Mardi 27 novembre 2012

-Présidence de M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président-

Audition de M. Thierry Bert, délégué général de l'Union Sociale pour l'Habitat

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Je dois tout d'abord vous informer que notre présidente, Jacqueline Gourault, est indisponible jusqu'à la mi-janvier. Le Bureau de la Délégation, réuni le 14 novembre, m'a demandé de la suppléer, ce que je fais bien volontiers.

Nous recevons M. Thierry Bert, délégué général de l'Union Sociale pour l'Habitat (USH). Monsieur le délégué général, l'USH avait communiqué aux états-généraux de la démocratie territoriale une contribution largement axée sur l'idée qu'une nouvelle gouvernance permettant de clarifier le rôle des nombreux intervenants de la politique de l'habitat tout en garantissant la mobilisation de tous était nécessaire. Vos propositions constituent un élément de réflexion intéressant dans la perspective de l'acte III de la décentralisation. Je vous laisse la parole.

M. Thierry Bert, délégué général de l'Union Sociale pour l'Habitat. - Nous ne possédons pas de légitimité à parler sur l'acte III de la décentralisation en général, mais le logement social est une politique nationale d'application fondamentalement territoriale, nécessitant l'établissement d'énormément de liens avec les élus. Notre contribution au débat tend à ce que la mécanique compliquée du logement social puisse mieux fonctionner et que sa gouvernance nationale et territoriale puisse être améliorée.

L'USH est une confédération rassemblant quatre grandes familles : la fédération des offices publics, la fédération des sociétés anonymes, les coopératives - qui font essentiellement de l'accession sociale à la propriété - et, enfin, les sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (SACICAP) - qui font essentiellement de la promotion mais exercent aussi des activités de syndic et des activités de holding axées sur le crédit à l'accession pour les plus défavorisés. Une cinquième fédération membre de l'USH est transversale, puisqu'elle rassemble les associations régionales des quatre autres familles. L'USH ne couvre pas les sociétés d'économie mixte. L'activité de cet ensemble représente 4,2 millions de logements gérés ; les membres de l'USH produisent 100 000 logements locatifs par an et 15 000 logements en accession à la propriété. Le secteur représente 13 000 administrateurs salariés, 70 000 bénévoles, 70 000 salariés, pour l'essentiel gardiens et personnels de proximité. Enfin, 11 millions de personnes sont hébergées par les seules HLM.

En fonction de cet arrière-plan et de l'ancrage local de notre action, nous estimons que nous pouvons contribuer utilement au débat sur la territorialisation de la politique de l'habitat.

On nous demande, d'une part, de renforcer très fortement la production de logement social, puisque nous devrions passer de 100 000 à 130 000 logements produits et, d'autre part, d'accentuer très fortement notre présence sur le terrain et l'accompagnement des locataires. On nous demande aussi de nous préoccuper de populations spécifiques : les plus pauvres, au travers de la politique de droit au logement opposable, les jeunes et les séniors.

La difficulté réside pour nous dans la connaissance des vrais besoins des uns et des autres sur le territoire. Qui doit définir ces besoins, qui doit être notre interlocuteur dans les territoires ? En outre, comment nous constituer nous-mêmes en interlocuteurs de ce vis-à-vis ? La situation est en effet confuse, non pas seulement en raison des modalités concrètes d'exercice des compétences juridiques, mais en raison des entrecroisements d'intérêts et d'interlocuteurs. Notre premier interlocuteur est l'Etat. Il définit la politique du logement et nous tenons à ce qu'il continue à en être le garant. Il apporte trois financements majeurs : la garantie fournie aux fonds d'épargne, à la règlementation du livret A, à l'alimentation des fonds d'épargne par le livret A, qui permet le financement, en moyenne, de 74 % d'une opération. Il apporte également des subventions directes aux opérations par le biais de l'aide à la pierre. Il apporte enfin des aides directes à la personne, ce qui tend à faciliter la solvabilité les locataires. L'Etat joue également un rôle essentiel par d'autres biais : les aides fiscales, dans la mesure où l'ensemble du secteur a un régime fiscal spécifique, ne payant pas l'impôt sur les sociétés et est très largement exonéré de TVA ; l'exonération de taxe sur le foncier bâti dans un certain nombre de zones ; les subventions versées à des associations qui nous servent de relais ; la garantie apportée aux opérations de rénovation urbaine ; la négociation du 1 % logement, désormais fixé à 0,45. Cependant, chacun de ces mécanismes est actuellement fragilisé, dans ses principes ou dans son application. Ainsi, une convention vient d'être passée qui oblige le 1 % logement à subventionner l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et une bonne partie de l'aide personnelle au logement. Il faut aussi prendre en considération le risque que les mécanismes de dépense fiscale soient regardés comme des niches fiscales. Nous estimons de notre côté qu'une politique sociale concernant une partie importante de la population peut difficilement être qualifiée de niche. En ce qui concerne l'aide au logement, le Gouvernement a inversé la tendance négative mais la situation reste fragile.

Il convient donc de renforcer et stabiliser la politique de l'Etat. Ceci étant, l'une des questions de gouvernance à résoudre sera de fixer les modalités du partenariat entre l'Etat, le mouvement HLM et les collectivités territoriales. La pire situation serait que l'Etat se désengage et que le poids financier et politique de ce désengagement retombe sur les collectivités.

La commune exerce des responsabilités extrêmement importantes en matière d'urbanisme ainsi que de production et d'attribution de logements sociaux. Elle garantit le logement social, et parfois le finance par un complément d'aide à la pierre. Elle est, enfin, très engagée dans les programmes de rénovation urbaine, soit en garantie, soit en complément de financement, et toujours en décision. Pour sa part, le département intervient assez fortement sur certaines catégories de personnes, notamment les personnes âgées et les jeunes travailleurs. En outre, les départements peuvent intervenir à travers des offices départementaux qui peuvent soit avoir une politique générale sur l'ensemble du département et les zones limitrophes, soit intervenir à titre « interstitiel », en finançant, par exemple, des constructions en zone rurale s'il existe un gros office en zone urbaine comme c'est le cas à Montpellier. La région intervient principalement en matière de logement des jeunes, de politique foncière, de rénovation énergétique. Comme elle n'a pas de compétence logement à proprement parler, ses interventions sont diversifiées en fonction des régions. En outre, la mauvaise coordination entre les exécutifs régionaux et les exécutifs locaux, notamment municipaux, entrave parfois l'action. A titre d'exemple, dans deux régions, le conseil régional a une politique de rénovation thermique calée sur des normes maximales, ce qui implique un moindre nombre de logements rénovés du fait du surcoût important que cela implique. Telle commune voudrait en revanche rénover un nombre important de logements, avec un niveau moindre de résistance thermique. L'action est alors bloquée, et les crédits FEDER perdus. Le bailleur social pris dans cette contradiction de politiques territoriales ne peut rien faire.

Face à ce type de situations, nous ne proposons pas la prise de pouvoir de l'un des interlocuteurs locaux. Nous pensons que la conjugaison des interventions en fonction de la diversité des politiques et des niveaux d'administration locale constitue un atout. Nous ne souhaitons pas qu'un niveau de collectivité soit désintéressé du logement social. Mais il faut organiser la cohérence des interventions. A cette fin, nous ne proposons ni un guichet unique, ni un interlocuteur unique mais un chef de file autour duquel trois fonctions doivent être assurées.

Tout d'abord, il faut consolider l'identification des besoins qualitatifs et qualitatifs : il s'agit de déterminer comment un bassin de vie, qui serait, dans l'immense majorité des cas, l'intercommunalité, peut susciter une expression cohérente des besoins et développer des réponses adaptées à la diversité des situations territoriales.

A côté de l'expression intelligente des besoins, la deuxième exigence à satisfaire est la mobilisation des représentants de l'Etat, des collectivités territoriales et des opérateurs sur un territoire qui peut être, à nouveau, l'intercommunalité, pour assurer la cohérence des interventions.

La troisième exigence est de faire en sorte que soient prises - peut-être au niveau intercommunal mais en associant étroitement des communes - les dispositions conduisant les collectivités à exercer leurs responsabilités. Ceci concerne notamment, d'une part, les réserves foncières - la constitution de zones d'aménagement, y compris différé, est à prendre en considération à cet égard - et, d'autre part, la rénovation. Ceci suppose une étroite concertation avec l'intercommunalité, en liaison étroite avec la commune.

Il faut trois ans pour qu'un logement sorte de terre, en l'absence de recours abusif, de problème foncier, de problème de dépollution. Si nous voulons une vraie politique où construction neuve, réhabilitation lourde et réhabilitation normale du parc progressent de concert dans le respect des équilibres financiers des organismes, de l'Etat et des collectivités territoriales, une programmation intelligente est indispensable, pour laquelle nous avons besoin d'un interlocuteur, non pas unique, ni exclusif, mais chef de file, conçu de façon différente selon les territoires.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Je souhaite revenir sur la notion de chef de file. Avez-vous envisagé qu'un niveau de collectivité territoriale ait une compétence exclusive en matière de logement social ?

M. Thierry Bert. - Nous avons envisagé cette possibilité mais ne l'avons pas retenue. En effet, le partage de la compétence « logement social » entre les collectivités est une bonne chose. Il enrichit les débats et, surtout, certaines politiques ne sont pas totalement territoriales. Prenons l'exemple des politiques intéressant les jeunes : elles doivent être chevillées à la politique de formation et à la politique économique. En effet, la politique des jeunes doit inclure les étudiants mais aussi les jeunes travailleurs. Une mise en place efficace de ces politiques nécessite une implication de la région, car elle a la compétence sur la formation professionnelle.

Dans certains départements, les offices municipaux des villes métropoles sont très souvent de grosse taille. D'ailleurs, ce sont souvent des offices métropolitains, comme à Lille, Rennes ou Lyon. Le cas le plus simple est celui de Montpellier : vous avez un office métropolitain énorme et, à côté, un office départemental qui fait de l'interstitielle et qui finance les logements sociaux dans le reste de l'Hérault. Chacun exerce la même compétence sur des territoires différents. Nous ne pensons pas qu'une collectivité doive avoir une compétence exclusive. Chacune doit pouvoir contribuer. Mais suivant les territoires, un niveau de collectivité - et nous pensons qu'il doit s'agir généralement de l'intercommunalité-doit avoir le chef de filat.

M. Raymond Couderc. - Le plus simple est que le chef de file soit la collectivité territoriale à qui a été déléguée l'aide à la pierre. Vous citez le département de l'Hérault ; justement, il y a eu délégation de l'aide à la pierre à l'office de Montpellier, celui de Sète, celui de Béziers. Effectivement, dans le reste de l'espace, l'office départemental a la délégation de l'aide à la pierre. Je ne vois pas où réside la difficulté, si ce n'est peut-être pour vous, car cela complique la représentation que vous vous faites de l'organisation du réseau des logements sociaux dans l'Hérault. Or, ce système fonctionne relativement bien. Celui qui a la délégation de l'aide à la pierre apparaît naturellement comme le chef de file. Le plus souvent, ce rôle sera dévolu à l'intercommunalité et, pour certains territoires, ce sera le département.

M. Jean-Claude Peyronnet, président. - Pour les conseils régionaux qui imposent des normes excessives, la mise en place d'un chef de file ne résout pas le problème. En effet, pour obtenir son aide, il faudrait respecter les préconisations régionales fixées.

M. Raymond Couderc. - Quel que soit le système du chef de filat, on ne l'évitera pas. Mais il suffit d'avoir des gens intelligents pour surmonter ce problème.

Je souhaite, en outre, faire un certain nombre d'observations. Ce matin, je participais à une réunion concernant la politique de la ville et sa nouvelle géographie. Dans la mesure où le ministre souhaite que l'EPIC soit le chef de file, il faudra faire évoluer la loi SRU et faire en sorte que ce ne soit plus seulement la ville-centre qui soit soumise au quota de 20-25 % de logements sociaux. En effet, ce quota doit s'appliquer à chacune des communes de l'intercommunalité. Aujourd'hui, les communes de moins de 2 500 habitants n'ont pas l'obligation de construire des logements sociaux et laissent cela à la commune-centre.

Concernant les ghettos, il ne faut pas faire preuve d'angélisme. Ce que je suis en train de vivre à Montpellier n'est pas un cas isolé. Certains appartements ou groupes d'immeubles sociaux sont vacants. La commission d'attribution sélectionne des dossiers, mais 80 à 85 % des personnes concernées refusent le logement proposé : ces personnes, en voyant l'adresse, ou en visitant l'appartement, refusent de s'y installer. Que doit faire l'office ? Afin d'éviter d'avoir une population monospécifique dans certains immeubles ou cages d'escalier, doit-on garder les logements vacants ? Ou doit-on y mettre les gens qui acceptent d'y aller ? Dès lors, ce système conduit souvent à une population monospécifique. Le ghetto n'est pas voulu. Mais, plutôt que d'accepter de disposer de logements vacants, on décide d'accepter d'y mettre des gens au risque de renforcer l'impression de ghettos.

Une suggestion, enfin : j'ai eu deux opérations de construction de logements sociaux qui ont échoué, car des entreprises de gros oeuvre ont fait faillite en cours de chantier. Ces opérations coûtent très cher au final, car on doit relancer la procédure de marchés publics. Des retards s'accumulent sur les chantiers et nous sommes attaqués par les autres entreprises. J'ai fait une suggestion par courrier au Premier ministre : pour traiter de cas similaires, ne pourrait-on, lors de la passation des marchés publics, faire un classement des entreprises ? Et, quand une entreprise fait faillite en cours de chantier, ne serait-il pas possible de pouvoir désigner la seconde dans l'ordre, sans être obligés de relancer toute une procédure de marchés publics ? Cela permettrait de faire des économies de temps et d'argent.

M. Thierry Bert. - C'est une excellente l'idée, sur laquelle nous avons déjà commencé à travailler, en particulier sur la question des coûts de construction. Actuellement, nous formons les personnes chargées des appels à concurrence pour accélérer les procédures afin de les rendre moins coûteuses. Nous allons appuyer votre demande, car tout ce qui permet de gagner du temps est positif.

Je voudrais revenir sur la problématique des ghettos. Je ne ferai pas d'angélisme. Les positions actuelles du ministre de la Ville risquent d'avoir des effets négatifs, ce que j'ai déjà eu l'occasion de lui indiquer, car la suppression du zonage aurait des effets très forts, notamment sur les aides fiscales zonées, ce qui posera à terme un problème pour ces quartiers.

Le fait qu'il n'y ait pas de réelle volonté régionale du partage du fardeau - c'est particulièrement vrai en région parisienne -, parfois même entre communes voisines, fait que le parc n'est pas assez disséminé. Dès lors, on prend le risque de voir se créer des situations comme celles que vous décrivez justement, et pas seulement par cage d'escalier mais par immeuble ou barre d'immeubles. Et si vous avez ce type de situations dans une zone HLM et qu'à coté vous avez en plus une zone très pourvue en copropriétés dégradées, où les gens ne payent plus leurs charges, vous devez faire face à un problème social de mixité et d'image.

La condition pour sortir de ces situations est d'essayer d'essaimer le parc davantage qu'on ne le fait aujourd'hui en raison de l'obstacle communal. C'est la raison pour laquelle je disais que la réanimation de certaines procédures, notamment les zones d'aménagement différées (ZAD), n'était pas une idée incongrue. Et pour cause, on n'utilise plus ces procédures au motif qu'elles sont anciennes et datent des années 80, alors que le droit de l'urbanisme et le droit foncier n'ont en réalité pas changé !

Nous allons avoir une nouvelle loi foncière, saisissons-nous de cette occasion. Certes, les terrains qui seront ouverts à la décote ne seront pas nombreux mais ils pourront éventuellement servir d'amorces à la constitution de zones d'aménagement. Je crois que nous devons traiter ce problème sans tabous, en refusant que les solutions du passé soient condamnées d'avance au motif qu'elles ont déjà été expérimentées.

M. Georges Labazée. - J'ai plusieurs questions, Monsieur le délégué, si vous le permettez. Tout d'abord, sur les réserves foncières, on a vu que des établissements publics fonciers locaux ont été mis en place. Par leur effet de proximité, ils peuvent être des outils importants pour les communes et les bailleurs sociaux. Mais on assiste malheureusement aujourd'hui à un conflit de visions, certains privilégiant la notion d'établissements publics fonciers locaux, d'autres lui préférant celle d'établissements régionaux. Alors, qu'attendez-vous du législateur ? Selon vous, celui-ci doit-il privilégier une solution ? C'est une question importante dans mon département, où nous avons un plan d'urgence logement sur des zones tendues, en particuliers les zones côtières.

Vous avez évoqué la nécessité d'une meilleure coordination entre les acteurs, à laquelle je souscris évidemment. Toutefois, à quel niveau préconisez-vous cette coordination, au niveau régional ou départemental ?

Les dispositifs d'aide à la pierre concernent les agglomérations et les départements. Est-ce qu'ils couvrent bien aujourd'hui l'ensemble du territoire national ou certaines zones sont-elles encore non couvertes ?

Aujourd'hui, les départements assurent la garantie d'emprunt à un grand nombre de bailleurs sociaux, je le constate dans mon département où nous sommes engagés à hauteur de 3 à 4 milliards d'euros de couverture. En contrepartie, nous exigeons un droit réservataire dans les commissions d'attribution. Je voudrais connaitre votre position sur ces dispositifs réservataires, car je sais que des bailleurs sociaux qui composent l'USH n'y sont pas toujours très favorables.

Les offices constituent des satellites ou le bras séculier du département en matière de logement social. C'est vrai dans mon département, où nous sommes en train de mettre en place avec ces offices des conventions d'objectifs et de moyens. Que pensez-vous de ces dispositifs ? Sont-ils mis en oeuvre dans d'autres territoires et faudrait-il les généraliser ?

Enfin, les territoires frontaliers, nombreux en France, font aujourd'hui face à la concurrence des entreprises étrangères candidates à des marchés conformément au droit de l'union européenne. Cette situation génère des tensions avec les fédérations du BTP, qui sont critiques à l'égard de cette nouvelle concurrence et qui attirent l'attention des élus locaux. Je me suis procuré des statistiques sur les trois dernières années, concernant le nombre de marchés publics attribués à des entreprises étrangères : cela représente seulement 1,4 %. En revanche, dans le privé, les entreprises étrangères ont déjà commencé à se tailler un belle part du marché local, parfois entre 20 et 30 %.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Lorsque je présidais le département de la Haute-Vienne, j'ai connu un exemple où les garanties ont été très importantes. Il s'agissait d'une situation dans laquelle quatorze départements du Massif central ont dû s'arranger avec une société qui faisait initialement du logement pour les agriculteurs et qui s'est ensuite lancée dans de grandes opérations, mais qui a finalement fait faillite, ce qui à coûté très cher.

M. Thierry Bert. - Sur la question de savoir si les établissements publics fonciers doivent être de niveau régional, départemental, au niveau du bassin d'emploi, nous n'avons pas de préférence tant que cela est concerté et qu'il y en a un sur un territoire donné. La vraie question est celle de la concurrence et des chevauchements. Les difficultés émergent lorsqu'on crée un établissement public qui entre en concurrence avec un autre.

Nous avons réfléchi à la question de savoir si la concertation doit avoir lieu au niveau de la région ou du département. Il n'y a pas d'unanimité sur ce point. Certains souhaitent qu'un pouvoir normatif soit donné aux régions, mais ils sont peu nombreux à l'intérieur du secteur HLM. Ce dernier estime que le bon échelon est le comité régional de l'habitat, renforcé dans son pouvoir d'évocation des questions, mais que son rôle doit être consultatif. L'exemple souvent cité à cet égard est celui de la Bretagne. Collectivités et bailleurs sociaux se mettent d'accord avant le comité régional de l'habitat, afin de s'exprimer d'une seule voix face aux propositions du représentant de l'Etat. En revanche, nombre de bailleurs sont résolument opposés à l'idée de la tutelle d'une collectivité sur les autres en matière de logement social, même avec une concertation préalable.

Dans le domaine des aides à la pierre, je confirme que des interstices demeurent entre les délégataires. Nous proposons de donner une nouvelle impulsion à cette politique. Comme l'a souligné un rapport de la Cour des comptes d'avril 2011, le principe de délégation des aides et de l'association des collectivités est très sain. Nous souhaitons d'ailleurs les associer plus encore, afin qu'il y ait un niveau local d'adaptation des zonages, ce que la Cour des comptes a proposé dans un autre rapport de mai 2012 sur les zonages. En revanche, nous ne souhaitons pas que des obligations soient imposées aux collectivités dans ce domaine. Des adaptations restent à trouver au niveau territorial. Si les interstices doivent être couverts, ils le seront par un délégataire de niveau supérieur, par exemple le département.

Le principe suivant lequel un financeur est réservataire de droit de logements sociaux est sain. En revanche, le jeu de tricotage que chaque commission d'attribution doit faire en séparant les réservations peut aboutir à des bizarreries et à des blocages. Il semblerait plus intéressant de les gérer plus en flux, c'est-à-dire de pouvoir, par exemple, utiliser un appartement pour un autre réservataire et conserver au réservataire initial un tour prioritaire pour une autre occasion. Le risque, si cette gestion en flux n'est pas mise en place, est que ce soit l'Etat qui mette tout le monde d'accord avec ses propres priorités. Or, celles-ci sont de plus en plus nombreuses et vont se multiplier. Madame Duflot tient à traiter d'une façon spécifique les familles monoparentales, les personnes âgées isolées et les femmes menacées. Si l'on continue de dresser une liste énorme de publics prioritaires à la charge du préfet, il n'y aura plus de place pour des personnes non prioritaires. C'est déjà le cas des jeunes, qui ne peuvent pas bénéficier de logements sociaux.

La convention d'objectifs et de moyens est un excellent outil pour les offices. L'État a essayé de faire des conventions d'utilité sociale (CUS) mais, au terme de plusieurs réunions interministérielles, elles sont devenues d'énormes usines à gaz, avec quelque 70 ou 74 indicateurs.

J'ai signé beaucoup de conventions d'objectifs et de moyens au cours de ma carrière, notamment lorsque j'étais directeur général de France Télévision. Ce système doit pouvoir offrir de la sécurité à l'organisme et lui permettre de planifier son action. Je privilégie les conventions d'objectifs et de moyens sur 5 ans car cela donne des perspectives foncières, des perspectives en matière de construction et d'utilisation des fonds propres. L'Office va alors pouvoir s'engager dans une politique de construction, de réhabilitation, d'assainissement financier, d'équilibre ou d'amélioration de sa gestion, voire constituer une politique de réserve foncière.

Mais, il restera démuni sur la politique de peuplement. En effet, il aura beaucoup de sollicitations de la part d'interlocuteurs autres que le département : le 1% logement, le DALO, la collectivité locale elle-même. Or, l'office va devoir obéir à ces sollicitations. Indépendamment de cela, ce que je dis aux organismes, c'est qu'ils doivent essayer d'instaurer un dialogue avec leurs collectivités territoriales. Par exemple, à Lille, des accords intercommunaux de peuplement ont été signés, de façon à pouvoir gérer en flux non seulement les réservations, mais également le flux de la demande. La réponse à cette dernière doit ainsi être mieux répartie sur un territoire plus vaste. Ce système permet d'avoir une politique intelligente de peuplement.

Enfin, je souhaite faire une remarque sur Paris. Nous avons récemment constaté que la préfecture de police de Paris avait du mal à présenter des candidats à un logement social en raison d'un manque de moyens administratifs pour traiter les dossiers.

En ce qui concerne les entreprises étrangères candidatant à des marchés, nous sommes en Europe, nous ne pouvons rien faire.

M. Georges Labazée. - Mon intervention sur ce point visait à signaler que les informations sur ce thème étaient souvent gonflées. Quand on fait un pointage sur 4 ans, on arrive, dans mon département, à 1,4 % d'entreprises étrangères travaillant dans la construction de logement sociaux. Certes, le territoire de l'étude est limité. Mais l'Espagne est toute proche.

M. Thierry Bert. - En ce qui concerne la question des garanties, elles peuvent encore jouer. Mais le secteur est beaucoup mieux géré qu'à un certain moment. Lorsque j'ai commencé ma vie administrative de jeune inspecteur des finances, il m'est arrivé de devoir faire des recommandations assez fortes dans les années 1986-1988. Aujourd'hui, les choses se sont grandement améliorées. Je souhaite signaler au Sénat qu'il existe un organisme, la Caisse de garantie du logement locatif et social (CG2LS). Elle était alimentée initialement par l'ancien fonds de garantie des HLM, auquel contribuait l'État au début du siècle et auquel les organismes de logements sociaux versent des cotisations annuelles.

Cette caisse constitue un fonds de garantie et d'aides mutuelles avec deux sections. Il y a une section aide qui permet de financer des plans de redressement. En contrepartie, un certain nombre d'engagements sont pris, notamment sur la gouvernance ou le ratio d'exploitation. Puis il y a une section garantie qui nécessite l'immobilisation d'un capital important : 500 millions d'euros aujourd'hui. Ces 500 millions d'euros sont très peu utilisés. En effet, il n'y a pas eu de décaissements de garantie depuis maintenant plusieurs années. Ceci prouve, premièrement que les organismes sont beaucoup mieux gérés qu'auparavant et, deuxièmement, que le mécanisme de prévention est très efficace. Il serait néanmoins très dangereux de supprimer ce mécanisme, car on ne sait pas de quoi l'avenir sera fait. Que l'on s'interroge pour savoir si ces fonds ne sont pas trop importants, si on ne peut pas constituer un fonds de garantie avec des ratios prudentiels moins stricts, en particulier si les grands groupes de sociétés ne peuvent pas être considérés non comme des groupes nécessitant des garanties particulièrement importantes mais comme des collections de petites sociétés ne nécessitant pas forcément la couverture technique dite « grand risque » ? Peut-être. Mais porter atteinte au mécanisme lui-même me parait assez dangereux pour l'engagement de garantie des collectivités locales.

M. Georges Labazée. - Le problème est qu'il nous est demandé une garantie à 100 %. De notre coté, nous demandons pourquoi une garantie du conseil général à hauteur de 50 % ne serait pas suffisante.

M. François-Noël Buffet. - En matière de logement, l'expérience lyonnaise me semble assez positive, depuis plusieurs années. Depuis sa création, la communauté urbaine a pris la compétence logement et sert aujourd'hui de chef de file, en lien avec sa compétence en matière d'urbanisme. Nous avons aujourd'hui un PLU au niveau de la communauté qui offre une vision assez cohérente des choses. Je suis donc plutôt favorable à l'émergence d'un chef de file. En revanche, nous devons nous garder de tout gigantisme, que ce soit au niveau des bailleurs ou du pilote. S'il est important d'avoir une vision globale des enjeux, il faut conserver des outils assez souples pour répondre aux difficultés rencontrées dans l'action quotidienne. Dans les territoires urbains, extrêmement denses par définition, où le foncier est rare, beaucoup d'opérations se mènent finalement à petite échelle.

Reste la problématique de la maîtrise foncière, qui est le nerf de la guerre. Je suis très favorable depuis très longtemps à un outil un peu puissant, qui mette autour de la table non seulement les collectivités territoriales mais aussi les bailleurs de fonds. S'agissant de la taille de cet outil, elle doit être décidée en fonction des circonstances locales, et s'adapter aux besoins des territoires.

Le patrimoine des bailleurs sociaux des années 50 et 60 appelle des actions extrêmement lourdes, notamment dans le domaine énergétique. Or, on n'insiste pas suffisamment sur la revente aux occupants de ces logements. Je reconnais que cette opération n'est pas aisée à réaliser en pratique et que des circonstances très particulières doivent être réunies. Mais pourquoi ne pas imaginer en matière d'immobilier une sorte de location avec option d'achat, qui permette à des personnes locataires depuis 25 ans d'acquérir leur logement ? Nous avons trop tendance à considérer le logement social à travers le prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), le prêt locatif à usage social (PLUS)... Il faut donner plus de lisibilité à l'accession sociale à la propriété.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Monsieur le délégué général, nous vous remercions.