Mardi 25 octobre 2011

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Loi de finances pour 2012 - Mission Aide publique au développement - Programme Solidarité - Audition de M. Dov Zerah, directeur de l'Agence française de développement

La commission auditionne M. Dov Zerah, directeur de l'Agence française de développement (AFD), sur le projet de loi de finances pour 2012 (programme « Solidarité » de la mission Aide publique au développement).

M. Jean-Louis Carrère, président - Monsieur le Directeur général, Mes chers collègues, je suis heureux de vous accueillir, à nouveau, devant notre commission pour cette audition consacrée au projet de loi de finances pour 2012. Vous êtes à la tête du principal opérateur français de coopération au développement.

Je rappelle à nos collègues que l'AFD est à la fois un établissement bancaire de par son statut, ses méthodes et son bilan comptable, mais aussi une agence de coopération qui intervient comme bras séculier de la diplomatie française dans les pays du Sud.

L'essentiel des ressources de l'AFD provient des marchés, une part résiduelle de l'Etat, des programmes 209, pour les subventions, et 110 pour les bonifications de prêts.

La tentation est forte de vous juger à l'aune des 200 millions de subventions que gère l'agence, en ignorant les 7 milliards qu'engage la banque. Nous n'y céderons pas, en cherchant avec nos rapporteurs à comprendre et à évaluer l'activité de votre agence dans son ensemble.

C'est d'ailleurs ce que la commission a fait lors de la dernière session, en adoptant, à l'unanimité, un rapport fort documenté sur le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de votre agence.

Je comprends que le caractère hybride de l'institution que vous dirigez présente un réel intérêt. En même temps, elle rend plus difficile la compréhension de son action.

Nous attendons donc de vous que vous nous éclairiez sur l'action de l'agence à un moment où, selon l'expression utilisée l'année dernière par les deux rapporteurs de l'aide au développement, « votre établissement est à la croisée des chemins » entre la poursuite de la croissance et la stabilisation, entre la poursuite de la diversification et la concentration.

Au-delà des crédits pour 2012, je souhaiterais que vous nous exposiez la stratégie de votre agence sur quatre points :

- l'accompagnement du printemps arabe : c'est un défi majeur : ces révolutions démocratiques ne doivent pas échouer, faute de développement économique et social. Nous devons les accompagner. Nous, l'Europe, la communauté internationale ;

- le Sahel ensuite : nous ne pouvons pas laisser cette région s'enfoncer dans le non-développement et devenir une zone de non-droit. C'est leur intérêt, c'est notre intérêt. En ce sens, l'action de l'AFD est stratégique.

- l'Afrique : en attendant un hypothétique automne africain, qu'il faudra lui aussi, le cas échéant, accompagner, l'Afrique devra faire face, vous le savez, d'ici trente ans, au défi du doublement de sa population. La croissance de ce continent devra être à la hauteur d'un défi démographique, économique, alimentaire et environnemental majeur. Le développement de ce continent de 1,8 milliard d'habitants, c'est avant tout l'affaire des Africains, mais cela risque, si la croissance n'est pas au rendez-vous, d'être aussi la nôtre.

- le réchauffement climatique : considérez-vous que l'AFD soit le principal opérateur de la lutte contre le réchauffement climatique à l'international ? Quelles sont selon vous les perspectives de la conférence de Durban ? Comment s'articule l'action de l'AFD, celle du Quai et celle du ministère du développement durable ?

M. Dov Zerah, directeur de l'Agence française de développement (AFD) - L'AFD est aujourd'hui l'opérateur pivot de la France en matière d'aide au développement. Il y a 10 ans, les dispositifs de coopération français étaient beaucoup plus éclatés qu'aujourd'hui. L'AFD était concentrée sur ce que l'on appelait le « champ de la coopération », la direction du Trésor et la direction des relations économiques extérieures (DREE) géraient les protocoles financiers dans la zone dite « hors champ » et le quai d'Orsay avait la responsabilité des relations culturelles et scientifiques extérieures. La réforme du ministère de la coopération et du ministère des affaires étrangères a conduit progressivement à unifier au sein de l'AFD la majeure partie des compétences relatives à l'aide au développement.

Ce processus s'est accompagné d'une croissance continue des activités de l'AFD. Cette croissance a été obtenue par une diversification géographique de ses champs d'intervention et par une diversification sectorielle de ses centres d'intérêts. L'AFD a développé ses activités en Afrique, en Méditerranée, mais également dans des nouvelles zones géographiques, en Asie et en Amérique latine. Elle a poursuivi son action en faveur du développement des infrastructures mais s'est également investie dans la lutte contre le réchauffement climatique. L'AFD a poursuivi sa croissance grâce au développement de ses prêts et a poursuivi la gestion des dons pour le compte de l'Etat. Le système auquel nous avons abouti est bon, il est performant, il permet à la France d'être présent sur presque tous les continents, contrairement à d'autres bailleurs bilatéraux. Nous avons réussi à étendre nos activités sans pour autant perdre notre identité et notre coeur de métier qui est la lutte contre la pauvreté. Mais il est vrai que nous avons considérablement enrichi nos missions en intégrant pleinement la lutte contre le réchauffement climatique et la poursuite d'un modèle de développement durable dans nos objectifs.

Il y a aujourd'hui quatre partenariats clairement identifiés avec l'Afrique subsaharienne, le monde arabo-musulman, les pays émergents et les pays en crise. L'AFD concentre l'essentiel des moyens qui lui sont fournis par l'Etat à l'Afrique subsaharienne et aux secteurs sociaux. En revanche, dans les pays émergents, l'AFD entend intervenir sans « coût-Etat ». Ce n'était initialement pas le cas en Chine ou en Inde car il nous fallait bâtir des partenariats avec ces pays, mais aujourd'hui, nous entendons y poursuivre nos activités, dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique avec des prêts non bonifiés. Nous sommes devenus une référence mondiale dans le domaine de l'expertise en matière de développement durable et nous participons à ce titre à la préparation par la France des rendez-vous internationaux sur la lutte contre le réchauffement climatique à Durban et à Rio pour la conférence « Rio+20 ».

Comme vous le voyez, l'activité de l'agence se polarise actuellement sur deux thèmes essentiels : la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne et le développement durable. Nous poursuivons nos activités avec une dotation de l'Etat limitée, 400 millions d'euros au titre des bonifications de prêts consentis par la direction générale du Trésor et de 200 millions de subventions de la part du ministère des affaires étrangères. Avec 600 millions d'euros de crédit budgétaire, nos interventions s'élèvent à 7 milliards d'euros, c'est dire si nous avons un effet de levier conséquent. Nous obtenons ainsi un maximum d'effets en faveur du développement avec un coût minimal et c'est pourquoi je considère que ce modèle est bon. Il permet accessoirement de dégager un dividende de 98 millions cette année et de 220 millions l'année dernière. Je tiens à souligner que nous reversons la quasi intégralité de notre résultat net à l'Etat qui a ainsi bénéficié depuis 2004 de pas moins de 1,2 milliard d'euros de dividende de la part de l'AFD.

L'AFD a un mandat de lutte contre la pauvreté et de développement économique des pays du Sud, mais il a également une mission au titre de la politique d'influence de la France. Nos interventions en Chine, au Brésil, ont vocation à promouvoir l'expertise française. C'est ce que nous faisons dans le cadre du financement du métro à Medellin ou à Bogota. Qu'on ne s'y méprenne pas, nous intervenons dans le cadre d'une aide déliée. Conformément aux engagements de la France, nos financements ne sont pas conditionnés par l'obtention par les entreprises françaises des marchés concernés. Mais nous prenons soin dans ces interventions de choisir les secteurs dans lesquels il existe des partenaires français. Nos financements dans les pays émergents sans « coût-Etat » demeurent des financements intéressants pour nos pays partenaires car nous leur faisons bénéficier de la signature « triple A » de l'AFD. Les taux d'intérêts de ces prêts permettent en outre aux pouvoirs publics de les déclarer auprès de l'OCDE au titre de l'aide publique au développement alors même qu'ils ne comportent pas de bonification.

S'agissant du printemps arabe, la France et l'AFD ont été les premiers à proposer au sommet de Deauville un partenariat avec les pays arabes en transition et notamment avec la Tunisie. Nous avons réorienté notre soutien à la Tunisie vers l'emploi, la formation professionnelle, la rénovation urbaine et la micro-finance. Nous avons, après un long travail de concertation avec les nouvelles autorités tunisiennes, défini des objectifs clairs. La situation dans l'ensemble de la zone n'est cependant pas simple. Nous avons fermé notre agence en Syrie, nous sommes en train de redéfinir nos priorités en Egypte avec quelques difficultés à bien cerner les objectifs des autorités en place.

En ce qui concerne le Sahel, vous avez raison, c'est une véritable question. La situation sécuritaire et économique est préoccupante.

En Afrique subsaharienne, vous l'avez souligné, l'enjeu majeur face à la croissance démographique de ce continent, c'est la sécurité alimentaire. C'est pourquoi nous avons concentré notre effort sur le développement de l'agriculture et des industries agro-alimentaires. Le développement de ces secteurs exige par ailleurs de soutenir la croissance des infrastructures de transport et d'électricité. Nos interventions dans ce continent intègrent de façon transversale la dimension du développement durable. Ainsi, en matière de transport, nous souhaitons concentrer nos efforts sur le transport ferroviaire qui constitue une solution plus sobre en carbone que le transport routier. J'ai d'ailleurs bon espoir qu'au sommet de Cannes, du G20, soit annoncé le financement de plusieurs projets de transport ferroviaire. De même, en matière d'énergie, nous souhaitons nous investir dans l'énergie hydro-électrique pour orienter la production d'électricité africaine vers un chemin de croissance plus respectueux de l'environnement. Pour le reste, nos interventions en subvention en Afrique vont se concentrer dans les domaines de l'éducation et de la santé. Ces domaines sont essentiels au développement de ce continent, l'éducation des femmes et la santé maternelle et infantile sont notamment des éléments essentiels d'une maîtrise de la démographie africaine. Or l'intensité de cette croissance démographique constitue aujourd'hui un enjeu majeur car elle conditionne à bien des égards l'avenir.

En termes de méthodes, l'AFD cherche à développer ses actions en partenariat avec des fondations privées et des organisations de solidarité internationale. Il s'agit d'un axe stratégique important.

M. Christian Cambon - Lors du rapport sur le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD, nous avions constaté, pour nous en féliciter, le dynamisme de l'AFD en Afrique bien sûr mais également dans les pays émergents. Cette extension de vos activités d'un point de vue géographique et sectoriel, à un moment où vos moyens sont comptés, aboutit à une situation paradoxale à plusieurs égards. D'une part, nous constatons que vous rendez à l'Etat les dividendes conséquents, vous avez évoqué plus d'un milliard d'euros en 6 ans à un moment même où pour financer cette politique de coopération nous imaginons créer une nouvelle taxe sur les transactions financières. D'autre part, vous étendez vos activités en Asie, en Amérique latine, en Asie centrale et maintenant au Caucase alors même que nos moyens d'intervention dans les 14 pays prioritaires sont en diminution du fait de la réduction des moyens en subventions.

Quand on regarde le budget et les prévisions pour le trienum budgétaire on constate que de 2008 à 2013 les subventions gérées par l'AFD auront diminué de 20 % quand les bonifications de prêts auront augmenté du même pourcentage. N'y-a-t-il pas une contradiction entre les moyens et les objectifs ? L'année dernière la revue dite « à mi-parcours » de l'OCDE soulignait, je cite : « Les cinq secteurs sur lesquels la France veut se concentrer, d'après la décision du CICID, sont des secteurs dont la plupart sont susceptibles d'être appuyés par des dons, et ne se prêtent pas facilement aux prêts, puisqu'ils ne sont pas des secteurs productifs. Pourtant, la France a réduit ses dons. Ceci pose un défi pour la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie de la France et le ciblage sur les PMA qu'elle a proposé. ». Qu'en pensez-vous et comment essayez-vous de dépasser cette contradiction ?

Le modèle de l'agence française de développement est un modèle non lucratif. L'activité de l'agence n'est ni conçue ni tarifée pour obtenir un excédent d'exploitation. Elle doit cependant dégager une rentabilité suffisante pour couvrir les frais d'activité non rémunérée comme la production intellectuelle ou d'activités déficitaires comme la gestion des subventions. Il y a là un équilibre subtil à maintenir qui a notamment été rendu possible par le développement de vos activités dans les pays émergents dans lesquels vos activités dégagent une certaine rentabilité. Quand nous avons fait notre mission en Inde nous avons compris que l'activité de prêts dans ce pays non seulement servait les intérêts français mais permettait de dégager une marge bancaire. Quand on vous a demandé de nous indiquer le montant de cette marge bancaire, vos services ont refusé de l'écrire parce que vos activités dans ce pays devaient rester sous le statut d'agence de développement. Pouvez-vous nous dire aujourd'hui, hors procès verbal, quelle est la rentabilité de l'activité bancaire de l'AFD en Inde ? Par ailleurs, je suis favorable au développement de vos activités dans ces pays émergents à partir du moment où cela ne coûte rien à l'État et où cela peut dégager des moyens financiers pour la politique de coopération dans les pays prioritaires, mais est-ce qu'on n'atteint pas la limite du système ? Est-ce que vous allez pouvoir longtemps comme ça mentir sur la réalité de l'activité ? Est-ce que quand vous financez des projets en Chine dans des secteurs porteurs liés à la croissance verte vous êtes encore en train de faire de l'aide au développement ?

J'ai une question subsidiaire qui concerne l'autorisation qui était faite à l'AFD d'intervenir en Asie centrale et dans le Caucase. La question est simple : qu'allez-vous faire ? Est-ce de l'aide au développement ? En quoi ces pays sont-ils prioritaires par rapport à l'Afrique ? Ces activités seront-elles rentables ? S'ils sont déficitaires, comment les financez-vous ? Si vous intervenez en Amérique latine, en Asie centrale, dans le Caucase, aux Philippines, en plus du Maghreb de la Méditerranée et de l'Afrique, votre champ d'action sera bien planétaire. J'ai la crainte que vous dispersiez vos activités. Vous me direz que dans ces zones géographiques l'AFD ne dépensera pas de l'argent public puisque les prêts seront faiblement bonifiés. C'est sans doute vrai, pas forcément au début mais dans un second temps. Mais il reste que cette diversification géographique entraîne des coûts de fonctionnement, mobilise les énergies et naturellement disperse les activités de l'agence.

D'un côté l'Europe semble être l'horizon naturel des politiques de coopération des Etats-membres. Il y a quelque chose d'absurde à maintenir 27 politiques d'aide au développement, 27 agences de coopération dans des pays comme la Mauritanie ou le Mali. De l'autre, nous n'avons encore jamais rencontré d'acteur de terrain qui soit satisfait de l'action des services de la commission en matière de développement. Certains disent sur le terrain que l'Union se comporte dans ce domaine comme un 28e État, d'autres que l'aide communautaire est enfermée dans des procédures kafkaïennes, que sa programmation est rigide et insensible aux priorités politiques du moment, bref.... il y a comme un désenchantement dans un domaine dont on pouvait penser qu'il était un domaine communautaire par excellence. Je sais que l'AFD participe à des programmations conjointes, se voit parfois déléguer la gestion de certains fonds européens. Quelle est votre vision ? Comment expliquez-vous cette déception ? Le commissaire européen vient de publier une communication relative aux nouvelles perspectives de cette politique. Pouvez-vous nous donner votre position sur ses propositions ?

M. Yvon Collin - J'aurais souhaité vous demander quel est l'état de la coordination entre les services des ambassades et les agences de l'AFD sur le terrain. Ma deuxième question porte sur vos interventions en Haïti. J'ai pu constater lors de mon déplacement sur place au nom de la commission des finances, l'ampleur des dégâts et les difficultés de la gouvernance de ce pays. J'aurais voulu savoir où en étaient vos interventions et où en est-on des engagements de la France à l'égard de ce peuple durement touché par une catastrophe naturelle ?

S'agissant de la sécurité alimentaire, je constate qu'après avoir abandonné l'agriculture, nous redécouvrons les vertus de l'agriculture familiale. Je me demande si des éléments d'évaluation de nos actions n'auraient pas pu conduire à plus de cohérence et de constance dans le temps ?

Mme Fabienne Keller - Je souhaite savoir si, dans le cadre de vos activités de prêts, vous avez des cas de sinistres et comment vous gérez ces situations ? En matière d'annulation de dettes, je souhaiterais savoir si les contrats de développement et de désendettement font l'objet d'une programmation et d'un suivi de la part de l'AFD. Je voudrais enfin connaître votre stratégie en matière de coopération décentralisée.

M. Dov Zerah - Il ne m'appartient pas de juger du niveau de subventions que l'Etat accorde à l'AFD. Notre mission est de maximiser la contribution de l'AFD au développement de nos pays partenaires avec les moyens que l'on nous donne. Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'AFD a commencé la croissance de ses interventions dans les années 2000 avec un ratio de solvabilité supérieur à 50 %. De ce point de vue, vous avez raison de dire que le schéma sur lequel nous avons fonctionné pendant cette décennie arrive à ses limites, puisque notre ratio de solvabilité est aujourd'hui inférieur à 30 %. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à nos autorités de tutelle une augmentation des fonds propres. Cette demande n'a pour l'instant pas reçu de réponse positive. Nous avons proposé différentes modalités dont certaines sont indolores pour les finances publiques. L'accord auquel sont parvenues nos autorités de tutelle en marge du contrat d'objectifs et de moyens sur les conditions de distribution du résultat net ne constitue pas un moyen d'amélioration significative de nos fonds propres. Nous avions proposé des modalités plus simples, à savoir un prélèvement à hauteur de 35 %, niveau qui me paraît logique dans la mesure où nous ne sommes pas assujettis à l'impôt sur le revenu.

Vous vous demandez si l'on peut distinguer dans notre action ce qui relève de l'aide au développement de ce qui relève du réchauffement climatique. On a peu écrit sur l'aide au développement, politique bâtie par des praticiens. Depuis les années 60, il y a des priorités acceptées par tous, comme les ajustements structurels, les objectifs du Millénaire pour le développement. Aujourd'hui, c'est le réchauffement climatique qui est à l'ordre du jour des développeurs. C'est à la fois une dimension verticale de notre action avec des secteurs bien déterminés comme les énergies renouvelables et une dimension horizontale de notre action, car aujourd'hui tous les projets de développement contiennent une dimension relative au développement durable. On ne conçoit plus des infrastructures ou des projets d'urbanisme sans prendre en compte les aspects liés à la lutte contre le réchauffement climatique.

En ce qui concerne la sécurité alimentaire, je voudrais souligner que c'est désormais une priorité absolue de l'agence. Nous avons augmenté nos financements en matière d'agriculture mais aussi pour soutenir les infrastructures de transport, de stockage et de transformation qui sont liées. Sur le long terme, il faut avoir à l'esprit une exigence de cohérence entre nos politiques de coopération et les politiques de soutien aux agricultures des pays développés. On ne peut pas, d'un côté, soutenir l'agriculture africaine et, de l'autre, empêcher par différents moyens que les produits de cette agriculture viennent concurrencer les nôtres.

Vous avez évoqué l'Europe des 27, mais, en réalité, il y a quatre ou cinq pays qui sont présents dans le domaine de la coopération. Il reste que nous travaillons à une meilleure coordination et à une meilleure division du travail. L'AFD est ainsi partie prenante à un processus de reconnaissance mutuelle des procédures, avec la KFW et la BEI. Cette reconnaissance mutuelle des procédures nous permet de mettre en oeuvre des projets instruits par nos homologues ou inversement. C'est un dispositif très efficace que nous expérimentons, par exemple, pour le financement du RER de Tunis.

S'agissant des relations entre les services de coopération des ambassades et les agences de l'AFD, je dois souligner qu'elles sont dans l'ensemble excellentes. Haïti est une situation particulière pour laquelle j'ai mandaté une inspection de mes services. La réforme du dispositif de coopération engagée en 1998 est un succès. Aujourd'hui, les ambassades sont demandeurs d'une intervention accrue des agences de l'AFD. Nous sommes les accompagnateurs de l'action des ambassades.

En réponse à Mme Keller, je souhaiterais la rassurer et lui indiquer que l'AFD veille scrupuleusement à maîtriser les risques qu'elle prend en finançant les projets de développement qu'elle sélectionne. Il est dans la vocation de l'agence de prendre des risques en faveur du développement. En revanche, j'ai tenu, à mon arrivée, à renforcer les moyens de suivi de ces risques, à créer une direction du risque et à revisiter l'ensemble de nos procédures. Nous veillons à la pertinence économique des projets que nous finançons, mais également à la probité des partenaires avec lesquels nous travaillons. En matière de corruption, la gouvernance mondiale progresse avec l'établissement de listes de personnes signalées présentant des risques. Il nous faut renforcer nos moyens d'information dans ce domaine de façon à éviter toute affaire qui pourrait nuire à l'image de l'AFD, en particulier, et à l'aide au développement, en général. De ce point de vue, la France gagnerait à renforcer ses moyens en matière d'intelligence économique.

S'agissant de la gestion des contrats de désendettement et de développement (C2D), l'ensemble des remboursements transite par un compte qui finance des projets de développement que nous instruisons en commun avec les Etats concernés. L'ensemble de la procédure est suivie très attentivement par l'AFD.

Vous avez raison de souligner le rôle essentiel de la coopération décentralisée. Au-delà du financement, ce type de coopération permet des échanges extrêmement fructueux d'expériences entre responsables locaux. Les projets financés par les collectivités territoriales bénéficient en outre de l'assistance des services techniques de ces collectivités, qui apportent un concours précieux aux collectivités en voie de développement. Cette assistance est d'autant plus précieuse que l'Etat a réduit à la portion congrue le nombre de ses assistants techniques dont les effectifs sont passés de 10 000 dans les années 80 à moins de 350 aujourd'hui. Or il y a manifestement une forte demande de coopération technique dans le monde. Dans des pays comme la Chine, l'Inde ou la Colombie, les projets de l'AFD sont recherchés tout autant pour leur financement que pour l'expertise technique que nous apportons. De ce point de vue, je crois qu'il faut renforcer nos moyens dans ce domaine. Sans revenir à la coopération de substitution qui avait cours dans les années 60, je crois qu'il nous faut renforcer les effectifs de la coopération technique et c'est pourquoi j'ai fait la proposition de créer un fonds dédié au financement de ce type de coopération.

M. Jean Besson - Vous nous avez indiqué que les interventions de l'AFD en Chine consommeraient bientôt plus de crédits budgétaires et qu'en tout état de cause, vos engagements dans les pays émergents seront limités à 10 % de l'effort financier de l'Etat. En tant que président du groupe d'amitié France-Chine, je ne peux que me féliciter de vos interventions dans ce pays, qui ne se résument pas à l'économie florissante de la côte Est, mais je comprends l'étonnement de mes collègues de voir que l'opérateur pivot de notre coopération au développement intervient dans un pays qui est aujourd'hui la deuxième puissance économique mondiale et la première puissance financière de la planète. Pouvez-vous nous indiquer des exemples concrets d'intervention de l'AFD en Chine ?

Mme Hélène Conway Mouret - Le 7 juillet dernier, à l'occasion de la réunion du conseil d'administration, un mouvement social s'est déclaré à l'AFD pour contester la gestion actuelle de la direction générale. Pouvez-vous nous indiquer quelles étaient les revendications de ce mouvement et l'évolution de la situation ?

M. Dov Zerah - Les interventions de l'AFD en Chine se feront désormais sans coût-Etat. Elles portent sur les secteurs énergétiques et urbains. La gestion de ces projets permet à nos équipes de participer à des groupes de travail chinois à travers lesquels nous apprenons beaucoup sur le développement de l'économie verte. Aujourd'hui, une stratégie de coopération passe par la création de réseaux d'expertise. Ces projets en Chine participent de cette stratégie.

S'agissant du mouvement social du 7 juillet 2011, il s'inscrit dans le contexte d'une année particulièrement difficile. Au-delà de la succession d'un directeur général qui était resté neuf ans, l'année a été marquée par la définition, pour la première fois, d'une part, d'une stratégie nationale de coopération, à travers le document-cadre de coopération et, d'autre part, d'un contrat d'objectifs et de moyens unique pour l'agence. Les dispositions de ce contrat nous ont conduits à réduire considérablement la progression des frais de fonctionnement de l'agence, puisque nous sommes passés d'une croissance de 12 % par an à une croissance annuelle de 1 %. Cette évolution a naturellement suscité des mécontentements. Par ailleurs, ma prise de fonction m'a conduit à être fréquemment en déplacement pour effectuer des visites de courtoisie à nos très nombreux partenaires, ce qui a pu limiter les moments de dialogue avec le personnel parisien.

J'ai pris la mesure de l'inquiétude et j'ai souhaité que l'on restructure la politique des ressources humaines. Un accord en faveur de l'égalité hommes-femmes a d'ores et déjà été signé par tous les syndicats. De même, les réorganisations relatives à la création de la direction des risques ou à la structuration de la direction des ressources humaines ont été approuvées à l'unanimité en CE. Pour l'avenir, j'ai notamment pris l'engagement que l'agence fasse l'objet d'une certification en matière de responsabilité sociale et environnementale avant 2012.

Mme Nathalie Goulet - Votre politique vous conduit-elle à conditionner votre aide à des améliorations en matière de gouvernance ? Vous arrive-t-il d'établir des coopérations avec la fondation de M. Bill Gates ? Dans quels pays du Caucase intervenez-vous ? Dans cette région, des pays dont les ressources naturelles sont très inégales, j'imagine que les besoins des pays comme l'Arménie ou la Géorgie sont plus importants que l'Azerbaïdjan qui dispose de ressources financières conséquentes.

M. Robert Hue - Quand j'entends que l'AFD a distribué à l'Etat plus de 1,2 milliard d'euros de dividende, je suis extrêmement surpris. Il me semble qu'il y a une contradiction majeure à ce que la principale agence en faveur du développement contribue à renflouer les caisses de l'Etat à un moment où notre politique de coopération manque de moyens. Je suis en contradiction totale avec cette démarche. J'observe que nous avons abandonné l'agriculture familiale africaine dans les années 80 pour redécouvrir aujourd'hui ses bienfaits. Ne serait-il pas préférable que ces politiques sectorielles fassent l'objet d'un suivi et d'une évaluation sur le long terme, de sorte qu'elles ne subissent pas de tels à-coups.

M. Dov Zerah - La gouvernance ne fait pas partie des secteurs qui ont été transférés à l'AFD. Mais, évidemment, nous suivons la gestion du projet que nous finançons de façon très attentive. Nous ne sommes cependant pas en mesure de donner des leçons de gouvernance aux pays partenaires que nous aidons. Nous apportons un soutien technique à cette gouvernance sans interférer dans la gestion des affaires intérieures de nos partenaires. Les rumeurs relatives à la France-Afrique ont, de ce point de vue, considérablement nuit à l'image de l'AFD. Je me dois de rappeler que nos financements ne sont en aucune manière liés à l'obtention par les entreprises françaises des marchés financés par l'AFD.

S'agissant des fondations, nous avons des partenariats très structurés avec la fondation Bill Gates mais aussi avec la fondation de l'Aga Khan.

En ce qui concerne les interventions de l'AFD dans le Caucase, nous avons la possibilité d'intervenir en Géorgie, en Arménie, mais aussi en Azerbaïdjan. Dans ces zones géographiques, nous participerons à la promotion de l'expertise française sur des secteurs comme le développement urbain ou l'eau et l'assainissement.

En réponse à M. Hue, je veux lui dire que je comprends sa position et c'est pourquoi j'avais demandé à ce que les reversements de l'AFD à l'Etat au titre du dividende soient limités.

M. Jeanny Lorgeoux - Ne pourriez-vous pas considérer que ces dividendes sont des excédents réversibles ?

M. Dov Zerah. - Je me permets de rappeler que le reversement des dividendes est notamment le résultat d'un amendement sénatorial déposé, en son temps, par Michel Charasse.

En ce qui concerne l'agriculture familiale, je rejoins là aussi les propos de M. Hue. Dans les années 90, la Banque mondiale a conduit la majorité des pays africains à fermer les caisses de stabilisation et à réduire les subventions au secteur agricole. Or, nous constatons aujourd'hui qu'il faut continuer à aider et à subventionner le développement de l'agriculture africaine pour accroître sa productivité. Je constate, dans le domaine du coton, que les Etats-Unis et l'Europe, mais aussi la Chine et l'Inde, continuent à subventionner leur production. L'accroissement des productions de ces pays et la diminution des cours qui en a découlé ont entraîné une crise très brutale des exploitations africaines dont la production a chuté de 50 % sur les années 2000. Cette concurrence déloyale a ainsi ruiné cinquante ans de coopération française dans ce secteur où on avait atteint des résultats très satisfaisants. Dans le même temps, la production indienne, pour ne prendre que cet exemple, s'est accrue de 50 %.

M. Bernard Piras - Je trouve que l'on manque de moyens d'intervention en Amérique latine alors même que les expériences, en Colombie, notamment dans le domaine des transports urbains, sont tout à fait positives. J'aurais voulu savoir si les projets en Chine et en Inde entraînaient des transferts de technologies.

M. Jacques Gillot - Pouvez-vous nous faire le point sur l'état d'avancement de vos opérations en Haïti ?

M. Dov Zerah. - Nos interventions en Inde et en Chine n'entraînent pas de transferts de technologies. Nos interventions en Amérique latine sont pour l'instant concentrées en Colombie mais ne concernent pas des pays comme le Venezuela. A Haïti, nous travaillons, entre autres, en collaboration avec l'USAID pour la rénovation de l'hôpital de Port-au-Prince et la rénovation d'un quartier de la capitale.

Mme Leila Aïchi - Quels sont les critères environnementaux que vous utilisez pour la sélection des projets que vous financez ? Un des problèmes majeurs des pays en développement reste la corruption. Quelles dispositions prenez-vous pour limiter ce fléau ?

Mme Josette Durrieu - Pouvez-vous nous préciser les objectifs de vos interventions en Asie centrale ?

M. Dov Zerah. - En Asie centrale, nous interviendrons dans les domaines de l'énergie et de l'eau, en collaboration avec la Banque asiatique de développement.

Nous analysons tous nos projets avec à l'esprit des objectifs de protection de l'environnement. C'est ce qui nous conduit, par exemple, dans le domaine de l'énergie, à financer exclusivement des barrages hydroélectriques.

En ce qui concerne la corruption, je vous rejoins pour considérer qu'il s'agit d'un fléau, mais, quitte à être provocateur, je voudrais souligner que le principal fléau de l'Afrique c'est avant tout l'absence d'infrastructures qui coûte chaque année au moins 2 % de croissance à ce continent. Il reste que la corruption est un enjeu majeur pour l'agence pour lequel nous visons un risque zéro.

Loi de finances pour 2012 - Audition de M. Alain Juppé, ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes

La commission auditionne M. Alain Juppé, ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le projet de loi de finances pour 2012.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Monsieur le ministre d'Etat, nous sommes heureux de vous accueillir pour cette audition consacrée aux crédits du ministère des affaires étrangères et européennes dans le projet de loi de finances pour 2012. Je salue la présence de votre nouveau directeur de cabinet, M. Jérôme Bonnafont, dont nous avons apprécié les qualités en tant qu'ambassadeur à New Delhi. En dépit d'une actualité très riche, nous limiterons cette audition à la préparation du budget. Vous serez condamné à revenir devant notre commission pour une audition consacrée à l'actualité internationale. Je proposerai également à la conférence des présidents d'inscrire à notre ordre du jour un débat de politique étrangère auquel pourront participer l'ensemble de nos collègues.

Les crédits de votre ministère sont regroupés au sein de la mission « Action extérieure de l'Etat ». Il s'agit des programmes 105 « Action de la France en Europe et dans le monde », 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires », et 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». Il faut y ajouter le programme ponctuel qui concerne notre présidence du G8 et du G20. Nous n'aborderons pas le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » de la mission « Aide publique au développement », puisque nous entendrons jeudi M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération.

C'est devenu une banalité de dire que votre budget s'inscrit dans un contexte où la crise économique et financière et l'impérieuse nécessité de redresser nos finances publiques imposent leurs contraintes. Je vais laisser à nos rapporteurs le soin de vous interroger précisément sur les évolutions de votre budget. Dans le Livre blanc de 2008 sur la politique étrangère de la France, vous écriviez que nous avions atteint l'étiage. Déjà ! M. Hubert Védrine partage, je crois, ce diagnostic. Pouvons-nous concilier l'indispensable redressement de nos finances publiques, condition évidente de notre indépendance, et la préservation d'un outil diplomatique tel que le nôtre ? Je me pose la même question en matière de défense, et j'ai l'impression, dans un cas comme dans l'autre, que l'on nous propose des budgets d'attente, rendez-vous étant pris pour la seconde moitié de 2012.

Nous disposons d'un outil diplomatique de premier ordre. Sa performance, son efficacité, nous avons pu en juger en Côte-d'Ivoire ou en Libye. Les propositions de la France comptent au Conseil de sécurité, en Afghanistan, en Afrique. Au-delà de ces opérations très médiatisées, nous voyons à travers les télégrammes le travail quotidien fait par chacun de nos postes et par l'administration centrale. Cette influence française retrouvée est d'autant plus nécessaire que la mondialisation rend notre pays toujours plus interdépendant. Il nous faut donc agir plus efficacement au-delà de nos frontières traditionnelles, fussent-elles celles de l'Europe. Cette fonction si importante pour nos intérêts coûte 2,9 milliards d'euros, soit 1 % des dépenses globales.

Votre budget diminue de 1, 2 % à structure constante. Votre force de conviction et votre position au sein du Gouvernement ont permis des arbitrages favorables sur les suppressions de postes et les contributions aux opérations de maintien de la paix et au Fonds européen de développement. Mais cela ne suffit pas à inverser la trajectoire. Pouvez-vous nous dire à quel niveau d'étiage nous sommes ?

M. Alain Juppé, ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes. - Quinze jours après avoir rencontré informellement les nouveaux rapporteurs de votre commission, j'ai plaisir à venir présenter devant vous les crédits de la mission « Action extérieure de l'Etat ». Je me soumettrai très volontiers à la condamnation de M. le président qui veut que je revienne devant vous parler de l'actualité internationale : je prends toujours plaisir à nos échanges.

Notre diplomatie a-t-elle les moyens de ses ambitions ? Le ministère des affaires étrangères a récemment été en butte à des critiques injustes, qui ont affaibli la confiance que lui portent nos concitoyens et nos agents eux-mêmes. Il est vrai que le Quai d'Orsay a été fragilisé par la lente érosion de ses effectifs et de son budget, qui ne date pas de la révision générale des politiques publiques : comme M. Hubert Védrine et moi-même le soulignions dans un article cosigné, les emplois relevant des ministères des affaires étrangères et européennes ont diminué de 20 % en quinze ans ; entre 1995 et 2005, la baisse a été de 15 %, quand l'effectif des autres ministères civils augmentait en moyenne de 5 %. J'ai dit que nous étions arrivés à l'étiage, et même « à l'os ». Je ne ferai pas de miracle : dans le contexte budgétaire que nous connaissons, chacun doit participer à l'effort collectif. L'économie mondiale traverse une crise d'une extrême gravité : crise du surendettement de quelques grandes zones économiques - Etats-Unis, Japon, zone euro - et crise de confiance, qui se traduit par la baisse des perspectives de croissance. J'étais la semaine dernière en Chine et en Inde, et j'ai eu avec le vice-premier ministre chinois en charge du G20, sur la gestion budgétaire des pays européens, ce que l'on appelle en langage diplomatique un entretien franc... J'ai bon espoir que les dirigeants européens trouveront demain un accord, mais quoi qu'il arrive la discipline budgétaire restera indispensable.

Les crédits de la mission pour 2012 respectent les plafonds de la loi de programmation triennale, et les principes de la RGPP sur la maîtrise des dépenses. Toutefois le ministère amorce une correction de trajectoire grâce aux marges de manoeuvre conservées ou restituées. Le budget des opérations de maintien de la paix baisse de 65 millions d'euros grâce à la fin de plusieurs missions dont la MINURCAT en République centrafricaine et au Tchad et à un taux de change euro-dollar plus favorable : si le marché le permet, nous tenterons de consolider ce gain en achetant des dollars. En revanche, les contributions au budget des organisations et de la justice internationales sont en hausse de 25 millions : sur ce point, les prévisions triennales étaient trop faibles, et il faut faire face à des dépenses exceptionnelles comme la rénovation du siège de la Cour pénale internationale. Les contributions internationales et européennes obligatoires, dont le montant d'élève à 841 millions d'euros, représentent 40 % de la mission « Action extérieure de l'Etat ». Au total, nous disposons donc de 40 millions d'euros supplémentaires. Certes, nous ne sommes pas à l'abri d'opérations imprévues de maintien de la paix, mais la règle est de ne pas provisionner d'opérations nouvelles en loi de finances initiale.

Cet argent servira d'abord à financer des dépenses insuffisamment budgétées dans le cadre du triennal budgétaire, comme l'aide à la scolarité des Français de l'étranger : dans l'esprit du rapport Colot-Joissains, nous y consacrerons 13,5 millions supplémentaires. Le coût de la prise en charge (PEC) a été stabilisé par le plafonnement voté l'an dernier, et diminue même légèrement : 31,9 millions au lieu de 33,7. En revanche, le montant total des bourses passe de 84 à 93 millions, en raison de la croissance des communautés françaises à l'étranger, de la paupérisation de certains ménages suite à la crise, de la hausse des frais de scolarité, et parce que l'instauration de la PEC a conduit certaines familles à déposer pour la première fois une demande de bourse.

Les économies réalisées seront aussi redéployées en direction de la masse salariale, pour couvrir l'effet change-prix : 17 millions y seront consacrés dans le cadre de la mission « Action extérieure de l'Etat », 6 millions dans la mission « Aide publique au développement ». Le ministère respecte strictement le plafond de masse salariale qui lui a été fixé, mais l'effet change-prix est financé en exécution et pris en compte dans la loi de finances avec un retard de deux ans.

Au-delà de ces dépenses obligatoires, nous pourrons aussi faire un effort supplémentaire sur certains secteurs prioritaires et ciblés. Au titre de notre politique d'influence et d'attractivité en direction de nos partenaires méditerranéens et des émergents, ce budget prévoit ainsi une augmentation de l'enveloppe dédiée aux bourses. Initialement prévu à 3,3 millions d'euros, cet effort complémentaire sera ramené à 2 millions d'euros en raison de la contribution du MAEE au plan d'économies du Gouvernement, le « rabot d'un milliard ». L'impératif de sécurisation de nos implantations dans les zones sensibles, notamment au Sahel, nous a en outre conduit à prévoir une hausse de 3 millions d'euros des crédits de sécurité. Enfin, pour l'organisation des premières élections législatives ouvertes aux Français de l'étranger, outre les 8 millions d'euros transférés du ministère de l'intérieur, nous consacrerons 1 million d'euros aux campagnes d'information et de communication.

S'agissant des dépenses de fonctionnement, si le ministère doit se plier globalement à la norme gouvernementale d'une baisse de 8 % en trois ans, il faut tenir compte des contraintes spécifiques qui s'imposent à notre réseau diplomatique : les crédits de coopération de défense et de sécurité ont été stabilisés à 35 millions d'euros sur la période triennale, en raison de notre action au Sahel et des opérations de maintien de la paix en Afrique ; certains services, comme le centre de crise et le service du protocole, sont extrêmement sensibles aux aléas de la conjoncture internationale et ne peuvent absorber sans dommage une diminution de leur crédits de fonctionnement ; enfin les dépenses de fonctionnement des postes à l'étranger sont soumises à des facteurs non maîtrisables comme le niveau des loyers ou le prix de l'énergie, des fluides et des transports aériens. Nous avons donc renoncé à une nouvelle baisse des dépenses de fonctionnement dans les postes à l'étranger en 2012, en échange de quoi nous ferons un effort supplémentaire pour réduire les crédits de communication, d'informatique, les frais de représentation et de mission et les dépenses de fonctionnement des établissements culturels.

Quant aux effectifs, la trajectoire doit aussi être revue pour tenir compte des efforts antérieurs du ministère, qui en 2010 notamment a anticipé les effets de la RGPP. J'ai donc obtenu du Premier ministre que les suppressions d'emplois prévues en 2011-2013 soient revues à la baisse : 75 ETP en 2011 au lieu de 160, 140 en 2012 au lieu de 226.

Il faut enfin évoquer la contribution du ministère au train de mesures anti-déficit annoncé par le Premier ministre le 24 août. L'aide publique au développement en a été exonérée, mais la mission « Action extérieure de l'Etat » supportera une baisse de 13 millions d'euros de ses crédits. La contribution attendue du MAEE devait initialement être plus élevée, mais j'ai obtenu que soient prises en compte les dépenses obligatoires comme les versements aux organisations internationales, les opérations de maintien de la paix ou l'aide à la scolarité. Le Gouvernement souhaitant que les opérateurs de l'Etat soient mis à contribution, 6 millions sur 13 seront prélevés sur les subventions à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et à l'Institut français, auxquels leurs fonds de roulement permettront de poursuivre sans peine leurs activités. S'y ajoutent 100 000 euros du programme 151 relatif aux consulats, 2,4 millions destinés aux interventions culturelles dans le cadre du programme 185, et 4,5 millions de dépenses d'entretien immobilier et de fonctionnement.

Mon ministère doit porter sa part du fardeau commun, et c'est donc avec un enthousiasme que j'espère communicatif que je vous présente ce budget ! Nous faisons de belles choses à l'étranger. La nouvelle ambassade de France à Pékin, par exemple, est à la mesure des ambitions de notre pays.

Mme Leila Aïchi, rapporteur pour avis. - Quelles actions la direction de la coopération de sécurité et de défense prévoit-elle, dans le cadre du programme 105, pour stabiliser la situation politique et sécuritaire du Sahel ?

Pas moins de 60 % des crédits de ce programme sont consacrés aux opérations de maintien de la paix décidées par l'ONU et aux contributions obligatoires aux organisations internationales. Ne pourrait-on transférer aux ministères compétents la charge des contributions ?

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur pour avis. - Jadis, la qualité d'un budget se mesurait à la hausse des crédits, aujourd'hui c'est à la part prise au redressement des finances publiques du pays. Mais tous les esprits sont-ils convertis à cette évolution ? Ce sera l'enjeu du prochain débat budgétaire. Comme le relevait M. Trillard l'an dernier dans son rapport pour avis, la France, avec 279 implantations, est dotée du premier réseau diplomatique et consulaire du monde ; par le nombre de ses ambassades - 162 - elle se classe au deuxième rang, après les Etats-Unis et à égalité avec la Chine ; elle dispose enfin de 21 représentations multilatérales, contre 9 pour les Etats-Unis et 8 pour la Chine. Ces chiffres doivent nous inciter à la réflexion. Notre pays, avec ses 1 700 milliards de dette, a-t-il encore les moyens d'entretenir un si vaste réseau ? Peut-il se contenter d'ajustements, ou doit-il envisager des réformes structurelles ? De quelle efficacité pourrait être l'appareil diplomatique d'un pays à l'économie atone ? Des synergies ne sont-elles pas possibles avec d'autres pays européens, pour réaliser des économies d'échelle ? Vous avez parlé de « fédéralisme » européen, et je vous en félicite. Ce principe vaut aussi pour les affaires étrangères, même si elles sont au coeur de la souveraineté nationale - mais celle-ci devient relative à l'heure de la mondialisation. Des efforts ont été faits, comme en témoignent la classification en quatre catégories de nos services extérieurs, ou encore les ambassades thématiques ; cette année, les crédits du programme 105 baissent de 2,6 %. Mais les évolutions économiques récentes n'imposent-elles pas un changement de format ?

M. Alain Juppé, ministre d'Etat. - La situation au Sahel est très préoccupante. Le conflit en Libye a sans doute favorisé le transfert dans cette région d'armes dangereuses comme des missiles sol-air, et le repli d'éventuelles recrues d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Aux efforts financiers consentis en 2010 et 2011 pour sécuriser cette région viendra s'ajouter en 2012 le plan de renforcement des capacités nigériennes. La coopération structurelle de long terme, quant à elle, vise à rendre ces pays capables de se stabiliser. En 2011, la coopération de sécurité et de défense a mobilisé 2,3 millions d'euros et huit coopérants en Mauritanie, 4,4 millions et dix-neuf coopérants au Mali, 4,3 millions et dix-sept coopérants au Niger. Nous encourageons la coopération interrégionale, malgré les résistances du Mali. L'Algérie a organisé un sommet à ce sujet il y a quelques semaines, mais des efforts restent à faire.

S'agissant des contributions de la France aux budgets des organisations internationales, 76 de ces contributions ont déjà été transférées à d'autres ministères depuis 2008, pour un montant de 25,6 millions d'euros. Ce transfert est donc presque achevé. Les discussions relatives à la contribution à l'Assemblée parlementaire de l'Otan sont en bonne voie avec l'Assemblée nationale et le Sénat, puisque M. le président Accoyer a déjà donné son accord. En revanche, nous nous sommes heurtés au refus de Bercy s'agissant du transfert du budget des pensions et de l'ajustement fiscal des pensions des organisations coordonnées.

Suivant les orientations du Livre blanc, la France a fait le choix de conserver un réseau diplomatique et consulaire à vocation universelle, le deuxième au monde après celui des Etats-Unis : 160 ambassades, 17 missions multilatérales et plus d'une centaine de consulats généraux. Pour plus de clarté, nous avons distingué 30 ambassades à missions élargies - dont 8 à format d'exception -, une centaine d'ambassades à missions prioritaires, et 30 postes de présence diplomatique. On pourrait envisager de supprimer ces derniers, mais elles représentent 1 % seulement des crédits de fonctionnement de la mission. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Même à l'heure d'internet, la présence d'une ambassade dans un pays est source de rayonnement. Peut-être faudra-t-il un jour réduire notre présence dans le monde, mais ce n'est pas le choix que je défends aujourd'hui.

Il faut d'ailleurs mesurer les efforts de productivité réalisés par nos consulats. A Shanghai, un agent français traite 7 000 demandes de visa par an, quand la moyenne européenne est de 4 000. Je tiens à cet égard à rappeler que si un agent consulaire représente évidemment un coût pour l'Etat, les visas qu'il délivre engendrent en revanche un gain net de 200 000 euros pour l'Etat ! Il faut aussi préserver l'influence et l'attractivité de la France. A Shanghai, si la queue pour obtenir un visa est trop longue, les touristes chinois se tournent vers le consulat d'Allemagne et prennent un vol pour Berlin ou Francfort !

Mme Hélène Conway Mouret. - Le service public consulaire, vous l'avez dit, est « à l'os ». La création de cinq pôles consulaires régionaux a-t-elle fait économiser des emplois, et envisage-t-on d'en créer d'autres ? Bercy plaide pour la réduction de notre réseau consulaire au sein de l'Union européenne, qu'en pensez-vous ?

Le nouveau secrétaire d'Etat chargé des Français de l'étranger, M. Edouard Courtial, multiplie les visites sur le terrain, ce qui est une très bonne chose, mais son décret d'attribution n'est toujours pas paru. Peut-être en connaissez-vous déjà la teneur ? Pouvez-vous nous confirmer que le budget de fonctionnement et les dépenses de personnel du secrétariat d'Etat relèvent du programme 105, mais l'emploi du secrétaire d'Etat du programme 151 ?

M. Robert del Picchia. - Les écoles françaises à l'étranger sont victimes de leur succès : pour faire face à la demande, elles doivent acheter des terrains, construire des bâtiments et augmenter leurs dépenses de fonctionnement, mais l'Etat n'assume qu'une partie des frais supplémentaires, le reste incombant aux familles par le biais des frais de scolarité. A Alger et Pondichéry, ceux-ci ont triplé depuis 2007-2008, et ne sont plus pris en charge que dans la limite d'un tiers depuis le plafonnement ; les parents paient donc deux fois plus qu'avant la création de la PEC. Ni un coefficient correcteur, ni des bourses qui ne touchent que 17 % des familles ne résoudront le problème. Je comprends bien qu'il soit impossible de revenir à une prise en charge totale, mais ne pourrait-on prendre comme période de référence l'année scolaire 2009-2010, comme le demande l'Assemblée des Français de l'étranger ? Cela coûterait 3 millions d'euros, mais le plafonnement de la PEC en a fait économiser 9. Les parents y seraient sensibles, car ce sont eux qui font les frais de l'extension du réseau.

M. Alain Juppé, ministre d'Etat. - Les pôles consulaires régionaux sont chargés de l'administration des Français installés à l'étranger, de l'état-civil et des visas. Il en existe cinq, et il n'est pas prévu d'en créer d'autres pour le moment.

Je vous confirme que les crédits de fonctionnement et de personnel du secrétariat d'Etat chargé des Français de l'étranger relèvent du programme 105 et l'emploi du secrétaire d'Etat du programme 151. Le décret d'attribution de M. Courtial reprendra pour l'essentiel celui de M. Douillet. Comme son prédécesseur, il a su se faire apprécier par nos compatriotes expatriés, en témoignant du fait que l'administration centrale est prête à les écouter. (M. Robert del Picchia le confirme)

Les familles paient plus pour l'AEFE, mais l'Etat beaucoup plus : 120 millions au lieu de 50 ! J'ai eu du mal à défendre la PEC devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale ; je n'en pensais pas grand bien lorsque j'ai rédigé le Livre blanc, mais j'applique la loi... Il nous sera difficile d'en faire beaucoup plus : conformément aux recommandations de Mmes Colot et Joissains, nous avons décidé de maintenir le dispositif existant pour le lycée, de ne pas l'étendre au collège et de stabiliser les dépenses au niveau de 2006-2007. Cependant, certains établissements ayant profité de l'apport financier de l'Etat pour réaliser des travaux importants, nous essaierons de corriger au cas par cas les disparités les plus flagrantes.

M. Jean Besson. - Je n'insiste pas sur le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » : M. Beaumont et moi-même devons auditionner dans les prochains jours vos collaborateurs ainsi que M. Xavier Darcos. Je constate que le niveau des autorisations d'engagement et des crédits de paiement est stable.

Pour revenir sur l'étendue de notre réseau diplomatique, pourquoi ne pas mutualiser nos moyens avec l'Allemagne ou d'autres pays de l'Union européenne dans de petits pays de 4 ou 5 millions d'habitants ?

M. René Beaumont. - Le Gouvernement a fait de l'enseignement du français à l'étranger une de ses priorités, et ce budget s'en ressent. Le coup de rabot de 13 millions d'euros, réparti équitablement sur les crédits de l'Institut français et de l'AEFE, ne devrait pas peser excessivement sur leur budget, compte tenu de leurs réserves. L'enseignement du français à l'étranger a un coût, mais il rapporte aussi de l'argent, par le biais de l'AEFE ou des Alliances françaises. Savez-vous combien ?

M. Alain Juppé, ministre d'Etat. - Dans son principe, l'idée de faire cohabiter dans les mêmes locaux des services français et allemands est excellente. Depuis l'accord-cadre de mars 2008, une quinzaine de sites culturels communs ont été ouverts ; à Rio de Janeiro le consulat allemand est accueilli à la Maison de France ; à Dacca on projette de réunir tous les services français et allemands, et d'autres projets semblables existent pour Koweït et Séoul. Mais le rapprochement n'est pas toujours facile, et se limite souvent à la juxtaposition de services aux traditions et aux pratiques différentes. Un rapport de M. le président Carrère et de M. Gouteyron a d'ailleurs montré que les économies réalisées étaient moindres qu'attendu. Nous fermons aussi des postes, comme cette année les consulats d'Anvers et de Liège, mais nous nous exposons à chaque fois à un feu nourri de critiques...

M. Beaumont a raison de dire que nous disposons d'un exceptionnel réseau d'établissements linguistiques à l'étranger, l'un des plus vastes au monde. Son attractivité montre que la pédagogie française n'est pas si mauvaise qu'on le dit... L'enseignement du français coûte 1 milliard d'euros, mais les établissements en gestion directe ou conventionnés qui relèvent du programme 185 s'autofinancent à 55 %. Des partenariats très fructueux se développent, comme à Los Angeles ou à Bilbao où l'on peut s'appuyer sur des ressources locales. Les Alliances françaises participent aussi à la diffusion de notre langue, et en 2010 elles ont tiré des cours de français qu'elles dispensent 170 millions d'euros bruts. Les conseillers culturels des centres ont d'ailleurs bien compris l'intérêt d'ouvrir des cours de langue pour financer leurs autres actions culturelles.

M. Didier Boulaud. - Qu'envisagez-vous de faire au Sahel ? Je veux plaider pour les Touaregs, ballottés depuis tant d'années entre Niger, Algérie et Mali, cornaqués par Kadhafi, si j'ose dire, et dont certains subissent l'influence pernicieuse des terroristes.

M. Yves Pozzo di Borgo. - L'ouverture le 1er janvier dernier du Service européen pour l'action extérieure (SEAE), dont le secrétaire général exécutif est notre compatriote M. Pierre Vimont, ne doit-elle pas nous conduire à redéfinir le format du ministère français des affaires étrangères ? Des agents ont été transférés, mais aussi des compétences. Il faudra à ce sujet un débat en séance.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - En ouvrant, il y a quelques jours, les états généraux de la promotion du français dans le monde, vous avez souligné la nécessité d'étendre ainsi notre influence. L'Audiovisuel extérieur de la France est aujourd'hui sous la tutelle du ministère de la culture. Je comprends qu'il ait pu y avoir une sorte de conflit d'intérêts lorsque la directrice générale déléguée de l'audiovisuel extérieur était l'épouse du ministre des affaires étrangères, mais n'est-il pas temps que cet organisme revienne dans le giron du Quai d'Orsay ?

France 24 émet en français et en arabe, et il faut s'en féliciter. Mais ne pourrait-on faire l'économie des programmes en anglais ?

M. Alain Juppé, ministre d'Etat. - J'ai déjà répondu sur le Sahel. Quant à notre politique vis-à-vis des Touaregs, je vous avoue n'avoir pas les éléments précis à disposition mais je vous ferai parvenir une réponse circonstanciée.

Dix-sept agents du ministère des affaires étrangères ont été transférés au SEAE, ainsi que quatre agents du ministère de la défense, deux du ministère de l'économie et des finances, un du ministère de l'éducation nationale et un autre du ministère de l'écologie : le transfert est donc limité. Il est très important en revanche que des diplomates français soient présents au plus haut niveau. La création d'un service extérieur européen n'implique pas que la France renonce à son appareil diplomatique, car nous avons notre propre vision des choses.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Mais ce nouveau service n'a-t-il aucune incidence sur le format du ministère français ? Dire que rien ne changera est pour le moins surprenant.

M. Alain Juppé, ministre d'Etat. - Le SEAE n'est en place que depuis dix mois : il est trop tôt pour juger des conséquences pour la politique étrangère de l'Europe et de la France. Encore une fois, nous veillons à ce que des diplomates français occupent des postes de responsabilité, y compris dans les délégations européennes, et nous obtenons de bons résultats malgré la rude concurrence des Britanniques, dont la foi européenne semble pourtant chancelante, mais qui excellent à placer leurs diplomates... Pour l'heure, l'impact sur notre diplomatie est plus politique que budgétaire. Je ne suis pas aussi sévère que beaucoup avec la Haute représentante, Mme Ashton, qui s'est beaucoup impliquée au Proche-Orient, et qui a toujours respecté au sein du Quartet la feuille de route délivrée par le Conseil européen ou le conseil des ministres, malgré certaines pressions... On lui reproche parfois son manque de réactivité, mais c'est qu'elle doit recueillir l'accord des Vingt-sept avant de prendre position. Aujourd'hui elle ne peut même pas s'exprimer au nom de l'Union, car les Britanniques réclament qu'elle le fasse toujours aussi au nom des vingt-sept Etats membres... La diplomatie européenne reste balbutiante !

S'agissant de l'Audiovisuel extérieur de la France, Madame Garriaud-Maylam, vous seriez surprise que je ne souhaite pas son retour sous la tutelle de mon ministère. L'inspection générale des finances doit bientôt rendre un rapport sur son fonctionnement : ce sera l'occasion de prendre des décisions structurelles.

Vous m'avez aussi interrogé sur France 24. Faut-il financer une chaîne en arabe et en anglais par de l'argent public ? Je suis partagé. Tout dépend de la capacité de France 24 à exprimer dans ces langues une vision spécifique du monde et de la politique étrangère - sans pour autant se faire « la voix de la France », car les rédactions sont libres. En arabe, il est peu douteux que la chaîne exprime une vision différente de celle d'Al-Jazira ; l'audience des programmes en arabe est d'ailleurs en hausse. Mon directeur de cabinet me fait savoir qu'en Inde, France 24 fait aussi entendre une autre tonalité que la BBC ou Deutsche Welle. (M. Robert del Picchia renchérit) Quant à la chaîne TV5, elle est souvent critiquée, mais elle est diffusée partout dans le monde.

M. Jean-Pierre Chevènement.- Cette question n'ayant pas été abordée aujourd'hui, j'aimerais vous demander si vous aviez un éclairage à nous donner sur les déclarations de M. Moustapha Abdeljalil, président du conseil national de transition libyen relatif à l'application de la charia en Libye et en particulier sur le retour à l'autorisation de la polygamie.

Quelle est votre analyse des résultats provisoires des élections en Tunisie bien que ceux-ci ne soient pas encore officiels ? Certes, vous avez appelé à la vigilance. Mais comment peut-on concrètement concilier l'égalité entre les hommes et les femmes et l'autorisation de la polygamie ?

M. Daniel Reiner.- J'en reviens à des questions ayant trait au budget de votre ministère.

Ma première question concerne le secrétariat d'Etat aux Français de l'étranger. En quoi consiste exactement son action ? Sa création, en soi, ne constituait-elle pas, surtout, une opportunité dans une année électorale ?

Ma seconde question concerne la prise en charge des frais de scolarité. Personne ne comprend que l'Etat, dans un contexte budgétaire contraint, mette en oeuvre une mesure coûteuse, décidée hâtivement, qui profite en fait aux entreprises.

M. Alain Juppé, ministre d'État.- En réponse à la question de M. Jean-Pierre Chevènement concernant la Libye, je signale que M. Moustapha Abdeljalil a aussi indiqué que l'Islam libyen était un Islam modéré. En outre, il convient de rappeler que la référence à l'Islam figure dans les constitutions de tous les pays arabes. Mais comme je l'ai dit, nous resterons bien entendu vigilants, la polygamie étant, par exemple, incompatible avec notre conception de la dignité de la femme et de l'égalité entre les sexes.

S'agissant de la Tunisie, il fallait d'abord saluer la bonne nouvelle que constitue la tenue de ces élections, les premières depuis longtemps dans des conditions démocratiques avec une participation de plus de 80 %. Dans ces conditions, je me demande au nom de quoi nous serions fondés à nous substituer au peuple tunisien pour décider pour quoi il doit voter ou ne pas voter. Il apparaît à ce stade que les résultats sont favorables au parti islamique -terme plus approprié que celui d'islamiste - Ennahda, qui n'obtiendrait pas la majorité absolue mais exercerait le pouvoir dans le cadre d'une coalition. Quant à la question de fond, sur laquelle j'ai encore eu, récemment, l'occasion de réfléchir et de débattre à l'Institut du monde arabe avec Gilles Kepel, spécialiste du Proche-Orient et du neuf-trois, c'est la même que celle de savoir s'il faut par exemple stigmatiser les Frères musulmans en Égypte. La réponse est qu'il existe dans ces mouvements des hommes et des femmes qui sont attachés aux principes tels que l'alternance démocratique ou le respect de la femme, à la différence d'autres tendances extrémistes ou salafistes. Notre action doit consister, avec ceux qui partagent un certain nombre de nos valeurs, à être particulièrement vigilants vis-à-vis des autres. Cette question ne se posera pas seulement en Tunisie, mais aussi en Egypte ou en Syrie. Nous devons bien entendu poursuivre nos relations avec les forces politiques démocratiques ou laïques aux sens où nous l'entendons, mais nous devons aussi prendre en compte ces réalités. D'ailleurs, M. Amr Moussa, l'un des favoris de l'élection présidentielle égyptienne me faisait remarquer que dans son pays, les Frères musulmans représentaient environ 30 % des voix. De même vous savez qu'il existe au Maroc un parti islamique qui détient plus de trente sièges à la Chambre des représentants.

En réponse à M. Daniel Reiner, il convient tout d'abord de rappeler que deux millions et demi de Français vivent à l'étranger et qu'à chaque fois qu'un ministre des affaires étrangères se déplace dans un pays il rencontre cette communauté. Il était donc utile qu'un secrétaire d'Etat chargé des Français de l'étranger soit en charge d'assurer ce lien.

M. Jean-Louis Carrère, président.- En particulier le lien avec ses amis politiques ?

M. Alain Juppé, ministre d'État.- Très souvent, après voir rencontré la communauté française, le ministre consacre aussi un peu de temps à discuter avec nos compatriotes qui sont ses amis politiques. Mais il s'agit d'une rencontre bien distincte, tout le monde l'a fait et cela ne pose pas de problème.

Pour en revenir au secrétaire d'Etat, j'ai par exemple été heureux qu'il se rende au Canada pour expliquer aux autorités canadiennes qu'il fallait permettre aux Français qui y vivent de voter.

Voix socialistes.-  Et pour orienter leur vote ?

M. Alain Juppé, ministre d'État.- J'ai dit seulement « de voter ». Vous savez, lorsque quelqu'un tente d'orienter le vote, généralement cela se passe mal. Et comme ces tentatives ne restent jamais confidentielles, c'est vraiment une mauvaise opération.

Concernant le remboursement des frais de scolarité, il est vrai que le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France avait été l'occasion d'émettre des réserves contre cette mesure qui est contestée, y compris d'ailleurs par certains de mes amis politiques. Mais la loi est intervenue pour fixer des règles : il faut les appliquer. Cela dit, une loi ça se change.

M. Jean-Louis Carrère, président.- Merci Monsieur le ministre d'Etat pour cette présentation. Nous aurons plaisir à vous revoir bientôt.

Groupes thématiques - Révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale - Désignation des membres

M. Jean-Louis Carrère, président.- Mes chers collègues, il nous revient maintenant la tâche de désigner ceux d'entre nous qui participeront aux groupes de travail créés dans le cadre de la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en se concentrant plus particulièrement sur les questions touchant aux évolutions du contexte stratégique intervenues depuis 2008. L'objectif n'est pas de nous pencher, à notre niveau, sur l'ensemble de ces évolutions mais d'en identifier les principales afin de préparer l'audition du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, M. Francis Delon, qui aura lieu au début du mois de décembre. Si nous ne procédons pas à notre propre travail avant sa venue, nous ne pourrons que nous en remettre à son analyse, ce qui serait dommage. Aussi je vous propose de nous organiser de la façon suivante : chaque groupe thématique procédera à des auditions qui donneront lieu à des communications devant la commission. Telle est la procédure qui me semble la plus adaptée au délai très court - un mois - dont nous disposons.

Quant à l'effectif de ces groupes, il devrait être volontairement limité pour en assurer à la fois la réactivité et l'unité.

Après avoir consulté les différents groupes politiques, je propose les noms de Mme Josette Durrieu, M. André Dulait, M. Yves Pozzo di Borgo et M. Robert Hue pour participer au premier groupe, traitant des conséquences du printemps arabe, M. Didier Boulaud, Mme Leila Aïchi, M. Jean-Marie Bockel et M. Jacques Gautier pour participer au deuxième groupe sur le thème OTAN, Union européenne et alliances en général, M. Daniel Reiner, M. Philippe Paul et M. Jeanny Lorgeoux pour participer au troisième groupe, relatif aux menaces transverses et M. Jean-Pierre Chevènement, Mme Nathalie Goulet et M. Raymond Couderc pour participer au quatrième groupe traitant des conséquences des crises économiques et financières.

Il en est ainsi décidé.

Mercredi 26 octobre 2011

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Audition de M. Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères d'Afghanistan

La commission auditionne M. Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères d'Afghanistan.

M. Jean-Louis Carrère, président - C'est avec un très grand plaisir que nous vous accueillons ce matin devant notre commission. Je sais que vous êtes arrivé tôt ce matin à Paris et nous apprécions l'effort que vous faites en commençant vos entretiens par le Sénat.

C'est la deuxième fois que vous êtes auditionné par notre commission, puisque nous vous avions déjà entendu le 28 juin 2005 alors que vous étiez conseiller auprès de M. Hamid Karzai et chef du Conseil national de sécurité afghan. Vous n'avez cessé de jouer un rôle central dans l'évolution de l'Afghanistan. Vos analyses nous serons donc particulièrement précieuses.

Nous sommes à la veille de deux conférences importantes. A Istanbul, sur le volet régional, et à Bonn sur la transition d'ici 2014 et les relations entre votre pays et les membres de la coalition après cette date.

Notre commission se rend régulièrement dans votre pays. Au mois de juin dernier, nous nous étions rendus à Kaboul pour évaluer le processus de transition. Notre analyse était que, si le volet sécuritaire se poursuivait de manière satisfaisante, avec la montée en puissance, en nombre et en qualité, des forces de sécurité afghane, il n'en allait pas de même des autres volets concernant la gouvernance et le développement. Or je crois que c'est l'évolution, en parallèle, de ces trois domaines qui permettra de consolider un Afghanistan indépendant qui soit un pôle de stabilité pour la région et pour le monde.

Malheureusement, le processus de réconciliation a connu un brutal et dramatique coup d'arrêt avec l'assassinat de l'ancien président Rabbani. Cela nous rapporte au rôle du Pakistan. Croyez-vous que des discussions directes avec les autorités civiles, mais surtout militaires, pakistanaises permettent une avancée dans le contrôle des talibans ?

Le volet régional est particulièrement important. La France a fait des propositions dans ce domaine dont l'examen semble devoir être reporté, puisque la conférence d'Istanbul ne va vraisemblablement pas faire avancer les choses, en raison de l'opposition pakistanaise, mais aussi des préventions iraniennes et, pour d'autres raisons, turques. Comme vous, nous sommes extrêmement préoccupés par l'évolution du Pakistan et le risque d'effondrement de son pouvoir civil.

Enfin, je vous demanderai de nous indiquer comment vous voyez la place de notre pays. Un traité d'amitié et de partenariat est en cours de discussion entre nos deux pays. Comment voyez-vous son articulation avec les traités en cours de négociation avec les Etats-Unis, le Royaume Uni, l'OTAN ou l'Union européenne ?

M. Zalmai Rassoul, ministre des affaires étrangères d'Afghanistan - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très heureux et honoré d'être devant cette auguste assemblée. Certains d'entre vous le savent, j'ai un attachement particulier à la France où j'ai vécu les années heureuses de ma jeunesse. Lorsque les circonstances me le permettent, c'est toujours un grand plaisir pour moi de retrouver, l'espace de quelques jours, la culture et l'hospitalité française.

Je vous remercie de l'opportunité qui m'est offerte de faire le point avec vous sur la situation en Afghanistan, d'échanger nos points de vue sur nos réalisations communes, mais aussi d'évoquer les défis qui restent à relever et la manière dont nous serons à même d'y répondre dans les mois à venir. Mais, avant tout, il est de mon devoir de rendre un hommage vibrant à la mémoire des soldats et officiers français qui ont donné leur vie pour la paix et la sécurité de l'Afghanistan et du monde. Leur bravoure et leur courage resteront gravés pour toujours dans le coeur et la mémoire du peuple afghan.

Durant la décennie qui a précédé la chute des talibans en 2001, l'Afghanistan a vécu une page sombre de son histoire, probablement la période la plus sombre de notre longue histoire en tant que nation, marquée par un profond isolement et l'indifférence du reste du monde. Pendant ces années, tous les segments de la société, hommes, femmes ou enfants, ont été atteints, de manière profonde dans leur vie, par les luttes destructives entre factions. Cette période a été suivie par l'horreur du régime taliban. Pendant près de sept ans, les talibans et les terroristes régionaux et internationaux qui leurs étaient affiliés, ont brûlé des écoles, massacré des innocents, banni les femmes de l'espace public, faisant d'elles des non citoyennes. Ils ont limité tous les droits sociaux, civiques et politiques et condamné le peuple afghan à la souffrance, la faim et la pauvreté. Du fait d'un financement important, accompagné de la complicité, de la direction et du soutien des extrémistes extérieurs, l'Afghanistan a été transformé en base arrière d'entraînement des terroristes internationaux, voué à l'exportation d'un extrémisme religieux violent et du terrorisme dans le monde entier.

La tragédie du 11 septembre, les événements meurtriers qui ont suivi en Europe et dans le reste du monde ont prouvé le caractère global du terrorisme.

Aux antipodes de la décennie précédente, l'Afghanistan est aujourd'hui un pays transformé à de très nombreux égards. Ceci n'est nullement une exagération, des faits solides et des réalisations remarquables en témoignent. Nos efforts ont donné des résultats tangibles dans tous les domaines, que ce soit dans le domaine institutionnel, de la gouvernance, des droits de l'homme et du développement économique et social :

- actuellement près de 8 millions d'enfants, de toutes les régions, se rendent chaque jour à l'école. Cela représente 70 % d'enfants scolarisés en plus depuis 2001 et 40 % de ces enfants sont des jeunes filles ;

- plus de 70 000 hommes et femmes assistent à des cours d'université ou d'instituts public et privé et reçoivent une éducation supérieure à travers le pays ;

- nous assistons à un développement sans précédent du secteur des télécommunications. 15 millions d'Afghans ont désormais accès au téléphone mobile. Nous disposons de plus de 5 grandes compagnies de téléphonie mobile ;

- dans le domaine de la santé, les progrès sont remarquables. Aujourd'hui, plus de 80 % des Afghans ont accès aux soins primaires contre 8 % avant 2001. La campagne de vaccination, inexistante pendant la décennie précédente, connaît un succès significatif ;

- notre pays possède désormais le plus grand nombre de kilomètres de routes goudronnées qu'il n'ait jamais compté. Ils forment un réseau routier du sud au nord et de l'est à l'ouest, de plus de 10 000 km, permettant un plus grand nombre d'échanges de marchandises, de savoir, de services et contribuent à asseoir l'autorité du gouvernement central ;

- nous assistons également à l'émergence d'un secteur privé national. Des hommes d'affaires afghans fondent et développent avec beaucoup de succès des entreprises à l'intérieur et à l'extérieur de l'Afghanistan, dans différents domaines : construction, transports terrestre et aérien, import-export, médias ;

- aujourd'hui, nous sommes le pays de la région qui possède le secteur des médias le plus dynamique. Grâce à la liberté d'expression garantie par la Constitution de 2004, nous avons assisté au développement fulgurant des médias. L'Afghanistan compte 36 chaînes télévisées, près d'une centaine de stations-radio communautaires et des centaines de journaux et magazines distribués à travers le pays.

L'Afghanistan est une jeune démocratie. En près de dix ans après la chute des talibans, nous pouvons être fiers des progrès accomplis, notamment grâce à l'instauration des instituions démocratiques prévues par notre Constitution -qui est considérée comme l'une des plus démocratiques de la région-. L'Afghanistan possède un Président et un Parlement élus par le suffrage universel et de solides fondations pour construire un avenir de paix et de stabilité.

Toutes ces réalisations auraient été impossibles sans le partenariat entre notre Gouvernement et la communauté internationale, au sein de laquelle la France a joué un rôle prépondérant. Pour nous les Afghans, la France est un pays ami auquel nous avons un attachement sentimental particulier. Notre histoire est longue et riche, le Roi Amanullah et la Reine Soraya ont visité la France en 1928, le Roi Zaher Shah en 1965 et le Président Karzai en 2008, afin de présider, avec le Président Sarkozy et le Secrétaire général des Nations unies, à la grande conférence de Paris. Nous célébrerons les 90 ans de l'établissement de nos relations diplomatiques l'année prochaine. Pendant notre longue histoire, la France a toujours été aux côtés du peuple afghan, en particulier dans les moments les plus difficiles. Nos relations culturelles ont perduré tout au long de notre histoire. Nous sommes profondément reconnaissants de l'aide apportée par la France, aide qui a permis des transformations tangibles dans la vie d'innombrables Afghans, notamment par le renforcement des capacités des troupes afghanes, de la gendarmerie, du secteur de la santé, de l'agriculture et de la justice.

Désormais, grâce à nos efforts et à l'aide de nos partenaires, l'Afghanistan n'est plus l'épicentre du terrorisme, mais nous restons victimes du terrorisme. Les terroristes continuent à infiltrer nos frontières avec la volonté de nuire à notre peuple et aux soldats des nos pays partenaires. Malgré ce défi qui reste à relever, le peuple afghan aspire à la paix, à la stabilité et la prospérité. Et nous sommes convaincus qu'afin de les consolider, nous avons besoin non seulement d'efforts militaires mais surtout de réponses politiques régionales.

Avec tous ces progrès, pourquoi n'avons-nous pas réussi dans le domaine sécuritaire ? Plusieurs facteurs y ont contribué. Dans les années 2004-2005, où nous avions un besoin essentiel pour former et entraîner les forces militaires et sécuritaires, nous avons perdu du temps. Nos amis étaient occupés à d'autres guerres. Deuxièmement, malgré nos demandes, peu d'attention a été portée au problème des sanctuaires des talibans au Pakistan, et ces derniers ont eu le temps de s'entraîner. Je reviendrai dessus lors de vos questions sur nos relations avec le Pakistan et nos relations régionales.

Nous sommes confiants qu'avec l'appui constant de la communauté internationale, y compris avec le concours actif de nos voisins, nous pourrons consolider la paix et la prospérité en Afghanistan.

Alors que nous avançons sur le chemin de la démocratie, de la paix et de la stabilité, 2011 est une année cruciale pour nous. Dans l'esprit de la Conférence de Kaboul et du Sommet de l'OTAN à Lisbonne, le processus de transition est désormais engagé. Les forces de sécurité afghane, de mieux en mieux entraînées et équipées, vont progressivement prendre le relais des forces internationales pour le contrôle de la sécurité en Afghanistan. Car la sécurité en Afghanistan est avant tout une responsabilité afghane.

La première phase de la transition a été conduite avec succès dans sept villes principales et provinces. Avec la deuxième phase qui sera bientôt annoncée, la sécurité de plus 50 % de la population sera assurée. Surobi, où vos forces sont engagées, fera probablement partie de cette zone de transition.

En plus de la solide résolution afghane, le succès de la transition dépend du maintien et de la constance du soutien de la communauté internationale, principalement dans le domaine du renforcement des capacités de nos institutions dans le domaine de la sécurité.

Comme le président Karzai l'a déclaré cette année à l'Assemblée générale des Nations unies : « Avec l'aboutissement du processus de transition, nous les Afghans et nos partenaires internationaux nous accomplirons l'objectif stratégique le plus important de notre partenariat de dix ans, l'émergence d'un Etat afghan souverain, un pays ou les Afghans pourront vivre en paix ensemble et avec le reste du monde ».

Parallèlement au processus de transfert des responsabilités dans le domaine de la sécurité, tous nos efforts sont tournés vers la consolidation du volet économique. Ce sera une tâche difficile qui demandera du temps et un engagement durable de nos partenaires internationaux pendant et après le processus de transition.

Nous sommes déterminés à optimiser le potentiel de nos ressources naturelles afin de renforcer notre économie. De plus, nous avons accordé la priorité aux investissements étrangers et construit les infrastructures adéquates. Ces efforts vont nous permettre de jouer un rôle clé dans le renforcement et l'approfondissement de notre intégration économique régionale, en reprenant notre rôle historique de carrefour entre l'Asie centrale, l'Asie du Sud et le Moyen-Orient.

Nous sommes heureux que l'initiative de la nouvelle route de la soie ait attiré l'attention et gagné en reconnaissance. Ensemble avec nos partenaires internationaux, nous concevons la nouvelle route de la soie comme un réseau d'échanges multiples entre les pays de l'Asie centrale, de l'Asie du Sud et le Moyen-Orient et le reste du monde. Un réel partenariat de coopération économique créera des débouchés et des bénéfices qui permettront de renforcer la paix et la stabilité régionale.

Nous avons un agenda politique important et chargé. Nous attendons avec impatience les conférences d'Istanbul et de Bonn, qui auront lieu respectivement en novembre et décembre.

A Istanbul, avec les autres pays du coeur de l'Asie et avec nos partenaires, nous définirons la nouvelle vision régionale pour la paix et le développement. Nous parviendrons à cela en sollicitant un engagement solide et en instaurant des mesures de confiance, au niveau régional, dans le domaine politique, économique, éducatif et culturel. L'Afghanistan est au coeur de ce processus car un Afghanistan en paix, stable et prospère, n'est pas seulement une obligation, mais un impératif pour la paix, la sécurité et la prospérité de la région.

A Bonn, nous ferons le point avec la communauté internationale sur nos réalisations pendant la précédente décennie par le biais de la transition, la réconciliation et la coopération régionale. Nous partagerons également notre vison des dix ans à venir, pour la transition, la consolidation de notre stabilité, notre démocratie et notre développement économique. Et par-dessus tout, à Bonn, nous lancerons un appel à la communauté internationale afin que l'aide et la coopération soient maintenues après 2014.

Pour conclure, j'aimerais saisir, encore une fois, cette opportunité pour remercier le Gouvernement et le peuple français de son appui pour la sécurité et la prospérité du peuple afghan. Je souhaite réaffirmer notre volonté d'achever la transition qui aboutira à la prise de responsabilité totale du Gouvernement afghan dans le domaine de la sécurité. Nous comptons sur l'engament de nos partenaires tels que la France pour créer un élan irréversible pour la consolidation de la paix, de la stabilité et de la prospérité en Afghanistan.

Mme Nathalie Goulet - Je fais partie des gens qui militent pour une autre politique vis-à-vis de l'Iran. La politique de sanctions et d'embargo menée par les Etats Unis conduit à une impasse. Quel est votre avis sur la situation dans ce pays ?

M. Zalmai Rassoul - Dès l'origine, c'est-à-dire dès 2001, nous avons voulu établir des relations très proches avec l'Iran. Nous ne pouvons accepter d'avoir avec ce voisin des relations du même type que celles que nous avons avec le Pakistan. De plus, il existe des liens très profonds entre nos deux pays. Les problèmes que les Etats-Unis peuvent avoir avec l'Iran ne doivent pas affecter notre relation. Je peux témoigner, en tant que responsable du Conseil national de sécurité pendant plus de 7 ans, que nos alliés n'ont pas fait pression sur nous dans nos relations avec l'Iran. Mais la présence continue de troupes de la coalition sur le sol afghan a nécessairement des conséquences. D'une manière générale, nous sommes très sensibles aux changements régionaux et même, au-delà, de notre voisinage direct. A titre d'exemple, la situation en Syrie crée des tensions entre la Turquie et l'Iran, ce qui a des conséquences directes sur la conférence d'Istanbul et donc sur les relations de l'Afghanistan avec son environnement. La crise entre la Géorgie et la Russie a affecté le transit par ce pays des fournitures de l'Otan destinées aux troupes en Afghanistan. Vis-à-vis de l'Iran nous évitons toute ingérence, mais nous demandons une réciprocité d'attitude. Nous ne pouvons que souhaiter les effets bénéfiques d'un rapprochement de l'occident avec l'Iran. Il existe déjà suffisamment de tensions, en particulier entre l'Inde et la Pakistan.

M. Jacques Gautier- Je voulais vous interroger sur la préparation de la transition et de la période post 2014. J'ai l'impression que les discussions se passent prioritairement entre les autorités afghanes et les Etats-Unis. L'OTAN semble attendre la conclusion de cet accord pour entamer des négociations. Pour ma part, je crois qu'il serait préférable de mener les deux négociations de front.

M. Zalmai Rassoul - La transition sera terminée en 2014 et elle doit être irréversible. Pour préparer l'après 2014 nous menons des discussions avec 3 ou 4 pays de manière à déterminer le type de relations qui prévaudront après cette date. Avec les Etats-Unis, nous avons signé une déclaration sur le partenariat en 2005. Les discussions sont aujourd'hui un approfondissement de cet accord. De même, à Lisbonne, nous avons signé une préfiguration d'un accord stratégique avec l'Otan. J'espère que nous pourrons finaliser cet accord à Chicago en mai prochain. Comme vous le savez, nous négocions également avec la France un accord global qui porte sue les relations économiques, culturelles et aussi de sécurité, notamment dans le domaine de la formation et de l'équipement. Je dois m'en entretenir tout à l'heure avec M. Alain Juppé. Avec le Royaume-Uni, nous préparons ce qu'ils appellent un « enduring partnership ».

Toutes ces discussions ne sont pas séparées les unes des autres. L'objectif final c'est un Afghanistan souverain après 2014, qui doit entretenir des relations de long terme avec tous ses amis. Ces relations sont fondées sur dix années de combats menés en commun, payées du prix du sang, au bénéfice de la paix et de la sécurité. De plus, l'exploitation des richesses naturelles de mon pays, qui lui permettront une autonomie économique, se fera grâce à des investissements de nos alliés. La préservation de la paix et de la sécurité suppose le maintien d'une aide continue, notamment pour la formation de nos forces de sécurité. De plus, la conclusion de partenariats de long terme enverra un message très clair aux talibans : que l'Afghanistan ne sera pas laissé seul comme il l'a été après le départ des Russes. Les talibans pensent en effet que, compte tenu de la fatigue des occidentaux, leur départ entraînera leur retour au pouvoir. Le partenariat empêchera ce scénario dont ils rêvent.

M. Jacques Berthou - Quel est l'état réel des forces des talibans dans l'ensemble du pays ?

Mme Josette Durrieu - Quelles sont les erreurs et les mauvais calculs qui ont été faits en Afghanistan ? Vers quelle réorganisation du système politique intérieur vous orientez-vous sachant que les talibans bénéficient sans doute de complicités ?

M. Zalmai Rassoul - Militairement parlant, les talibans sont vaincus. La nature même des opérations militaires qui se déroulent est très différente des affrontements des années 2005-2008. Cette défaite a entraîné un changement de tactique. Les talibans des réseaux comme, par exemple, le réseau Haqqani, sont devenus des groupes terroristes très bien organisés, très professionnels et bien équipés. Toutes leurs attaques sont programmées et organisées hors d'Afghanistan. Sans une collaboration sincère du Pakistan la résolution de ce problème sera plus difficile, prendra plus de temps et coûtera plus de vies. Notre objectif est de vaincre le terrorisme et l'extrémisme islamiste, mais le plus grand danger vient plutôt du Pakistan, pays doté de la puissance nucléaire où les terroristes islamistes ont leur sanctuaire et non de l'Afghanistan. Il faut appréhender le problème dans son contexte régional. Pour que la transition réussisse, il faut convaincre le Pakistan, qui commence lui-même à souffrir du terrorisme, que la promotion de l'extrémisme à des fins politiques n'est pas la bonne solution. La crise ne pourra être résolue que quand un gouvernement civil sera en charge de la politique. Or c'est l'armée pakistanaise qui dirige la politique.

Les erreurs qui ont été faites sont connues. En particulier, les Etats-Unis ont beaucoup tardé à se décider à former et à entraîner les forces afghanes de sécurité, armée et police. De plus, jusqu'à il y a un an, le Pakistan était considéré par eux comme leur meilleur allié contre le terrorisme, ce que l'Afghanistan n'a jamais compris. Le Pakistan est le problème. Il faut le convaincre du danger de leur politique pour leur propre sécurité et pour leur existence même.

Les Afghans ont également fait des erreurs, mais il faut se rappeler que, pendant 30 ans, il n'y a pas eu d'institutions dans mon pays ravagé par la guerre. Pendant 30 ans deux générations n'ont pas été éduquées. En 2001, il n'y avait rien. Or, pour bâtir un état de droit, il faut des institutions. Nous avons fait d'énormes progrès, mais cela ne signifie pas que nos institutions fonctionnent comme les institutions françaises.

M. Robert del Picchia - Nos troupes ont commencé leur retrait. Un premier contingent de 200 hommes a quitté l'Afghanistan. D'ici la fin 2012, nous aurons retiré 1 000 hommes sur nos 4 000 soldats. La transition sera irréversible, il n'y aura plus de soldats français en 2014. Comment voyez-vous l'avenir de bases énormes comme celle de Kandahar ? Doit-on l'envisager dans une vision régionale de sécurité ?

Mme Michelle Demessine - Des entretiens que nous avons eus au Parlement afghan, en juin dernier, je retire la grande inquiétude de nos collègues devant le risque d'un retrait trop brutal des troupes de la coalition. Pour les militaires, le premier sujet de préoccupation est que le Pakistan soit un sanctuaire pour les états-majors des talibans. Quel est l'état des discussions entre votre pays et les autorités pakistanaises ?

M. Zalmai Rassoul - Quoi qu'on fasse, la transition aura lieu et les forces alliés partiront. Si l'Afghanistan n'est pas capable de se défendre après dix ans, c'est que nous aurons tous été vaincus par les talibans et par le Pakistan. Aucun pays ne peut accepter le stationnement durable de forces étrangères. Dans notre histoire, c'est la première fois qu'un tel stationnement a été accepté, et même souhaité, mais la transition, et son aboutissement, est une nécessité tant pour l'Afghanistan que pour la coalition. Il faut la rendre irréversible. Pour cela, l'Afghanistan est prêt à prendre en charge sa propre sécurité, mais il faut convaincre nos voisins de ne pas envoyer une cinquième colonne - ils n'interviendront en effet pas directement - pour déstabiliser et contrôler le pays. C'est la raison pour laquelle le stationnement d'un nombre limité de troupes est un enjeu stratégique. Cela aura un effet de dissuasion. Cela signifiera que l'Afghanistan n'est pas seul et qu'il a des amis. Bien sûr, il faudra continuer à équiper et à former nos forces ainsi que poursuivre l'aide au développement qui peut prendre la forme de ce que j'appelle les « dividendes de la transition ».  Nous défendons l'idée que, pour un montant x consacré précédemment à un soldat, les pays engagés continuent, après leur départ, à verser une fraction de ce montant pour le développement du pays.

Le plus grand progrès, ce n'est pas ce qui a été accompli en matière d'éducation, de santé, d'infrastructures, c'est l'avènement de la démocratie qui va déterminer l'avenir du pays. Nous avons un Parlement qui discute les lois et qui contrôle le Gouvernement. Le processus démocratique a pris racine en Afghanistan. Les débats au Parlement et dans la presse ont remplacé les armes. Le vote a pris la place des fusils.

M. Alain Néri - Quelle est votre politique de lutte contre la drogue et d'éradication de la culture du pavot ?

M. Christian Cambon - La France consacre déjà 20 millions d'euros à la coopération. La période qui s'annonce est celle de la coopération. Comment envisagez-vous celle-ci avec la France, avec l'Europe pour accélérer la marche vers le développement ?

M. Zalmai Rassoul - La culture du pavot est le résultat des années de guerre. Dans les zones où la sécurité est assurée, on observe la baisse de la culture du pavot. Il y a donc une forte corrélation avec la sécurité, tout comme nous avons observé également une forte corrélation entre le niveau d'éducation dans les régions considérées et la culture du pavot. Plus le niveau d'éducation est haut, moins il y a de cultures. Par contre, il n'existe aucune corrélation avec le niveau de pauvreté.

En revanche, il faut également une coopération régionale, car les chefs maffieux qui contrôlent le trafic sont installés hors de l'Afghanistan.

S'agissant de la coopération avec la France, je souhaite le développement des relations culturelles, du centre culturel de Kaboul, d'une chaire de français à l'université et, peut être, pouvons nous espérer celui des Alliances françaises. Beaucoup de jeunes Afghans souhaitent apprendre le français même si c'est l'anglais qui est demandé pour des emplois. Il faut également que la relation de coopération que nous avons en matière de sécurité soit maintenue et renforcée, en particulier dans le domaine de la formation et de l'équipement. Par ailleurs, le futur de l'Afghanistan dépend de la mise en valeur de ses ressources naturelles, en particulier agricoles, domaine qui emploie 80 % des Afghans. Une coopération doit se développer dans ce domaine qui possède un grand potentiel car nos ressources hydrauliques restent sous-exploitées. La composante économique de notre coopération est importante.

M. Didier Boulaud - Pouvez-vous nous dire où en sont les discussions avec le Pakistan sur la frontière que constitue la ligne Durand ? Jusqu'où peuvent-elles aller ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam - Les progrès que nous constatons à Kaboul en matière d'éducation et de démocratie n'ont-ils pas plus de mal à se concrétiser dans les provinces ?

M. Zalmai Rassoul - Tout n'est certes pas parfait, mais nous sommes sur la bonne voie et proches d'aboutir à quelque chose de très important. Après tout n'avons-nous pas fait une large partie du printemps arabe ? Et cela sans printemps ! La démocratie est là, elle progresse, même si tout n'est pas parfait. Il nous faut du temps. Par exemple, pour ce qui concerne les libertés des femmes afghanes, pour que leurs droits soient effectifs, il faut qu'elles sachent qu'elles ont des droits. Cela ne peut passer que par l'éducation. Je vous rappelle que, sur les 7 millions d'écoliers, 40 % sont des filles. Tout cela progresse, le processus est en marche et il est de plus en plus accepté. J'en veux pour preuve qu'à présent les « barbes blanches » demandent désormais des dispensaires pour leurs femmes et des écoles pour leurs filles, alors que cette question ne se serait pas posée il y quelques années de cela. Il faut replacer cette évolution dans une perspective historique et se rappeler des trente années de guerre que nous avons connues.

Pour ce qui est de l'attitude du Pakistan, il y a deux possibilités. Soit leur politique s'explique par leur crainte de voir un Afghanistan fort, libre et démocratique - et dans ce cas de figure nous sommes prêts à discuter de tout avec eux -, soit leur intention est de nous contrôler par l'intermédiaire des talibans, et cela nous ne l'accepterons jamais. S'agissant de la ligne Durand, elle n'a jamais été mentionnée.

M. Jean-Louis Carrère, président - Monsieur le ministre, nous vous remercions beaucoup pour votre intervention devant notre commission. Les questions qui vous ont été posées vous montrent le très grand intérêt et l'amitié que nous portons à votre pays.

Loi de finances pour 2012 - Mission Défense - Programme Soutien - Audition de M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration au ministère de la Défense

La commission auditionne M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration au ministère de la Défense (programme « Soutien » de la mission Défense).

M. Jean-Louis Carrère, président - Monsieur le Secrétaire général, nous sommes heureux de vous accueillir au Sénat dans vos nouvelles fonctions de Secrétaire général de l'administration. Sachez que les parlementaires de notre commission ont pu apprécier votre disponibilité et votre compétence en tant que directeur-adjoint du cabinet du ministre de la Défense. Nous vous entendons aujourd'hui sur les crédits du programme « soutien » de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2012.

Je rappelle simplement quelques données de base : la moitié de ces dotations concerne la politique immobilière, et depuis plusieurs années, notre commission - en particulier notre collègue Didier Boulaud - s'est principalement inquiétée de la difficulté de cession des emprises parisiennes, qui conditionnent l'équilibre financier de la gestion du patrimoine immobilier de la Défense. Pour le profane, ces difficultés peuvent sembler paradoxales car il faut bien reconnaître que dans un environnement économique particulièrement difficile, s'il reste un secteur plus proche de la « bulle » que de la crise, c'est bien celui de l'immobilier parisien.

J'ajoute aussitôt que la logique de cessions immobilières se présente très différemment à Paris et dans le reste de la France : il revient naturellement au Sénat de souligner que nos collectivités territoriales, qui sont touchées par la diminution de l'activité économique et par la suppression des bases militaires, comptent parfois beaucoup sur des cessions de terrain à l'euro symbolique et sur des mesures d'accompagnement efficaces pour développer des projets de reconversion. Vous nous direz la politique qui est menée en la matière. Je laisserai à nos rapporteurs le soin de vous interroger de manière précise sur les évolutions de votre budget et sur sa trajectoire par rapport à la loi de programmation militaire.

M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration au ministère de la Défense - Je vous remercie de vos très aimables paroles de bienvenue. Je rappelle, à titre liminaire, que le secrétaire général pour l'administration (SGA) est responsable de trois programmes budgétaires. Le premier, au sein de la mission « défense », porte le numéro 212 et s'intitule « soutien de la politique de défense ». Les deux autres se rattachent à la mission « anciens combattants » : il s'agit des programmes 167 relatif aux liens entre la Nation et son armée et 169 « reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant »

Mon intervention portera aujourd'hui exclusivement sur le programme 212 qui dispose dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2012 de 3,4 milliards d'euros d'autorisations d'engagement (AE) - en régression de 982 millions d'euros par rapport à 2011, car la dotation de 2011 comprenait les AE relatives au lancement de l'opération Balard - et de 3,3 milliards d'euros de crédits de paiement (CP) en augmentation de 123 millions d'euros par rapport à 2011.

Ce programme comprend neuf actions qui traduisent assez fidèlement les missions du secrétaire général pour l'administration au profit des états-majors, directions et services du ministère : la première « direction et pilotage » comprend les crédits destinés au soutien des cabinets et organismes centraux ; l'action 2 « fonction de contrôle » regroupe les crédits destinés au soutien du contrôle général des armées ; les crédits de l'action 3 « gestion centrale et d'organismes extérieurs » sont destinés au soutien de l'administration centrale d'une part, et au soutien des centres ministériels de gestion créés pour la gestion du personnel civil du ministère, d'autre part ; l'action 4 relative à la politique immobilière du ministère représente 47 % des crédits du programme ; l'action 5 consacrée au système d'information d'administration et de gestion concerne depuis 2010 non seulement les crédits relatifs à ces systèmes mais aussi ceux relatifs aux principaux systèmes d'information logistique ; l'action 6 est relative à l'accompagnement de la politique des ressources humaines ; l'action 7 a pour objet la promotion et la valorisation du patrimoine culturel ; l'action 9 est consacrée à la communication du ministère  et, enfin, l'action 10 concerne les restructurations.

En ce qui concerne les bases juridiques des fonctions du secrétaire général pour l'administration, je rappelle que le décret du 15 juillet 2009 relatif aux attributions du ministre de la défense, du chef d'état-major des armées et des chefs d'état-major de l'armée de terre, de la marine et de l'armée de l'air indique que « le ministre est assisté par le Secrétaire général pour l'administration dans tous les domaines de l'administration générale du ministère, notamment en matière budgétaire, financière, juridique, patrimoniale, immobilière, sociale et de ressources humaines ». Un second décret du même jour, relatif aux attributions du délégué général pour l'armement et du secrétaire général pour l'administration du ministère de la défense, précise que le SGA agit sur la base des besoins exprimés par le chef d'état major des armées, le délégué général pour l'armement ainsi que par les responsables des autres directions et services du ministère.

Pour mémoire, cette fonction a été crée en 1962 par le Général de Gaulle qui, d'après les témoignages écrits, la résumait par la formule « le secrétaire général administre ».

En pratique, le SGA a, en premier lieu, une fonction de pilotage et de coordination des politiques transverses exercées par des directions fonctionnelles en charge des secteurs financier, immobilier, juridique, du patrimoine culturel et éducatif ainsi que des ressources-humaines. Ces politiques sont également mises en oeuvre par des missions dédiées aux achats, aux partenariats publics-privés et aux systèmes d'information : dans le cadre de la réforme du ministère de la Défense, ces missions ont été créées pour rassembler les compétences utiles pour traiter efficacement de ces différents sujets. Le SGA exerce aussi dans ce cadre une fonction de conseil au sein du ministère et un rôle d'interface avec les autres ministères dans des domaines comme le budget, les ressources humaines, la comptabilité ou le contentieux.

En second lieu, le SGA offre des prestations de service en matière d'infrastructure, d'action sociale, de gestion du personnel civil et de soutien de l'administration centrale grâce à des directions et des services spécialisés, comme par exemple le service parisien de soutien à l'administration centrale (SPAC) créé en avril 2009 par fusion du service des moyens généraux relevant du SGA et de l'établissement central de soutien de la direction générale de l'armement (DGA).

Le SGA est enfin, par tradition, responsable de la modernisation de l'administration du ministère. A ce titre, il préside le comité pour la modernisation du ministère, qui pilote la réforme et réunit mensuellement ses principaux acteurs pour examiner l'avancement des projets. Enfin, le SGA est chargé de rendre compte au niveau interministériel de l'avancée des réformes du ministère.

Dans ce contexte de mutation, l'action du SGA répond à deux priorités qui s'expriment dans l'allocation des crédits budgétaires.

Le premier enjeu majeur, qui est d'accompagner les restructurations territoriales, comporte trois volets qui rejoignent les questions que le Président de la commission a bien voulu poser.

Tout d'abord, le volet de politique immobilière est géré par la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) en lien avec le service d'infrastructure de la défense. Un des grands chantiers est celui des cessions immobilières prévues par la loi de programmation militaire. En 2011, le ministère envisage des encaissements qui avoisineront vraisemblablement 120 millions d'euros. Les prévisions pour 2012 avaient été fixées à 163 millions d'euros au moment où ont été élaborés les documents budgétaires mais elles pourraient, en définitive, avoisiner 181 millions d'euros en raison du décalage de la vente de la caserne de Reuilly en début d'année 2012 - les discussions sont en cours avec la Ville de Paris- et de la caserne Sully à Saint-Cloud. Ces ressources sont essentielles pour financer les opérations d'infrastructures liées à la mise en place du nouveau plan de stationnement des armées : ces opérations se sont élevées à 523 millions d'euros en AE et à 326,8 millions d'euros de CP en 2011. Il est prévu, pour 2012, des autorisations d'engagement à hauteur de 361 millions d'euros et des paiements pour 395 millions d'euros. Ces sommes inscrites à l'action 10 consacrée aux restructurations s'ajoutent à l'enveloppe des dépenses d'infrastructure prévues au sein de l'action 4 soit 1,2 milliards d'euros en AE et 831 millions d'euros en CP.

Ensuite, le volet d'accompagnement économique destiné à aider les territoires concernés à se reconvertir bénéficie, pour la période de programmation 2009-2015, d'une enveloppe de 320 millions d'euros dont 20 millions d'euros pour l'Outre-mer, financée aux deux tiers par le Fonds de restructuration de la défense (FRED) et pour un tiers par le Fonds national d'aménagement des territoires (FNADT). 225 millions d'euros seraient apportés dans le cadre des contrats de redynamisation de sites de défense (CRSD) et 75 millions d'euros dans le cadre des plans locaux de redynamisation (PLR). La dotation prévue en 2012 s'élève à 62 millions d'euros en AE et 40,4 millions d'euros en CP. La délégation aux restructurations de défense est directement impliquée dans la négociation de ces contrats en liaison directe avec les Préfets concernés réunis périodiquement au niveau central. Je signale, à ce sujet, que le ministre en charge de la Défense a rappelé l'objectif qui consiste à parvenir à signer l'ensemble des contrats avant la fin de l'année 2011 : il sera, pour l'essentiel, atteint puisque seuls quatre ou cinq seront vraisemblablement signés au début de l'année 2012.

On constate que d'année en année, le Fonds de restructuration de la défense avait pu avoir tendance à ne pas consommer l'intégralité des crédits qui sont prévus, ce qui s'explique par l'allongement des procédures qui nécessitent à la fois des interventions de l'Etat et des collectivités territoriales. Toutefois, je constate une accélération des restructurations ces dernières semaines dont on peut se féliciter qu'elles aident la création d'emplois dans le secteur industriel, par exemple à Cambrai. Mon objectif est d'intervenir de façon encore plus active pour accompagner cette diversification économique de nos territoires.

L'accompagnement social est extrêmement important pour le ministère qui est très attentif à la dimension humaine des restructurations et s'attache à ce que l'intégralité des agents soit aidée à trouver une solution positive : tel a été le cas en 2009 et 2010. Pour 2011, 30 % des cas restent encore à régler, ce qui s'explique par la raréfaction des possibilités de reclassement du personnel dans des structures de défense susceptibles de les accueillir. 115 millions d'euros seront prévus pour 2012 en faveur de cet accompagnement social des restructurations : 109 millions d'euros seront affectés au fond d'accompagnement des restructurations stricto-sensu pour 6000 agents et près de 6 millions d'euros financent des dispositifs d'aide au départ en Polynésie (50 agents), au Sénégal (100 agents) et à Djibouti (121 agents).

La seconde priorité du SGA, qui trouve sa traduction dans le budget pour 2012, est de rationnaliser sa propre organisation. Pour cela, il convient tout d'abord d'asseoir les services du SGA dans leurs compétences en poursuivant le mouvement engagé depuis trois ans. Ainsi, la direction des ressources humaines sera confortée dans sa mission de pilotage ce qui se traduira, par exemple, par la création d'un centre d'expertise des ressources humaines avec un transfert entrant de 150 emplois venant du programme 178 et plus particulièrement du service du commissariat des armées. Les centres de gestion ministériels, qui sont en cours d'installation, voient également leurs effectifs augmenter afin d'élargir leur périmètre d'intervention à l'ensemble du personnel civil : ainsi 34 emplois lui sont transférés du programme 178 pour la gestion des personnels paramédicaux.

Le service d'infrastructure de la Défense (SID) achève le mouvement amorcé dès 2004 en reprenant les infrastructures industrielles de la DGA, notamment celle des centres d'essai, ce qui se traduit par un transfert de 193 emplois venant du programme 146. Il reprend également la maintenance des emprises des armées et services, ce qui se traduit par un transfert de 149 emplois ainsi qu'un transfert de 164 emplois venant de la Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) qui contribueront à rationaliser la maintenance et l'exploitation de l'énergie.

Le service parisien de soutien de l'administration centrale (SPAC) connaît lui aussi plusieurs transferts d'effectifs : il prendra en charge la gestion des frais de déplacement de la DGA pour le soutien de la base aérienne de Balard et sera appelé à prendre en charge l'intégralité de la rémunération des personnels de la DGA.

Enfin, il convient de poursuivre la clarification des missions au sein du SGA. Le principal mouvement prévu en 2012 concerne la fonction archives avec le transfert de 287 emplois du bureau central des archives administratives militaires (BCAAM) de la direction du service national inscrits précédemment au sein du programme 167 vers le service historique de la défense.

Ces évolutions se traduisent par une réorganisation du travail et des réductions d'effectifs puisque 238 emplois seront supprimés au programme 212.

Globalement, alors que les services du SGA connaîtront sur l'ensemble de la période de programmation des réductions d'effectifs à hauteur de 20 % à structure constante, ils connaîtront en 2012 une augmentation de leurs effectifs de 554 emplois, ce qui s'explique par des transferts entrants. Par exemple le service parisien de soutien de l'administration centrale SPAC disposait de 1575 emplois en 2009 et doit connaître une réduction de 400 emplois dont 100 en 2012 à structure constante tout en en recevant 130 supplémentaires liés à des transferts d'attribution. Le pilotage de ces mouvements nécessite une réflexion précise sur les processus, les procédures et les métiers pour engager une démarche énergique et ambitieuse de simplification seul à même de permettre d'atteindre l'objectif de réduction d'effectifs de plus de 54 000 emplois et de mieux cerner les 4000 à 4500 emplois qui à l'heure actuelle demeurent difficiles à identifier.

En conclusions, le SGA est donc bien engagé dans la réforme globale du ministère, y compris au sein de ses propres services.

Mme Michelle Demessine - Je me félicite des propos de l'intervenant sur les efforts accomplis en matière de restructurations : pourrait-on les compléter par un bilan détaillé des mesures prises et du contenu précis des reconversions mises en oeuvre ?

Par ailleurs, en ce qui concerne le projet Balard, je note d'abord qu'il subsiste, dans la phase de lancement, une difficulté relative aux règles d'urbanisme et je m'interroge surtout sur les risques ultérieurs de dérive. La mise en oeuvre des contrats de partenariat public privé fonctionne parfois de manière satisfaisante mais l'exemple de l'hôpital sud-francilien montre que cette procédure peut induire des surcoûts considérables et des conflits juridiques inextricables.

Plus globalement, pouvez-vous chiffrer la place de l'externalisation dans les activités concernées par le programme 212 ? Ne faudrait-il pas introduire un indicateur budgétaire spécifique dans ce domaine ?

Je voudrais également vous interroger sur les résultats précis, dans cette période de chômage massif, de la politique de reconversion et d'allocations aux personnels civils et militaires ? Quelles sont, en particulier, les mesures prises pour prévenir le risque - souligné par les syndicats que nous entendrons bientôt- de « saupoudrage » des crédits de formation.

Enfin, où en est-on du transfert du Centre Territorial d'Administration et de Comptabilité (CTAC), qui est le centre payeur de l'armée de terre à Lille ?

M. Jean-Marie Bockel - Tout d'abord, je m'associe aux interrogations du Président Jean-Louis Carrère sur les cessions immobilières et à celles de Mme Michelle Demessine sur les aléas inhérents aux contrats de partenariat dits « PPP ».

A propos du sort de l'hôtel de la Marine : du point de vue patrimonial, touristique et culturel, la solution qui se dégage des travaux de la commission présidée par Valéry Giscard d'Estaing semble très satisfaisante. Du strict point de vue financier, l'opération de bail à long terme qui avait été envisagée devait apporter 300 millions d'euros dans les caisses de l'Etat : pouvez-vous chiffrer les nouvelles prévisions de recettes ?

Ma seconde question concerne le bilan des restructurations économiques pour les collectivités territoriales confrontées à des fermetures d'implantations militaires et qui souhaitent engager des projets de reconversion. J'ai vécu en tant que maire les difficiles négociations avec les services de l'Etat qui portent, en particulier, sur l'évaluation des biens cédés. Aujourd'hui, concrètement, certains élus s'inquiètent des incertitudes relatives à l'application du dispositif permettant de céder les terrains à l'euro symbolique. Ces opérations sont bien entendu complexes à la fois pour les collectivités et pour l'Etat. Où en est-on de la mise au point de clause de retour à meilleure fortune destinées à permettre aux collectivités territoriales d'améliorer leur marge de manoeuvre pour bâtir des projets de développement économique nécessairement risqués dans la conjoncture que nous subissons, sans pour autant priver l'Etat d'éventuelles recettes futures.

J'ajouterai une question relative aux systèmes d'information du ministère en charge de la Défense. La division par deux du nombre d'applications informatiques est un des objectifs majeurs de cette action : où en est-on ?

M. Jean-Paul Bodin - En ce qui concerne les restructurations, je pourrai vous communiquer ultérieurement des indications site par site. Globalement, au 13 octobre 2011, douze contrats de redynamisation (CRSD) et dix plans locaux de redynamisation ont été signés. Je rappelle que pour la plupart des CRSD, les emprises sont cédées à l'euro symbolique aux collectivités territoriales : tel a bien été le cas à Arras ainsi qu'à Barcelonnette et les discussions se poursuivent à Châteauroux. Un des cas dans lequel les cessions n'ont pas pu être effectuées concerne Briançon, ce qui s'explique par la difficulté de reconvertir les forts.

Des difficultés particulières se manifestent surtout pour la reconversion des bases aériennes. A Toulouse, une solution très satisfaisante a cependant été trouvée avec le maintien des activités aéronautiques. Il n'en va pas de même à Cambrai : nous avons cependant mis en place un projet d'installation d'un service du ministère de la défense avec 200 emplois dès 2012. A Limoges, la cession à l'euro symbolique a eu lieu et une des casernes est reprise par le réseau consulaire.

Je rappelle l'importance du dialogue et de la coordination entre les élus et les services de l'Etat. On s'aperçoit également que les difficultés sont bien liées à la nature et à la localisation des emprises : à Metz, par exemple, la base aérienne constitue le seul point d'achoppement des discussions tandis que ces dernières se déroulent de façon satisfaisante pour la cession des emprises situées en centre ville.

Je souligne que les cessions à l'euro symbolique sont réalisées le plus rapidement possible pour éviter l'abandon, l'occupation illégale ou la dégradation des locaux. Pour éviter les errements constatés dans le passé, nous assurons depuis 2008 un service de gardiennage, allant au-delà de la fermeture des unités pendant une année, en ayant recours à un marché public, ce qui est d'autant plus justifié que certains bâtiments sont laissés en bon état.

M. Didier Boulaud - C'est un progrès notable !

M. Jean-Paul Bodin - J'ajoute que les contraintes de dépollution imposées à l'Etat sont extrêmement fortes et prennent parfois une telle ampleur que le ministre de la Défense a décidé d'engager une réflexion sur les modalités d'application du droit en vigueur. Je note que certains trésoriers payeurs généraux contestent la légalité de certaines opérations prévoyant la prise en charge de la dépollution par les collectivités qui reprennent les emprises.

Nous avons donc demandé au Conseil d'Etat un avis sur l'interprétation des textes en vigueur : il nous répondra vraisemblablement d'ici la fin de l'année. Il serait souhaitable, dans ce domaine, d'harmoniser les obligations de l'Etat avec celles imposée aux autres propriétaires. Il conviendrait, en particulier, de faciliter la tâche de l'Etat lorsqu'il s'agit de dépolluer des terrains bombardés à plusieurs reprises au cours de la dernière guerre.

En ce qui concerne les cessions d'emprises parisiennes, je rappelle qu'un projet de cession globale avait été envisagé au départ, par l'intermédiaire de la Caisse des dépôts et de la SOVAFIM, et qu'il n'a pas pu aboutir car le prix proposé a été jugé insuffisant. L'Etat s'est donc engagé sur la voie des cessions au cas par cas. Plusieurs immeubles parisiens ont ainsi été vendus et plusieurs autres opérations sont en discussion. La principale difficulté est celle de la vente de l'Ilot Saint-Germain : la mairie de Paris prévoit d'y implanter des activités mixtes avec des bureaux et des logements. Notre principal objectif est d'engager la procédure de cession dès 2012 pour éviter que ces locaux restent vides de tout occupant à partir de la fin de 2014.

Par ailleurs, pour faire écho à la remarque du Président Jean-Louis Carrère, effectivement, la « bulle immobilière » peut nous aider à céder certaines emprises parisiennes de taille modeste. Sur ce point, les discussions sont pilotées par les cabinets du ministère de la Défense et du ministère de l'Economie et des Finances.

S'agissant de l'Hôtel de la Marine, et pour schématiser la situation, l'Etat s'est aperçu que le projet initial suscitait des polémiques. En conséquence, les prévisions de recettes ont été rapidement ramenées de 300 à 60 millions d'euros. Il semble que certains services de l'Etat envisagent d'y implanter leurs bureaux : pour sa part, le ministère de la Défense s'efforce de préserver ses intérêts financiers, et pour l'instant nous sommes en phase d'incertitude.

Je rappelle également que les recettes des cessions d'emprises parisiennes n'ont été pas été prévues pour financer le projet Balard. Je tiens à souligner que cette dernière opération de regroupement s'accompagnera de la suppression d'environ 1400 emplois, et qu'elle permettra de réaliser de substantielles économies de fonctionnement.

Pour répondre à la question de Mme Michelle Demessine, je conviens que le reportage télévisé sur le contrat de partenariat ayant abouti à la construction de l'hôpital de Corbeil est de nature à susciter des inquiétudes, mais je précise que la méthode retenue par le ministère a été particulièrement rigoureuse et que son calendrier de mise en oeuvre est respecté au mois près. Les représentants de la Ville de Paris ont été, bien entendu, associés au projet. Mon prédécesseur a signé le contrat de partenariat et je m'implique désormais dans le pilotage de sa mise en oeuvre. Des groupes de travail ont été constitués sur les modalités de déménagement ainsi que sur le financement de l'opération et l'évaluation des économies qu'elle permettra de réaliser. Nous mettons aussi en place une équipe de suivi : un directeur du site sera chargé du fonctionnement quotidien et une équipe comprenant notamment des juristes sera en relation permanente avec le groupement pour vérifier que ce dernier remplit bien ses obligations.

Une modification du Plan local d'urbanisme est en cours pour résoudre la difficulté juridique relative à la hauteur des cheminées : nous sommes en discussion avec la mairie de Paris. En tout état de cause le chantier débute en tout début d'année 2012.

L'externalisation, je le rappelle, n'est pas une nouveauté au ministère de la Défense - l'externalisation de l'alimentation de l'Ilot Saint-Germain a, par exemple, six ans d'âge- et il me parait difficile d'affirmer que la réforme en cours l'a accélérée.

Certes, de nouveaux chantiers sont apparus, notamment dans le domaine de l'alimentation ou de la maintenance bureautique et nous en discutons avec les organisations syndicales. Aujourd'hui on constate qu'entre l'externalisation totale et le maintien des structures en place, on peut trouver des solutions en conjuguant des phases de régie optimisée avec de la sous-traitance partielle. Nous travaillons ainsi sur des projets qui reposent sur des évaluations préalables et portent sur le degré d'externalisation optimal ainsi que sur l'amélioration de l'efficacité de la régie. Notre méthode est donc pragmatique et négociée au cas par cas.

Enfin je précise à Mme Michelle Demessine que nous sommes en mesure d'apporter une réponse à l'ensemble des personnels concernés par le transfert du Centre Territorial d'Administration et de Comptabilité (CTAC) de Lille.

M. Didier Boulaud - Connaissant bien ce programme 212, pour l'avoir rapporté pendant plusieurs années, je suis bien placé pour témoigner de la difficulté de la mission de du SGA. Je souhaite formuler plusieurs remarques.

S'agissant du projet Balard, je rappelle que nous avons, avec la commission des finances, mis en garde le Gouvernement à l'égard d'une opération qui nous a semblé aventureuse, et je crains qu'on s'aperçoive, le moment venu, que nous avons eu raison un peu trop tôt. Nous verrons quelles conclusions tirera la Cour des comptes de cette opération, alors même que ses services seront peut-être implantés dans de nouveaux locaux à l'intérieur du très bel hôtel de la Marine. Pour ma part, je crains les surprises et je crois utile de citer l'exemple de la vente en 2003 puis du rachat en 2007 des locaux de l'Imprimerie nationale pour y installer le ministère des Affaires étrangères qui me vient spontanément à l'esprit.

Par ailleurs, je salue les propos de l'intervenant sur les progrès de l'accompagnement des restructurations. En tant que maire, j'ai pu constater combien l'abandon d'emprises militaires pouvait s'avérer catastrophique, avec des locaux en bon état initial mais fortement dégradés après leur abandon par les forces armées, pendant une période où rien de concret n'a pu être entrepris en raison de l'effet dilatoire des discussions conduites entre les services fiscaux de l'Etat et du département pour estimer la valeur des bâtiments et des terrains. Au final, le coût des rénovations s'est traduit par un inacceptable gâchis de ressources publiques.

En matière de dépollution, je mentionnerai également l'exemple, dans mon département, de pertes de temps imputables à la réalisation de longues études historiques effectuées pour tenter de confirmer l'évidence des bombardements ayant eu lieu en 1944. Au plan juridique, tant mieux si l'Etat parvient à assouplir les règles de dépollution. Encore faut-il veiller à ce que ces mêmes règles ne fassent pas l'objet, par la suite, d'une nouvelle interprétation par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de nature à compliquer la tâche et à alourdir la charge des collectivités territoriales ayant acquis ces emprises.

Il y a maintenant quinze ans que les collectivités territoriales font face à la désertification militaire et s'engagent dans des reprises immobilières. J'estime, dans ces conditions, qu'il conviendrait de tenir compte de l'effort consenti par ces collectivités au cours de la première phase de restructuration pour leur accorder plus généreusement le bénéfice des dispositions de cession à l'euro symbolique.

En ce qui concerne l'opération manquée de cession globale des emprises parisiennes à la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM), je me demande si, en fin de compte, l'Etat ne regrettera pas la proposition initiale qui lui avait été faite, et ne devra pas se contenter de vermisseaux.

Mme Leila Aïchi - Je souhaiterais avoir des éléments d'information sur les cessions qui, au Sénégal, font l'objet d'une polémique à l'occasion de l'élection présidentielle.

M. Jacques Gautier - Je m'inquiète de la situation de la base militaire implantée au Gabon dont la partie aérienne semble mal positionnée : où en est-on ?

M. Jean-Paul Bodin - Je vous transmettrai des éléments précis sur tous ces sujets. De mémoire, le casernement du bataillon de l'armée de terre est en cours de cession. Nous faisons la même chose à Djibouti et en Polynésie. Au Sénégal, les négociations sont, en effet, assez difficiles : la France s'est efforcée de préserver ses intérêts et, en particulier, des installations adaptées aux besoins de nos forces armées.

M. Jean-Louis Carrère, président - Je conclurai en précisant, à propos de la problématique des externalisations, que nous ne découvrons pas le phénomène ni ne le contestons de manière systématique. Nous souhaitons, en revanche, vérifier et mesurer sa pertinence, car nous avons acquis la certitude qu'un certain nombre d'externalisations ne produisent pas les résultats escomptés. Il nous parait donc souhaitable que le ministère en charge de la Défense puisse nous en présenter une évaluation précise et un bilan à la fois social et financier.

Mercredi 26 octobre 2011

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Loi de finances pour 2012 - Mission Défense - Audition du Général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne le Général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre, sur la mission Défense.

M. Jean-Louis Carrère, président - Je suis très heureux de vous accueillir, pour la première fois, devant cette commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et vous souhaite, au nom de l'ensemble de mes collègues, une cordiale bienvenue. Vous avez été nommé il y a deux mois chef d'état-major de l'armée de terre à un moment où celle-ci est en train de tourner une page de son histoire. Conjoncturellement, l'engagement en Afghanistan, qui s'était durci les deux dernières années, va maintenant connaître une décrue et les deux cents premiers soldats sont d'ores et déjà rentrés. Néanmoins, l'armée de terre est en train de connaître deux séries de changements :

- d'une part, le resserrement de ses effectifs dans le cadre des bases de défense : cinquante et une bases en métropole, soixante en tout. Cela bouscule les habitudes de manière profonde, en particulier quant au rôle des chefs de corps, et génère vraisemblablement beaucoup de difficultés ;

- d'autre part, l'arrivée progressive d'une série de matériels de nouvelle génération, je pense en particulier aux VBCI, mais aussi aux équipements FELIN, et à l'intégration marquée des drones tactiques, qu'il s'agisse du Sperweer et de son successeur ou du DRAC. Je pense également aux BPC, et à l'utilisation des hélicoptères de l'ALAT, qui ont fait merveille en Libye et qui vont peut être nous conduire à repenser l'action de la mer vers la terre.

C'est un double défi qui nécessite pour être relevé de la détermination et du tact. Vous n'en manquez pas, puisque vous avez été directeur de cabinet du DGSE depuis septembre 2007, où il se dit que vous avez cultivé à la fois votre sens de la discrétion et votre goût pour les analyses internationales.

J'irai donc droit au but et vous poserai une question qui s'inscrit dans le cadre des travaux de révision de la partie analyse stratégique du Livre blanc : de toutes les menaces auxquelles l'Europe en général et la France en particulier pourront être confrontées à l'horizon 2020, laquelle selon vous a le plus de probabilité d'occurrence ?

Mais avant de répondre, je vais vous laisser présenter le budget opérationnel de programme (BOP) « forces terrestres » sur le programme 178 dont vous êtes responsable et la traditionnelle revue des forces placées sous votre commandement.

Je préciserai encore, avant de vous passer la parole, que la commission souhaite rendre hommage, à travers vous, au personnel blessé ou tombé au combat.

Général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre - Je vous remercie de m'offrir cette opportunité de pouvoir vous faire un point de situation sur l'armée de terre et partager mon appréciation sur le projet de loi de finances 2012.

Je rappellerai tout d'abord que 2011 aura été une année particulièrement dense. Au fort engagement opérationnel qui se traduira, en plus des effectifs engagés sur le territoire métropolitain, par la projection outre-mer de 36 000 hommes soit plus d'un tiers des effectifs de l'armée de terre, s'est ajoutée la création des bases de défense qui ont profondément bouleversé les habitudes de travail et souvent perturbé le fonctionnement courant des unités, notamment le régiment qui est le pion de base de l'armée de terre depuis des siècles. Malgré ces difficultés dont certaines tendent aujourd'hui à s'aplanir, et la poursuite des restructurations, l'armée de terre a néanmoins rempli avec efficacité toutes les missions opérationnelles qui lui ont été assignées, sur le territoire national comme en opérations extérieures.

Pour l'armée de terre, 2012 devrait revêtir deux aspects.

Du point de vue organique, elle se présente comme la dernière étape importante de la « Transformation » avec un effort en matière de réorganisation du soutien. Du point de vue opérationnel, elle pourrait être une année de transition caractérisée par le désengagement progressif de certains théâtres d'opérations.

Ces évolutions programmées auront un impact sur les ressources budgétaires, tous titres confondus, du BOP terre inscrites au PLF 2012, globalement en retrait de 789 millions d'euros par rapport à 2011 soit une réduction de 9 % justifiée principalement par des évolutions de périmètre.

Sur le périmètre du BOP, je souligne cependant la relative stabilité des crédits consacrés aux activités - 128 millions d'euros - et souligne que, cette année encore, avec 608 millions d'euros, l'essentiel des crédits hors titre deux sera consacré à l'entretien programmé des matériels, matériels dont les coûts de maintien en condition opérationnelle sont, comme vous le savez, en augmentation régulière.

J'estime pourtant que les ressources strictement indispensables à la préparation des opérations et à la conduite de la réforme ont aujourd'hui atteint un plancher qui peut menacer à court terme la préparation opérationnelle de nos forces. De même, malgré les efforts notables de cette législature pour préserver les budgets de défense, et bien que tout à fait conscient de la situation économique de notre pays, je reste préoccupé par les contraintes pesant sur le programme 146 - équipement des forces - et, comme les années précédentes par les ressources attendues du programme 212 - infrastructures.

Je vous propose d'illustrer mon propos en abordant successivement, la préparation opérationnelle, les équipements, les ressources humaines, et enfin l'infrastructure.

Les opérations conduites cette année ont montré toute la pertinence de la préparation opérationnelle menée par l'armée de terre, notamment le principe de préparation opérationnelle différenciée.

Etroitement lié à la politique d'emploi et de gestion des parcs des équipements majeurs qui lui est associée, ce principe de réalité a permis à l'armée de terre de préparer ses unités dans les meilleures conditions possibles pour les engagements planifiés, notamment des plus durs comme c'est la cas pour l'Afghanistan, en s'appuyant sur les installations de ses centres de préparation des forces, qu'il s'agisse du CENTAC de Mailly (centre d'entraînement tactique) du CENZUB de Sissone (centre d'entraînement en zone urbaine) ou des installations de Canjuers.

Parallèlement, l'armée de terre a révisé, début 2011, son cycle de préparation opérationnelle pour permettre une meilleure respiration personnelle et professionnelle essentielle pour certains domaines de spécialités sur-sollicités par les opérations en cours. Celui-ci permet aujourd'hui d'accompagner les unités dont l'engagement est programmé, tout en laissant une part à l'engagement d'urgence et à la préparation des engagements futurs.

En 2011, l'armée de terre a participé à huit opérations dont trois majeures en Afghanistan, en République de Côte d'Ivoire et en Libye sans oublier le Liban ou le Kosovo où la nervosité est de plus en plus palpable. Je souhaiterais en tirer plusieurs constats.

Ces opérations illustrent tout d'abord la réussite de la professionnalisation et confirment l'homogénéité des régiments de l'armée de terre, quinze ans après le début de ce processus. Les combats dans Abidjan ont, de fait, été conduits par des unités professionnalisées après 1996. La même observation vaut pour l'Afghanistan.

Sur ces trois théâtres, l'efficacité opérationnelle et le courage de nos unités ont été reconnus, notamment par nos alliés. Nos hommes se sont parfaitement acquittés de leur mission malgré des conditions parfois très délicates. Ainsi, les pertes qui ont affecté notre contingent en Afghanistan, cet été, ne doivent masquer l'atteinte de nos objectifs tactiques qui ont permis l'implantation durable des forces de sécurité afghanes dans notre zone et le transfert progressif de sa responsabilité.

Ces engagements qui coïncident avec l'arrivée de nouveaux équipements, les Tigre et Caracal, ont été l'occasion pour l'aviation légère de l'armée de terre de s'affirmer en tant qu'outil majeur du combat de contact, et j'insiste sur ce terme de contact qui exprime toute sa spécificité.

En Afghanistan, son action, en appui des troupes au sol est une réalité quotidienne et un réel soulagement pour les soldats au contact. Son emploi en Côte d'Ivoire a également été capital. Enfin, dans l'ombre médiatique de l'aviation, elle a joué, en Libye, avec pour une part des hélicoptères de plus de trente cinq ans, un rôle tout aussi déterminant, contribuant, en toute discrétion, à plus de 40 % des dommages infligés à l'ennemi, soit près de six cents objectifs détruits au cours d'une quarantaine de raids nocturnes menés à partir de la mer.

Au-delà de l'efficacité opérationnelle de cette composante de l'armée de terre, il est important de souligner l'efficience de ce moyen de combat moderne dont les effets sur le terrain, à coût limité, sont remarquables et font l'admiration de nos alliés.

Mais comme pour les autres armées, ces opérations ont généré des surcoûts.

En termes d'effectifs, avec actuellement 6 700 soldats en opérations extérieures et 3 500 en mission de courte durée, l'armée de terre est capable d'honorer ses contrats opérationnels, sans difficulté ni impact sur son fonctionnement et, comme elle a pu le faire pour Harmattan, de répondre aux sollicitations nouvelles d'urgence. Les volumes projetés en opérations seront amenés à se réduire en 2012, notamment en Afghanistan. Le chef d'état-major des armées vous a d'ailleurs présenté les premières lignes de notre désengagement.

Cette diminution des volumes projetés outre-mer induira paradoxalement une pression accrue sur l'entraînement et la préparation opérationnelle en métropole.

En effet, l'allègement des opérations engendre mécaniquement une diminution du nombre de jours d'activité opérationnelle (JAO) sur les théâtres. Celle-ci doit être de facto compensée par un entraînement plus soutenu et donc par une augmentation des journées de préparation opérationnelles (JPO) conduites en métropole notamment.

Or, je constate que le budget 2012 valide parallèlement une diminution du nombre de jours de préparation et d'activités opérationnelles (JPAO = JAO+JPO) avec cent onze jours en 2012 contre cent vingt en 2010, cent seize en 2011 et probablement cent cinq en 2013.

L'armée de terre s'éloigne ainsi de la cible des cent vingt JPAO qui est le niveau adéquat pour la préparation opérationnelle de ses forces et qui faisait, jusqu'à présent, consensus.

En revanche, s'agissant des aéronefs, parce qu'il y va de la sécurité des vols, l'objectif de cent quatre-vingts heures de vol par an et par pilote sera maintenu dans l'ALAT (aviation légère de l'armée de terre) comprenant des vols sur appareils de substitution et le recours aux simulateurs. En cas de contraintes budgétaires supplémentaires, il n'y aurait pas d'autre solution que la réduction du nombre de pilotes opérationnels.

Cette question de l'entraînement est pour moi un sujet particulièrement préoccupant qui a un impact direct sur l'intérêt et l'attractivité du métier, donc sur la fidélisation. J'y serai particulièrement vigilant et j'ai déjà demandé à l'état-major d'anticiper ce phénomène de retour en garnison qui semble très vraisemblable pour une partie des unités engagés à l'extérieur.

Concernant le territoire national qui est essentiel, il convient de rappeler que l'armée de terre honore quotidiennement avec neuf cents hommes, 90 % des effectifs de la mission Vigipirate mais qu'elle participe, aussi, à différentes missions dont l'opération de lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane « Harpie » ou celle qui l'a vue transporter, cet été, plus de 6 500 tonnes de fourrage. De même, elle entretient un régime d'alerte de ses unités qui doit lui permettre de répondre aux exigences du contrat 10 000 hommes fixé par le Livre blanc en renfort du dispositif de sécurité publique et de sécurité civile. Mais il faut être clair, ce contrat n'aurait, à l'échelle de notre pays qu'un impact limité en cas de catastrophe majeure : l'armée de terre mettrait alors en oeuvre tous ses moyens, hommes et matériels, dont l'efficacité sera proportionnelle au volume engagé.

Elle peut également compter sur sa composante réserve. L'armée de terre a ainsi décidé depuis le 1er juillet de cette année de mettre en place un régime d'alerte qui doit lui permettre d'engager sous quarante-huit heures un total de huit cents réservistes pour une durée de huit jours. C'est ce que nous appelons le Guépard Réserve.

J'aborderai maintenant les équipements.

Comme l'a souligné devant vous le chef d'état-major des armées, il y a quelques jours, l'exécution de la loi de programmation militaire (LPM) est globalement conforme. L'armée de terre poursuit avec un bon rythme le renouvellement de l'équipement de ses forces, avec les livraisons de systèmes d'armes FELIN - neuf régiments équipés en fin d'année sur vingt, de VBCI - cinq régiments équipés sur huit, de Petits Véhicules Protégés et de TIGRE, ainsi que le début des livraisons de NH 90 - le premier en décembre puis quatre en 2012. La démarche consistant à engager sans attendre les équipements neufs sur les théâtres d'opérations s'est poursuivie en 2011, avec la projection de missiles JAVELIN, complément du missile MILAN en attendant le missile moyenne portée (MMP), du véhicule de détection de mines SOUVIM 2, ou encore du FELIN qui sera projeté avec le premier régiment d'infanterie en décembre prochain. Cette démarche donne aujourd'hui pleinement satisfaction.

Au niveau des appuis, si j'exprime ma satisfaction de voir enfin commandés 13 lanceurs de roquettes unitaires (LRU), je note néanmoins que le respect du cadencement initial aurait sans doute permis de projeter ce système dès 2012 en Afghanistan et de disposer pour nos unités d'une capacité unique de tir à longue portée (70 km) très précis, très rapide et apte tous temps. Il s'agit là d'un facteur de supériorité opérationnelle évident.

Je relève toutefois, qu'en dépit de ce processus de renouvellement qui mérite d'être souligné pour son impact immédiat sur notre capacité opérationnelle et le moral de nos soldats, l'armée de terre est toujours restée en deçà de la barre des 20 % des crédits consacrés à ses équipements majeurs sur la période 2005-2012. Je regrette, comme l'avait fait mon prédécesseur, que l'armée de terre n'ait finalement pas pu bénéficier de « l'accent à porter sur la remise à niveau des moyens terrestres » prévu par le dernier Livre blanc. La LPM 2009-2014 en cours, sensée porter l'effort sur les forces terrestres, n'aura finalement fait qu'initier la modernisation de l'outil de combat aéroterrestre, sa portée initiale étant atténuée année après année par les mesures de variation actualisée (VAR). Dans le domaine de la recherche et du développement, je constate par ailleurs que le tissu industriel lié à la plupart des programmes de l'armée de terre comprend de nombreuses PME et TPE. Or, en raison de leur « petite » taille, celles-ci éprouvent malheureusement des difficultés à se voir confier des études amont.

C'est pourquoi, il est important de souligner que l'effort devra être impérativement poursuivi lors de la prochaine LPM, en cohérence avec la cible capacitaire de l'armée de terre à l'horizon 2025. D'autant que la contractualisation de nombreux matériels prévus en LPM 2013-2018 doit intervenir pendant la LPM en cours.

En effet, si nos livraisons sont satisfaisantes, nos prises de commandes de programmes majeurs sont faibles depuis 2010 et le resteront en 2012, à l'exception notable de la commande prévue de trente-quatre NH 90 et du lancement de la réalisation du MMP. La poursuite du rééquipement de l'armée de terre devra reprendre véritablement en 2013 avec le lancement de la réalisation du programme SCORPION qui permettra le renouvellement des blindés de vingt tonnes (VAB par le VBMR - AMX 10 RC et ERC 90 Sagaie par l'EBRC), matériels constamment sollicités depuis 1991 en opérations extérieures et dont le remplacement est très attendu dans nos forces.

Ce programme fondamental qui vise à moderniser l'ensemble des systèmes d'armes et des outils de préparation opérationnelle nécessaire à un chef militaire, est notamment marqué par un souci de cohérence, de rationalisation et de « juste suffisance technologique ».

Dans l'immédiat, pour s'adapter au plus vite aux nouvelles menaces sur les théâtres d'opérations, les différentes opérations d'adaptation réactive lancées depuis 2008 continuent à produire les améliorations attendues notamment dans les domaines de la protection, de la lutte contre les EEI, des drones et de l'équipement individuel de nos combattants. Les besoins les plus urgents ayant été couverts, l'année 2011 marquera, sauf surprise majeure sur un théâtre, la fin des efforts massifs au profit de demandes désormais ponctuelles, sous réserve bien sûr que les programmes VBMR et EBRC soient lancés sans délai.

Concernant la disponibilité technique opérationnelle de nos matériels, j'aimerais vous rappeler que le volume de nos parcs actuellement déployés en opération reste important avec plus de 1 800 véhicules dont plus de 1 000 blindés. A ceux-ci s'ajoutent les équipements en transit et ceux en rénovation chez les industriels. Avec l'équivalent des équipements de deux de nos huit brigades interarmes en opérations, il s'ensuit un fort sous équipement en métropole mais également une accélération de l'usure des parcs.

Enfin, l'armée de terre s'efforcera de préserver la part du budget consacrée aux équipements d'accompagnement et de cohérence (215 millions d'euros) et continuera de porter une attention soutenue à l'entretien programmé du personnel (137 millions d'euros). Les actions entreprises depuis cinq ans notamment dans le domaine de l'équipement individuel ont produit les effets attendus sur notre capacité opérationnelle, la protection et le moral de nos soldats.

En revanche, à l'image du changement général de génération dont bénéficient les équipements de l'armée de terre qui s'accompagne d'une forte hausse des coûts de maintenance, les munitions connaissent aussi un coût de recomplètement croissant du fait de la mise en service d'une nouvelle génération. Le phénomène est actuellement accentué par une consommation élevée en OPEX. L'armée de terre pourrait ainsi rencontrer des difficultés pour constituer et/ou renouveler ses stocks de rechanges et de munitions, notamment en cas de besoin urgent.

J'en viens à la manoeuvre des ressources humaines.

En 2012, avec un format en organisation de 105 795 postes, l'armée de terre passera sous le seuil symbolique des 100 000 militaires et des 10 000 civils. Cela correspond à une réduction de format de 16 200 postes entre 2011 et 2012 répartis

- entre 11 400 militaires et 4 800 civils ;

- entre 2 700 suppressions « sèches » au titre de la déflation et 13 400 transferts hors du BOP terre en direction de l'interarmées.

En raison, notamment, de la réforme des retraites et de la crainte du chômage, facteurs qui ont engendré de moindres départs, le schéma d'emploi des effectifs semble difficilement tenable en l'état. Seules des mesures d'accompagnement au départ pourraient soulager cette masse salariale très contrainte en permettant le départ du personnel le plus ancien.

Dans ce contexte, la première de mes préoccupations demeure la stabilisation du turn-over de notre ressource humaine qui est encore trop exigeant tant en termes de recrutement que de formation.

En 2011, nous aurons ainsi procédé à 13 250 recrutements externes dont 12 085 militaires du rang parmi lesquels 1 000 pour, entre autres, la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris et les unités de la protection civile. C'est encore trop élevé, notamment pour la population des militaires du rang.

Néanmoins, 2011 a vu poindre les premiers progrès en matière de fidélisation. L'effet retraite, en retardant les départs, y a sans doute joué un rôle notable. Les mesures prises au cours de l'année 2010-2011 commencent également à porter leurs fruits.

Ainsi la montée en puissance des douze centres de formation initiale militaire (CFIM) créés depuis l'été 2010 a permis d'obtenir des résultats encourageants dans le domaine de l'attrition (6-14 % selon les centres sur 4 mois environ), tout en garantissant l'orthodoxie de l'instruction et de l'éducation dispensées à nos jeunes soldats par des cadres mieux sélectionnés et mieux formés.

De même, le taux de renouvellement du premier contrat progresse mais reste encore un peu en dessous des objectifs (36 % au lieu des 40 % attendus).

Je compte donc m'inscrire dans la continuité de mon prédécesseur et, d'une part, rendre de la perspective professionnelle à nos militaires du rang en valorisant leurs parcours professionnels et, d'autre part, veiller à ce que l'armée de terre demeure l'escalier social qu'elle a toujours été avec 70 % des recrutements de ses sous-officiers réalisés parmi les militaires du rang dès 2012 (50 % en 2009) et 70 % des recrutements de ses officiers de carrière réalisés à partir de la ressource interne. Je compte également limiter le recrutement direct à nos seuls besoins prioritaires.

Ma seconde préoccupation dans le domaine des ressources humaines découle de la difficulté qu'il y a à concilier la déflation du personnel de carrière, qui représente 80 % des officiers et 50 % des sous-officiers, avec le recul des limites d'âges de deux ans. Sous réserve de ne pas accroître l'effort de déflation, ce problème restera gérable pour les sous-officiers mais il sera d'une extrême complexité pour les officiers supérieurs. Sans mesure d'accompagnement au départ digne de ce nom, il sera difficile de maintenir une pyramide fonctionnelle jeune adaptée aux engagements les plus durs ainsi que la motivation de cette population.

Enfin, en 2012, l'armée de terre remettra à plat le fonctionnement de ses réserves qui ne me donne pas aujourd'hui pleinement satisfaction. Expression visible du lien armées-Nation, ces dernières méritent une attention particulière et leur budget ne peut plus servir, en gestion, de variable d'ajustement. Il en va de leur fidélité et de l'attractivité de cette capacité. En 2011, avec un budget de 41 millions d'euros et des à-coups préjudiciables à un fonctionnement harmonieux, l'armée de terre a néanmoins été en mesure de proposer à ses 17 900 réservistes, 24 jours d'activité en moyenne. De plus, depuis le début de l'année, 306 d'entre eux ont participé à une mission hors de métropole et 1 731 ont été engagés au sein de la mission Vigipirate.

Je voudrais terminer en abordant maintenant la question de l'infrastructure.

Dans ce domaine, l'armée de terre aura bénéficié en 2011 d'un niveau de ressources de 452 millions d'euros pour réaliser d'une part, les opérations conduites au titre de la réorganisation et d'autre part, celles correspondant à l'investissement « classique », c'est-à-dire l'infrastructure destinée à la préparation opérationnelle des forces et aux conditions de vie et de travail du personnel. Si ces niveaux de programmation paraissent acceptables puisqu'ils dépassent les niveaux de ressources habituellement consentis à l'armée de terre, ils intègrent en réalité pour moitié des coûts liés aux restructurations. Par ailleurs, comme en 2010 où seulement 75 % des crédits dédiés aux opérations « hors restructuration » ont été engagés, il est à craindre qu'il en soit de même en 2011, le taux d'engagement de ces opérations s'élevant fin septembre à 55 %, notamment du fait des restructurations du service d'infrastructures de la Défense.

Pour 2012, en dépit d'une hiérarchisation des besoins, les niveaux de ressources accordés à l'armée de terre en 2012 ne permettront pas de rattraper les retards accumulés sur la période 2009-2011. Ils se traduisent mécaniquement par un report des opérations destinées au plan d'hébergement VIVIEN, à la préparation opérationnelle des forces et au maintien en condition de l'infrastructure, avec des conséquences évidentes sur l'entraînement, les conditions de vie et de travail ainsi que sur le moral du personnel.

En 2011, l'armée de terre aura continué de s'acquitter de toutes ses missions opérationnelles, notamment sur le territoire national, et poursuivi une réorganisation structurelle et fonctionnelle d'une ampleur exceptionnelle. Cette fin d'année s'achève néanmoins dans des conditions parfois difficiles en raison des difficultés inhérentes à la montée en puissance des Bases de Défense mais également de leurs budgets de fonctionnement taillés au plus juste. Cette situation a des conséquences sur la vie courante des régiments « embasés ».

2012 constituera, dans l'immédiat, la dernière année de restructurations et de transferts majeurs mais la réorganisation n'en sera pas terminée pour autant. Alors que l'armée de terre aura achevé ses restructurations, elle devrait encore rationnaliser plus de 5 500 postes sur la période 2013-2015. L'atteinte de cette cible devrait être particulièrement douloureuse et difficile pour une armée de terre ne disposant plus d'aucun « gras », le soutien et l'environnement des forces ayant été transférés à l'interarmées. Enfin, la réorganisation s'achèvera définitivement lorsque la déflation des postes transférés hors du BOP terre aura bien été effectuée.

Pour que les capacités d'une armée de terre aux effectifs resserrés par la réforme puissent couvrir tous les scénarios prévus, en faisant preuve de réactivité et de modularité, il apparaît plus que jamais essentiel, que les savoir-faire de combat soient entretenus au moyen d'une préparation opérationnelle exigeante et polyvalente, à la hauteur des matériels de dernière génération aujourd'hui en service et des ambitions de notre pays. Or, l'inquiétude de ne pouvoir maintenir le niveau seuil de préparation opérationnelle de l'armée de terre est réelle.

Je vous remercie du soutien que vous nous apportez et de votre attention et je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.

M. Daniel Reiner - Je vous remercie pour ce panorama réaliste et sans complaisance de la situation. Votre prédécesseur tenait le même langage et il faut effectivement se dire les choses sans détour. Il était de tradition que les rapporteurs parlementaires soient reçus par l'état-major de l'armée de terre afin d'avoir une présentation budgétaire, pourquoi n'avons-nous pas été invités cette année ?

M. Jean-Louis Carrère, président - Nous l'avons été, mais la date retenue n'était pas compatible en raison de la mise en place de la commission.

M. Daniel Reiner - Dont acte. S'agissant de l'entraînement, c'est une question à laquelle nous sommes très sensibles. On assiste à une décrue année après année. Il ne faudrait pas qu'à un moment donné on théorise la justification d'un passage en-dessous de la barre symbolique des cent journées opérationnelles. Il est impératif d'entraîner les hommes au bon niveau. Par ailleurs, je vous ai trouvé sévère avec la règle des 20 %. Il n'est pas de règle écrite stipulant que l'armée de terre doive avoir chaque année un tel pourcentage des crédits. Ce peut être plus ou moins. On peut néanmoins regretter que l'armée de Terre puisse servir de variable d'ajustement. L'armée de terre a bénéficié du renouvellement de matériels de bonne qualité, je pense aux FELIN, aux TIGRE, aux VBCI, aux canons CESAR. Par ailleurs, certains de ces équipements ont des coûts de fonctionnement très élevés, je pense en particulier aux chars LECLERC et à leur emploi.

Général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre - S'agissant des chars LECLERC, je voudrais préciser qu'ils ont joué un rôle marquant au Kosovo et plus récemment au Liban. Ils y ont marqué la volonté d'avoir une FINUL puissante capable d'empêcher les forces israéliennes de menacer les forces armées libanaises. Le Hezbollah, quant à lui, s'est efforcé d'en obtenir le départ, car la puissance de ces blindés gênait son action. De façon plus générale, ce n'est pas un hasard si tous les armements modernes dont se dotent les armées, ont une priorité marquée sur la capacité anti-char. C'est parce que les chars de combat sont nécessaires dès qu'il s'agit de conduire des opérations militaires offensives ou chaque fois que l'usage de la force est déterminant, comme au Kosovo ou en Irak. La France possède des chars modernes. C'est un capital qu'il faut aujourd'hui préserver en cas de besoin urgent car nous avons mis suffisamment de temps pour les acquérir et les financer. Cette capacité est pleine de maturité.

M. Daniel Reiner - Je voudrais qu'on parle des munitions, car au fond la vraie arme c'est la munition. Or il nous faut renouveler les stocks. Nos industriels ont besoin de commandes pour faire tourner leurs chaînes de production. Par ailleurs, certains programmes ont été décalés, je pense au programme Scorpion, ce qui est dommageable, puisqu'il s'agit d'un programme de cohérence intelligent. Vous devez défendre ce programme ! Mais il y a aussi le LRU qui arrivera trop tard pour être déployé en Afghanistan et c'est bien dommage. Il y a également les missiles JAVELIN, qu'il a fallu importer en urgence et dont l'armée de terre n'a pas tiré un seul exemplaire en Afghanistan. Et puis je voudrais vous poser une question de prospective : comment envisagez-vous le remplacement des fusils FAMAS ?

M. Jacques Gautier - Pour rebondir sur le FAMAS, on imagine mal qu'on le remplace par une arme produite en France. Ce sera soit le H&K allemand, soit le SIG suisse, sinon on pourrait peut-être envisager de produire une arme franco-britannique ? Pour ce qui est des drones tactiques, le Sperweer sera remplacé par le Watchkeeper. Qu'en pensez-vous ? Pourquoi le « drone du capitaine », le DRAC, est-il opéré par des unités spécialisées, alors qu'il devrait pouvoir être intégré dans chaque unité. Les hélicoptères sont indispensables. Avons-nous abandonné tout projet d'hélicoptère lourd ? Enfin, le 12 décembre prochain, l'armée de terre organisera au Sénat, sous le parrainage de Daniel Reiner et le mien, un colloque sur les formes futures d'engagement. Alors je vous pose directement la question : comment voyez-vous le futur ?

Général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre - Permettez-moi tout d'abord de saluer la pertinence des questions des rapporteurs du Sénat et de leur dire que j'adhère à leurs remarques. S'agissant des hélicoptères lourds, il s'agit d'un besoin. Mais ce besoin n'a jamais été satisfait, car il n'est pas une priorité dans la mesure où nous opérons en alliance et que d'autres armées en disposent. Pour ce qui est du DRAC, nous en sommes très contents. Effectivement, il faudra pouvoir l'utiliser dans toutes les unités. Pour ce qui est du Sperweer qui est en fin de vie, nous pensons effectivement au Watchkeeper qui pourrait convenir aux besoins de l'armée de terre et qui satisfait ceux de l'armée de terre britannique et de son artillerie. Le développement de ce drone a été financé par les Britanniques. Il fait, de ce fait, l'objet de beaucoup d'attention de notre part. Il nous faudra de toute manière acquérir une telle capacité, faute de quoi nous aurons une lacune en 2016. Tous les acteurs concernés disent aujourd'hui que c'est une solution intéressante.

Pour ce qui est du remplacement du FAMAS, je regrette comme vous que cette arme ne puisse être française. Les équipements de petit calibre sont des équipements de cohérence. Malheureusement ce sont les premiers à être supprimés lors des arbitrages budgétaires. Nous savons que nous garderons le calibre 5,56 et que nous achèterons sur étagère deux versions ; une version standard à canon long principalement pour les unités d'infanterie, une version à canon court pour les autres. La cible du programme, toutes armées confondues, est de 60 000 pour la version standard. Le coût sera de l'ordre de 400 millions d'euros pour les trois armées. D'ici 2013, sera lancée l'appel d'offres et le matériel retenu devra bien sûr être compatible avec le FELIN.

Plusieurs missiles JAVELIN ont déjà été tirés en Afghanistan, notamment ces derniers jours, lors d'une opération de soutien à l'armée afghane. Tous ceux qui ont été dans la vallée de la Kapisa ont pu constater l'importance des distances entre les mouvements de terrain. Or un MILAN ne tire qu'à 2000m, alors qu'un JAVELIN tire à 4000m. Il s'est donc avéré être un moyen complémentaire intéressant alors que certains postes étaient impuissants face à des tirs de mortiers. Le MMP tirera également à 4000m. Il pourra être utilisé soit en mode filoguidé, soit en mode tire et oublie.

Concernant Scorpion, force est de constater que ce programme a pâti du retard des plates formes EBCR et VBMR. Or il faut maintenant impérativement remplacer les VAB et les blindés roues-canon.

Vous m'avez interrogé sur le seuil de 20 %. Il ne s'agit effectivement pas d'une règle ; l'important étant que l'armée de terre soit correctement équipée. Je voulais souligner le fait que le seuil d'investissement de l'armée de terre est plutôt faible au regard de son volume et de sa technicité croissante. Pour ce qui est de l'entraînement, une armée professionnelle doit être entraînée en permanence. Or les soldats professionnels ont des exigences fortes en matière d'entraînement, tout comme en matière de formation opérationnelle continue.

M. Jean-Pierre Chevènement - Je vous félicite pour votre prise de commandement. La France vient de conduire des opérations extérieures en Libye et en Côte d'Ivoire, sans aucune perte. Nous en sommes tous très heureux. Ce n'est malheureusement pas vrai de l'Afghanistan et nous sommes pleins de sollicitude pour nos soldats qui ont été blessés et pour les familles de ceux qui sont tombés. Le fait est que nous sommes partout confrontés au retrait américain, que ce soit en Irak ou en Afghanistan. Quelles sont vos priorités en termes d'équipement ? Pourriez-vous nous éclairer sur votre coopération avec l'armée de terre allemande ?

M. André Dulait - Combien de chars LECLERC sont opérationnels ? Quel est le coût de leur maintien en condition opérationnelle ? Enfin s'agissant des munitions de petit calibre pourquoi n'en fabrique-t-on plus en France ?

Général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre - Depuis ma prise de fonctions le premier septembre dernier j'ai pris pleine conscience de la complexité du théâtre afghan mais aussi de la valeur de nos soldats. Soyez également assuré que nous prenons grand soin des soldats blessés et que les familles éprouvées sont particulièrement entourées.

L'histoire des Etats-Unis est marquée par des périodes interventionnistes et d'autres plus isolationnistes. Les Américains ont décidé aujourd'hui de réduire un peu leurs actions et leur effort, peut être pour des raisons de politique intérieure. C'est un fait. Parallèlement l'ONU a de plus en plus de mal à trouver des Etats capables de mettre à sa disposition des soldats motivés et expérimentés. La France devra pouvoir répondre présent en cas de besoin. Elle pourra s'appuyer sur ses soldats qui sont efficaces et désintéressés. Si nous continuons dans la voie d'un certain désengagement, est-ce que les Nations-Unies auront encore un rôle à jouer dans la résolution des crises ? Permettez-moi de m'interroger : la France n'a jamais été aussi peuplée, son armée n'a jamais été aussi petite alors que le monde n'a jamais été aussi dangereux...

Dans ce cadre et en matière d'équipement, je suis confiant dans les capacités de l'armée de terre, jusqu'à un certain niveau de cohérence. Ma priorité est justement de préserver cette cohérence capacitaire. A ce titre, le retard de Scorpion n'est pas une bonne chose. Soyez conscients que quand on retarde les programmes, quand on réduit les cibles en cours de route et qu'on garde les matériels très longtemps, au final cela coûte beaucoup plus cher à l'Etat.

La coopération franco-allemande fonctionne actuellement un peu au ralenti. Les forces allemandes traversent une période d'intenses révisions tant en termes de réflexion capacitaire que d'organisation. Elles s'efforcent de préserver l'essentiel en tenant compte des réductions budgétaires. Comme mon prédécesseur, je suis facilement en contact avec mon homologue et nous poursuivrons cette coopération dès que nécessaire. Nous pourrons nous appuyer sur la brigade franco-allemande et le corps européen qui est, d'ailleurs, actuellement dirigé par un général français, le général de Bachinchove qui se trouve en Afghanistan. Son adjoint est un général allemand.

Pour ce qui est des armes de petit calibre, la France est capable de faire de superbes armes. Mais cela ne se fera sans doute plus. C'est une question d'opportunité, d'entrepreneurs.

La question du MCO du LECLERC est réglée. Nous avons souscrit un marché satisfaisant et dorénavant nous bénéficions d'un bon soutien qui permet de garantir la capacité opérationnelle des unités de chars. Nous avons deux cent cinquante quatre chars en ligne, tous opérationnels. Cent chars de la première génération ont été stockés et ne sont plus utilisés. Nous avons mis en place un nouveau système de gestion des parcs.

M. Jean-Marie Bockel - Je souhaiterais que nous parlions un peu des réserves opérationnelles. Nous vivons un paradoxe : tous les militaires reconnaissent que si on supprimait les réserves, les armées ne pourraient pas fonctionner. Or les réserves se sont transformées, il y a eu des évolutions sociétales. Il y a beaucoup de jeunes désormais. D'un autre côté nous manquons de clarté vis-à-vis de ces gens. Nous ne pouvons pas leur dire au mois d'août : « il n'y aura plus de mission car il n'y a plus d'argent » et puis les rappeler au mois d'octobre, parce que tout compte fait, il reste un peu d'argent. N'y-a-t-il pas une gouvernance inadaptée ?

M. Robert del Picchia - S'il devait y avoir une réduction importante des crédits budgétaires de nos armées, où pourriez vous faire des économies ?

Général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre - Comme j'ai pu le dire dans mon propos introductif, je ne suis pas pleinement satisfait du fonctionnement des réserves de l'armée de terre. Nous avons des enveloppes budgétaires trop limitées mais surtout, la gestion de ce budget est inadaptée à la spécificité de la réserve. Je souhaiterais donc qu'on puisse consacrer un peu plus d'argent aux réservistes. Les armées ont vraiment besoin de ce complément opérationnel et de ce vecteur d'influence. D'autant que je constate que ceux-ci ont également souffert de l'impact des restructurations.

Pour ce qui est des économies, dites moi de quel montant vous souhaitez réduire le financement des armées et je vous dirai ce que nous devrons enlever... Cela pourra alors aller jusqu'à l'abandon de certaines capacités. Mais un jour nos diplomates ne pourront plus s'appuyer sur l'outil militaire pour porter la voix de la France. L'armée allemande pèse assez peu en tant qu'outil dans les relations internationales, en revanche l'Allemagne a d'autres moyens de se faire entendre, que nous avons, sans doute, moins... En 2011, les dépenses de défense sont tombées à 1,56 % du PIB.

M. Didier Boulaud - Combien de temps pourrez-vous maintenir en fonction les VAB ? Combien avons-nous de VAB en fonction ? Quel est le taux d'absentéisme dans les armées ? Comment va le moral des troupes ?

M. André Trillard - Comment faire exister l'armée de terre, dans des régions où elle n'a quasiment plus d'implantations, je pense à la Bretagne.

M. Jean-Louis Carrère, président - N'avez-vous pas évoqué la non-homogénéité des recrutements ?

Général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre - Nous avons environ 3 200 VAB en fonction. Certains ont été détruits en opérations, d'autres du fait d'accidents pendant des manoeuvres. Beaucoup sont porteurs d'équipements particuliers. La cible du programme de remplacement est de plus de 2 300 véhicules blindés multi-rôles (VBMR). Pour ce qui est de leur année d'obsolescence, c'est 2020. Après cette date, ce sera dangereux de les faire rouler.

S'agissant du recrutement, notre problème est que nous n'arrivons pas suffisamment à fidéliser le personnel. C'est difficile et il faut absolument que nous poursuivions nos efforts de fidélisation. En gardant les gens plus longtemps nous ferons des économies et nous pourrons être plus sélectifs dans le recrutement.

En opérations, le moral des troupes est excellent, même dans la vallée de la Kapisa. Le rapport annuel sur le moral fait, en revanche, apparaître un niveau « moyen ». Les problèmes évoqués ont principalement trait à la rémunération, aux difficultés de logement liées à la mobilité et à l'entraînement en garnison.

Pour ce qui est de la présence sur les territoires, effectivement, ce sera difficile d'assurer un lien armées-nation, si la Nation ne nous voit plus. C'est une vraie question. Il y a aujourd'hui à peine un militaire pour 600 Français.

Concernant l'homogénéité du recrutement, je faisais allusion dans mon propos à l'homogénéité des unités et des régiments en opérations dès lors qu'ils ont suivi une préparation opérationnelle adaptée à leur engagement.

Enfin, le taux d'absentéisme dans l'armée de terre est très faible. Le taux d'absentéisme médical est par exemple de 2,69 %.

Evolutions stratégiques intervenues depuis 2008 - Audition de M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères

La commission auditionne M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, sur les évolutions stratégiques intervenues depuis 2008.

M. Jean-Louis Carrère, président - C'est avec un grand plaisir que nous vous accueillons devant notre commission, Monsieur le Ministre, pour cette audition consacrée aux évolutions du contexte stratégique depuis 2008, c'est-à-dire depuis l'adoption du Livre blanc sur la sécurité et la défense.

Je ne vais pas rappeler votre brillante carrière et notamment la marque que vous avez laissé comme ministre des affaires étrangères de 1997 à 2002. Vous êtes un spécialiste incontesté des affaires internationales et c'est à ce titre que nous vous avons demandé de nous faire part de vos analyses sur les changements en cours.

Si la révision du Livre blanc doit intervenir en 2012, vraisemblablement à cheval sur les élections présidentielles et législatives, le gouvernement a demandé au SGDSN de conduire, dès à présent, une réflexion sur les évolutions du contexte stratégique. Cette réflexion a commencé dès le mois de septembre et devrait se conclure fin décembre par la remise d'un rapport qui sera examiné par le Conseil de défense et approuvé par le président de la République. Le Secrétaire général, M. Francis Delon, avec lequel je me suis entretenu hier matin, devrait venir présenter les travaux des quatre groupes de travail devant notre commission début décembre.

Afin de pouvoir exprimer nos propres analyses de manière utile, nous avons mis en place des groupes de réflexion dont le mandat est d'identifier, non pas tous les changements intervenus de manière exhaustive, mais les principales lignes de fracture ou les principaux mouvements de la « tectonique » des pouvoirs.

Je pense en particulier aux rapports que nous avons avec les pays dits « émergents », mais aussi à la place que nous devons donner au terrorisme ou à l'islamisme par exemple.

Monsieur le ministre, je vous passe la parole.

M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères - Avant toute chose, je pense utile de souligner qu'il ne faut pas confondre les échéances fixées pour la publication ou la révision des documents stratégiques, comme le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, et les dates des évènements qui marquent réellement une rupture dans le contexte stratégique.

Ainsi, je ne vois pas personnellement de « rupture » intervenue depuis la publication du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en 2008, car, à mes yeux, la véritable rupture se situe en 1991, avec la disparition de l'Union soviétique, qui a marqué la fin de la guerre froide et du monde bipolaire.

Cette rupture, qui a été perçue comme l'illusion d'une « fin de l'histoire » ou de la mise en place d'une « communauté internationale », marque en réalité l'entrée dans un monde multipolaire, où le monopole de la puissance des pays Occidentaux est de plus en plus contesté par la montée de puissances émergentes, comme la Chine, l'Inde, le Brésil et une quarantaine d'autres pays.

Après plusieurs siècles de domination des pays occidentaux, des Européens puis des américains, illustrés notamment par le traité de Versailles en 1918, par les décisions de 1945 ou encore avec la création du G7 dans les années 1970, nous sommes entrés, avec la mondialisation, dans un processus de redistribution des cartes où les pays occidentaux occupent toujours une place importante et disposent encore de nombreux atouts, mais où ils n'ont plus le monopole de la conduite des relations internationales, et où leur rôle est de plus en plus contestée par des puissances émergentes, comme la Chine, des puissances réémergentes, comme la Russie, mais aussi une quarantaine d'autres pays.

Or, les pays occidentaux ont du mal à s'adapter à cette nouvelle donne, du moins sur le plan politique. En matière économique, les choses sont un peu différentes. La création du G20 est un fait positif. En réalité, les pays occidentaux souffrent d'une absence de réflexion stratégique sur l'attitude à adopter à l'égard des puissances émergentes, qui puisse servir de cadre à une action sur le long terme. Quelle attitude devrions-nous avoir face à la Chine, à l'Inde ou au Brésil, qui veulent jouer un rôle sur la scène internationale, avec parfois un sentiment de revanche à prendre sur les pays occidentaux ? Comment agir, par exemple, avec le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ?

Pendant longtemps, les États-Unis et les pays occidentaux ont considéré les pays émergents uniquement comme des marchés. Or, aujourd'hui, on constate que ces pays sont devenus de véritables puissances émergentes, qui revendiquent de jouer un rôle sur la scène internationale.

Ce changement est très difficile à appréhender pour les responsables américains, car il remet en cause la position unique des États-Unis « super puissance » au niveau international, même si tous les actes et les discours de Barack Obama montrent que le président des États-Unis a compris que le « leadership » des Etats-Unis était devenu relatif. Les États-Unis restent toujours la première grande puissance et disposent encore de nombreux atouts, car de nombreux pays redoutent par exemple de se retrouver isolés face à la Chine, mais ils devront composer de plus en plus à l'avenir avec d'autres puissances concurrentes. Cela, le président Barack Obama semble l'avoir bien compris, mais c'est plus difficile à admettre pour l'opinion publique américaine, qui, depuis Pearl Harbour, considère que seul le « leadership » des États-Unis est de nature à garantir sa propre sécurité, et pour certains responsables américains, comme le montre l'évolution désastreuse du parti républicain, avec notamment la montée du « tea party ». Il faut donc s'attendre à des évolutions de la politique américaine, notamment dans la perspective des prochaines élections présidentielles, même si je pense personnellement que Barack Obama a encore des chances d'être réélu pour un deuxième mandat, même si cela dépend beaucoup de la personnalité du candidat républicain.

Face à l'Union soviétique, les États-Unis étaient parvenus, avec la doctrine de « containment » inventée par Truman et poursuivie par les administrations présidentielles successives, à développer une véritable stratégie tout au long de la guerre froide, qui reposait sur l'idée de « contenir » la menace, et à laisser le système soviétique s'effondrer de lui-même, qui a été une véritable réussite.

L'Europe n'a pas cette vision stratégique. Certes, nous ne sommes plus dans cette idéologie développée à la fin des années 1990, après la fin de guerre froide, qui reposait sur l'idée de la fin des rapports de force et appelait de ses voeux la dissolution des États-Nations dans une sorte de société civile internationale. Mais, pas plus que les américains, les Européens ne sont préparés au choc que représente la montée des pays émergents.

A mes yeux, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 et la politique menée par l'administration de George W. Bush, qui a fait de la « guerre contre le terrorisme » le premier problème du monde, ont occulté la vraie transformation en cours, à la fin du monopole occidental de la puissance et la montée en puissance des émergents, de la Chine, de l'Inde, du Brésil, de l'Afrique du Sud mais aussi d'une quarantaine d'autres pays émergents, comme l'Indonésie.

Cette gigantesque redistribution des cartes avait commencé bien avant les attentats terroristes du 11 septembre et s'est poursuivie et amplifiée depuis.

Entendons nous bien : répliquer en Afghanistan, abattre le régime taliban, qui avait abrité Al Qada, était justifié. Prétendre créer, de l'extérieur, un Afghanistan moderne était illusoire. Et, surtout, c'était une erreur tragique de proclamer, comme l'a fait George W. Bush, la « guerre contre le terrorisme » comme le problème n°1 du monde et de tout articuler de manière binaire autour de cette seule question. D'ailleurs, il s'agissait d'une formule étrange, car le terrorisme n'est pas une entité mais une technique. Mais, surtout il a permis de faire un cadeau inespéré aux terroristes, qui avaient été capables d'atteindre ce niveau de nuisance et que cela soit reconnu par la première puissance mondiale. Naturellement, il faut lutter implacablement contre les terroristes, mais le faire discrètement, sans leur donner de publicité. Au lieu de cela, l'administration Bush, sous l'influence des « néoconservateurs » et des nationalistes, comme Dick Cheney, s'est engagée dans la guerre en Irak, afin de répondre au traumatisme et à l'humiliation ressentis après le 11 septembre. L'Irak représentait pour cela une cible idéale. Cela reste l'honneur de la France de ne pas avoir participé à la guerre en Irak et d'en avoir dénoncé l'imposture.

La politique manichéenne de George W. Bush a détourné l'attention des occidentaux des véritables enjeux stratégiques. Le véritable enjeu est ailleurs : quelle est la stratégie des pays occidentaux pour gérer le passage de leur statut monopolistique, qu'ils détiennent depuis plusieurs siècles, à un pouvoir partagé avec les nouvelles puissances, de façon à garder un « leadership », même relatif ?

C'est dans ce contexte qu'il faut appréhender le « printemps arabe », c'est-à-dire du processus de démocratisation dans le « monde arabe » ou du moins dans les pays arabes, dont nous ne sommes qu'au début et qui sera long et aléatoire. C'est une tentative courageuse et prometteuse de sortir d'une longue régression autoritaire et stérile, beaucoup plus ancienne dans l'histoire des pays arabes puisqu'elle remonte à l'échec de la modernisation tentée au XIXe siècle et au début du XXe siècle, et dont il est dans notre intérêt qu'elle réussisse.

Le mouvement en cours est donc prometteur mais, comme je le disais souvent à Madeleine Albright, la démocratisation, ce n'est pas du café instantané. C'est nécessaire, mais c'est laborieux, avec des risques de désordre et de retour en arrière. Les pays arabes sont partis pour une longue histoire, mais tant mieux ! A nous de les accompagner en prenant garde de ne pas passer de l'excitation du printemps au découragement de l'hiver. Ils sont les premiers concernés. Nous n'avions pas mis leurs despotes au pouvoir, nous n'avons pas déclenché leurs révolutions, ni ne saurions les faire aboutir à leur place. Et aujourd'hui encore, nous ne connaissons pas bien ce qui se passe réellement dans ces pays et dans ces sociétés, au Maroc, en Algérie, en Tunisie ou en Égypte. Nous ne pouvons donc pas faire grand-chose, contrairement à ce que disent les médias.

Pour autant, les pays arabes sont loin de constituer un bloc homogène et, en raison de leurs divisions, ne peuvent pas être aujourd'hui considérés comme un pôle ou un acteur sur la scène internationale, à l'image par exemple de la Chine ou de l'Inde. D'ailleurs, j'ai été le seul à militer en faveur de la reconnaissance d'un siège pour les pays arabes dans le cadre de la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies, et, au sein du G 20, l'Arabie Saoudite joue un rôle réduit.

Face à la montée en puissance des émergents, comme la Chine et la quarantaine d'autres pays, les pays occidentaux ont-ils une vision stratégique commune, des intérêts communs à défendre, sur le plan stratégique ou économique, et une stratégie commune, qu'ils puissent mettent en oeuvre sur le long terme, et peuvent-ils rallier à leurs vues, domaine par domaine, au moins un des émergents pour éviter une coalition des émergents contre nous ? Pour le moment, rien n'est moins sûr.

Quelle attitude à adopter face à la Chine, par exemple en matière de transferts de technologies ? Faut-il privilégier des rapports de force ou bien tenter d'insérer ces pays dans le jeu, au sein des enceintes ou des traités internationaux, quitte à modifier ces règles pour faciliter leur insertion ? On constate ainsi que si la Chine est devenue membre de l'Organisation Mondiale du Commerce, elle n'en respecte pas toujours les règles du jeu mais que le régime chinois est beaucoup moins monolithique qu'il ne semble.

Les Européens ne paraissent pas capables de définir une vision stratégique, encore moins une stratégie commune. L'Union européenne n'est pas un véritable acteur stratégique sur la scène internationale, mais tend plutôt à devenir une sorte de « grande Suisse ». Et, cette stratégie commune ne fait pas l'objet d'un dialogue transatlantique et même d'une discussion entre européens et américains. Les pays européens et occidentaux se sont ainsi divisés sur l'attitude à adopter face à la Chine, concernant la répression au Tibet au moment des jeux olympiques de Pékin.

Aujourd'hui, nous aurions donc besoin d'une stratégie globale des pays occidentaux face à la montée des émergents, qui soit une stratégie globale vis-à-vis des émergents, mais qui puisse aussi se décliner selon les pays, ne serait-ce que parce que leurs intérêts ne sont pas toujours identiques, et qui puisse surtout s'inscrire dans la durée, L'absence d'un tel concept stratégique constitue un véritable handicap.

Car, les pays occidentaux disposent encore de nombreux atouts. Ainsi, les émergents ont intérêt à entrer dans le jeu global, tandis que nous pouvons provoquer des évolutions sur la nature de ces régimes, par exemple sur la question du respect des droits de l'homme. Par ailleurs, il existe de fortes rivalités entre eux, par exemple entre la Chine et l'Inde. De manière générale, ils ne semblent s'accorder que sur leur revendication d'occuper une meilleure place au sein des organisations internationales, comme le FMI ou le G 20.

Après avoir défini une vision stratégique commune entre européens et américains, il faut aussi combiner les niveaux de réponse : un cadre purement national, l'Union européenne ou bien encore l'OTAN ?

Certains, (y compris au Quai d'Orsay !), estiment que la France prend aujourd'hui trop d'initiatives et que cette attitude provoque un certain agacement chez nos partenaires, comme on l'a vu lors de l'intervention en Libye. Ils militent donc en faveur d'une certaine « auto-limitation » de la diplomatie française et appellent souvent à agir dans un cadre européen, dans le cadre d'une politique étrangère européenne non plus commune mais unique.

Or, dans le même temps, l'idée de faire de l'Union européenne un véritable acteur sur la scène internationale, qui soit capable de parler d'une seule voix, s'avère illusoire, en raison des divisions entre les États-membres et la politique étrangère commune de l'Union européenne se résume souvent au plus petit dénominateur commun.

Enfin, au sein de l'OTAN, l'Europe n'influe pas mais subit les évolutions de la politique américaine, qu'il s'agisse de la dissuasion nucléaire ou de la défense anti-missiles, puisque les États-Unis conservent toute leur influence au sein de l'Alliance atlantique.

Pour ma part, je considère qu'il faudra certainement conjuguer à l'avenir ces trois niveaux, en fonction des sujets, mais sans se tromper sur le niveau le plus pertinent selon le domaine concerné.

A l'issue de cette intervention, un débat s'est engagé au sein de la commission.

M. Jeanny Lorgeoux - Votre analyse repose sur la nécessité d'une orientation stratégique de long terme ; quelle est celle que vous recommandez aux pays occidentaux, et n'avez-vous pas axé votre description sur une conception purement défensive ?

M. Hubert Védrine - J'ai souligné les éléments permettant l'adaptation de ces pays à un monde nouveau ; cette adaptation doit être tout à la fois offensive, dissuasive et défensive, et fondée sur la conviction que la mondialisation ne doit pas conduire à déstructurer les sociétés européennes de façon brutale et injuste. La nécessité du maintien d'un niveau de vie décent pour leurs populations, ainsi que le maintien de l'équilibre mondial trouvé en 1945, doivent être rappelés. Il faudrait aussi être plus offensif contre certains modes pervers d'activités financières américaines. Le but est de faire émerger un pôle européen d'influence, appuyé sur une capacité potentielle de nuisance envers les pays émergents, et en coordination avec les autres pays occidentaux.

M. Jean-Pierre Chevènement - Parmi les éléments structurants du monde actuel figurent l'affrontement entre les États-Unis d'Amérique et l'URSS de 1945 à 1991, l'émergence du phénomène terroriste, qui a occulté aux yeux des Occidentaux la montée des pays émergents, en particulier la Chine, et la politique américaine d'ouverture aux biens, services et capitaux du monde entier dans les années Clinton, dont les États-Unis ne semblent pas avoir compris tous les effets pervers. J'en prends pour exemple l'entrée en 2001 de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), alors que, nous le savons tous, ce pays déroge largement aux contraintes découlant de cette adhésion. Nous assistons donc à l'émergence de nouveaux rapports de forces, qui débouchent sur une nouvelle bipolarité opposant les États-Unis à la Chine. Y a-t-il selon vous l'amorce d'une révision de la politique des États-Unis vis-à-vis de la Chine ?

M. Hubert Védrine - Les États-Unis sont ancrés dans l'idéologie du libre échange et ont pensé que la mondialisation leur serait uniquement profitable. Je rappelle que Henry Kissinger est parvenu à séparer la Chine de l'URSS, ce qui a constitué une réussite politique majeure, mais a été contraint d'agir, au début, dans l'ombre, car le Congrès était hostile à ce projet. Je rappelle également que, du temps de la guerre froide, les États-Unis avaient créé le COCOM (Coordinating committee for multilateral exports controls), instrument de contrôle des transferts de technologie vers l'URSS. La mondialisation aurait dû conduire les pays occidentaux à s'en inspirer pour établir un code de bonne conduite, envers les pays émergents, en matière de transfert de technologie. Parmi les échecs patents de la diplomatie américaine, qui démontrent son absence de pensée stratégique, figure son attitude envers Israël : le Congrès des États-Unis s'aligne sur la ligne actuelle du Likoud, elle-même dictée par les colons les plus extrémistes. Ceci crée pour Washington un embarras stratégique qui ne pourrait être surmonté que par une action résolue envers la droite israélienne pour la ramener à la raison, et un soutien parallèle aux Palestiniens. Seule une initiative de ce type serait de nature à apporter aux États-Unis la sécurité stratégique qui leur manque cruellement au Moyen-Orient.

La question la plus marquante qui se pose aujourd'hui est de savoir si les démocraties occidentales sont capables de dépasser leurs réflexes à court terme, en politique comme en économie, pour s'inspirer de l'exemple chinois, qui s'appuie sur une pensée à long terme très argumentée. Je prends quelques exemples des effets nocifs de cette pensée à court terme : les États-Unis n'ont pas de stratégie claire pour l'avenir de l'Irak ; il n'existe aucune réflexion sur l'après retrait. Cela ne va-t-il pas profiter à l'Iran ? En Afghanistan, le projet de construire un État moderne était hors de portée de la coalition, voire même un mensonge cynique et la Chine observe avec attention la façon dont elle se retirera de ce pays. Ces deux exemples illustrent la faible capacité stratégique occidentale et, particulièrement, américaine, alors que les États-Unis disposent, dans le même temps, d'une puissance militaire sans égale. Cependant, l'intérêt de la France n'est pas d'assister passivement au passage des Etats-Unis d'une volonté de pouvoir total à une volonté de pouvoir relatif, mais de s'associer à cette transition.

M. Christian Cambon - Le Sommet sur l'euro qui se réunit aujourd'hui constitue une étape historique pour l'Europe, qui s'est montrée en effet aveugle aux évolutions des émergents, du monde arabe, et est victime d'une immigration incontrôlée. A quel moment situez-vous ce décrochage de l'Europe envers son environnement stratégique ? L'élargissement mal préparé de 2004 y a-t-il contribué ? En bref, que faudrait-il faire pour réenchanter l'Europe ?

M. Hubert Védrine - A mon sens, il n'y a jamais eu d'enchantement. Il faut rappeler que les vrais pères fondateurs de la construction européenne sont Joseph Staline, par la terreur, et Harry Truman, par le plan Marshall, qui a forcé la France et l'Allemagne à coopérer. La construction européenne ne s'est jamais accompagnée d'enthousiasme populaire, et le traité de Rome n'a été adopté qu'à une faible majorité. Je ne nie pas que l'Europe a connu une grande époque, qui a donné naissance à des mythes dans l'élite française : c'est celle de la coopération entre Helmut Kohl et François Mitterrand, avec Jacques Delors à la tête de la Commission européenne. C'est l'action de ces deux responsables politiques qui a donné de la force aux décisions européennes, et non pas l'action de la Commission. Vu de la France, cette apogée européenne a duré du Sommet de Rambouillet en 1984 à celui de Maastricht en 1992. Il faut cependant souligner que s'il existe un noyau dur d'eurosceptiques militants, qu'on peut évaluer de 10 à 15 % de la population dans certains pays, la majorité des Européens n'est pas du tout hostile à la construction européenne. Celle-ci peut regagner de la crédibilité si elle sait montrer que son but principal est de défendre et protéger les intérêts des peuples européens dans un monde en évolution. Quant à l'évolution vers une Europe fédérale, il faut rappeler que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, dans sa décision sur le traité de Lisbonne, a récusé tout abandon de souveraineté, et que la majorité des Allemands, quoique disent certains leaders, ne veut pas d'une évolution de l'Union européenne vers un plus grand fédéralisme. Il est, bien sûr, indispensable de trouver une solution au cas grec, en définissant une gouvernance démocratique de la zone euro, qui devrait revenir à M. Van Rompuy. Quant à la politique à mener pour rétablir l'équilibre économique dans les pays européens les plus fragiles, elle doit consister en une « policy mix » qui seule leur permettra de sortir de l'impasse.

Mme Josette Durrieu - Vous avez estimé que le monde arabe et musulman ne pèse guère dans le monde actuel. Que faites-vous du poids des hommes, des civilisations, des richesses possédées et de l'espace occupé par ces peuples ?

M. Hubert Védrine - Il ne s'agit pas d'un jugement de valeur mais d'un constat, qui peut d'ailleurs évoluer. Dans la pratique, cette zone du monde, tout comme l'Afrique, ne pèse guère dans les décisions géopolitiques. Ainsi, les pays arabo-musulmans sont-ils incapables de présenter aux États-Unis une solution réaliste au problème palestinien. La Turquie mérite une attention particulière de la France, indépendamment de son entrée ou non dans l'Union européenne, car Ankara développe un « gaullisme ottoman » qui lui donne, dans la région, plus de poids que l'ensemble des pays arabes.

M. Jacques Gautier - Quels avantages la France a-t-elle, selon vous, retiré de son retour dans le commandement intégré de l'OTAN ?

M. Hubert Védrine - Aucun. Les États-Unis ont considéré qu'il s'agissait là de la correction d'une erreur historique, et que cela ne justifiait pas d'attribuer à la France une influence accrue dans le système de l'OTAN. Les arguments alors développés, comme un acquiescement américain à un renforcement de l'Europe de la défense -notion d'ailleurs sans aucune consistance puisque les pays européens n'en veulent pas-, sont fallacieux. L'Europe de la défense est un discours franco-français. La France avait la capacité d'intervenir en Libye, en coordination avec le Royaume-Uni et les États-Unis, sans s'appuyer sur les structures de l'OTAN. Quant à notre influence, je fais remarquer que la nationalité du général qui transmet les ordres américains importe peu.

M. Pierre Bernard-Reymond - La Chine n'a-t-elle pas intérêt à contribuer au maintien du niveau actuel de prospérité de l'Occident, dont dépend sa prospérité économique ? Est-elle elle-même assurée de sa cohérence sociale ? En résumé, votre vision n'est-elle pas trop dichotomique ?

M. Hubert Védrine - Je m'efforce de dénoncer des illusions, non d'établir une dichotomie. Il y a une incontestable interdépendance entre l'Occident et la Chine : celle-ci a intérêt au maintien du dollar, et contribue activement au soutien de l'économie occidentale. Mais on peut craindre que, dans les dix à vingt ans qui viennent, la population chinoise ne soit animée par un désir de revanche envers l'Occident, qui a humilié leur pays dans le passé. Je relève que les pays émergents rencontrent de nombreuses difficultés, et ne s'accordent que sur leurs revendications pour une place accrue au sein des organisations internationales. Il existe ainsi une grande rivalité entre l'Inde et la Chine. La Russie peine à se moderniser, elle surnage plus qu'elle n'émerge et le Brésil ne dispose que d'une influence régionale qui ne peut légitimer ses revendications mondiales. Je relève que, sur ce point, l'Inde a une action beaucoup plus prudente. Nous devons jouer de ces faiblesses des émergents.

M. Daniel Reiner - J'en reviens au Livre blanc qui a défini un « arc de crise » : ce concept vous semble-t-il toujours pertinent ?

M. Jacques Berthou - Ne peut-on concevoir une vision stratégique qui serait appuyée sur un socle de pays européens volontaires ?

M. Hubert Védrine - La notion d'arc de crise était une dénomination acceptable pour désigner le monde arabo-musulman. Les problèmes suscités par cette zone géographique sont indéniables, mais ne nous dispensent pas d'une définition d'une politique globale vis-à-vis des émergents. C'est pourquoi cette formule me semble toujours valable, mais insuffisante. Quant à la coopération entre pays européens volontaires, elle ne me semble pas en voie de se réaliser. Prenons en exemple le récent traité bilatéral conclu entre la France et le Royaume-Uni en matière de coopération de défense : il s'agit là d'une excellente initiative, mais qui ne constitue pas une étape vers le renforcement d'une Europe de la défense dont les Britanniques ne veulent pas. Les populations européennes ne sont pas actuellement demandeuses de stratégies globales à long terme ; il faut donc réveiller cette appétence en évoquant la nécessité de défendre les intérêts de l'Europe dans le monde tel qu'il évolue. De ce point de vue, les industriels sont en avance sur les pratiques.

M. Robert del Picchia - Dans un récent rapport de la commission portant sur l'anticipation et la prospective, il a été souligné que notre pays aurait intérêt à se doter de groupes de réflexion dans ce domaine, à l'image du forum de Munich sur la défense.

M. Hubert Védrine - Il existe actuellement peu de spécialistes français qui se consacrent à la veille géostratégique. Il conviendrait de pallier cette carence en s'appuyant sur l'inquiétude croissante des Français face aux effets pervers de la mondialisation. Les Européens ont compris que la mondialisation n'était pas un phénomène gagnant-gagnant.

M. Jean Besson - La Chine n'est pas un pays interventionniste, comme l'ont récemment souligné ses prises de position sur la Libye et le Syrie ; elle est également favorable à un monde multipolaire, mais est impliquée dans des conflits régionaux, en mer de Chine, avec l'Inde, les Philippines et le Vietnam. Quel mode d'action pensez-vous que Pékin va adopter dans ces conflits ?

M. Hubert Védrine - Il existe deux types d'appréciations sur la Chine : l'une est développée par les spécialistes de ce pays, et repose sur la conviction qu'il n'est pas expansionniste. En revanche, les spécialistes de géopolitique estiment que ses immenses besoins en matières premières vont inéluctablement l'entraîner vers une politique de puissance, comme l'illustre la forte croissance de ses moyens militaires. L'attitude de la Chine dépendra beaucoup de l'organisation du monde occidental, et de la réponse qu'il apportera à ses velléités impériales. Si la Chine trouve une volonté en face d'elle, cela donnera raison à ceux de nos dirigeants qui sont partenaires d'une négociation. Le Président Jiang Zemin a théorisé une « émergence pacifique » de la Chine visant à prévenir une éventuelle coalition des pays qui lui seraient hostiles. Je pense que l'interdépendance entre la Chine et le reste du monde contraindra Pékin à une coopération, car le système chinois recèle de nombreuses failles, mais aussi une forte capacité d'adaptation. Cela étant, cette interdépendance n'interviendra pas tout de suite. Les 15 à 20 années à venir seront déterminantes.

Nomination de rapporteurs

Puis la commission procède à la nomination de rapporteurs :

Sont désignés rapporteurs :

M. André Trillard pour le projet de loi n° 3553 (AN - 13e législature) autorisant la ratification de l'accord relatif aux pêches dans le sud de l'océan Indien ;

M. Jacques Berthou pour le projet de loi n° 3598 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Union des Comores instituant un partenariat de défense ;

M. Bertrand Auban pour le projet de loi n° 3666 (AN - 13e législature) autorisant la ratification de la convention relative à l'Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) ;

M. René Beaumont pour le projet de loi n° 3708 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine relatif à la mobilité des jeunes ;

M. René Beaumont pour le projet de loi n° 3709 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Monténégro relatif à la mobilité des jeunes ;

M. René Beaumont pour le projet de loi n° 3710 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la mobilité des jeunes ;

M. Jean-Marc Pastor pour le projet de loi n° 3711 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise relatif à la mobilité des jeunes et des professionnels.

Jeudi 27 octobre 2011

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Loi de finances pour 2012 - Mission Aide publique au développement - Audition de M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération

La commission auditionne M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération, sur le projet de loi de finances pour 2012 (mission Aide publique au développement).

M. Jean-Louis Carrère, président. - Monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous recevoir pour examiner ensemble le budget de la politique de coopération pour 2012 et, plus généralement, les enjeux de cette politique pour les mois à venir.

Quand on considère la situation des finances publiques et la priorité que nous devons accorder à la réduction de notre endettement, certains pourraient considérer qu'il faut réduire notre effort d'aide au développement pour se concentrer sur notre environnement immédiat.

Mais quand on voit la situation très instable des pays du Maghreb à la sortie du printemps arabe, quand on considère les conséquences désastreuses de la famine pour la corne de l'Afrique, quand on imagine les défis auxquels une Afrique de plus de 1,8 milliard d'habitants sera confrontée, on se dit que notre coopération est non seulement un instrument de notre présence et de notre influence, mais également une contribution importante à un environnement mondial plus sûr pour la France et les Français.

De notre point de vue, quatre séries d'enjeux pour la politique étrangère de la France y sont désormais liées. Il s'agit tout d'abord de la paix et de la stabilité internationale : comment ne pas voir qu'un Maghreb stable est la condition de notre sécurité mais aussi de notre prospérité ? Un Maghreb prospère peut être une chance dans un monde où l'Europe fait face au dynamisme de l'Asie.

Il s'agit ensuite de la légitimité de la globalisation elle-même, qui ne saurait réussir sans inclure la majeure partie de la population de la planète.

Le troisième ordre d'enjeu porte sur les causes communes de l'humanité, je pense au changement climatique ou à la perte de biodiversité.

N'oublions pas enfin, les enjeux de notre influence culturelle et politique, comme ceux de nos intérêts commerciaux, ou de stratégie économique, dans un monde dont le centre de gravité est en train de basculer vers le Pacifique. C'est dire combien les enjeux de la politique de développement que vous dirigez sont nombreux et importants.

Mais, avant d'aborder le budget, je voudrais d'abord vous poser une question sur votre champ de compétence. Je comprends que l'aide au développement est une compétence partagée entre votre ministère, celui des affaires étrangères dont vous dépendez, celui des Finances, à travers la direction du Trésor, qui exerce la cotutelle sur l'agence française de développement (AFD), mais aussi à travers la direction du budget à laquelle personne n'échappe et, naturellement, sous l'autorité du Président de la République qui a fait de l'aide au développement un des thèmes de la présidence du G 20.

Dans ce contexte, pouvez-vous nous préciser, avec le recul que vous avez désormais, quelle est votre conception du rôle du ministre de la coopération ?

M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération. - Monsieur le président, merci pour cet accueil chaleureux que j'apprécie naturellement, tout comme j'apprécie de revenir devant votre commission ce matin pour présenter le budget de la politique de coopération et de développement. Je voudrais en profiter pour saluer l'ensemble des sénateurs présents : ceux qui étaient déjà là avant le mois de septembre, ceux qui sont revenus et ceux qui viennent d'arriver. J'ai toujours entretenu avec votre commission des relations empreintes d'une grande confiance et je sais que votre souhait est de poursuivre dans cette voie. Si je suis très heureux d'être ici pour vous présenter le budget pour 2012, c'est que l'an dernier je m'étais rendu devant vous quelques jours seulement après mon arrivée au ministère. Si ma situation était, bien entendu, enviable, elle n'était cependant pas très confortable car j'étais très loin d'être un spécialiste des questions de coopération. Je ne le suis toujours pas devenu mais j'ai eu malgré tout l'opportunité de progresser un peu dans la connaissance de ce budget, du ministère, ainsi que de l'ensemble des actions qui sont engagées avec le concours d'une multiplicité d'acteurs, qu'ils soient publics, associatifs ou privés. Je commence aussi à m'y retrouver dans les innombrables sigles qui jalonnent notre politique de coopération et de développement. Il est vrai qu'il m'a fallu accomplir un petit parcours initiatique pour m'imprégner de tout cela.

Monsieur le président, vous avez rappelé que plusieurs ministères concouraient à notre politique de coopération et de développement. C'est juste, puisqu'au programme 209 du ministère des affaires étrangères, s'ajoutent le programme 110 du ministère chargé du budget mais aussi des crédits relevant du ministère de l'intérieur en application d'accords bilatéraux, notamment au titre de la politique migratoire. Je préciserai toutefois que cette multiplicité d'acteurs ne fait pas obstacle à ce qu'au final ce soit bien le ministère chargé de la coopération qui, auprès du ministère des affaires étrangères, définisse les grandes lignes de notre politique.

Alors, dans ce contexte, quel est plus précisément le rôle du ministre de la coopération ? La première de ses missions consiste à gérer tout ce qui relève directement de sa responsabilité. Cela implique, pour lui, d'être en permanence en liaison avec l'ensemble des intervenants chargés de mettre en oeuvre la politique définie par le ministre d'État en relation avec le Président de la République. La mission du ministre chargé de la coopération est aussi d'entretenir des relations avec les pays où nous intervenons, notamment afin de préparer, élaborer, évaluer ou encore renouveler les accords de coopération qui nous lient à eux. Au final, il s'agit de contribuer à la présence internationale de la France dans tous les domaines. J'ajouterai d'ailleurs que ce qui vaut au niveau national, en termes de multiplicité d'acteurs, se retrouve aussi au niveau international. J'en veux pour preuve le grand nombre d'agences dépendant de l'ONU ou de l'Union européenne. Avec ces dernières, nous nous efforçons de travailler en étroite concertation et de faire jouer autant que possible nos complémentarités. Tel est mon travail quotidien, auquel j'ajouterai un élément important que je garde en permanence à l'esprit, et qui concerne l'association du Parlement à mon action. Je suis, en effet, convaincu de la nécessité d'associer le mieux possible les parlementaires à notre politique de coopération et de développement. A ce titre, qu'il me soit permis de remercier les sénateurs qui s'intéressent à ces questions et, en particulier, vos rapporteurs, MM. Christian Cambon et André Vantomme, ce dernier venant d'être remplacé par M. Jean-Claude Peyronnet, que je tiens à saluer tout particulièrement.

M. Jean-Claude Peyronnet, rapporteur.- Moi non plus je ne suis pas encore un spécialiste.

M. Jean-Louis Carrère, président.- Mais vous le deviendrez mon cher collègue. Les choses se sont effectivement très bien passées avec Christian Cambon et André Vantomme et je suis persuadé que nous allons continuer ainsi.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération.- Monsieur le président, en réponse à votre question, permettez-moi d'indiquer qu'à mes yeux le développement n'est pas seulement utile à la paix et à la sécurité du monde, il est même indispensable. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de nos échanges, ainsi que sur l'ensemble des enjeux que vous avez identifiés.

J'en reviens au budget. Je vous rappelle que notre aide publique au développement (APD) a représenté près de 10 milliards d'euros en 2010 et 2011, ce qui nous situe au troisième rang mondial.

Ce montant, qui représente 0,5 % de notre revenu national brut, est supérieur à ce qu'il était il y a quelques années. Je rappelle qu'une telle évolution s'inscrit dans le cadre de l'engagement pris par la France et d'autres pays d'atteindre 0,7 % du revenu national brut en 2015. Il faut s'y tenir, même si c'est difficile et même si cet objectif avait été fixé avant qu'un certain nombre de crises ne viennent modifier profondément l'environnement économique mondial.

Le niveau de notre APD est marqué par un réel volontarisme et le budget qui vous est présenté en témoigne. En dépit de fortes contraintes sur nos finances publiques, les moyens du programme 209 restent inchangés en 2012, soit 2,1 milliards d'euros, conformément aux engagements du triennum 2011-2013. Ce programme 209 échappe au « coup de rabot » d'un milliard qui touche l'ensemble des ministères et il n'est pas affecté par la baisse générale de 2,5 % des dépenses des ministères décidée par le Premier ministre.

La baisse de notre contribution au FED représente 26 millions, soit un total de 797 millions contre 823 prévus. Le montant ainsi économisé est intégralement réutilisé dans le programme 209 afin de servir nos priorités. Par ailleurs, la contribution de la France dans le 10e FED a été ramenée à 19,5%.

D'une façon plus générale, nous veillons à rééquilibrer le rapport entre le volet multilatéral et le volet bilatéral de notre aide, au profit de ce dernier. A ce jour, l'aide bilatérale représente 60 % de l'APD en 2011 et ce chiffre devrait atteindre 64 ou 65 % en 2013.

En ce qui concerne nos interventions, je tiens tout d'abord à indiquer qu'à côté des actions classiques nous veillons à nous ménager assez de souplesse pour faire face aux situations nouvelles qui pourraient se faire jour. Tel a, par exemple, été le cas des printemps arabes. Le partenariat de Deauville, organisé dans le cadre du G8, mobilise 40 milliards de dollars en faveur des transitions démocratiques en Tunisie, Égypte, Maroc et en Jordanie. La France y contribue à hauteur de 1,1 milliard d'euros d'ici 2013 à travers des prêts de l'AFD. Nous avons annoncé en septembre, lors du G20 Finances que cette contribution sera portée à 2,7 milliards.

De même, nous avons accompagné les transitions démocratiques africaines dans des pays tels que la Guinée-Conakry, le Niger et la Côte d'Ivoire. Pour cette dernière, près de 3,5 milliards d'euros vont être mobilisés, répartis entre un contrat de désendettement et de développement (C2D) de 2 milliards, un milliard d'annulation de dette pour 2012 et un engagement exceptionnel de 400 millions d'euros.

En outre, une partie de notre intervention s'inscrit désormais dans la ligne du discours du Cap prononcé par le Président de la République en février 2008, qui a mis l'accent sur la nécessité d'associer de nouveaux acteurs à la croissance économique de l'Afrique. Il s'agit notamment de favoriser une « croissance endogène », en encourageant de nouveaux acteurs locaux tels que les PME. Cette nécessité est particulièrement sensible dans le secteur agricole, ne serait-ce que si l'on songe au défi que va constituer la réponse aux besoins d'un continent qui compte aujourd'hui un milliard d'habitants sur les sept milliards d'habitants de la planète et qui devrait représenter deux milliards d'habitants sur une population totale de neuf milliards à l'horizon 2050.

Enfin, je vous rappelle que le « G20 développement » se tiendra dans quelques jours à Cannes.

Concernant nos priorités pour 2012, je souhaiterais tout d'abord rappeler qu'elles confirment la priorité donnée à l'Afrique. La France demeure de loin le pays européen le plus engagé dans la solidarité et la coopération avec ce continent.

L'Afrique sub-saharienne représente environ 60 % de nos crédits budgétaires comme de notre aide globale au développement, intégrant l'ensemble de nos contributions, bilatérales, européennes et multilatérales. Plus précisément, la moitié de nos subventions est destinée aux 14 pays pauvres prioritaires qui sont tous africains et pratiquement tous francophones.

Pour autant, cette priorité n'entrave pas nos capacités d'action sur d'autres terrains politiquement sensibles. Je pense à l'Afghanistan pour lequel les crédits sont maintenus et où la question se pose de remplacer la baisse des dépenses liées à l'intervention militaire par un accroissement de l'aide au développement. Je songe aussi à la Palestine à laquelle la France a versé plus de 15 millions d'euros de crédits de « sortie de crise » en quinze ans. Si au moins cela pouvait effectivement aider à la sortie de crise...

Un accent particulier de notre politique est aussi mis sur la santé à laquelle nous consacrons 1 milliard d'euros par an. L'augmentation de notre contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida a été tenue. A la demande du Président de la République 60 millions supplémentaires s'ajoutent en 2011 aux 300 millions annuels inscrits dans le budget, financés par la ressource extrabudgétaire que constitue la taxe sur les billets d'avion ; 5 % de cette contribution au Fonds mondial, soit 18 millions d'euros, seront affectés à la mobilisation de l'expertise française en appui aux pays bénéficiaires, en lien avec les ONG.

J'ai aussi annoncé à la conférence de Londres, le 13 juin dernier une contribution de 100 millions additionnels à l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation (le Gavi) pour la période 2011-2015.

Enfin, l'engagement de Muskoka en faveur de la santé infantile et maternelle - qui inclut non seulement la santé mais aussi l'éducation ou la contraception - sera tenu puisque 100 millions d'euros sont programmés chaque année entre 2012 et 2015.

Au final, je dirais que nous nous adaptons à un contexte budgétaire contraint et à de nouveaux défis. Notre trajectoire d'APD est inscrite dans le triennum. Dans ce cadre, nous continuons de cheminer vers l'objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB) consacré à l'APD. Ce pourcentage atteignait le chiffre déjà indiqué de 0,50 % en 2010. La collecte des données 2011 n'étant pas terminée, je ne puis communiquer aujourd'hui à la représentation nationale le chiffre pour cette année. Mais cela sera fait dès que possible.

Un moment important a été la réunion du G20 consacrée au développement, souhaitée par la présidence française à la suite du G20 de Séoul. Cette réunion s'est tenue à Washington le 23 septembre en présence des ministres des finances et des ministres en charge de la coopération et du développement. Alors que l'on aurait pu craindre que les premiers ne fassent prévaloir les contraintes liées à la crise financière, ma satisfaction a été grande de constater que, bien au contraire, les ministres ont validé le cadre de travail proposé notamment par la France, et visant à avancer sur trois sujets prioritaires. Le premier de ces sujets est celui de la sécurité alimentaire et consiste à mettre en place des stocks alimentaires d'urgence pour faire face à des situations comparables à celles qui affectent la Corne de l'Afrique. Le deuxième sujet concerne les infrastructures. Comment, en effet, envisager un développement réel, par exemple en Afrique, sans disposer des infrastructures de base en matière d'électricité, d'eau ou de transport ? Il a même été prévu que le G20 puisse adopter une liste de onze infrastructures régionales à réaliser. Nous avons enfin souligné la nécessité absolue de dégager des financements nouveaux de nature à faire face aux nouveaux besoins. Le besoin porte sur des ressources financières stables et pérennes qui viendraient, non pas se substituer, mais s'ajouter aux 129 milliards de financements publics existants. Cette exigence nous est dictée ne serait-ce que par les évolutions démographiques à venir.

C'est dans ce cadre que la France et l'Allemagne ont préconisé la création d'une taxe sur les transactions financières. La Commission européenne, qui avait reçu pour mandat de préparer un rapport sur ce sujet, vient de le rendre et celui-ci est inscrit à l'ordre du jour de la réunion du prochain G20 de Cannes. Même si les discussions s'annoncent difficiles du fait de la forte opposition de certains pays, l'enjeu est néanmoins qu'elles puissent permettre d'aboutir à deux résultats. Le premier serait une décision de principe sur la création de cette taxe. La seconde serait, sans attendre que ce prélèvement ne devienne universel, que quelques pays pionniers décident de l'appliquer. Il conviendrait évidemment que le nombre de ces pays soit suffisant pour pouvoir disposer d'une assiette large et d'un taux suffisamment bas pour ne pas affecter la compétitivité des places financières concernées. Tout ceci sera discuté sur la base d'un rapport qui a été commandé par la France à M. Bill Gates.

Ces nouveaux modes de financement ne nous exonèrent pas de nos obligations budgétaires. Ils représentent, en revanche, un moyen de répondre aux défis massifs qui se posent à la communauté des bailleurs si elle entend faire face aux enjeux du développement.

Tels sont les éléments que je souhaitais vous communiquer concernant le projet de budget pour 2012 et son environnement immédiat

M. Jean-Louis Carrère, président.- Monsieur le ministre, je vous remercie pour cet exposé très précis. Vous savez combien ces précisions sont utiles à nos travaux. Le Parlement a besoin d'informations pour exercer sa mission de contrôle de l'exécutif. Et je vous sais acquis aux droits du Parlement. Mais je manquerais à mes devoirs de président de la commission si je ne m'acquittais pas de la délicate mission de décerner un « carton jaune » à vos services. L'année dernière, les cinq rapporteurs du budget de la coopération des deux assemblées avaient écrit pour se plaindre des délais de transmission du document de politique transversale et des réponses aux questionnaires budgétaires. Le gouvernement avait pris des engagements. Force est de constater qu'il ne les tient pas. Nous sommes à deux semaines de l'examen de votre budget : nous n'avons toujours pas le document de politique transversale et il manque plus de cinquante réponses. On ne vous demande pas une faveur, juste de pouvoir disposer des documents budgétaires dans des conditions de délais compatibles avec l'exercice d'un minimum de contrôle et de réflexion, et donc avec l'exercice de nos fonctions. Je n'ai pas de raison de penser que les délais de réponse sont calculés pour nous empêcher d'exercer ce contrôle. Mais c'est, en tout cas, le résultat qui risque d'être obtenu. Puis-je compter sur vous pour faire en sorte que ces documents nous soient communiqués d'ici la fin de la semaine ?

M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération.- Monsieur le président, sur le premier point vous avez raison et, au nom de la solidarité gouvernementale, je ne peux que prendre acte du carton jaune que vous décernez à mes services. Si j'évoque la solidarité gouvernementale c'est pour vous rappeler que, comme vous le savez, les documents de politique transversale relèvent de la responsabilité du ministère du budget. Je ne puis que reconnaitre avec vous que le gouvernement n'a pas respecté les délais impartis, mais il ne vous a pas échappé qu'en ce moment un certain nombre de choses étaient en cours d'ajustement en matière budgétaire. Cela dit, je puis vous indiquer que ce document devrait être disponible de façon imminente, la semaine prochaine au plus tard.

Quant à son contenu, d'après les informations orales qui m'ont été communiquées, je peux vous indiquer qu'il s'inscrira dans le prolongement de la ligne tracée dans le document de l'an dernier pour les années 2011, 2012 et 2013. Bien entendu, les résultats de 2011 pourront être un peu modifiés ne serait ce que si l'on devait, par exemple, procéder très rapidement à un décaissement de quelques centaines de millions d'euros en faveur de la Côte d'Ivoire, dans la mesure où nous avons eu à examiner en 2011 des dossiers d'annulation de dettes pour seulement 1 milliard d'euros environ, soit moins que l'année précédente. Mais l'ensemble de ces modifications n'interviendrait, de toute façon, qu'à la marge. Concernant les questions budgétaires demeurées sans réponses, je ne vous cache pas ma surprise devant le chiffre que vous avancez, surtout si on le rapporte à celui de l'Assemblée nationale où seulement deux questions sur 80 n'ont pas encore reçu de réponse à ce jour.

M. Jean-Louis Carrère, président.- Je vous propose que nos collaborateurs vérifient, de nouveau, quel est le nombre de réponses effectivement reçues et le nombre de celles qui sont peut-être encore en voie d'acheminement.

Comme il est d'usage, je souhaiterais commencer par donner la parole aux deux rapporteurs de la commission puis aux rapporteurs spéciaux de la commission des finances.

M. Jean-Claude Peyronnet, rapporteur. - Monsieur le ministre, je vous remercie pour les paroles que vous avez prononcées à l'égard de MM. Christian Cambon, André Vantomme et moi-même. J'espère, à mon tour, qu'il nous sera possible de travailler ensemble dans le meilleur climat qui soit.

Permettez-moi de revenir sur l'environnement général dans lequel s'inscrit votre budget en faisant référence à un récent article du journal le Monde, dans lequel le président Valéry Giscard d'Estaing soulignait un certain nombre de paradoxes relatifs à la crise financière actuelle ou encore à la situation de l'Europe vis-à-vis de la Chine. Sur ce dernier point, nous avons ainsi appris qu'une des conséquences du psychodrame européen de cette nuit devrait être l'appel à la contribution financière de pays émergents tels que la Chine. Mais dans le même temps, on nous a expliqué, ici en commission, que la France accordait des prêts à l'Inde ou à la Chine, de façon à pouvoir plus facilement pénétrer ces marchés. L'existence de ces flux financiers dans les deux sens, même s'ils portent sur des montants très différents, ne constitue-t-elle pas une forme de contradiction ?

Mon autre question portera sur les décisions prises par les ministres des Finances dans le cadre de la réunion de Deauville. Une enveloppe de 2,7 milliards d'euros a été annoncée par la France au profit de la Tunisie, de l'Égypte, du Maroc et de la Jordanie en transition démocratique à la suite du « printemps arabe ». Serait-il possible de connaître dans le détail l'utilisation de ces moyens en 2012 ?

J'aurai ensuite deux questions relatives à la politique européenne d'aide au développement. D'une part, comment la France envisage-t-elle les nouvelles perspectives annoncées par le commissaire européen en charge de ce secteur ? D'autre part, quelle sera la position de la France lors de la conférence, prévue pour le mois de décembre, qui sera chargée d'évaluer l'efficacité de la politique européenne ?

J'aimerais aussi savoir ce que vous pensez de l'initiative prise par votre homologue britannique, M. Andrew Mitchell, qui fait procéder à une évaluation de l'action des organisations internationales en charge du développement à l'aune de « l'intérêt politique britannique » ? Est-ce un exemple dont vous pourriez vous inspirer ?

Enfin, concernant le fonds mondial de lutte contre le sida, quelle est votre position sur les réformes structurelles annoncées suite aux problèmes de gouvernance, qui se sont traduits par une fraude dont le montant identifié à ce jour est de 40 millions d'euros, mais qui pourrait avoir en réalité atteint 200 millions d'euros ? Dans le cadre de ces réformes structurelles ne pensez-vous pas qu'il serait opportun d'élargir l'action du fonds à d'autres épidémies ?

M. Christian Cambon, rapporteur.- Monsieur le ministre, permettez-moi, tout d'abord d'exprimer deux motifs de satisfaction. Le premier porte sur la stabilité du budget pour 2012 dans un contexte financier que nous savons difficile. Le second motif de satisfaction concerne la façon dont vous-même et vos collaborateurs n'avaient cessé de réserver le meilleur accueil aux parlementaires. Je tiens à le signaler car tel n'a pas été le cas avec tous vos prédécesseurs. J'en profite pour saluer votre nouveau directeur de cabinet, M. Alain Henry, que nous avions déjà apprécié dans ses précédentes fonctions à l'AFD. Il est toutefois, Monsieur le ministre, des préoccupations qui demeurent d'année en année. Celles-ci me semblent porter à la fois sur l'efficacité, l'évaluation et le financement de notre politique de coopération. En matière d'efficacité, force est de constater que les statistiques de l'OCDE se présentent comme satisfaisantes puisqu'elles font de notre pays le troisième donateur mondial en valeur absolue et le dixième pour l'aide au développement rapportée au PIB. Toutefois, si l'on y regarde de plus près on constate que ces chiffres sont obtenus en intégrant par exemple les actions en matière d'écolage, les annulations de dettes, l'aide aux réfugiés ou encore les aides à destination des territoires d'outre-mer. L'effort français n'est donc pas aussi important qu'il semble être. Mais surtout, on observe une diminution très sensible de la part des zones géographiques prioritaires dans l'aide publique au développement de la France. Entre 2004 et 2009, la part de l'Afrique sub-saharienne dans cette aide est passée de 53 à 47,5 % et celle des pays les moins avancés (PMA) de 45 à 17 %. Entre 2005 et 2009, les crédits destinés aux quatorze pays dits prioritaires sont passés de 219 à 158 millions d'euros, soit aujourd'hui environ 10 millions d'euros par pays, ce qui représente par exemple la construction d'une grosse école dans nos communes. Dans ces conditions, on ne peut que s'interroger sur l'intérêt qu'il y aurait à étendre encore notre aide à de nouvelles zones géographiques, comme nous le propose par exemple M. Dov Zerah, directeur général de l'AFD, qui envisage de faire intervenir cette institution dans le Caucase. L'aide française ne risque-t-elle pas alors de se transformer en une sorte de « ticket modérateur », perdant ainsi une grande partie de sa lisibilité et de ses effets en termes d'influence ? Tel était en tout cas le sentiment que M. André Vantomme et moi-même avons partagé lorsque nous étions au Mali, face à des interlocuteurs, des autorités locales qui soulignaient le décalage entre le discours et la réalité de l'aide publique française.

Enfin, concernant la modification de la clé de répartition au sein du FED, je voudrais vous faire part de ma satisfaction, tout en vous demandant comment les moyens ainsi dégagés vont être employés au renforcement de notre aide bilatérale.

J'en viens maintenant à la question de l'évaluation, déjà évoquée par M. Jean-Claude Peyronnet, notamment à propos de l'exemple britannique, que nous regardons de près. Pour juger de la politique menée par votre ministère, il avait été annoncé la mise en place de 19 indicateurs de suivi de notre aide bilatérale. Où en est-on de leur mise en oeuvre ?

On nous a expliqué que l'introduction de ces indicateurs était très compliquée mais vous comprendrez qu'au regard du rôle du Parlement dans le contrôle de l'efficacité de l'ensemble des politiques publiques, nous soyons particulièrement sensibles à cette question.

S'agissant enfin de la question du financement, je tenais tout d'abord à vous féliciter pour l'excellente initiative prise par la France d'organiser une conférence du G20 sur le développement. J'ai eu la chance de participer à une partie des travaux de cette réunion que j'ai beaucoup appréciée et je pense qu'il serait très utile que l'ensemble de nos collègues puissent être invités à ce type de manifestations.

M. Jean-Louis Carrère, président. - C'était le cas, tous nos collègues étaient invités.

M. Christian Cambon, rapporteur. - À l'avenir je ne peux que les encourager à s'y rendre.

Je souhaiterais toutefois revenir sur l'une des informations entendues lors de cette réunion, à savoir le reversement par l'AFD de dividendes au budget général de l'État. Il me semble que ce vocable est assez déplacé s'agissant du principal acteur public de l'aide au développement. Alors que vous indiquez rechercher de nouveaux financements je trouve même paradoxal d'entendre Dov Zerah se féliciter d'avoir ainsi reversé 1,2 milliard d'euros au budget de l'État au cours des cinq dernières années. On ne peut, en effet, que s'interroger sur la façon dont il sera possible de mobiliser les 50 milliards d'euros de financement innovants que vous évoquiez tout à l'heure pour financer de nouvelles actions. Six Français sur dix approuvent cette orientation, mais d'où vont venir ces financements innovants ? Pour des raisons de procédure, l'Assemblée nationale n'a pas pu introduire la taxe sur les transactions financières dans la loi de finances pour 2012, mais je n'exclus pas qu'avec M. Jean-Claude Peyronnet, nous permettions au Sénat de faire avancer les choses. La France comme l'Allemagne ont, en effet, un rôle d'exemplarité à jouer au sein de l'Union européenne sur ces sujets. Monsieur le ministre, quelles sont, d'après vous, les chances de voir cette taxe mise en oeuvre au niveau européen ? Il me semble que l'Europe, qui paraît aujourd'hui en difficulté, gagnerait beaucoup à reprendre l'initiative sur ce dossier.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial.- Je souhaiterais, tout d'abord, vous remercier de nous avoir conviés, Mme Fabienne Keller et moi-même, à participer aux travaux de votre commission. Je tenais aussi à remercier M. le ministre, et j'ai pris acte du fait que le document de politique transversale nous serait adressé prochainement. Nous l'attendons avec impatience car c'est en fait le seul document sur lequel nous pouvons véritablement fonder une analyse du budget.

Monsieur le ministre, vous avez aussi évoqué l'engagement de la France dans la crise alimentaire de la Corne de l'Afrique et je vous donne acte d'avoir inscrit ce dossier à l'agenda de la réunion du G20 sur le développement. S'agissant de l'évaluation quantitative de l'aide de la France, je souhaiterais toutefois aller au-delà des chiffres de l'OCDE, pour vous indiquer que l'organisation One en fait une lecture différente qui aboutit à considérer que l'aide publique au développement de la France par rapport au PIB ne représente en réalité que le tiers de celui qui est communément affiché. Comment réagissez-vous à ce chiffre ?

D'ailleurs, l'an dernier, dans mon rapport spécial, j'avais moi-même souligné que certains crédits étaient indûment présentés comme des dépenses d'aide publique au développement. Je pense notamment aux aides à destination de Wallis-et-Futuna. Avez-vous pris en compte ces observations ?

Enfin, ma dernière question porte sur les deux nouveaux produits d'épargne réglementée, créés en faveur du co-développement, que sont le compte d'épargne de co-développement et le plan d'épargne pour le co-développement. Ces produits sont apparemment très peu utilisés. Quel bilan peut-on en faire ? Quelles réformes sont à envisager pour en élargir la diffusion ? Ne pourrait-on pas, par exemple, les proposer de façon plus particulière à nos concitoyens originaires des pays en développement concernés ?

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial de la commission des finances. - Je félicite M. le ministre pour sa brillante présentation. Quelles synergies y a-t-il entre l'aide publique d'Etat et la coopération décentralisée ? Le montant de celle-ci est très sous-évalué, car on ne tient pas compte des moyens en personnel qui y sont consacrés ; on parle de 70 millions d'euros.

Un compte spécial d'engagement en faveur de la forêt, créé pour lutter contre le changement climatique, est alimenté par la vente de quotas de carbone. Combien d'argent rapporte celle-ci ?

La dernière loi de finances a rééchelonné la dette de la République démocratique du Congo. Quelles décisions le Club de Paris  doit-il prendre à l'avenir? Je pense au contrat de désendettement et de développement (C2D), ce mécanisme de recyclage des dettes annulées.

Vous avez annoncé 2,5 milliards d'euros d'aide aux révolutions arabes. Quelles seront les priorités, et où sera trouvé l'argent ?

M. Henri de Raincourt, ministre. - Je remercie les rapporteurs de leur travail. Des prêts de l'AFD sont consentis aux pays émergents, mais ils pèsent peu sur nos finances publiques, car nous y appliquons des taux d'intérêt habituels, plus élevés que pour les pays fragiles. L'intérêt est de maintenir le contact avec ces pays pour en faire des partenaires dans la politique mondiale de développement. C'est l'enjeu du G20 de la semaine prochaine. Ces prêts ont financé des investissements très bénéfiques pour l'équilibre climatique, au Pakistan par exemple, pays dont les émissions de gaz à effet de serre, les plus élevées du monde, ont baissé de 25 %. L'aide à la Chine s'est élevée à 239 millions d'euros en 2010, mais il s'agit pour 47 % des frais de scolarité d'étudiants chinois en France. Voilà 111 millions sur lesquels le ministère des affaires étrangères n'a aucune prise, mais qui sont comptabilisés dans l'aide publique au développement : spécificité française. Les prêts accordés à la Chine ont augmenté ces dernières années, mais doivent diminuer.

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. - N'est-ce pas la Chine qui doit maintenant prêter de l'argent à l'Europe ?

M. Henri de Raincourt. - Le Président de la République doit appeler son homologue chinois aujourd'hui même à ce sujet. Quoi qu'il en soit, les prêts consentis à la Chine rapportent de l'argent à la France !

Oui, l'AFD verse plus d'un milliard d'excédents au budget de l'Etat, et c'est tant mieux.

M. Robert Hue. - Les excédents pourraient être utilisés autrement.

M. Henri de Raincourt, ministre. - La répartition des dividendes a changé : jusqu'à cette année, ils revenaient en totalité au budget de l'Etat ; dorénavant, à l'issue d'une bataille discrète, les trois quarts seront versés au budget de l'Etat jusqu'à 75 millions d'euros ; au-delà, la moitié ira à l'Etat, l'autre moitié à l'AFD pour augmenter ses fonds propres et élargir son champ d'intervention.

L'aide consentie dans le cadre du partenariat de Deauville est passée, à la suite du G20 Finances du 10 septembre, d'1,1 milliard à 2,7 milliards d'euros. On ne connaît pas encore la ventilation par pays, mais on sait que 650 millions iront à l'Egypte et 425 millions à la Tunisie. Il s'agit de prêts et non de dons.

M. Jean-Louis Carrère, président. - A quels taux d'intérêt ?

M. Henri de Raincourt, ministre. - A des taux très bas. Les prêts font donc partie de l'aide directe. L'aide à la Tunisie, d'un montant de 260 millions d'euros en 2011, sera encore de 90 millions en 2012 et de 75 millions en 2013 ; l'aide à l'Egypte sera de 250 millions en 2012 comme en 2011 et de 150 millions en 2013. Les secteurs prioritaires sont l'agriculture, la formation professionnelle, les entreprises privées et notamment les PME, dans la droite ligne du discours du Cap.

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. - Et le ferroviaire ?

M. Henri de Raincourt, ministre. - Pas dans ce cadre. Quant à l'enveloppe nouvelle d'1,6 milliard annoncée lors du G20 Finances de Marseille, elle concernera plutôt le Maroc et la Jordanie.

Notre politique de coopération est complémentaire de celle menée au niveau européen. Je rencontre très souvent le commissaire au développement, M. Andris Piebalgs, pour coordonner nos actions. Nous avons mené une mission commune en Guinée Conakry et mis en place des programmes de développement conjoints. Nous ferons de même à Madagascar. Nos principes sont les mêmes : partenariats différenciés, priorité accordée aux pays pauvres, diversification des financements grâce au soutien du secteur privé, au cumul de prêts et de dons, etc. En revanche, nous n'avons pas été suivis sur la budgétisation du Fonds européen de développement, que nous voulons stabiliser ; la Commission européenne vient de rendre son rapport sur les perspectives financières pour 2014-2020.

A Busan, où je représenterai la France fin novembre, je plaiderai pour l'efficacité de l'aide, dans l'esprit de la Déclaration de Paris et du programme d'Accra. Nous attachons beaucoup d'importance à l'évaluation nationale et internationale de l'aide au développement, ainsi qu'à sa transparence. Nous voulons aussi de la souplesse dans les modalités d'intervention, afin de pouvoir s'adapter aux réalités locales. Un bilan s'imposera dans le domaine de la santé et de la sécurité alimentaire.

Le Royaume-Uni a revisité sa politique de développement de la cave au grenier. Les dirigeants britanniques ont voulu concentrer leur aide dans certaines zones géographiques, et ils notent les différents organismes, parfois de manière sévère. La France suit avec attention ces évolutions, même si elle est généralement moins cassante... Les Britanniques ne pratiquent pas les annulations de dette, qui représentent en France 1 milliard d'euros. Contrairement à eux, nous avons beaucoup d'enveloppes fermées sur lesquelles il est difficile de jouer. Il faut saluer les efforts du gouvernement Cameron, dont le pays est aujourd'hui le deuxième contributeur mondial.

Quant au Fonds sida, des fraudes ont en effet été constatées au Mali, en Mauritanie, en Zambie et à Djibouti. Le conseil d'administration du Fonds les a lui-même rendues publiques, et un panel a été chargé du suivi de cette affaire ; la France y est représentée par M. Claude Rubinowicz, inspecteur général des finances. C'est la preuve que le Fonds est bien géré. J'ajoute que le Fonds intervient aussi contre la tuberculose et la malaria.

En ce qui concerne l'aide aux pays prioritaires, je ne sais pas d'où M. Cambon tient ses chiffres, mais elle s'élève selon nous à 311 millions d'euros en 2011 : 260 millions de l'AFD et 50 millions du Fonds de solidarité prioritaire (FSP). En raison de contraintes budgétaires, nous privilégions peut-être trop les prêts, au détriment des dons...

J'ai eu vent des remarques de l'association ONE, mais notre mode de calcul de l'aide publique au développement n'a pas changé. C'est le même que dans tous les pays de l'OCDE. Notre spécificité est de prendre en compte les territoires d'outre-mer  dans l'APD : en conséquence l'aide versée à Mayotte ne sera plus comptabilisée avec la départementalisation. Peut-être l'association ONE pense-t-elle à l'aide programmable, qui équivaut à un tiers de l'aide bilatérale.

Les quotas carbone forment un marché incertain et fluctuant. On attend les suites du protocole de Kyoto.

J'en viens aux financements innovants et à la taxe sur les transactions financières. La France, l'Allemagne et la Commission européenne font partie du groupe pilote, et nous attendons la semaine prochaine la remise du rapport de Bill Gates. Nous faisons circuler une pétition pour la création de cette taxe, que plusieurs pays africains et européens ont déjà signée. Hélas, la Chine, les Etats-Unis et même le Royaume-Uni, qui a pourtant institué une taxe similaire, y sont hostiles : les Britanniques disent craindre pour l'attractivité de la City... Le G20 doit prendre une décision la semaine prochaine ; la semaine dernière, le Président de la République a fait part des exigences de la France.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Faute d'un consensus, la France pourrait-elle imposer cette taxe unilatéralement ? J'ai appris qu'un amendement en ce sens avait été rejeté à l'Assemblée nationale.

M. Henri de Raincourt. - M. Borloo -comme plusieurs députés socialistes- avait en effet déposé un tel amendement, mais il n'a pas été défendu. S'il était venu en discussion, le Gouvernement aurait recommandé d'attendre la réunion du G 20. Pour que cette taxe soit instaurée au niveau européen, il faudrait l'unanimité des Vingt-sept, ce qui est hors de portée. Juridiquement, la France peut fort bien créer cette taxe seule, mais ce serait peu opportun. Heureusement, nous avons le soutien de l'Allemagne, de la Norvège, de l'Espagne. Reste à savoir combien il faut que nous soyons pour atteindre le seuil critique.

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. - Si un amendement conforme aux orientations du G 20 était déposé au Sénat, le Gouvernement y serait-il favorable ?

M. Henri de Raincourt. - Nous avons le temps d'y réfléchir : la discussion budgétaire ne commence au Sénat qu'à la mi-novembre.

M. Jean-Louis Carrère, président. - La question est de savoir qui, de la majorité ou de l'opposition, prendra cette initiative.

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. - Pourquoi ne la prendrions-nous pas ensemble ?

M. Henri de Raincourt. - Il me semble en effet que la gauche et la droite ont des vues très proches à ce sujet.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Vous avez beaucoup évolué !

M. Robert Hue. - Je reviendrai en séance sur la présentation de votre budget, Monsieur le ministre, mais nous n'avons pas la même conception de la coopération. Les rapporteurs ont fait des remarques constructives. L'aide publique au développement a été exemptée du « coup de rabot » de 2,5 % décidé par le Premier ministre, mais, depuis des années, nous réclamons son augmentation. La France avait promis d'y consacrer 0,7 % de son PIB, mais elle n'atteindra pas cet objectif dans les délais prévus : elle est aux alentours de 0,5 %. C'est gravissime ! Les pays pauvres font les frais de la crise systémique. Au nom de cette crise, on justifie bien des régressions.

Quant à l'idée de créer une taxe sur les transactions financières, la droite s'en moquait il y a quelques années encore, quand la conjoncture était bien plus faste. A l'en croire, il fallait l'accord de tous les pays ! Je me réjouis que nos rapporteurs parlent de déposer un amendement. Mais à quoi sera affecté le produit de cette taxe ? J'aimerais être rassuré. Un repli sur nous-mêmes serait hautement préjudiciable. Nous avons pris un engagement envers les pays pauvres. Mais que vaut cet engagement ? Dès le départ nous avons pris du retard.

M. Jeanny Lorgeoux. - Pour remédier à la dispersion des centres de décision, ne faudrait-il pas recréer un ministère de la coopération maître de son budget ? A l'heure où l'AFD veut étendre son champ d'intervention, le besoin se fait sentir d'une politique plus cohérente, plus ciblée et plus lisible.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Le Premier ministre qui a placé la coopération sous la tutelle des affaires étrangères s'appelait, je crois, Lionel Jospin...

M. Henri de Raincourt. - Je respecte le point de vue de M. Hue, mais les chiffres montrent que l'aide publique française augmente : elle est passée de 5 milliards d'euros il y a dix ans à 10 milliards aujourd'hui. Après avoir progressé de 8 % en 2010, elle restera stable de 2011 à 2013. Qu'elle demeure insuffisante, je suis prêt à l'admettre, mais songez au contexte économique !

Pour ce qui est de la taxe sur les transactions financières, il faut sauter les haies les unes après les autres : quand son principe sera admis, il sera temps de parler de son affectation. La Commission européenne voudrait en conserver le produit, car elle verrait ainsi se réaliser son rêve d'un impôt européen ; la France a d'autres vues. Dans notre pays même, le sujet fait débat : les uns veulent en profiter pour réduire la dette ou du moins alléger le service des intérêts, mais selon moi ce serait une erreur de rater cette occasion historique d'assurer le financement de l'aide au développement. L'Union européenne prévoit que cette taxe rapportera 50 milliards d'euros à l'échelle des Vingt-sept : la part qui nous reviendrait ne serait qu'une goutte d'eau par rapport aux 1 600 milliards de la dette publique, et aux 48 milliards d'intérêts annuels !

Quant à savoir si le ministère de la coopération doit dépendre ou non de celui des affaires étrangères, chaque solution comporte ses avantages et ses inconvénients. Sachez cependant que je me félicite chaque jour de travailler avec M. Alain Juppé.