situation est différente.

J'aurais pu refuser de faire disparaître le département, mais cela aurait été manquer une occasion. Il faut accepter les changements maintenant... Mais pas les mêmes partout.

On ne peut refuser que la métropole s'occupe de social : il faut savoir pourquoi on veut le progrès, et pour qui ! Les élus de la métropole devront apprendre les métiers du social. Si l'on peut renvoyer la protection maternelle et infantile à la commune, il n'en va pas de même pour le revenu de solidarité active, les personnes âgées ou handicapées. Les communes du territoire sont très diverses.

Sur le pouvoir de police, il faudra être vigilant. Attention à ne pas laisser le pouvoir au niveau de la communauté de communes : il faut le laisser aux maires.

Dans toute loi, il y a des habiletés. Ici, c'est d'annoncer la création de la métropole après les élections municipales et les sénatoriales de 2014. Car la nouvelle organisation modifiera le corps électoral sénatorial. Il est donc jugé plus sage de conserver le département actuel jusqu'à cette échéance.

En 2014, il y aura une élection des conseillers communautaires ; en 2020, pour les conseillers métropolitains, l'élection au suffrage universel direct s'imposera. Ou alors on perdra le principal. Enfin, cher monsieur Queyranne, si la métropole écrase le département, c'est parce que vous avez laissé créer les pôles métropolitains !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Ne faisons pas rebondir le débat !

Modernisation de l'action publique territoriale - Audition d'élus sur le projet de Métropole d'Aix-Marseille Provence

Elle entend, au cours d'une troisième table ronde, des élus sur le projet de Métropole d'Aix-Marseille-Provence.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - C'est un grand plaisir, après les deux précédentes tables rondes, de nous rapprocher du soleil et de la Méditerranée en recevant des élus d'Aix et de Marseille ! Faites-nous entendre, s'il vous plaît, vos divers sons de cloche. J'ai dit à la presse provençale ce matin et je le répète devant vous : nous examinons un projet de texte ; la loi fera l'objet de plusieurs lectures devant le Sénat et l'Assemblée nationale.

M. Eugène Caselli, président de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole. - Le fait urbain est incontestable, en Europe et dans le monde. Ces grands centres urbains, où se crée la richesse, sont en compétition. Notre territoire possède un fort potentiel, malheureusement balkanisé entre les intercommunalités. Si nous unissons nos forces, nous pourrons peser en Europe du Sud. Nous avons Iter, le port de Fos, troisième port pétrolier du monde, premier en eau profonde de Méditerranée ; nous avons aussi l'industrie pétrochimique, les raffineries, des CHU de niveau européen, la première université de France, un aéroport international, des gares multimodales, sept pôles de compétitivité, des pôles de recherche autour des sciences du vivant au sud et de l'ingénierie au nord, le parc national des Calanques. Marseille est aussi la deuxième ville de France par sa population. De grandes richesses donc, mais pas de projet commun : six autorités organisatrices de transport, une balkanisation des zones d'activité et des zones commerciales, pas de cohérence territoriale pour le logement. Si Marseille constitue la ville centre, le projet métropolitain doit fédérer tous les territoires. Gênes, Barcelone nous concurrencent, Trieste aussi : il nous faut nous rassembler pour peser.

La métropole gèrera les grandes fonctions du territoire ; tout le reste doit être laissé aux communes, qui doivent conserver leurs dotations propres. Il faudra une fiscalité métropolitaine, lissée sur dix ans pour ne pas être trop douloureuse dans les premiers temps. Le projet de métropole est bon pour le territoire, pour Marseille. Attention : la pauvreté marseillaise débordera bientôt sur les intercommunalités voisines. Chacun doit avoir sa place dans ce projet commun. Nous ne nous sommes pas parlé jusqu'à présent. Avec ce projet de loi, le moment est venu. Il faut un espace de discussion, et que chacun se mette enfin autour de la table.

M. Georges Cristiani, maire de Mimet, Union des maires des Bouches-du-Rhône. - Lors de l'examen de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, un sénateur d'envergure de la précédente majorité nous exposait avec embarras la réforme, craignant qu'elle n'entraîne l'alternance. Les opposants à la réforme territoriale qui instituait la métropole sont aujourd'hui devenus ses ardents défenseurs ... D'autres, comme Mme Joissains-Masini ou M. Guérini, restent toujours opposés à une réforme quasi-identique, sur certains points, à celle de 2010.

Certains élus des Bouches-du-Rhône sont plutôt favorables aux transferts prévus concernant le transport ou le développement économique ; en revanche, ils refusent l'idée d'un transfert des compétences concernant le PLU ou l'aménagement de la voirie. Quatorze compétences définitivement transférées à la métropole, cela passe mal : 109 maires sur 119, 12 élus de la communauté urbaine de Marseille sur 18, ne veulent pas de ce qu'on leur impose, et proposent autre chose, sans perdre le « Nord républicain ». Comment peut-on écrire un tel texte ? Le fait urbain existe, certes, mais les Bouches-du-Rhône ne se résument pas à cela ! On crée un sixième niveau politico-administratif. Est-ce bien raisonnable ?

Mme Magali Giovannangeli, présidente de la communauté d'agglomération du Pays d'Aubagne et de l'Etoile. - Je confirme les propos de M. Cristiani : les Bouches-du-Rhône sont marquées par une grande diversité des paysages et des populations.

Ce projet de loi sera modifié, on ne pourra rien imposer aux collectivités territoriales. Vous avez dit des mots importants, monsieur Sueur, à France bleue Provence, en expliquant que le texte pourrait être profondément modifié, que l'on ne saurait faire le bonheur des gens malgré eux et que les communes doivent être respectées. Cette page blanche, nous voulons la remplir avec nos couleurs. La fusion forcée et la disparition d'EPCI sont contraires au principe de libre administration des collectivités territoriales. Pourquoi ce dispositif intégré pour 1,8 million d'habitants, reléguant la partie rurale du département ? Paris et Lyon ont reçu un autre traitement. Nous avons proposé une alternative, preuve que nous ne sommes pas dans les Balkans, mais dans un département qui sait se rassembler autour des grands projets. La solution du syndicat mixte de Paris nous conviendrait parfaitement : elle résoudrait la question des transports et préserverait l'outil intercommunal.

M. Henri Cambessedes, président de la communauté d'agglomération du pays de Martigues. - A mon tour d'intervenir en insistant sur les incidences de ce texte sur la fiscalité locale. Nous sommes terriblement inquiets. La mise en place de la Métropole d'Aix-Marseille-Provence remettrait en cause les versements des EPCI aux communes, dont Aix, Fos, Salon. Les prélèvements fiscaux augmenteraient de 110 millions d'euros alors que nous vivons une grave crise sociale et économique. Un lissage sur dix ans ? En général, on prévoit plutôt douze ans. Ce projet ne constitue-t-il pas une fuite en avant fiscale ?

La création de cet EPCI à fiscalité propre se fera au détriment des ménages : le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères est de 17,10 % dans une commune, contre 0 % à Martigues et il y a peu de chances que l'harmonisation se fasse par le bas.

La métropole aurait un budget de 2,2 millions d'euros et 8 000 agents territoriaux. L'harmonisation des statuts se fera elle aussi par un alignement sur les traitements les plus élevés, ce qui aura un coût. La masse salariale est de 300 millions d'euros ; avec les 5 % de glissement vieillesse technicité, le surcoût atteindra 15 millions d'euros.

Notre but n'est pas d'instruire à charge ce dossier. Nous travaillons à des alternatives depuis deux ans. Bien sûr, on a entendu des claquements de porte... Monsieur le Président, nous aimerions que vous veniez dans les Bouches-du-Rhône, territoire singulier, comme vous l'avez fait à Lyon.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je viens toujours avec plaisir dans votre belle région !

M. René Raimondi, président du syndicat d'agglomération nouvelle Ouest Provence. - Maire de Fos, je m'exprimerai aussi en tant que conseiller général. Nous étions déçus de voir qu'il n'était pas représenté à cette table ronde.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous comptons entendre les conseils généraux ensuite.

M. René Raimondi. - Les Bouches-du-Rhône ne sont pas des mauvais élèves, il faut se sortir cela de la tête ! Nous sommes le département le plus intégré autour de neuf intercommunalités - seuls quelques villages sont restés à l'écart.

Venons-en aux incohérences : Marseille-Provence Métropole n'est pas représentée au conseil de surveillance du port de Fos, géré par un directoire, nommé en conseil des ministres ! Les bassins sont à Marseille, les bassins ouest à Fos-sur-Mer. Au pied du siège du port, à l'est, un centre commercial a été installé sur les quais même. Etrange ! Comment peut fonctionner un port partagé sur plusieurs intercommunalités ? Surtout quand une ville d'une force particulière est en train de le faire changer. A La Réunion, il existe un réseau de routes formidable, flambant neuf ! Rien de tel à Fos-sur-Mer, dont le port est desservi par une unique route départementale. Comment va-t-on évacuer 5 millions de containers avec, en tout et pour tout, une voie ferrée ? L'Etat n'a pas pris ses responsabilités. Les énarques ou les X-Ponts qui se sont succédé à la tête du port ont eu tort de tout miser sur la pétrochimie et la sidérurgie.

On observe donc à Fos un déni de démocratie. J'y suis habitué, la communauté urbaine de Marseille a par exemple construit un incinérateur sur notre territoire, parce qu'elle n'avait pas le courage de le faire sur le sien. Elle l'a fait avec la complicité des services de l'Etat.

Le projet de loi s'est réduit depuis sa présentation. Le Conseil d'Etat est passé par là. Mais le régime dérogatoire demeure. Entre le texte lui-même et ce qu'en dit la ministre, on ignore ce qui nous attend réellement. Aujourd'hui, 109 maires sur 119 sont hostiles à la métropole, ce n'est pas un hasard, tout de même ! Je ne suis que le petit maire de Fos-sur-Mer : mais quel péché avons-nous commis pour qu'on nous oblige à rejoindre cette communauté urbaine qui ne nous veut que du bien ? Pourquoi toutes ces exceptions pour Marseille ? Malgré les corrections, le régime dérogatoire demeure.

A l'occasion des prochaines élections municipales, 417 représentants seront fléchés. Pour le projet de métropole, au début, on nous parlait de 180 représentants... Que deviendront les présidents d'EPCI qui seront désignés en 2014 ?

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il n'y a pas de « petits maires »...

M. René Raimondi. - Je connais le poids de l'Etat jacobin !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - ...pour des sénateurs qui sillonnent les villages afin de convaincre chaque maire de leur apporter leur voix.

Mme Maryse Joissains-Masini. - Nous avons fait un effort de calme... Et pourtant, ce projet de loi nous remplit de violence. Le préfet Théry est un homme charmant mais il tient des propos incroyables. Qui a bien pu écrire ce texte aussi technocratique qu'illisible ? Il y aura matière à des recours judiciaires, croyez-le bien.

Crevons l'abcès : on nous a reproché, à nous les maires, de vouloir conserver nos avantages. J'ai combattu la loi Sarkozy, M. Mercier, alors ministre, peut en témoigner.

M. Michel Mercier. - Oh oui, je m'en souviens.

Mme Maryse Joissains-Masini. - Nous combattons de même la loi Hollande aujourd'hui car, pour modifier la carte intercommunale, il faut procéder de manière apaisée. Quand la commission départementale de coopération intercommunale a été constituée, les neuf intercommunalités - et non six seulement - se sont réunies et ont toutes voté pour le pôle métropolitain, possibilité qu'ouvrait la loi Sarkozy. Cela montre notre volonté de coopération métropolitaine, mais pas n'importe laquelle. Changement de majorité, loi Hollande et, patatras, on nous pond un texte innommable, contraire à l'esprit de la République : on nous impose la métropole, qui enterre la belle loi de M. Defferre. Tant qu'à faire, je préfère le centralisme d'Etat au centralisme local, ce dernier signifiant, on le sait, féodalisme, clientélisme et, finalement, élus conduits devant le juge d'instruction !

Nous nous sommes débarrassés de la féodalité de l'ancien régime, nous avons fait la décentralisation et voici qu'on revient dessus avec cette loi médiocre. Nous sommes 109 sur 119 maires à vouloir la coopération métropolitaine et à refuser le texte Hollande. Pourquoi transférer les compétences de cimetière et de l'état civil à une même structure qui s'empêtrera dans son inefficacité ? Il faut mutualiser les compétences stratégiques au sein de la métropole : trouvons une formule juridique pour laisser les compétences du quotidien aux communes.

On nous a dit hostiles à Marseille et à toute solidarité avec elle. Nous n'étions pas enthousiastes, certes, mais nous y allons. En revanche, on ne nous fera pas avaler l'idée qu'il faudrait combler le déficit de Marseille avec les fonds du département. Marseille deviendra la grande ville de la Méditerranée, à condition que l'Etat l'aide !

Si cette loi est votée, je vous le dis, elle ne sera pas appliquée : 109 élus sur 119 sont contre et, surtout, la population et le monde économique n'en veulent pas. N'oublions pas que les Bouches-du-Rhône forment un territoire intrinsèquement multipolaire.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Aucune loi n'est votée, nous parlons d'un projet de loi. D'ici son adoption, de l'eau aura coulé sous les ponts.

- Présidence de Mme Sophie Joissains, vice-présidente -

M. Olivier Guirou, maire de La Fare Les Oliviers, vice-président d'Agglopole Provence. - Mme Joissains-Masini a bien résumé nos inquiétudes. Ce projet de recentralisation est contraire au discours de M. François Hollande lors du dernier congrès des maires. Pourquoi transférer les cimetières ? Pourquoi transférer la voirie ?

M. Patrick Mennucci, député des Bouches-du-Rhône, maire du 1er secteur de Marseille. - C'est faux ! Lisez le texte, ce n'est pas dedans.

M. Olivier Guirou. - Je peux parler ? Nous sommes au Sénat ! Je disais donc que je suis un maire de proximité. Le mardi après-midi, je reçois mes administrés sans rendez-vous, ils me signalent un trou dans tel trottoir ou tel problème de voirie. Tout cela va disparaître. Sans compter qu'on sera obligé d'augmenter les impôts locaux. En plus, parmi les quatorze compétences transférées à la métropole, nous perdrons le PLU. C'est pourtant moi, le maire, qui connais les enjeux des terres agricoles dans ma commune.

Lyon connaît l'intercommunalité depuis 50 ans ; Marseille, elle, a raté le train, à plusieurs reprises. Enfin, avec cette loi, ce que je crains le plus, c'est qu'on n'encourage la montée des extrémismes...

M. Patrick Mennucci. - Si je n'étais pas député du département, si je venais de la planète Mars, j'aurais pu accorder du crédit à ce qui vient d'être dit. La vérité, c'est que nous avons un taux colossal de chômeurs, de familles monoparentales, d'échec scolaire. Je ne parle pas seulement de Marseille mais de toute l'aire urbaine ! Y a-t-il ici quelqu'un qui pense qu'il suffira de construire un mur pour protéger sa commune de la misère ? Ce gouvernement a le mérite de prendre en compte la situation des Bouches-du-Rhône pour contourner la somme des égoïsmes, des socialistes, des centristes, des UMP ou des UMP proches du FN...

Mme Maryse Joissains-Masini. - Oh ! Assez !

M. Patrick Mennucci. - Vous sentez-vous concernée ? Et mon cher collègue Guirou n'est-il pas déjà allié avec des extrémistes ? Je reçois des SMS disant combien nos concitoyens ont honte du niveau de notre débat !

La métropole est une nécessité pour répondre à la grande question de la compétitivité des territoires, à l'heure de la concurrence internationale. Mme la maire d'Aix-en-Provence a dit, l'an dernier, que Marseille serait bientôt submergée par les eaux, deviendrait le port d'Aix, ou encore, que chacun devrait conserver sa spécificité... Plaisanterie, dira-t-elle. Ras-le-bol de ces propos et de cette manière de nous dénigrer en permanence ! Heureusement, nous avons la population et les forces économiques derrière nous ! Toutes les personnes qui ont manifesté lors de la visite de Mme Lebranchu étaient des agents des collectivités territoriales qu'on avait d'autorité embarqué par cars entiers.

Ce texte serait liberticide pour les communes ? Pourtant, il ne s'adresse qu'aux EPCI ! On nous raconte qu'il existe des traditions locales, des cultures de territoire... Cela est parfaitement faux : le pays d'Aix a été créé pour conserver des positions après un compromis entre MM. Guérini et Gaudin.

Rien dans cette loi ne signe la mort des communes. En revanche, les EPCI, qui n'apportent pas ce que nous en attendons, disparaîtront. Alors, arrêtons de faire croire aux habitants qu'ils perdront le fait communal ! Le sac d'or est actuellement réparti entre les six EPCI. Ceux qui défendent la métropole ne cherchent pas à se l'approprier mais à créer un deuxième sac d'or grâce au développement économique. L'échec à constituer un syndicat mixte de transport a convaincu le Gouvernement qu'il fallait la métropole pour Marseille.

Merci au Sénat de nous avoir écoutés et de ne pas se laisser prendre dans les égoïsmes des uns et des autres.

Mme Samia Ghali, sénatrice, maire du 8ème secteur de Marseille, vice-présidente de Marseille Provence Métropole Communauté urbaine. - Nous ne sommes pas là pour nous agresser, ni pour accuser les absents, mon cher Patrick.

M. Patrick Mennucci. - Je n'ai accusé personne !

Mme Samia Ghali. - C'est précisément parce que nous nous parlons ainsi que nous ne réussissons pas à avancer. Chacun a le droit de s'exprimer.

Madame la Présidente, madame la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, messieurs les rapporteurs, nous exprimons, avec notre tempérament, nos convictions. Ce projet de loi n'est pas bon. M. Mennucci a parlé de souffrance, moi, je parlerai du retard de Marseille. Il s'explique par l'attitude de l'Etat, mais surtout par les élus locaux de droite et de gauche qui se sont succédé depuis 40 ans. Il est aujourd'hui plus facile pour un habitant des quartiers nord de se rendre à Aix qu'en centre-ville ! Aucun TER pour se rendre à Marignane. Pourquoi ? Parce qu'on a préféré doubler le métro par le tramway en centre-ville. La ligne 2, c'est l'Arlésienne ! On en parle beaucoup, on ne la voit jamais.

La métropole ne doit pas être un cache misère du vent, l'arbre qui cache la forêt !

J'espère que le Sénat jouera tout son rôle. Le président Rebsamen rappelait ce matin que le Sénat représente les collectivités territoriales et que les sénateurs doivent dès lors conserver un mandat local. Quand la loi n'est pas bonne, il faut le dire, même si elle vient d'un gouvernement de gauche. Il faut des précisions sur le fléchage financier, indispensable pour combler le retard. Les Marseillais veulent avant tout du travail, des écoles décentes, des transports, du papier dans les toilettes des écoles primaires, car nous en sommes là, c'est le tiers monde ! La métropole n'est pas la réponse à tout. Je ne mentirai pas aux Marseillais. Nous avons des intérêts communs. A Aubagne, on lance un tramway...

M. Patrick Mennucci. - Il n'est pas financé !

Mme Magali Giovannangeli. - C'est ce que dit la droite...

Mme Samia Ghali. - J'aimerais avoir les mêmes avantages dans le quartier nord de Marseille ! Comment font les autres villes ?

M. Roland Povinelli, sénateur. - Elles bénéficient du clientélisme au conseil général !

Mme Samia Ghali. - Chez nous, 45 % des piscines sont fermées, les gymnases sont inutilisables et j'en passe. Sénatrice-maire, candidate aux primaires aux municipales à Marseille, je demande au Gouvernement un fléchage financier clair !

M. Jean-Yves Petit, vice-président du conseil régional Provence-Alpes-Côte-d'Azur. - La situation est quelque peu atypique, chacun l'aura compris. Merci d'entendre un élu régional qui a sans doute un peu de recul dans ce débat passionnant et très passionné.

Nos concitoyens ne se soucient guère des frontières administratives, quand ils se déplacent entre Aix, Marseille et Aubagne, perdent 35 000 heures dans les bouchons et souffrent de la pollution atmosphérique qu'engendrent ces déplacements. Les transports collectifs représentent à peine 5 % des déplacements. Avec les EPCI, le territoire a six schémas de cohérence territoriale...

M. René Raimondi. - Non, nous avons un schéma de cohérence territoriale commun !

M. Jean-Yves Petit. - ...Soit, cinq schémas de cohérence intercommunale, sans complémentarité. Le syndicat mixte des transports n'a presque rien pu faire : pas question de mutualisation financière ! Le pôle métropolitain est peut-être une bonne idée, mais il est fermé au département et à la région...

Il faut avancer. Dans cet échange, en écoutant les autres intervenants, ce qui m'a frappé, c'est que les propositions sont absentes. La métropole proposée par la loi n'est pas acceptée car elle complexifie plus qu'elle ne simplifie. De l'autre côté, l'établissement public opérationnel de coopération ne répond pas aux attentes en termes de transport.

La proximité, l'autonomie fiscale sont cruciales. Tout comme le rôle de la région, qui doit être renforcé, dès la loi sur les métropoles, par un schéma régional de l'intermodalité. Les transports régionaux représentent 40 % de l'offre sur le territoire, pour zéro centime, je le rappelle ! Les 50 millions d'euros proposés pour les investissements sont loin d'être suffisants. Enfin, il est impératif que les conseillers communautaires soient élus au scrutin direct. Pour conclure, il faut un conseil de développement légitime !

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Ce débat est vivant, l'ambiance terriblement roubaisienne ! Nous préciserons dans le rapport le niveau d'organisation entre le projet gouvernemental et la déconcentration de l'EPCI unique qu'entraînera la mise en oeuvre des conseils de territoires. Le syndicat mixte sui generis que l'Etat envisage de mettre en place transitoirement en Ile-de-France peut être une solution de repli.

Vous êtes tous conscients des ratés dans l'intégration à grande échelle sur notre territoire, le constat est sans appel. Outre l'attractivité économique, la métropolisation doit aussi viser la cohésion sociale.

Peut-on faire le bonheur des gens malgré eux ? Ce n'est pas le débat aujourd'hui. Nous vous apporterons des précisions, puis le Sénat se prononcera...

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Débat passionnant ! La commission des affaires économiques est aussi en charge du logement et de la politique de la ville. En matière de logement, votre région connaît un vrai problème. La gouvernance est un outil au service d'un projet. Quel est votre projet en matière de logement ? Pensez-vous que la question puisse être traitée à l'échelle métropolitaine ? Les problèmes de transport ne peuvent pas être réglés indépendamment des problèmes de logement.

Je comprends mal si vous revendiquez ou non une spécificité ? La loi doit être la même pour tous, avez-vous dit... Pour ma part, je trouve bon que l'on tienne compte des problématiques locales.

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - J'ai bien écouté avec une carte sous les yeux, et je crois avoir compris... Actuellement, la loi de 2010 réorganise l'intercommunalité avec les commissions départementales de la coopération intercommunale. Entre l'état actuel des choses et la métropole, avez-vous imaginé autre chose ? En somme, un nouveau schéma départemental de coopération intercommunale ?

M. Roland Povinelli. - Le président Bel a récemment reçu des maires des Bouches-du-Rhône. Le Sénat est la maison des communes ; nous sommes là pour les défendre car nous avons des comptes à rendre à nos maires et à nos conseils municipaux. Le 5 octobre dernier à la Sorbonne, lors des états généraux de la démocratie territoriale, le Président de la République déclarait que les communes sont le socle de notre démocratie. En novembre 2007, le président Sarkozy jurait la main sur le coeur que, lui présent, on ne toucherait jamais aux communes. Quelques mois plus tard était présentée la loi que l'on connaît, et que nous avons combattue...

Je suis d'autant plus amer que ma commune a été rattachée de force à la communauté urbaine de Marseille - qui devait tout régler. Or, tout s'est dégradé - la propreté, par exemple - et sur les maigres crédits municipaux je suis obligé de payer des agents pour passer derrière ceux de Marseille qui travaillent seulement quatre heures par jour ! Impossible d'obtenir qu'une route soit goudronnée : la machine est trop lourde. Il est plus facile de sortir du port de Toulon une petite barque de pécheur du port qu'un gros porte-avion, n'est-ce pas ? Une structure plus simple est forcément plus facile à manoeuvrer. Ce qui fait la force des maires, c'est la proximité ! Nous ne sommes pas contre les grands projets, mais la proximité et le PLU doivent rester aux maires ! Comment préserver le territoire de ma commune contre les promoteurs si le maire n'est plus maître chez lui ? Mais j'ai gardé exprès des terres agricoles !

S'il y a trop de communes, regroupons-les ! Mais aucun gouvernement n'en a le courage. Heureusement qu'il y a le conseil général, car ce n'est pas l'Etat qui nous aidera. Je souhaite donc que l'on entende le conseil général. Du temps du président Philibert, l'aide aux communes existait déjà !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Les 36 700 communes sont la cellule de base de la République, nous les soutiendrons toujours. Cela étant, une commune de 200 habitants ne peut faire seule du développement économique.

Mme Sophie Joissains. - Nous avons entendu un condensé des problèmes qui se posent, entre Marseille qui connaît de graves difficultés et une métropole qui ne paraît pas opérationnelle. On ne peut ni rendre la compétence des ordures ménagères aux communes, ni la confier à la métropole... La métropole ne doit pas être un faux-nez. On ne règlera pas les problèmes du nord de Marseille sans intervention de l'Etat. La loi propose de transférer les agents vers la métropole - cela posera des problèmes d'harmonisation des régimes indemnitaires et coûtera fort cher... Pensons à tous les sujets avant de trancher.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci. Bien des élus ne se reconnaissent pas dans le projet de loi. Il est un point de départ. Nous sommes preneurs de toute proposition déjà formalisée. Nous, sénateurs, faisons notre travail ; nous écoutons les élus. Le texte du Gouvernement est un point de départ, à nous de le modifier. « Aller vers l'idéal et comprendre le réel », disait Jean Jaurès. En vous entendant, nous avons mieux compris la réalité, cherchons maintenant ce qui pourrait se rapprocher de l'idéal !

Modernisation de l'action publique territoriale - Audition de M. Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France

La commission entend enfin M. Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France.

M. Jean-Pierre Sueur, président - Monsieur Lebreton, nous avons, bien sûr, lu vos déclarations sur ce premier volet des lois de décentralisation. Le Sénat a souhaité que le texte soit modifié. Je voulais trois textes courts, examinés en même temps ; nous aurons trois textes plus longs, le premier portant sur les métropoles. Vous avez réagi à ce choix dans un entretien à La Croix avec la franchise qu'on vous connaît.

Les métropoles devront être peu nombreuses et de grande taille, le département pourra confier des compétences non stratégiques à la commune, nous a dit ce matin la présidente de la communauté urbaine de Lille. Le président du conseil général de Loire-Atlantique juge inacceptable que l'on impose un transfert des compétences du département à la métropole par la loi. Les élus Lyonnais veulent, eux, une métropole élue au suffrage universel direct, qui prenne toutes les compétences du département. Trois discours différents sur les départements donc, et il y en a d'autres... Que pense l'Assemblée des départements de France ?

M. Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France. - Merci de me recevoir. J'ai beaucoup participé à l'élaboration de ce texte. Dans un contexte économique et social dramatique, devait-il être audacieux ou fallait-il rechercher un compromis ? C'est cette deuxième option qui a été retenue. On était arrivé à une architecture qui tenait la route. A l'arrivée, nous avons un texte en trois parties. J'aurais souhaité un texte moins dense, qui renvoie au décret chaque fois que cela était nécessaire.

Ce qui a provoqué l'ire des départements, c'est l'ordre dans lequel les sujets sont traités : d'abord les métropoles, puis les régions, et enfin un texte sur les départements, renvoyé à 2016 et qui traiterait de la solidarité territoriale. Autant dire qu'il ne verra pas le jour, compte tenu des échéances électorales importantes qui se profileront à cette date...

Le mot « département » réapparaît dans la première partie du présent texte, c'est une satisfaction, d'autant que les ministres et le président du Sénat me disent que le département pourrait se retrouver également dans le second texte, qui devrait être examiné à l'automne.

La notion de chef de file nous convient. Nous verrions d'un bon oeil l'introduction de la notion de développement local, à côté du développement social. Je ne reviens pas sur le tourisme et sur le numérique...

Trois nouveaux principes guident ce texte : solidarité, subsidiarité et spécificité. Faut-il une même organisation en Bretagne, en Alsace, dans le département du Nord ? L'idée de conférence territoriale de l'action publique nous convient bien. Le B16 est un succès en Bretagne et a beaucoup apporté en termes de gouvernance territoriale. Certes, notre modèle n'est pas forcément exportable mais lorsque le maçon est au pied du mur, il faut bien qu'il s'attaque à l'ouvrage... Les conférences territoriales fonctionneront bien, j'en suis certain. Je les trouve cependant trop pléthorique. En Bretagne, nous passerons de 16 à 39, ce qui compliquera le fonctionnement de notre assemblée. Dans d'autres régions, le nombre de membres de ces conférences sera beaucoup plus pléthorique. De surcroît, dans une démocratie apaisée, le président de cette conférence doit-il absolument être le président du conseil régional ?

Moi qui reviens de Bruxelles, je trouve que la présidence tournante, qui a certes ses inconvénients, est néanmoins un bon moyen d'aboutir à des consensus. Voilà la position de l'Assemblée des départements de France.

J'en arrive à la partie « dure » du texte. Faut-il transférer les compétences d'action sociale à la métropole ?

Une parenthèse : la dimension européenne est absente de ce texte, comme elle l'était de la réforme des collectivités territoriales de décembre 2010. Il ne s'agit pas d'aller vers une république fédérale - seuls trois pays dans l'Union ont adopté une telle structure. On dit comme une évidence dans les médias que la France de demain sera bâtie autour des régions et des métropoles. Les Alsaciens se sont prononcés et ils ont donné tort à cette thèse, ce qui nous incite à davantage d'humilité...

Je reviens aux métropoles. Elles sont justifiées pour Paris, Lyon Marseille, Lille, Nantes ou Strasbourg, non en raison de la taille de ces agglomérations mais de leurs fonctions : Lille en raison de sa position géographique stratégique par rapport au lieu de décision européenne, Nantes parce qu'elle représente la porte de l'Ouest, Strasbourg parce qu'elle abrite le Parlement européen, Toulouse à cause d'Airbus, etc. Pour Rouen ou Bordeaux, cela se discute. Idem pour Grenoble... Demain, les départements auront des élus au sein des conseils métropolitains, mais quelle sera leur représentativité, compte tenu du nouveau mode de scrutin ?

La présidente de Lille Métropole veut des compétences stratégiques pour la métropole, non l'action sociale. Pour être efficace, celle-ci doit être menée à l'échelle d'un territoire à la taille critique. Seul le département peut assurer la solidarité entre monde rural et monde urbain. Comment s'organisera juridiquement le statut de chef de file des métropoles ?

Les départements de la première couronne parisienne attendent une clarification. Personne ne comprend d'où est sortie l'idée du seuil de 300 000 habitants pour l'intercommunalité en région parisienne. Sans la carotte de la loi Chevènement, y aurait-il eu autant d'intercommunalités en première couronne ?

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Merci à M. Lebreton d'être présent à une heure aussi tardive. D'accord pour trouver une unité intellectuelle entre commune, département et région ; je suis formellement opposé à un transfert automatique des compétences du département à la métropole par la loi.

L'égalité des territoires est un thème qui fait florès au Sénat. A quel niveau doit se mutualiser l'ingénierie au service des territoires ? Dans certains territoires, on marche dessus ; dans d'autres, c'est le désert... On peut contractualiser certaines procédures, les contextualiser, comme certains le souhaitent, sans aller jusqu'au dessaisissement des compétences. C'est cela que veulent les grands élus, pas une OPA sur les compétences des départements. Une plateforme d'ingénierie serait bienvenue. Ce texte faisant peur, je redis que nous entendons lever certaines ambiguïtés sur les départements, dont le champ mérite d'être reconnu.

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis pour la commission des affaires économiques. - Trop de métropoles ? Si l'on portait le seuil à 1 million d'habitants, nous aurions six métropoles au lieu de treize... La même loi partout ? Il faut tenir compte des spécificités locales, nous l'avons compris en écoutant les élus franciliens, lyonnais puis marseillais.

Pardon de vous faire quitter la Bretagne, mais je veux dire un mot du département dans le cadre de la métropole de Paris. Que pensez-vous du fonds départemental de péréquation pour les départements franciliens ? Sujet plus compliqué, comment fonctionnent les départements qui se retrouveront coupés en deux, comme la Seine-et-Marne ? Le président du conseil général craint de s'occuper après l'adoption de cette loi des seuls équipements dont on ne voudra pas en zone dense.

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - Peut-être ai-je mal compris : l'architecture des trois textes a-t-elle changé ?

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Le deuxième texte visera à la fois la région et le département.

Mme Jacqueline Gourault. - Cela pourrait poser, une nouvelle fois, des questions de méthode. Attention ! Evitons de placer une collectivité territoriale sous la tutelle d'une autre. En même temps, n'empêchons pas des intercommunalités de se créer à un échelon crédible et de mutualiser des services entre elles. Autrement dit, le département ne doit pas être un frein à l'intercommunalité quand les communes ne peuvent plus répondre aux besoins des territoires. Voilà, en tout cas, la vision d'une élue du Loir-et-Cher !

M. Bruno Sido. - L'histoire a un sens et l'on ne peut pas aller contre. En 1790, Paris comptait 650 000 habitants, Marseille, 106 000, Lyon, 100 000. La solution lyonnaise est bonne : la métropole prend les compétences du département et le Rhône conserve 450 000 habitants. C'est une bonne idée, non ? On ne peut pas être hostile aux métropoles en continuant de s'accrocher à nos 36 000 clochers ! En Haute-Marne, grâce à la loi Marcellin, les communes fusionnent : là où il y en avait 4 en 1870, il n'y en a plus qu'une. Certaines, en Ardèche, dans le Gers, n'ont plus d'habitants l'hiver et il revient au préfet de les administrer ! Cela n'a plus de sens ! Allons dans le sens des mutualisations, comme je l'ai rappelé dans un rapport il y a trois ans, de l'efficacité et des économies. La situation est trop grave.

Et 22 régions métropolitaines, c'est trop. Chacun le sait dans les ministères. En tout état de cause, supprimons un échelon quand une métropole sera créée. Ne cherchons pas midi à quatorze heures : c'est en simplifiant qu'on remettra la France sur la bonne route.

M. Dominique Watrin. - Les états généraux furent un grand moment de démocratie. On y a perçu le besoin des élus d'être rassurés, alors que 4,5 milliards d'euros de dotations seront supprimées au cours des deux prochaines années.

D'après ce que j'ai compris, les petites intercommunalités seront peu représentées dans les conférences territoriales de l'action publique - en tout cas, dans mon département. Les élus ne s'y retrouveront pas, les habitants non plus. Les Alsaciens n'ont pas voulu de cette usine à gaz, cela doit nous interpeler. Posons des repères républicains.

M. Christian Bourquin. - Faut-il changer toute l'architecture territoriale pour répondre à la dynamique européenne ? La réponse est clairement non. Le conventionnement suffit. L'expérimentation voulue par M. Raffarin n'a rien donné. Est-on une métropole dynamique parce qu'on gère le RSA ? Curieuse vision. Parler d'une conférence territoriale de l'action publique ne rimera à rien si l'on ne nomme pas des chefs de file sur la dizaine de thèmes importants : l'eau, le logement, le développement économique, etc.

Nous passons notre temps à nous agiter en tout sens en déstructurant l'organisation territoriale et en déstabilisant les élus. Lyon s'est débrouillé sans le législateur. Là où les élus locaux n'auront pas réussi à s'organiser, ils seront sanctionnés par les électeurs. Faut-il vraiment une loi pour rappeler l'importance de Bordeaux en Aquitaine, de Toulouse en Midi-Pyrénées, de Montpellier en Languedoc-Roussillon ? Revenons à la réalité et abstenons-nous d'affoler les élus locaux par une nouvelle loi, quand le conventionnement et la nomination de chef de file sur dix thèmes essentiels suffisent.

Mme Michelle Meunier. - Le département de Loire-Atlantique, très dynamique, a la chance d'avoir un pôle métropolitain : Nantes et, peut-être demain, Nantes-Saint-Nazaire. Le processus est concerté ; pourquoi ce transfert automatique des compétences au terme de 18 mois ? Je comprends encore moins l'élection des conseillers métropolitains : élue de Nantes métropole, est-ce que je participerai aux travaux de l'assemblée départementale ? Que devient la proximité dont nous parlons tant ?

M. Henri Tandonnet. - J'espère que les intercommunalités se rejoindront. On ne peut pas diviser la compétence de l'eau en trois parties. Attention à ne pas engendrer un monstre.

M. Claudy Lebreton. - Monsieur le rapporteur est plus que réservé sur le transfert automatique des compétences des départements aux métropoles, l'Assemblée des départements de France s'en réjouit.

Ne confondons pas ingénierie de conseil et services techniques mutualisés. Beaucoup de départements ont créé des plateformes d'ingénierie associant les collectivités locales, pour réguler un secteur que le désengagement de l'Etat avait abandonné aux seules entreprises privées. Dans mon département, cela fonctionne très bien. Il s'agit d'une politique publique dans le sens noble du terme.

A mon sens, ce qui compte dans la métropole n'est pas la population mais la fonction qu'elle aura à jouer : ville universitaire, pôle culturel, etc. Strasbourg n'est pas très peuplée mais chacun connaît son rôle au niveau européen.

Paris, les Hauts-de-Seine et les Yvelines peuvent contribuer à un fonds de péréquation. Mais les autres ?

En travaillant sur le projet de loi de finances pour 2014, l'ADF est parvenue, je crois, à une définition du potentiel financier qui pourrait recueillir l'assentiment de tous, pour une vraie péréquation. L'Etat est attentif aux propositions de l'Assemblée des départements de France sur ce point.

Le deuxième texte, qui aborde les chapitres de l'ingénierie, de l'accessibilité aux services publics et du numérique, concernera de facto les départements.

La décentralisation a une connotation extrêmement négative dans l'opinion publique. Les Français, cela fait frémir, demandent un retour de l'Etat, ce qui se comprend en temps de crise sociale et économique. Plus de pédagogie s'impose pour rappeler que, désormais, ce sont des élus démocratiquement élus qui gouvernent en lieu et place de fonctionnaires d'autrefois.

Seuls huit pays de l'Union européenne possèdent un niveau régional. En Bulgarie, il existe des régions administratives qui n'ont pas remplacé les départements. La Grèce a gardé les départements à la demande de la Troïka ; cet échelon de proximité, pensait-elle, était le plus sûr moyen de faire des économies. La banque centrale européenne ne dit pas autre chose : il faut regarder de près l'organisation territoriale des services publics. Les huit pays qui ont trois niveaux de collectivités sont les plus peuplés : de 40 millions d'habitants en Pologne, à 80 millions en Allemagne.

La France est en 17ème place seulement pour la décentralisation, derrière la Pologne maintenant.

Le retournement démographique à la fin du siècle dernier, a montré le géographe Hervé Le Bras, est un fait incontestable : les métropoles qui aspiraient les populations les refoulent maintenant. Si on ne peut pas comparer l'Ile-de-France et Rhône-Alpes, ayons à l'esprit ces évolutions démographiques.

La décentralisation restera une oeuvre inachevée car la démocratie territoriale est profondément liée à l'Europe et à la question de l'Etat. Aux générations futures d'écrire le prochain acte de la décentralisation.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'après-midi a été riche avec des épisodes de tonalités différentes. Merci à tous ceux qui y ont participé.

Mercredi 24 avril 2013

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -

Programme d'enregistrement des voyageurs - Examen du rapport et du texte de la commission

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission examine, le rapport de M. François-Noël Buffet et le texte proposé par la commission pour la proposition de résolution européenne n° 523 (2012-2013) sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d'un système d'entrée/sortie pour l'enregistrement des entrées et sorties des ressortissants de pays tiers franchissant les frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne (E 8134) et sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d'un programme d'enregistrement des voyageurs (E 8136), dont la commission s'est saisie en application de l'article 73 quinquies, alinéa 2, du Règlement du Sénat.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous organisons de très nombreuses et riches auditions sur le projet de loi relatif aux métropoles. Elles nous ont occupés hier de 9 heures 30 à 21 heures. Elles sont publiques, télévisées et feront l'objet d'un compte rendu analytique.

La Conférence des présidents n'étant pas parvenue hier à se mettre d'accord sur une lecture ce jeudi des conclusions de la CMP sur le projet de loi relatif à l'accord national interprofessionnel, celle-ci est inscrite à l'ordre du jour du mardi 14 mai à 14h30, et interviendra donc juste avant l'examen du projet de loi sur les élections sénatoriales.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Je vous ai présenté la semaine dernière une proposition de résolution européenne relative au franchissement des frontières extérieures de l'Union européenne. Nous en avons débattu avant de l'adopter par un vote unanime. Aucun amendement n'ayant été déposé, cette proposition va donc à présent devenir résolution du Sénat et sera transmise au Gouvernement.

La proposition de résolution est adoptée sans modification.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous invite à lire le rapport de notre collègue sur ce sujet très intéressant. La proposition deviendra résolution du Sénat dans un délai de trois jours francs après sa publication dans les conditions fixées par l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat.

Election des sénateurs - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine ensuite le rapport de M. Philippe Kaltenbach et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 377 (2012-2013) relatif à l'élection des sénateurs.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Lors de notre dernière réunion, je vous avais fait part d'une lettre du Premier ministre engageant pour l'examen du projet de loi sur l'élection des sénateurs, la procédure accélérée. Par un autre courrier adressé au président du Sénat, il confirme la position exprimée par la ministre des relations avec le Parlement en conférence des présidents : le Gouvernement renonce à faire usage de cette procédure.

EXAMEN DU RAPPORT

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - Notre commission est très attachée au bicamérisme qui se justifie notamment par une représentation différente de la Nation au sein des deux assemblées. L'égalité devant le suffrage énoncée à l'article 3 de la Constitution doit se concilier avec la fonction de représentation des collectivités territoriales confiée au Sénat par son article 24. La réforme qui nous est proposée ne remet pas en cause le mode d'élection des sénateurs - par moitié et au suffrage universel indirect - mais, s'inspirant des travaux de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, il apporte sur deux points des modifications relevant de la loi ordinaire. Il prévoit ainsi de réintroduire le scrutin proportionnel dans les départements élisant au moins trois sénateurs et de modifier la composition du collège des grands électeurs. Quant aux sénateurs représentant les Français établis hors de France, ils sont concernés par un autre texte, en cours de discussion au sein du Parlement.

Le Sénat est élu au suffrage universel depuis la IIIème République. Il a été dès l'origine le « grand conseil des communes de France » comme le nommait Gambetta, avec un délégué par commune, quelque soit la taille de celle-ci, avant que la loi de 1884 ne fasse varier - de 2 à 30 - le nombre de délégués en fonction du nombre de conseillers municipaux. La IVème République a maintenu le principe du double mode de scrutin ainsi que la stabilité du collège électoral. Sous la Vème République, le seuil du scrutin proportionnel initialement fixé à 5 a été abaissé, en 2000, à 3 avant de remonter à 4 en 2004. Ce mode d'élection favorise la parité puisqu'il aboutit à l'élection de 38%  de femmes contre 17% pour le scrutin majoritaire.

Le texte ajoute ainsi 3 125 délégués supplémentaires pour les communes de plus de 30 000 habitants, augmentation très relative dans un collège total de plus de 151 000 délégués des conseils municipaux... Une telle réforme respecte la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2000, selon laquelle les électeurs sénatoriaux doivent essentiellement être titulaires d'un mandat local. Tel est l'objet de l'article 1er du projet de loi. L'article 2 prévoit l'abaissement à trois sièges du seuil d'application du scrutin proportionnel. Le nombre des sénateurs élus selon ce mode de scrutin passerait de 50 à 75%. Ce texte vise à mieux assurer l'égalité devant le suffrage en apportant des corrections somme toutes limitées.

Mme Laurence Cohen, rapporteure de la délégation au droit des femmes et à l'égalité des chances ente les hommes et les femmes. - Le Sénat est longtemps demeuré masculin : à la veille du renouvellement de 2001, on ne comptait encore que 20 sénatrices pour 321 sièges, à peine 6,5 %. Grâce aux obligations de parité prévues par la loi du 6 juin 2000, leur nombre a été multiplié par quatre puisqu'à la veille du renouvellement de 2011 on comptait 80 sénatrices, occupant 23,3 % des 343 sièges. Avec la même efficacité, cette loi a permis aux femmes de représenter 48% des membres des conseils régionaux, 48,5% des membres des conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants et 44,4% de notre représentation au Parlement européen. En 2001 et 2008, période au cours de laquelle le Sénat a été entièrement renouvelé, 61 sénatrices ont été élues au scrutin proportionnel contre seulement 10 au scrutin majoritaire.

Si les élections sénatoriales de 2011 ont confirmé le rôle déterminant du scrutin proportionnel dans la progression de la parité, le nombre de femmes au Sénat a enregistré un léger tassement, de 80 à 77. Un nouvel élan est donc nécessaire pour reprendre le chemin d'une parité effective. Le projet de loi peut-il y contribuer ?

Nous sommes favorables à l'abaissement à trois sièges du seuil du scrutin proportionnel : ceci devrait avoir un effet positif sur le nombre des sénatrices. Sa portée sera cependant très limitée si les têtes de listes continuent à être presque toujours des hommes et si des listes dissidentes sont formées pour contourner la parité. Dans les départements comportant trois sièges, ces deux facteurs pourraient même jouer un rôle déterminant. Comment renforcer les effets de cette timide réforme ? Fallait-il aller plus loin et recommander d'abaisser à deux sièges le seuil de la proportionnelle ? Avant de nous prononcer, nous demandons une étude sur l'impact de la mesure sur la parité et la diversité politique - car les responsables des partis politiques sont inquiets...

Avec la réforme, 93 sénateurs continueront d'être élus au scrutin majoritaire, y compris outre-mer. Nous ne devons pas nous résigner à ce que ceux-ci soient dispensés de toute obligation paritaire. Aussi notre recommandation n°4 suggère-t-elle que dans ce cas, le candidat et son remplaçant soient de sexes différents.

Notre recommandation n°5 porte sur le remplacement, à l'occasion d'une prochaine révision de la Constitution, du verbe « favorise » par « garantit » dans la fameuse formule relative à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.

Quant à la recommandation n°1, elle a une portée symbolique. Il s'agit, dans l'intitulé de ce texte dont l'objectif est de favoriser l'accès des femmes au mandat sénatorial, de réparer le regrettable oubli des sénatrices après les mots « l'élection des sénateurs ».

A propos de l'augmentation le nombre de délégués supplémentaires représentant les communes de plus de 30 000 habitants, l'étude d'impact indique - naïvement ! - que
« l'obligation de parité ne s'impose pas dans la désignation des délégués supplémentaires ». Il faut y remédier. Ce sera d'autant plus facile que nombre de délégués composant le collège sénatorial sont élus au scrutin de liste.

La composition paritaire de ce collège ne suffira évidemment pas à garantir l'élection d'un plus grand nombre de candidates, elle pourrait en revanche avoir un effet dissuasif sur le dépôt des listes dissidentes conçues pour contourner la parité. Le ministère de l'intérieur ne disposant pas, de façon étonnante, de données genrées sur la composition du collège sénatorial...

Mme Jacqueline Gourault. - Vous voulez dire sexuées ?

Mme Laurence Cohen. - Notre recommandation n°6 vise à ce que ces informations soient systématiquement collationnées à l'issue de chaque élection sénatoriale. Pour l'heure, faute de données précises, nous en sommes réduits aux conjectures.

Le nombre des délégués supplémentaires dans les communes de plus de 30 000 habitants devrait passer de 12 569 à 15 744. Il est anormal que leur élection ne prévoie aucune obligation de parité et la recommandation n°7 tend à y remédier.

Notre recommandation n°8 concerne les partis politiques, lesquels doivent veiller à une stricte parité dans la désignation des têtes de liste qui se réclament d'eux. Leur bonne volonté est très inégale. Rappelons-les à la responsabilité qui leur est confiée par l'article 4 de la Constitution.

Faut-il étendre aux élections sénatoriales les pénalités financières applicables aux élections législatives ? Refuser d'enregistrer des listes, comme aux élections régionales, si la parité des têtes de liste n'est pas respectée au plan national ? Il faudra en débattre à l'occasion de prochaines réformes et notamment celle, envisagée par la commission Jospin, de la modulation de l'aide financière aux partis politiques. Enfin, des avancées en matière de statut de l'élu devraient faciliter l'exercice de leur mandat par les femmes comme par les hommes.

Lorsque l'on travaille sur la parité, on travaille sur le partage des pouvoirs et comme le dit Réjane Sénac, politologue et chercheure au CNRS : « Questionner le pouvoir, c'est aussi questionner toutes les autres inégalités ».

M. Jean-Jacques Hyest. - On l'a vu lorsque le seuil du scrutin proportionnel a été abaissé à 3 en 2000, les résultats attendus ne se produisent pas forcément...

Certes, le scrutin proportionnel s'appliquait initialement à partir de 5 sièges -sauf en Ile-de-France - puis de 3, et à nouveau 4 quand nous étions aux affaires. Nous sommes pour notre part opposés à un seuil à 3 sièges.

Malgré les grandes ambitions de la commission Jospin, le Gouvernement a préféré jouer la prudence, en raison d'une décision très claire du Conseil constitutionnel sur la représentation démographique et celle des collectivités. Le présent texte aura un réel effet dans quelques départements comptant une grande métropole ; en Seine-et-Marne, il n'ajoutera que 8 délégués sur un total de 2 800.

Madame le rapporteur de la délégation, ne faudrait-il pas préférer le terme « sexué » à celui de « genré » ?

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Il faut savoir bousculer les choses.

M. Jean-Jacques Hyest. - Mais sans excès... Le scrutin proportionnel n'apporte pas toujours la parité. Lors du dernier renouvellement, seuls 39 sièges sur 112 sont ainsi revenus à des femmes. J'entends vos propos sur les têtes de listes mais tant que les élections s'inscriront dans un cadre départemental, il sera difficile de faire autrement.

Dans l'hypothèse d'un abaissement du seuil à deux sièges, il faudra 66% des voix pour remporter les deux. Dans cette configuration, on donne un siège à chacun des deux grands partis politiques. Pourquoi organiser encore des élections ?

Ramener le seuil à 3 s'accompagnera pendant une période transitoire d'une multiplication des listes dissidentes menées par des sénateurs sortants estimant ne pas avoir démérité. En fait, plus on abaisse le seuil, moins la parité est assurée. On a modifié le mode d'élection du conseil général, on s'apprête à modifier celui du Sénat, j'attends de voir l'introduction du scrutin proportionnel pour les élections législatives - et le nouveau découpage...

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas une modification du mode de scrutin qui fera l'adhésion à une politique.

Mme Jacqueline Gourault. - On l'a vu aux élections régionales.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je pense que la dernière phrase de M. Hyest peut mettre toute le monde d'accord...

M. Pierre-Yves Collombat. - On nous qualifie d'anomalie, on veut nous mettre en binôme avec le Conseil économique, social et environnemental, on tend maintenant à restreindre la part des ruraux... Car plus la parité est respectée, moins les territoires ruraux sont représentés. L'abaissement du seuil du scrutin proportionnel à 3 sièges me semble plutôt positif. Les évolutions démographiques sont toujours traduites avec retard dans le nombre de sièges attribués à chaque département. Dans l'ancien mode de scrutin, avec plus d'un million d'habitants, le Var ne disposait ainsi que de trois sénateurs. Quant aux effets politiques d'une telle modification, ils sont incalculables, en témoigne la dernière reforme qui devait défavoriser la gauche.

L'augmentation du nombre de délégués aurait pour effet d'amenuiser encore ce qui reste du poids politique des territoires ruraux. Alors que le Sénat est censé représenter les collectivités territoriales, les nouveaux délégués n'auront aucune idée du fonctionnement de celles-ci. Je concède toutefois qu'avec 3 000 délégués supplémentaires sur un total d'environ 155 000 cette modification ne changera pas grand-chose. Je ne suis pas encore décidé.

M. Alain Richard. - Quelques observations pour soutenir ce projet de loi. A ceux qui prétendent que l'abaissement du seuil favoriserait les listes des partis, je rappelle que dans la vraie vie, lorsque l'enjeu se concentre sur trois sièges, aucune liste ne peut se permettre de comporter des personnalités qui n'attireraient pas les suffrages des grands électeurs.

En revanche, l'allocation des sièges entre les départements n'est à l'évidence - le Conseil constitutionnel l'admet - pas conforme à leur poids démographique respectif. La Creuse et Paris sont surreprésentés ; malgré l'institution de députés des Français de l'étranger, nos compatriotes élisent toujours douze sénateurs, contre sept pour un département très peuplé.

Pour améliorer la représentativité démographique du collège électoral, il y a beaucoup de travail ! Une commune de moins de 3 500 habitants a 7 délégués, une commune de 3 501 habitants 15. Entre 3 500 et 9 000, elles en ont toutes le même nombre. Il est multiplié par deux dès que l'on franchit le plafond de 9 000 habitants. Comment faire, sinon réduire le nombre des électeurs ? Et avec quel effet politique ? Il y aura donc un consensus républicain pour ne toucher à rien.

Une question intéressante a été soulevée par la commission Jospin : près de 97% des grands électeurs sont aujourd'hui des représentants des communes. Or le Conseil constitutionnel a rappelé que le Sénat est le représentant de toutes les collectivités territoriales. Il faudrait que le département et la région soient, au regard de leur rôle dans la vie territoriale, mieux représentés.

Contrairement à M. Hyest, il me semble que la décision du Conseil constitutionnel de 2000 n'est pas tout à fait claire. Il s'est borné à censurer une augmentation du nombre de délégués non élus mais n'a pas indiqué si la part substantielle d'élus locaux qu'elle exige au sein du collège électoral s'apprécie au niveau du collège ou des représentants de chaque catégorie de collectivités territoriales. Une chose est certaine à mes yeux : il n'accepterait pas que cinq représentants sur six ne soient pas des élus.

M. Jean-Jacques Hyest. - Je parlais des communes !

M. Alain Richard. - Si l'on recherche une meilleure représentativité du collège, on est obligé de comparer la représentation non seulement des différentes communes mais aussi des différentes collectivités ! Il est dommage que le projet de loi n'aborde pas ce point.

M. Christian Favier. - Ces propositions ne changent que marginalement le mode de scrutin actuel. Pour notre part, nous sommes favorables au scrutin proportionnel dans les départements élisant trois sénateurs ou plus, afin de promouvoir l'objectif de parité et d'assurer une meilleure représentation de l'opposition.

Pourquoi se limiter à un délégué par tranche de 800 habitants ? Nous sommes favorables à un collège électoral plus élargi. Je sais que le Conseil constitutionnel s'est montré défavorable à l'idée d'un délégué supplémentaire pour chaque tranche de 300 habitants, mais entre 300 et 800, il y a une marge. Les modifications proposées créent 3 175 délégués supplémentaires. Peut-on en connaître la répartition par département ?

M. Jean-Jacques Hyest. - Bonne question !

M. Christian Favier. - Les petites communes auront un délégué pour 300 à 400 habitants, les grandes villes un pour 3 000 à 4 000. On peut difficilement prétendre que la représentation du monde rural est affaiblie. Nous sommes favorables aux recommandations de la délégation aux droits des femmes sur la parité.

M. Michel Mercier. - Je remercie le rapporteur pour la présentation la plus anodine qu'il nous a faite de ce texte ! Pourtant, une loi électorale n'est jamais innocente, et celle-ci pas plus que les autres.

Son article 1er prévoit l'élection d'un délégué supplémentaire par tranche de 800 habitants, et non plus 1 000, dans les communes de plus de 30 000 habitants. Il est impensable de voter cette disposition sans connaître les conséquences précises de la mesure. L'étude d'impact prévoit environ 3 000 délégués en plus, mais combien dans chaque département ?

Les délégués supplémentaires du Rhône passeraient de 600 à plus de 800, et représenteraient un quart du collège. Constitutionnellement, c'est contestable : en 2000, le Conseil constitutionnel a rappelé que le corps électoral devait être essentiellement composé de membres d'assemblées délibérantes des collectivités. Or désormais, les 800 délégués non élus locaux seraient en mesure d'élire deux sénateurs. Dans ces conditions, il faut arrêter de dire que les sénateurs représentent les collectivités territoriales ! Ils représenteront les cousins, les maîtresses, les copains des élus municipaux ...

M. Alain Richard. - Répartis entre les différentes familles politiques...

M. Gaëtan Gorce. - Nous avons entamé ce débat avec sérénité. Une loi électorale est en principe destinée à conforter la majorité en place, à en croire M. Hyest. Les majorités passées auraient toujours procédé ainsi. Ce texte ne serait donc qu'un échange de bons procédés. Mais je rappelle que nous agissons sous le contrôle de nos concitoyens : nous devons à ce titre répondre à leurs préoccupations.

L'élection sénatoriale présente d'abord un problème de lisibilité : elle échappe aux citoyens, qui ne se sentent guère concernés. Or le Sénat a presque les mêmes pouvoirs que l'Assemblée nationale, et représente les collectivités territoriales. Deuxième problème : le Conseil constitutionnel estime que le corps électoral doit être composé le plus possible d'élus locaux. Enfin, sa représentativité, qu'elle soit appréciée sous l'angle de la parité, des territoires ou sous l'angle politique, est souvent remise en cause. Concilier ces trois objectifs n'est pas chose aisée, mais c'est la démarche qui doit nous guider.

Les amendements que j'ai déposés défendent trois idées simples. D'abord, élire les électeurs sénatoriaux à l'occasion des élections municipales. Ils éliraient immédiatement ensuite les sénateurs pour un mandat de six ans. Les choses seraient ainsi rendues plus simples et plus claires et nos concitoyens seraient davantage associés à la désignation.

Deuxième idée : améliorer la représentativité du collège. Un délégué par tranche de 500 habitants me semblait plus indiqué pour représenter plus largement la population. Le Conseil constitutionnel a certes estimé qu'une telle mesure bouleverserait l'équilibre du collège. Mon amendement l'évoque donc pour la forme. La proposition d'Alain Richard, consistant à abaisser le nombre de délégués, est cohérente mais irait à l'encontre du souhait démocratique d'élargir la composition du collège.

Enfin, pour garantir la parité et une plus grande représentativité politique, les délégués des communes de plus de 1 000 habitants seraient élus au scrutin proportionnel intégral. Le cadre départemental n'est pas forcément le plus indiqué pour élire les sénateurs.

Une telle réforme serait plus compréhensible pour l'opinion, plus proche des préoccupations démocratiques, plus conforme à l'esprit que nous souhaiterions donner à nos institutions, dans une période de crise où nos concitoyens scrutent légitimement nos décisions.

M. Philippe Bas. - Je vois des intentions politiques derrière tout texte modifiant un mode de scrutin. Ce ne sont pas les modalités de celui-ci qui m'inquiètent, mais les questions de principe qu'il soulève. Avec le scrutin proportionnel dans les départements élisant trois sénateurs ou plus, 75% des voix plus une seront nécessaire pour remporter les trois sièges. Je n'aime pas les systèmes qui ont pour effet de disperser la représentation des différentes familles politiques.

La parité n'est pas un objectif constitutionnel. Depuis les révisions constitutionnelles de 1999 et de 2008, la Constitution dispose que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Le mot parité n'y figure pas, car ce serait une limitation apportée au principe de liberté du suffrage. Aujourd'hui, on tend à instaurer une égalité mathématique des Françaises et des Français dans les mandats publics. Faire progresser la mixité est un bon objectif. Faire progresser la parité partout, l'imposer scrutin par scrutin est en revanche contraire aux intentions du pouvoir constituant et témoigne d'un esprit un peu systématique.

Mme Esther Benbassa. - Bien sûr, cela ne presse pas, prenons tout notre temps...

M. Philippe Bas. - Les modifications apportées au collège électoral ne sont pas bien méchantes, mais j'ai été sensible aux arguments de Michel Mercier : l'étude d'impact ne donne que la moyenne nationale. Or la moyenne ne fait pas tout ! Au-delà d'un certain niveau, le nombre de grands électeurs non élus pose un problème constitutionnel. Le Conseil constitutionnel admet certes que l'on tienne compte du nombre d'habitants, mais jusqu'en 2000, tous les grands électeurs étaient des élus. Ce texte prolonge une tendance dangereuse qui gomme les spécificités du Sénat, sapant ainsi sa raison d'être. De plus, le jour où la composition du Sénat sera alignée sur celle de l'Assemblée nationale, nos territoires ruraux, déjà en souffrance, ne seront plus représentés, eux qui comptent pour 78% de nos territoires et 22% de la population.

Mme Virginie Klès. - Je partage l'avis de MM. Hyest et Richard : les conséquences des modifications des lois électorales sont largement imprévisibles.

Le système actuel compte une aberration, sans doute fruit de l'histoire : la catégorie des communes de 9 000 à 10 000 habitants qui n'existe que pour la désignation des grands électeurs. Je proposerai des amendements pour corriger ce point. L'exposé des motifs montre d'ailleurs cette aberration, en évoquant les communes de plus de 9 000 habitants, tandis que l'étude d'impact mentionne celles de moins de 10 000 habitants.

M. Jean-René Lecerf. - Cette réforme est une réformette. La proposition de loi déposée par Jean-Pierre Bel il y a quelques années réorganisait de façon bien plus pertinente le collège électoral, en proposant une meilleure représentation des départements et des régions. Mais si l'on reporte les élections départementales et régionales à 2015 et que l'on fige le collège électoral, il est difficile de se préoccuper de cet aspect avant 2014. Nous serons amenés à légiférer à nouveau très bientôt sur la modification du collège sénatorial.

Je n'aime pas l'expression de « liste dissidente » : elle laisse entendre qu'il y aurait de bonnes listes, estampillées par les partis politiques, et de mauvaises listes. J'ai moi-même mené une liste dissidente lors des dernières élections : elle respectait la parité, tandis que la liste officielle de mon parti, non...

Un mot sur le principe d'égalité : d'une part, j'ai du mal à expliquer aux habitants du Nord pourquoi ils ont moins de sénateurs que les Parisiens, bien moins nombreux. D'autre part, on voit des communes de 19 001 habitants, fusionnées sur le fondement de la loi Marcellin de 1971, avoir comme grands électeurs la totalité de leur conseil municipal, et donner 20 électeurs supplémentaires à la nouvelle commune. Il faudrait rectifier cela.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Les bonnes listes sont celles élues par les électeurs...

Mme Cécile Cukierman. - Ce ne sont pas les modes de scrutin qui font et défont les majorités : ce sont les politiques menées. Les élections municipales n'ayant pas eu lieu, il est difficile, au vu du poids des délégués des conseils municipaux au sein du collège électoral, de faire la moindre projection d'après les modifications qu'apporte le texte. Ce texte ne défend aucune majorité sénatoriale, il renforce la démocratie et la parité, comme l'a dit Mme Cohen.

Les femmes ne sont pas une composante de la société : elles sont la société. La proposition de la délégation de modifier la rédaction de la Constitution sur la question de la parité est fondamentale : ce n'est pas un changement de mot, mais un changement d'optique, qui devrait nous éviter de rouvrir le débat lors des prochaines échéances électorales. La présence des femmes dans les assemblées doit également être encouragée par le statut de l'élu et l'organisation de nos travaux. En la matière, il reste beaucoup à faire.

Mme Esther Benbassa. - J'approuve les propos de Mme Cohen, et pas seulement parce que nous sommes du même département. La parité est un mot presque suranné, et il est curieux qu'il fasse encore l'objet de débats. Les femmes existent : élisons-les ! Il faut faire preuve de davantage de pédagogie, monter des ateliers, encourager les femmes à se présenter, car beaucoup d'entre elles sont, en politique, encore trop craintives. De plus, beaucoup n'ont pas les moyens d'assurer une campagne : la prise en charge de leurs comptes de campagne est une idée opportune.

Les personnes issues de la diversité ne sont pas non plus suffisamment représentées dans nos assemblées. Il ne s'agit pas d'instaurer des quotas, mais d'assurer une juste représentation à des personnes qui sont françaises depuis deux ou trois générations.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - J'entends souvent ici que le Sénat représente les collectivités territoriales, j'entends aussi de vibrants plaidoyers sur le rôle irremplaçable du département et celui, éminent, de la région.

M. Jean-Jacques Hyest. - Et demain, des métropoles !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je regrette donc que l'on n'ait pas saisi cette occasion pour rééquilibrer la composition du corps électoral en faveur de ces derniers : délégués des départements et des régions ne comptent en effet que pour 4% du collège. Cela me semble anormal. La commission Jospin avait fait la proposition d'instaurer un vote plural...

M. Pierre-Yves Collombat. - Voilà une idée extraordinaire, presque géniale !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - ... mais cela n'est pas dans nos traditions.

M. Jacques Mézard. - L'exposé des motifs ne fournit qu'une seule raison de modifier le mode de scrutin : la parité. Je rejoins ici les arguments constitutionnels de Philippe Bas. Si l'on veut poursuivre cet objectif à tout propos, autant changer la Constitution. La parité n'est toutefois qu'un prétexte, car on sait bien ce qui motive une assemblée politique. Cela étant, je m'attendais à bien pire.

M. Jean-Jacques Hyest. - Moi aussi.

M. Jacques Mézard. - Je suis opposé à la fabrication de délégués hors-sol par les départements et les régions. La recommandation n° 3 de la délégation aux droits des femmes évoque la nécessité d'une « étude d'impact circonstanciée sur les conséquences qu'aurait l'extension du scrutin proportionnel aux départements comportant deux sièges » : si vous voulez que le Sénat soit la copie de l'Assemblée nationale, mieux vaut supprimer le bicamérisme ! M. Jospin n'a-t-il pas dit que le Sénat était une « anomalie » ? Certaines propositions de la commission qu'il a présidée ne confortent guère notre assemblée, en effet.

M. Gaëtan Gorce. - Les radicaux y ont-ils toujours été favorables ?

M. Jacques Mézard. - Monsieur Gorce, si l'on s'engage sur l'histoire du parti socialiste, vous n'allez pas être déçu du voyage ! Permettez-moi de souligner toutefois que certaines de vos récentes observations sur votre parti sont frappées au coin du bon sens. Quant à M. Copé, je l'ai entendu proposer que l'on fusionne le Sénat avec le Conseil économique, social et environnemental. Notre assemblée pose des problèmes à d'éminents représentants de partis, toutes tendances confondues.

J'en reviens à la recommandation n° 3 : le jour où la proportionnelle sera instaurée pour deux sénateurs, ce ne sera plus la peine de convoquer les grands électeurs puisque les sièges iront l'un au candidat UMP, l'autre au candidat du PS. Ces deux partis n'auront qu'à se mettre d'accord sur lequel enverra une femme siéger. Le débat n'est certes pas fini, mais ce texte ne propose qu'un colmatage.

Le véritable enjeu, c'est la représentation de tous nos territoires. Beaucoup ici ignorent le sentiment d'abandon qui existe dans nos territoires ruraux. Considérer que les délégués régionaux, qui ne connaissent pas nos départements et que les habitants ne connaissent pas non plus, vont choisir nos sénateurs, c'est une drôle de conception de la démocratie.

D'aucuns défendent une représentation communautariste. Tant que mon parti aura ici des représentants, nous nous y opposerons farouchement, au nom des valeurs républicaines. Nous verrons comment ce texte évolue en séance publique, mais en l'état, nous ne pouvons y être favorables, et nous craignons que les amendements déposés ne le rendent plus détestable encore.

Mme Jacqueline Gourault. - Philippe Bas craint que le scrutin proportionnel à trois ne « disperse » les familles politiques. Le terme m'amuse. Je n'ai pas d'avis définitif sur la proportionnelle à trois ou à quatre, mais je suis généralement favorable aux scrutins qui donnent une certaine liberté politique, et qui ne font pas dépendre l'élection d'un sénateur des seuls UMP et PS. Le pluralisme nous tient tous à coeur. Notre ancien collègue, Alain Vasselle, y serait particulièrement attentif s'il faisait encore partie de notre assemblée.

Notre groupe a décidé de déposer un amendement qui va dans le même sens que la recommandation n° 4 de la délégation aux droits des femmes : faire en sorte que le remplaçant d'un candidat à une élection au scrutin majoritaire uninominal à deux tours soit de sexe différent. C'est déjà le cas pour les élections cantonales. Dans mon département, j'avais d'ailleurs eu l'idée de prendre une suppléante, ce que je n'ai finalement pas fait : cela aurait été trop choquant pour les hommes - notez qu'en sens inverse, ces derniers ne se posent jamais la question.

Il faut éviter de tomber dans un système électoral qui ressemblerait par trop à celui de l'Assemblée nationale, car le bicamérisme ne trouverait plus aucune justification. Représenter davantage les conseils généraux et les conseils régionaux, pourquoi pas ? Mais cela impose de limiter le cumul des mandats pour ne pas favoriser des exécutifs locaux qui auraient un électorat déjà acquis. Sinon, autant prévoir que les présidents de conseils généraux et régionaux sont tous sénateurs. On y repensera donc en 2017 si le non-cumul des mandats est instauré.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - J'ai bien compris que M. Hyest était favorable au scrutin proportionnel à quatre plutôt qu'à trois, et qu'il considérait que le Gouvernement la mettait en place pour favoriser son camp. J'en déduis que le camp de M. Hyest se considère favorisé avec le scrutin proportionnel à quatre. En matière de mode de scrutin, on ne sait jamais ce qui va arriver. Il y a à gauche une tradition favorable au scrutin proportionnel à trois, instauré sous le gouvernement de Lionel Jospin. Nous la remettons en place car nous sommes attachés à la parité et à la représentation de l'opposition au sein du département. J'inverserai l'affirmation de M. Bas : n'est-il pas choquant que 49% des électeurs ne soient pas représentés ? Lorsque le scrutin proportionnel a été instauré dans la Marne, trois sénateurs de la même famille politique ont été élus ; cela reste une exception. Le scrutin proportionnel introduit en principe davantage de diversité et c'est une bonne chose.

M. Collombat défend le monde rural. L'étude d'impact montre que malgré la réforme, il continuera à être largement représenté en termes de grands électeurs. Pour les petites communes, un grand électeur représentera 200 habitants, tandis que dans les grandes villes ce ratio sera abaissé de 1 pour 900 à 1 pour 750.

M. Pierre-Yves Collombat. - Les sénateurs représentent des collectivités territoriales, pas des grands électeurs !

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - J'entends bien. Mais il faut équilibrer les deux logiques. Sinon, revenons-en à 1875 avec un délégué par commune ! L'UMP y serait sûrement favorable...

M. Michel Mercier. - C'est ainsi que Jules Ferry s'est fait élire !

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - M. Richard s'interroge sur le nombre de sénateurs par département. Il y a en effet des incohérences, par exemple entre Paris et le Nord, ou entre le Cantal et l'Ariège. Mais il faut une loi organique pour modifier cela, qui pourra être déposée ultérieurement.

Il existe en outre des effets de seuil. Il est vrai que la tranche de 9 000 à 10 000 habitants constitue une incohérence. Le seuil de 9 000 existe depuis 1958, et celui de 10 000 semble antérieur à 1977, quoique nous n'en ayons pas encore trouvé l'origine.

La commission Jospin avait proposé un vote pondéré par la démographie des départements et des régions. Le gouvernement ne l'a pas suivi afin d'éviter tout risque de censure par le Conseil constitutionnel. La crainte de M. Richard n'est toutefois pas fondée. Le Conseil constitutionnel considère qu'il faut une part substantielle de grands électeurs élus au niveau national, voire majoritaire dans chaque département, ce qui est le cas aujourd'hui. Il considère le collège électoral comme un tout.

M. Alain Richard. - Nous n'en savons rien !

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - On peut l'entendre comme cela.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - C'est l'interprétation que fait notre rapporteur de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - Le Conseil constitutionnel pourrait certes préciser ultérieurement si les grands électeurs élus doivent être majoritaires au niveau de chaque département. Notez qu'en 2000, le Conseil constitutionnel a validé le mode de scrutin en vigueur, or 30% des grands électeurs des Hauts-de-Seine et 33% de ceux des Bouches-du-Rhône n'étaient pas élus.

M. Alain Richard. - Et 90% à Paris !

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - C'est l'exception. Monsieur Mercier, ne soyez donc pas inquiet que 25% des grands électeurs d'un même département ne soient pas élus. Je connais moins bien le Rhône que vous, mais à votre place, je serais davantage soucieux des conséquences de la mise en place de la métropole sur le collège électoral des sénateurs.

M. Michel Mercier. - On s'arrangera, ne vous inquiétez pas !

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - M. Gorce propose une modification très lourde. Peut-être faudrait-il inclure ses idées de réforme de nos institutions dans une réflexion plus large sur l'instauration d'une VIème République.

M. Gaëtan Gorce. - Cette interprétation est celle du rapporteur...

M. Philippe Kaltenbach. - La loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires telle que votée par l'Assemblée nationale appelle des coordinations en matière de communes déléguées ou associées. Le gouvernement serait inspiré de les proposer dans le cadre de l'examen de ce projet de loi.

Sur la parité, tout a été dit, bien qu'il faille sans doute aller plus loin encore pour la défendre.

La modification du nombre de grands électeurs dans les communes de 5 000 à 10 000 habitants, ou dans celles de plus de 30 000 habitants, peut encore faire l'objet de débats. Sur ces questions éminemment politiques, les avis divergent. Ce texte mérite en tout cas d'être soutenu et voté par notre assemblée.

Mme Laurence Cohen, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. - Cette discussion témoigne des résistances qui demeurent. Une révision de la Constitution s'impose pour non plus favoriser la parité, mais pour la garantir. Il nous faut inscrire au plus haut niveau ce principe d'égalité. M. Bas nous encourageait à la patience : voilà des siècles que les femmes en font preuve ! Il est temps de passer à la vitesse supérieure. S'il ne faut pas instrumentaliser la parité, nous ne devons pas non plus nous cacher derrière de faux prétextes : partager les pouvoirs entre les femmes et les hommes, voilà la démocratie.

Je suis d'accord avec Mme Gourault sur les remplaçants. Entre 2008 et 2011, cinq de nos collègues élus au scrutin majoritaire ont cédé leur siège à leurs remplaçants .... quatre hommes et une femme. Dans un contexte comparable, la règle que nous proposons ferait entrer au Sénat quatre femmes et un homme. Les têtes de listes sont majoritairement masculines. Et l'on a vu fleurir des listes dissidentes uniquement destinées à faire élire des hommes. Il n'est pas normal de contourner ainsi l'esprit de la loi : le scrutin proportionnel, qui favorise la parité et le pluralisme, rendra ces pratiques plus difficiles à mettre en oeuvre. Jusqu'où est-on prêt à la faire avancer ?

La délégation approuve cette proposition tout en la trouvant, comme tous les orateurs, timide.

M. Jean-Jacques Hyest. - Pas tous les orateurs !

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article additionnel avant l'article 1er

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - J'ai entendu l'ensemble des présidents de groupe du Sénat. Si les clivages sont forts au sujet du mode de scrutin, un consensus est probable concernant les deux premiers amendements que je vous propose. L'amendement n° 1 aligne le régime du vote par procuration des délégués des conseils municipaux sur celui des conseillers généraux, régionaux et des députés. En cas de force majeure, ceux-ci établissent une procuration, tandis que ceux-là font appel à une liste de suppléants. Ce système a donné lieu à des difficultés, notamment en Lozère où l'élection du sénateur a été annulée en 2011. Pour simplifier la situation et éviter ce genre d'incident, avec cet amendement technique, les délégués des conseils municipaux pourront donner procuration à un membre du collège électoral, en cas d'empêchement majeur.

M. Jean-Jacques Hyest. - La seule élection obligatoire en France est l'élection sénatoriale. Ce moment solennel ne survient que tous les six ans. Si je comprends la difficulté que vous évoquez, j'ai peine à me résoudre à une mesure qui nuirait à l'engagement citoyen qui fait partie du mandat.

L'amendement n° 1 n'est pas adopté.

L'amendement n° 2 est retiré.

M. Gaëtan Gorce. - Mes amendements ont été défendus par mon intervention générale sur mes propositions.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - Je suggère le retrait de l'amendement n° 4 : compte-tenu de ses conséquences, il mériterait des débats plus approfondis.

L'amendement n° 4 n'est pas adopté.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - A un délégué pour 800 électeurs, nous sommes dans l'épure, et sans doute respectons-nous encore la jurisprudence du Conseil constitutionnel à un délégué pour 700. En descendant à 1 pour 500, certains départements urbains auraient plus de délégués, sans doute non élus, que d'élus locaux. Dans les Bouches-du-Rhône, la réforme va déjà faire passer à 37 % le nombre de grands électeurs non élus locaux. En fixant la tranche à 500 habitants, ils représenteraient certainement plus de la moitié du collège électoral dans ce département comme dans celui des Hauts-de-Seine. Avis défavorable.

M. Alain Richard. - Dans les petites communes, le nombre d'habitants représenté par les grands électeurs est de 500. L'amendement aurait cet effet inattendu que les villes, qui désignent des délégués supplémentaires en plus des conseillers municipaux seraient plus représentées que les communes rurales...

M. Gaëtan Gorce. - Je représenterai cet amendement en séance en supprimant la tranche de 500 habitants mais en maintenant le mode de désignation proposé.

L'amendement n° 5 n'est pas adopté.

Article 1er

L'amendement n° 6 est retiré.

Article 2

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - L'amendement de suppression n° 7 revient sur la modification du mode de scrutin. Avis défavorable.

L'amendement n° 7 n'est pas adopté.

Article 3

L'amendement n° 8 n'est pas adopté.

Article additionnel après l'article 3

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. - L'amendement n° 3 met fin à une anomalie dans les départements où l'élection a lieu au scrutin majoritaire : une personne non candidate au premier tour peut l'être au second. Je n'ai pas pu trouver d'exemple récent... De surcroît, à partir de 2014, un compte de campagne sera obligatoire, ce qui peut être délicat à appliquer à un candidat déclaré entre les deux tours.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Un archaïsme, sans nul doute.

M. Hugues Portelli. - Une tradition républicaine ?

L'amendement n° 3 est adopté.

Le projet de loi tel qu'il résulte des travaux de la commission n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - En conséquence, le débat en séance portera sur le texte du gouvernement, archaïsme inclus.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article(s) additionnel(s) avant Article 1er

M. KALTENBACH, rapporteur

1

Extension du vote par procuration aux délégués des conseils municipaux

Rejeté

M. KALTENBACH, rapporteur

2

Suppression de la désignation de délégués supplémentaires suppléants des conseils municipaux

Retiré

M. GORCE

4

Election directe des délégués des conseils municipaux

Rejeté

M. GORCE

5

Nombre et mode de désignation des délégués des conseils municipaux

Rejeté

Article 1er
Abaissement de 1 000 à 800 du nombre d'habitants ouvrant droit à l'élection d'un délégué supplémentaire dans les communes de plus de 30 000 habitants

M. GORCE

6

Nombre de délégués supplémentaires des conseils municipaux

Retiré

Article 2

Application du scrutin majoritaire uninominal à deux tours pour l'élection des sénateurs

M. ZOCCHETTO

7

Suppression

Rejeté

Article 3

Application du scrutin de liste à la représentation proportionnelle à un tour pour l'élection des sénateurs

M. ZOCCHETTO

8

Suppression

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après Article 3

M. KALTENBACH, rapporteur

3

Conditions de dépôt d'une déclaration de candidature au second tour

Adopté

Régime des sections de commune - Examen du rapport et du texte de la commission en deuxième lecture

La commission examine enfin le rapport de M. Pierre-Yves Collombat et le texte proposé par la commission pour la proposition de loi n° 386 (2012-2013), présentée par M. Alain Bertrand et plusieurs de ses collègues, tendant à assurer une représentation juste et équilibrée des territoires au sein des conseils régionaux.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le groupe des radicaux de gauche a pris l'excellente initiative d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, dans son espace réservé, un texte adopté au Sénat à l'initiative de votre groupe. Cette méthode est suffisamment rare pour être soulignée.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Le texte, adopté à l'unanimité par le Sénat en première lecture, nous revient de l'Assemblée nationale avec quelques modifications de forme et des améliorations relatives à la sortie de l'indivision en cas de biens affectés à plusieurs sections de communes, aux sections de communes de l'Alsace-Moselle et celles situées outre-mer. L'esprit général et la cohérence du texte issu de notre commission sont préservés ainsi que les innovations que nous avions apportées. Notre objectif était de perpétuer la longue et vivante tradition des sections de communes, aussi étonnante qu'elle paraisse aux juristes car il n'y a aucune raison d'empêcher ces structures de vivre dès lors qu'elles fonctionnent bien et qu'elles donnent satisfaction. Non, le but n'est pas de les supprimer, mais au contraire, de conserver celles qui sont encore vivantes.

Le maquis de dispositions régissant leur fonctionnement et leurs relations avec les communes est clarifié. Nous rappelons qu'une section de commune est une personne morale de droit public : les biens dont elle dispose ne sont pas la propriété privée et indivise de ses membres mais appartiennent à la section. De nombreuses difficultés viennent pourtant de ce que les biens de la section de commune sont pensés comme une indivision de droit privé alors qu'ils sont des propriétés publiques. Ces biens sont donc transférables à une autre personne de droit public, la commune, sans autre indemnisation pour les ayants-droit que celle du droit de jouissance perdu.

Le texte définit les membres de la section, les habitants ayant leur domicile réel et fixe sur la commune ; il définit les conditions dans lesquelles les commissions syndicales peuvent être constituées, les modalités de transfert de la propriété de la section à la commune, selon qu'il existe ou non une commission syndicale, cette décision revenant au préfet pour satisfaire un objectif d'intérêt général. La décision du préfet peut d'ailleurs être soumise au tribunal administratif.

L'Assemblée nationale a amélioré le texte sans en modifier la logique. Ce travail est le produit d'une concertation suivie avec le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, que je tiens à remercier pour ce travail de dialogue. Les conditions d'un votre conforme me semblent réunies.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Interdiction du cumul de l'indemnité de fonction des parlementaires avec d'autres indemnités liées au mandat - Examen du rapport et du texte de la commission

Puis la commission examine, en deuxième lecture, le rapport de M. Pierre-Yves Collombat et le texte proposé par la commission pour la proposition de loi organique n° 381 (2012-2013), présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, tendant à prohiber le cumul, par les parlementaires, de leurs indemnités de fonction avec toute autre indemnité liée à un mandat.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Dans nos démocraties modernes, le pouvoir politique étant le seul à limiter celui de l'argent devenu aussi pouvoir d'information, il est inévitable de voir ses modes de fonctionnement et ses acteurs périodiquement contestés. Tout y passe, du vrai, du faux et surtout un mélange de vrai et de faux, ce qui est le pire. Comme la démocratie est un exercice de contrôle et de débat, cette contestation est parfaitement légitime, à condition de reposer sur des faits avérés et de s'inscrire dans des problématiques claires.

Ainsi, en ces temps troublés, est-il apparu nécessaire à l'auteur de la proposition de loi organique de bien distinguer deux débats trop facilement confondus : d'une part, le débat sur la légitimité du cumul d'une fonction parlementaire et d'une fonction d'élu local, question particulièrement importante pour le Sénat qui, constitutionnellement, « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » et, d'autre part, le débat sur la légitimité du cumul des indemnités qui garantissent l'exercice de ces fonctions dans des conditions satisfaisantes.

Le texte propose d'interdire le cumul, par les parlementaires, de leur indemnité de fonction avec toute autre indemnité liée à un mandat local. Cette proposition est parfaitement fondée si l'on veut bien se rappeler le sens de l'attribution d'une indemnité de représentation aux parlementaires, disposition dont la légitimité a pris beaucoup de temps à s'installer dans les consciences. Le but était double : démocratiser au maximum la fonction de représentation, assurer l'indépendance intellectuelle et morale du parlementaire, ce que rappelle l'article 27 de la Constitution : « Tout mandat impératif est nul ». Il s'est agi d'ouvrir la fonction parlementaire à d'autres qu'aux rentiers et aux mandataires d'intérêts particuliers, et d'assurer un niveau d'indemnisation garantissant une activité à temps complet au service de l'intérêt général et protégeant, autant que possible, des tentations.

Historiquement, l'indemnité parlementaire, instituée par un décret de la Constituante du 1er septembre 1789, intervient dès lors qu'est instituée une assemblée parlementaire permanente. Dès l'origine, les députés étaient gênés de pouvoir apparaître comme des prébendiers, au point que le décret ne fut pas transcrit dans le Bulletin des lois de la Constituante et qu'il faudra attendre 1795 pour que le niveau modeste de l'indemnité soit revalorisé par la Convention. Le rapport ambigu de la démocratie à l'argent ne date pas d'aujourd'hui... Avec le rétablissement du suffrage censitaire, la Restauration pose en 1817 le principe de la gratuité des fonctions électives, principe qui ne demeure encore aujourd'hui que pour les fonctions municipales - à quand, d'ailleurs, un statut de l'élu local ?

Enfin, à l'avènement de la IIe République, l'indemnité de fonction est rétablie, elle sera régulièrement améliorée et souvent cumulée avec d'autres, liées à l'exercice de mandats locaux revalorisés et multipliés par le foisonnement d'organismes dépendant plus ou moins directement des collectivités locales : établissements publics locaux, sociétés d'économie mixte (SEM) locales et récemment sociétés publiques locales (SPL), avec des indemnités qui peuvent être conséquentes selon la taille de la collectivité : celle d'un président d'une communauté d'agglomération de 100 000 habitants est de l'ordre de 5 500 euros, l'indemnité parlementaire se situant, elle, à 7 100 euros.

Dès lors, il est apparu nécessaire de limiter ce cumul des indemnités liées aux mandats parlementaire et locaux. Deux leviers ont été utilisés : l'écrêtement des indemnités et la limitation du cumul des mandats, qui devrait procéder d'une autre logique.

L'ordonnance de 1958 limite les possibilités de cumul de l'indemnité parlementaire avec celle de maire ou d'adjoint, de conseiller municipal de Paris et de conseiller général de la Seine à une fois et demi l'indemnité parlementaire. La part écrêtée peut être « déléguée par l'intéressé à celui ou à ceux qui le suppléent dans les fonctions de magistrat municipal ».

La loi du 25 février 1992 étend le plafonnement à l'ensemble des élus nationaux, municipaux, généraux et régionaux ainsi qu'aux membres du gouvernement titulaires de mandats électoraux, avec une distorsion évidente en faveur des membres du Gouvernement dont l'indemnité de base - alors leur base de référence du plafonnement - est entre 1,5 et 2 fois supérieure à celle des parlementaires, comme le remarquera notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de la loi du 14 avril 2011 relative à la transparence financière de la vie politique, qui les soumet au droit commun des parlementaires et des élus locaux.

La loi concernant les élections départementales, municipales et communautaires, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 17 avril 2013, supprime la faculté laissée à l'élu écrêté de désigner la personne bénéficiaire de l'indemnité, pour éviter d'éventuelles dérives. La part écrêtée retombe dans la caisse de la collectivité qui reste libre de l'attribuer selon les modalités ordinaires. Actuellement, députés et sénateurs ne peuvent percevoir qu'un montant indemnitaire total maximum de 8 272 euros dont 2 757 euros au titre de l'ensemble de leurs mandats locaux.

Concurremment à ces dispositions, un autre mécanisme a été utilisé pour parvenir au même but : la limitation du cumul des mandats, organisée par la loi organique du 30 décembre 1985, qui limite le cumul du mandat de député ou de sénateur avec un seul autre mandat selon une liste limitative et resserrée par la loi du 5 avril 2000 et, aujourd'hui, par coordination avec l'abaissement à 1 000 habitants du seuil d'application du scrutin municipal proportionnel. Le mandat parlementaire est incompatible avec l'exercice de plus d'un des mandats de conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants - et bientôt de 1 000. Les fonctions de président d'intercommunalité n'entrent pas en ligne de compte, ni évidemment celles liées aux divers satellites des collectivités.

Cet ensemble de dispositions n'a pas la cohérence de celles du dispositif mis en place pour limiter le revenu qu'un élu peut retirer de l'exercice de ses mandats. Quel rapport, en effet, entre la charge représentée par la gestion de la région Ile de France, d'une commune de 500 000 habitants, d'une communauté urbaine qui en fait le double et d'une commune de 950 habitants, même si la petite commune ne dispose pas des moyens humains des grandes collectivités ?

On voit bien l'intérêt de distinguer clairement le montant de l'indemnité assurant l'indépendance du parlementaire, condition fondatrice de son mandat, du type et du nombre de fonctions qu'il est susceptible d'assumer, voire que la collectivité gagnerait à ce qu'il assume, ce qui est l'objet de la proposition de loi organique de notre collègue Jacques Mézard.

Pour parler comme Descartes, il s'agit d'avoir une idée claire et distincte. Eliminer le soupçon que l'élu vise à s'enrichir sur le dos de la collectivité en cumulant les mandats constitue un premier pas avant de poser, le moment venu, les seules questions qui importent en matière de cumul des mandats : niveau de la charge, compatibilité des fonctions, effets sur l'équilibre des pouvoirs en général et au sein du Parlement en particulier.

Cette proposition de loi organique n'est pas une mortification pour conjurer les maux qui affligent le pays, mais une opération de clarification posant le seul problème qui devrait nous importer : comment rendre au Parlement son pouvoir, et au pays, le dynamisme que seule confère la division des pouvoirs ?

Compte tenu de l'actualité, je vous propose deux amendements : l'un pour intégrer les sociétés publiques locales dans les indemnités et rémunérations prises en compte au titre du plafonnement, l'autre pour que la proposition de loi entre en vigueur à compter de chacun des prochains renouvellements de l'Assemblée nationale et du Sénat, respectivement prévus en 2017 et 2014.

M. Yves Détraigne. - Le réflexe est intéressant : il coupe court au soupçon selon lequel les élus rechercheraient à tout prix à cumuler afin d'additionner les indemnités. Cependant, le conseil des ministres examine un projet pour la transparence de la vie publique. Une loi anti-cumul se profile à l'horizon. Les initiatives se multiplient, qui seront l'occasion de mettre à plat toutes les questions sur le statut et les moyens parlementaires. Comme cela appelle une démarche globale, je m'abstiendrai.

M. René Vandierendonck. - La presse parle d'une opération mains propres qui ne dit pas son nom. Pour que le Sénat soit authentiquement le représentant des collectivités territoriales, il n'y a pas 36 méthodes : ses élus doivent avoir de l'expérience. Tout à fait favorable au non-cumul des fonctions exécutives, j'estime qu'une responsabilité exécutive autre que la présidence d'une collectivité territoriale et exercée gratuitement suffit à conserver ce lien. Puisque seule l'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) est imposée, la fiscalisation partielle des indemnités parlementaires, ne contribue-t-elle pas à entretenir une ambigüité sur le rapport des élus à l'argent ? Pourquoi ne pas fiscaliser l'ensemble des indemnités, quitte à exonérer, comme pour les journalistes, une partie des frais professionnels ?

M. Jean-René Lecerf. - Tant que nous y sommes, pourquoi ne pas poser la question des indemnités supplémentaires du président du Sénat, des vice-présidents, des présidents de commission, qui n'entrent pas en compte dans les systèmes d'écrêtement ? Qu'en est-il de la participation à certains organismes, comme la CNIL, de la mise à disposition de véhicules avec chauffeur, ou encore des retraites ? N'est-il pas choquant que le vieux conseiller général que je suis ait pu cotiser à un système de retraite désormais interdit, et puisse maintenant cotiser à une retraite complémentaire ? Aucun des ministres qui ont fait leur déclaration ne semble avoir adhéré à un tel régime. Considérant les déclarations de patrimoine des uns et des autres, je crains que ce texte ne pose un problème aux départements qui devront servir le RSA à un nombre considérable d'élus... Je voterai contre.

Mme Virginie Klès. - Dans l'opération lavons plus blanc que blanc, il me semble qu'on ne devrait pas percevoir des jetons de présence quand on représente l'institution dans laquelle on a été élu.

Mme Cécile Cukierman. - Le débat populaire a lieu. Soyons fermes et évitons la naïveté. Empêcher l'enrichissement par le cumul d'indemnités va dans le bon sens dès lors que l'indépendance du parlementaire est garantie. Je ne porte pas de jugement sur la déclaration de patrimoine des uns et des autres, parce que je ne souhaite pas qu'on ait à juger des miennes. Soyons-y attentifs collectivement, car il ne faudrait pas que nous passions pour des menteurs parce que nous ne déclarons pas assez ou pour des voleurs parce que nous déclarons trop. Si nous en sommes arrivés là, ce n'est pas du fait du cumul de mandats, mais de l'évasion fiscale d'un individu.

La proposition doit être prise pour ce qu'elle est ; elle ne réhabilitera pas à elle seule l'engagement politique. Trouvons d'autres moyens pour éviter les dérapages qui éclaboussent l'ensemble des élus de la République.

M. Jean-Jacques Hyest. - Soupçon, a dit le rapporteur. Il est curieux qu'il y ait quantité de non-parlementaires qui font la course aux indemnités et qui sont écrêtés, une fois et demie l'indemnité parlementaire. Quant aux rémunérations des divers organismes, je vous renvoie à l'enquête de notre groupe de travail sur les conflits d'intérêts : elle proposait notamment de lever la différence entre les activités de conseil hors avocat ou avocat.

Je ne suis pas choqué par la proposition. Je suis très attentif à la tribune de Pierre Avril et des spécialistes de la vie politique qui nous avertissent : continuez comme ça, et dans quelques années, il n'y aura plus que des apparatchiks désignés par les partis, sans autre expérience professionnelle. Ces dérives m'inquiètent. Je crains qu'au nom de la morale, nous ne commettions quelques bêtises... Je me moque complètement des déclarations de patrimoine, il faut surtout donner des moyens à la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Cessons de tomber dans les pièges que nous tendent en permanence les médias ! Réglons le problème dans son ensemble. Or, avec ce texte, on est loin du solde de tout compte, par conséquent je voterai contre.

M. Gaëtan Gorce. - Ce climat malsain ne doit pas conduire à des excès mais à des évolutions. Un exemple : le dispositif de l'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) a été imaginé après les grandes affaires de la fin des années quatre-vingts. Quand l'on a voulu fiscaliser les indemnités des élus, l'on a distingué la part des revenus de celle nécessaire à l'activité du mandat. Il paraît normal de garantir au citoyen et contribuable que l'IRFM est utilisée dans le but pour lequel elle nous a été attribuée. La logique aurait été et reste de mettre en place un système de contrôle interne. Les critiques sur l'opacité du système pourraient entraîner, comme certains l'ont déjà proposé, un contrôle par le biais du fisc, ce qui remettrait en question la séparation des pouvoirs. J'ai saisi le Président du Sénat pour que nous prenions les devants. Ne pas agir est risqué.

Le montant de l'indemnité parlementaire, hors IRFM, n'est pas exorbitant. Nous devons assainir la situation et ne pas laisser s'installer l'idée que nous occuperions des fonctions locales pour des raisons financières. Légaliser le fait de ne pas cumuler des indemnités parlementaire et locales me paraît une conséquence logique de la situation actuelle, c'est pourquoi je voterai ce texte. Que l'on ne tire pas prétexte de certains dérapages pour ne pas avancer !

M. Hyest a raison, ce qui intéresse la République, c'est de contrôler l'enrichissement des élus au cours d'un mandat et non leur patrimoine. Quand on a proposé, dans le cadre de la proposition de loi Warsmann, de renforcer les moyens de la commission pour la transparence financière de la vie politique, personne ne l'a voulu ; du coup, on met le patrimoine sur la place publique... Il faut agir progressivement. Si nous ne faisons rien au sujet de l'IRFM, nous risquons de connaître une situation identique à celle que nous avons pour le patrimoine. Plutôt que d'attendre des réformes globales, déplaçons les curseurs.

M. Christophe Béchu. - Parce que cette proposition de loi organique arrive à un mauvais moment, on peut lui prêter des intentions qu'elle n'avait pas quand elle a été rédigée - l'affaire Cahuzac n'avait pas éclaté. Puisque dans le débat sur le cumul des mandats, les citoyens étaient choqués par le cumul des indemnités, il s'agissait d'en extraire ce sujet pour avoir un débat apaisé. Sensible à cet argument, je suis enclin à trouver des vertus à ce texte, à condition d'en discuter dans le cadre d'une loi sur le cumul des mandats. Ce qui me choque, ce sont les angles morts du texte. Que fait-on en cas de cumul des mandats locaux, le plafond de l'indemnité parlementaire devient-il le nouveau plafond pour les élus locaux, ou sépare-t-on les choses, le montant maximal que pourraient percevoir les élus locaux étant alors plus élevé ?

Le contexte ensuite. Ce qui était un texte sur le cumul devient un texte sur le plafond de ressources, sur la lutte contre l'enrichissement. Dans le climat actuel, cela me met mal à l'aise. Si on parle de transparence, de plafond de ressources, il faut aller au bout de la logique : quand le Président du Sénat explique qu'on peut imaginer un cumul d'activité jusqu'à un certain niveau financier, est-ce à dire que des retraites ne peuvent être perçues pendant la durée du mandat parlementaire ? J'ai 38 ans, Mme Cukierman en a 36 : il va nous falloir attendre quelques années pour espérer toucher un jour une retraite. Si on veut lutter contre l'enrichissement personnel, que fait-on des retraites ? Va-t-on intégrer demain les pensions alimentaires pour créer une indemnité parlementaire différentielle ? Pour toutes ces raisons, je préfèrerais qu'on évoque ce sujet comme un amendement au texte sur le cumul des mandats plutôt qu'à travers une proposition distincte, qui nous entraînera là ou nous ne voulons pas aller. Sur le fond, je partage l'idée qu'il n'est jamais bon d'attendre un scandale ou un événement pour légiférer. Dans les excès de la fin de l'affaire Cahuzac, certains voudraient que nous fassions voeu de pauvreté ; du moins avons-nous échappé, après l'affaire Strauss-Kahn, au voeu de chasteté...

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Il ne s'agit pas de faire acte de repentance ou de mortification : autant proposer, comme je l'ai fait ironiquement dans Var-Matin, de désigner tous les quinze jours un élu à lapider en place publique. Ce n'est pas une mesure parmi d'autres, qu'il faudrait intégrer dans le texte, mais une démarche préalable, destinée à poser le problème de la meilleure façon possible. Alors, une affaire de transparence ? Non, il n'y a plus rien à voir ! Les parlementaires recevront leur indemnité, un point c'est tout. J'ai également constaté que l'IRFM n'était pas soumise à fiscalité, c'est un autre problème : assurer l'indépendance des parlementaires. Pourquoi ne s'intéresser qu'à eux ? C'est vrai que les présidents de grandes collectivités locales bénéficient d'indemnités largement supérieures, sans compter les avantages en nature. Cependant, le calendrier est celui-ci : le groupe RDSE a aussi déposé une proposition de loi ordinaire pour étendre le principe de la prohibition du cumul d'indemnités aux élus locaux. Notre objectif : dépolluer le débat inéluctable sur le cumul des mandats, et restaurer l'image du parlementaire. Dans nos démocraties modernes, le pouvoir politique est le seul qui limite le pouvoir de l'argent - ce qui déplaît à certains, car le pouvoir de l'argent est aussi, souvent, celui des médias.

EXAMEN DES ARTICLES

Article additionnel avant l'article unique

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement n° 2 modifie le code général des collectivités territoriales pour introduire parmi les indemnités locales incluses dans le périmètre du non-cumul celles qui seraient liées à la qualité de membre du conseil d'administration ou de surveillance d'une société publique locale, lesquelles ont été instituées par une loi du 28 mai 2010. Seules les sociétés d'économie mixte locales sont aujourd'hui visées.

L'amendement n° 2 est adopté.

Article unique

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement n° 1 est déjà satisfait.

L'amendement n° 1 est rejeté.

Article additionnel après l'article unique

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - L'amendement n° 3 est classique : il fixe les dates d'entrée en vigueur de la proposition de loi organique aux prochains renouvellements de l'Assemblée nationale et du Sénat.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Elle n'entrera donc pas en vigueur immédiatement.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. - Ce type de dispositif est classique ; pour une fois, il n'est pas un moyen de faire passer un texte !

L'amendement n° 3 est adopté et devient un article additionnel.

L'ensemble de la proposition de loi organique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article(s) additionnel(s) avant Article unique

M. COLLOMBAT, rapporteur

2

Intégrer les sociétés publiques locales dans le périmètre des indemnités et rémunérations prises en compte au titre du non-cumul d'indemnités

Adopté

Article unique

Mme N. GOULET

1

Intégrer dans ce périmètre les présidents et vice-présidents d'EPCI ou de syndicats mixtes déjà visés par le droit en vigueur

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après Article unique

M. COLLOMBAT, rapporteur

3

Entrée en vigueur de la loi

Adopté

Représentation juste et équilibrée des territoires au sein des conseils régionaux - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine ensuite le rapport de M. Alain Richard et le texte proposé par la commission pour la proposition de loi n° 386 (2012-2013), présentée par M. Alain Bertrand et plusieurs de ses collègues, tendant à assurer une représentation juste et équilibrée des territoires au sein des conseils régionaux.

M. Alain Richard, rapporteur. - L'affaire est extrêmement simple. Nos collègues du groupe RDSE nous rappellent que l'attribution des sièges au conseil régional doit respecter le tableau n° 7 annexé au code électoral, qui tient compte de la population globale de la région. Elle aboutit, dans un cas extrême, la Lozère, à ce que les électeurs de ce département n'ont plus qu'un seul représentant sur soixante-sept conseillers régionaux. C'est logique : la Lozère compte 77 000 habitants, sur un total d'environ trois millions pour le Languedoc-Roussillon. Faut-il laisser jouer l'arithmétique ? La Lozère est seule dans ce cas, mais les Hautes-Alpes pourraient suivre, puisqu'elles ne comptent que trois conseillers régionaux : étant donné le dynamisme démographique du Var et des Alpes-Maritimes, ce nombre pourrait bien diminuer au prochain renouvellement. Les Alpes de Haute-Provence ne sont pas loin derrière...

Faut-il fixer un nombre minimal de représentants par département, un « smic » de représentation de trois conseillers ? Si nous le pensons, alors il nous faut trouver un autre mécanisme que celui proposé par les auteurs de la proposition de loi qui est inadapté.

Aujourd'hui, les listes régionales sont segmentées en sections départementales, mais la logique veut que la campagne oppose des projets régionaux. La proposition de loi prévoit que les conseillers régionaux sont élus de manière indépendante, département par département, avec des conséquences indésirables : des listes pourraient être présentées dans certains départements seulement, ce qui priverait les électeurs d'un lieu de confrontation des projets et des programmes pour leur région. Si vous le souhaitez, je vous proposerai une autre solution, très simple mais que j'ai mis du temps à découvrir : après l'attribution des sièges, s'il manque à un département un ou deux sièges pour arriver au minimum de trois, un ou deux sièges supplémentaires seront ajoutés, et attribués au premier candidat de la section départementale du département concerné des listes qui en bénéficieront.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci pour cette trouvaille, qui me paraît de nature à nous sortir de la difficulté que vous avez expliquée : il est anormal qu'un département n'ait qu'un seul représentant au conseil régional.

M. Alain Richard, rapporteur. - Il peut même n'en avoir aucun...

M. Jean-Jacques Hyest. - C'est un retour à la loi de 1985.

M. Alain Richard, rapporteur. - Non, justement !

M. Jean-Jacques Hyest. - Les auteurs de la proposition de loi nous y font revenir. Cette loi a été par deux fois modifiée, avec des bonheurs électoraux inégaux, pour faire émerger une majorité : certaines régions étaient ingouvernernables, d'où la prime majoritaire inspirée du système municipal. Faut-il revenir en arrière ? Avec le conseiller territorial, nous avons eu récemment un débat sur la représentation respective des territoires. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé. J'estime qu'il est justifié de fixer un nombre minimal de représentants. La solution proposée par M. Richard est bonne, ce qui n'est pas étonnant : il avait déjà réussi à résoudre de manière intelligente le fléchage dans l'intercommunalité. Mais gardons-nous de revenir à la loi de 1985 !

M. Pierre-Yves Collombat. - Nous sommes tous sensibles à la faible représentation de certains départements et, au sein même des départements, des territoires ruraux. Cependant, la proposition de loi n'est pas tenable. La technique proposée par M. Richard me semble compatible avec le système actuel, et apporte une solution aux cas désespérés, les plus beaux !

M. Alain Richard, rapporteur. Je constate qu'il n'y a pas de désaccord sur ma proposition.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article additionnel avant l'article 1er

M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 1 pose le principe : le nombre de conseillers régionaux peut être complété.

L'amendement n° 1 est adopté.

Article 1er

M. Jean-Pierre Sueur, président. - L'amendement n° 2 prévoit un nombre minimal de trois conseillers régionaux.

M. Alain Richard, rapporteur. - L'étude d'impact est faite : cela créerait deux sièges supplémentaires de conseiller régional pour toute la France...

L'amendement n° 2 est adopté.

Article additionnel après l'article 1er

M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 3 énonce le mécanisme de calcul. Je me réserve de proposer des améliorations rédactionnelles en séance.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il y aura une nouvelle réunion de notre commission sur ce texte.

M. Yves Détraigne. - Vous proposez donc une composition à géométrie variable pour le conseil régional, en fonction des résultats du vote ?

M. Alain Richard, rapporteur. - Oui.

M. Jean-Jacques Hyest. - A la marge...

Mme Cécile Cukierman. - La répartition par département est déjà fluctuante...

L'amendement n° 3 est adopté.

Article 2

L'amendement de suppression n° 4 est adopté.

Article 3

L'amendement de suppression n° 5 est adopté.

Article 4

L'amendement de suppression n° 6 est adopté.

Article 5

L'amendement de suppression n° 7 est adopté.

Article 6

L'amendement de suppression n° 8 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - M. Richard, la Lozère peut vous être reconnaissante !

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article(s) additionnel(s) avant Article 1er

M. RICHARD, rapporteur

1

Principe selon lequel l'effectif des conseils régionaux peut être ponctuellement complété

Adopté

Article 1er
Départementalisation du scrutin régional

M. RICHARD, rapporteur

2

Minimum de trois conseillers régionaux par section départementale

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 1er

M. RICHARD, rapporteur

3

Mécanisme de répartition des sièges supplémentaires

Adopté

Article 2
Suppression des sections départementales

M. RICHARD, rapporteur

4

Suppression de l'article

Adopté

Article 3
Déclaration de candidature

M. RICHARD, rapporteur

5

Suppression de l'article

Adopté

Article 4
Remplacement des conseillers régionaux

M. RICHARD, rapporteur

6

Suppression de l'article

Adopté

Article 5
Coordination en matière de contentieux électoral

M. RICHARD, rapporteur

7

Suppression de l'article

Adopté

Article 6
Coordination en matière de contentieux électoral

M. RICHARD, rapporteur

8

Suppression de l'article

Adopté

Modernisation de l'action publique territoriale - Audition d'élus de communes et d'intercommunalités

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à des auditions sur le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.

Elle entend, autour d'une table ronde, des élus de communes et d'intercommunalités.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous remercions nos invités d'avoir répondu à notre appel pour cette audition, qui sera télévisée. Hier, nous avons reçu les élus d'Ile-de-France, de Lyon et des Bouches-du-Rhône, puis le président de l'Association des départements de France.

Nous sommes saisis de trois textes ouvrant une nouvelle étape de la décentralisation. Le premier comprend quelques considérations sur les compétences, le chef de file et une éventuelle conférence territoriale régionale avant d'évoquer les métropoles. Parmi ces dernières, il met en exergue Paris, Lyon et Marseille - ce qui a fait du bruit. Que pensez-vous du texte en l'état ? Quelles modifications faudrait-il y apporter à votre sens ? Nos deux rapporteurs, M. Vandierendonck pour la commission des lois et M. Dilain pour la commission des affaires économiques, sont des spécialistes du sujet - deux autres sont en cours de nomination. Rien n'est décidé à ce stade : nous sommes là pour vous écouter et proposer des modifications au texte, afin qu'il corresponde au mieux aux attentes des élus.

M. Michel Destot, maire de Grenoble, député, président de l'Association des maires de grandes villes de France. - C'est un honneur d'être entendu par la Haute assemblée sur une loi aussi importante pour notre République. Disons d'emblée qu'il est difficile, en France, de faire des lois universelles pour l'ensemble de nos territoires : il y a région et région, département et département, ville et ville. L'unité doit primer sur l'uniformité. Il faut ensuite de la cohérence entre tous les textes. Ainsi, la future loi Duflot sur l'urbanisme et le logement ne devra pas être en contradiction avec ce texte-ci. Je pense, entre autres, au plan local d'urbanisme (PLU) intercommunal.

Le statut des métropoles pose problème. Le projet de loi les détermine, de façon claire et nominative, en fixant un seuil de 400 000 habitants dans une zone urbaine de plus de 500 000 habitants. Les maires des grandes villes souhaitent adjoindre, au critère démographique, les fonctions métropolitaines, telles qu'elles sont définies par la DATAR. Le texte gagnerait à ce que d'autres, possédant des pôles de compétitivité, une université, un CHU, un aéroport, puissent accéder à ce statut.

Ayons le courage de clarifier l'articulation entre régions et métropoles. Le fait de traiter la question dans deux textes va compliquer l'opération. Evitons une grande diversité dans le pays et de longues négociations. Comment une métropole ne pourrait-elle pas investir dans les sociétés d'accélération de transfert de technologie ?

Les grandes villes et communautés urbaines qui ne sont pas des métropoles doivent être associées aux différents schémas de planification relatifs à l'aménagement du territoire, les transports et l'environnement et copiloter les pôles de compétitivité. Il importe également de reconnaître les compétences en matière d'enseignement supérieur et de recherche. En outre, les pôles métropolitains, créés par la loi de décembre 2010, doivent être confortés pour passer des compétences à l'action.

Se pose enfin le problème de la gouvernance : les exécutifs de ces métropoles devront être élus à terme au suffrage universel direct.

M. René Vandierendonck. - L'exécutif  ?

M. Michel Destot. - Au moins. Il serait déraisonnable de ne pas prévoir un pas supplémentaire lors du renouvellement de 2020.

M. Daniel Delaveau, maire de Rennes, président de l'assemblée des communautés de France. - Je suis un peu gêné de parler après M. Michel Destot, dont, sur le fond, je partage l'avis. C'est un bon signe que nos associations soient sur la même longueur d'ondes, à quelques nuances près.

Ces textes comportent quatre points forts : consolider les régions, renforcer les intercommunalités, reconnaître le fait métropolitain et créer une conférence territoriale de l'action publique (CTAP). Je regrette toutefois qu'ils soient aussi riches ou touffus et qu'il y en ait trois au lieu d'un.

La philosophie générale nous convient, qu'il s'agisse de renforcer les régions, de consolider les intercommunalités ou de reconnaître le fait métropolitain ; de même, la méthode me semble extrêmement positive, avec la CTAP : les élus locaux peuvent s'organiser dans un cadre national.

Quatre points forts donc, mais deux écueils : il ne faut pas opposer les métropoles aux régions, d'une part, et les métropoles aux communes et départements, d'autre part. Le statut de la métropole devrait pouvoir être ouvert, sur la base du volontariat, à des agglomérations qui assurent des fonctions métropolitaines en matière universitaire, hospitalière ou économique. Aux yeux du maire de Rennes, Brest devrait pouvoir accéder à ce statut si elle le désire. Nous souhaitons une intégration plus forte des compétences et des délégations. Le transfert de certaines compétences départementales fait débat ; j'y suis pour ma part favorable, pour ce qui est de la voierie départementale ou de la compétence DALO.

On ne parle pas assez des aspects fiscaux. Rennes a mis en place la taxe professionnelle dès 1992, grâce à qui vous savez.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Edmond Hervé fut un pionnier.

M. Daniel Delaveau. - L'intégration fiscale est un outil de solidarité des territoires. Développons celle-ci en allant vers une unification de la fiscalité locale des ménages : dans un premier temps, je plaide pour une taxe foncière unique, décidée par un vote à la majorité qualifiée et non à l'unanimité. Nos métropoles doivent être plus que les communautés urbaines époussetées et relookées, prévues par la loi de 2010 avec le succès que l'on sait.

Je rejoins Michel Destot sur la question démocratique. Si le fléchage marque une avancée réelle, prévoyons une élection directe en 2020 pour ces communautés. Cela laisse sept ans.

Je ne suis pas choqué que Paris, Lyon et Marseille soient traités à part. C'est indispensable vu leur rôle et leur histoire particulière.

M. Marc Baïetto, président de la communauté d'agglomération Grenoble-Alpes Métropole. - Nous ne sommes pas en opposition fondamentale sur les grands sujets. Présidents d'associations d'élus, ils ont une vision plus large que moi.

Je veux dire notre satisfaction de voir reconnu le statut de nos agglomérations même si le texte renvoie au décret. Le statut de métropole nous invite à interroger le statut de l'intercommunalité. Le paradoxe de la métropole est de devoir à la fois faire vivre ensemble des territoires disparates et exercer des compétences essentielles, économiques et universitaires entre autres, au nom de l'intérêt général. Les enjeux métropolitains ne recoupent pas les enjeux communaux, d'où la nécessité d'une élection au suffrage universel, tout en assurant une représentation de l'ensemble des communes : une clarification sera nécessaire.

En matière de fiscalité, il faudra, faute de taxe professionnelle unique (TPU), un impôt qui marque l'appartenance au même territoire.

L'agglomération grenobloise ne se limite pas au périmètre de la communauté d'agglomération : l'aire du schéma de cohérence territoriale (SCOT) comprend 800 000 habitants, nous ne sommes que 400 000. Les pôles métropolitains suffisent-ils pour élaborer une approche économique à l'échelle d'un bassin ?

Nos concitoyens peinent à comprendre ce qui relève de l'un ou de l'autre. Ouvrons le champ des transferts des compétences départementales, sans que ceux-ci soient automatiques et brutaux. Nous préfèrerions un cadre négocié avec nos collègues départementaux, que nous ne voulons pas déshabiller.

Une question subsidiaire : depuis quarante ans, notre département soutient fortement les transports publics. Le texte rend caduque cette intervention : c'est une très mauvaise nouvelle, sachant que le département consacre 40 millions d'euros par an aux transferts urbains, à comparer aux 80 millions de notre budget d'investissement. Ne nous coupez pas les vivres !

Nous restons une intercommunalité : il faut conserver une représentation. Pas de coupure avec notre histoire commune ! La métropole ne doit pas se traduire par un rejet des communes. Enfin, le débat sur l'intérêt métropolitain me paraît stérile. Je me réjouis que le texte précise enfin les compétences.

M. Roland Ries, maire de Strasbourg et vice-président de la communauté urbaine de Strasbourg. - Tirons les leçons de l'expérience récente du référendum alsacien : lorsqu'on affiche des objectifs de simplification, de clarification, de rationalisation, d'économie, il y a loin de la coupe aux lèvres.  On a du mal à s'y retrouver en lisant le projet. Un texte riche, touffu ? Confus, peut-être... Je plaide pour une vraie simplification : élaguons tout ce qui ne paraît pas indispensable pour fixer un cadre à la négociation. On ne pourra pas tout régler depuis Paris. On envisage la création de CTAP mais les conférences d'exécutifs travaillent déjà un peu partout à travers le pays. Faisons confiance aux élus locaux, qui sont sous le contrôle des électeurs. Evitons ces textes ambitieux qui risquent de constituer des niches à contentieux.

La philosophie générale du texte n'est pas claire. On oscille entre deux écueils : d'abord, l'impuissance potentielle, faute de cadre clair ; ensuite une contradiction entre les chefs de filât et la loi Defferre, qui pose l'interdiction de tutelle d'une collectivité sur une autre. Nous aurons à trouver une voie moyenne. Ce projet est amendable, il passera à la moulinette parlementaire. Si on le rétrécit, si on lui donne du nerf, on pourra en faire un cadre aux négociations. A Lyon, n'a-t-on pas su trouver un accord sans projet de loi ? Tous les maires vous diront que leur ville n'est pas une ville comme les autres...

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - C'est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Si on ne le pense pas, on ne mérite pas d'être maire.

M. Roland Ries. - J'ai la faiblesse de penser que Strasbourg a deux spécificités, à commencer par la proximité d'une frontière. Nous avons, comme à Lille, créé un groupement européen de coopération territoriale afin de jeter les bases d'une agglomération transrhénane. Deuxième spécificité : avec le Conseil de l'Europe, le Parlement européen, la Cour européenne des droits de l'homme, la Fondation européenne de la science ou encore l'Eurocorps, nous accueillons des institutions européennes qui font de Strasbourg une euro-métropole, suivant l'expression du président de la République. L'Etat doit les prendre en compte car la ville ne joue pas dans la même cour que le Parlement européen : je rejoins Martine Aubry....

M. Jean-Pierre Sueur, président. - On l'a vue.

M. Roland Ries. - ... dans sa demande de reconnaissance de nos spécificités.

Une inquiétude, enfin, sur notre calendrier : nous commençons la discussion du premier texte de l'acte III de la décentralisation le 30 mai, après une interruption de quinze jours... Il faudra mettre les bouchées doubles.

Mme Christine Bost, vice-présidente de la communauté urbaine de Bordeaux en charge de l'urbanisme et maire d'Eysines. - Je suis également vice-présidente du conseil général, en charge des transports. Nous attendons du texte une simplification et plus de lisibilité pour nos actions. La légitimité de nos institutions serait moins contestée si le public savait qui fait quoi. De ce point de vue, la mise en oeuvre des chefs de filât devrait clarifier les choses, mieux organiser les coopérations entre collectivités et établissements publics. C'est pourquoi la communauté urbaine de Bordeaux ne considère pas que le problème tient au nombre d'échelons : chacun a su démontrer sa pertinence. Oui à l'élection au suffrage universel des conseils communautaires : vu nos budgets, il est inconcevable que nous ne soyons pas directement élus par le peuple.

Ce texte a le mérite de reconnaître le fait métropolitain (60% de la population vit dans une aire urbaine de plus de 100 000 habitants), et de mettre en place une conférence territoriale. Celle-ci serait utilement renforcée par des contrats de territoire, sur le modèle des contrats de plan Etat-région.

Le projet de loi traduit la confiance faite aux territoires, je m'en réjouis après les commentaires de certains sur les qualités de gestionnaires des élus locaux. Rétablissement de la clause de compétence générale, possibilité de coopérations à géométrie variable, droit à l'expérimentation en témoignent.

Quelques points de vigilance toutefois : la compensation des charges transférées devrait être précisée dans la loi ; rien n'est dit sur un éventuel transfert de fiscalité. Or, les transferts de compétences doivent s'accompagner de transferts de ressources.

Le transfert obligatoire de la compétence sociale des départements au 1er janvier 2017 n'est pas pertinent : laissons le choix aux territoires. Les départements ont fait la preuve de leur efficacité en la matière. Scinder cette compétence, c'est prendre le risque d'une fracture et d'inégalités sur le territoire. Nos travailleurs sociaux travaillent en réseau, entre territoires urbains et territoires ruraux.

Je m'interroge ensuite sur la mise en place d'établissements publics fonciers d'Etat, un au plus par région d'après le texte. Cela n'interdit pas la création d'établissements publics fonciers locaux (EPCI), n'est-ce pas ?

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Cela n'interdit rien.

Mme Christine Bost. - Enfin, les conseils de territoire introduisent un échelon supplémentaire qui annonce la disparition des communes, je n'y suis guère favorable.

M. Yvon Robert, maire de Rouen. - Ce texte, globalement satisfaisant dans son architecture, ne doit pas être démantelé durant la discussion parlementaire.

Mettre à part Paris, Marseille et Lyon n'a rien de choquant : ces villes ont leur spécificité : plus d'un million d'habitants. En même temps, ne galvaudons pas le concept de métropole : le seuil de 500 000 habitants a du sens. La création de petites communautés urbaines ne se justifiait pas. Métropole ne doit pas être confondue avec intercommunalité : le terme de commune disparaît. Il serait bienvenu que la loi fixe le nombre de métropoles.

La suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par quatre ou cinq dispositifs fiscaux incompréhensibles est véritablement hallucinante. Même nos meilleurs spécialistes ont besoin de réviser à chaque fois leurs dossiers pour s'y retrouver... Les métropoles ont besoin d'une ressource véritable et dynamique. La taxe foncière unique, intéressante dans son idée, n'est guère la solution : vu l'injustice des valeurs foncières, elle gèlerait les inégalités, voire les aggraverait.

J'ai toujours été énervé qu'on fasse voter le conseil d'agglomération et l'ensemble des communes selon des règles complexes. Quand des conseils comme le nôtre comprennent 70 communes, la disparition de ce système de double votation serait bienvenu... Je regrette que l'on n'utilise pas le texte pour achever la carte intercommunale : certaines communes ne sont pas intégrées, éventuellement pour des raisons de personnes.

Les délégations de compétence devront être plus souples : les zones d'aménagement concerté (ZAC) pourraient être déléguées à la commune concernée, même si la compétence d'urbanisme revient à la communauté d'agglomération. Dans les plus anciennes communautés urbaines, comme Lyon, d'ailleurs, certaines l'ont fait en matière d'urbanisme.

Les conseils de territoire ont leur intérêt à condition de ne pas multiplier le nombre de personnes qui y siègent. Le seuil de 500 000 habitants, pourquoi pas, mais ne recréons pas des super-communes. La loi ou le décret devra préciser le nombre de territoires, de conseillers et de vice-présidents.

Enfin, pourquoi distinguer dans les délégations entre régions et départements ? Elles ne sont obligatoires que pour les départements, ce qui donne au texte une connotation régionaliste qui ne se justifie en rien.

M. Frédéric Sanchez, président de la communauté Rouen Elbeuf Austreberthe (CREA). - La CREA, structure récente, date du 1er janvier 2010 : elle est née de la fusion de deux communautés d'agglomération et de deux communautés de communes. Elle regroupe 70 communes sur plus de 100 kilomètres de Seine.

Dans un pays où la tradition communale est très ancrée, affirmer le fait métropolitain représente une évolution importante. Nos concitoyens ont trois grandes attentes : les économies d'échelle à tirer de la simplification ; l'équilibre et la cohérence territoriale ; la compétitivité dans une monde plus concurrentiel. Alors que les mauvaises nouvelles s'accumulent, nourrissant le sentiment d'un déclin inexorable de notre pays, la métropole peut être un vecteur de compétitivité à l'échelle internationale. Le 16 avril dernier, mon territoire apprenait la fermeture définitive d'une raffinerie ; il faut aller plus vite. Le recours à la loi pour affirmer les métropoles à partir de 400 000 habitants se justifie pleinement ; les décrets de création devront paraître rapidement.

L'organisation de services communs, et pas seulement la mutualisation des procédures de marchés publics et de fonctionnaires, garantira une réforme peu coûteuse et source d'économies.

Toujours dans un souci de simplification, renforçons l'articulation entre les différents niveaux de collectivités. Dans le texte, il est question de supprimer les financements croisés en cas de désaccord. Posons une exigence de stratégie partagée à l'heure où l'on rétablit la clause de compétence générale pour les départements et les régions. La contractualisation, dont on fait trop peu mention, donnera de la visibilité, c'est une nécessité pour nos concitoyens.

Pour une décision efficace, la métropole doit assumer l'entièreté du dispositif du schéma de cohérence territoriale jusqu'aux plans locaux de l'habitat, en passant par le PLU. Du reste, le PLU se généralise pour les autres communautés et les élus s'en félicitent. Même s'ils constatent les méfaits de l'émiettement de la compétence urbanisme, ils ne sont pas prêts à s'en dessaisir. Les conseils de territoire peuvent constituer une solution, je proposerai à mes 70 communes de former des territoires - le législateur pourrait envisager de le rendre obligatoire.

Le transfert automatique de plein droit de certaines compétences départementales en 2017 est étonnant : on impose un calendrier, une liste de compétences. Rien de tel pour les régions... Laissons de la souplesse.

Nous devrons régler la question de la légitimité démocratique des assemblées métropolitaines et de son articulation avec celle du maire. Mieux vaut que les élections métropolitaines, si elles se font au scrutin de liste, se tiennent le même jour, en espérant que les électeurs voteront pour les mêmes candidats.

Nulle mention dans le texte de la stratégie portuaire. Or, Rouen travaille avec Le Havre et Paris ; Marseille est également concernée au premier chef. La reprise en main des ports par l'Etat ces dernières années est fâcheuse s'il n'y a pas d'articulation avec la stratégie économique de la métropole.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Après ces exposés clairs, complets et complémentaires, je salue M. Filleul, fraîchement nommé rapporteur pour avis de la commission du développement durable.

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Je vous remercie tous de votre disponibilité. Entrons dans le détail de ce projet de loi, auquel vous êtes globalement favorables, et qui est largement amendable. Premier problème, nous devrons résister à tous ceux qui voudront des métropoles... à leur niveau. En somme, qu'est-ce que le fait métropolitain ? La référence à la métropolisation européenne en fonction d'une taille critique pollue un peu le débat. Pour moi, une métropole en France est d'abord une intercommunalité, qu'elle soit ancienne ou non, qui affiche un degré d'intégration de la compétence économique et de cohésion sociale. Monsieur Baïetto, vous avez tout à fait raison : retirons du texte les conférences et autres conseils, laissons les élus locaux décider, cela simplifiera les choses.

M. Ries a parlé de dimension européenne. Où se situe-t-elle ? Faut-il retenir les chiffres d'Eurostat ou la labellisation par l'Europe à travers les groupements de coopération transfrontaliers ? Si je ne prohibe pas la liste, je cherche des critères franco-français, si j'ose dire, sans ignorer la question des compétences économiques et de cohésion.

D'accord pour l'élagage, mais taille douce ou taille sévère ? Edmond Hervé avait esquissé des pistes... Déjà, des collègues m'interpellent : en 1982-1983, c'était le souffle de la nuit du 4 août, aujourd'hui, c'est la servitude volontaire.

Quand il y aura métropole, elle devra contextualiser le projet d'aménagement et de développement durable (PADD) avec le département et la région. Pas question de déshabiller les conseils généraux. Le département n'est pas une variable d'ajustement.

Quelques questions pour finir : comment définir une autorité organisatrice des réseaux dans les métropoles ? Que pensez-vous du stationnement et de sa dépénalisation ? Quel est votre avis sur les pouvoirs de police ?

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Nous commençons à y voir plus clair ; Simplifier et faire confiance aux élus locaux, voilà des objectifs nets et partagés. En revanche, nous devrons préciser le fait métropolitain. Déjà possibles dans les communautés urbaines, des services communs ne sont pas un critère distinctif. Il en est de même pour l'intégration des communes. Elle n'est qu'un moyen. Pour faire quoi ? Là est la question essentielle. Pour les uns, la métropole représente un outil stratégique au service du développement économique et de l'aménagement du territoire. Pour les autres, elle doit s'occuper aussi du quotidien, avec des services communs, pour plus de solidarité des territoires ; la fiscalité unique y concourrait. Peut-on concilier ces deux visions ? Cela devra être le fil rouge de notre réflexion.

Enfin, il y a des points d'opposition. Tout le monde a frémi quand M. Sanchez a vanté le PLU intercommunal ! Du reste, il a eu des positions différentes sur le chef de file ou sur le conseil territorial.

M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances. - Ce nouvel acte de la décentralisation intervient au moment où l'on retire 1,5 milliard d'euros aux collectivités territoriales en 2014, de même que l'année suivante, et où la fiscalité locale a atteint des plafonds. Y aura-t-il de l'argent à la clé de cette réforme ? Que nenni ! L'Etat nous demande de faire plus avec moins. Il ne faudrait pas crier métropole ! métropole ! en sautant sur nos chaises comme des cabris : ne réclamons pas plus de compétences quand nos ressources diminuent.

La première partie du texte est contradictoire. On commence par y dire que régions, départements et communes auront tous la compétence générale, puis on met en place les coordinations nécessaires à une spécialisation volontairement acceptée - nous ne vous guillotinerons pas, entendez-vous pour le faire...

Le laïus autour de la CTAP, monsieur Vandierendock, devra être simplifié. Si la concertation est nécessaire, n'échafaudons pas une usine à gaz au lieu de nous mobiliser. Cette CTAP, c'est comme si on nous demandait de nager en nous liant les pieds. Il est vrai qu'il s'agit d'affirmer l'esprit général d'une réforme qui a été scindée en trois.

Je suis favorable aux métropoles. Au législateur d'en préciser l'idée. Pour certains, elles doivent être importantes et spécifiques. A voir... Certaines petites communautés urbaines ont grossi parce qu'elles avaient la volonté de s'intégrer, contrairement à des grandes villes qui ne l'ont jamais eue.

Il faudra bien aborder la question des ressources et des dotations hors fiscalité avec les associations de maires ruraux, de grandes villes, de montagne..., comme avec les départements et les régions. Nous pouvons chercher du côté de la fiscalité écologique ; nous pouvons également réfléchir à la part que les collectivités territoriales prendront à la production d'énergie dans le cadre de la transition énergétique.

L'élection des conseillers métropolitains au suffrage universel, parce qu'elle implique la disparition des communes, ne peut pas être imposée par la loi. Les gens veulent de la proximité avec la commune, comme l'ont montré les dernières élections sénatoriales et le référendum alsacien.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission du développement durable. - Je viens tout juste d'être nommé rapporteur. Si les métropoles sont une bonne idée, nous avons besoin de nous interroger sur le fait métropolitain sans oublier les autres territoires, car des gens y vivent aussi.

Le texte ressemble à une usine à gaz. On revient sur la loi de 2010 en rétablissant la clause de compétence générale pour tous, d'un côté et on crée des compétences spécialisées, de l'autre. Les maires, et j'en suis, sont inquiets. La loi sera difficile à porter.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - M. Destot a des propositions à faire sur une définition des métropoles selon les fonctions, et non par la démographie. Nous sommes preneurs. La CTAP mérite réflexion. J'en ferais bien l'économie par souci de simplification, mais nous devons tenir compte des avis de chacun, communes, départements et régions.

Différentes conceptions de la métropole s'opposent : Mme la maire de Lille ne veut que les compétences stratégiques, les élus lyonnais souhaitent, pour leur part, reprendre toutes les compétences du département. Rassurez-vous : les sénateurs tiennent aux communes comme à la prunelle de leurs yeux ! Ils les sillonnent tous les vendredis, samedis et dimanches. La démocratie de la communauté et la démocratie de la commune ne sont pas contradictoires, nous pouvons très bien imaginer des solutions. Il y a beaucoup de pistes. Quoi qu'il en soit, ceux qui lèvent l'impôt doivent être élus par le peuple ; c'est un principe hérité de la Révolution française. Nous aurons deux lectures devant chaque assemblée sur ce texte, nous avons le temps d'y réfléchir.

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - Quid des communes ? Voilà la question. Les communautés d'agglomération ont pris des axes différents : certaines s'occupent des questions sociales, d'autres pas. Chez nous, le département a délégué l'action sociale à l'intercommunalité ; nous avons un CIAS. Toute la difficulté sera de ne pas imposer trop de contraintes par la loi afin d'adopter les choses à la diversité des territoires français. A la Révolution, monsieur le Président, les brassiers du bord de la Loire se plaignaient dans leurs cahiers de doléances de manger du saumon tous les jours : il faut toujours relativiser !

M. Jean-René Lecerf. - Remettant le doigt là où ça fait mal, je reviens aux communes que l'on va étouffer à force de les aimer. La notion de métropole a fait le deuil de la notion communale. Avec le suffrage universel, le fléchage n'aura pas vécu beaucoup plus longtemps que le conseiller territorial. Tout le conseil y passera bientôt. Lille-métropole compte 85 communes. Un maire qui a la légitimité communale pourra ne pas être représenté à l'intercommunalité quand celui qu'il a battu le sera ! S'il s'agit, comme le proposait le rapport Guichard, de supprimer les communes associées, de leur réserver l'inauguration des chrysanthèmes avant qu'elles meurent de leur belle mort, disons-le clairement !

Mme Catherine Tasca. - Commencer par la métropole a rendu les choses plus confuses. Qu'advient-il des autres collectivités ? C'est un gros handicap pour ce texte.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Plusieurs sénateurs ont insisté pour que les trois textes fussent présentés en même temps en conseil des ministres. Je regrette que nous ne les examinions pas simultanément. Le problème de démocratie existe. J'estime qu'un système unique ne peut pas s'appliquer partout. Le fléchage est un grand progrès : pour les communautés de communes, je suis partisan de ne rien changer.

M. Frédéric Sanchez. - A vouloir dire trop de choses, j'ai peut-être été confus. Après les municipales de 2014, le président de la CREA aura une assemblée constituée d'élus communaux. Une structure de concertation en matière d'urbanisme assurera à ceux-ci une forme de droit de veto concernant le devenir de leur territoire. J'organiserai de tels dispositifs sur le territoire de la CREA. Nous avons d'ailleurs adopté une charte en ce sens afin d'apporter une garantie procédurale aux élus communaux. Je ne veux absolument pas que la métropole se substitue à la commune, qui restera le lieu d'exercice des responsabilités métropolitaines.

Si l'on veut aller vite, il faut acter un seuil démographique dans la loi et renvoyer au décret pour le reste. Pourquoi empêcher ceux qui le voudraient d'adopter ce statut ? Procédons comme pour les communautés urbaines.

Je ne souhaite pas la disparition des communes, même après 2020. Notre beau pays conservera des maires pendant des décennies : le dispositif choisi devra s'articuler avec l'élection communale : pour moi, le vote se déroulera le même jour. Nous verrons en 2014 comment aura fonctionné le fléchage, grâce auquel les minorités communales siègeront au conseil communautaire.

M. Yvon Robert. - Le Sénat est attaché aux communes comme à la prunelle de ses yeux. Soit ! Mais que signifie au juste le concept communal ? La commune va de zéro à 800 000 habitants. La commune sans habitant n'est pas une hypothèse d'école : la France en compte neuf. Il n'y a pas la commune mais les communes.

A titre personnel, je suis très favorable à des listes intercommunales. Risque de différence de légitimité, avez-vous dit, si le maire élu n'était pas représenté au conseil communautaire. Ce risque, je l'ai vécu à mon élection à la mairie de Rouen : les sept conseillers généraux étaient des opposants et se sont opposés à la volonté exprimée par la commune sur des sujets qui la concernaient. Deux légitimités coexistaient sur le territoire. A un moment donné, il faut trancher, sachant que le choix sera toujours contestable.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Vous avez raison, il ne faut pas présenter comme un épouvantail, ce qui existe déjà. Ce qui nous attache puissamment à la commune, c'est le coeur, les communes sont des êtres vivants, que nous aimons.

M. Yvon Robert. - Dans une agglomération comme Rouen, un tiers de la population se renouvelle tous les dix ans. Beaucoup s'installent dans une commune voisine, tout en estimant vivre encore à Rouen. Le coeur est plus large que vous le dites.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous sommes tous citoyens de la commune et de la communauté à la fois, comme l'on est Français et Européen.

Mme Christine Bost. - En effet, n'agitons pas d'épouvantail, la cogestion a fait ses preuves au-delà des opinions politiques. Nous sommes tous des élus responsables, avec une vision de nos territoires. Le législateur doit nous faire confiance et laisser la porte ouverte à l'expérimentation.

M. Roland Ries. - M. Vandierendonck a parlé de servitude volontaire, ce qui m'a fait songer à La Boétie. Si l'on impose la servitude, les élus n'arriveront pas à travailler ensemble. En revanche, quand ils se mettent autour de la table, ils savent trouver des convergences, par delà les sensibilités politiques. Je le vois au GART.

La ville de Strasbourg a la compétence sociale, déléguée par le département, et cela marche très bien. Faut-il transférer cette compétence à la métropole ? Je l'ignore. Ne touchons pas trop à ce qui marche et gardons la souplesse suffisante.

Les communautés urbaines avaient jadis la compétence urbanisme mais les POS - les PLU d'aujourd'hui - relevaient de la commune. Nous sommes passés à un PLU communautaire, il y a eu quelques grincements de dents mais il faut bien se préoccuper de la cohérence ; et les cahiers communaux ont permis de préserver l'identité de chaque commune. Le PLU communautaire n'est pas une révolution copernicienne !

Si la communauté urbaine de Strasbourg n'est pas une métropole, elle en a toutes les compétences. En définitive, la lisibilité de cette euro-métropole seule compte, afin de mettre un terme aux querelles picrocholines avec Bruxelles et Luxembourg - car on nous conteste parfois notre statut... Faisons confiance au travail parlementaire pour parvenir à un texte plus lisible !

M. Marc Baïetto. - Nous attendons un texte sur le statut de métropole, pour savoir qui pourra y prétendre. Mais par pitié, évitons de tout définir, de tout corseter. Attention à ne pas perdre notre force : être une métropole, c'est être un peu plus grand qu'on ne l'est réellement, c'est jouer un rôle de locomotive économique. Mais il y a une réalité incontestable, une spécificité de l'agglomération métropolitaine : la nôtre concentre la presque totalité de l'habitat social. Nous avons à la fois la richesse et la faiblesse...

La compétence générale nous aide à dialoguer, alors que des compétences figées nous enserrent dans le contrôle de légalité. Le président de la chambre régionale des comptes contestait l'intervention du département en matière de transport car aucun texte ne le prévoyait. Aucun texte ne l'interdisait non plus ! Il faut de la souplesse.

La notion d'interterritorialité, nous la vivons concrètement. Souvenez-vous du sens que La Boétie donnait à la servitude volontaire : ne rentrons pas dans des rapports tordus et compréhensibles par nous seuls.

Le maire qui paye la taxe plutôt que de se conformer à la loi SRU peut en tirer profit - il montre à ses électeurs qu'il résiste. Mieux vaut se mettre d'accord pour répartir les usines d'incinération, d'épuration, les parcs de stationnement d'autocars, etc. Personne n'en veut près de chez soi, c'est ainsi que l'étalement urbain se poursuit... Enfin, comment une commune qui n'a pas les moyens d'employer un cadre A peut-elle survivre aujourd'hui ?

M. Daniel Delaveau. - Nous avons besoin des métropoles, qui sont des EPCI, c'est-à-dire des outils de coopération intercommunale. Opposer la métropole aux communes ou aux régions est un faux débat, absurde et archaïque ! Allons vers plus d'interprétation. Ce qui compte, ce sont les fonctions des métropoles dans la compétition européenne.

Le PLU intercommunal fait bondir. Mais tous les plans sont aujourd'hui élaborés pour les communes par les services intercommunaux ; et sans un document commun, comment parler de développement durable et de programme de développement de l'habitat ? Il est indispensable pour lutter contre l'étalement urbain.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Au nom de nos quatre rapporteurs et de tous les sénateurs présents, je vous remercie pour la richesse de vos propos, enracinés dans l'action concrète.

Modernisation de l'action publique territoriale - Audition d'associations d'élus

Elle entend ensuite, autour d'une table ronde, des représentants d'associations d'élus.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il n'est pas de petite collectivité dans la République : toutes sont solidaires et complémentaires. Si le premier texte de l'acte III de la décentralisation traite des métropoles, nous recevons les associations d'élus sans exception, car tout le monde a quelque chose à dire. Elus de Brest, de Nantes, de Rennes : un vent d'ouest souffle sur ce débat, ce n'est pas une mauvaise chose, nonobstant la question délicate d'un certain amendement visant à autoriser un département à rejoindre la Bretagne.

M. François Cuillandre, Association des maires des grandes villes de France (AMGVF), Association des communautés urbaines de France (ACUF), président de la communauté urbaine Brest Métropole Océane. - Merci pour votre invitation. La décentralisation n'est pas une fin en soi, mais une manière de mieux gérer nos services publics. Ces projets de loi sont importants, même s'ils n'ont pas la portée des grandes lois de 1982 et 1983. Ils sont néanmoins perfectibles.

Le rétablissement de la clause de compétence générale est une bonne chose, car c'est une marque de confiance envers les élus. Personne n'ignore plus l'importance du fait métropolitain. Opposer la grande ville à la campagne n'a pas de sens, car la ville a un rôle d'entraînement, de prestataire de service pour tout un territoire, par exemple en matière de grands équipements culturels ou sportifs. Confortons ces locomotives, sans négliger les wagons. Qu'est-ce qu'une métropole ? L'article 31 du projet de loi retient le critère démographique : 400 000 habitants, sur une zone urbaine de 500 000 habitants. L'AMGVF et l'AdCF, rejointes par l'ACUF, ont écrit au Premier ministre pour s'opposer à cette conception, comme Mme Gourault et M. Hervé l'ont fait dans leurs récents rapports. Organisons les métropoles autour des convergences économiques pour les intercommunalités intégrées qui le souhaitent. C'est le sens de la modification que nous suggérons à l'article 31 du projet de loi : à leur demande, peuvent obtenir par décret le statut de métropole les EPCI au centre d'une zone d'emploi de plus de 400 000 habitants qui exercent certaines responsabilités en lieu et place des communes.

A l'article 39, l'ACUF souhaite que les communautés urbaines, comme les métropoles, soient associées aux différents schémas de planification et au contrat de développement territorial. Idem pour les pôles de compétitivité et l'entrée au capital des sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT), sujets traités dans le deuxième texte de décentralisation.

Seuls les services fonctionnels pourraient être fusionnés au sein de la métropole, c'est un recul par rapport à la loi de décembre 2010 qui autorisait une gestion unifiée du personnel. Nous en avons profité à Brest.

Le conseil de territoire doit rester une faculté ; s'il est bienvenu de confier la compétence tourisme aux métropoles et communautés urbaines, le transfert de gestion en eau ne paraît en revanche pas opportun.

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Vous avez peur des conséquences ?

M. François Cuillandre. - On a l'impression que l'Etat cherche un moyen de s'en débarrasser. Nous souhaitons des compétences non pas au menu mais à la carte, pour le logement, les universités, etc.

Brest pratique le PLU communautaire depuis 1974. Il a été annulé deux fois : la première pour une note de synthèse jugée insuffisante, la seconde pour une étude environnementale incomplète. Qu'ajoutera le prochain texte ? Attention à ne pas créer l'inertie par le droit. Nous vivons très bien le PLU communautaire, il est indispensable surtout avec la loi littoral. Accorder un droit de veto à une commune serait aberrant. Enfin, nous sommes la première collectivité à avoir adopté un PLU facteur 4 comprenant l'urbanisme, l'habitat et le plan climat énergie.

M. Fabrice Roussel, Association des communautés urbaines de France, vice-président de Nantes métropole. - Ce texte est une reconnaissance du fait métropolitain que vivent tous les jours nos citoyens, par exemple, à travers les grands projets structurants comme le tramway : un fait métropolitain qui, dans l'ouest, ne fait aucun doute non plus pour le conseil général et la région.

L'enjeu est de travailler encore mieux avec les autres territoires. La loi devra conforter nos compétences économiques, transport, aménagement en levant les obstacles.

Les CTAP sont perfectibles : attention au risque de déséquilibre aux dépens des territoires urbains. Pourquoi ne pas imaginer des conférences thématiques ?

Les métropoles, parce qu'elles sont au service des entreprises et des citoyens, doivent être la locomotive du développement économique. Laissons-leur la possibilité d'élaborer leur propre schéma de développement et de copiloter les pôles de compétitivité.

Territorialiser la politique du logement est une nécessité pour atteindre nos objectifs et assurer la mixité sociale. Pourquoi ne pas transférer les aides à la pierre ? Ce serait un pas dans le bon sens. La compétence Dalo, la gestion du contingent préfectoral, pourquoi pas ? Tout cela va dans le bon sens. En revanche, attendons avant de transférer l'hébergement d'urgence.

La compétence environnement, en cette période de transition énergétique, est essentielle. Les collectivités doivent s'engager massivement dans les réseaux de distribution de chaleur qui, aujourd'hui, n'est pas reconnue, alors que celle de l'eau ou du gaz le sont.

Oui à l'élection au suffrage universel du conseil métropolitain en 2020, en créant ou en confortant le conseil des maires. Dans la communauté urbaine de Nantes, depuis 2001, nous avons mis en place des pôles de proximité, qui ne sont pas un échelon supplémentaire mais un lieu de dialogue, de travail, de préparation des décisions. La question de la gouvernance sera déterminante.

M. Daniel Delaveau, président de l'Assemblée des communautés de France, maire de Rennes. - La convergence de vues entre nos trois associations n'est pas anodine, elle est le fruit d'un travail commun et d'une vision partagée du développement de l'intercommunalité.

Le projet de loi a été coupé en trois. Le premier morceau nous semble, sur le fond, très positif. Pour l'AdCF, la métropole ne peut pas être dissociée de la montée en puissance de toutes les structures intercommunales. Nous avons besoin de métropoles fortes mais aussi de communautés de communes et de communautés d'agglomération puissantes, qui seront traitées dans le troisième texte. L'idée est d'aller vers une unification des statuts entre ces différents types de structures.

Puisqu'on ne peut réinjecter le troisième texte, qui sera sujet à des contraintes de calendrier, dans le premier texte, prenons garde à bien définir l'intérêt communautaire. Evitons les usines à gaz : certains sujets sont d'intérêt communautaire alors qu'ils sont traités au niveau infra-communautaire. Bref, évitons l'inertie qu'entraînerait une rigidification des délégations de compétences.

Les CTAP ont leur utilité, gardons-en une vision opérationnelle : elles doivent être des lieux où l'on fabrique du consensus, non des instances de décision.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je me réjouis de cette convergence entre les trois grandes associations représentant le mouvement intercommunal.

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - Merci à M. Cuillandre d'avoir bien distingué, en introduction, métropole européenne et métropole d'équilibre, car il faut savoir de quoi l'on parle. Vous revendiquez pour Brest le statut de métropole d'équilibre, avec un statut d'EPCI, n'est-ce pas ?

M. François Cuillandre. - Tout à fait.

Mme Jacqueline Gourault. - Ce n'est pas le cas de Lyon. L'intérêt communautaire est effectivement une notion clé.

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Rien ne m'a choqué dans les propos de M. Cuillandre. Je comprends la revendication sur le tourisme, sur la santé. Le comité régional du tourisme finance des actions, les départements ont vocation à organiser le tourisme sur tout leur territoire, et les intercommunalités s'en occupent aussi. Si l'on veut illustrer le gaspillage d'argent et d'énergie en France, le tourisme fournit un bon exemple !

Monsieur Delaveau, la contractualisation au sein de l'intercommunalité pour mutualiser au niveau infracommunautaire et supracommunal que vous pratiquez est bonne, je l'ai d'ailleurs imitée à Lille. En revanche, laissons cela dans le règlement intérieur plutôt que de rigidifier en l'inscrivant dans la loi.

Je suis preneur de vos compétences sur les réseaux de chaleur ; ce serait un comble que de freiner dans ce texte la poursuite des objectifs du Grenelle I et du Grenelle II.

Nous essaierons d'obtenir de meilleures conditions d'examen pour le troisième texte. Sans quoi, ce serait une très mauvaise manière de légiférer. Non, tout n'est pas dans tout...

Mme Jacqueline Gourault. - Très bien !

M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances. - A Tours, ville de 297 000 habitants, nous organisons des réunions avec les maires, et les présidents du conseil général et du conseil régional y participent également. Mais ne figeons pas les choses dans la loi, sinon cela ne fonctionnera pas, on créera une usine - même pas une usine à gaz.

Nous devrons, un jour, parler des finances : le temps n'est pas encore venu, mais le projet de loi de finances pour 2014 ne va pas tarder. Sur les réseaux de chaleur, avançons avec les métropoles en sachant que la période est à la réduction des dotations aux collectivités territoriales - moins 1,5 milliard d'euros en 2014 et autant en 2015 - et qu'il faudra bien voir ce que l'on enlève au bloc communal...

M. Vincent Capo-Canellas. - Si je comprends bien, il y aurait, d'une part, la métropole à la lyonnaise avec un statut de collectivité et, de l'autre, une métropole d'équilibre en milieu urbain. Nos concitoyens reconnaissent le fait métropolitain et le réclament ; ils veulent plus de services. Tout le monde veut sa métropole ! Il faudra concilier ces différentes visions et attentes, sachant que la métropole videra dans certains cas le département de sa substance.

M. Dominique de Legge. - Merci à Mme Gourault d'avoir éclairci le souhait de Brest : un EPCI qui tienne compte du fait métropolitain. Avec des métropoles d'équilibre, en quoi le critère de 400 000 habitants se justifie-t-il ?

Après la création de la métropole rennaise, qui comptera 500 000 habitants, que deviendra l'Ile-et-Vilaine ? Un département centré sur les territoires ruraux ? Nous ne voulons pas opposer l'urbain et le rural !

M. Jean-François Husson. - Le découpage de la réforme en trois textes est problématique. Je suis partisan du développement de l'interterritorialité. Pour présider un SCOT de 500 communes dans le sud du département de Meurthe-et-Moselle, je sais que cela incite au dialogue et à la coopération. Cette notion d'interterritorialité résorbera la fracture ressentie entre le fait rural et le fait urbain. C'est en traitant des questions concrètes comme la collecte des ordures ménagères que nous ferons apprécier l'intercommunalité à nos concitoyens.

M. Daniel Delaveau. - Hormis Paris, Lyon et Marseille, les métropoles seront des établissements de coopération intercommunale. Le vécu de nos concitoyens, comme l'économie, évolue plus vite que nos institutions. Au législateur d'essayer de s'adapter, Monsieur de Legge, Rennes s'est vu déléguer la compétence sociale il y a plus de 25 ans. La convention, ou la contractualisation, est la bonne voie ; d'autant que la loi sera moins bavarde, elle ira plus vite à l'essentiel.

M. Fabrice Roussel. - Oui, faisons confiance à l'intelligence locale. Contrats de codéveloppement, communauté de communes, conseil des maires, conférences territoriales, les lieux de dialogue ne manquent pas. Il faut associer les conseillers municipaux et communautaires au projet de métropole. La réduction du nombre de vice-présidents aura des incidences : à Nantes, chaque maire était vice-président de l'EPCI, il faudra trouver un autre système de gouvernance pour la suite.

Nous n'avons pas besoin de demander un transfert de compétences du département, puisqu'il existe déjà une contractualisation. Le transfert des compétences de voirie, de transports scolaires, de zone d'activité économique ne nous pose aucun problème. Nous travaillons territoire par territoire et nous aurons un contrat métropolitain avec la région, comme nous avons aujourd'hui des contrats de territoire.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je tire de ces auditions une leçon : faisons confiance aux élus pour trouver les bonnes formes de coopération et élaguons la loi. Plus elle sera courte, plus elle sera forte.

Modernisation de l'action publique territoriale - Audition de l'Association des maires de France

La commission procède ensuite à l'audition de l'Association des maires de France.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous sommes très heureux de recevoir des représentants de l'Association des Maires de France (AMF). Madame Jacqueline Gourault, vous y jouez vous aussi un rôle éminent. Parce que les métropoles, dont nous parlons, sont constituées de communes et même de communautés de communes, nous sommes très soucieux de recueillir l'avis de l'AMF.

M. Christian Pierret, maire de Saint-Dié-des-Vosges. - C'est un honneur d'être auditionné par le Sénat. Le texte qui nous est proposé manque d'ambition par rapport au projet initial, voire de cohérence. On verse dans un aménagement de l'espace français qui ne correspond pas à notre tradition historique. Certaines aspérités déçoivent. Ainsi, le texte crée des contraintes lourdes pour les collectivités locales. Vous l'avez souligné, schémas et conférences s'empilent alors que nous sentons chez les ministres un élan véritable pour le desserrement des contraintes.

Nous craignons que l'on ne porte atteinte à la libre administration des collectivités locales. Parler de simplification à propos de ce texte est une plaisanterie ! On atteint un rare sommet de complexité !

Ce texte ne rapproche pas le citoyen de la décision. D'un côté, le citoyen élira les conseillers communautaires au suffrage universel direct ; de l'autre, on modifie les périmètres et les structures. Difficile de s'y retrouver. Nous comptons sur le Sénat et l'Assemblée nationale pour corriger ces incohérences.

M. Jacques JP Martin, maire de Nogent sur Marne. - Nous sommes tous en phase au sein de l'AMF, Mme Gourault peut en témoigner. Ce projet de loi traduit une conception rigide de l'intercommunalité. Les communes sont marginalisées, parfois réduites à une fonction d'exécution. Les schémas, régionaux comme départementaux, ne fonctionneront que dans une démarche de co-élaboration, et non de tutelle. Communes ou groupements doivent être associés à la gouvernance des schémas, d'autant qu'ils en supporteront les conséquences financières. Le développement de l'intercommunalité selon un principe de subsidiarité, voilà ce vers quoi il faut se diriger. La libre définition de l'intérêt communautaire est possible. Nous sommes contre les transferts en bloc, préjudiciables à une action publique de proximité, a fortiori contre les transferts obligatoires, comme celui de la voirie. Si le PLU peut être intercommunal, ce doit être avec l'accord des élus concernés. Nous savons gérer la mutualisation, la co-élaboration, la contractualisation ; et nous adapter aux spécificités des territoires. Ne nous contraignez pas dans un cadre légal trop étroit, une codification, une standardisation.

Le projet de loi n'envisage pas la consultation des conseils municipaux au moment de la création des métropoles : c'est difficilement acceptable. L'AMF propose que toutes les communes membres de la communauté de communes ou de la communauté urbaine concernée soient consultées, car une fois dans la métropole, elles ne pourront plus s'en retirer.

Pour les métropoles existantes, pourquoi ne pas procéder par décret ? Faut-il abaisser le seuil de création de métropole pour ouvrir la porte à Saint-Etienne, à Dijon ou à Brest ?

L'AMF est fermement opposée à la création de conseils de territoires ou de conférences locales des maires, source de complexité et de recul démocratique. Nous préconisons plutôt un conseil des maires, associé à l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques de la métropole.

A chaque fois que l'on touche à l'organisation du bloc communal, la question de l'impact financier se pose. Cela n'est jamais neutre... L'AMF n'a de cesse de le dire.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci pour vos interventions d'une clarté digne de Descartes ou de Boileau. La forme correspond parfaitement à l'objet.

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Vous demandez un assouplissement de la définition de l'intérêt communautaire : je vous ai entendu. Le débat étant fractionné, vous souhaiteriez avoir des garanties. Nous poserons demain à la ministre la question du calendrier exact. Les conditions d'examen des deux autres textes devront être améliorées.

J'ai dit sans ambiguïté que le fonctionnement de la communauté - notamment une conférence des maires - relevait de son règlement intérieur et était de nature contractuelle. Nous sommes tous d'accord sur ce point.

Sur le PLU intercommunal, nous aurons des rencontres plus approfondies. Il s'agit de garantir la coproduction entre la communauté urbaine en charge de la compétence PLU et les communes.

Dès lors que les règles sont claires, il faut une méthode de travail respectueuse des maires. La coproduction, cela fonctionne. Selon Montesquieu, le pouvoir arrête le pouvoir, mais les pouvoirs du PLU et de la délivrance des permis de construire, par exemple, ne se neutralisent pas, ils travaillent de concert. Je l'ai vu, cela marche. Et c'est à cela que nous aspirons, coproduction et mutualisation.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Belle interprétation participative de Montesquieu. Une séparation des pouvoirs constructive, en quelque sorte.

M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances. - Je partage l'inquiétude qui a été exprimée. La CTAP me paraît quelque chose d'infernal. La communauté d'agglomération de Tours est modeste : 22 communes, 277 000 habitants. Le bureau des maires se réunit régulièrement, avant toute décision. La ville de Tours a renoncé au nombre de sièges auquel elle pouvait prétendre pour respecter la diversité et apaiser d'emblée les craintes des autres, afin de promouvoir une démarche coopérative. Pourquoi l'inscrire dans la loi ? Laissons chacun libre de s'organiser. Nous avons ainsi créé un service qui instruit les demandes de permis de construire pour les petites communes. Notre communauté d'agglomération souhaite accéder au statut de métropole, puisque toutes les compétences lui ont été déléguées.

L'Etat accorde la compétence générale mais tout en réclamant des économies : c'est la grande ambiguïté du texte. Ce n'est pas habile, car on donne l'impression qu'il y aura une tutelle d'une collectivité sur les autres. Les régions risquent au passage de perdre du pouvoir ! Enfin, je regrette que l'on réduise d'1,5 milliard les dotations de l'Etat aux collectivités territoriales en 2014, puis à nouveau en 2015, sans parler de la péréquation à mettre en oeuvre. Quelle sera la part du bloc communal ? Nous y reviendrons dans quelques semaines. Quant à la dotation de solidarité communautaire, elle est bien trop faible. En matière de transition énergétique, à nous de mener le combat.

A propos de la simplification qui complique tout, Marcel Gauchet juge qu'une forme extrême de la démocratie peut conduire à sa disparition. Autrement dit, le mieux est parfois l'ennemi du bien.

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - Vous avez rappelé le rôle des intercommunalités en matière d'ingénierie, face au désengagement de l'Etat. Les très petites communes ont effectivement besoin de l'aide de la communauté. A mes yeux, la solidarité territoriale relève d'abord de l'intercommunalité.

Mlle Sophie Joissains. - Quelle stupeur de voir que certains territoires souhaitent devenir métropoles ! Chez moi, ce n'est pas le cas. La culture du Nord n'est pas celle du Sud : la même méthode ne vaut pas pour tous. Or, la loi ne tient pas compte de la volonté des collectivités. Plutôt que de faire confiance aux élus, on veut forcer les communes autour de Marseille à intégrer la métropole, quand 109 élus sur 119 sont contre, dont douze maires qui veulent quitter la communauté urbaine. Il faut savoir accompagner le mouvement, laisser le temps au temps. On veut créer la métropole Aix-Marseille-Provence dès 2015, mais nous sommes loin d'être prêts.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Au Nord, on aime le travail en commun, le vivre ensemble. Chez nous, un peu moins ! Nous avons vécu des moments difficiles lorsqu'il a fallu entrer dans une intercommunalité. Et nous en sommes sortis au bout de deux ans. Avec ce texte, il n'y aura plus de libre administration des collectivités locales : on ne leur demandera pas leur avis et elles ne pourront plus quitter la métropole une fois dedans. C'est du viol, du mariage forcé ! Ne bousculons pas les gens, nous n'y gagnerions rien.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le débat d'hier se poursuit, je vois ! Le sénateur maire de Marseille, il m'en a parlé ce matin, n'en a pas manqué une miette à la télévision ! Reste que la République est une.

M. Jacques JP Martin. - Je reviens sur la solidarité entre communes riches ou pauvres, pour autant que l'on puisse définir ce qu'est une commune riche. La mienne compte des habitants riches tout en connaissant des difficultés. L'intercommunalité est le bon niveau pour la péréquation. Je pense, entre autres, aux EPCI. La péréquation est plus supportable quand on est plusieurs, et que l'on peut mutualiser.

Le texte confie aux métropoles un bloc de compétences insécable intégrant les aides à la pierre, le Dalo et la compétence hébergement. L'AMF a toujours souhaité que ces deux dernières compétences relèvent de l'Etat, car il y va de la solidarité nationale. L'exercice de cette compétence par les intercommunalités serait source de conflits.

M. Christian Pierret. - Montesquieu, lorsqu'il voyageait, se rendait sur le point le plus haut d'une cible pour « regarder le tout ensemble », l'organisation et la cohérence.

Mais je veux attirer votre attention sur des détails.

L'article 3 fait des communes et EPCI les chefs de file de la mobilité durable et de la qualité de l'air - l'un des rares domaines où il n'y a ni textes, ni sanctions. Voudrait-on rendre les communes et l'intercommunalité responsables pénalement des décès qu'entraînent les microparticules ?

L'article 4, qui créée des CTAP au niveau régional, ne garantit pas une représentation équitable des communes. Articulons mieux les compétences et répartissons-les plus équitablement.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - J'ai moi aussi sursauté en voyant que l'on chargeait les communes de la qualité de l'air qui est aussi mobile que la mobilité dite durable. Il faudra changer cela car ce n'est pas respectueux !

Modernisation de l'action publique territoriale - Audition de l'Association des régions de France

La commission procède enfin à l'audition de l'Association des régions de France.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le Gouvernement est maître de l'ordre du jour : nous examinerons le premier texte de l'acte III de la décentralisation en commission le 15 mai, après l'interruption des travaux. Nous avons déjà procédé à 38 auditions en gardant les régions pour la fin. Que pensez-vous du dispositif proposé ? Que pensez-vous du texte sur les métropoles, et notamment de ses premiers articles, des compétences du chef de filât et des CTAP ? Que pensez-vous de la place faite aux régions et de leur articulation avec les métropoles ?

M. Alain Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF). - Le Sénat a conforté le rôle des régions dans la BPI, espérons qu'il en sera de même sur ce texte qui appelle de la part des présidents de région d'immenses réserves.

Nous sommes loin de l'acte fort de décentralisation qui s'impose. Les économistes, dont le professeur Nicolas Bouzou de l'université Panthéon-Assas, estiment qu'un système décentralisé favorise l'innovation dans les entreprises. En l'état, ce texte crée des doublons, ce qui alourdit le coût et rallonge le temps de l'action publique. L'emploi, le développement économique sont pourtant de la compétence des régions !

Le rétablissement de la clause de compétence générale ne fait pas l'unanimité chez les présidents de région : une majorité était plutôt pour une clarification précise des compétences. Une répartition claire des compétences serait un acte de responsabilité. A chaque fois que des compétences ont été transférées aux régions, elles ont été parfaitement assumées.

Il est inacceptable que la région n'ait plus de compétence en matière d'aménagement du territoire. La déposséder de l'aménagement du territoire est absurde, surréaliste, impensable. Idem pour le tourisme, où la répartition est claire : la région modernise les équipements touristiques, elle fait la promotion de la destination régionale. Imagine-t-on la Bretagne ne plus faire sa promotion comme destination de vacances ?

Autre exemple, le numérique qu'on donne aux départements au prétexte que ces derniers investissent davantage sur ce chapitre. Mais sans l'apport financier des régions, que se passera-t-il ? On ne pourra plus négocier avec les opérateurs au niveau régional. Ce texte, qui n'est pas de décentralisation, compliquera et renchérira l'action publique. C'est insensé ! Au reste, les départements investissent dans le réseau et pas dans les outils comme le fait la région.

Pourquoi revenir sur les expériences réussies, en Bretagne ou en Auvergne ? Non, décidément, cela n'a pas de sens.

La mobilité durable revient au bloc communal. Faut-il que les régions arrêtent de faire rouler les trains ?

Bref, de quelque bout qu'on le prenne, ce texte produit de l'insensé. Le summum est atteint avec la création des CTAP, sorte de troisième assemblée régionale, qui serait d'une lourdeur effarante. Il faudra bien voter les schémas. Ce sera un Sénat régional. On recrée les établissements publics d'avant 1985 où les élus venaient faire leur marché sur le budget régional. Le conseil des exécutifs est le lieu où nous pouvons réfléchir sur l'eau, l'irrigation agricole, les fonds européens, le foncier, et cela ne coûte rien ! On crée les CTAP car on ne veut pas trancher la question des compétences : c'est Ponce Pilate ! L'alourdissement des schémas et l'empilement des instances coûteront une fortune. Tout cela pour éviter de dire clairement qui fait quoi. Seul point positif, les dispositions concernant les financements croisés.

A propos des métropoles, je suis surpris, pour en avoir présidé une durant trois ans, de voir des transferts de compétences automatiques à une instance qui n'est pas élue au suffrage universel. Est-ce bien constitutionnel ?

On ajoute l'émiettement des compétences à l'émiettement des territoires. Nous sommes totalement hostiles au transfert automatique de la compétence économique à la métropole. Les politiques de filière et de cluster ne s'arrêtent pas aux frontières des agglomérations. Que je sache, nous ne voulons pas de villes-Länder ! Ce texte est l'antithèse de ce que le législateur a voulu en 1982 et qui a bien fonctionné. L'amélioration des trains et du réseau ferré s'est vérifiée aussi bien en Aquitaine qu'en Alsace.

Les 60 % du tissu industriel situés en milieu rural, les 2 millions d'euros d'investissement par an de la région dans le développement économique plaident pour le maintien de la compétence économique à la région. Sans compter que les métropoles devront s'équiper de services et de personnel : le texte accélérera la dépense publique dans des proportions explosives, au moment où l'on veut précisément la réduire.

Si nous ne sommes pas contre le fait urbain -ce serait absurde, d'ailleurs- nous ne voulons pas d'étalement des compétences. Je note que les deux principales préoccupations des Français, l'emploi et le logement, n'ont pas de responsable clair ! Etat, départements, régions, métropoles se partagent les questions de logement, et sur l'emploi les intervenants sont innombrables : 173 établissements publics en Aquitaine. Il faut un chef de file.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Votre discours est très clair. Est-il une chose dans ce texte qui ne vous déplaise pas ?

M. Alain Rousset - Difficile question...

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Avec pragmatisme, nous nous efforcerons d'améliorer le texte.

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Le réquisitoire me semble un peu sévère même si je partage certaines de vos inquiétudes. Tout ce qui concerne l'emploi et l'insertion est d'une rare complexité. La confirmation de l'attribution des compétences économiques et formation professionnelle à la région devrait néanmoins vous convenir.

Je crains que la gestion des fonds européens ne soit un miroir aux alouettes : l'Etat a déjà préempté 60 % des crédits du fonds social pour Pôle emploi. La délégation de cette compétence ne donnera pas forcément une marge de manoeuvre supplémentaire.

Le tourisme est très convoité, départements et métropoles réclament aussi cette compétence. Quant à l'aménagement du territoire, nous avons l'intention de le rendre aux régions. Je suis plus partagé sur le numérique : il faudra une autorité organisatrice qui mette en oeuvre cette compétence.

D'accord sur les règles pour les financements croisés. Les attacher au système des schémas est lourd, mieux vaut revenir aux conseils exécutifs. Cela dit, certaines politiques nécessitent de la transversalité car elles mobilisent beaucoup d'acteurs, dont l'Etat. Clarifions en rappelant tout de même que les financements croisés étaient très menacés il y a peu.

J'en viens aux relations entre région et métropole, autre chapitre important. La région doit conserver l'aménagement du territoire, je l'ai dit. J'appelle, en revanche, à une contractualisation des compétences de la métropole avec la région ou avec le département.

Je vous ai trouvé un peu dur. Cela étant, étant donné que les régions vont être renforcées, il est légitime qu'elles demandent une clarification sur « qui fait quoi » !

M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances. - L'exercice n'est facile ni pour les parlementaires ni pour le Gouvernement. Nous sommes dans une République unitaire décentralisée, dont la Constitution, en son article 72, interdit la tutelle d'une collectivité sur une autre. Espérons que nous avancerons dans le débat. Le rétablissement de la clause générale de compétence repousse malheureusement la discussion. Disons-le : il y a des raisons politiques et l'on ne va pas proposer ce qui l'a été avant ; il y a des impératifs financiers, avec la nécessité de réduire la dépense publique. De là, la CTAP, façon pour l'Etat de dire, « il faudra guillotiner l'un ou l'autre, choisissez ensemble qui le sera ». Les régions pourront se retrouver mises en minorité, pour des raisons politiciennes, ce qui sera intenable. Beaucoup le critiquent, au reste. Les élus passeront leur vie dans des réunions de coordination où l'on parlera schémas pendant des mois alors qu'il faudrait des circuits courts, des décisions rapides. Mieux vaut des conférences d'exécutifs dont l'organisation sera adaptée à chaque région. L'unité républicaine des valeurs ne signifie pas l'uniformité des pratiques.

Les négociations sont allées bon train sur les chefs de filât. Il a fallu donner un peu à chacun, dans la précipitation. La communauté d'agglomération aura la police du ciel, la qualité de l'air... Formidable !

Les métropoles seront de plusieurs sortes : des collectivités pour Paris, Lyon et Marseille ; des EPCI pour les autres. Les grands traités de stratégie militaire insistent sur l'importance des alliances. J'ai trouvé la charge contre les communautés urbaines un peu sévère...

La compétence transport est déjà partagée entre la région qui gère les TER, le département et l'agglomération qui gèrent les transports urbains. Rien ne me choque sur ce point.

Nous n'avons pas à nous mêler de la compétence emploi. Quant à l'économie, je n'entre pas dans le débat qui ne concerne que Paris et Lyon. D'accord pour que seules les régions accordent des aides directes pour le développement économique, à condition qu'il y ait un dialogue.

Le tourisme est une compétence partagée : la Loire à vélo va du Mont Gerbier de Jonc à Saint-Nazaire et les Châteaux de la Loire ne se trouvent pas que dans le Loiret ! Gérons les choses de manière adaptée.

En tant que rapporteurs, nous serons obligés d'être plus nuancés que vous, qui tirez à la kalachnikov ! Du reste, les présidents de région ne sont pas tous sur cette ligne défensive.

M. Alain Rousset. - Offensive !

M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances. - La décentralisation est un sujet à prendre au sérieux, disons clairement ce que pensent les uns et les autres.

Nous reviendrons plus tard sur les aspects financiers. Nous devrons arriver à développer d'autres ressources que les recettes fiscales. Une famille qui doit coup sur coup payer la taxe d'habitation, l'impôt sur le revenu, la taxe sur les ordures ménagères et la taxe foncière finit par trouver que le maximum est atteint. Or, les dotations aux collectivités territoriales vont baisser de 1,5 milliard en 2014 et à nouveau en 2015. Sans oublier que les régions ne sont pas encore entrées dans la péréquation.

M. Yves Krattinger. - Le très haut débit sera mieux traité de manière mutualisée au niveau régional. En même temps, ne faut-il pas partager cette compétence entre région, département et intercommunalité ? La région ne doit-elle pas être avant tout garante de la solidarité sur le très haut débit ?

J'en viens aux transports. Un syndicat mixte d'aire régionale qui produirait de l'information pour tous, qui s'occuperait de la billetterie et qui assurerait l'intermodalité vous conviendrait-il ? J'ignore pourquoi cette solution, qui avait l'accord des régions et du ministre Cuvillier, a été écartée.

Les Bretons ont joué un rôle important dans la rédaction de l'article sur les CTAP. Je m'étonne que M. Rousset n'ait pas parlé du préfet. Les conférences sont-elles le lieu pour déléguer ou transférer de nouvelles compétences de l'Etat, ce qui justifierait la présence du préfet ? Cette conférence sera pléthorique : au bas mot 63 membres en Rhône-Alpes sans les préfets. Un sur dix viendra pour savoir ce qu'il donnera aux autres, les neuf autres viendront chercher des sous. Drôle de conférence ! N'y a-t-il pas un risque d'enlisement ou de pourrissement après les échéances électorales ? Que proposez-vous à la place, messieurs les rapporteurs ?

Mlle Sophie Joissains. - Quelles sont les propositions de l'ARF sur le lien entre métropoles et régions ?

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je suis d'accord avec nos rapporteurs et avec M. Krattinger. Cette conférence doit être complètement revue, laissons l'initiative aux élus locaux. Dans chaque région, il y aurait un conseil économique et social, un conseil de développement, un conseil régional et une conférence territoriale ... Que d'heures de réunions !

M. Alain Rousset. - M. Krattinger, s'exprimant certes de manière plus sénatoriale, dit la même chose que moi. Ce texte pose plus de questions qu'il n'en résout. Il a connu douze versions, M. Krattinger le sait bien, et aucun arbitrage clair n'a été rendu à la fin. Avec la sensibilité politique qui est la mienne, je ne peux que vouloir respecter les orientations fixées par le Président de la République : simplification, responsabilité, efficacité, proximité.

Comment redresser l'économie avec des régions ridicules par rapport aux Länder allemands ? Alors qu'il faudrait un interlocuteur unique pour les entreprises, je regrette le retour à cette défiance si française à l'égard des régions.

Le Président de la République a mis le doigt sur la nécessité d'investir, de mener une politique de l'offre. Nous avons un parallélisme parfait entre l'organisation industrielle et l'organisation administrative : des grands groupes attirés par l'international et des PME sous-traitantes. Un Etat tout puissant et des régions faibles ... L'Etat a créé des grands groupes, les régions créeront des entreprises de taille intermédiaire et sans rien prendre à personne. Nous produisons de la coopération et de la collaboration avec les départements et les intercommunalités : qui peut en dire autant ? Quelle autre collectivité le fait ?

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Quand une agglomération veut piloter un pôle de compétitivité, en prenez-vous ombrage ?

M. Alain Rousset. - Non, si elle le finance comme la région, car qui paye commande ! Encore une fois, 60 % du tissu industriel se trouve en zone rurale et l'évolution économique et démographique se porte plus vers les villes moyennes que sur les grandes villes. Je n'ai jamais demandé à ce qu'une compétence du département ou de l'agglomération revienne à la région. Mais nos régions sont des naines ! Qui a rénové les bâtiments universitaires ? En Aquitaine, j'y ai consacré 10 % du budget, le logement étudiant aussi. En 2009, nous avons construit 30 % du logement neuf. Nous voulions faire plus pour les universités, les présidents d'université n'en ont pas voulu. Regardez le bilan des lycées, surtout professionnels !

M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances. - Certains présidents d'université n'ont pas suivi car il faut de l'interrégional pour la recherche.

M. Alain Rousset. - Ce qui manque, c'est un lieu d'intelligence économique et de prospective. Une ville, une agglomération, un département peuvent bien sûr intervenir en matière de développement économique. Mais le système d'aide directe aux entreprises, c'est autre chose. Ne créons pas des concurrences entre territoires de proximité qui s'arrachent entreprises et emplois. La délocalisation, c'est soit à 1 000 kilomètres, soit à 5...

Notre inquiétude est de voir les régions régresser si l'un émiette la compétence de développement économique. Privilégions la contractualisation et l'ouverture. Je me suis battu pour récupérer l'orientation scolaire - car le service public de l'orientation a disparu. Une orientation choisie, c'est une formation et un emploi à la clé. Dire à nos concitoyens qu'il y a désormais un responsable identifié, cela changera les choses ! La formation ? Nous aurons les détenus, l'illettrisme et les handicapés. Pourquoi pas ? J'ai anticipé sur les détenus : bilan 100 % positif, y compris sur la récidive. Mais la compétence orientation-formation-emploi est cohérente : sortons du fonctionnement en silos si français. Lisez Rifkin !

M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances. - L'homme des réseaux !

Le Québec réussit à lutter contre l'échec scolaire en fonctionnant en réseau avec un pilote.

M. Alain Rousset. - Chaque fois qu'une région a géré les fonds européens, cela s'est mieux passé qu'avec l'Etat. Cela vaut pour le Feder. Je regrette que nous ne puissions gérer le Fonds Social Européen (FSE) ; dommage, il n'y avait pas de crainte à avoir. Dans une région, 35 % du budget de formation vont à l'insertion.

Un mot sur le budget. Notre collectivité est celle qui a le moins de ressources dynamiques. La CVAE, la TIPP déclinent ! Paradoxe, la collectivité chargée du développement économique est la moins dépendante fiscalement de la réussite économique. Le bon sens voudrait que l'on ait une ressource incitative. Les nouvelles recettes proviendront des usagers. Ces derniers financent les TER à 30 % : le reste, ce sont les régions - qui font le chiffre d'affaires de la SNCF, mais passons...

Sur le numérique, les zones denses ont été affectées au privé et les zones non rentables aux régions. Il faut bien une coopération pour proposer à l'opérateur une masse critique de prises. Seule la région peut le négocier ! Le fonctionnement actuel n'est pas si mauvais que ça.

Sur les transports, mes collègues s'inquiètent des lourdeurs de gestion qu'entraînerait un syndicat mixte. L'exemple lyonnais fonctionne. Mais est-ce du domaine de la loi ? Les CTAP ? De grâce, revenez aux conseils des exécutifs !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Vous avez fait passer le message avec force. Nous en tiendrons le plus grand compte.

Jeudi 25 avril 2013

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -

Modernisation de l'action publique territoriale - Audition de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique et de Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation

La commission entend tout d'abord Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique et de Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Au nom de nous tous, je souhaite la bienvenue à Mmes Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, et Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation. Mesdames les ministres, vous accueillent des membres de toutes les commissions, ainsi que Mme Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, et les rapporteurs de diverses commissions : MM. René Vandierendonck pour la commission des lois, Jean Germain pour la commission des finances et Claude Dilain pour la commission des affaires économiques.

Vous savez l'importance que le Sénat accorde à ces projets de loi relatifs aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Le gouvernement a inscrit un premier texte à l'ordre du jour de notre assemblée le 30 mai prochain. La commission des lois s'en saisira dès le 15 mai. Nous avons d'ores et déjà auditionné publiquement près de quarante élus en deux jours. Tous ont parlé avec leur coeur, mais aussi leur raison, et présenté de précieuses remarques.

Initialement, vous nous aviez présenté un seul texte. Nous sommes un certain nombre à avoir souhaité qu'il y eût trois textes courts, chacun doté d'un objet précis, présentés et discutés ensemble afin que l'architecture du projet fût particulièrement lisible. Il y a eu division en trois textes. Je ne suis pas sûr que les objectifs aient été pleinement atteints. Mais le travail parlementaire commence désormais, sans que la procédure accélérée ait été déclarée.

Le message lancé par les élus, toutes tendances politiques confondues, tient en deux mots : simplicité et confiance dans les libertés locales. Ainsi, les présidents de région et de département, qui savent l'utilité de la concertation, s'interrogent lorsqu'une nouvelle instance de soixante personnes est créée pour examiner un enchevêtrement de schémas. Ne peut-on plutôt avancer ensemble vers un projet plus lisible, plus simple, qui fasse davantage confiance aux élus ?

Cela étant dit, nous avons besoin de régions fortes, de métropoles d'avenir, nous voulons préserver les communes où bat le coeur de notre démocratie, mieux articuler les intercommunalités, et protéger les solidarités tissées par nos départements.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique. - Je vous ferai peut-être un jour le compte-rendu des auditions que nous avons conduites en amont de l'écriture de ce projet de loi : il vous faudra alors plusieurs heures pour les consulter. Anne-Marie Escoffier et moi-même vous remercions de l'important travail que vous avez accompli depuis le début de la semaine.

Le projet que nous vous présentons s'inscrit dans un contexte qu'il est important de rappeler. Le chantier de la modernisation de l'action publique (MAP) a été lancé, afin d'adapter notre action publique aux défis du XXIe siècle. L'évaluation des politiques publiques conduites par l'Etat et les collectivités territoriales en est une composante importante. En outre, des négociations ont été engagées avec la fonction publique, dans le cadre de l'agenda social ouvert par le Premier ministre au mois de juillet dernier.

Nous souhaitons en même temps l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, de deux textes que vous avez portés, l'un relatif à la simplification des normes et l'autre portant sur le statut de l'élu. Tout cela participe du même ensemble.

Nous devons dessiner la puissance publique du XXIe siècle dans une société en crise. Les Français ont en effet besoin de services publics, et les procès en gabegie n'ont pas lieu d'être. L'évolution des collectivités territoriales que défend notre projet est au coeur des soucis de nos concitoyens, même s'ils ne l'expriment pas ainsi. Nous savons bien que, sans notre réseau d'élus locaux, la crise se serait fait sentir bien plus douloureusement.

Notre projet de loi respecte la diversité des territoires et fait confiance à leurs élus. Il reconnaît, trente ans après les premières lois de décentralisation, et à rebours de ce qu'on lit trop souvent, que les élus ont bien agi. Nous sommes las de ces marronniers sur les élus laxistes, indifférents à la rationalisation de la dépense publique. Ce texte s'est chargé d'un certain nombre de descriptions, sur la formation professionnelle ou sur les transports. Initialement court, esquissé avant même la campagne présidentielle, il s'est enrichi des Etats généraux de la démocratie territoriale et des discours du président de la République et du président du Sénat. Les 140 articles qui le composent aujourd'hui nous ont incités à vous le présenter en plusieurs parties.

Ce projet de modernisation de l'action publique n'est pas un texte sur les métropoles. C'est un projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi, des départements pour l'égalité des territoires, et de développement des solidarités, qui ne sont pas moins essentielles que la compétitivité pour l'avenir de notre pays. La procédure d'urgence ne sera pas utilisée, afin de laisser une large place à l'initiative parlementaire. Je rappelle enfin les mots d'ordre de cette réforme, que le président de la République a énoncés le 5 octobre dernier sont : confiance, clarté, cohérence et démocratie.

L'efficacité de l'action publique est un objectif essentiel. Nous devons témoigner de la confiance placée dans l'Etat et dans les collectivités territoriales. Après trente ans de libre administration des collectivités, nous proposons une libre organisation de l'action publique. C'est une nouveauté qui peut susciter la perplexité. Ce n'est pas une nouvelle vague de décentralisation, car il reste peu de compétences à transférer, mais plutôt un moyen de contribuer au redressement économique et social de notre pays. Il ne saurait y avoir de redressement de la France sans redressement des territoires. Anne-Marie Escoffier conduit en ce moment des groupes de travail sur les finances locales, dans la perspective des projets de budget pour 2014 et 2015.

Ce texte constitue l'acte I de notre projet, et non l'acte III de la décentralisation. Il réaffirme dans un premier titre, la libre administration des collectivités territoriales. Conformément à l'engagement du président de la République, il énonce la clause générale de compétence, à condition que les chefs de file soient clairement identifiés. Nous faisons ainsi confiance aux élus de France pour élaborer, au sein d'une conférence territoriale de l'action publique (CTAP) réunie dans chaque région, un pacte de gouvernance territoriale destiné à rendre la répartition des compétences plus lisible pour nos concitoyens.

D'aucuns s'émeuvent de ce que le représentant de l'Etat dans les territoires en fasse partie. La régionalisation, qui est un volet capital de la décentralisation, n'est viable que si l'Etat est fort, garant, protecteur. Pour des raisons de géographie, d'histoire, de culture, une région pourrait en effet demander seule une délégation de compétence supplémentaire. Beaucoup ont été déçus, le mot d'expérimentation est absent du texte, car toute compétence transférée pour expérimentation est destinée à être conférée à toutes les autres collectivités ou bien retirée à la collectivité qui l'a demandée. Or, nous pensons que certaines compétences peuvent être confiées à certaines collectivités et pas à celles qui ne la souhaitent pas. C'est la raison d'être de la conférence territoriale de l'action publique.

D'autres s'émeuvent d'être à la table de cette conférence sous l'autorité du président du conseil régional. C'est sans doute par facilité que nous lui avons confié l'organisation de cette conférence. Il n'en déterminera bien sûr pas l'ordre du jour, ni les finalités.

Le président de la République tient en outre à l'affirmation du fait urbain. Nous devons également régler les problèmes de Paris, Lyon et Marseille. Dans la première, les deux grandes questions à traiter sont celles du logement et du transport. Nous proposons qu'en zone dense, des autorités organisatrices soient créées dans un cadre régional bien défini, ce qui a apaisé les craintes de la région Île-de-France. Anne-Marie Escoffier reviendra sur Lyon. Après ses visites de terrain, le Premier ministre a constaté que l'Etat remplissait à Marseille ses missions sur le port, l'aéroport, Gardanne, Fos, ITER, mais que de grandes difficultés subsistaient dans l'organisation de l'ensemble Aix-Marseille-Provence, les transports, la répartition des logements, et dans certains secteurs économiques. Nous reviendrons sur toutes ces questions dans le respect de la proximité qu'incarnent les conseils de territoire.

Enfin, nous devons agir vite car le fait urbain représente de grandes chances, mais aussi d'importantes difficultés. Après trente ans de décentralisation, le bilan que nous dressons est incontestablement positif. Tous nos territoires ont progressé, tous ont connu de grandes réalisations. Nous encourageons aujourd'hui le développement économique et une prise en compte plus forte de la jeunesse. Dans le texte suivant, nous n'oublierons pas les solidarités sociales et territoriales. Lorsque les trois textes seront votés, tous nos territoires participeront mieux au développement de la France.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation. - Certains des mots qui ont été prononcés rencontrent, je le sais, un écho fort parmi vous. C'est le cas de la confiance. Sur le terrain, nous voyons bien qu'il prend tout son sens lorsque nous expliquons ce que nous voulons faire.

Notre projet poursuit trois objectifs. D'abord, nous voulons rendre toute son efficacité à l'action publique, après des années de complexité dans les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales. Deuxième priorité : la clarification. A chaque niveau, le fonctionnement et la gouvernance des collectivités sont régis par ce principe. La maîtrise des dépenses enfin, priorité essentielle dans le contexte qui est le nôtre. C'est le cas au niveau des régions, des départements, comme des métropoles. Nous développons les solidarités, en préservant le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

Bien qu'il divise la réflexion en trois temps, ce texte reste parfaitement cohérent. Chaque temps enrichira la cohérence de l'ensemble. Relatif à l'égalité des territoires, le deuxième texte place côte à côte les régions et les départements, lieux de solidarité, liens entre toutes les collectivités.

La métropole lyonnaise est singulière. Son statut de métropole de plein exercice correspond à sa géographie, à son histoire, à sa culture. Nous aurons également à évoquer les métropoles de droit commun, en phase avec le fait urbain que nous avons évoqué.

M. René Vandierendonck, rapporteur de la commission des lois. - Rappelons avec notre président que le Sénat est à l'origine des trois tomes. Vous avez parlé de confiance : nous attendions un mot sur le sort réservé aux deux propositions de loi relatives l'une à l'allègement des normes et l'autre au statut de l'élu - celle-ci est, par les temps qui courent, attendue comme la soif attend l'orange.

Nos quarante auditions n'ont rien à envier aux concertations auxquelles vous avez procédé. A l'issue de celles-ci, vous sécuriseriez votre démarche si vous pouviez nous indiquer des éléments précis de calendrier d'examen et même, dans mes rêves les plus fous, vous nous diriez quand seront examinés les tomes 2 et 3 de votre projet, de sorte que nos rapporteurs seraient désignés assez tôt pour travailler confortablement. La manière d'entrer dans le débat déterminant sa tonalité, cela conditionne le climat de confiance que vous appelez de vos voeux.

M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances. - Ce texte comporte deux parties : la première sur les compétences et sur la conférence territoriale de l'action publique, la seconde sur les métropoles, nouvelles collectivités, et les métropoles d'équilibre, sortes de communautés urbaines améliorées. Je pensais donc que nous abordions l'acte III de la décentralisation, mais vous dites qu'il ne s'agit pas de cela.

Rappelons-nous que cette réforme intervient après la fronde des élus locaux contre un projet de recentralisation qui avait donné lieu au résultat que l'on sait lors des élections sénatoriales. Or, ce qu'une loi a fait, une autre peut le défaire... Ce texte intervient également dans un contexte de déséquilibre financier des collectivités territoriales, après la disparition brutale de la taxe professionnelle. Il arrive enfin après le référendum alsacien, dont le résultat a indiqué, contrairement à tous les pronostics, que les électeurs font toujours le choix de la proximité sur l'unification technocratique.

70 % des personnes que nous avons auditionnées - maires ruraux, maires de grandes villes, présidents de conseils généraux et de conseils régionaux - sont réservés sur la CTAP. Alors que certains auraient souhaité avoir le choix - c'est mon cas -, tous récupèrent la clause générale de compétence. Champagne pour tout le monde ! Réunissez-vous sous l'autorité du préfet ou la direction du président du conseil régional pour savoir où le boire et comment le payer ! Les gens le ressentent très mal. Les présidents de région craignent d'être contestés, personne ne voudra d'un protecteur de Bohême-Moravie. Beaucoup d'élus considèrent que l'organisation est lourde : près de 70 participants, une réunion supplémentaire, tout cela pour beaucoup de blabla.

L'uniformité soulève des remarques. On peut faire différemment en Bretagne et en Franche-Comté. Bref, la conférence territoriale n'est pas la bienvenue. Certes, il nous faut des lieux de discussion. Il y avait une conférence régionale des exécutifs. Cette instance-là s'annonce invivable.

L'accord sur la métropole lyonnaise vient de loin. Tout était bien huilé, comme la cuisine locale. Il y a suffisamment de Parisiens dans la salle et je suis suffisamment provincial pour ne pas me mêler de la métropole parisienne.

M. Gérard Larcher. - Il faudra quand même le faire...

M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - Quant à Marseille, on sent que le projet n'est pas mûr.

Les présidents et représentants des grandes villes, des communautés, des communautés urbaines de France ont tous estimé que le statut de métropole sous forme d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), cette communauté urbaine améliorée, était satisfaisant. Voilà un point qui a fait l'unanimité, à l'exclusion d'une seule personne.

Un mot sur les aspects financiers. Je commence à réunir des collègues pour travailler sur les ressources non fiscales, car les dotations de l'Etat n'augmenteront sans doute pas, et la fiscalité approche de ses limites, celle de l'Etat comme celle des collectivités territoriales. Comment continuer à investir ? Voilà notre problème. Réunir les gens sous la tutelle du préfet est une chose, investir vraiment en est une autre.

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Il y a un très large accord sur les mots d'ordre de clarté et de confiance. Je voudrais leur adjoindre simplification et spécificité, qui leur sont conséquents. Faire confiance aux élus, c'est admettre que l'on ne peut régler tous les problèmes avec une solution unique. D'ailleurs, ce texte reconnaît déjà trois spécificités : celles de Paris, Lyon et Marseille. Dans un pays décentralisé, l'absence de confiance envers les élus locaux serait en outre inquiétante.

Les auditions ont révélé deux conceptions de la métropole. Au nom d'une vision stratégique, certains réclament la responsabilité des aides à la pierre et laissent par exemple la gestion du droit au logement opposable à d'autres acteurs, tandis que d'autres veulent exercer les deux compétences. Les deux options se justifiant, il faut les considérer dans la confiance et en fonction des spécificités.

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - Après avoir entendu un certain nombre d'élus, il apparaît que la métropole suscite la confusion. Ce terme recouvre des réalités ou des projets assez différents. Certains pensent à un EPCI, d'autres parlent d'une collectivité territoriale dénommée métropole, comme à Lyon. Cette confusion est source d'angoisse pour les communes qui se regroupent en EPCI, qui craignent de disparaître. Il faut un autre vocable.

En matière d'action publique, il importe de restituer au préfet de département les pouvoirs qu'il a perdus. Les élus l'attendent.

Mlle Sophie Joissains. - Mon territoire n'est pas prêt pour une métropole. Celle-ci n'est soumise au respect d'aucune obligation d'équité territoriale, elle doit donc reposer sur la confiance. Or, nos territoires sont jeunes, les intercommunalités n'existent que depuis dix ou douze ans, et nous commençons tout juste à travailler ensemble. Et la ville de Marseille, bien qu'elle ne fasse que 46 % de la population de la métropole envisagée, aura une influence considérable sur l'ensemble, ce qui ne peut qu'effrayer les petites communes.

Le Sud n'a pas la même mentalité que le Nord. J'ai entendu hier avec stupéfaction certains territoires bretons appeler de leurs voeux la création d'une métropole... Les craintes des petites communes par rapport à la ville phare ne sont pas un fantasme - je parle en connaissance de cause. De plus, le périmètre retenu est curieux, et c'est légitimement que les EPCI de Camargue, en difficulté financière et économique, demandent à ne pas être exclus de la compétence transports.

Nous sommes 109 communes sur 118, dont 12 font partie de la communauté urbaine de Marseille, à ne pas vouloir entrer dans la métropole, mais prêts à travailler ensemble. Dans un premier temps, nous avons voté la création d'un pôle métropolitain, alternative ouverte par la loi du 16 décembre 2010. Dans un second temps, nous avons conçu un établissement public sur le modèle de Paris, dans lequel l'Etat pourrait être présent, et où nous mettrions en oeuvre des compétences stratégiques.

Les conseils de territoires issus de la réflexion gouvernementale encouragent en quelque sorte notre travail de concert. A la lecture du texte, il semble qu'ils soient calqués sur les mairies d'arrondissement. Hélas ! Nous n'avons pas d'autonomie financière, et les dotations seront redéléguées aux métropoles, ce qui suppose des transferts de personnels énormes contre lesquels la CGT a déjà manifesté à Marseille. En outre, nous ne pourrons lisser ces coûteux transferts que sur cinq ans, ce qui risque fort de provoquer des mouvements sociaux importants, dans une région où le sang est déjà chaud...

Voilà qui me laisse à juger opportun pour quelques années encore le modèle d'un EPCI seul compétent dans les domaines les plus stratégiques.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Tous les Français ont le sang républicain et sont adeptes de la solidarité du nord au sud.

M. Dominique de Legge. - Comme vous avez dit qu'il fallait faire confiance aux élus, je m'interroge sur la nécessité de développer aussi précisément l'article 3 sur les conférences territoriales. Pourquoi fixer un seuil de 50 000 habitants pour les EPCI appelés à y participer ? En Bretagne, le président Le Drian n'a pas eu besoin de la loi pour mettre en place une telle conférence : est-il indispensable d'aller si loin ? La région a engagé dans la perspective de cette loi une réflexion, dont la conférence territoriale ne partage pas les conclusions... Soyons prudents et faisons confiance aux élus.

Comment est-il possible de concilier la clause de compétence générale et le principe de libre administration des collectivités territoriales avec l'article 9 du texte qui interdit à la région toute subvention aux départements et communes ne respectant pas les orientations du schéma régional ?

Le projet crée les métropoles, pourquoi pas, mais comment comprendre, dans un texte qui vise une clarification et une simplification, que l'article 31, avec les conseils de territoire, introduise une couche supplémentaire entre les communes et ces nouvelles métropoles ?

M. Philippe Dallier. - Simplicité, efficacité ? Pour ce qui est de la simplicité, on a plutôt du mal à s'y retrouver entre l'achèvement de l'intercommunalité en petite couronne, la création de la métropole du Grand Paris et l'établissement du conseil des maires d'Ile-de-France.

Quant à l'efficacité... Les maires ont actuellement la main sur les permis de construire, les programmes locaux de l'habitat (PLH), et les plans locaux d'urbanisme (PLU) ; il revient au préfet, lors du porté à connaissance, de veiller au respect de l'article 55 de la loi de solidarité et de renouvellement urbain (SRU) ; nous disposons aussi du schéma directeur de la région Ile-de-France (SDRIF) qui répartit globalement le nombre de logements entre les départements. Vous proposez que les maires tiennent toujours les permis de construire mais que les PLH et PLU puissent devenir intercommunaux, par plaques de 300 000 habitants. Est-ce vraiment à ce niveau que l'on veillera à la mixité sociale en Seine-Saint-Denis ; quand on aura découpé ce département en quatre ou cinq plaques, en quoi aura-t-on rééquilibré la métropole ? A quoi bon confier à celle-ci le soin de fixer des objectifs opposables, puisque l'Etat le fait déjà et qu'il restera le garant de l'application de l'article 55 de la loi SRU ?

Il y avait deux grandes hypothèses. La première, que je défends depuis 2008, était celle de la métropole intégrée, constitutionnellement possible et adaptée aux spécificités de la petite couronne, quitte à ce que la grande couronne ait sa propre organisation. La seconde était la mise en oeuvre d'une vision régionale avec le renforcement de pouvoirs que demande la région - se poserait alors la question des départements, dont votre texte ne traite d'ailleurs pas. Vous vous contentez de poser un énième cautère sur une jambe de bois, en créant un fonds destiné à sauver la Seine-Saint-Denis de la faillite. La fusion des quatre départements aurait, sans dotation supplémentaire, un puissant effet péréquateur.

Vous arrivez avec un texte qui ne choisit ni une hypothèse ni l'autre. Vous espériez peut-être satisfaire tout le monde en ajoutant une couche, vous ne faites que des mécontents : je ne vois pas comment ce texte pourra être adopté. Certains critiquaient mon rapport en dénonçant la création d'un énorme machin de 7 millions d'habitants ; le vôtre en englobe 10 millions. J'ai un peu de mal à comprendre.

Les limites départementales devront-t-elles obligatoirement être respectées pour la création d'intercommunalités en première couronne ?

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le loi autorise des intercommunalités qui dépassent les limites du département.

M. Philippe Dallier. - Le préfet du Val-d'Oise n'a pas accepté que Bonneuil se lie en intercommunalité avec Le Bourget et Drancy. La plupart des villes de Seine-Saint-Denis chercheront à se tourner vers l'extérieur. Si les départements sont conservés, où sera la cohérence d'ensemble ?

L'étude d'impact me semble légère : combien de centaines de millions d'euros, la mise en place des nouvelles intercommunalités dans l'agglomération parisienne va-t-elle coûter à l'enveloppe normée ? Des centaines de millions. J'invite nos collègues de province à y réfléchir.

Beaucoup disent que ce projet est une première étape. Sauf qu'avec ce genre de texte, nous en prenons pour vingt ou vingt-cinq ans. Le Premier ministre a déclaré qu'en 2020, le président du Grand Paris serait élu au suffrage universel direct. Très bien, mais comment ? Nous aurions un système à trois couches - les communes, les plaques de 300 000 habitants et une super intercommunalité, dont le président serait élu au suffrage universel ? Cela ne tient pas 5 minutes ! Si l'objectif est de préparer une nouvelle étape en 2020, autant y passer directement.

M. Philippe Kaltenbach. - Le premier mérite du projet de loi est d'affirmer le fait métropolitain. Cela ne se fera qu'au détriment du département, collectivité qui n'est plus adaptée aux grandes agglomérations. Sans partager toutes les analyses de notre collègue Dallier, j'estime que dans la mesure où l'objectif en Ile-de-France est d'apporter des réponses concrètes en matière de transports, de logement, d'emploi et d'équipements publics, la création du grand conseil métropolitain doit s'inscrire dans une perspective de fusion des départements de la zone agglomérée. Cette étape devra être prévue par le texte ; faute de quoi, la réforme sera difficile à expliquer à nos concitoyens.

Nombre d'élus considèrent que les seuils de 300 000 et de 200 000 habitants fixés respectivement pour les intercomunalités en petite et en grande couronnes sont élevés. En outre, la définition des critères de péréquation entre les départements appelle de la transparence, car ils suscitent beaucoup d'inquiétude. Ce texte, qui va dans le bon sens pour l'Ile-de-France, mérite d'être mis en perspective afin de répondre efficacement aux attentes concrètes de nos concitoyens. La métropole constitue une solution ; à mon avis, l'échelon départemental est celui qui a le moins de sens dans l'agglomération parisienne.

M. Jean-Jacques Hyest. - Que ce projet se focalise sur les métropoles nous rajeunit de quelques années : quand nous avions débattu des métropoles en 2009 et 2010, il y avait les vraies et les fausses ; l'on avait dû inventer les aires métropolitaines, ces coopérations entre grandes intercommunalités qui mettaient tout le monde d'accord. Puis est arrivé le schéma abouti qui nous est présenté et qui repose sur les coopérations locales existantes ; attention toutefois : l'Alsace nous a montré que la population entend parfois les choses différemment. Il y a Lyon, où le projet a sa cohérence, il y a Marseille, sur laquelle je ne me prononcerai pas tant les choses semblent complexes, et puis, il y a l'Ile-de-France.

Pourquoi avoir retenu pour les EPCI le seuil de 300 000 habitants en petite couronne et de 200 000 en grande couronne alors que, dans cette dernière, les SDCI ont presque tous été réalisés et que très peu prévoient des intercommunalités de 200 000 habitants ? Il faudrait détruire ce qui vient d'être construit avec beaucoup de difficulté. Je veux bien que Chelles appartienne à l'aire urbaine parisienne, mais en Seine-et-Marne, cette démarche est difficilement compréhensible. Les chiffres sont toujours arbitraires ; alors, pourquoi ceux-là ?

Si je ne suis pas contre de nouveaux progrès de l'intercommunalité, le problème de l'Ile-de-France est la gouvernance du noyau dur de l'agglomération parisienne. Il n'y a pas de coopération réelle d'un côté à l'autre du périphérique, en tout cas pas partout ; certaines conférences préfigurent peut-être les conférences territoriales. Le Grand Londres ne s'est pas ennuyé avec tout cela, qui été construit par une administration ; l'affaire aurait été faite si elle avait été confiée à quelques énarques, mais ce n'est pas la méthode française.

Oui à plus d'efficacité, mais attention : on garde le Syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF), cependant les transports concernent aussi les zones rurales de la région. Trop métropoliser ne ferait qu'aggraver leur situation.

Voilà trois ans, nous avions eu tout un débat sur la clause de compétence générale. On propose de la rétablir ? Je veux bien, quoique les collectivités territoriales n'aient jamais eu que des compétences d'attribution et qu'elles ne puissent pas se saisir d'une compétence confiée à une autre. Elles pourraient prendre des initiatives dans les domaines non attribués. Pourquoi pas ? Cela se décidera dans le cadre des conférences territoriales qui sont une nouvelle façon d'enserrer les collectivités. Il faut au minimum 50 000 habitants pour y siéger ; nous connaissons déjà le SDRIF... Laissez plutôt faire les choses ; s'il y a une volonté, elles avanceront et s'il n'y en a pas, rien ne se fera.

En Ile-de-France, vous créez une structure supplémentaire aux pouvoirs importants. Dès lors que chaque EPCI n'aura qu'une voix contre sept pour Paris, il est clair que l'on ne va pas dans le sens d'une démocratisation de la gestion des grands enjeux de la métropole parisienne.

M. Vincent Eblé. - L'organisation métropolitaine est le premier volet du triptyque législatif qui nous est proposé. Construire une métropole requiert de s'intéresser à sa géographie, à son amplitude spatiale. Cela vaut à Marseille, à Lyon et plus encore dans l'agglomération parisienne, la plus peuplée et la plus dense. Il importe de prendre en considération les territoires excentrés. La vision d'une Ile-de-France organisée en cercles radioconcentriques est absolument et définitivement dépassée ; la réalité est multipolaire. Le fonctionnement métropolitain s'exerce dans une polycentralité.

Si la spécificité du coeur de la métropole appelle une organisation particulière, les espaces situés hors de ce coeur n'en sont pas moins membres de la métropole. Le plateau de Saclay, où s'engagent des dynamiques de recherche et de développement économique, Roissy qui nous relie au reste du monde n'assument-ils pas des fonctions métropolitaines évidentes ? De même, la grande couronne fournit les matériaux alluvionnaires utilisés dans la construction de la métropole, reçoit les déchets ultimes - la Seine-et-Marne a rejeté le plan régional d'élimination des déchets ménagers et assimilés. C'est toujours en grande couronne que se trouvent les zones logistiques et les contournements routiers de la métropole. Ne dressons pas une frontière entre le coeur et les autres parties de la métropole. Nous avons au contraire besoin d'un espace pour débattre de ces questions.

Paris et son immédiate périphérie ont bien entendu besoin de s'organiser pour traiter de l'aménagement des espaces publics ou de services tels que le Vélib'. Il s'agit là d'une relation de proximité et non de la métropole. Cette dernière a besoin d'une enceinte qui pourrait être la conférence métropolitaine que nous revendiquions déjà lors de la mise en place du syndicat mixte Paris Métropole.

La nécessaire solidarité financière au profit des départements dont la situation sociale est particulièrement tendue, à commencer par la Seine-Saint-Denis, ne doit pas être la seule forme de péréquation. Il faut tenir compte des charges mais aussi, à pondération égale, des recettes : le travail des élus est bien de couvrir les une par les autres.

M. Jean-Pierre Caffet. - Je partage le diagnostic qui a été dressé : de graves problèmes de gouvernance nuisent en Ile-de-France à l'efficacité politique des grandes politiques structurantes du développement économique, des transports et du logement. De très nombreux rapports y ont été consacrés dont celui de Philippe Dallier en avril 2008 préconisant une métropole intégrée dotée de compétences fortes et puissantes.

M. Philippe Dallier. - Comme à Lyon...

M. Jean-Pierre Caffet. - Cinq années ont toutefois passé sans que cette proposition prospère.

M. Philippe Dallier. - Hélas !

M. Jean-Pierre Caffet. - Il y a à cela un certain nombre de raisons liées à l'organisation du territoire ou de nature politique. Le basculement vers une structure pour 7 à 10 millions d'habitants aurait constitué un big bang institutionnel réduisant la région à la portion congrue. Cette question politique a fait reculer tous les gouvernements. En outre, je ne crois pas à une métropole régionale à l'échelle de la région.

Il faut par conséquent traiter ces problèmes de manière sectorielle. Je suis le premier à reconnaître qu'en matière de transports, des réponses ont été apportées par le Grand Paris Express et la création de la Société du Grand Paris (SGP). Le présent texte règle les problèmes d'articulation entre la SGP et le STIF. En accroissant les pouvoirs de la région dans le domaine économique, les autres textes marqueront des avancées. Reste la troisième politique structurante, le logement. Alors que le SDRIF prévoit la construction de 60 000 logements par an et la loi Grand Paris 70 000, nous n'en construisons que 35 à 40 000 du fait d'un incroyable éclatement des compétences entre les communes, les intercommunalités, les départements et la région, sans même parler de l'Etat. Des progrès ont déjà été enregistrés en matière de développement économique et de transports mais, pour le logement, la page resterait blanche s'il n'y avait pas cette loi. Contrairement à M. Dallier, je ne pense pas que nous disposions actuellement des outils.

M. Philippe Dallier. - Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Jean-Pierre Caffet. - Le rapport que j'avais commis voilà un an et demi suggérait cette approche. Dès lors que le logement est bien au coeur du projet, je m'interroge sur la nature de la métropole qu'il propose pour Paris. Un pôle métropolitain suffira-t-il pour apporter, d'une façon intégrée, des solutions aux problèmes du logement dans notre région ?

M. Pierre Jarlier. - Le texte définit de façon claire la notion de chef de file. Je suis surpris de voir que la qualité de l'air puisse être traitée au niveau du bloc communal et intercommunal. Je ne suis pas sûr qu'il soit le plus adapté dans les secteurs les plus ruraux.

Contrairement à M. Germain, je pense que la CTAP sera particulièrement utile tant nous avons besoin d'un lieu d'échange et de coordination entre les différents niveaux de collectivités sur les sujets de l'aménagement du territoire, des services et du développement durable. Confier sa présidence au président de région est-il un passage obligé ? En réfléchissant avec Jacqueline Gourault, je me demandais si le choix inverse ne poserait pas autant de difficultés. Veillons surtout à ce que l'ensemble des territoires y soit représenté ; dans les secteurs ruraux, on pourrait imaginer de donner plus de place aux intercommunalités de moins de 50 000 habitants.

Le pacte de gouvernance territoriale est une idée intéressante, car nous avons besoin de mieux savoir qui fait quoi. Prenons toutefois garde à ne pas ajouter des schémas aux schémas : plus personne ne s'y retrouverait. Pourquoi ne pas discuter au sein de la conférence d'un véritable schéma d'aménagement du territoire, d'une feuille de route à laquelle chacun se tiendrait pendant un mandat voire davantage ?

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci pour ces échanges passionnants. Les vertus de l'élagueur paraissent nécessaires tant pour la bonne santé des plantes que pour les lois trop longues. Nos ministres ont, je le crois, bien reçu les messages du Sénat.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Monsieur Vandierendonck, je n'ai pas autorité pour fixer le calendrier. Je souhaite au moins deux projets le plus vite possible, voire trois, car ils constituent un ensemble. J'entends les remarques sur le nombre d'articles, mais dans un Etat de droit, peut-on se contenter d'écrire sans autre précision, que la formation professionnelle revient aux régions ? J'ai en tête la date du 30 mai si nous sommes capables de discuter de deux textes, mais ce n'est qu'un avis personnel. Je suis attachée à ce que l'ensemble soit adopté parce que si nous avons beaucoup parlé des métropoles, le bloc communal n'en est pas moins important.

Face au contexte rappelé par Jean Germain, le gouvernement aurait pu proposer un texte répartissant les compétences entre les différents niveaux de collectivités, en mettant fin à la clause de compétence générale. Ce projet aurait pu tenir en deux feuilles ; aurait-il toutefois été moderne ? Notre souhait a précisément été de répondre à la fronde des élus, à leur grande demande d'un retour à la clause générale de compétence. Nous avons également entendu les entrepreneurs, en particulier de l'UPA, se plaindre de l'hyperconcentration de la compétence de développement économique. Nous avons aussi été attentifs aux demandes des milieux entrepreneurial, associatif et coopératif. Partons des enfants de France. A situation familiale égale, ce n'est pas du tout la même chose pour un enfant que d'habiter ici ou d'habiter là - Claude Dilain m'a beaucoup appris à ce propos. Les enfants des quartiers difficiles ou du milieu rural n'ont pas la même garantie d'accéder aux activités culturelles et sportives que ceux de la belle ville que Jean Germain connaît si bien. C'est pour ces raisons et aussi au vu des débats du Sénat que le président de la République et le gouvernement ont décidé de rétablir la clause générale de compétence. J'en parle d'autant plus librement que j'avais, au moment de la mission Lambert, publié un texte dans lequel je dénonçais une source de gabegie.

Comment dès lors parler à la fois de cette clause et des cofinancements trop nombreux, de rationalisation de la dépense et des doublons ? Est-ce à l'Etat de dire qui fera ceci ou cela, ou ne peut-on plutôt, au XXIe siècle, s'appuyer sur des exécutifs locaux, forts de trente années d'expérience de la décentralisation ? A force de discussion, nous avons fait le choix de la conférence territoriale dont la composition relève plus du décret que de la loi et à propos de laquelle nous sommes très ouverts. Nous pensons que les élus pourront trouver une répartition de la compétence de développement économique en évitant les doublons, que telle cité scolaire relèvera du département quand telle autre sera administrée par la région. Et si les élus ne peuvent s'entendre - je n'y crois pas -, alors le chef de file est seul autorisé et les cofinancements ne sont plus possibles.

Nous faisons confiance aux élus, à leur envie d'avenir et à leur capacité d'offrir un guichet unique accueillant les entrepreneurs pour l'ensemble de leurs démarches. Ce guichet ne sera bien sûr pas situé au même endroit selon les territoires ; on ne peut pas agir de la même façon en Ile-de France, en Aquitaine ou en Bretagne. La diversité des territoires est la grande leçon de la décentralisation. A 30 ans, celle-ci est majeure : elle n'a plus besoin d'un tuteur.

Pourquoi l'Etat est-il présent à la conférence territoriale ? Parce qu'il vaut mieux que chacun participe à la discussion sur la répartition des compétences plutôt que de voir tel président de région ou de conseil général aller la demander directement au ministre. Nous mettrons ainsi fin à la distinction entre les grands élus et les autres. Le président de l'Association des régions de France (ARF), lui, préfère plaider directement ses dossiers. Il sera plus fort avec un mandat de l'ensemble des collectivités, il pourra dire pourquoi et comment. Avec la participation de l'Etat, la discussion sera transparente et la délégation sera demandée avec un codicille sur la gouvernance.

L'ARF a été déçue qu'il n'y ait pas d'expérimentation. Après évaluation des politiques publiques, je ne peux pas la réintroduire sans ses aspects connexes : au bout de cinq ans, je ne peux pas laisser la compétence à l'un sans les donner à tous les autres.

C'est une façon d'entrer dans le XXIe siècle. Lorsque les transports scolaires seront assurés par des hélicoptères électriques, faudra-t-il refaire une loi ? Non, les délégations de compétences seront débattues au sein de la conférence en fonction des évolutions et des innovations qui ne manqueront pas d'intervenir dans tous les domaines. J'espère qu'il n'y aura donc plus de nouvelle loi tous les 3, 4 ou 5 ans.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - La capacité des gouvernements à faire des lois est inextinguible...

Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Cette assemblée est le lieu d'une discussion nouvelle, tous les cinq ans. Faire une loi crée une attente.

Paris a un problème de gouvernance. Nous proposons une avancée importante en matière de transports et de logement. La grande aire Marseille-Aix-Provence peut être la grande porte de la Méditerranée pour la France et pour l'Europe. Cependant, cette région en embolie a un besoin urgent de se rétablir. Quand nous y avons reçu les présidents des 42 Parlements du bassin méditerranéen, nous avons bien vu qu'il y avait au moins trois concurrents. Ne laissons pas passer notre chance !

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Que dire sur la qualité de l'air ?

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. - Le problème de la compétence sur la qualité de l'air est prégnant au niveau communal et intercommunal. Dans les conférences territoriales de l'action publique, cette compétence, non exclusive, pourra être répartie différemment. Le pacte de gouvernance doit être global et durable, et non démultiplié en schémas sectoriels. Nous sommes prêts à retravailler avec vous sur la représentation des différents niveaux communaux et intercommunaux.

Je résumerais volontiers notre débat en trois principes forts : unité de la République, diversité des territoires et subsidiarité. Donner au bon niveau les compétences susceptibles de répondre aux attentes des citoyens, voilà l'objectif.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Les communes sont chefs de file pour les compétences liées à la qualité de l'air et à la mobilité durable. Le Sénat doit se pencher sur ce point : faut-il que chaque commune s'occupe de la qualité de l'air ? La mobilité n'est guère plus appropriée à cet échelon. Je remercie chaleureusement Mmes les ministres.

Modernisation de l'action publique territoriale - Audition de l'association des maires ruraux de France de l'Association des petites villes de France et de la Fédération des maires des villes moyennes de France

La commission entend ensuite l'Association des maires ruraux de France, de l'Association des petites villes de France et de la Fédération des maires des villes moyennes de France.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Président de l'Association des maires ruraux de France, Vanik Berberian est maire dans le département de l'Indre.

M. Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France. - De Gargilesse plus précisément.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous sommes attachés à George Sand : Delacroix a donné son visage à Aspasie, dans la fresque de la rotonde de la bibliothèque du Sénat. Que pensez-vous de ce projet de loi ? Il ne concerne pas que les métropoles, toutes les collectivités sont également importantes.

M. Vanik Berberian. - Je me réjouis d'apprendre que George Sand est présente en ces murs. Je me demandais ce que je venais faire ici : je me sentais comme un délégué du Liechtenstein venu négocier à l'ONU avec les États-Unis, la Russie et la Chine.

Je n'ai peut-être pas bien lu le texte, car il ne me semble pas correspondre aux propos que les ministres viennent de tenir, et avec lesquels je suis d'accord. Diversité, subsidiarité, marges de manoeuvre pour les élus, c'est ce que nous souhaitons. Le projet m'a pourtant semblé manquer cruellement d'originalité et d'ambition. Il applique aux collectivités territoriales le mode de fonctionnement de l'État : de même que l'État est représenté par des préfets de région, de département et des sous-préfets, de même, dans ce texte, la région tient la baguette, les présidents de départements dansent le menuet, les présidents d'intercommunalités gardent la main sur l'urbanisme et le maire est en charge de ... la qualité de l'air, autant dire qu'il brassera du vent. Nous nous sommes regardés : l'air est-il si vicié chez nous qu'on nous demande de nous en occuper ?

Nos outils sont devenus obsolètes. Je souhaite un texte sobre, d'une architecture simple, laissant les acteurs s'organiser entre eux. La structure ne doit pas être un carcan mais un repère : elle doit autoriser l'expression. Trop précisément définie, elle manque son but. A vouloir être exhaustif, on oublie des choses - le patrimoine et la culture n'apparaissent nulle part. La question de l'aménagement du territoire est posée depuis 25 ans, nous ne sommes plus à deux ans près...

En voyant M. Dilain, je me rappelle que dans les conférences de presse organisées par le président Pélissard lors de la réforme de la taxe professionnelle, le représentant de Villes et banlieue tenait le même discours que celui des maires ruraux. Les problématiques de santé, d'accessibilité, d'accès à la culture, nous étaient communes. Une coopération est possible, à condition d'en avoir les moyens. Lors des États généraux, vous aviez déclaré que le combat entre villes et zones rurales ne vous intéressait pas...

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. - Pas du tout.

M. Vanik Berberian. - Il n'intéresse personne ! Pour autant, il ne faudrait pas que cette phrase serve de prétexte. Or, le texte conforte le fait urbain et concentre les moyens sur lui. Le fait rural existe aussi, et développer la complémentarité entre eux demande une volonté politique.

M. Jean-Claude Villemain, président de la Fédération des maires des villes moyennes de France. - La Fédération des villes moyennes représente 200 communes et intercommunalités de 20 000 à 100 000 habitants.

Il y a loin de la prose au verbe. J'avais préparé mon intervention à partir du texte mais, en entendant les ministres, je me suis demandé si je n'avais pas fait un cauchemar. Leur discours me rassure. Le projet reflète un darwinisme politique : il favorise une forme de sélection des territoires en rendant plus forts les plus puissants et en affaiblissant les plus petits. Je crains toujours, quand on parle de modernisation, la querelle entre les modernes et les anciens. Reconnaître le fait urbain nous parle davantage. Le projet affirme maintenant les métropoles. Ce qui nous paraît dangereux pour le maillage de la France, c'est que les trois textes soient réunis sous ce titre : modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles.

Le projet manque d'ambition. Il va contraindre les communes, ajouter à la complexité et éloigner la décision des citoyens. Il comporte des incohérences, aussi. Un texte de cette nature devrait avoir davantage de souffle : sinon, comment mobiliser les collectivités territoriales ? Les communes de moins de 50 000 habitants seront lésées, puisqu'elles n'auront qu'un représentant dans la conférence. A quoi servira ce système de conférence - est-ce d'ailleurs le bon ? Si l'on ne revoit pas l'outillage prévu, les territoires les plus puissants obtiendront plus, et les plus petites communes n'auront pas voix au chapitre : qu'elles n'acceptent pas le pacte, et elles n'auront pas les financements croisés. Cela remet en cause la compétence générale et la libre administration des collectivités territoriales. La ministre a parlé de subsidiarité, mais le mot ne figure nulle part dans le texte : nous avons besoin de recevoir des assurances.

Ce texte ajoute une couche au millefeuille territorial : c'est la dernière feuille qui aura le plus gros de la crème. Il crée des catégories de citoyens : à 20 euros, à 45 euros, à 60 euros...

Mme Jacqueline Gourault et M. Vanik Berberian. - C'est déjà le cas !

M. Jean-Claude Villemain. - Pour donner plus à certains, il faudra donner moins à d'autres. Ce texte éloigne les centres de décision des citoyens, au moment même où la possibilité leur est donnée de désigner au suffrage universel leurs conseillers communautaires. Nous souhaitons qu'il soit fortement amendé, et que le Sénat, qui est le représentant des collectivités territoriales, entende leur voix.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie vraiment de votre témoignage, qui reflète d'un souci de justice et de prise en compte de l'ensemble des collectivités. Les trois rapporteurs seront sensibles à vos propositions d'amendement.

M. Jean-Pierre Balligand, président délégué de l'Association des petites villes de France. - Nous donnerons notre position officielle lors de notre congrès, qui aura lieu au mois de mai. Le bureau a cependant commencé à travailler. La France compte 1 700 villes de 3 000 à 20 000 habitants. Ces petites villes sont de deux types : les chefs-lieux de canton, qui sont les poumons du milieu rural, et les villes suburbaines. Nous en fédérons 1 100. Les métropoles suscitent de violentes réactions : j'ai entendu le tam-tam lors des deux dernières réunions de bureau.

Nous avons envie que l'action publique soit plus claire. La CTAP nous paraît une excellente chose. En écoutant chaque catégorie de collectivité, nous aboutirons à l'immobilité, puisque les avis sont diamétralement opposés ! Nous avons été associés, consultés, nous avons vu la difficulté s'accentuer. Il y a par conséquent un problème de méthode. En Midi-Pyrénées, par exemple, il n'y a qu'une ville importante, mais les conseils généraux jouent, et pour longtemps, un rôle majeur : le pacte territorial devra leur réserver un rôle spécifique, ainsi qu'aux communautés de communes rurales. Dans le Nord-Pas de Calais, en revanche, il y a, outre la métropole lilloise, une communauté urbaine importante sur le littoral, des communautés d'agglomération autour de Valenciennes ou d'Arras, qui forment de vrais poumons économiques : le pacte territorial y sera d'une autre nature. Est-il choquant de tenir compte des différences entre territoires ? La CTAP donne la souplesse, la liberté et la responsabilité. Nos revendications figurent dans un texte que nous vous laissons. Elles concernent le nombre de représentants pour les petites villes.

Le Haut conseil des territoires n'est pas dans le texte. Nous sommes les premiers à avoir fait cette proposition, en février 2012. Autre grand absent de ces trois textes : les finances locales. Les textes financiers seront subséquents, pas concomitants. Nous voulons une représentation dans le Haut conseil, lequel ne doit pas être prévu dans un troisième texte qui ne viendrait jamais.

Nous ne sommes pas opposés aux dispositions sur les métropoles, à deux réserves près. Leur création automatique, dès que le seuil de 400 000 habitants est atteint dans une aire urbaine de 500 000, passe outre l'avis des communes-membres : cela nous semble nouveau et inopportun. Si l'on en juge par la loi Marcellin, passer en force n'est pas de bonne méthode... Nous proposerons que la création d'une métropole soit conditionnée à l'accord d'une majorité de communes représentant au moins la moitié de la population. Nous souhaitons aussi une conférence métropolitaine des maires, obligatoire et non optionnelle. Nous avons en outre des propositions sur le transfert des pouvoirs de police des maires.

M. René Vandierendonck, rapporteur. - Cela m'intéresse.

M. Jean-Pierre Balligand. - Le calendrier, qui constitue un paramètre important, n'est pas idéal. La proximité des élections est propice aux surenchères. Je suis très inquiet de la situation financière globale des collectivités. Si la baisse de la DGF se fait uniformément, quelle que soit l'autonomie fiscale du niveau de collectivité, de grosses difficultés vont survenir. Il faut moderniser et simplifier le pays. Est-ce bien l'approche retenue ? Ce projet devrait se réduire à l'article 1er du texte liminaire et aux articles 47 à 53 du premier texte. La décentralisation par le bas résoudrait des contradictions. Au lieu de quoi, nous sommes face à un inventaire à la Prévert. Ne noyons pas le débat dans des disputes sur les compétences.

Mme Marie-France Beaufils, sénatrice, vice-présidente de l'association des petites villes de France. - Ces textes souffrent d'un manque d'unité de pensée. Nous ne pouvons pas imposer à des communes de passer sous le statut des métropoles parce qu'elles ont franchi un seuil. C'est contraire à l'esprit de l'intercommunalité. Les schémas d'organisation sectoriels me semblent reconstituer une forme tutélaire : cela me laisse sceptique. Je suis très inquiète pour les moyens. Nos concitoyens attendent d'une réorganisation qu'elle donne plus d'efficacité à l'action publique territoriale. En l'état, les textes ne me semblent pas apporter une réponse pertinente et claire.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - La diversité des points de vue sur la conférence territoriale est étrange. Certains la considèrent comme un dispositif supplémentaire inutile, d'autres, dont les petites communes, comme une protection face à la montée en puissance des métropoles et des régions. Parler d'abord de métropoles a un coût politique, car c'est ce qui focalise l'attention, alors que la complémentarité et les réseaux sont plus importants.

M. René Vandierendonck, rapporteur de la commission des lois. - Il est très important que nous puissions vous entendre. Ne nous trompons pas de perspective : 85 communes dans la métropole lilloise, 50 % de la superficie agricole, un schéma de compétence territoriale qui maintient le foncier en volume, et une compétence économique qui comprend l'aide à agriculture de proximité et les débouchés vers de nouveaux marchés. Les métropoles doivent réfléchir à l'espace extérieur. Deux tiers des emplois de la métropole lilloise sont occupés par des non-résidents. Les stratégies d'habitat des agglomérations environnantes se définissent par rapport à la métropole. Celle-ci n'est pas prédatrice : elle prend peut-être dans les textes, elle rend au territoire.

Nous n'avons jamais voulu que ce soit le premier texte à sortir. Qu'il en soit ainsi ne nous arrange pas. Je l'ai dit aux ministres, nous attendons que nos propositions de loi sur le statut de l'élu et la simplification des normes soient enfin adoptées. Nous avons demandé une clarification de la chronologie de sortie des textes, afin d'éviter la multiplication inutile d'amendements d'appel. J'espère que les rapporteurs des deux autres projets de loi auront plus de temps pour travailler que nous n'en avons eu sur celui-ci.

Tout le monde est d'accord pour associer les territoires, mais chacun souhaite conserver la liberté d'organisation et échapper à la pesanteur de systèmes trop lourds. Il ne faut pas laisser croire que l'aménagement du territoire n'est fait que par les métropoles. Comment le décliner dans l'espace régional ? Ce sera l'objet du texte suivant.

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. - Il aurait été choquant de ne pas vous entendre. Peut-être aurait-il fallu inviter aussi Villes et banlieue...

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous allons le faire.

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. - Il faut relier les quartiers difficiles et la ruralité, qui ont de nombreux points communs. Dans un travail sur la désertification médicale, je concluais qu'il valait mieux faire un infarctus à Clichy-sous-Bois que dans un village de la Creuse. Je suis parfois un peu crispé qu'on oppose banlieues et ruralité, que tout rapproche. Heureusement, pour la première fois, nous avons un ministère de l'égalité des territoires...

M. Vanik Berberian. - ... et du logement, du logement, du logement...

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. - Faisons confiance aux élus locaux. Si la conférence territoriale est maintenue, il faudra passer du prêt-à-porter au sur-mesure : fixer sa composition et son mode de fonctionnement pour l'ensemble du pays serait contraire à l'esprit de la décentralisation. Il semble difficile aussi de définir le fait métropolitain uniquement par le nombre d'habitants. Tracer les frontières d'une métropole est une affaire d'aménagement du territoire. Il faudra peut-être en traiter, en Île-de-France comme ailleurs, en réfléchissant à un schéma régional, opposable ou non.

M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - Vous avez très bien lu le texte ; Mme Lebranchu a été très rassurante ; Mme Escoffier a expliqué qu'il faudrait faire des économies tous azimuts. Dès lors qu'on promet une compétence générale à tous, tout le monde est satisfait. Chacun pourra tout faire, bien qu'en principe, seule la commune ait une compétence générale. La conférence territoriale ne sera pas le pays des bisounours de la décentralisation : les participants s'écharperont. Dans certains endroits, le président de région sera mis en minorité dès la première réunion. Et tout cela changera avec chaque renouvellement ? Ce n'est pas sérieux. La France a besoin de dynamisme, d'emploi, pas d'augmenter indéfiniment la taxe d'habitation de personnes qui ne paient même pas d'impôt sur le revenu.

Mme Lebranchu a été très habile, qui nous a renvoyés au décret avant que Mme Escoffier indique que nous devrions faire des économies partout.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - La lucidité du réel fonde le véritable optimisme... En tout cas, au cours de nos nombreuses auditions, personne n'a parlé la langue de bois.

Mme Marie-France Beaufils. - J'ai prévu des rencontres pour apprécier le sentiment des élus de terrain. Je souhaite que le texte ne m'empêche pas de répondre aux besoins des habitants dans de bonnes conditions. Si l'on crée des lourdeurs, si l'on détourne de l'essentiel, il sera difficile de mobiliser les élus. Ceux des petites villes, en particulier, sont fortement impliqués dans la vie locale : ils ont besoin de temps et de moyens. Je suis très inquiète. Rien de pire que des moyens nouveaux sans ressources nouvelles ! Avec la responsabilité des milieux aquatiques et des digues, l'État nous fait un beau cadeau !

M. Jean-Pierre Balligand. - Déjà présentes dans les intercommunalités, les petites villes ont surtout besoin de partenariats avec les régions et les départements. Tel n'est pas le cas des métropoles ou de villes dynamiques qui s'appuient sur le secteur tertiaire supérieur et bénéficient d'une CVAE bien plus intéressante que prévue.

Les dotations fiscales seront rabotées de 8 % sur deux ans. Si cette baisse est uniforme, les petites villes ne pourront investir quand les départements ou les régions se seront désengagés. Des arbitrages sont nécessaires. Nous ne sommes plus en 1982 et 1983.

Un texte fondateur ? Soit ! Encore faut-il ne pas ignorer les distorsions de richesse fiscale. L'autonomie fiscale des régions est inférieure à 10 %, celle des départements à 20 %, seul le bloc communal se hisse au-dessus de 45 %, avec de fortes disparités. Le Parlement ne peut méconnaître les difficultés que posent le FNGIR et la DCRTP, non réactualisables, aux villes industrielles et aux petites villes. L'appauvrissement fiscal est une réalité. Si l'on supprime les financements croisés, les petites villes ont du souci à se faire.

M. Jean-Claude Villemain. - Pour simplifier l'organisation territoriale, il faut un texte court, simple et précis, non un inventaire à la Prévert. Ce texte, prévoyant des ressources suffisantes, doit aussi réaffirmer le principe de libre administration des collectivités territoriales, la compétence générale et le principe de subsidiarité. J'ajoute qu'il pourrait introduire des possibilités d'expérimentation et d'innovation.

M. Vanik Berberian. - Les maires ruraux ne réclament pas le statu quo : les choses doivent changer. Mais quel sac de noeuds ! La même phrase dit tout et son contraire, que les élus ont la main mais qu'ils ne définissent pas qui fait quoi. C'est inextricable !

M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - C'est la vie qui veut ça !

M. Vanik Berberian. - Le risque est l'inaction. L'affaire est mal engagée. Notre regard sur les collectivités doit changer. Les métropoles sont-elles prédatrices ? Faute de pouvoir se développer en hauteur, elles le font horizontalement au détriment des communes périphériques. Elles seraient bien contentes de trouver un système pour mettre la main sur ces territoires. Après le Grand Paris, demain il sera question du Très Grand Paris. C'est un mécanisme sans fin. Il est temps de changer de logiciel.

Tenons davantage compte de la superficie et non plus seulement du nombre d'habitants, à l'image de la prime à l'hectare pour l'agriculture. Quand la région Centre abonde un projet intercommunal, elle nie l'espace et renforce l'urbain. De même, le mode de scrutin des conseillers départementaux donne une prime à l'urbain. Rien ne justifie l'écart de DGF : 60 euros pour les communes rurales, deux fois plus pour les communes urbaines. Cela suffit ! J'ai dit au Premier ministre que nous étions d'accord pour mettre en oeuvre la réforme des rythmes scolaires, mais que le gasoil ne coûtait pas deux fois moins cher à la campagne, les salaires des animateurs, non plus...

Le moment est venu de changer les modes d'organisation et de fonctionnement datant des années soixante. Prenons des risques et laissons les élus à la manoeuvre, avec un texte sobre. Le temps du prêt-à-porter, c'est fini ; il faut du sur-mesure. Que notre organisation territoriale respecte la diversité des territoires !

M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je vous remercie d'avoir clôturé ces auditions avec tonus. Vous nous avez tous beaucoup apporté.