Mercredi 23 janvier 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Conseil supérieur de l'audiovisuel - Audition de M. Olivier Schrameck, candidat désigné aux fonctions de président

La commission entend M. Olivier Schrameck, candidat désigné aux fonctions de président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, en application des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Au nom de tous les membres de la commission je souhaite la bienvenue à M. Schrameck, candidat proposé par le Président de la République à la présidence du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). En application de l'article 13 de la Constitution, de la loi organique du 23 juillet 2010 et de la loi simple du même jour, les commissions compétentes des deux assemblées sont appelées à formuler un avis sur cette nomination, après audition publique du candidat. Les bulletins seront dépouillés en même temps qu'à l'Assemblée nationale, et si plus des trois cinquièmes des suffrages exprimés s'y opposent, cette nomination ne pourra pas avoir lieu ; dans le cas contraire, M. Schrameck sera le prochain président du CSA. Aucune délégation de vote n'est possible. Je précise que la nomination des deux autres membres du CSA, qui ont été récemment désignés par les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale, ne font pas l'objet d'un avis des commissions de la culture.

M. Olivier Schrameck. - Je suis honoré d'être entendu cette après-midi par votre commission, et de me soumettre à vos suffrages dans la perspective de la responsabilité que le Président de la République propose de me confier.

Mon parcours professionnel est marqué à la fois par la continuité, car j'ai constamment été au service de l'État, tour à tour dans des fonctions de juge, de conseil, de direction, de représentation, et par une volonté de mobilité, puisque j'ai exercé des responsabilités au ministère de l'intérieur, à celui de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, dans le domaine de l'intégration, de l'action culturelle extérieure, au niveau interministériel aussi, ou dans une ambassade. Je suis un citoyen très attaché à la vie publique de mon pays, ce qui m'a conduit à m'engager dans des fonctions de cabinet, à l'issue desquelles je suis toujours (à quatre reprises !) revenu dans mon corps d'origine, pour y exercer des fonctions de rapporteur. Je suis d'abord un membre du Conseil d'État, un juge et un conseil des gouvernements, quelle que soit leur orientation politique. J'ai également enseigné, chaque fois que la disponibilité m'en était laissée.

Dans toutes mes fonctions, je me suis attaché à l'échange, à la délibération collective, à la recherche commune d'une position juste, dans le respect de la diversité des points de vue. En animant diverses équipes, j'ai toujours eu conscience qu'il est exceptionnel d'avoir raison seul, et qu'il n'est de perspective assurée que concertée, discutée, comparée. Mes fonctions ont exigé la plus grande neutralité : en tant que juge, bien sûr, comme secrétaire général du Conseil constitutionnel, comme ambassadeur, mais aussi comme président du jury de l'École nationale d'administration (ENA). J'ai eu l'honneur d'être membre des commissions d'évaluation des institutions et de la vie publique dirigées par M. Balladur et par M. Jospin. J'ai été nommé ambassadeur par le Président Chirac, président de section au Conseil d'État par le Président Sarkozy, et je suis désigné aujourd'hui par le Président Hollande.

Je suis très attaché à l'indépendance, et à l'impartialité, que je distingue - l'on peut être indépendant sans être impartial -, ainsi qu'au pluralisme, que renforce heureusement la collégialité.

Dans mes responsabilités de secrétaire général du Conseil constitutionnel, j'ai dirigé l'instruction de plusieurs décisions qui concernent le CSA, ou la sphère audiovisuelle en général. La plus importante est celle du 21 janvier 1994 relative à la garantie du pluralisme et à la liberté des médias, qui comporte l'énoncé des normes de constitutionnalité applicables telles que le Conseil les a dégagées. Il y a eu aussi, la même année, la décision très importante relative au rôle du CSA en matière de sauvegarde et de promotion de la langue française. Des décisions ont circonscrit l'action pénale du conseil et rappelé les exigences constitutionnelles du service public des télécommunications à propos de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) en 1996.

Directeur de cabinet du Premier ministre pendant cinq ans, j'ai été le premier à désigner immédiatement au sein de l'équipe un conseiller chargé de la société de l'information : il me semblait que les enjeux du numérique étaient déjà essentiels. J'ai travaillé à un programme pour le développement de l'information qu'on appelait le PAGSI. J'ai contribué à la préparation de la loi du 1er août 2000 sur l'audiovisuel qui a énoncé les grands principes du service public de la communication audiovisuelle, restructuré ce secteur par la création de France Télévisions et de la société Arte France, engagé la mise en oeuvre du numérique hertzien, ouvert un cadre juridique aux télévisions locales, renforcé les responsabilités du CSA en matière de protection des jeunes publics, et assuré la garantie d'une diffusion en clair des événements d'importance majeure.

Le plus important, je crois, est que j'ai manifesté durant cette période un respect constant de la liberté et de l'indépendance des médias : pas une seule fois en cinq ans je ne suis intervenu pour répondre à une critique, jamais je n'ai suggéré une position ou relayé une intervention. Si je n'avais pas été fidèle à cette attitude, je ne serais pas aujourd'hui présent devant vous.

Bien sûr, j'ai traité des problèmes liés à l'audiovisuel dans d'autres fonctions, et notamment au Conseil d'État, à titre consultatif, comme rapporteur de l'avis sur le passage de la télévision analogique à la télévision numérique, achevé en novembre 2011, ou bien au contentieux, encore très récemment dans une affaire importante qui a concerné un grand groupe de l'audiovisuel. Tout dernièrement, dans le cadre de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, j'ai contribué aux préconisations relatives à la prévention des conflits d'intérêt pouvant concerner les autorités indépendantes, ainsi qu'aux adaptations du rôle du CSA en qualité de garant du pluralisme politique avant des échéances majeures.

J'ai toujours considéré que les problèmes de l'audiovisuel étaient déterminants pour notre avenir collectif. Quelles sont les priorités du CSA ? D'abord, les principes et les missions qu'il a pour fonction, en vertu de la loi, de faire respecter : je n'en négligerai aucun, mais je voudrais insister sur quelques-uns.

Je crois que les programmes audiovisuels peuvent contribuer davantage - à l'instar de la chaîne parlementaire - à l'éducation citoyenne, tout particulièrement des jeunes : je suis préoccupé par la perte de repères concernant notre histoire, soucieux de l'impératif de laïcité, de la compréhension de nos institutions et de nos devoirs civiques. Je suis très attaché à la protection de la jeunesse, que la transmission des contenus d'Internet et des services à la demande peut menacer. A cet égard, l'observation des différentes formes de télé-réalité doit être attentivement assurée.

La charte de l'environnement, intégrée à notre Constitution, prescrit que l'éducation et la recherche contribuent à sa protection. Les médias audiovisuels me semblent naturellement avoir une part essentielle à cet objectif.

Je suis très préoccupé aussi par le respect et la reconnaissance de nos diversités, afin que puissent être surmontés les préventions et les handicaps de toute nature. Il s'agit là d'un objectif commun primordial plus que d'une thématique particulière. La fragmentation des audiences peut être aussi un risque.

Le CSA est appelé à se saisir plus directement des enjeux économiques de ses activités. En particulier, la bonne gestion du spectre audiovisuel doit être conçue comme un objectif essentiel, dans le respect de la liberté de communication. Je serai très attaché à la nécessité pour notre pays de promouvoir des industries culturelles puissantes et influentes, dont la capacité d'exportation serait croissante. Pour moi, la compétitivité ne s'arrête pas à l'exception culturelle. Je mesure à quel point l'administration du CSA est appréciée pour sa grande qualité, je veillerai à l'amélioration constante de son potentiel économique. J'ai toujours préconisé que les décisions publiques importantes soient précédées d'études transparentes de leurs possibles incidences, les études d'impact. Beaucoup de sujets les imposent : télévisions locales, télévision connectée, plafonds de concentration, mesures de régulation économique, financière et fiscale. L'étude attentive des besoins financiers pluriannuels des chaînes publiques relève de la même démarche.

Je porterai une attention soutenue à la coopération européenne et internationale, notamment dans la sphère francophone. L'expérience de notre pays en matière de régulation de l'audiovisuel est un savoir-faire précieux. Largement diffusé, il peut contribuer à notre influence économique, juridique et technique.

A propos des relations avec l'Arcep, je ne crois pas bon de séparer les problématiques économiques et techniques d'une part, culturelles et sociétales, d'autre part. Il y a de nombreux sujets communs : l'ADSL, la télévision connectée, la neutralité d'Internet... La coopération a vocation à se renforcer grandement. S'il était décidé d'aller au-delà, mon expérience me conduirait à veiller tout particulièrement aux coûts, parfois inattendus, et aux lourdeurs, liés aux changements structurels profonds.

Je veillerai aussi à développer les relations, déjà substantielles, avec l'Autorité de la concurrence, mais aussi celles, plus ténues, avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), parce que se renforce la perspective inquiétante du profilage sur la base des choix individuels de programmes. J'ai conscience que nous évoluons vers de nouvelles formes de régulation à l'heure où le téléspectateur se fait internaute. Il importe en particulier d'approfondir la réflexion sur la co-régulation : celle-ci permet d'introduire un encadrement juridique protecteur sur la base de l'initiative même des intéressés, mais avec une intervention des autorités publiques - cela dans un contexte international et européen déterminant. Il ne s'agit donc pas de décalquer un contrôle existant, mais de l'adapter à l'hyper-communication, sans tomber dans la dérégulation.

Il importe de développer l'éducation aux médias, en direction des usagers les plus âgés, mais aussi des jeunes, dont la dextérité ne doit pas être dévoyée.

Je serai très attentif au soutien et à la promotion des télévisions locales, sans méconnaître l'activité des stations régionales de France 3. Il est essentiel que la décentralisation vive et se développe aussi en matière audiovisuelle, notamment outre-mer. Les acteurs locaux de la vie publique doivent trouver un espace pour s'exprimer.

En ce qui concerne la radio analogique, je suis conscient des problèmes soulevés par l'existence d'un plafond d'audience qui a été déterminé dans un contexte que j'ai précisément connu, en 1994, et je m'engage à présenter un rapport complet et transparent sur le sujet. S'agissant de la radio numérique terrestre, je mesure l'importance des obstacles, notamment du point de vue de la commodité et des capacités financières de l'usager, qui rendent sa perspective sans doute plus lointaine. C'est aux zones moins bien desservies par la radio analogique qu'il faut porter une attention privilégiée : lutter contre la fracture numérique suppose aussi de combattre la fracture audiovisuelle.

Je serai extrêmement attentif aux problèmes que rencontrent nos compatriotes à l'étranger. Vous avez entendu il y a quelques mois Mme Saragosse dans le cadre de la même procédure : je m'entretiendrai prioritairement avec elle.

Enfin, je compte sur les rapports avec le Parlement et en particulier avec votre commission, pour accompagner, tout en la contrôlant, la démarche du CSA. Celui-ci est certes une autorité indépendante, mais ce n'est pas une autorité souveraine. Il a pour vocation d'entretenir une relation étroite avec le Parlement, que je crois indispensable à sa légitimité. Je compte pouvoir m'appuyer sur le législateur, dont l'expertise est unanimement reconnue. Je souhaiterai vous rencontrer aussi souvent que possible pour vous rendre compte, et aussi trouver dans vos délibérations une source d'inspiration, de réflexion et d'action.

M. David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel et de la presse. - Votre exposé dense et synthétique a répondu à plusieurs des questions que je voulais vous poser. Vous allez devoir affronter une situation où la révolution numérique et bien d'autres questions en suspens doivent être traitées avec rapidité et dextérité : c'est un moment crucial. En particulier, la télévision connectée va bouleverser les habitudes de consommation audiovisuelle et remettre en cause les mécanismes de régulation que nous connaissons. Il faudra trouver des réponses évolutives. Cela requiert expertise, écoute, travail, capacité de décision. Je suis rassuré par votre candidature, qui est celle d'un grand serviteur de l'État, dont le parcours démontre impartialité et compétence. Vous saurez jouer ce rôle.

L'audiovisuel a en effet un rôle important à tenir dans l'éducation à la citoyenneté, compte tenu de l'importance de l'image dans notre société. Son impact est très fort, comparativement à celui des apprentissages plus classiques (parents, école...), ce qui appelle une régulation importante. Aussi avez-vous rappelé que l'histoire, la laïcité, les devoirs civiques, la protection de la jeunesse, l'environnement constituent de grands enjeux.

Vous avez distingué impartialité et indépendance, à juste titre. Nous sommes très attentifs à l'indépendance comme à l'impartialité du CSA. Le mode de nomination de ses membres nous fait douter de son indépendance : c'est à la pratique que nous jugeons l'impartialité.

Vous êtes favorable à une coopération avec l'Arcep : c'est un débat. Nous considérons qu'une régulation particulière et spécifique de tout ce qui touche à la création ne doit pas être assujettie à des impératifs techniques et industriels. Pour que les intérêts économiques ne vampirisent pas la création, nous tenons donc à ce qu'une instance ait la maîtrise sur les questions qui nous occupent.

Comment envisagez-vous le développement de la télévision numérique terrestre (TNT), celui de la télévision connectée, de la radio numérique terrestre ? On peut déplorer que ce dernier chantier ait été arrêté. Il n'est pas logique que les radios locales soient un tel échec, dans un pays qui fait vivre la décentralisation. Une réflexion spécifique est nécessaire.

Même en cette période, vous avez démontré une ambition, et il en faut une pour le CSA.

Mme Claudine Lepage, rapporteure pour avis des crédits de l'audiovisuel extérieur. - Je partage globalement les objectifs que vous avez énoncés : éducation citoyenne, laïcité, protection de la jeunesse, respect de la diversité, souci de l'environnement, développement de la francophonie... L'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), qui regroupe France 24, RFI (Radio France internationale), TV5 Monde, est très important pour que les Français de l'étranger gardent un lien avec la France - même si ces chaînes ne sont pas destinées qu'à eux. En tant que président du CSA, vous aurez à désigner cinq administrateurs de l'AEF. Etant moi-même administratrice de l'AEF, je vous recommande de vous assurer que les personnes auxquelles vous confierez ce mandat aient les compétences requises, et surtout la disponibilité pour siéger effectivement aux réunions du conseil.

M. Jean-Pierre Plancade. - Je remarque, sans aucune malice, une grande similitude entre votre parcours et celui de votre prédécesseur : tous les deux énarques et membres du Conseil d'État, vous avez tous les deux été directeur de cabinet du Premier ministre... Il avait été président de Radio France, vous avez acquis une bonne connaissance du secteur aussi.

Le groupe RDSE partage l'essentiel de vos propos, qu'il s'agisse de la pluralité, de diversité, de la laïcité, du numérique... Je n'aurai qu'une question : comment gérer le problème des télévisions étrangères diffusées par voie satellitaire, parfois avec des satellites publics, et qui répandent sur notre territoire des messages racistes, antisémites... J'avais écrit à votre prédécesseur, il faut trouver des réponses. Dans beaucoup de foyers, ce qui est dit à la télévision est pris pour une vérité absolue.

Le RDSE soutiendra votre action et approuve votre candidature.

M. André Gattolin. - Le groupe écologiste espère que votre nomination ne posera pas de difficulté, et que nous aurons l'occasion de vous auditionner à de multiples reprises en tant que président du CSA.

La radio numérique terrestre est l'un des grands enjeux. Bien que l'on ait dit que le chantier avait été laissé à l'abandon, le CSA a lancé en avril dernier un appel d'offres ; vendredi dernier, la liste des autorisations d'émettre a été retenue pour Marseille, Nice et Paris - ce qui va à l'encontre de ce que vous nous disiez de la complémentarité territoriale... Pourriez-vous développer ce point ? Je suis un partisan de la radio numérique terrestre, qui devrait rouvrir le marché à l'instar de ce qui s'était produit avec la libéralisation des ondes il y a une trentaine d'années. Ses avantages sont multiples : gratuité, accessibilité, anonymat - j'ai bien noté votre remarque sur la lutte contre le profilage. La webradio n'est pas gratuite et favorise, pour le coup, le profilage. La radio est extrêmement profitable pour les grands groupes. Les grands groupes privés et le service public semblent alliés : tous ont décliné les appels d'offres... Comment la radio numérique terrestre (RNT) peut-elle se déployer en leur absence ? Quelle feuille de route, quel calendrier ? Envisagez-vous de remettre tous les acteurs autour de la table dans la perspective d'une RNT pour tous ?

Votre prédécesseur s'est déclaré en faveur d'une régulation des contenus sur Internet : quelle est votre position ?

J'ai participé aux initiatives du CLEMI (Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information), mais celui-ci a été dévasté dans ses cadres ces dernières années. Il n'y a plus personne pour s'occuper de l'éducation aux médias. Comment remédier à cette situation ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - En 2008, lors de la modification de la Constitution, nous nous étions émus des pouvoirs de nomination du Président de la République. L'élargissement des droits du Parlement reste assez formel.

Une réforme du CSA a été annoncée, comment l'envisagez-vous ? Comment se passera le rapprochement avec l'Arcep ?

Le rôle du CSA est fondamental en matière de qualité et de déontologie des médias, d'information et d'expression pluraliste de toutes celles et ceux qui font le débat public.

Je soutiens votre engagement en faveur de la jeunesse. Quelle est votre position quant à l'interdiction de la publicité pendant les programmes destinés à la jeunesse ?

La composition du CSA a évolué, puisque deux hommes ont été remplacés par deux femmes. Pour autant, en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, je me préoccupe de l'image des femmes dans l'ensemble des programmes. Elle ne doit pas faire perdurer des stéréotypes. Il s'agit de la représentation de 50 % de la société, et d'enjeux de démocratie et d'émancipation humaine. Quels sont vos engagements sur ce sujet ?

M. Jean-Pierre Leleux. - M. Plancade m'a sans doute laissé le soin de mettre de la malice dans mon propos... Notre opposition ne sera pas dirigée contre votre personne, mais contre la très forte ambiguïté que nous voyons dans votre nomination, justement parce que votre profil est comparable à celui de votre prédécesseur, qui a été violemment critiqué, à de très nombreuses reprises, sur les bancs de l'Assemblée par l'actuelle majorité. On ne peut pas décemment dire qu'après avoir dirigé pendant cinq années le cabinet de M. Jospin, Premier ministre de gauche, vous puissiez objectivement vous présenter comme quelqu'un d'impartial. Il y a des étapes qui marquent dans une carrière. Votre prédécesseur avait été directeur de cabinet d'un Premier ministre de droite. Puisqu'à chaque fois qu'un président d'entreprise publique de l'audiovisuel se présentait à nous, nous avons entendu : « Ça ne vous gêne pas d'avoir été désigné par le Président de la République ? », je vous pose justement cette question. Ce manque d'indépendance vous sera régulièrement rappelé.

Comme la gauche manque de créativité ! Il y a une contradiction profonde entre les engagements du candidat Hollande, qui garantissait une grande indépendance dans la désignation des personnalités dans l'audiovisuel, et cette nomination. Le Président de la République proposera d'abandonner ce pouvoir de nomination en vous le confiant... Or vous n'avez pas l'indépendance qu'il souhaitait.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je note, sans aucune malice, que les promesses du candidat Hollande vous avaient donné beaucoup d'espoir.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous sommes perplexes, non par rapport à votre personne bien sûr, mais quant à la rupture annoncée par le Président de la République, et qui n'a pas lieu. Cette nomination rappelle celle de votre prédécesseur, à ceci près que ce dernier avait une expérience dans le domaine de l'audiovisuel. On ne peut s'empêcher de voir là une contradiction. Si le Président de la République prétend ne pas nommer lui-même les présidents de chaînes publiques, il délèguera ce pouvoir... au CSA. Nous ne souhaitons pas valider cette contradiction, surtout alors que les enjeux actuels imposeraient une nomination non pas politique, mais fondée sur l'expérience du candidat. Une fois encore, il ne s'agit pas de remettre en cause vos qualités personnelles, c'est la procédure qui nous choque, c'est contre elle que nous voterons.

Mme Françoise Cartron. - Merci pour votre exposé. Gardons-nous des procès d'intention. Il faut resituer votre candidature dans son contexte, qui est celui d'un calendrier que nous ne maîtrisons pas : le mandat de M. Boyon arrivait à expiration, il fallait lui trouver un successeur. On ne saurait reprocher au Président de la République de n'avoir pas mis en oeuvre toutes les réformes tout de suite. Il a fallu pourvoir à cette nomination avec les outils que nous ont laissés nos prédécesseurs. Il s'agit de la continuité de l'État. Au cours de la mandature, il y aura des révisions.

La candidature de M. Schrameck est cohérente, étant donné son engagement au service de l'État. Ce qu'il nous a exposé montre que dans les problématiques de notre société les médias peuvent avoir un rôle amplificateur ou au contraire aider à la formation du jugement. Notre société, et en particulier sa jeunesse, est en quête de repères. Les enjeux de protection de l'environnement et les problématiques de la diversité sont primordiales également.

Je voudrais insister sur deux points chers au Sénat : l'égalité des territoires, d'une part, avec la fracture numérique qui touche les territoires ruraux et remet en cause l'égalité dans l'accès au savoir ; et votre volonté d'indépendance, d'autre part. J'ai aimé votre formule : « un CSA indépendant, mais pas souverain ». Je la prends comme un gage de votre volonté de travailler avec le Parlement. Notre défi est de remettre dans cette société du zapping de la capacité à comprendre et à analyser.

M. Olivier Schrameck. - L'irruption du numérique est, monsieur Assouline, le premier défi auquel nous devons faire face. La télévision connectée en offre un exemple frappant : même si toutes les télévisions connectables ne sont pas connectées, la part de celles-ci a sensiblement augmenté ces dernières années, passant d'un tiers à deux tiers d'utilisateurs parmi les acquéreurs. Cela manifeste une accélération du rythme des mutations technologiques, et l'émergence d'une hyper-communication. C'est pourquoi mon objectif premier est celui de l'éducation citoyenne. Vous connaissez les chiffres d'écoute quotidienne mesurée dès l'âge de quatre ans : 3 heures 50 pour la télévision et 2 heures 50 pour la radio. Les enjeux éducatifs, pour l'école et la famille, sont colossaux.

Nos modes de régulation doivent s'adapter à cette révolution numérique. Aujourd'hui en effet, chacun a accès au programme de son choix au moment de son choix par le terminal de son choix. Il importe de façonner une régulation différente, qui ne se réduise à une dérégulation. Le CSA aura un rôle majeur à jouer, en agissant sur les relais du numérique. Le rapport remis récemment par Pierre Collin et Nicolas Colin sur la fiscalité du numérique montre que c'est dans la chaîne d'obtention du numérique que l'on peut saisir les acteurs principaux, notamment dans l'acquisition des données des utilisateurs, et que la fiscalité doit inciter à l'autorégulation. Voilà l'une des clefs de cette affaire complexe.

J'accorde au développement de la TNT la plus grande importance. 60 % des usagers utilisent encore l'antenne râteau, pour, à terme, une baisse à 40 %, soit sensiblement moindre que ce qui était attendu. Il existe incontestablement un problème d'équilibre entre les chaînes publiques, gratuites et payantes, au regard des impératifs liés au marché publicitaire, de concurrence, et de la capacité de discernement et de choix des téléspectateurs, destinataires de l'information audiovisuelle. C'est à eux que le Conseil constitutionnel applique la garantie de la liberté de communication. D'où l'accent sur l'éducation aux médias.

Je me garderai de formuler un jugement sur les chaînes thématiques, que j'ai regardées. Leur multiplication n'est pas seulement un progrès. J'y serai attentif.

Je suis convaincu que la radio numérique terrestre est une technique essentielle et porteuse d'avenir. Il ne serait ni responsable ni raisonnable de lui tourner le dos. Des expériences substantielles ont été conduites à l'étranger, dont nous pourrions nous inspirer. J'appelle à une réorientation, privilégiant ce qui encourage les radios locales, associatives, qui peinent à se frayer un chemin dans un environnement concurrentiel et financièrement déséquilibré.

Madame la sénatrice Lepage, merci de vos appréciations. Je serai attentif aux nominations d'administrateurs par le CSA. Mon expérience à l'étranger a été significative : lorsque j'étais en poste à Madrid, j'ai beaucoup oeuvré pour développer et encourager RFI à installer un studio à Barcelone et à y créer des programmes originaux afin de favoriser la compréhension entre nos deux pays. Les moyens audiovisuels peuvent être des outils de rapprochement et d'interaction entre les populations. Nous devons en effet penser à nos compatriotes à l'étranger en se plaçant dans le milieu qui est le leur.

La question du rapport avec les sources d'information étrangères que pose le sénateur Plancade est essentielle. Pour y répondre, nous devons nous montrer très fermes vis-à-vis des relais d'information, c'est-à-dire des distributeurs de services, à défaut de pouvoir atteindre directement les éditeurs. L'article 41 de la loi de 1986 limite à 20 % des capitaux ou droits de vote la participation de sociétés étrangères dans les sociétés françaises. A titre personnel - cet avis n'est pas forcément partagé au sein du CSA -, je suis réticent à ce que l'on supprime toute règle de cette nature, même si la limite des 20 % n'est pas intangible. Prenons garde à ne pas perdre la maîtrise des contenus, laquelle passe par la maîtrise des acteurs économiques concourant à leur diffusion.

M. le sénateur Gattolin m'interroge sur les initiatives du CSA concernant la RNT. Il faut distinguer la décision prise d'autoriser l'émission sur la bande III à Paris, Marseille et Nice d'une part, et le calendrier courant à partir de 2013, d'autre part. Je n'ignore pas qu'un membre du CSA s'est exprimé récemment dans la presse à ce sujet. J'aurai à coeur, sans préjugé d'aucune sorte, de reposer ces questions en prenant en compte toutes leurs incidences potentielles. Ces sujets doivent donner lieu à un nouveau débat, et je mettrai en oeuvre la politique d'écoute et d'échange que j'ai toujours menée dans ces circonstances. En toute hypothèse, la webradio n'est pas un substitut. D'abord, on transporte moins facilement son émetteur ; ensuite, les risques pour nos libertés - en termes de traçabilité des informations notamment - restent élevés. Je m'en suis entretenu avec M. le président Türk, et ferai là encore preuve de la plus grande prudence.

Le service public ne peut ignorer les contraintes financières qui s'imposent à lui. Sans engager personne, je crois pouvoir dire que les acteurs publics auraient intérêt à participer à ces échanges. Je souhaite étendre la consultation à la régulation des contenus sur Internet. L'idée est de saisir les maillons de la chaîne sur lesquels nous pouvons avoir prise, sans en rabattre sur nos ambitions.

L'éducation aux médias étant une priorité, ma première démarche sera, s'il le veut bien, de prendre contact avec le ministre de l'éducation nationale. Je sais, pour avoir travaillé de longues années rue de Grenelle, qu'on ne peut rien faire sans son aide et son appui.

En matière de publicité, nous vivons une période de moratoire jusqu'au 1er janvier 2016. Je suis très prudent sur ce sujet. MM. Assouline et Legendre ont étudié l'ensemble des effets de la publicité : l'audimat bien sûr, le qualimat également, ainsi que les conséquences, déterminantes quoiqu'implicites, sur les contenus. Certains publics sont plus captifs que d'autres, notamment les jeunes. Par conséquent, il est justifié de circonscrire autant que possible l'exposition à certains contenus : distinguer les publics cibles en fonction des programmes comme selon les horaires me semble pertinent. Je ne peux en dire plus pour le moment, ni me substituer aux éditeurs de services, mais je souhaite qu'une telle réflexion soit menée dans la collégialité du CSA.

L'image et la promotion - parfois à rebours, hélas ! - de la femme sont très importantes pour moi. Au premier plan de mon action seront inscrites la promotion des femmes et la lutte contre toutes les images attentatoires à leur dignité ou à leur capacité d'épanouissement personnel et professionnel. Ce combat est loin d'être achevé. Le CSA a déjà eu et aura à l'avenir un rôle déterminant en la matière. C'est, à titre personnel, un combat que j'ai mené toute ma vie et que je poursuivrai.

Monsieur le sénateur Leleux, vous avez été malicieux...

M. Jean-Pierre Plancade. - Plus que moi !

M. Olivier Schrameck. - Je n'ai pas manqué de percevoir la différence. Avec tout le respect que j'ai pour la fonction politique, je ne suis pas un homme politique - voilà d'ailleurs la première fois que je me présente à des suffrages. Je vous sais gré d'avoir exprimé votre appréciation, même si je regrette vos conclusions. Madame Morin-Desailly, j'ai le même regret. Cela ne fait toutefois pas obstacle au dialogue que je propose d'avoir avec chacun d'entre vous et avec vous-même en particulier.

Je remercie, enfin, madame la sénatrice Cartron de l'ensemble de ses propos. J'entends combattre la fracture audiovisuelle par l'éducation. Elle a énoncé une règle d'or que j'aurai à coeur de respecter si je suis nommé à la tête du CSA, y compris au sein de son administration. Les contenus audiovisuels ne sauraient y échapper : il est souvent fait appel aux mêmes experts, et les programmes reflètent encore imparfaitement la diversité qui fait la force de notre pays.

M. Vincent Eblé. - Un mot sur l'indépendance du CSA : je suis surpris que certains refusent à l'exécutif l'usage d'une procédure de désignation mise en place par ceux-là mêmes qui exigent un surcroît d'indépendance. C'est une assez curieuse conception de l'indépendance que de vouloir désigner aux responsabilités, par principe, des adversaires politiques. Celle-ci devrait en principe conduire à nommer les acteurs des instances de régulation ou demain les directeurs de l'audiovisuel public pour leurs qualités et le projet qu'ils développent pour la fonction, et non selon leurs convictions politiques - même s'il n'est pas interdit d'en avoir pour exercer ces fonctions.

La situation du CSA est singulière : c'est la seule instance française de régulation de contenus à destination du public, mais limitée aux contenus audiovisuels. Les débats relatifs au rapprochement du CSA et de l'Arcep ont mis en évidence la différence de régulation des contenus selon le canal utilisé. Les contenus surveillés par ces deux autorités sont identiques mais les tuyaux qui les conduisent vers les écrans se diversifient, de sorte que les règles d'utilisation d'une vidéo diffèrent selon qu'elle est visionnée à la télévision ou sur YouTube. Quel est le champ d'action pertinent de la régulation audiovisuelle ? Doit-il s'étendre aux contenus privés visionnés sur Internet ? Quelles actions le CSA compte-t-il mener dans ce domaine ?

Mme Bariza Khiari. - Entre l'absence de malice et la malice, j'occupe une position médiane. Je serai honnête : lorsque votre candidature a été annoncée, votre intérêt pour le secteur audiovisuel ne m'est pas apparu évident. L'exposé de votre parcours et des dossiers dont vous avez eu à connaître nous a démontré le contraire. Vous avez manifestement une appétence pour la délibération, le souci du service public, vous accordez une importance à certains mots comme l'impartialité et l'indépendance - j'ai été très sensible à vos propos sur les questions de société.

Je suis moi-même attachée à la cohésion nationale. Or nos médias formatent les représentations, créent des préjugés, façonnent des stéréotypes. Dans ce contexte, le service public doit être le bras armé et visible de la lutte contre les discriminations raciales, l'homophobie, le handicap, et pour l'égalité entre les hommes et les femmes. Nous sommes dans un curieux pays, où la nomination d'un noir au journal de 20 heures de TF1 a été annoncée et célébrée comme un événement. En matière de diversité audiovisuelle, nous sommes loin du compte. Hervé Bourges, qui a beaucoup travaillé et rendu de nombreux rapports sur ces questions, le dit clairement : malgré une prise de conscience, nos résultats ne sont pas satisfaisants.

Je prolonge la remarque de Jean-Pierre Plancade relative à la lutte contre les propos antisémites. Nous ne pouvons certes pas, au mépris de leur indépendance, contraindre les journalistes à quoi que ce soit. Mais l'emploi généralisé, voire abusif par les journalistes de certains termes - islamiste, jihadiste, salafiste - qui ne reflète pas toujours la réalité, me semble de nature à accroître une forme de racisme, de rejet, ou dans ce cas précis d'islamophobie. Camus disait : « mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ». Le service public de l'audiovisuel ferait bien de méditer cette formule.

Mme Corinne Bouchoux. - Les usagers ont envie de participer à différentes responsabilités. Que pensez-vous de la création d'un observatoire citoyen au sein du CSA ?

Si sa gestion est satisfaisante dans la presse écrite, le droit de réponse est bafoué dans l'audiovisuel. Comment comptez-vous remédier à cet état de fait ?

Mme Dominique Gillot. - Vous avez évoqué vos axes de travail : éducation citoyenne, protection des personnes, reconnaissance de la diversité, lutte contre la fracture audiovisuelle. Vous avez mentionné les personnes âgées, les jeunes, mais une autre catégorie de personnes mérite toute notre attention : les personnes handicapées, notamment sensorielles. Ces dernières entendent partager les émotions, les informations, la culture comme tout un chacun. La loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a fixé des objectifs aux chaînes de télévision dès l'instant où elles réunissent 2,5 % d'audience. Des progrès ont été enregistrés en 2009, 2010, 2011, mais l'essor de l'offre de programmes accessibles est quantitatif davantage que qualitatif. Face à la masse de programmes à sous-titrer et à audio-décrire, trop d'officines peu soucieuses du sens des oeuvres se sont engouffrées sur ce marché prometteur. Les professionnels demandent une meilleure régulation de ces activités. Quelles sont vos intentions à ce propos ?

En outre, on voit de plus en plus de personnages handicapées dans les oeuvres de fiction, mais leurs rôles sont souvent joués par des personnes valides, alors que des comédiens, des scénaristes, des réalisateurs, vivent avec un handicap.

M. Louis Duvernois. - Seriez-vous favorable à l'introduction de TV5 Monde sur la TNT ? Deux raisons le justifieraient : d'une part, la chaîne fonctionnant sur fonds publics, il serait normal que le public ait une idée de son utilisation ; d'autre part, j'y vois un moyen de sensibiliser nos compatriotes à l'action extérieure de la France à l'heure de la mondialisation.

En outre, le retour administratif de TV5 Monde dans le giron de France Télévisions, où la chaîne est née en 1984, préfigure-t-il une réorientation de notre pays plus en correspondance avec l'argent public investi majoritairement au sein de TV5 Monde aux côtés de ses partenaires francophones ?

M. Olivier Schrameck. - Monsieur le sénateur Eblé, vous avez perçu mon engagement sur le contrôle d'Internet. Je mesure la complexité du problème au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la liberté de communication audiovisuelle. Si l'action est juridiquement contrainte, techniquement difficile, ma volonté est grande.

Madame Khiari, je partage votre souci de cohésion nationale et l'idée que l'audiovisuel doit être à l'avant-garde de cette grande cause. Je veux rendre ici hommage à l'action de Michel Boyon, qui s'est beaucoup investi sur cette question, en créant une charte et un observatoire de la diversité. Le CSA a d'ailleurs reçu la labellisation « diversité » en décembre 2012. Toutefois, beaucoup reste à faire dans ce domaine. Je prends l'engagement de défendre, promouvoir et respecter minutieusement le principe suivant : que soient en cause des différences sociales, de genre, d'orientation sexuelle, de handicap, toutes et tous doivent être traités selon une égale dignité.

Vous avez raison de dire que les mots sont lourds de conséquence. Nous devons, dans le respect de la liberté des éditeurs de services, exercer deux fonctions essentielles : défendre la langue française, ciment de la communauté nationale, et éviter les facilités d'appellation qui favorisent des assimilations hasardeuses ou dangereuses. A cet égard, je ne peux dire les choses plus clairement que vous l'avez fait.

La loi sur la presse encadre précisément l'exercice du droit de réponse, mais l'état du droit n'est pas satisfaisant. Si beaucoup incombe au législateur dans cette matière, le CSA est à son entière disposition pour dispenser des conseils et formuler des propositions. Donner leur importance aux usagers est un devoir juridique pour nous : destinataires des informations audiovisuelles, ils peuvent se prévaloir de leurs droits et libertés. Dans la sphère audiovisuelle, la réponse à la diversité des publics n'est pas dans la diversité thématique. J'ai vu une chaîne consacrée à la diversité : les personnes supposées incarner les situations de handicap en rendent mal compte. Sans en dire plus, j'ai quelques émissions à l'esprit. Le CSA a déjà fait beaucoup pour promouvoir la langue des signes et pour les personnes mal ou non voyantes. Il existe un logiciel de TNT sur les mutations techniques nécessaires pour l'appréhension par les personnes handicapées. Notre devoir est d'encourager le développement de toutes ces actions. Chaque acteur de la sphère audiovisuelle y sera sensible.

J'ai conscience de l'importance de TV5 Monde, de l'importance de la coopération dans la sphère francophone, et des investissements publics qu'elle implique. Je suis donc favorable à tout ce qui peut encourager sa promotion. Je n'ai pas tous les éléments en main, mais, sur la base de mon expérience de vie hors de nos frontières, soyez assuré que les problèmes de TV5 Monde ne me seront jamais étrangers.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous retenons tous de votre audition, monsieur Schrameck, la promesse d'une concertation assidue avec le Parlement, et nous vous en remercions.

Avis sur une candidature aux fonctions de président du Conseil supérieur de l'audiovisuel - Résultats du scrutin

La commission examine l'avis et procède au vote, par scrutin secret, sur la candidature de M. Olivier Schrameck à la présidence du Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - En application des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, nous allons maintenant procéder au vote, par scrutin secret, sur la candidature de M. Olivier Schrameck, candidat désigné aux fonctions de président du Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Les résultats du vote à bulletin secret sur la proposition de nomination de M. Olivier Schrameck sont les suivants :

- nombre de votants : 29

- abstentions : 2

- nul : 1

- nombre de suffrages exprimés : 26

- pour : 15

- contre : 11.

La commission a donc décidé de donner un avis favorable à la proposition de nomination de M. Olivier Schrameck à la présidence du Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Jeudi 24 janvier 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Nomination d'un rapporteur

La commission nomme M. Bernard Fournier rapporteur sur la proposition de loi n° 262 (2012-2013) de Mme Sophie Joissains et plusieurs de ses collègues, visant à instaurer le port d'uniformes scolaires et de blouses à l'école et au collège.

Fiscalité numérique neutre et équitable - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis de M. Claude Domeizel sur la proposition de loi n° 682 rect. (2011-2012) pour une fiscalité numérique neutre et équitable.

M. Claude Domeizel, rapporteur pour avis. - Google a dévoilé mardi les derniers résultats de son activité : son chiffre d'affaires pour 2012 a dépassé les 50 milliards de dollars, soit une progression de 32 % en un an. Parallèlement, son bénéfice net a augmenté de 10 %, franchissant le seuil symbolique des 10 milliards de dollars. Pourtant, au terme d'un mécanisme - complexe mais légal - d'optimisation fiscale, Google déclare la quasi-intégralité de son bénéfice aux Bermudes, via l'Irlande et les Pays-Bas. Or, les Bermudes ne taxent pas les bénéfices. D'autres sociétés, Facebook, Amazon et Apple en tête, appliquent les mêmes recettes pour un résultat identique : minorer le paiement de l'impôt dans les pays dont elles tirent l'essentiel de leurs revenus, notamment en Europe et aux États-Unis.

Le Conseil national du numérique estime que les revenus générés, en France uniquement, par ceux qu'il est convenu d'appeler les « GAFA » (Google, Amazon, Facebook, Apple) oscilleraient entre 2,5 et 3 milliards d'euros. L'application stricte du régime fiscal français les conduirait à s'acquitter de 500 millions d'euros d'impôt sur les sociétés, au lieu des 4 millions d'euros par an en moyenne qu'ils versent au Trésor public. S'agissant de la TVA, le manque à gagner pour le budget de l'État s'établit à près de 600 millions d'euros. Cette situation a de graves conséquences pour nos finances publiques, et constitue une distorsion de concurrence pour les entreprises françaises du numérique, qui sont pour certaines en grande difficulté. En dix ans, ces entreprises étrangères se sont imposées comme des acteurs incontournables de l'économie numérique et ont popularisé leur modèle technologique. De fait, ces géants de l'Internet aux activités dématérialisées et mondialisées sont un véritable défi pour les administrations fiscales nationales.

La proposition de loi pour une fiscalité du numérique neutre et équitable, déposée par notre collègue Philippe Marini, tente de remédier à ce problème en proposant une taxation ad hoc de certaines transactions de l'économie numérique réalisées sur le territoire national. Elle constitue la traduction législative des travaux menés depuis 2010 par la commission des finances du Sénat sur ce sujet. Souvenez-vous de la création, éphémère car supprimée avant son entrée en vigueur, dans le cadre de la loi de finances pour 2011, de ce qui avait été appelé la « taxe Google » sur la publicité en ligne.

L'article premier de la présente proposition de loi prévoit, à son tour, la création de deux taxes nouvelles sur la publicité en ligne et le commerce électronique (Tascoé), dont serait redevable toute entreprise tirant des revenus en France au titre de l'une ou l'autre de ces activités. L'assiette de ces taxes serait calculée en fonction de la déclaration, volontaire ou par le biais d'un représentant fiscal, de ces revenus par l'entreprise. Elle propose également, dans son article 2, d'étendre aux entreprises établies hors du territoire national la taxe existante sur les ventes et location de vidéogrammes à la demande, dont le produit bénéficie au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Il est en outre demandé au gouvernement, à l'article 3, de fournir un rapport au Parlement sur plusieurs pistes plus ambitieuses de réforme de la fiscalité numérique, au plan national, communautaire et international.

Notre commission de la culture s'est saisie pour avis de l'ensemble de cette proposition de loi, en cohérence avec les travaux qu'elle a menés tout au long de l'année 2012 sous forme de tables rondes en collaboration avec le groupe d'études « Médias et nouvelles technologies ». Nous nous étions particulièrement penchés sur les enjeux de la fiscalité numérique sous l'angle de la rémunération des créateurs de contenus culturels diffusés en ligne et de la recherche de ressources dynamiques destinées au financement des industries culturelles. En tant que rapporteur pour avis, je me suis attaché à analyser le dispositif proposé à l'aune de ces préoccupations. En effet, les commissions des affaires économiques et du développement durable se sont également saisies du texte, dont elles examineront les conséquences pour les domaines qui les intéressent, notamment la taxation du e-commerce et le financement du haut et du très haut débit sur l'ensemble du territoire.

J'ai également souhaité replacer les propositions de notre collègue Philippe Marini dans un contexte européen et international. Si le législateur français a vocation à porter un message fort sur l'instauration nécessaire d'une fiscalité numérique, il ne peut à lui seul en déterminer le contenu. Dans ce cadre, j'ai mené plusieurs auditions : Amazon Europe, Google France, le Syndicat des régies publicitaires et la Fédération française des télécoms, en commun avec Yvon Collin, rapporteur au fond de la commission des finances. J'ai également souhaité rencontrer les principaux opérateurs de l'industrie culturelle : le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), le Centre national du livre (CNL) ainsi que le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV). Les opérateurs de la culture, auxquels notre commission prête évidemment une attention particulière, ne peuvent rester étrangers au débat sur la fiscalité numérique. L'essentiel de leurs ressources consiste en des taxes affectées qui reposent sur les acteurs de l'industrie numérique. Toute modification de la réglementation fiscale applicable à ce secteur d'activité est donc de nature à impacter les acteurs de la culture. En outre, l'industrie numérique est une industrie de contenus, qui bénéficie de la valeur ajoutée et des revenus liés à l'édition et à la distribution des oeuvres françaises et européennes qui ont un lourd besoin de financement. Enfin, le changement des modes de consommation des contenus culturels entraîne une stabilisation, voire un ralentissement, des marchés classiques et donc une érosion de l'assiette de la taxation, qui met en péril le rendement des taxes affectées au financement de l'ensemble de la filière.

Or, pour intéressante que soit l'initiative prise par Philippe Marini d'instaurer une taxation, même modeste, des revenus créés en France par l'économie numérique, elle n'en demeure pas moins inopérante quant à l'affectation d'une partie du produit de la fiscalité numérique au financement de la culture. Seul l'article 2 de la proposition de loi, qui étend la taxe sur la vente et la location de vidéogrammes à la demande aux sociétés étrangères réalisant ce type de transactions au bénéfice d'un consommateur établi en France, instaure un mécanisme qui bénéficie à un opérateur de la culture - en l'espèce, le CNC. L'article premier, qui crée les taxes sur la publicité en ligne et sur le e-commerce, affecte ces nouvelles ressources non pas aux industries culturelles mais, respectivement, au budget général de l'État et aux collectivités territoriales.

Pourtant, les besoins de financement des opérateurs de la culture sont considérables. A titre d'exemple, le CNL est confronté aux difficultés des librairies indépendantes, dont notre commission se préoccupe particulièrement. Il doit également répondre aux enjeux de la numérisation du patrimoine littéraire que constituent les oeuvres sous droits, dans un contexte où les évolutions technologiques font peser une menace sur le rendement de la taxe sur la vente des appareils de reprographie, de reproduction et d'impression. Des défis aussi considérables attendent les acteurs français de la musique. Le succès de Deezer masque la fragilité du secteur : en 2012, la Fnac a ainsi abandonné sa musique en ligne à iTunes, et AlloMusic a fermé. Parallèlement, les ventes de supports physiques s'effondrent, ce qui met en grande difficulté les disquaires indépendants comme les grandes enseignes. Si le secteur de la musique ne dispose pas de son propre opérateur, depuis l'abandon du projet de création d'un Centre national de la musique (CNM), il n'en demeure pas moins qu'il a plus que jamais besoin de soutien financier. A cet égard, l'élargissement des missions du CNV à la musique est envisageable dès lors qu'une nouvelle ressource est affectée au centre, ce qui avait manqué au projet de création du CNM. Quoi qu'il en soit, le CNL et le CNV pourraient utilement bénéficier de nouvelles ressources issues de la fiscalité numérique et notamment de la taxe sur la publicité en ligne créée par l'article premier de la proposition de loi. Son rendement est estimé par l'auteur à 20 millions d'euros par an, ce qui, divisé entre les deux opérateurs, permettrait de répondre à de nombreux besoins.

Outre cette lacune, cette proposition de loi a pour principal défaut de trop anticiper les bouleversements qui pourraient intervenir en 2013 dans ce domaine. Au niveau national tout d'abord, la mission confiée par le Gouvernement à Nicolas Colin et à Pierre Collin a rendu ses conclusions le 18 janvier. Ses propositions sont ambitieuses et quelque peu iconoclastes : les auteurs envisagent d'instaurer une fiscalité incitative assise sur la collecte et l'exploitation par les acteurs de l'Internet des données personnelles des internautes. Sa mise en oeuvre permettrait à l'administration fiscale d'acquérir sur l'activité de ces sociétés les informations nécessaires à l'établissement d'une négociation bilatérale avec les grands groupes en matière de recouvrement de l'impôt sur les sociétés. La mission Lescure, qui concerne plus spécifiquement la politique culturelle à l'ère du numérique et les moyens qui y sont accordés, devrait pour sa part rendre ses conclusions au mois de mars.

La fiscalité du numérique et la neutralité d'Internet, objets d'une table ronde organisée par Fleur Pellerin le 18 janvier, sont donc au coeur des préoccupations en ce début d'année. Le constat est identique au niveau communautaire et international : tous les grands pays consommateurs de services en ligne sont confrontés à la question du recouvrement de l'impôt et aux distorsions de concurrence. En marge du G20 des 5 et 6 novembre 2012, les ministres des finances de l'Allemagne, du Royaume-Uni et de la France ont publié une déclaration commune appelant à une action coordonnée en vue de renforcer les normes fiscales internationales et ont conjointement demandé à l'OCDE de conduire une réflexion sur les mesures permettant de remédier à l'érosion des bases imposables due au transfert des bénéfices vers des pays à basse fiscalité. Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, des propositions gouvernementales devraient donc prochainement voir le jour afin de faire participer les grands acteurs du numérique à l'effort fiscal à due proportion des revenus qu'ils tirent de leur activité sur le territoire national. De telles dispositions, dont il est aujourd'hui prématuré d'envisager le contenu, devraient ainsi figurer dans le projet de loi de finances pour 2014. Notre commission de la culture veillera alors, j'en suis sûr, à ce que les mesures qui seront proposées prennent en compte les enjeux liés au financement des industries culturelles.

Dans l'attente de ces réformes, il me semble qu'il est urgent d'attendre avant de modifier unilatéralement et, du reste, de manière fort modeste au regard des enjeux, notre réglementation fiscale dans ce domaine. Je vous propose donc de donner un avis favorable à la motion de renvoi en commission que la commission des finances a adoptée à l'unanimité lors de l'examen de la proposition de loi hier après-midi.

Mme Bariza Khiari. - Je soutiens le renvoi en commission de cette proposition de loi. Il est plaisant que son auteur soit Philippe Marini, d'habitude plus prompt à défiscaliser qu'à créer de nouvelles impositions. Comme quoi, il ne faut pas avoir de préjugés sur les gens...

Plus sérieusement, nous devons nous donner le temps d'étudier le rapport dense et innovant de MM. Colin et Collin. Iconoclaste dans ses propositions, il nous montre le chemin à suivre pour contrer les stratégies, innovantes elles aussi, des grands groupes. A cet égard, je crains que la proposition de loi de notre collègue Philippe Marini ne soit par trop classique et donc manque sa cible. Nous devons dépasser le cadre national. Le prochain G20 doit avancer sur la réforme fiscale, car tous les pays pâtissent de l'optimisation fiscale. En matière de TVA, nous vivons une période de transition : 2019 est une échéance lointaine. Nous devrions essayer de raccourcir ce délai.

Nous devons également absolument alerter l'opinion sur la situation du livre. Peu de gens savent par exemple qu'acheter un livre sur Amazon appauvrit le pays. Même s'il est écrit, imprimé, stocké puis transporté et vendu en France grâce à l'aménagement physique et numérique du territoire, la France est privée de recettes de TVA sur le livre, d'impôt sur les sociétés et même de taxe sur les surfaces commerciales... Ces grandes sociétés se comportent, au niveau fiscal, en passagers clandestins, sans parler du tort qu'elles causent aux librairies de quartier dont nous avons tant besoin.

Je fais le voeu que le gouvernement fasse siennes et mette en oeuvre rapidement les propositions du rapport de MM. Colin et Collin.

M. André Gattolin. - Je remercie le rapporteur pour la clarté et la précision de son exposé. Je soutiens le renvoi en commission, car les conclusions du rapport de MM. Colin et Collin n'ont pas été intégralement prises en compte. Toutefois, pour avoir suivi les travaux conduits par notre collègue Philippe Marini, je sais qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain car sa proposition est intéressante. Créer des taxes pour financer la culture est une bonne idée, mais il n'y a pas que la culture qui soit affectée par la révolution numérique : de nombreux réseaux physiques le sont également. Rappelez-vous de la taxe créée sur la publicité hors médias pour alimenter un fonds de modernisation de la presse : en 2006, son produit a été affecté au budget général de l'État. Le produit de la taxe sur la copie privée est, lui, reversé aux sociétés de gestion des droits d'auteurs. Notre commission de la culture est aussi celle de l'éducation et de la communication. Nous devons donc prendre en compte toute l'économie du secteur. Aujourd'hui, une grande part des revenus de la publicité trouve son origine dans les contenus coproduits par les utilisateurs. Ce modèle, qui est celui de Google, est passionnant autant qu'inquiétant, car celle qui sera demain la première agence de publicité mondiale ne fonctionne que grâce à eux. Bref, le fait qu'une telle taxe alimente le budget général de l'État me semble cohérent.

En tant qu'écologiste, je suis favorable au renvoi en commission de la proposition de loi Marini. Nous devons cependant prendre des initiatives sans attendre que l'Europe bouge ; le fonctionnement d'Internet est encore régi par une directive de 2004, mais la prochaine directive risque de ne pas être très contraignante...

M. David Assouline. - Le groupe socialiste soutient le renvoi en commission de ce texte. La question qu'il soulève est loin d'être mineure et il faut rendre hommage à Philippe Marini d'avoir, pour une fois, soulevé un problème de régulation. Le secteur de l'économie numérique échappe en effet à l'impôt - qui est déjà une forme de régulation - depuis trop longtemps : nous ne pouvons plus regarder ailleurs. Prolonger notre temps de réaction ne fera que rendre les choses plus difficiles à résoudre encore.

Quelle stratégie adopter ? Ce n'est pas une question de gauche ou de droite. Ce n'est pas même seulement une question numérique, puisque tous les secteurs de la culture sont physiquement touchés : les archives, les bibliothèques, le cinéma. Nous abordons le problème sous un angle trop général, mélangeant l'aspect technique, économique, de compatibilité européenne, de sorte que nous n'y voyons plus clair. Nous gagnerions à adopter une stratégie de taxation ciblée sur chacun des champs de notre compétence.

Certains groupes de presse se sont alliés, face à la crise qu'ils traversent, pour demander une taxe sur ceux qui captent leurs productions. On a invoqué les compétences de l'Union européenne, avant que les Allemands n'adoptent une telle taxe. On a alors organisé des réunions intergouvernementales, notamment avec les Portugais. Depuis Google s'inquiète de la possibilité de légiférer...

Plusieurs raisons plaident pour le renvoi en commission : d'abord, le risque d'incompatibilité avec le droit européen, ce dont Philippe Marini a parfaitement conscience ; ensuite, la commission présidée par M. Pierre Lescure achève en ce moment ses travaux, et fera des propositions dont le gouvernement s'est engagé à tirer les conséquences dans un texte. J'ignore en quoi elles consisteront, mais nous aurons ici un vrai débat le moment venu. Il sera incontournable pour sauver les créateurs des grands groupes, qui s'apparentent aujourd'hui à des « monstres » qui captent tout sans rien créer. Est en jeu rien moins que la survie de la création pluraliste dans le monde.

M. Jacques Legendre. - Enfin une proposition de loi sur ce sujet ! Nous l'avions certes déjà évoquée lors de différents débats, mais désespérions de voir un texte l'abordant de front. Il faut saluer ici le courage de Philippe Marini, expert en ces matières, de vouloir faire bouger les choses. Sa réflexion était même antérieure à la commande du rapport de MM. Colin et Collin.

Nous devons envoyer avec force le message suivant : le Parlement français ne supporte plus que des entreprises, depuis l'extérieur de son territoire, prospèrent en exploitant un nouveau secteur de son économie sans acquitter une juste participation financière. Certes, les choses évoluent. En France, comme à l'échelle européenne, la réflexion progresse. A notre niveau, deux attitudes sont envisageables : renvoyer le texte en commission si on l'estime insuffisamment abouti ou laisser place au travail parlementaire en utilisant la possibilité qui nous est offerte de l'amender. User de la première possibilité donnerait le sentiment que nous hésitons à prendre ce sujet à bras-le-corps. Je serais donc partisan de la seconde solution.

L'eurocompatibilité du dispositif est sans doute un autre sujet. Mais cette proposition de loi a d'abord vocation à témoigner de l'exaspération de la représentation nationale française devant ces groupes qui fragilisent nos industries culturelles. Si je me réjouis de voir Amazon implanter ses hangars dans mon département, je sais que ce ne sera pas sans conséquences pour l'avenir de nos librairies indépendantes...

Mme Catherine Morin-Desailly. - Le chantier de la fiscalité du numérique est à peine entamé. Il faut souligner le travail pionnier que conduit le Sénat sur ce thème : la proposition de loi Marini, la table ronde du groupe d'étude dépendant de notre commission, sont autant d'initiatives à mettre au crédit de notre assemblée.

Les années à venir seront marquées par les questions de territorialité des assiettes fiscales et de distorsion de concurrence entre le secteur matériel et le secteur numérique, source de perte d'impôt sur les sociétés. C'est, à n'en pas douter, une véritable question de souveraineté et d'indépendance nationale et européenne, car c'est bien à une nouvelle forme d'impérialisme américain que nous sommes confrontés. Nous l'avions déjà senti lorsque nous discutions de la TVA à 5,5 % sur le livre.

Au nom du groupe UDI-UC, je ne m'opposerai pas au renvoi de cette proposition de loi en commission. Il reste du travail à mener en commission. Je finalise moi-même un rapport pour le compte de la commission des affaires européennes sur l'action culturelle et la stratégie numérique. Les chantiers sont multiples : ils concernent notamment les données personnelles, dont l'importance a été rappelée par le rapport de MM. Colin et Collin, mais aussi les outils méthodologiques à développer pour guider nos travaux.

M. Claude Domeizel, rapporteur pour avis. - Personne ne s'oppose sur le fond à cette proposition de loi. Certaines interventions, comme celle de M. Assouline, en appellent davantage à l'action de notre commission et à l'initiative de notre présidente.

M. Legendre estime que le renvoi en commission présenterait le risque d'envoyer un signal négatif : il faut pondérer par les prises de position qui seront émises en séance publique. Je respecte sa position, mais la suivre nous mettrait dans une situation ubuesque : la commission de la culture aurait une position différente de la commission des finances, qui a voté le renvoi en commission à l'unanimité, y compris l'auteur du texte. C'est pourquoi je maintiens ma position.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je rappelle que notre commission est saisie pour avis. Le renvoi en commission sera donc effectif quoi qu'il advienne.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de la motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi, votée par la commission des finances lors de sa réunion du mercredi 23 janvier 2013.