Mardi 14 février 2012

- Présidence de Mme Jacqueline Gourault, présidente -

Cumul des mandats - Examen du rapport d'information

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Le cumul des mandats est un thème récurrent, dont nous savons tous l'importance. François-Noël Buffet avait commencé à travailler sur ce sujet avec Dominique Voynet, que Georges Labazée a remplacée après le dernier renouvellement sénatorial.

M. Georges Labazée, rapporteur. - Comment ne pas être sensible à la question du cumul des mandats ? C'est d'ailleurs un serpent de mer qui resurgit à chaque échéance électorale. Des sondages le montrent régulièrement, la population est largement opposée à cette pratique, considérée comme un obstacle à l'émergence de nouveaux visages en politique. Cela dit, parce que l'électeur ne tient pas toujours le même raisonnement que le citoyen, ce rejet ne se traduit pas forcément dans les urnes.

La faiblesse du cumul des mandats dans les démocraties étrangères s'explique non par une culture politique différente, comme on l'entend souvent en France, mais généralement par une réglementation qui est parfois drastique. Il en va ainsi, par exemple, en Espagne, dont mon département est limitrophe, où la Constitution elle-même contient des règles relatives à l'interdiction du cumul de certains mandats, telle celle qui interdit d'être à la fois député et membre d'une assemblée de communauté autonome.

Depuis 2002, une vingtaine de propositions de loi, dont la dernière, de juin 2011, est de François-Noël Buffet, ont visé à restreindre cette pratique en France. Elles ont peut-être été déposées avec d'autant plus d'enthousiasme que leurs auteurs, quelle que soit leur appartenance politique, savaient qu'elles ne seraient pas forcément adoptées... Idem pour les conclusions de la commission Mauroy qui, en 2000, avait appelé à un élargissement des règles de non-cumul, et celles du comité Balladur en 2007, dont il faut rappeler qu'il avait préconisé à l'unanimité de s'engager sur la voie du mandat parlementaire unique : ces conclusions n'ont jamais connu de traduction législative.

Il s'agit donc d'un sujet délicat, indissociable de la question du statut de l'élu, auquel notre délégation a consacré une table ronde, le 1er juin 2010, et un rapport rédigé par nos collègues Philippe Dallier et Jean-Claude Peyronnet.

Avant 1985, aucune règle ne limitait le cumul de mandats locaux. Lorsque je me suis retrouvé suppléant d'André Labarrère au conseil régional d'Aquitaine, son président était également sénateur de Gironde, président du conseil général et maire de Carbon-Blanc. L'encadrement de cette pratique a suivi les grandes lois de décentralisation. Le Parlement a renforcé les deux lois du 30 décembre 1985 par les deux lois du 5 avril 2000, la première étant consacrée aux parlementaires nationaux, la seconde aux élus locaux, aux parlementaires européens ainsi qu'aux incompatibilités entre fonctions exécutives locales.

Le cumul des mandats de député et de sénateur est interdit au nom du bicamérisme, de même que le mandat de parlementaire est devenu incompatible avec celui de représentant au Parlement européen - ce n'est pas si ancien - et l'exercice de plus d'un mandat local parmi les suivants : conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants. En revanche, un parlementaire peut toujours présider un conseil régional ou général, le conseil exécutif de Corse, et remplir la fonction de maire et maire d'arrondissement. Il y a là une petite anomalie, qui autorise mon collègue Jean Lassalle à remplir les fonctions de maire, de conseiller général et de député.

Le cumul horizontal est interdit pour chacun des mandats locaux, ce qui signifie, par exemple, que l'on ne peut être élu municipal dans deux communes. Et nul ne peut exercer plus de deux mandats parmi ceux de conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse ou membre du conseil exécutif de Corse, conseil général, conseiller de Paris et conseiller municipal.

Malgré cette législation contraignante, le cumul des mandats demeure la règle : 84% des députés le pratiquent, contre 72% des sénateurs - sans doute sont-ils plus sages... Le phénomène s'est même accentué : en 1973, 30% des députés ne détenaient aucun autre mandat, contre seulement 15% aujourd'hui. De surcroît, les fonctions de président d'EPCI n'entrent pas dans le champ des lois du 5 avril 2000. Malgré l'étendue des compétences des communautés, et donc de la charge de travail qui incombe à leurs présidents, ces derniers sont très souvent en situation de cumul. Ainsi, 86% d'entre eux exercent au moins un autre mandat électif que celui de conseiller municipal. Et on constate que les responsables des intercommunalités les plus importantes sont ceux qui cumulent le plus de mandats : 10 des 16 présidents de communautés urbaines, et 48 des 60 présidents de communautés d'agglomération.

Pour conclure, je voudrais faire une remarque sur la situation particulière des ministres. Si l'article 23 de la Constitution prévoit désormais le retour au Parlement d'un ministre ayant cessé ses fonctions ministérielles, il n'interdit pas le cumul entre cette fonction et la détention d'un mandat d'exécutif territorial. La commission Balladur préconisait de mettre fin à cette situation. C'est pourquoi nous nous interrogeons sur l'opportunité d'instaurer une règle stricte de non-cumul entre les fonctions ministérielles et les fonctions exécutives territoriales.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Il me revient de vous présenter nos recommandations. Je souhaite rappeler, en préambule, que nous avons élaboré ce rapport dans la perspective d'élargir le champ du débat et d'ouvrir plusieurs pistes de réflexion, donnant à chacun la possibilité de se déterminer. L'importance de la pratique du cumul des mandats et des fonctions électives en France nous a effectivement conduits à formuler quelques recommandations.

Certaines recommandations font consensus, notamment celles touchant à la liste des fonctions entraînant l'inéligibilité des candidats aux mandats locaux. Sur un plan purement formel, cette liste mérite d'être réactualisée. Les fonctions d'inspecteur des instruments de mesure ou d'inspecteur des manufactures de tabac, tombées en désuétude, sont à supprimer, tandis que les fonctions d'inspection dans les domaines de la santé ou des nouvelles technologies - directeur général de l'Agence régionale de santé, responsable de l'antenne départementale de celle-ci, ou encore directeur d'hôpital - sont, selon nous, à ajouter.

Seuls les représentants de certaines autorités administratives indépendantes, dont le défenseur des droits ou le défenseur général des lieux de privation de liberté, sont inéligibles aux mandats de conseillers généraux et régionaux. Ne faudrait-il pas étendre cette règle aux représentants de l'Autorité des marchés financiers ou de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) ?

Par cohérence, il conviendrait d'appliquer aux directeurs de cabinet des présidents d'EPCI et des futurs pôles métropolitains le même régime d'inéligibilité aux mandats locaux qu'aux membres de cabinet du président d'un conseil général ou d'un conseil régional.

Nous avons ensuite identifié des pistes pour restreindre le cumul des fonctions exécutives locales avec un mandat parlementaire, qui fait l'objet d'un rejet croissant de nos concitoyens, voire également d'élus locaux. L'objectif est aussi de limiter les situations de conflits d'intérêts, qui se sont multipliées avec la décentralisation. Prenons l'exemple d'un collègue qui serait maire, vice-président d'un conseil général, mais aussi d'une communauté urbaine et, pourquoi pas, d'une société d'économie mixte ; le danger est réel, pour lui et les collectivités territoriales qu'il administre.

Faut-il instaurer une règle stricte de non-cumul entre mandat parlementaire et mandat d'exécutif territorial ou la moduler en fonction d'un seuil démographique ? Pourquoi ne pas imaginer des approches différentes selon la taille des communes et des intercommunalités ?

Au regard du développement attendu de l'intercommunalité, il faut intégrer la présidence d'un EPCI à fiscalité propre dans la liste des mandats incompatibles avec un mandat national - inutile de faire référence aux pôles métropolitains, qui sont des intercommunalités au troisième degré. Cette proposition, qui revaloriserait cette fonction et augmenterait la disponibilité des parlementaires qui l'exercent, peut également être modulée en fonction d'un seuil démographique. Pour le bon fonctionnement de la démocratie locale, prévoyons la même mesure pour les élus locaux.

Si la délégation n'adoptait aucune de nos propositions, une position de repli consisterait à s'interroger sur la limitation des mandats dans le temps, à l'instar de la règle posée pour la présidence de la République depuis la réforme constitutionnelle de 2008. Dans le cas contraire, faut-il donner la possibilité d'exercer plus de trois fois le même mandat local ? La question est ouverte.

Enfin, nous vous soumettons sept pistes de réflexion, qui ne sont pas cumulatives. Premièrement, créer un organe de déontologie chargé d'examiner les régimes d'inéligibilité et d'incompatibilité, afin de garantir l'objectivité des critères existants et, le cas échéant, d'améliorer le régime juridique concerné. Deuxièmement, réactualiser la liste des fonctions entraînant l'inéligibilité des candidats aux mandats locaux. Troisièmement, inclure dans cette liste de nouvelles fonctions territoriales, afin de tenir compte des modifications de certaines fonctions induites par les différents textes portant réforme de la décentralisation. Quatrièmement, rendre inéligibles aux mandats de conseillers municipaux, généraux et régionaux, les membres de certaines autorités administratives indépendantes. Cinquièmement, fixer la même règle pour les membres de cabinet des présidents d'EPCI. Enfin, deux recommandations que je n'ose qualifier de majeures : intégrer les fonctions de président d'EPCI à fiscalité propre à la législation relative au cumul des mandats applicables aux parlementaires, idem pour les élus locaux.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Le cumul d'un mandat électif avec une fonction au sein d'un conseil économique, social et environnemental régional m'a toujours beaucoup choquée. Je trouverais normal qu'on l'interdise.

M. Rémy Pointereau. - Je ne suis pas favorable au mandat unique, parce que l'élu doit marcher sur deux jambes - le local et le national - pour mieux comprendre les difficultés du terrain. En revanche, intégrer la présidence d'EPCI à fiscalité propre, pourquoi pas, à condition d'introduire un seuil démographique : président d'une petite communauté de communes, ce n'est pas la même chose que président d'une communauté d'agglomération.

Un parlementaire peut être conseiller général, maire d'une commune de moins de 3 500 habitants et président d'une communauté de communes...

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - ...également président d'un centre de gestion...

M. Rémy Pointereau. - ....et encore d'un SDIS ou d'une SEM, ce qui peut faire beaucoup... Les élus locaux, eux, ont des contraintes plus fortes, du moins en ce qui concerne le cumul des mandats électifs. Personnellement, j'ai dû renoncer à mon mandat de maire d'une commune de 300 habitants quand je suis devenu président du conseil général durant trois ans, du fait d'une incompatibilité stricte qui ne tient pas compte de la taille de la commune. Il faut donc travailler sur les seuils, y compris pour les EPCI. Celui de 3 500 habitants constitue une bonne base de réflexion.

Mme Anne-Marie Escoffier. - Veillons à distinguer clairement, comme l'avait fait le groupe de travail sur les conflits d'intérêts de la commission des Lois, auquel j'avais participé, l'incompatibilité de l'inéligibilité. D'ailleurs, nous avions déjà travaillé sur l'idée d'une inéligibilité des membres des conseils économiques, sociaux et environnementaux. Je note que vous n'avez pas parlé - ce qui me gêne un peu - des conseillers territoriaux. Des élus à temps plein, quasiment professionnalisés comme le seraient les conseillers territoriaux, pourront-ils s'autoriser le cumul ? Peut-être faudrait-il au moins conserver cela à l'esprit ?

M. Éric Doligé. - En cas de limitation stricte du cumul des mandats dans le temps, la question se pose de l'avenir professionnel des élus qui exercent des mandats courts. Un député, par exemple, est élu pour cinq ans mais, en cas de dissolution ou s'il siège en tant que suppléant, peut avoir un mandat effectif bien plus court. Le risque, en empêchant d'exercer plus de deux mandats consécutifs, est de limiter la diversité du personnel politique par une décision un peu sèche et de décourager l'entrée en politique de ceux qui, par leur statut, ne bénéficient pas d'une réintégration automatique dans leurs fonctions antérieures.

Par ailleurs, la question du cumul des mandats est aussi liée à celle du cumul des indemnités. Pour les parlementaires, les règles sont claires : selon la règle de l'écrêtement, le cumul des indemnités ne peut dépasser une fois et demie le montant de l'indemnité parlementaire. Pour celui qui n'est pas parlementaire, le cumul des indemnités peut aller plus loin. Ce point mériterait d'être étudié.

Vous avez soulevé la question des présidents d'EPCI, mais quid de cette autre forme d'intercommunalité que sont les pays ?

Enfin, la règlementation relative au cumul doit présenter un minimum de logique, notamment par la prise en compte de l'exercice de fonctions locales. Je ne vois pas en quoi un président de région aurait davantage le temps qu'un parlementaire d'exercer les fonctions de principal d'un collège ; je ne vois pas comment l'on peut considérer qu'il est impossible d'être à la fois conseiller général et maire d'une petite commune et, en même temps, permettre que l'on préside une région tout en exerçant de telles fonctions locales.

M. Antoine Lefèvre. - En fait, nous en revenons au statut de l'élu : certains bénéficient d'un retour à l'emploi garanti, d'autres non. Nous ne sommes pas tous égaux et c'est notamment pour éviter de se retrouver du jour au lendemain « sur le carreau », en cas de défaite électorale, que beaucoup ont la tentation, forte, de cumuler les mandats. C'est d'ailleurs le conseil que l'on m'a donné lorsque j'ai débuté ma carrière. Je suis un professionnel de la politique, ce que j'assume. J'ai été élu, et non désigné par une autorité. D'ailleurs, le cumul des mandats est souvent un « argument de vente » pour convaincre les électeurs.

Prendre en compte l'intercommunalité est une bonne chose si la règle est modulée selon un critère démographique.

« Moins cumuler pour plus d'efficacité », mais de quelle efficacité s'agit-il ? Certaines fonctions professionnelles accaparent autant, sinon plus, que des mandats électifs. Tout dépend de la taille de la collectivité. Je veux tordre le cou à certaines rumeurs : sur Internet, on publie nos photos, nos noms et nos indemnités sans rappeler la règle de l'écrêtement. Et, en général - c'est mon cas -, le cumul donne lieu à des mutualisations : à la communauté de communes, je n'ai ni cabinet, ni service de communication, ni véhicule... Si un autre élu en prenait la tête demain, il faudrait sans doute payer cela. Les citoyens doivent en avoir conscience.

Effectivement, il faut travailler sur les intercommunalités, en particulier les grandes. Faut-il aller plus loin ? Pour ma part, je n'en suis pas persuadé.

M. Rachel Mazuir. - Le statut de l'élu est à revoir si nous voulons une diversité sociologique qui n'existe plus dans nos assemblées. A mon sens, la bonne démarche serait de commencer la réforme par le haut, les ministres, avant de traiter les mandats nationaux puis locaux.

La désignation renforce parfois le cumul des mandats : ceux qui siègent dans les EPCI sont, jusqu'à présent du moins, cooptés par les conseils municipaux, et cela entraîne parfois des conflits d'intérêts. Ainsi, le chef-lieu de mon département est étrangement très représenté dans l'EPCI... Tant que l'on n'aura pas réglé ce problème de procédure de désignation, nous n'avancerons pas sur ce dossier.

A propos du cumul des indemnités, il est vrai que nous sommes sous le feu des critiques alors que la règle de l'écrêtement est parfaitement claire pour les parlementaires : une fois et demie l'indemnité parlementaire, point. Soit 8 500 euros pour une personne qui, en plus de son travail de député ou de sénateur, peut gérer des budgets de 600 millions : c'est évidemment très en dessous de ce que peut gagner le patron d'une entreprise de taille comparable.

Le président du conseil général, je le rappelle, est président de droit du SDIS, une mission qu'il peut déléguer et qu'il exerce, de toute façon, avec le préfet. Personne ne voulant assumer cette fonction dans mon département, je m'en suis moi-même chargé.

Quel que soit le prochain président de la République, il faudra remettre de l'ordre et limiter le cumul des mandats, mais sans en oublier aucun. Je m'interroge cependant sur la question des seuils : est-il vraiment moins accaparant de gérer une petite commune qu'une grande, sachant que les maires des petites communes n'ont pas à leur disposition les mêmes services que les responsables de collectivités plus importantes ? Quant aux conseillers territoriaux, existent-ils encore ?

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Oui, de par la loi,..

M. Antoine Lefèvre. - ...et ils n'ont simplement pas encore été élus.

M. Yannick Botrel. - Ce travail, très intéressant, porte sur un sujet qui mobilise plus les élus que les citoyens. Je n'ai jamais été interpellé sur le cumul des mandats - je l'ai été sur les indemnités, et encore, par certains seulement. La plupart des citoyens veulent des élus qui aient de l'expérience. Au Sénat, nos interventions et nos amendements sont inspirés par l'expérience acquise sur le terrain.

Je ne suis cependant pas favorable au cumul. Il faut donc trouver le point d'équilibre. Dans ce cadre, je souhaite que les fonctions de président d'EPCI soient prises en compte. Ils ont des pouvoirs importants. Un seuil à 3 500 habitants est-il pertinent ? Je ne le crois pas. Maire d'une commune de 2 400 habitants, je vous assure qu'il faut s'y investir sans doute plus que dans une grande commune, faute de moyens de fonctionnement. Limitation dans le temps ? Laissons les électeurs se prononcer, ne les frustrons pas de leurs choix, ne les empêchons pas non plus d'élire qui ils souhaitent. Quant à l'éligibilité, je partage l'avis de notre collègue Eric Doligé. Certains exercent des métiers qui leur interdisent de fait l'accès aux mandats électoraux.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Il me semble essentiel, si l'on parle de cumul des mandats, de revoir aussi le statut de l'élu. Les maires sont sur le pont vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Lors de la vague de froid, ils sont intervenus à tout moment dans les petites communes. Leur indemnité devrait être revue à la hausse !

Ma commune de 3 000 habitants bénéficie de l'écrêtement dont je fais l'objet. Etant sénatrice, je ne lui coûte pas cher. Grâce à cette économie, elle a pu embaucher. Dès que j'ai été élue au Sénat, j'ai abandonné le conseil régional, la présidence du SIVOM. Je suis vice-présidente de la communauté d'agglomération, dont le président gagne 2 800 euros, les vice-présidents 980 euros - les délégués, eux, n'ont aucune indemnité, alors qu'ils participent à de nombreuses réunions.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Combien d'habitants compte votre communauté d'agglomération ?

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Environ 50 000, dont 17 000 pour la ville-siège. Pour aider les femmes à accéder aux mandats électifs, je propose que lorsqu'un homme, pour cause de cumul, abandonne un mandat, celui-ci revienne automatiquement à une femme. Je pense à un siège de conseiller général, par exemple. Lorsque l'on est à la fois conseiller général, président d'un centre de gestion, sénateur et maire, quels mandats va-t-on abandonner ?

Mme Jacqueline Gourault. - Le centre de gestion n'est pas inclus dans nos réflexions sur le cumul des mandats.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Un président de centre de gestion perçoit pourtant 1 800 euros. Jamais on ne règlera le problème du cumul des mandats si l'on ne revoit pas les indemnités. La population y est très attachée. « Avec les indemnités que vous avez... », nous jette-t-on régulièrement au visage.

M. Jean Louis Masson. - Le rapport constitue une réelle avancée s'agissant de la limitation du cumul des mandats. Il est bon d'inclure l'intercommunalité. N'allons pas trop loin - je suis hostile au mandat unique - mais n'acceptons plus qu'un parlementaire exerce aussi une fonction exécutive. Conseiller municipal, conseiller général ou régional, ce ne sont pas des occupations à temps plein. Il en va différemment du mandat de maire, quelle que soit la taille de la commune. Interdisons le cumul du mandat de parlementaire avec toute fonction exécutive locale. Et attention, songeons à tous ces maires devenus ministres, qui ont abandonné leur charge et sont devenus premier adjoint... en conservant le bureau prestigieux, la voiture avec chauffeur, la carte bleue pour les déjeuners.

L'intérêt de nos collectivités et de nos communautés doit primer : il ne s'agit pas de nos intérêts d'élus, nous ne nous interrogeons pas sur la meilleure façon de conserver notre petit fromage, du moins est-ce ainsi que je vois les choses. La vie politique ne saurait s'organiser selon les intérêts de ceux qui cumulent les mandats. Il faut rechercher cohérence et uniformité des règles. J'ai été député pendant vingt ans, je suis sénateur depuis plus de dix sans avoir, durant cette période, exercé de fonctions exécutives locales. Parlementaire est une fonction à plein temps, maire aussi ! Je me souviens d'un ancien maire de Metz qui était en même temps sénateur, président du conseil général, et vice-président du conseil régional, sans oublier l'intercommunalité. Je suis hostile à ce genre d'empilement. Car le résultat, c'est que la ville était gérée par le directeur général des services, le conseil général par le directeur de cabinet, et que l'élu lisait dans la voiture qui l'amenait au Sénat les discours qu'il allait y prononcer. J'écris mes interventions moi-même pour dire ce que j'ai à dire. Nos concitoyens en ont vraiment assez du cumul. Les deux nouveaux sénateurs élus en septembre 2011 en Moselle ne sont ni maires de grandes villes, ni présidents de conseil général. J'ajoute qu'aucun de nos grands voisins n'accepte un tel cumul des mandats. La France traîne les pieds mais, tôt ou tard, on arrivera à l'interdire et le plut tôt serait le mieux.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Je ne suis pas favorable à la limitation de la durée, mais peut-être suis-je conditionné par la situation du chef-lieu de mon département, qui n'a connu que trois maires seulement sur un siècle (et ce n'est pas terminé) : le premier a exercé de 1912 à 1956, le deuxième de 1956 à 1992 et le troisième a pris la suite en 1992. Laissons le choix aux électeurs sans légiférer sur tout. Si les électeurs y trouvent leur compte, pourquoi pas ? Qu'un maire devienne inactif et ne donne plus satisfaction, il sera battu aux élections suivantes.

Le problème aujourd'hui tient plutôt au cumul des présidences de syndicats en tout genre, d'établissements publics, de SEM diverses, qui nuit à l'efficacité. Peut-on être sénateur, maire d'une ville de 10 000 habitants, vice-président du conseil général, président de la régie des transports, de l'office public départemental d'HLM, d'un centre de gestion, d'un syndicat des eaux qui regroupe 70 communes ? Eh bien j'en connais !

Une question, au sujet de la première recommandation : à quel moment l'organe de déontologie interviendra-t-il ?

Enfin, je veux signaler que les conflits d'intérêts entre les charges de maire et de président de conseil général ne sont rien à côté de ceux qui existent entre des mandats parlementaires et l'exercice de certaines professions. Il faudra y revenir.

M. Charles Guené. - Attention à la façon dont on inclut l'intercommunalité, car il ne serait pas judicieux d'interdire au maire de la ville-centre d'être président de la communauté d'agglomération. Quant au pouvoir de réélection, il y a sans doute avantage à être président du conseil général, mais la présidence de l'association des maires en est un autre : il n'y a pas seulement les exécutifs locaux.

Si l'on prétend éviter le cumul des mandats, il faut aussi revoir le statut de l'élu. Un président de conseil général qui fait bien son travail « vaut » autant qu'un parlementaire. En revanche, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, voyons la situation comme elle est : la professionnalisation progresse, c'est inévitable. C'est pourquoi je suis hostile à la limitation dans le temps du nombre de mandats.

On trouve sur Internet des affirmations délirantes sur le niveau de nos indemnités : celles-ci se monteraient, indique telle page du web, à 22 000 euros, indemnités maximales auxquelles pourrait prétendre un élu, est-il précisé. Le site signale que l'on peut demander à rectifier les informations, mais le mal est fait.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Nous pourrions inclure les membres des conseils économiques, sociaux et environnementaux - en tout cas il y a là un sujet. Une petite précision, qu'il n'est pas facile pour les sénateurs de formuler car ils paraîtraient alors prêcher pour leur paroisse, mais nous l'avons souvent constaté : pour la population, le cumul entre un mandat de député et un exécutif local n'est pas la même chose que le cumul entre un mandat de sénateur et un exécutif local. On nous dit que le premier ne devrait pas exister mais que le deuxième ne pose pas de problème. Pourquoi ? Parce que le Sénat représente les collectivités territoriales.

M. Georges Labazée, rapporteur. - Et parce que l'Assemblée nationale a le dernier mot, dans le processus législatif, non le Sénat. Nous l'avons lu dans plusieurs articles. Certaines publications invoquaient aussi le suffrage indirect aux sénatoriales, différent du mode de scrutin des élections législatives.

Il serait sans doute bon également de fusionner quelque part notre rapport avec celui sur le statut de l'élu et celui qui avait été établi sur les conflits d'intérêts.

Mme Anne-Marie Escoffier. - Très juste, les questions sont liées.

M. Georges Labazée, rapporteur. - Que doit-il arriver lorsqu'un responsable d'exécutif local devient ministre ?

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Quitter immédiatement ses fonctions locales.

M. Rachel Mazuir. - La question ne devrait même pas se poser.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Mais au retour, comme la loi le prévoit pour les parlementaires devenus ministres, il pourrait retrouver automatiquement son mandat.

M. Rachel Mazuir. - Sur la limitation du nombre de mandats dans le temps, je suis de l'avis de Jean-Claude Peyronnet, je crois plus sage de laisser les électeurs choisir.

Puisque le mode d'élection spécifique au Sénat a été évoqué, il conviendrait de préciser que le scrutin est de liste dans certains départements et uninominal dans d'autres.

Faire progresser les choses prendra du temps. Si nous sommes trop radicaux, nos recommandations seront retoquées dans les deux assemblées. Formulons des propositions acceptables, raisonnables, sans quoi nous ne gagnerons pas la bataille, pas même au Sénat.

L'écrêtement concerne-t-il uniquement les parlementaires ?

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Oui. Je connaissais un membre de la chambre d'agriculture, membre du Conseil économique et social national, conseiller général, conseiller régional, qui gagnait plus qu'un parlementaire. Il serait bon de parvenir à une égalité, car mandats publics, organismes publics ou parapublics, c'est toujours l'argent du contribuable.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Un mandat et un seul : la solution est trop radicale. Le mandat de maire est le plus beau qui soit, et c'est parce que l'on est maire que l'on devient conseiller régional ou général.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Nous avons voulu ouvrir le débat sur la limitation du nombre de mandats dans le temps parce que celle-ci existe désormais pour la fonction de président de la République. Personnellement, je pense comme ceux qui se sont exprimés sur ce point : les électeurs savent choisir et il faut les laisser choisir.

Sur le cumul entre mandat national et mandat local, tout a été dit. Reste à approfondir le travail sur le cumul des fonctions dérivées des mandats. Comme sénateurs, nous avons la possibilité de représenter le Sénat dans de multiples organismes. Nous pouvons aussi, en complément d'un mandat local, être président d'hôpitaux, de syndicats des eaux, etc.

Or le but, quand nous voulons limiter le cumul, est que l'élu dégage du temps pour se consacrer à son mandat principal. Il convient donc de limiter les fonctions liées à l'exercice d'un mandat. A une époque, j'étais à la fois maire, vice-président de la communauté urbaine de Lyon et, à ce titre, président de l'agence d'urbanisme de Lyon. Elu sénateur, j'ai abandonné l'agence : j'aurais pu la conserver mais la situation serait devenue invivable. Hélas, certains pensent qu'un tel cumul est possible... Un élu qui exerce des responsabilités dans un EPCI devrait, à mon sens, occuper au plus une fonction liée à son mandat.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Tout à fait d'accord !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Tout cela exige d'élaborer enfin un vrai statut de l'élu ; y compris pour assurer une diversité de recrutement pour les fonctions électives, sinon celles-ci seront toujours occupées par les mêmes.

M. Éric Doligé. - En effet.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Enfin, il est temps de tordre le cou au cumul des fonctions locales, qui conduit à un cumul d'indemnités, parfois jusqu'à l'aberration. Mettons les choses au clair.

Nous pourrions ajouter une proposition, concernant les membres d'un gouvernement : l'interdiction d'exercer un mandat local « dans les mêmes conditions que pour un mandat parlementaire ».

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Je ne vois pas d'opposition à l'adoption des propositions de nos rapporteurs...

M. Éric Doligé. - Ils vont travailler à nouveau, je crois ?

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Bien sûr, afin d'intégrer nos remarques et de conjuguer les divers aspects.

Le rapport est adopté.