Mercredi 15 février 2012

- Présidence de M. Yves Daudigny, président -

Audition de M. Jean de Kervasdoué, titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé du conservatoire national des arts et métiers

M. Yves Daudigny, président. - Monsieur de Kervasdoué, vous étiez le directeur des hôpitaux de 1981 à 1986, lors de la création de la dotation globale, ce changement majeur dans les modalités de financement. A cette époque également a été lancé le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) sur lequel s'appuie la tarification à l'activité. Depuis 1997, vous êtes titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé au Conservatoire national des arts et métiers. Votre expérience au ministère de la santé et vos fonctions universitaires sont précieuses pour nous aider à dégager les principaux enjeux du financement hospitalier.

Quelle est votre évaluation de la T2A, après huit ans ? La manière dont les tarifs ont été définis et appliqués a-t-elle conduit à des financements plus équitables ? La T2A comporte-t-elle des effets pervers ? Quels correctifs seraient-ils souhaitables ? Faut-il réduire, ou au contraire augmenter, la part de T2A dans les ressources des établissements ?

M. Jean de Kervasdoué, titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé au Conservatoire national des arts et métiers. - La réponse à vos questions est simple et brève. Laissez-moi vous dire une banalité qui n'en est pas une et qui évitera bien des bêtises et des contresens : dotation globale ou système de tarifs, on a toujours besoin de mesurer l'activité de l'hôpital, en journées, en actes et en groupes homogènes de malades, les GHM - notion inventée par mon ami Robert Fletter et que j'ai importée des Etats-Unis.

Mesurer en journées revient à dire que l'hôpital ne sait pas soigner et qu'essentiellement, il héberge, comme s'il était plus important de garder un opéré de la cataracte dans un lit que d'améliorer sa vision... Il y a eu d'abord le prix de journée, en vigueur il y a une quarantaine d'années ; puis le prix de journée par spécialité, dans les années 70. Celui-ci ne fonctionnait pas : pour les quinze services de cardiologie de l'AP-HP, par exemple, il était impossible d'établir un prix de journée homogène, car ils ne faisaient pas tous la même chose. Bref, pour le dire en économiste, à l'hôpital, il n'y a pas de fonction de production.

J'ai rédigé le décret du 11 août 1983. Il précisait que les dotations globales étaient « calculées en fonction de l'activité ». Toute la question est de savoir ce qu'est l'activité. En ce domaine, la continuité républicaine est remarquable : l'idée venait de Mme Veil, M. Barrot a fait voter la loi, ensuite ont été menées des évaluations et expérimentations sur la tarification. Le but était clair, stopper l'inflation des coûts : 29 % en 1973 ! Quelles bagarres avec le directeur de la sécurité sociale, qui voulait une réforme purement financière quand je voulais aussi une réforme de la gestion. J'ai gagné en droit, perdu en fait ; les choses n'ont pas évolué rapidement et les inégalités de dotation sont demeurées.

Quel que soit le système proposé, un indicateur de mesure de l'activité est nécessaire. Sinon, voyez le cas de la prise en charge des handicapés : on ne parvient pas à établir le moindre lien entre gravité des pathologies et financements, et c'est la pagaille.

La tarification à l'activité est un indicateur de la crise à l'hôpital, non l'inverse. On peut tout demander à un système de financement. Le problème aujourd'hui est que l'hôpital court avec un boulet au pied, tandis que les cliniques, ne traînant pas ce boulet, galopent. Je pense le plus grand mal de la loi Bachelot et je ne comprends pas qu'un gouvernement de droite se soit lancé dans une réforme à la soviétique. L'hôpital aujourd'hui subit trop de contraintes : il y a le titre IV de la fonction publique hospitalière, que j'ai rédigé. Il est le plus libéral des trois titres, hélas, un certain nombre de décrets n'ont pas été publiés, notamment parce qu'ils auraient autorisé des licenciements ; il y a ensuite le code des marchés publics ; il y a encore les quarante-trois familles de réglementation qui rendent la vie quotidienne impossible - les infirmières ont droit à une pause café à telle heure, puis une autre à telle heure, etc. : c'est à vous rendre fou. L'Etat, qui se mêle de tout, devrait se borner à vérifier que les missions de service public sont effectuées de façon satisfaisante, or, il entre dans les détails de la gestion. C'est ici qu'on retrouve la loi Bachelot : l'hôpital a disparu parce qu'on a établi une ligne directe entre le ministre, le directeur d'agence et l'hôpital. Les agences régionales de santé (ARS) paient, et les nominations sont le fait du ministre. Les étrangers sont ébahis quand on leur explique qu'un pneumologue de l'hôpital d'Avignon est nommé depuis un bureau de Paris.

M. Alain Milon, rapporteur. - Ce n'est pas exact.

M. Jean de Kervasdoué. - Formellement, cela se passe ainsi. Le système hospitalier est devenu bureaucratico-corporatiste ; l'Etat se mêle de tout et les présidents des CME sont élus - contrairement à ce qui se passe en Europe du nord, soit dit en passant. Bien que le National Health Service britannique reste étatisé, les hôpitaux ont une indépendance de gestion grâce à des « trusts » publics. J'ai suggéré dans le passé que le maire nomme un président du conseil d'administration à l'hôpital, responsable civilement et pénalement, au lieu d'occuper lui-même cette fonction. Car si le maire est généralement bon gestionnaire des deniers communaux, il l'est moins des deniers d'une institution où il a beaucoup d'influence et aucune responsabilité. Un président responsable juridiquement nommerait le directeur et le président de la CME. Il tiendrait sa légitimité de l'institution elle-même. Aujourd'hui, les directeurs des ARS choisissent des directeurs non pour leur personnalité affirmée et leur indépendance, comme Jacky Le Menn, plutôt pour leur capacité à leur dire « oui, monsieur le Directeur ». Cela éclaire la T2A.

Les ressources provenant de la T2A sont proportionnelles à l'activité, mais les contraintes empêchent de s'ajuster à celle-ci. Une généralisation de la T2A ne me semble pas souhaitable sans une indépendance accrue de l'échelon local. Tout est compliqué, il faut attendre le renouvellement des générations dans certaines catégories de personnel, les infirmières par exemple : les cliniques s'ajustent beaucoup plus rapidement.

Une partie des financements est liée aux groupes homogènes de séjours (GHS), une autre aux missions d'intérêt général et aides à la contractualisation (Migac), une troisième aux tarifs. On en revient à la question : qu'est-ce que l'activité ? Pour des raisons politiques, l'hôpital voit sa consultation externe payée comme une consultation de médecine de ville, 23 euros pour un généraliste, 27 euros pour un spécialiste, alors qu'une consultation de professeur de médecine coûte 150 euros et celle d'un praticien hospitalier entre 120 et 130 euros. Le professeur André Grimaldi me disait : « quand je débrouille un diabète qui aurait pu avoir des conséquences graves, il est scandaleux de ne pas payer la consultation à son prix... », et il a raison.

Alors, pourquoi notre système de santé est-il le plus cher au monde ? Parce que nous choisissons toujours le plus cher : plus d'hospitalisations plus nombreuses qu'ailleurs - 70 % de plus ! -, plus de médecins, et plus de spécialistes que de généralistes, plus de soins médicaux et moins de soins infirmiers, plus de prescriptions... Si nous suivions l'exemple norvégien, nous économiserions 270 euros par habitant en médicaments, soit 17 milliards. La question est celle du transfert de l'hôpital vers la ville : nous avons 3 500 hôpitaux, contre 2 080 en Allemagne et 640 au Royaume-Uni. Nos hôpitaux emploient autant de personnes qu'en Allemagne, où la population est 25 % plus nombreuse. Tout ce qui favorise le transfert, l'externe, la souplesse doit être favorisé, à commencer par la chirurgie de jour.

Les Migac sont difficilement sécables. Dans certains cas, on pourrait accroître les financements. Nous ne sommes pas capables aujourd'hui d'évaluer précisément les conséquences budgétaires de l'état sanitaire de la population. Faut-il augmenter la part des urgences ? Je crois que oui. Un système à seuils ne me paraissait pas idiot. L'enseignement et la recherche devraient être financés par l'Etat, ils le sont en partie par l'assurance maladie. Cependant, dans les centres hospitaliers régionaux, les choses évoluent plutôt dans le bon sens.

A l'origine, les tarifs des cliniques privées n'ont pas été calculés sur la même base que ceux des hôpitaux. En 2002, on a pris comme référence ce que payait l'assurance maladie par GHM - on ne pourra pas le refaire, puisque le paiement à la journée a disparu. Comment calculer les tarifs des cliniques privées ? Si l'on peut exploiter la comptabilité analytique des hôpitaux, calculer le taux de profit des cliniques privées et le qualifier est une tâche bien délicate.

Je prône quant à moi la médicalisation des tarifs. Ce n'est pas une vaste entreprise, puisque la moitié de l'activité se concentre sur environ 50 GHM dans le privé et 80 dans le public. Pour une prothèse de hanche, demandons à un orthopédiste français et à un étranger quelle est la conduite thérapeutique de référence : deux heures de bloc, répondront-ils peut-être, un jour de réanimation, trois de surveillance, tels examens, telle quantité de sang... On reprend ensuite les coûts analytiques correspondants et l'on reconstitue le tarif. Un exercice plutôt amusant car, personne ne l'a dit, la dotation globale n'a pas suscité d'économies : calculée à la moyenne, elle a rendu plus équitables les financements, sans avoir de fonction redistributrice.

En 1991, l'assurance maladie m'avait demandé d'évaluer ce qu'elle devrait payer si les cliniques étaient à la T2A. Sur les GHM fréquents, l'éventail des tarifs est de 100 à 150 pour un accouchement, de 100 à 300 pour la prothèse totale de hanche, de 100 à 500 pour les varices. Revenons à notre prothèse totale de hanche : l'hospitalisation étant à l'époque comprise entre onze et vingt-six jours, la durée moyenne implicite était de dix-huit jours, quand les spécialistes l'estimaient à sept jours. Pour sortir de la comptabilité analytique et remédicaliser les tarifs, il faut recomposer ces derniers en fonction des conduites thérapeutiques.

Mme Catherine Deroche. - Un package ?

M. Jean de Kervasdoué. - Je pars des GHS, j'interroge les chirurgiens : combien de temps passé au bloc, quels examens, quelle hospitalisation. Puis je calcule l'heure de bloc, le tarif des actes, de la journée d'hospitalisation.... En trouvant une classification différente, nous parvenons à établir des tarifs pour les critiques où les GHS n'obéissent pas aux mêmes hiérarchies - les honoraires des praticiens ne sont pas le seul problème.

M. Alain Milon, rapporteur. - La remédicalisation des tarifs impose de suivre les évolutions médicales et technologiques.

M. Jean de Kervasdoué. - Elle est faite pour cela ! Toutefois, la durée implicite de séjour, pour une hanche, demeure de dix jours et les patients sortent bien avant.

Mme Catherine Deroche. - Pourquoi ne procède-t-on pas comme vous le suggérez ? Cela paraît si simple !

M. Jean de Kervasdoué. - Posez la question à Mme Podeur.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Nous n'avons pas eu le temps.

M. Jean de Kervasdoué. - Hormis dans certains secteurs, soins de suite, psychiatrie, il ne faut pas mesurer à la journée et privilégier l'hébergement comme indicateur d'activité ; ailleurs, ce n'est pas un bon indicateur, il conduit à pénaliser certaines activités, et en favoriser d'autres. Plus de Migac, moins de GHM, pourquoi pas ? Cela n'est pas critiquable et pourrait être encouragé. Je suggère d'augmenter les tarifs des consultations externes des hôpitaux publics, en appliquant une méthode fort simple de consultants : on additionne les coûts (salaires, nombre d'infirmières, mètres carrés de bureaux utilisés, quote-part de consommation d'eau, de gaz et d'électricité) ; on divise le tout par le nombre d'heures travaillées ; l'on obtient un tarif de 2 000 euros par jour pour les professeurs en médecine ; l'on en déduit le prix de la consultation d'une demi-heure, soit 200 euros . Il est souhaitable en tout cas de définir une méthode commune de calcul des tarifs dans le public et dans le privé. C'est ce que l'on peut faire avec la remédicalisation.

M. Alain Milon, rapporteur. - Médicaliser les tarifs ? Oui, si les maladies n'étaient pas différentes d'un patient à l'autre.

M. Jean de Kervasdoué. - C'est totalement faux ! Je connais tout de ce vieux débat. La médecine a échoué pour la raison que vous dites. Elle est devenue science très tardivement...

M. Gilbert Barbier. - Elle reste un art.

M. Jean de Kervasdoué. - Ne confondons pas soins médicaux et prise en charge, cure et care. On a commencé à soigner lorsque l'on a décidé qu'un bébé de trois mois ou une personne âgée de quatre-vingts ans devaient l'un comme l'autre être opérés en cas d'appendicite. La part du care l'emporte sur les actes médicaux dans les soins de suite, les longs séjours, la psychiatrie ; le cure domine dans les courts séjours et là, les conduites thérapeutiques de référence ont toute leur place. Votre argument est connu, mais il ne vaut que dans des cas rarissimes : les maternités de Port-Royal ou Clamart ne font que les grossesses difficiles, j'en conviens, mais dans toutes les autres, une distribution de Gauss se vérifie, or la T2A inclut les cas extrêmes. Dans le débat mondial, nous faisons figure de provinciaux : notre système devient de plus en plus compliqué, et tout le monde sait autour de nous que la médicalisation des tarifs est la voie à suivre.

M. Alain Milon, rapporteur. - Etes-vous favorable à une généralisation de la T2A et une homogénéisation entre public et privé ?

M. Jean de Kervasdoué. - Les contraintes n'étant pas les mêmes, les tarifs ne sauraient être identiques. J'ai en revanche toujours été favorable à l'application d'une seule échelle.

M. Alain Milon, rapporteur. - Les contraintes viennent aussi des gestionnaires.

M. Jean de Kervasdoué. - Les patients sont les mêmes, non les modalités des pathologies traitées.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Que pensez-vous de la comptabilité analytique ? Elle est indigente et ne fait pas apparaître une composition des coûts pertinente. Comment repèrerez-vous les coûts ?

Les CHU ne sont-ils pas trop nombreux ? On nous a dit que certains ne faisaient pas de recherche et pourtant tous perçoivent la dotation correspondante. L'agence technique d'information sur l'hospitalisation (Atih) indique que l'activité spécifique au CHU représente 2,14 % de l'activité, le reste relevant de l'hôpital commun.

M. René-Paul Savary. - De l'hôpital de proximité.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Or, on attribue une part importante des ressources aux CHU, qui sont en déficit... Le mode de gouvernance des hôpitaux est sans doute à revoir : est-elle apte selon vous à maîtriser les dépenses ?

M. Jean de Kervasdoué. - La maîtrise des dépenses n'est pas le seul souci. Le but est plutôt d'avoir des services publics qui fonctionnent.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Ne devrait-on retirer du financement tout ce qui concerne la construction, pour le faire porter par l'Etat, ou par un mix entre l'Etat, l'assurance maladie et les complémentaires ? Avec les partenariats public privé, certains établissements, comme l'hôpital sud-francilien, auront à verser des sommes énormes. Quelle est votre analyse ? S'agissant de la convergence tarifaire entre secteurs public et concurrentiel, les tarifs peuvent-ils être comparés en toute sincérité ?

M. Jean de Kervasdoué. - Votre question révèle tous les problèmes de l'hôpital : avoir la T2A montre qu'on ne les a pas traités. J'ai rédigé en 1985 un guide de la comptabilité analytique ; et depuis peu, mon équipe au Conservatoire et moi savons traiter techniquement et assez simplement l'ensemble des comptabilités, générale, analytiques et GHM. Si j'avais le pouvoir de décision, je dirai aux hôpitaux : assez plaisanté, vous avez cinq mois pour suspendre trois directeurs d'hôpitaux et trois directeurs généraux, et l'on y arrivera.

Sur les CHU, la meilleure critique de la réforme Debré - je parle du grand-père, Robert - a été formulée... par lui-même, lors d'un discours à l'école de Rennes en 1973. Il a reconnu que son hypothèse était fausse : l'enseignement, la recherche et la pratique hospitalière sont des cercles disjoints, ils ne se recouvrent pas entièrement et n'ont d'ensembles communs que deux à deux. Il y a dix ans, au Royaume-Uni, j'ai participé à un échange d'étudiants anglais et français, qui ont apprécié le système hospitalier de l'autre pays. Les deux étudiantes anglaises nous ont dit : vous formez des généralistes par défaut ! Il est vrai que l'oto-rhino-laryngologie (ORL), la psychiatrie et la gériatrie constituent 50 % de l'activité de bien des médecins de ville, or, on peut n'avoir suivi que vingt heures d'ORL à la faculté. Ce n'est pas raisonnable ! La formation à la médecine doit, en partie, quitter l'hôpital, voire quitter la médecine : nous avons inventé les médecins-économistes, les médecins-informaticiens ; aux Etats-Unis, un tiers des professeurs à l'école de médecine sont des informaticiens, des économistes, ou autres, en tout cas pas des médecins. Là-bas comme au Canada ou en Grande-Bretagne, c'est l'université qui donne le label universitaire à un service. En France, on ne sait pas toujours sur quels critères un établissement possède le label, un autre, non.

Je crois en revanche que nous avons encore la meilleure chirurgie du monde, et cela parce que nos professeurs de médecine apprennent très tôt aux jeunes chirurgiens à opérer. Aux Etats-Unis, notamment pour des raisons de responsabilité juridique, les chirurgiens se forment plus tardivement. Et quand ils commencent enfin, ils ont le bistouri facile : une personne intègre est une personne qui possède tous ses organes parce qu'elle n'a jamais consulté au sein d'un hôpital universitaire, a-t-on coutume de plaisanter... Notre réforme est venue d'un grand résistant, ancien du cabinet de Mendès France, prix Nobel de Médecine qui a tout bien fait dans sa vie : en 1956, René Fauvert avait demandé aux jeunes loups qu'étaient Jean Bernard, Jean Hamburger et Jean Dausset, d'esquisser des pistes de réforme. Il choisira le moins réactionnaire, Robert Debré, pour réaliser la réforme. Beaucoup de progrès sont intervenus alors, comme l'intégration des sciences dans l'enseignement médical. Quarante ans après le colloque de Caen de 1956, nous avons refait en 1996 un colloque, à Caen, avec ceux qui étaient encore vivants. Des propositions de réforme ont été formulées, par exemple pour laisser aux universités la possibilité d'avoir des agents trivalents, bivalents, ou exerçant une seule activité - un chercheur ne faisant que de la recherche, par exemple.

Pour le volet immobilier, peu importe ce que l'on décide. En Allemagne, ce sont les Länder qui financent les investissements. S'agissant de l'hôpital sud-francilien, j'ai un devoir de réserve puisque je suis chargé de rapprocher les points de vue entre Eiffage et l'établissement : un appel d'offre a été lancé, une entreprise sélectionnée, mais l'hôpital n'a pas les moyens de payer le loyer. La presse se livre sur le sujet à des calculs malhonnêtes, comparant les remboursements d'emprunt actualisés et le coût initial de la construction.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Une application de la T2A à la psychiatrie est-elle crédible ? Des auditions auxquelles nous avons procédé, j'ai déduit qu'il n'y avait pas de tronc commun entre les différentes écoles, pas de fondamentaux partagés. Chacun court dans son couloir. Comment médicaliser les tarifs ?

M. Jean de Kervasdoué. - Il n'est que de contempler le débat actuel sur l'autisme... En psychiatrie, sujet auquel j'ai consacré tout un livre, nous disposons d'un très bon système fondé sur les secteurs, et c'est le seul endroit où nous avons des réseaux de soins. Toutefois, nous sommes face à un vrai problème épistémologique, puisque selon les endroits, la psychiatrie s'apparente à une obédience religieuse et psychanalytique ou à une discipline moderne, ce qui est un vrai scandale ! Lorsque j'ai passé mon doctorat, j'avais d'ailleurs suivi à la Cornell University les cours de la dernière personne psychanalysée par Freud qui, en 1970, reconnaissait que si ce dernier avait été une personnalité importante du XXe siècle, on avait découvert beaucoup de choses depuis. Lorsque je suis rentré en France en 1972, j'ai découvert que la psychanalyse parisienne se comportait comme une secte. En effet, la différence entre les scientifiques et les religieux est que lorsque les premiers ne sont pas d'accord entre eux, ils continuent de publier dans les mêmes journaux alors que les seconds se séparent.

Il y a toutefois en France des personnes remarquables telles que le professeur parisien Marion Leboyer qui propose, ce à quoi je suis favorable, que la psychiatrie devienne une discipline médicale comme les autres, même si aujourd'hui la distance semble plus longue entre deux secteurs psychiatriques, qu'entre des services de cardiologie de Londres, Moscou ou San Francisco.

Nous avons formé des psychiatres sur la base de théories complètement obsolètes, et totalement injustifiées. Pensez à l'erreur dramatique de Bruno Bettelheim (il l'a reconnue avant de se suicider), pour qui l'autisme résultait du comportement déviant des parents à l'égard de leur enfant, alors que nous savons aujourd'hui que la plupart des maladies mentales sont en réalité dues à la mauvaise recopie d'une soixantaine de gênes.

Mme Catherine Deroche. - Vous suggérez revaloriser le montant des consultations externes à l'hôpital, ne pensez-vous pas que cela vaudrait aussi pour les consultations de ville, la tarification à l'acte en secteur 1 ne correspondant pas au coût réel et au temps passé ? Et quand vous soulignez les lourdeurs dans la gestion des hôpitaux, faites-vous référence aux ressources humaines ?

M. Jean de Kervasdoué. - Pas uniquement.

Mme Catherine Deroche. - Les cliniques privées n'ont pas les mêmes contraintes, par exemple en matière de licenciement.

M. Jean de Kervasdoué. - La convention collective est plus simple que le titre IV du statut de la fonction publique.

Mme Catherine Deroche. - Le président du syndicat des départements d'information médicale (DIM) a beaucoup insisté sur le fait que ces services devaient être dirigés par des médecins, notamment pour des raisons de secret médical, ce dont je ne suis pas persuadée. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, puisque la convergence entre cliniques concurrentielles et hôpitaux publics se heurte au fait que ces derniers doivent prendre en charge une activité non programmée, ne pourrait-on distinguer ce qui relève des activités programmées afin de faciliter les comparaisons avec le secteur privé ?

M. Jean de Kervasdoué. - Etant contre le système de paiement à l'acte des généralistes en médecine de ville, je partage votre point de vue sur les tarifs. La France fait d'ailleurs figure d'exception, le modèle dominant en Europe du nord et dans les pays anglo-saxons étant soit le salariat, soit la capitation. Au Royaume-Uni, deux tiers de la rémunération reposent sur la capitation et un tiers sur les actes. Le système demeure libéral puisque les patients choisissent leur médecin, et les médecins gagnent mieux leur vie que chez nous.

Mme Catherine Deroche. - Le système français arrive en bout de course.

M. Jean de Kervasdoué. - C'est terrible ! Cinq médecins se sont installés en libéral à Paris en 2010, aucun en Seine-Saint-Denis. Heureusement qu'il y a des maisons de santé et des hôpitaux publics... La consultation de 23 euros assure un revenu horaire de 69 euros, comme pour un taxi à l'arrêt à Paris ! Tout cela n'est pas raisonnable quand on rémunère un avocat de 150 à 400 euros de l'heure voire à 900 euros pour certains de mes collègues professeurs de droit.

Quant aux DIM, que j'ai créés, ils pourraient ne pas être dirigés par des médecins sauf si, comme je le souhaite toujours, leur champ d'activité devait s'accroître. Le secret médical a été utilisé par les médecins pour échapper aux contrôles, ce qui a réussi jusqu'à présent puisque nous sommes l'un des seuls pays où les médecins ne sont contrôlés que sur le plan administratif et non sur le contenu même de leur activité. Les écarts de revenu entre médecins (1 à 3,5 selon les départements) ne s'expliquent par aucune raison objective. C'est ce que j'appelle l'effet Rotary : le nouveau praticien s'informe du revenu de ses confrères et ajuste ses prescriptions pour se situer dans la moyenne du département - je peux vous montrer les chiffres. Il n'y a pas plus d'explication objective à la variation de 1 à 9 des dépenses de cardiologie, même après élimination des variations tenant à l'âge et au sexe.

Pour en revenir au secret médical, reconnaissons que c'est une notion à géométrie variable. Ils ne sont pas nombreux, les patients dont le dossier médical doit vraiment rester secret. D'ailleurs, dans une petite ville, chacun sait qui consulte qui, quand il se fait opérer de quoi et les patients répondent volontiers aux questions de leurs amis - nous connaissons tous cela.

Je suis favorable à ce que les DIM soient aussi chargés de la qualité des soins. L'on unifiera ainsi information et qualité des soins grâce à des protocoles d'analyse et d'évaluation interne. Je plaide depuis des années pour la systématisation des prélèvements post-opératoires, comme cela se fait aux Etats-Unis afin d'éviter que des chirurgiens aient le bistouri trop facile. Si du point de vue technique, il n'est pas nécessaire d'être médecin pour assurer la mission des DIM, les choses sont différentes si l'on étend la compétence à la qualité des soins.

Quant à la distinction entre les actes programmés et non programmés au sein des hôpitaux publics, elle aboutirait à limiter les marges de manoeuvre, donc à renchérir le coût des urgences, c'est-à-dire du désordre.

M. Gilbert Barbier. - Face au trop grand nombre d'établissements dans notre pays, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, notamment, a tenté de restructurer les services de chirurgie. Les petits établissements et les CHU étant déficitaires, quelle serait, selon vous, la taille moyenne permettant d'arriver à un équilibre ?

M. Jean de Kervasdoué. - Lorsque Mme Bachelot-Narquin a annoncé cette réforme soviétique, j'ai dit qu'elle n'irait pas jusqu'au bout. Durant ma dernière année comme directeur des hôpitaux, en 1985, j'ai reçu... 2 700 interventions politiques. Et cela, alors que le système était beaucoup moins centralisé qu'aujourd'hui. J'avais essayé de traiter cela de façon républicaine en indiquant à sept ministres de la santé successifs que je ne ferai aucune dérogation, sauf instruction écrite de leur part. Ni Mme Bachelot-Narquin ni ses successeurs ne pourront fermer de service de chirurgie tant que la centralisation du système en fera une affaire politique. Il faut que le ministre puisse dire aux élus que la fermeture d'un service ou d'un hôpital s'impose pour des raisons sur lesquelles il n'a pas prise, telles qu'un déficit ou la dangerosité pour les patients.

M. Gilbert Barbier. - Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, Mme Bachelot-Narquin avait laissé travailler de façon très libre la commission dont je faisais partie ; M. Xavier Bertrand a mis fin à ses travaux. Accusez-le !

M. Jean de Kervasdoué. - Je n'accuse personne. Je mets en cause le système, et vous confirmez mes propos.

M. Gilbert Barbier. - Sur le plan de l'organisation, l'obligation de repos imposée aux chirurgiens d'astreinte la veille est un réel facteur de désordre.

M. Jean de Kervasdoué. - Oui, ce sont les règles européennes... L'objectif fixé par Mme Bachelot-Narquin était très en-dessous du nécessaire alors que de nombreuses cliniques ont fermé dans l'indifférence parce qu'elles relevaient du secteur privé. A partir du moment où la décision de fermeture de l'hôpital de Pont-Audemer relève du ministre, elle devient impossible, surtout dans une période électorale où tout est bloqué. C'est comme déclarer la guerre à la Belgique : envisageable, mais peu probable. La solution pourrait consister à conférer aux hôpitaux publics une indépendance statutaire à l'image de ce que font les trusts anglais.

Faut-il fermer des hôpitaux ? La réponse est oui. Un hôpital général a besoin d'une zone d'attraction de 100 000 habitants, nous sommes 65 millions, nous avons donc besoin de 500 à 550 hôpitaux généraux et cliniques, et nous en avons 3 500, dont 1 380 de court séjour.

M. Yves Daudigny, président. - Qui assume la responsabilité de la fermeture si ce n'est pas le ministre ?

M. Jean de Kervasdoué. - Il y a une dizaine d'années, on m'avait demandé d'analyser la situation des hôpitaux des frères ennemis de Montceau-les-Mines et du Creusot. Chacun disposait d'une zone d'attraction de 60 000 habitants et installer un hôpital entre les deux n'aurait pas eu de sens. Pour contourner la difficulté, nous avons indiqué aux deux maires que, dans la mesure où ils s'engageaient à assurer le service public, à remplacer les anesthésistes, les chirurgiens, la situation demeurerait inchangée. Eh bien, ils ont été furieux, car ils attendaient que l'Etat tranche. Cet exemple pour dire que si l'hôpital n'est pas en mesure d'assurer le service public, c'est-à-dire la permanence des soins, l'Etat doit prendre la responsabilité de le fermer. Or, il ne peut pas le faire, parce qu'il est à la fois juge et partie, acteur et régulateur.

Mme Catherine Deroche. - La loi Bachelot a distingué entre hospitalisations courtes dans les CHU et soins de proximité assurés dans les hôpitaux plus ruraux.

M. Jean de Kervasdoué. - Les hôpitaux ruraux accueillent beaucoup les personnes âgées, ils ne font même que ça. Ségolène Royal l'avait proposé en 2007, mais cela a toujours été le cas, car il n'y a pas de chirurgie.

Mme Catherine Deroche. - Les pressions du politique sur le Gouvernement ne sont pas propres aux questions hospitalières. C'est la même chose par exemple lorsqu'une entreprise risque de partir.

M. Jean de Kervasdoué. - Oui mais une entreprise est gérée de manière indépendante.

Mme Catherine Deroche. - Jusqu'à ce qu'on demande au politique de s'en mêler.

M. Jean de Kervasdoué. - Sachant que toute sa vie, un Français travaille tout le mois de janvier pour payer ses cotisations à l'assurance maladie, je ne plaisante pas avec cette question. Les dépenses de santé représentent en France 12 % du PIB alors que la moyenne des pays de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s'établit à 9 % et que le Japon, où l'espérance de vie est la plus forte, est à 8,2 %. Notre système est très onéreux et si l'on n'y remet pas rapidement de l'ordre, les plus modestes en subiront les conséquences. Cela, personne ne l'explique et le programme des candidats est à pleurer. C'est le triomphe des bons sentiments. Après les élections, il faudra siffler la fin de la récréation et personne n'y est préparé.

M. Gilbert Barbier. - Les hôpitaux sont-ils là pour créer de l'emploi ou pour soigner ? Ils sont pourtant les premiers employeurs dans nos communes.

M. Jean de Kervasdoué. - L'avantage du mot hôpital, c'est qu'il recouvre des réalités très différentes, allant de l'assistance publique des hôpitaux de Paris à un petit établissement de province. Cela permet d'entretenir la fiction. Si les patients très âgés doivent être pris en charge dans des établissements proches de leur domicile, je conseille pour ma part aux autres patients de ne pas hésiter à faire 100 ou 150 kilomètres pour subir une intervention chirurgicale de court séjour. Le problème n'est donc pas de fermer des hôpitaux mais de fermer des activités.

M. René-Paul Savary. - On oublie que la plupart des lits sont consacrés aux longs séjours.

M. Jean de Kervasdoué. - En effet, nous disposons de 150 000 lits de court séjour sur un total de 600 000.

M. Yves Daudigny, président. - Je vous remercie de cette présentation d'une belle intensité.