Mercredi 25 mai 2011

- Présidence de M. François Patriat, président -

Audition de M. Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes et entreprises (CGPME)

M. François Patriat, président. - Notre mission se penche sur l'impact de la révision générale des politiques publiques sur les collectivités territoriales. Les entreprises que vous représentez sont en contact avec l'État et avec les collectivités, au moment de leur création, de leur transmission, de leur développement, en matière d'exportation ou encore de formation. Quels sont pour vous les effets de la réforme des différentes cartes administratives, des suppressions d'emplois ou de la réorganisation des services ?

M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME. - La CGPME a accueilli avec satisfaction le lancement de la RGPP ; nous partageons les objectifs d'amélioration de la qualité, de réduction des dépenses et de modernisation de la fonction publique. Nos chefs d'entreprise sont pragmatiques : ils voient avant tout les simplifications qu'apporte la RGPP sur le terrain. Ainsi, la mise en place de guichets unique est saluée. Avec le commissaire à la simplification, on entre dans une phase active. Je crains toutefois qu'il ne faille prendre d'autres dispositions si l'on veut réduire le déficit budgétaire à 3% d'ici 2013...

L'information sur la mise en place des nouveaux services déconcentrés et leur accessibilité nous paraît-elle suffisante et acceptable ? Sur le plan fiscal, la simplification est indubitablement efficace.

M. Pascal Labet, directeur des affaires économiques de la CGPME. - Du moment que les chefs d'entreprise ne sont pas au bord de la jacquerie, c'est que le dispositif est a priori pertinent.

Il n'y a pas eu de document de vulgarisation global retraçant les effets de la RGPP pour les entreprises.

M. Jean-François Roubaud. - Nous mesurons l'insatisfaction des chefs d'entreprise, pas leur satisfaction. Parmi les causes d'insatisfaction, il y a Pôle Emploi. En revanche, le rapprochement entre l'administration fiscale et les entreprises pendant la crise est à saluer. L'administration est sortie de son rôle de contrôleur et s'est mise à notre écoute, accordant des délais de paiement, des facilités aux entreprises en difficulté. Désormais, les relations sont établies, les entreprises appellent directement le directeur de l'Urssaf ; j'ai récemment remis une médaille au trésorier-payeur général d'Annecy pour le remercier de sa collaboration exemplaire. Cette évolution, qu'elle découle de la RGPP ou de la crise, est en tout cas source de satisfaction.

M. Pascal Labet. - Prenons l'exemple de l'administration des douanes : d'un rôle de sanction, elle est passée à celui d'interlocuteur des entreprises, notamment en matière de lutte contre la contrefaçon. La création d'indicateurs de performance a encouragé cette nouvelle relation.

Les conséquences du retrait de services publics sur les emplois privés sont-elles évaluées et suffisamment prises en compte ? Dans les zones rurales, le regroupement des services publics, le retrait des services postaux par exemple, est parfois ponctuellement mal vécu. En revanche, la création des directions départementales des finances publiques (DGFIP) ne pose pas de problème.

M. Jean-François Roubaud. - Le retrait de garnisons dans certaines villes pose bien évidemment problème localement. Quant à la création des DGFIP, elle n'a pas occasionné de retour particulier de la part des entreprises.

M. Pascal Labet. - Il était aberrant que la même administration soit en charge à la fois de l'assiette et du recouvrement de la TVA. Pour l'ex-taxe professionnelle et l'impôt sur les sociétés, l'assiette relevait de la direction générale des impôts (DGI), le recouvrement de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP). Les chefs d'entreprise apprécient de n'avoir qu'un seul interlocuteur.

La qualité des relations varie bien entendu selon les cas : dans certains départements, le remboursement anticipé du crédit de TVA s'est très bien passé ; dans d'autres, les chefs d'entreprise tombaient toujours sur un répondeur !

M. Michel Bécot - Il en allait de même avant !

M. Pascal Labet. - Ce n'est pas la RGPP qui est en cause, mais le facteur humain. Idem dans les administrations où le personnel change régulièrement.

Reste le problème de la stratification, voire de l'empilage de mesures prises très rapidement et parfois sans réelle cohérence : une mesure sur l'impôt sur les sociétés, une sur la TVA... Quid de la taxe sur les salaires, des autres types d'impôt ? Les seuils varient selon les impôts. Pour les PME, ce n'est pas gérable ! Pour la certification électronique, une filiale avait 25 documents à remplir ! Il y a donc encore des dissonances dans la mise en oeuvre des mesures, même si elles sont relativement marginales.

M. Jean-François Roubaud. - Le bilan du guichet simplifié unifié est globalement positif. Pour le crédit d'impôt recherche, nous avons encore plusieurs interlocuteurs : DGFIP, ministère de la recherche, Oseo. Mais globalement, les choses fonctionnent bien.

La création des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) est positive. J'ai eu à faire à des directeurs très compétents ; l'un avait ainsi mené un travail de fond sur le coffre-fort numérique. C'est une grande satisfaction. Nous n'avons reçu aucun écho négatif de la part des entreprises.

M. Pascal Labet. - Les seuls blocages dont nous avons eu l'écho seraient liés au facteur humain. Nous n'avons eu aucun retour négatif, y compris lors des assises de la simplification.

M. Jean-François Roubaud. - Parmi les mesures de simplification, lesquelles nous paraissent les plus efficaces ? Nous avons cité le guichet unique, la qualité des hommes. La difficulté pour l'heure est d'assurer la coordination, de mettre de l'huile dans les rouages. Attention aussi à ne pas faire trop de guichets uniques ! Beaucoup de formulaires sont désormais disponibles en ligne, mais il faut toujours les remplir à la main et les renvoyer par la Poste !

De gros progrès ont été faits dans l'appui à l'exportation. Avec Ubifrance ou Coface, nous avons les outils adéquats. Exporter ne coûte rien pendant les deux premières années, mais ce n'est pas pour autant que les entreprises exportent davantage... À nous, chambres de commerce, de convaincre les chefs de petites entreprise qu'ils peuvent exporter, notamment vers les pays du bassin méditerranéen !

M. Pascal Labet. - En quoi la RGPP a-t-elle modifié le fonctionnement et les méthodes de travail des PME ? Si la mise en place des télé-procédures a pu être source de complexité, le recours aux experts comptables a été bénéfique, qu'il s'agisse de délais ou d'efficience. La dématérialisation des imprimés évitera d'avoir à se déplacer : c'est positif, mais cela demande du temps.

M. Jean-François Roubaud. - La mise en place du système Chorus a retardé le paiement des prestataires de l'État. Il nous a fallu intervenir, car beaucoup d'entreprises étaient pénalisées.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - La situation s'améliore-t-elle ?

M. Jean-François Roubaud. - Oui. À terme, le système devrait fonctionner.

M. Pascal Labet. - C'est surtout le ministère de la défense qui a accumulé les retards de paiement.

M. Jean-François Roubaud. - Quelles sont nos propositions d'amélioration ? Tout d'abord, poursuivre et renforcer le dialogue entre administration et entreprises. Le changement de comportement, induit par la crise, a été positif, et l'on ne craint plus désormais de s'adresser à l'administration. Il faut poursuivre la simplification, mais il faudra plus que des mesurettes si l'on veut réduire le déficit public à 3%...

M. François Patriat, président. - Quid des nouvelles directions à l'échelon régional, comme les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou les directions de l'innovation, la recherche, l'économie et le tourisme (DIRET) ? Les entreprises souffrent-elles de l'éloignement qu'implique la régionalisation ?

M. Pascal Labet. - Nous n'avons pas eu de retour négatif. A priori, le système est efficient.

M. Jean-François Roubaud. - Cela pose la question plus large de la réorganisation administrative de l'État. L'empilage des échelons régionaux, départementaux et communaux est-il nécessaire ?

M. François Patriat, président. - C'est un autre sujet !

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Merci de vos réponses exhaustives. Permettez-moi de vous poser une question plus générale. Dans l'accompagnement des entreprises, quelle est aujourd'hui la ligne de partage entre ce que l'on peut attendre de l'État, des organismes professionnels institués comme les chambres de commerce et d'industrie, et de vos propres organisations professionnelles ?

M. Jean-François Roubaud. - L'administration ne fait pas suffisamment la différence entre une grande entreprise capitalistique et une PME : pour elle, une « petite » entreprise compte déjà 500 salariés ! Or il faut aussi prendre en compte les petites entreprises de dix ou vingt salariés ! Le succès de l'auto-entrepreneur prouve l'intérêt de la simplification pour la création d'entreprises. Un patron de PME patrimoniale n'est pas un manager : pour lui, le résultat d'entreprise a peu d'importance au regard de la pérennité de son entreprise et de ses salariés, qu'il connaît personnellement. Or certaines décisions parfois hâtives, comme la prime de 1000 euros, ne tiennent pas compte de ces spécificités....

M. Dominique de Legge, rapporteur. - C'est un sujet sur lequel nous sommes très sollicités.

M. Jean-François Roubaud. - La question de l'intéressement dans les petites entreprises mérite d'être posée. La situation actuelle est bien trop complexe : les chefs d'entreprise s'y perdent. Pour promouvoir l'intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés qui ne connaissent pas la participation, il faut être incitatif. Prévoyons un intéressement « hors charges » pendant trois ou quatre ans, afin que le chef d'entreprise y trouve lui aussi son intérêt ! Les contrats-types actuels sont encore trop compliqués pour les entreprises de dix à vingt salariés. Il faut simplifier les dispositifs, en associant les chefs d'entreprise à la réflexion.

M. Jean-Luc Fichet. -Qu'en est-il de la formation professionnelle ?

M. Jean-François Roubaud. - Nous finançons la formation professionnelle, et pas seulement pour les salariés de nos entreprises. Le système fonctionne assez bien. Mais c'est avant tout à Pôle Emploi de former les demandeurs d'emploi pour répondre aux besoins des entreprises. Or on nous répond qu'il n'y a pas de candidats !

M. François Patriat, président. - Pour les métiers sous tension ?

M. Jean-François Roubaud. - Impossible de trouver un serveur de restaurant, un maçon, un frigoriste. Pourtant, il suffirait de former pendant quatre mois un titulaire d'un CAP d'électromécanicien pour qu'il trouve un emploi de frigoriste à 2000 euros par mois !

M. Jean-Luc Fichet. - Comment faire pour mieux cibler la formation professionnelle ? Je connais pour ma part un gaillard de 24 ans, qui ne demande qu'à se former, mais auquel on ne propose rien ! Il faudrait que les PME contribuent à former ces personnes sans diplômes.

M. Jean-François Roubaud. - C'est ce que nous faisons, notamment via le contrat de professionnalisation et la préparation opérationnelle à l'emploi, qui comprend une formation de quatre mois.

M. François Patriat, président. - Le ministère du budget annonce la suppression de 800 points de Pôle Emploi, et de 1800 emplois. Comment voulez-vous que les choses s'améliorent ?

M. Jean-François Roubaud. - Je ne suis pas qualifié pour vous répondre. Il est certain que la fusion à l'origine de Pôle Emploi a entraîné des problèmes d'organisation, qui ne sont pas encore résolus, et que le fonctionnement actuel n'est pas satisfaisant.

M. François Patriat, président. - Vous dites que les choses vont mieux avec les douanes. La diminution du nombre d'agents vous aurait donc profité ?

M. Pascal Labet. - Avant le dossier des formulaires de TGAP, il y avait peu ou pas de relation avec la douane. Pour le chef d'entreprise, cette nouvelle facette de l'administration a une traduction concrète. La RGPP a fixé des indicateurs : l'administration est tenue de contacter 1500 entreprises. Une relation s'est tissée sur le terrain, notamment dans le domaine de la contrefaçon, où les entreprises sont désarmées. S'il y a moins d'agents, c'est que l'administration fait mieux avec moins !

M. Michel Bécot. - Sur le plan fiscal, il y a désormais une écoute : c'est un grand pas, c'est de l'excellence territoriale ! L'administration a compris que les TPE et PME avaient besoin d'être accompagnées.

En effet, Pôle Emploi fonctionne mal, malgré la bonne volonté des agents. On ne trouve pas d'électriciens, de frigoristes, de femmes de ménage. Il y a un vrai problème de formation. Qu'en est-il de la formation professionnelle adulte, qui permettait de former des jeunes sans diplôme ?

M. Pascal Labet. - Nous avons connu plusieurs révolutions culturelles. D'abord, la commission Aicardi, en 1987. Ensuite, le rescrit, à la suite du groupe de travail mis en place par M. Woerth. C'est une nouvelle relation. En droit fiscal français, l'impôt est déclaratif. On institue le dialogue : à chacun de jouer le jeu. C'est une vraie révolution culturelle. On propose désormais d'étendre le dispositif au rescrit social.

Le fait d'imputer le crédit d'impôt sur l'impôt sur les sociétés doit-il nécessairement entraîner un contrôle ? La fraude fiscale représente entre 40 et 50 milliards d'euros par an ; on reconnaît enfin que c'est un vrai sujet. Là aussi, les indicateurs retenus sont déterminants.

M. Jean-François Roubaud. - Les PME forment beaucoup de monde, en formation professionnelle adulte, en apprentissage ou en alternance. Avec le gouvernement, nous travaillons à augmenter encore ce chiffre. Il s'agit de développer l'alternance dans toutes les écoles, à tous les niveaux, jusqu'aux doctorants. Reconnaissons que beaucoup de choses fonctionnent, compte tenu que nous ne sommes pas encore complètement sortis de la crise !

M. François Patriat, président. - Les entreprises sont désormais confrontées à la hausse des prix des matières premières.

M. Jean-François Roubaud. - C'est en effet la première préoccupation de nos entreprises aujourd'hui.

M. Pascal Labet. -Cela fait deux ans que la CGPME propose au législateur un amendement pour revenir à une provision pour hausse des prix.

M. Jean-François Roubaud. - Cela donnerait un peu de souplesse.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - La RGPP n'a pas pour unique objectif de réaliser des économies : il s'agit également d'améliorer la qualité des services. Selon vous, quelles seraient les pistes à explorer, ou au contraire à éviter ?

M. Jean-François Roubaud. - Je doute que l'on parvienne à un déficit de 3% en 2013 : nous dépensons trop par rapport à ce que nous gagnons. On ne peut continuer à asseoir le financement de la protection sociale sur les seuls salaires. Je prône pour ma part une flat tax, ou une TVA sociale, mais cela suppose une vraie volonté politique. Il faut réduire les charges pesant sur les entreprises, augmenter le pouvoir d'achat des salariés, si nous ne voulons pas nous retrouver dans la situation que connaît l'Espagne aujourd'hui. Il faut revoir nos modes de financement pour être plus performants, changer nos habitudes.

M. François Patriat, président. - Je vous remercie.

Audition de M Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration

M. François Patriat, président. - Nous vous remercions, monsieur le ministre, d'avoir dégagé un peu de votre temps précieux pour être auditionné par notre mission. Bien entendu, à chaque audition, nous renouvelons le constat que la réorganisation de l'État et l'optimisation de ses services étaient nécessaires. Notre objectif est d'en évaluer les conséquences sur les collectivités territoriales. Le constat que celles-ci en retirent varie selon leur taille. Les plus grandes, disposant de compétences et de moyens de gestion importants, sont moins affectées que les petites villes et, a fortiori, que les communes rurales. Ces petites collectivités ont besoin de l'État et elles éprouvent un sentiment d'abandon : 84% des 180 maires interrogés par l'Association des petites villes de France pensent que l'État ne joue plus son rôle. Il faut reconnaître que l'accumulation des cartes à établir - sanitaire, judiciaire, scolaire etc. - gênent sérieusement certaines villes.

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration - Je vous remercie de ces mots de bienvenue et je salue le travail de votre mission.

La RGPP était nécessaire pour dynamiser les services publics. En même temps elle est tout à fait compatible avec la recherche d'un meilleur service rendu au public. Elle est née d'une préoccupation majeure, celle de maîtriser la dépense publique en un moment où notre dette atteint 1 600 milliards d'euros et où son service coûte annuellement 45 milliards, soit deux fois le budget de l'Intérieur. Elle repose aussi sur la détermination des agents de la fonction publique auquel je rends hommage pour leur investissement dans cette réforme. Elle a eu pour résultat financier de diminuer de 7 milliards les dépenses de 2011 par rapport à celles de 2009. Mais cette recherche d'économies a toujours été précédée et accompagnée d'une analyse en profondeur du fonctionnement de l'administration. Et cette analyse préalable a permis que l'évolution de l'administration et la diminution de ses effectifs n'affectent pas la qualité des services publics.

Le ministère de l'intérieur a mis en oeuvre 67 réformes : 10 sont déjà appliquées, 44 le sont progressivement, 4 nécessitent encore des ajustements et 3 seulement sont retardées. Entre 2009 et 2011 nous avons gagné plus de 9000 emplois équivalents temps plein. Nous avons renforcé la présence sur le terrain des forces de sécurité en les recentrant sur leur coeur de métier. Avec le ministère de la justice, nous avons, depuis 2009, développé la visioconférence, ce qui diminue le nombre de transports de détenus, transports gros consommateurs de personnel. Nous avons aussi réduit les forces de sécurité chargées des audiences ou de la surveillance au dépôt, la Justice faisant davantage appel à des réservistes de nos deux ministères ou à des sociétés privées. Nous avons transféré la gestion des centres de rétention administrative de la gendarmerie mobile à la police des frontières. Il faut savoir que, pour une fonction déterminée, il faut un fonctionnaire statique et 1,7 fonctionnaire mobile ou de gendarmerie mobile.

Il est vrai que, souvent, cette réorganisation des services publics peut gêner les élus. Mais, elle est la condition de la pérennité ou de l'amélioration de ces services. En matière sanitaire par exemple, la qualité des soins sur l'ensemble du territoire dépend de leur réorganisation, ce qui passe, souvent, par des restructurations. De même La Poste, une fois transformée, peut apporter des services supplémentaires, bancaires par exemple, y compris au profit de populations auparavant privées d'accès au réseau bancaire.

L'autre objectif de la RGPP, c'est l'amélioration des services rendus. La délivrance des titres est désormais plus sûre et plus commode. Déjà 5 millions de passeports biométriques ont été délivrés, plus de 2 000 communes sont équipées et le délai de délivrance est de 7 jours. Le nouveau Système d'immatriculation des véhicules, après des débuts difficiles a permis d'immatriculer environ 20 millions de véhicules et plus de la moitié des cartes grises ont été délivrées sous trois jours et sans déplacement à la préfecture. Cette délivrance rapprochée a été possible grâce au concours des maires, et les titres délivrés sont plus sûrs. Dans les préfectures le courrier se dématérialise et, à la fin de 2010, 15% des actes étaient télétransmis et 19% des collectivités locales étaient raccordées. D'où économies, rapidité et sûreté de la réponse.

Dans un but de rationalisation, la gendarmerie a été rattachée à l'Intérieur en 2009 et il été décidé en 2007 que DST et RG fusionneraient au sein de la DCRI. Avec les RG nous avons supprimé le dernier vestige de police politique qui subsistait en France. Nous avons adapté les zones de compétences des deux corps dont la complémentarité opérationnelle est désormais évidente, comme j'ai pu le vérifier lors de ma visite en Eure-et-Loir, département qui subit des raids de cambrioleurs venus de Paris. Il ya également complémentarité entre les deux corps en matière de ressources humaines, d'immobilier, de commandement ou d'utilisation des hélicoptères. Certains services quotidiens - par exemple les trafics urbains difficiles - sont maintenant exécutés par les deux forces.

Deux autres réformes sont maintenant en préparation. La Direction de la sécurité civile et celle de la prospective et de la planification de la sécurité nationale vont fusionner en une Direction générale de la sécurité civile et des crises, d'ici l'automne. Nous rapprocherons également en un collège les différentes Inspections générales du ministère.

Les collectivités territoriales participent à ces réformes. Le groupe de travail du sénateur Lambert, en 2007, plaidait en faveur d'une clarification des compétences des diverses collectivités, ce que permet la récente réforme territoriale. Nous avons déjà allégé les contraintes normatives pesant sur elles, par le biais de plusieurs lois de simplification du droit. Leurs relations financières avec l'État ont évolué et nous avons fait un effort de péréquation en faveur des communes rurales et de celles qui bénéficient de la DSU. Il y aussi eu une réorganisation entre les différents services régionaux et départementaux.

L'État dispose donc désormais d'une nouvelle administration qui se rénove en permanence. Reste à compléter, à imaginer. Pour les sous-préfectures par exemple dont beaucoup d'anciennes fonctions ont migré vers les préfectures. Très prisées par les élus, elles doivent réinventer leurs fonctions.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Les collectivités territoriales, notamment les petites communes, ont le sentiment d'un certain désengagement de l'État et craignent que la diminution de ses effectifs n'aboutisse à un moindre service de celui-ci auprès de ces communes. A un moindre service par exemple en matière d'ingénierie et d'assistance à la maîtrise d'ouvrages. Au sein de notre mission les avis divergent : les uns dénoncent ce désengagement tandis que les autres y voient la conséquence logique des transferts de compétences. Mais si l'État fixe à la RGPP l'objectif de diminuer ses dépenses, on peut craindre que les missions qu'il exerçait autrefois, soient désormais remplies par les collectivités territoriales et, cela, sans que les moyens correspondants aient été transférés.

La RGPP renforce l'échelon régional, via les nouvelles compétences des préfets -conformément au rapport Balladur qui voyait dans la région l'échelon pertinent. Mais la réforme territoriale privilégie l'échelon départemental. N'est-ce pas contradictoire ? Le préfet de région a une mission de coordination de l'ensemble des politiques publiques. A-t-il les moyens de cette coordination alors que les moyens humains et matériels sont très centralisés, ministère par ministère ?

Et si le préfet de région doit coordonner les politiques publiques dans une logique interministérielle, pourquoi ne pas le placer sous l'autorité du Premier ministre et non plus sous celle du ministre de l'intérieur ?

M. Claude Guéant, ministre. - La réforme de l'État tire enfin les conséquences de la décentralisation et de la répartition des compétences. Car malgré le vote des grands textes de décentralisation, tout le monde, y compris l'État, continuait à faire un peu tout. Moi-même, lorsque j'étais préfet de Bretagne, je m'occupais parfois de domaines qui relevaient d'autres collectivités.

L'assistance technique aux petites communes continuera. Le problème est de fixer le seuil à partir duquel on a affaire à une « petite » commune. Autre question : est-il bien opportun, ne serait-ce que du point de vue de la réglementation européenne, que ce soit l'État qui leur fournisse leurs moyens d'ingénierie ? Là aussi, mon expérience passée m'a appris que la fourniture de cette prestation par l'État aux collectivités était parfois un frein à la présence sur place de services d'ingénierie, y compris privés, qui auraient pu concourir au développement économique local.

Nous souhaitons conserver le maillage des sous-préfectures. Si l'on excepte le cas bien connu de Boulogne-Billancourt, leur réseau demeurera, même s'il faut, pour cela, renouveler leurs fonctions.

Le choix a été fait de privilégier le niveau régional comme élément de cohérence des politiques de l'État. C'est le préfet de région qui dispose donc des moyens nécessaires. Cette cohérence était indispensable parce qu'une même politique peut être traduite différemment selon les départements. Je me souviens de nos combats en Bretagne pour la qualité de l'eau : les arrêtés de la police de l'eau différaient selon les départements.

Il y a encore des progrès à faire : les ministères ont toujours tendance à gérer de façon verticale les personnels et les politiques. Mais pour les fonctions les plus interministérielles, l'implication du Secrétaire général du gouvernement est forte et cet engagement se traduira sans doute par une organisation de droit commun qui passera au ministère de l'intérieur. Il vaut mieux que les hauts cadres de l'État soient gérés de façon personnalisée, par un ministre, plutôt que, de façon anonyme, par une administration.

M. Didier Guillaume. - Les élus, toutes tendances confondues, sont troublés par cette réorganisation. Par celle de La Poste par exemple ou par la mise en place des Maisons de santé. Le problème n'est pas le même pour des services moins quotidiens. Je n'ai jamais vu de manifestations de citoyens réclamant le maintien de leur perception. Reste que la fermeture d'une perception rurale, la disparition de ses deux ou trois agents et de leurs enfants, peut concourir à faire fermer des classes, puis l'école.

Pourquoi ne pas délocaliser le travail plutôt que les agents ? En région urbaine les comptables - de services hospitaliers, d'organismes HLM etc. - sont surchargés. L'informatisation permettrait de délocaliser leur travail.

J'accorde que l'aspect régional est essentiel et que le préfet a un rôle de coordination. Mais prenons garde à ce qu'il ne devienne pas un sous-préfet de région. Le rôle d'ingénierie du sous-préfet est indispensable en zone rurale ou par exemple dans mon département qui compte 100 communes de moins de 50 habitants.

Ne peut-on envisager une gestion différenciée entre les zones urbaines et rurales ? Notre République « une et indivisible » est aussi « diverse ».

Envisagez-vous d'aller plus loin dans la clarification des compétences ? A-t-on encore besoin, maintenant que les ARS sont en place, que les ex-DASS restent dans les départements ?

Le gel des dotations et l'augmentation des dépenses sociales départementales laissent peu de marge de manoeuvre pour assurer le travail d'ingénierie. Le gouvernement envisage-t-il de nouvelles avancées - en matière de compétences et de ressources - pour assurer une meilleure cohésion sociale ?

M. Raymond Couderc. - A en juger par les dernières perspectives en matière de croissance et de taux de chômage, il semble que cette politique de maîtrise des dépenses publiques est opportune. Et il était nécessaire de clarifier les différents échelons de compétences. Mais l'État n'aurait-il pas dû, au lieu de préparer sa réforme tout seul, le faire en concertation avec les collectivités territoriales, puisque cette RGPP a de notables conséquences sur celles-ci ?

Mme Michèle André. -Les sous-préfets nous disent qu'ils ont du mal à continuer à faire du conseil, qu'ils ne font quasiment plus de contrôle de légalité et qu'ils s'interrogent, lorsqu'ils ne disposent plus que d'un fonctionnaire de catégorie A, sur la possibilité de remplir leur mission de conseil. Certains vont aussi, chaque matin, travailler en préfecture... Quelle est votre doctrine à ce sujet ?

Sur le contrôle de légalité : un personnel moins nombreux ne peut que contrôler moins d'actes, ce qui pose des problèmes aux élus.

Sur les titres : les photographes attendent un décret qui mette fin à la prise de photographies en mairie. Quand sortira ce décret et quand sera mise en place la carte nationale d'identité biométrique et électronique ? Actuellement 2 000 communes assurent la prise des empreintes et la démarche du CERFA mais ce ne sont pas les communes de naissance. Faudra-t-il modifier le réseau ? Certaines communes pourraient délivrer ces cartes d'identité avec le même matériel mais cela risque d'être plus compliqué dans les grandes.

Mme Catherine Deroche. - Le rapprochement entre police et gendarmerie a tout d'abord suscité des inquiétudes mais j'ai récemment entendu le responsable de la gendarmerie du Maine-et-Loire le qualifier de très positif. Ce rapprochement connaîtra-t-il d'autres évolutions ? On entend la gendarmerie et la police se plaindre d'avoir à gérer les procurations électorales. Quelle autre solution peut-on envisager ? On demande le maintien des sous-préfectures en zone rurale mais il faudrait définir précisément leurs nouvelles fonctions.

M. Adrien Gouteyron - Où en sont les schémas régionaux pour l'immobilier de l'État ? Tout le territoire est-il couvert ?

Question du maire d'une petite commune : l'organisation de la gendarmerie en comités de brigades peut varier. Dans mon département, on peut les redéfinir. Comment y associer les élus ? Autre problème : le maire n'a d'autre moyen, pour exercer ses pouvoirs de police, que de faire appel aux gendarmes. Or, ceux-ci sont de moins en moins disponibles...

M. Claude Guéant, ministre. - Je dis clairement que les sous-préfectures doivent être maintenues, sauf exception en cas de consensus local. Cela pose évidemment la question de leurs missions. Elles sont un représentant de l'État, proche des maires, des citoyens, des associations. La difficulté vient de ce qu'elles avaient auparavant deux missions : le conseil juridique ou contrôle de légalité et la délivrance des titres. Le transfert du contrôle de légalité à la préfecture permet un contrôle plus pointu. Auparavant ce contrôle de légalité était souvent fait par deux agents non spécialisés, perdus dans le dédale des différentes règlementations. Des agents plus compétents sont garants d'une meilleure sécurité juridique. A l'avenir les sous-préfectures pourraient être les relais des politiques prioritaires de l'État ; la transition ne serait pas facile car les agents des sous-préfectures étaient des agents d'exécution et, lorsqu'on a fait toute sa vie des cartes grises, on ne s'improvise pas conseiller en matière d'emploi.

Monsieur Guillaume, l'informatisation, la télétransmission et le télétravail permettront en effet de délocaliser le travail. J'ai vu une sous-préfecture faire la sous-traitance d'une préfecture. Dans la sous-préfecture de Châteaubriant, trois agents travaillent sur la délivrance de titres, comme s'ils étaient à la préfecture, ce qui a évité leur déménagement.

Mais les services de l'État n'ont pas tous vocation à réaliser l'aménagement du territoire : la carte militaire, par exemple, n'est pas faite pour ça. Et la réforme de la DGFIP, avec la disparition de certaines trésoreries démontre que, lorsque plusieurs services sont rassemblés en un même lieu, le service public est amélioré. Faut-il aller plus loin, par exemple dans le secteur de la santé ? Les anciennes DASS ne représentent que peu d'agents. La question est posée mais l'État doit disposer d'un minimum de masse critique pour pouvoir réagir lors de circonstances exceptionnelles.

Monsieur Couderc, vous demandez si la concertation avec les collectivités a été suffisante. Si vous posez la question, c'est qu'elle n'a pas été suffisante. On aurait dû faire davantage, y compris avec les agents de l'État qui peuvent être fiers des réformes accomplies.

Monsieur Gouteyron, il peut y avoir des variations dans l'organisation des comités de brigade. Il faut que cela se fasse en lien étroit avec les élus. J'ai demandé aux commandants de brigades de gendarmerie d'informer davantage les élus de l'activité de leur brigade et de l'actualité de la sécurité telle qu'ils la ressentent.

Madame André, la carte nationale d'identité électronique sera l'occasion d'implanter 300 stations supplémentaires. Le décret sur les photographies est au Conseil d'État, il sera publié avant l'été et le 31 décembre 2011 sera le dernier jour des photos en mairie. La proposition de loi Lecerf sur la protection de l'identité passera le 31 mai devant le Sénat. C'est un texte important.

Madame Deroche, je vous confirme que les rapports entre police et gendarmerie sont excellents et que c'est un plaisir de constater leur esprit de collaboration.

J'ai cité un exemple tout à l'heure, mais il y en a bien d'autres.

Les gendarmes sont extrêmement attachés à leur statut militaire. Le gouvernement aussi. Bien sûr, la distribution des rôles doit être équitable. Je m'y attache.

M. François Patriat, président. - Conjuguer la RGPP, la réforme de la taxe professionnelle et la réforme des collectivités territoriales : telle est source des difficultés. On peut donc s'interroger légitimement sur l'opportunité d'une pause.

D'autre part, nous ne connaissons pas la répartition par départements des suppressions de postes opérées dans les ministères.

M. Claude Guéant, ministre. - Je vous les communiquerai.

Comme vous le savez, 15 escadrons de gendarmerie mobile ont été dissous ou doivent l'être. Pour l'essentiel, les postes seront affectés à la gendarmerie départementale, la pacification des rapports sociaux permettant de privilégier la sécurité au quotidien.

Jeudi 26 mai 2011

- Présidence de M. Jean-Luc Fichet, vice-président -

Audition de M. Emmanuel Rébeillé-Borgella, secrétaire général du ministère de la justice et des libertés

M. Jean-Luc Fichet, président. - Je vous présente les excuses du président Patriat, qui anime cette mission sur la RGPP et que je tenterai de remplacer aujourd'hui. Monsieur le secrétaire général, nous vous avons demandé de venir nous exposer les conséquences de la RGPP sur le monde judiciaire. Nous en avons déjà quelques aperçus après notre visite auprès de juridictions de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. La Première présidente, le parquet et le bâtonnier nous ont déjà donné quelques avis.

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella, secrétaire général du ministère de la justice et des libertés. - Nous adresserons au Sénat, à la fin de la semaine prochaine, la réponse écrite, et notamment chiffrée, au questionnaire que vous nous avez envoyé. A la différence des autres ministères, à la Justice, la RGPP n'avait pas pour objectif premier de réduire les effectifs mais plutôt de rationaliser leur répartition. Si elle a surtout concerné les fonctions support, les trois secteurs du ministère que sont le monde judiciaire, l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ont été diversement affectés. L'administration pénitentiaire bénéficie d'un programme de construction d'établissements et, dans le monde judiciaire, compte tenu de la nécessité de renforcer les juridictions, la RGPP, n'a pas eu pour objectif la règle du « un sur deux ». La réduction des effectifs a donc été partielle.

Passés la première réaction et les commentaires suscités par la réforme de la carte judiciaire, la RGPP est nonobstant perçue aujourd'hui de manière parfaitement positive. J'ai pris mes fonctions il y a neuf mois et je constate que parmi les professionnels, chefs de cour et de juridiction, les données macroéconomiques comme la nécessité de maîtriser la dépense publique, de rationaliser et d'améliorer le service rendu et, sinon l'efficience, du moins l'efficacité, sont maintenant beaucoup mieux admises. Il n'en va pas de même dans toutes les organisations syndicales...

Les chefs de cour portent désormais un jugement positif sur la réforme de cette carte, estimant qu'elle a permis un indispensable recalibrage des moyens humains affectés à certains tribunaux d'instance et de grande instance, et de mieux les répartir là où ils étaient nécessaires. Cette approbation n'est pas forcément exprimée publiquement, mais, dans les discours de rentrée de TGI ou de cour d'appel, on ne discerne plus de désapprobation de principe, alors même que 170 tribunaux d'instance ou de proximité ont été supprimés, ainsi que 23 TGI. Nous n'avons pas encore pu mesurer le gain en termes d'efficacité, c'est-à-dire de raccourcissement des délais de jugement dans les juridictions qui ont été renforcées, car la réforme de la carte des tribunaux de grande instance n'a été achevée qu'à la fin de 2010. Pour quelques uns des tribunaux d'instance, dont la réforme a été terminée un an auparavant, je pourrai vous fournir l'évolution des délais de traitement des dossiers au civil et au pénal.

M. Jean-Luc Fichet, président. - La majorité des élus que nous avons rencontrés nous ont dit avoir souffert du manque de concertation : ils ont subi la RGPP. J'ai entendu des maires, des présidents d'intercommunalité s'offusquer de la fermeture de leur TGI ; lorsqu'elle s'est ajoutée à celles résultant de la réforme des cartes sanitaire et militaire, ils considéraient que leur collectivité était sinistrée. En réalité, comment cela s'est-il passé avec les élus ?

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - On avait mis en place un dispositif à deux étages. En interne, les chefs de cour avaient mission de se concerter avec leurs personnels et avec les professions judiciaires. Quant aux préfets, ils ont été chargés d'organiser la concertation avec les élus et les chambres consulaires. Cela a été fait, avec plus ou moins de zèle selon les cours et selon les régions administratives. La suppression des tribunaux d'instance a en effet pu poser des problèmes d'accès au droit auxquels le ministère tente de remédier en installant, en liaison avec les collectivités locales. Nous créons des Maisons de la justice et du droit dans les communes éloignées des TGI. Je n'irai pas jusqu'à dire que cela constitue une compensation, une contrepartie ; simplement, nous mettons en place ces Maisons « nouvelle génération », travaillant avec les 94 centres départementaux d'accès au droit, là où elles paraissent nécessaires et dans la mesure du possible. Actuellement il y a 196 de ces Maisons : les nouvelles sont mieux informatisées, les collectivités locales leur fournissent le local, le ministère finance à 85% les travaux et aménage les dispositifs informatiques. Les tribunaux d'instance ont été supprimés lorsque leurs magistrats étaient trop peu nombreux donc trop peu spécialisés pour organiser un service suffisant. Il y avait des raisons objectives, indépendantes de la RGPP.

Si je comprends la réaction des élus locaux, je ne peux personnellement qualifier le processus de concertation dans son ensemble.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - En quoi la carte judiciaire, la visioconférence et la dématérialisation des procédures ont-elles simplifié et amélioré la vie du justiciable ? Les différentes cartes (judiciaire, sanitaire, etc.) se chevauchent. Lors de l'élaboration de la carte judicaire y a-t-il eu des échanges avec les autres ministères ?

J'ai cru comprendre que le transfèrement des détenus serait désormais assuré par l'administration pénitentiaire. Où en est-on ? Et les moyens autrefois affectés à la police et à la gendarmerie pour cette mission ont-ils été transférés à la Justice ?

Quelles mesures de mutualisation le ministère envisage-t-il pour les cours d'appel et les autres juridictions ? On n'a pas beaucoup touché aux cours d'appel. Leur organisation était-elle parfaite ?

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Pour l'usager, l'intérêt de la RGPP, c'est-à-dire du renforcement et du regroupement des juridictions, de leurs effectifs et de leurs moyens se mesure à la rapidité des jugements rendus. On ne peut en revanche quantifier ce qui a été perdu en termes de qualité du fait des suppressions. Cassiopée, qui n'est pas une chaîne applicative dématérialisée, n'a pas d'impact direct sur les usagers ; elle vise seulement à mieux organiser les données de base de la procédure pénale et à ainsi permettre aux acteurs des juridictions de mieux fonctionner. Elle n'a donc que des effets indirects en termes de capacité de traitement des dossiers et de diminution du stock de peines à exécuter - Le ministre M. Michel Mercier y est très vigilant.

Nous faisons un gros effort pour équiper les établissements pénitentiaires et les juridictions pour la visioconférence, qui améliore sensiblement le travail entre la justice et les professionnels, entre les juridictions et la police, la gendarmerie ou l'administration pénitentiaire. Les professions judiciaires pourraient également l'utiliser, mais magistrats et avocats ont une réticence culturelle à l'encontre de la visioconférence à laquelle ils reprochent de supprimer le contact avec le détenu, qui est parfois nécessaire. Pour l'instant, cette pratique n'a pas eu d'effet direct sur les usagers. En revanche, nous mettons en place des dispositifs informatiques, par exemple dans la gestion des majeurs protégés sous tutelle, afin d'échanger les informations nécessaires. Et nous préparons un portail grand public d'accès aux juridictions qui permettra aux usagers d'avoir toutes informations sur le fonctionnement de ces juridictions et sur les procédures. Un GIP a été créé avec la Caisse des dépôts et consignations. Nous tentons de le programmer pour 2013 mais le budget ne suit pas. Ce portail serait pourtant d'autant plus nécessaire que l'Union européenne a le projet d'en faire un pour les usagers des justices européennes et que la France est pilote dans cette affaire.

La carte judiciaire ne correspond pas à la carte administrative puisqu'il y a en métropole 30 cours d'appel contre 22 régions. La carte de l'administration pénitentiaire et de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est différente de celle de droit commun. Pour l'administration pénitentiaire, il y a 9 Directions interrégionales (c'est le niveau zonal), mais pas de structure départementale, le nombre d'établissements étant variable selon les départements. La RGPP a rationalisé la carte de la PJJ en supprimant les petites directions départementales qui étaient sous le seuil critique : maintenant, il n'y a plus que 50 directions départementales ou interdépartementales pour la PJJ. Les services de probation et d'insertion sont départementalisés.

La carte des cours d'appel a été étudiée place Vendôme. On a décidé de ne pas en réduire le nombre en raison de l'impact que cela aurait sur les personnels et sur la charge de travail qui retomberait sur les cours d'appel appelées à grossir ; à cela s'ajouterait le coût de l'immobilier et les frais de fonctionnement de grosses cours d'appel, soit de 800 millions à 900 millions. Si on ne prévoit pas de réorganiser leur carte pour la rapprocher des 22 régions administratives, on a, en revanche, créé 18 plateformes Chorus pour les 35 cours d'appel. Et il n'est pas exclu que nous réduisions aussi le nombre de centres Chorus pour les services judiciaires, en mettant en place des plateformes interrégionales de service pour mutualiser les moyens et effectifs dans les fonctions immobilier, ressources humaines, action sociale, formation et handicap. Sur les fonctions budgétaires et comptables, il y aura une seule plate-forme Chorus pour gérer les quatre grands programmes du ministère.

Il n'y a pas adéquation principielle entre Justice et Santé. Ces ministères n'ont pas travaillé à coordonner les cartes judiciaire et sanitaire.

Un arbitrage a prévu qu'à partir de 2011, les transfèrements et extractions seraient assurés par l'administration pénitentiaire, ce qui a des conséquences sur les moyens et effectifs, sur l'organisation entre établissements pénitentiaires et juridictions, et sur l'utilisation de la visioconférence. Les ministères de la Justice et de l'Intérieur diffèrent dan l'appréciation des moyens et effectifs nécessaires pour ces transfèrements. Le chiffre acté est de 800 ETP, ce qui nous semble un peu sous-évalué. Le nouveau dispositif sera mis en place dans les cours d'appel de Metz, Nancy, Riom et, en fin d'année, à Caen. Depuis avril une expérimentation est en cours à Épinal et entre Moulins et Cusset, qui permettra d'apprécier les chiffres réels.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Votre ministère, avez-vous dit, n'est pas affecté par la règle du « un sur deux ».

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Sauf pour les fonctions support.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Donc, vous conservez vos effectifs. Aurez-vous 800 ETP supplémentaires  pour le transfèrement ? Si ce chiffre est sous-évalué, vous serez obligés de prendre le différentiel sur vos effectifs actuels.

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Il s'agit de 800 postes transférés. Pour ces extractions judiciaires, la situation en matière d'ETP est tendue. L'utilisation de la visioconférence éviterait des transfèrements inutiles. Mais cela exige de sensibiliser les magistrats qui n'y sont pas tous favorables. Et cette nouvelle tâche de l'administration pénitentiaire exige un très lourd travail d'organisation et de planification entre cette administration, les juridictions et les magistrats instructeurs. C'est une lourde charge pour les responsables de juridiction qui doivent estimer la longueur de chaque audience.

M. Jean-Luc Fichet, président. - Les élus locaux jugent que la nouvelle carte prive les justiciables de services de justice de proximité. Les justiciables doivent faire des kilomètres pour répondre à une convocation, alors même qu'ils sont déjà dans une situation sociale précaire. On s'expose à constater de plus en plus de non-réponse aux convocations.

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Le ministère, conscient du problème, envisage en compensation de densifier le réseau des Maisons de la justice et du droit dans les communes éloignées d'un tribunal d'instance ou de grande instance. Mais on ne peut nier que c'est une compensation insuffisante. L'objectif est de trouver le bon équilibre entre taille critique des juridictions et accessibilité à la justice pour tout usager. En 2010 et 2011, nous créons 16 nouvelles Maisons. Les services de probation et d'insertion, eux, sont organisés sur une base départementale depuis 1999 et la RGPP n'a pas eu d'impact sur eux.

M. Jean-Luc Fichet, président. - Mais ils sont rattachés à des tribunaux. Et ces tribunaux sont transférés ! Par exemple, on a fermé le tribunal d'instance de Morlaix. Il faut désormais aller à Brest, et on a invité les antennes du Service pénitentiaire d'insertion et de probation à suivre le tribunal d'instance à Brest, ce qu'elles ont fait. Les bornes interactives sont installées dans des locaux multiservices. C'est une difficulté supplémentaire pour les justiciables. Finalement, les frais économisés par les tribunaux sont maintenant payés par l'usager. Le manque de contact nuit à l'essentiel, la relation du justiciable avec le juge et l'avocat.

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - C'est pour cela que nous tentons de mettre en place la visioconférence de façon mesurée car, en effet, à certains stades de la procédure, il faut un contact direct entre magistrat et prévenu. La Cour européenne des droits de l'homme a émis une prescription à ce sujet. Mais il y a certaines autres étapes de la procédure où il est vraiment inutile d'extraire le détenu, d'autant qu'il peut, pour donner un renseignement, rester une journée entière dans l'enceinte du tribunal dans un lieu guère plus agréable que sa cellule ; sans parler des risques que comporte toute extraction. Même s'ils ne fétichisent pas la visioconférence, les services judiciaires sont beaucoup plus équipés en la matière que les commissariats - ce qui, d'ailleurs, pose un problème pour la réforme de la garde à vue.

M. François Fortassin. - Citoyen et justiciable, je constate qu'on reproche à la justice d'être lente et d'utiliser un galimatias tel que le justiciable moyen devient un Béotien ne comprenant ni pourquoi il est condamné, ni pourquoi il est acquitté. D'autant que l'immense majorité des prévenus est souvent d'un bas niveau socioculturel. Ya-t-il eu amélioration sur ces deux points ?

Sur les transferts : serait-il inconcevable de déplacer les magistrats, plutôt que les détenus ? Il y aurait dans chaque maison d'arrêt une pièce prévue pour cela, qui ferait office d'annexe du tribunal. Et on n'aurait pas besoin du concours de forces de police ou de gendarmerie. Je m'étonne qu'on n'ait pas pensé à faire cette économie...

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Il y a la procédure judiciaire et les perceptions subjectives. Le droit imposant une technique, le vocabulaire juridique restera toujours décalé par rapport aux connaissances des justiciables. Dans les procès pénaux, certains magistrats font l'effort d'expliquer la logique de la décision, afin qu'elle soit bien comprise. Mais il est vrai que l'explicitation des décisions de justice pourrait être améliorée afin qu'elles soient traduites dans un langage plus accessible au commun des mortels.

M. François Fortassin. - Dans un langage moins ésotérique.

M. Marc Nielly, chargé de mission RGPP au ministère de la Justice. - Cet effort a été fait récemment pour le classement sans suite : on a conservé les termes juridiques mais on les a aussi traduits. C'est maintenant systématique.

M. Jean-Luc Fichet, président. - L'élu que je suis reçoit souvent en mairie des justiciables qui me présentent leur courrier en me disant : « je n'y comprends rien ! ».

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Un gros effort a été fait pour l'accueil des justiciables dans les juridictions. On les renseigne sur l'aide juridictionnelle, sur les délais avant une convocation etc. Des ETP sont consacrés à cette tâche. J'ai constaté la semaine dernière qu'au TGI de Mulhouse quatre personnes sont employées en permanence à aiguiller le justiciable.

Déplacer les magistrats dans les prisons plutôt que les détenus dans les tribunaux ? Le juge d'application des peines se déplace dans les établissements pénitentiaires parce que c'est consubstantiel à sa mission. Mais ce serait beaucoup plus difficile à obtenir des magistrats instructeurs. A l'heure actuelle, c'est peu envisageable...

M. Marc Nielly. - Et les déplacements prendraient au magistrat instructeur un temps précieux, ce qui réduirait considérablement son rendement et sa capacité à traiter rapidement les dossiers.

M. Jean-Luc Fichet, président. - On voit aussi cela pour le temps médical.

M. François Fortassin. - Mais parfois, on fait déplacer un détenu pour une signature !

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Les avocats, tout autant concernés, restent aussi au tribunal. Le déplacement en prison est étranger à leur pratique professionnelle. Leurs objections d'organisation et de principe sont les mêmes que pour les magistrats.

M. Jean-Luc Fichet, président. - La proposition est un peu provocatrice pour la culture professionnelle des magistrats, mais quelles conséquences la RGPP a-t-elle eues sur les avocats. ? Et comment voyez-vous la suite de cette RGPP dans le monde judiciaire ?

M. Emmanuel Rébeillé-Borgella. - Un gros chantier est actuellement engagé dans les services judiciaires. Il vise à décomposer et rationaliser les processus de gestion des affaires civiles, sociales, pénales, commerciales, etc., pour les rendre plus efficaces et parvenir à des économies. Soutenu par la Direction générale de la modernisation de l'Etat, il n'est pas spécifique au ministère de la justice. Engagé en 2010 dans les cours d'appel de Poitier, Rouen et Montpellier, il sera étendu en 2011 et 2012 à une quinzaine d'autres cours d'appel et à une trentaine de TGI. Ces processus visent à expertiser la façon dont le travail se fait dans les juridictions et, dans les trois cours d'appel expérimentales, il a permis d'économiser 20% du temps de travail. Ce chantier d'envergure qui permet d'améliorer la rapidité des services, suppose la remise en cause des pratiques professionnelles, notamment dans le sens d'un travail plus collectif entre les magistrats et les greffes comme entre les différentes chambres. Au final, cela peut bénéficier au justiciable du fait que cela permet de traiter plus rapidement les dossiers et d'économiser des emplois lesquels peuvent être mieux utilisés ailleurs. Au départ, les magistrats des cours d'appel et des TGI étaient un peu réservés, considérant qu'il s'agissait là d'une application technocratique de méthodes pensées pour le privé par des cabinets de conseil. Avec le temps, leur avis devient plutôt positif et c'est pourquoi nous avons étendu l'expérimentation. Le bilan sera plus net à la fin de 2012.

La réforme de la carte judiciaire est terminée.

Il faudra maintenant mesurer les apports de Cassiopée et autres dispositifs informatiques. Le portail grand public, encore soumis à des arbitrages budgétaires, pourrait avoir des effets très importants pour le grand public.