Mardi 10 juillet 2012

- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente -

Examen du projet de rapport de la mission commune d'information

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Avec l'examen du rapport, notre mission d'information arrive à son terme, après un point d'étape le 5 juin dernier. Nous avons mené une cinquantaine d'auditions, visité trois entreprises, étudié quatre pays : Etats-Unis, Danemark, Suède et Australie.

A Bruxelles, nous avons rencontré le cabinet du commissaire à la santé et aux consommateurs. La Commission n'a nullement l'intention de substituer au système actuel de certification un mécanisme d'approbation préalable plus exigeant, même pour une liste limitée de dispositifs médicaux. Elle plaide, au contraire, pour un renforcement du marquage CE, avec un pouvoir d'évocation confié aux autorités nationales en cas de doutes sur la sécurité d'un dispositif médical en particulier. Outre que le processus serait fort lourd, le mécanisme resterait non contraignant et le marquage CE pourrait être délivré malgré l'avis négatif de l'instance regroupant les autorités nationales. Après avoir envisagé une révision des directives relatives aux dispositifs, la Commission s'oriente désormais vers une proposition de règlement, dont le texte serait disponible à l'automne et adopté, au mieux, dans deux ans. Dans cet intervalle, à nous de peser sur la Commission pour amender ce projet.

Un mot sur un sujet qui me tient à coeur, celui des perturbateurs endocriniens. Il y a un an, notre collègue Gilbert Barbier a consacré un rapport à ce sujet, au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), intitulé « Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution ». On a coutume de dire que les dispositifs médicaux ne sont pas mieux encadrés que les jouets. Les substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques sont interdites dans les jouets - et les sextoys... - mais entrent toujours dans la fabrication des dispositifs médicaux ! Les règles de la libre circulation des marchandises nous empêchent d'agir seuls au niveau national. Raison de plus pour proposer l'interdiction de ces substances pour les personnes les plus exposées afin que la future réglementation européenne soit amendée en ce sens. Je compte sur le soutien du Parlement européen, qui a récemment adopté une résolution sur les prothèses PIP, preuve que nos préoccupations sont partagées.

Avec M. Cazeau, nous nous sommes rendus à Villepinte à l'invitation de la société Boston Scientific pour visiter son centre européen de formation dans le domaine de la cardiologie interventionnelle. Nous avons découvert comment les médecins sont formés à l'implantation de dispositifs médicaux. Et cette présentation nous a renforcés dans la conviction que le dispositif médical n'était pas un médicament au rabais. Instituer des règles identiques pour ces deux catégories de produits de santé n'aurait donc pas de sens.

Un dernier mot sur l'esthétique. Ce que nous avons découvert tout au long de nos travaux est effrayant. Sans adopter une posture moralisatrice sur les raisons du recours à ce type d'intervention - qui va se développer avec le vieillissement de la population - nous devons avant tout faire progresser la sécurité.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Cette mission a été créée en écho à l'émotion suscitée par le scandale PIP. Bien plus qu'une simple fraude au gel de silicone, cette triste affaire illustre les dysfonctionnements de l'encadrement juridique des dispositifs médicaux. Les signaux d'alerte - lettres d'avertissement de la Food and Drug Administration (FDA), mission d'inspection de l'autorité sanitaire australienne, plaintes déposées en Angleterre, jusqu'aux interrogations du bureau central de tarification sur la qualité des produits de PIP - montraient pourtant que la chaîne de fabrication et l'organisation même de l'entreprise posaient problème. Le Gouvernement doit demander à l'inspection générale des affaires sociales (Igas) un bilan exhaustif de la gestion de cette crise. Il faut y voir clair, en termes de taux de rupture et de pathologies associées, ainsi que sur les conditions, y compris financières, des opérations d'explantation et de réimplantation. C'est le moins que nous puissions faire pour les trop nombreuses victimes.

Mais cette affaire est l'arbre qui cache la forêt. Au début des années 1990, la volonté de mettre en place le grand marché unique européen a conduit à une nouvelle approche réglementaire, faisant primer la libre circulation des produits sur la sécurité des patients.

Je reviens sur le rôle des organismes notifiés dans la certification des dispositifs médicaux. Je regrette que la possibilité offerte aux fabricants de faire certifier leurs produits par la voie dite bibliographique, qui devait rester l'exception, soit devenue la règle. Dans la plupart des cas, ils se contentent donc de présenter les études déjà disponibles, avec un effet domino : un dispositif peut être assimilé à un produit déjà existant, qui a lui-même été certifié par la voie bibliographique, et ainsi de suite. D'aucuns prétendent qu'un dispositif peut même être certifié par assimilation avec un produit retiré du marché. L'évaluation clinique est insuffisante, même pour les dispositifs les plus risqués. Il faudrait que la certification par équivalence ne puisse jouer qu'une fois ; j'espère que le Gouvernement reprendra cette proposition à son compte.

Pour ce qui est de la chirurgie esthétique, le cadre légal existe et la France est plutôt citée en exemple. Notre attention s'est donc portée sur la médecine esthétique, qui souffre d'une réglementation inadaptée, voire inexistante : c'est une vraie jungle. Il n'existe pas de véritable formation en médecine esthétique et chaque spécialité médicale revendique le droit de pratiquer un certain nombre d'actes, sans compter les dentistes au nom de leur capacité à traiter le sillon naso-génien. Les techniques et les produits évoluent très rapidement et de nouveaux marchés apparaissent - blanchiment des dents, épilation par lumière pulsée, etc. - sans que leur innocuité ait été établie.

Fort de ces constatations parfois dramatiques, souvent désolantes, je voudrais aujourd'hui formuler un ensemble de propositions. Mais avant cela, je souhaite dissiper quelques idées reçues. La première est que les règles régissant le médicament pourraient être transposées sans peine aux dispositifs médicaux. Ce sont deux produits de santé très différents. Nous pouvons nous inspirer du système du médicament mais en l'adaptant aux spécificités du secteur des dispositifs médicaux, je pense par exemple à l'institution d'une éventuelle autorisation de mise sur le marché.

Autre idée reçue : il suffirait d'adopter un modèle existant. Certains de nos interlocuteurs ont présenté la réglementation américaine comme la panacée alors que ses dispositions les plus contraignantes peuvent être contournées dans beaucoup de cas. Très voisin de ce qui existe en Europe, le système de reconnaissance par équivalence substantielle est pratiqué dans 90 % des cas.

Troisième idée reçue, fonder le suivi des dispositifs médicaux sur leur remboursement. Or la pose d'un dispositif médical s'appuie à la fois sur un acte et sur un matériel. Il faut disposer de données précises sur la dépense liée à l'utilisation de dispositifs médicaux dans les établissements de santé en général et à l'hôpital en particulier. Je serais étonné que la Cour des comptes ne se saisisse pas du sujet un jour ou l'autre. Fonder le suivi médical des dispositifs médicaux implantés sur le codage du PMSI est une tout autre affaire.

Dernière idée reçue : croire que tout se joue à Bruxelles. Notre mission en Suède et au Danemark ainsi que les éléments que nous avons recueillis sur le système australien montrent bien que la tenue de registres exhaustifs suppose des conditions précises et se heurte à une réticence quasi culturelle dans notre pays. Mais ce n'est pas la réglementation européenne qui nous empêche d'agir.

J'en viens aux propositions du rapport. Tout d'abord, il faut repenser en profondeur le mécanisme de contrôle des dispositifs médicaux, notamment au niveau européen. La Commission a annoncé vouloir réformer le système des organismes notifiés plutôt que mettre en oeuvre une véritable autorisation de mise sur le marché, sur le modèle du médicament, pour les dispositifs les plus risqués. Nous pensons pour notre part que la certification de ces produits doit se fonder sur des études cliniques poussées, de sorte d'établir une véritable liste positive. Il faut également revoir le mode de fonctionnement des organismes notifiés, aussi bien leur désignation, leurs méthodes de travail ou leur contrôle par les autorités compétentes. Nous proposons d'agir sans délai au niveau national. Il faut commencer par appliquer les dispositions existantes, par prendre les textes d'application de la loi « Médicament ». Deux domaines sont plus particulièrement concernés : l'évaluation des dispositifs médicaux utilisés à l'hôpital et les liens d'intérêts. Les Etats-Unis accordent une très grande importance à la transparence : en complément du Sunshine Act, plusieurs Etats ou universités ont plafonné les sommes susceptibles d'être perçues par les médecins. En l'absence de données précises, nous pourrions dans un premier temps suggérer la mutualisation des sommes perçues et demander la publication en ligne des flux financiers concernés.

Il faut par ailleurs simplifier un certain nombre de procédures afin de rendre la matériovigilance plus réactive : création d'un portail unique de déclaration des incidents, meilleure association des médecins et des professionnels de santé.

Nous souhaitons instituer de véritables registres ; ces instruments de suivi existent dans plusieurs pays et ont fait la preuve de leur efficacité. En Australie, ils ont permis la détection précoce des problèmes liés aux prothèses de hanche DePuy. Il faut encourager les initiatives des sociétés savantes et inciter les médecins à intégrer cette obligation de recueil des données. Au besoin, il nous faudra revoir les règles de protection des données personnelles, quand il y a un impératif de santé publique. La précision du numéro de sécurité sociale fait obstacle à la tenue de registres par les personnes de droit privé. A l'inverse, pour assurer un suivi efficace, il faut pouvoir contacter rapidement les patients et donc les identifier facilement. Nous sommes encore loin du système du registre suédois de la chirurgie de la main où les patients peuvent être contactés par SMS, mais cela ne doit pas nous empêcher de faire évoluer les mentalités.

Enfin, le public doit pouvoir accéder à une information claire et précise sur l'ensemble des incidents car la transparence est le seul moyen de restaurer la confiance.

J'en viens aux interventions à visée esthétique. Il est important de clarifier les compétences et les actes qui relèvent de la médecine esthétique. Pour éviter d'être dépassé par l'évolution des techniques, c'est à la finalité des interventions qu'il faut s'attacher plutôt qu'aux actes eux-mêmes. Une fois cette classification établie, il faut déterminer clairement les compétences des uns et des autres : on ne peut laisser les actes ou matériels dangereux, lampes à lumière pulsée ou cabines de bronzage, entre les mains de personnes peu qualifiées. Non pas que tous les professionnels de l'esthétique soient des irresponsables. Au contraire : l'entreprise Eurofeedback, que nous avons visitée, limite volontairement la puissance des lampes à lumière pulsée. Cela pourrait constituer une des bases de l'encadrement de leur utilisation par les esthéticiennes.

Avec les cabines de bronzage, le danger n'est plus potentiel mais avéré. Je vous propose donc une mesure radicale : leur interdiction pure et simple, hors usage médical. Lorsqu'un risque sanitaire est avéré, nous ne pouvons rester inactifs. Je préfère être accusé aujourd'hui d'excès de précaution que demain d'inertie ! Prenez l'exemple de l'Islande : avant l'apparition des cabines de bronzage dans les années 1980, ce pays ne connaissait quasiment pas de cancers de la peau. Toutes les études montrent que ces cabines ont contribué à la brusque augmentation de l'incidence du mélanome du tronc qui y a été observée depuis 1992.

Il est également urgent de réserver certains actes aux médecins et de doter ceux qui les pratiquent d'une véritable capacité, à travers la création d'un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC), plutôt que d'ériger la médecine esthétique en spécialité médicale à part entière.

Il faut créer un parcours de soins esthétiques, mettre en place une véritable esthéticovigilance. Les Français doivent être alertés sur les dangers qu'ils courent, sur les risques du tourisme esthétique. Dans un premier temps, il faut créer un site internet regroupant l'ensemble des incidents liés aux interventions à visée esthétique. J'espère que cette meilleure information ouvrira les yeux des consommateurs. La création d'un carnet de soins esthétiques constituerait un autre élément utile.

Voici le socle des propositions concrètes, réalistes et réalisables, formulées dans le rapport. Sans perdre de vue l'incidence économique des secteurs concernés ainsi que la nécessité de ne pas freiner l'innovation, je pense qu'elles sont de nature à replacer la sécurité au premier rang des priorités car, selon le principe d'Hippocrate, Primum non nocere.

Mme Gisèle Printz. - Les cabines de bronzage présentent un danger potentiel, dites-vous. Mais comment s'y prendre pour les interdire ? Faut-il une proposition de loi ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - L'interdiction se ferait par décret.

Mme Catherine Génisson. - Je remercie et félicite la présidente et le rapporteur pour la qualité du rapport, en regrettant de n'avoir pu assister à toutes les auditions. Le rapport comporte beaucoup de propositions fondamentales, qui visent à encadrer sans pour autant empêcher.

Je crains toutefois que si les cabines de bronzage sont interdites dans les instituts esthétiques, elles ne se retrouvent chez les médecins. Certes, l'acte ne sera pas remboursé, et l'encadrement médical sera sans doute bienvenu, mais on ne fait que déplacer le problème. La réglementation des cabines de bronzage a déjà bien progressé, il ne faudrait pas que cette proposition soit inopérante.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Les UVA dispensés dans les cabines de bronzage ne font pas bronzer et ne préparent pas à l'exposition au soleil, ils ne font que donner bonne mine. Ces cabines, qui sont fréquentées par beaucoup de jeunes, sont souvent mal utilisées, en durée ou en intensité, au risque de brûlures. On a constaté depuis quelques années une multiplication des tumeurs de la peau, dont la plus grave est le mélanome, mortel s'il n'est pas détecté précocement.

Je sais que cette proposition d'interdiction suscitera des protestations, mais les arguments scientifiques sont irréfutables. Les officines de bronzage ne disent pas la vérité aux clients !

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Le rapport avance des chiffres : 16 % de la population a eu recours à ces cabines.

M. Gilbert Barbier. - A mon tour de féliciter la présidente et le rapporteur. Je vous trouve toutefois très gentils avec les pouvoirs publics de notre pays. Ceux-ci n'ont pas davantage réagi pour les prothèses PIP que pour le Mediator ! Peut-on parler de faute ? Je ne sais pas. Il faut toutefois s'interroger sur les procédures qui ont permis à cette entreprise de commercialiser pendant des années ses prothèses défectueuses.

Le rapport formule trente-huit propositions. Ne pourrait-on pas les hiérarchiser, afin de faire ressortir celles qui sont vraiment prioritaires, comme l'évaluation des organismes de certification ?

Au niveau européen, les choses évoluent lentement, et le libéralisme est la règle. En termes de matériovigilance, la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique (Sofcot) gère un registre des prothèses implantées : c'est un bon exemple de surveillance des patients, qui mériterait d'être officialisé au niveau du ministère de la santé. Même chose pour l'organisme associatif qui assure le suivi des pacemakers. Il manque toutefois un contrôle par les pouvoirs publics.

On ne peut totalement dédouaner les autorités sanitaires de notre pays, qui doivent pouvoir agir plus efficacement en matière de suivi et de contrôle.

M. René-Paul Savary. - La proposition choc du rapport est l'interdiction des cabines de bronzage. Outre l'aspect économique, ne craignez-vous pas que cette interdiction n'entraîne des dérives, un développement du tourisme esthétique ? Etant donné la législation européenne, ne pourrait-on, dans un premier temps, conditionner l'accès aux cabines de bronzage à la présentation d'un certificat médical ? Avez-vous envisagé une phase intermédiaire avant l'interdiction totale ?

M. Jean-Jacques Mirassou. - Sans condamner a priori tout ce qui tend à améliorer la perception esthétique que les gens ont d'eux-mêmes, nous sommes face à une question de société : comment développer l'esprit critique face aux canons esthétiques ? L'engouement pour les cabines de bronzage résulte bien d'un phénomène de société, d'une mode qui n'existait pas il y a vingt ans et passera peut-être dans vingt ans. Reste que, dans l'intervalle, elles peuvent être à l'origine de pathologies gravissimes.

Je plaide pour une information renforcée, afin que les gens qui ont recours à ces pratiques le fassent en pleine connaissance de cause. C'est un impératif. Dans une autre vie, je me suis frotté aux soins dentaires : dans ce domaine aussi, il existe des phénomènes de mode, et j'ai souvent refusé des opérations que je ne jugeais pas nécessaires. Pour le comblement des caries dentaires, certains pays ont disqualifié les amalgames, alors que le matériau de substitution - une résine qui se révèle n'être pas dénuée de risques - vaut avant tout pour son aspect esthétique, les laboratoires en ont d'ailleurs fait l'ardente promotion. Malgré une quantité d'études attestant de l'innocuité des amalgames - qui ne sont dangereux qu'au moment où on les retire - la question revient sur la table.

Comment développer l'esprit critique des gens ? La médecine esthétique est un moindre mal, mais que dire des autres pratiques, comme le blanchiment des dents ?

Je suis pour l'interdiction des cabines de bronzage : on n'a pas le droit de causer des mélanomes par pure coquetterie.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Notre mission n'a pas voulu traiter directement des amalgames dentaires, même si le sujet a été abordé via celui des perturbateurs endocriniens.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Monsieur Savary, la position de l'Europe est ambiguë. Pour Bruxelles, le système est bon dans son principe, seule la pratique est mauvaise. Il faut donc mieux encadrer les organismes notifiés, renforcer le suivi, se doter d'une commission de contrôle. Mais il n'est pas question d'aller vers un système d'autorisation de mise sur le marché qui se rapproche de celui du médicament. Les députés européens, notamment le rapporteur de la résolution sur les prothèses PIP, Gilles Pargneaux, vont certes plus loin, mais c'est souvent le point de vue de la Commission qui l'emporte.

Les avancées attendues d'ici un ou deux ans au niveau européen ne changeront pas le système. Rien n'empêche d'agir au niveau national en matière de matériovigilance, par décret, par exemple en confiant à la nouvelle Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) un certain nombre de nouvelles prérogatives.

Jamais Bruxelles n'interdira les cabines de bronzage. Pourtant, l'exemple de l'Islande est édifiant : depuis l'introduction des cabines dans les années 1980, les mélanomes se multiplient. Mais en Europe, c'est la loi de la concurrence qui prime. Il faut informer les gens sur le danger qu'ils courent !

M. René-Paul Savary. - Ils iront ailleurs...

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Tant pis pour eux. Il y en a bien qui vont se faire refaire le nez ou les seins en Tunisie, dans des conditions effarantes...

J'invite M. Barbier à se reporter aux pages 9 à 15 du rapport : on ne peut pas dire que nous soyons « gentils » avec les autorités nationales dans l'affaire PIP. Nous en démontrons les manquements. Les Américains, parfois laxistes, ont fini par interdire les prothèses PIP ; quant aux Australiens, ils étaient édifiés après avoir visité l'usine où elles étaient fabriquées.

Il est difficile de hiérarchiser les propositions, qui sont toutes importantes, d'autant que beaucoup découlent les unes des autres.

En matière d'esthétique, nous proposons que l'ANSM ait une compétence de police sanitaire, qu'elle centralise tous les signalements, qu'elle crée des sites internet ou des banques de données pour mieux informer la population. Nous demandons bien aux instances françaises de faire leur travail !

M. Mirassou a soulevé une question de société, celle du standard esthétique. Il faut d'abord renforcer l'information, sur Internet, à la télévision, et mettre en garde, à l'instar de ce qui existe sur les paquets de cigarette ou pour les accidents de la route. Nous faisons des propositions ; il appartient au Gouvernement et au législateur de décider. Si l'on dit clairement que les cabines de bronzage ne font pas bronzer mais favorisent en revanche le mélanome, cela devrait faire réfléchir.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - S'agissant de l'affaire PIP, précisons que la procédure judiciaire en cours nous oblige à adopter un ton neutre dans le rapport.

Mme Aline Archimbaud. - A mon tour de remercier la présidente et le rapporteur. Les propositions du rapport sont intéressantes. Beaucoup reprennent des sujets qui ont été débattus dans le cadre de l'examen de la loi « Médicament », à commencer par la nécessité de mettre fin à l'opacité des relations financières entre les fabricants et les médecins.

Sur la question de la vigilance, j'ai été frappée, lors de notre déplacement en Suède, par le récit de cette chirurgienne, spécialisée dans la médecine de la main, qui a décidé de monter, seule avec son équipe, un registre ensuite étendu au niveau régional.

C'est une piste à explorer pour donner une suite concrète à ce rapport, pour faire évoluer les esprits. En Suède, les médecins se sont organisés face à l'inertie des autorités nationales et à la grande faiblesse de la réglementation européenne. Cela fonctionne. Les chirurgiens y utilisent seulement trois ou quatre marques sur les six cents existantes. Ne peut-on pas confier aux régions ou aux agences régionales de santé le soin de monter des expériences pilotes sur les registres avec des médecins volontaires ?

M. Jacky Le Menn. - Je salue le travail considérable mené par la présidente et le rapporteur. Grâce à la précision des questions posées lors des auditions, nous sommes allés au plus profond des thèmes abordés. Ce rapport est donc très riche. Contrairement à M. Barbier, il ne me semble pas insuffisamment sévère à l'égard des pouvoirs publics. Le marquage CE existe ; à nous de le renforcer pour éviter le laxisme, l'indifférence ou, pire, la complaisance.

Le triptyque santé, beauté, sécurité, dans le titre du rapport est bien trouvé. Il met le doigt sur l'émergence de l'attention portée au corps et à la recherche de la beauté dans notre société tout en insistant sur la priorité de la sécurité.

La clarification des compétences entre chirurgie esthétique, médecine esthétique et « simple » esthétique est un vrai sujet. La médecine esthétique appartient à un ensemble plus global qui doit être considéré dans son entier. Nous devons faire des choix clairs sur les compétences des uns et des autres sans accabler les professionnels de l'esthétique qui croient souvent bien faire. Quelles compétences doivent rester du ressort du médecin ? Lesquelles transférer aux autres professions médicales et sous quelles conditions de formation complémentaire ?

Les trente-huit propositions du rapport sont toutes pertinentes, le personnel médical doit se les approprier. En tout cas, elles doivent servir à faire avancer la réflexion européenne sur les dispositifs médicaux et esthétiques.

Mme Catherine Deroche. - A mon tour de saluer la qualité de ce travail engagé après le scandale des prothèses PIP. La frontière entre médecine et esthétique est difficile à tracer, vous avez su la marquer clairement.

Les propositions sur la formation et les diplômes qualifiants sont particulièrement intéressantes. Il faut combler le manque actuel.

Quant aux registres, la Sofcot en a bien créé un, mais il est peu renseigné par les chirurgiens sans que l'on ne sache très bien pourquoi.

Je suis favorable à l'interdiction des cabines de bronzage. D'autant que leur utilisation, a priori, ne dépend pas d'indications thérapeutiques, sauf pour...

Mme Catherine Génisson. - ...le psoriasis. Néanmoins, le détournement des actes médicaux n'est pas rare, notamment chez les kinésithérapeutes.

Mme Catherine Deroche. - L'idée que les cabines de bronzage préparent la peau au soleil est encore très présente dans les esprits. Pour autant, cette proposition choc ne doit pas occulter le reste du travail entrepris, qui est considérable.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Effectivement ! La plupart des gens pensent que, grâce ces séances, ils bronzeront mieux. Tout un pan de l'économie est concerné. L'interdiction des cabines de bronzage fera l'effet d'une bombe.

Dans le même ordre d'idées, je pense aux officines de blanchiment des dents. C'est une activité juteuse pratiquée par des gens qui, contrairement aux dentistes, n'ont pas de compétences médicales. Nous allons au devant d'une autre catastrophe sanitaire.

Les complications liées au tourisme esthétique, par exemple une septicémie qui peut entraîner une incapacité, coûtent cher à la sécurité sociale. Ne peut-on pas demander aux médecins de déclarer que l'infection est la conséquence d'une opération à visée esthétique pratiquée à l'étranger ?

Mme Catherine Deroche. - C'est impossible car cela équivaudrait à un refus de prise en charge.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - La personne sera soignée, mais on progressera dans la connaissance du nombre de malades.

Mme Catherine Génisson. - C'est une proposition forte à élargir au suivi de toutes les opérations, qu'elles soient pratiquées en France ou à l'étranger, par des études randomisées. Il faut comparer les taux de complication des interventions réalisées en France de celles pratiquées à l'étranger.

Ce rapport soulève des problèmes sociétaux qui seraient à considérer sous un angle philosophique. Au XIXe siècle, une belle femme devait avoir la peau blanche et laiteuse, des formes avantageuses. Aujourd'hui, elle se doit d'avoir la peau hâlée et d'être mince. Les images de mannequins contribuent, en partie, à la progression de l'anorexie chez les adolescentes.

Ce rapport doit maintenant déboucher sur des propositions concrètes : des études randomisées par type d'intervention, par exemple la pose de prothèses mammaires, et un registre obligatoire pour les prothèses de hanche. Nous avancerons ainsi dans la connaissance objective des dispositifs et des complications que leur implantation peut entraîner. Sans oublier que ces complications sont parfois le fait du matériel, du médecin ou de l'état général du patient.

M. Alain Néri. - Le rapport est très intéressant, il met l'accent sur l'action pédagogique. Cela dit, des gens continuent de fumer bien que leur père soit mort d'un cancer du poumon ou qu'ils lisent tous les jours « fumer tue » sur leur paquet de cigarettes. Dans ce domaine, il est difficile d'avoir une action efficace. Lorsque j'ai travaillé sur le dopage, nous avions pris des précautions oratoires. Notre proposition de loi était relative à la « santé publique et à la protection des sportifs ». Cela n'a pas suffi à persuader les sportifs d'une vingtaine d'années de ne pas prendre des produits qui leur détruiraient la santé trente ans plus tard. Dans notre monde de plus en plus virtuel, tout le monde veut être beau et fort. Si, en prime, tout le monde pouvait être riche, ce serait encore mieux !

Comment traduire concrètement les propositions de ce rapport sans tomber dans des mesures si précises et sévères qu'elles deviendraient inapplicables ? Pourquoi vouloir appliquer aux pays du Sud de l'Europe les solutions du Nord et réciproquement ? Ce n'est pas la solution. Nous sommes des Latins, et nous ne partageons pas forcément la vision des Anglo-Saxons.

Le rapport est achevé, il faut maintenant que tout ce travail ne se résume à l'interdiction des cabines de bronzage.

Mme Gisèle Printz. - Après le scandale des prothèses PIP, les implantations de prothèses mammaires ont-elles régressé ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Je vais aborder les différents sujets les uns après les autres. Les registres ? Notre proposition n° 18 est de les rendre obligatoires, sous les conditions posées par la Cnil, en y associant les médecins et le Conseil national de l'ordre des médecins. Sans eux, ils ne fonctionneront pas. L'exemple suédois est intéressant, mais ce pays compte neuf millions d'habitants, et la France plus de soixante-quatre millions. Il faudrait atteindre le seuil représentatif de 70 % mais notre culture est bien différente.

Les compétences sont à clarifier entre chirurgie esthétique, médecine esthétique et esthéticiennes. Le premier secteur est bien encadré ; pour les autres, il reste des marges de progression. Prenons l'épilation : les lampes à lumière pulsée d'une puissance inférieure à dix joules que les esthéticiennes ont le droit d'utiliser ou celles que l'on trouve dans le commerce, ne brûlent pas les poils à la racine. Au contraire, elles accéléreraient la repousse.

Les officines de blanchiment des dents ? Leur toxicité est moindre que celle des cabines de bronzage : les gens s'en sortent avec une bonne gingivite, leur vie n'est pas en danger.

Sur les complications, Mme Génisson a raison. En France, si elles sont plutôt rares et moyennes, elles existent aussi. Elles sont fréquentes à l'étranger pour une raison simple : les gens sont opérés puis se reposent trois jours à l'hôtel sans aucun suivi. Le risque d'infection est maximal durant cette période. Les gens consultent leur médecin généraliste en rentrant en France et la sécurité sociale paie. Comment l'éviter ? Je n'ai pas la solution.

La comparaison que M. Néri a établie avec le dopage est assez juste. Nous ne sommes pas sous une dictature, nous ne pouvons pas faire le bonheur des gens contre leur gré !

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Si personne ne demande plus la parole, nous allons pouvoir passer au vote.

Mais avant cela, je vous propose le titre de notre rapport, qui pourrait être « Santé, beauté, une priorité : la sécurité ».

Quelqu'un a-t-il des observations ?

La mission commune d'information adopte cette rédaction.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous passons maintenant au vote du rapport. Qui est pour ? Qui est contre ? Qui s'abstient ?

Le rapport est adopté à l'unanimité.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Conformément aux règles que nous avions définies au début de nos travaux, je vous propose d'autoriser la publication du rapport que nous venons d'adopter.

Il en est ainsi décidé.