Mercredi 30 mars 2011

- Présidence de M. François Patriat, président -

Audition de M. Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF)

M. François Patriat, président. - Nous sommes heureux de vous accueillir pour vous entendre nous livrer vos observations quant à l'impact de la RGPP sur les communes rurales.

M. Vanik Berberian, président de l'AMRF. - Puisque vous m'invitez à parler librement, je le ferai avec plaisir. Il est vrai que si la RGPP préoccupe, depuis plusieurs années déjà, l'ensemble des élus, le regard que portent sur elle les maires des communes rurales, qui vivent une situation très spécifique, peut apporter un éclairage nouveau.

L'idée de réformer les politiques publiques n'est pas en soi mauvaise. Rationaliser, simplifier, économiser pour mieux servir sont autant d'objectifs louables. Mais la méthode, qui détermine l'environnement psychologique, compte pour beaucoup. Elle peut conduire à l'échec. C'est ce que l'on a vu se passer avec la RGPP. Les élus ruraux l'ont vécue comme un mouvement de reflux de l'État, qui les laisse démunis face à la marée de normes qu'ils voient, dans le même temps, monter. D'où un sentiment d'abandon très palpable. Les maires de communes rurales ont de plus en plus de mal à assumer leur mandat, et cela déborde largement le seul domaine de l'ingénierie publique.

La méthode compte pour beaucoup, disais-je. Ainsi, clamer dans les medias que l'on ne remplacera pas un fonctionnaire sur deux partant à la retraite sans autre explication, sans distinguer la nature de ceux qui ne seront pas remplacés, sans avoir réfléchi à la manière dont les tâches seront par la suite assumées, c'est plonger les gens dans l'incertitude.

L'AMRF n'a pas été associée au processus. Des explications a minima nous ont été délivrées au cours d'une réunion avec le préfet, mais il n'y a eu aucune concertation. Et nous voici aujourd'hui avec ce sentiment de n'avoir plus d'interlocuteur face à nous : raréfaction générale des politiques publiques, c'est ainsi que beaucoup développent aujourd'hui le sigle de la RGPP.

M. François Patriat, président. - Pouvez-vous nous donner des exemples précis qui viendraient corroborer ce sentiment d'abandon ? Concerne-t-il les écoles, la gendarmerie... ?

M. Vanik Berberian. - L'ensemble des services publics. Je vous conterai une anecdote significative. J'ai dernièrement reçu une lettre de la part d'un cabinet d'analyse des eaux pour m'informer que j'aurai désormais à faire une fois par an une analyse des eaux chaudes dans les établissements accueillant du public. Il est tout de même significatif que ce soit un cabinet privé, et non pas les services de la préfecture, qui m'informe de l'existence d'une norme nouvelle... pour me proposer ses services !

Ecoles, gendarmerie, voirie : dans tous les domaines, on a de plus en plus de mal à trouver un interlocuteur compétent, voire un interlocuteur tout court. Lorsque j'interroge le sous-préfet sur un dossier, il me répond qu'il lui faudra du temps pour me répondre, tant s'est alourdie la charge de travail. Je suis maire depuis 1989. A cette époque, je voyais les gendarmes régulièrement : ils venaient à la mairie faire des photocopies. Aujourd'hui, je ne les vois plus, et ce n'est pas seulement parce qu'ils ont leur propre photocopieuse : ils ont été réorganisés en comités de brigade.

Il y a pire. L'État n'assume pas les engagements qu'il a pris auprès des communes. Je pourrais citer l'exemple des contrats éducatifs locaux, financés pour partie par le syndicat des écoles. En juillet, nous avons reçu une lettre de la direction de la jeunesse et des sports nous informant qu'elle ne pourrait pas nous servir les crédits annoncés au contrat, et qu'elle n'avait aucune certitude pour l'an prochain. Il ne nous reste plus qu'à financer le complément ou à réduire les activités.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Je suis maire d'une commune de 500 habitants et vis au quotidien les problèmes que vous évoquez. Pour revenir à la question de la maîtrise d'ouvrage, cependant, n'est-il pas difficile de faire la part entre désengagement de l'État et dispositions européennes relatives à la concurrence ? J'ai élaboré une enquête auprès des départements, parmi les sujets qui posent problème, l'assistance à la maîtrise d'ouvrage est systématiquement mentionnée. Le ministre me répond qu'il ne faut pas l'imputer à la RGPP, mais aux règles européennes, tout en m'assurant que l'État travaille à maintenir ses prestations. Il y a deux mois, le Président de la République, a avancé l'idée de la polyvalence des agents de l'État. Comment pourrait-elle, d'après vous, se concrétiser ?

M. Vanik Berberian. - Invoquer les règles de la concurrence est bien étrange. Pour qu'il y ait concurrence, il faut plusieurs offres. Or, le plus souvent, l'interlocuteur n'est plus là, et il n'y a personne pour tenir sa place.

Etre polyvalent, pourquoi pas, mais on ne peut s'improviser tel. C'est plutôt à un empilement que nous assistons. On retire des postes de fonctionnaires et ceux qui restent, même s'ils sont polyvalents, croulent sous les tâches. Promouvoir la mutualisation en réponse à la réduction des moyens est intellectuellement satisfaisant, mais dans les faits, ce n'est pas la mutualisation qui prévaut, c'est l'accumulation. Et les responsabilités se déplacent, du même coup, vers les pôles urbains d'échelon supérieur. Voilà à quoi l'on aboutit quand on mène la réforme sans y avoir réfléchi en amont : les décisions arrivent brutalement, les tâches se sédimentent et l'administration se sclérose. Envoyer des réponses sur les questions d'urbanisme par internet ? Très bien, mais quand elles arrivent deux jours avant la date butoir, les services n'ont pas le temps de traiter les dossiers...

M. Dominique de Legge, rapporteur. - M. Miquel, qui ne pouvait être aujourd'hui parmi nous, estime que compte tenu de la décentralisation, il n'est pas incohérent d'envisager que l'assistance à la maîtrise d'ouvrage ne soit plus assurée par l'État mais par les collectivités ou leurs groupements, sous réserve de compensation. Qu'en pensez-vous ?

M. Vanik Berberian. - La question du financement est primordiale, qu'il revient à l'État, responsable, d'assurer. Autre chose est la répartition des responsabilités de gestion. Je ne vois pas d'obstacle à la mettre entre les mains d'une communauté de communes ou d'un service départemental, pour autant qu'elle reste efficace. Car déplacer le traitement du dossier ne change rien au fond. Ce qui compte, c'est de simplifier le circuit et de donner les moyens de traiter les dossiers. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Pierre-Yves Collombat. - Quid cependant, dans ce cas de figure, du principe constitutionnel qui veut qu'une collectivité ne puisse exercer sa tutelle sur une autre ?

Quant à l'exigence d'information sur les changements de normes, j'ai bien compris votre parabole : apprendre qu'une règle nouvelle a été édictée d'un cabinet privé ou de la préfecture ne change rien au plan pratique, mais tout dans l'ordre symbolique.

M. Vanik Berberian. - Pour respecter le principe constitutionnel, il faut bien distinguer entre celui qui traite le dossier et celui qui détient la signature. Que l'instruction du dossier dépende de l'intercommunalité, fort bien, mais le maire doit garder la signature. On mutualise les moyens, mais pas l'autorité et les pouvoirs.

Il est vrai que la provenance de l'information ne change rien, mais qu'elle ne vienne plus des services préfectoraux renforce le sentiment de disparition de l'État. Est-ce aller dans le sens de l'histoire que d'aller vers un État virtuel ? Je n'en suis pas convaincu. Pour nous, la présence de l'État dans ses sous-préfectures est primordiale. Nous avons besoin d'interlocuteurs incarnés. L'éloignement des lieux de décision, vers le chef lieu de département, et un jour peut-être vers le chef lieu de région, nuit à la proximité sans être ni plus efficace, ni plus économe. Où est donc l'intérêt ?

M. Jean-Luc Fichet. - Evaluer les politiques publiques pour améliorer le service rendu aux administrés n'est pas incongru, nous avez-vous dit. La RGPP poursuit trois objectifs : améliorer la qualité du service public, réduire les dépenses publiques, moderniser la fonction publique. Avez-vous le sentiment que ces objectifs sont atteints ?

Une enquête menée par la C.F.D.T. cadres fait apparaître que 55 % d'entre eux ont le sentiment de bien faire leur travail, mais dans une situation de surcharge telle qu'ils risquent à tout moment la faute, et que 25 à 30 % se disent isolés, perdus tandis que d'autres se posent la question du sens, s'inquiétant de voir se dégrader à grande vitesse le souci de l'intérêt général et avec lui, la considération pour le service public.

M. Vanik Berberian. - Aucun de ces objectifs n'est atteint. Un tel chantier exigeait que l'on recherche le consensus. Personne n'aura jamais rien à redire aux objectifs, car qui pourrait être contre plus d'efficience ? Mais à user de la méthode violente, sans concertation, on passe à côté du sujet. La seule alternative, pour les communes rurales, c'est soit de faire les choses en douce, en prenant le risque de l'illégalité, soit de ne rien faire, au détriment de l'aménagement du territoire. Voilà pourquoi la RGPP est mal ressentie.

Mme Catherine Deroche. - Avez-vous interrogé vos adhérents ?

M. Vanik Berberian. - Oui, et il nous est revenu beaucoup d'exemples de dysfonctionnements, dans tous les domaines. Gendarmerie, éducation nationale, santé, selon les départements, c'est l'une ou l'autre rubrique de l'action publique qui est davantage mise en cause.

M. François Patriat, président. - Et le contrôle de légalité ?

M. Vanik Berberian. - On sait qu'il est désormais aléatoire, d'où un sentiment d'insécurité. Si certains, et ce n'est pas l'attitude la plus glorieuse, se réjouissent à l'idée de passer entre les gouttes, les autres regrettent que leur manque cette fonction, qui joue aussi comme force de conseil. Longtemps, les sous-préfectures ont incarné, pour les communes, la règle et la compétence. Aujourd'hui, l'un et l'autre versants sont perdus.

Mme Christiane Demontès. - Je ne suis pas maire de commune rurale mais de banlieue, et je me reconnais pourtant dans vos propos. Le regroupement qui s'opère aujourd'hui des services préfectoraux suscite, paradoxalement, des cloisonnements qui isolent les agents. Et c'est souvent le maire qui doit faire le lien. Avez-vous le même sentiment, en milieu rural ? Cela est parfaitement contraire à l'esprit qui devrait présider à toute modernisation visant un meilleur respect de la règle et un meilleur conseil. On assiste, en même temps qu'avance la RGPP, à un effritement de l'Etat.

M. Vanik Berberian. - Il est clair que nous avons bien des choses en commun. L'an dernier, à l'occasion d'une conférence de presse sur la réforme de la fiscalité des collectivités, j'ai pu constater que j'étais souvent sur la même longueur d'ondes que le président de l'Association des maires villes et banlieue. Les problématiques liées à la mobilité, à la santé, nous sont communes.

Il arrive, en effet, que le maire doive faire le travail. Quand il est expérimenté, il s'en sort, mais les nouveaux élus sont surpris et poussés, par le fait, à une forme d'inertie. On n'a pas réfléchi, en lançant cette réforme, à la simplification des procédures, ce qui laisse tout le monde dans l'incertitude. J'assistais hier à une réunion du conseil général de l'Indre qui cherche à instaurer ce que l'on appelle des circuits courts pour les cantines des écoles primaires. C'est un projet complexe à mettre en place. Beaucoup de questions se posent. Or, j'ai été affligé de constater que le chef de service du préfet se comportait, par le flou de ses réponses, comme un frein. « C'est compliqué », « il faudra que je me renseigne », « je ne sais pas si vous pouvez » : il n'était pas capable de donner la moindre précision ! Sur certains points, c'est le conseil général qui a dû l'informer. Par où l'on voit les limites de la polyvalence...

M. François Patriat, président. - Je vois bien ce dont il s'agit : une réappropriation de l'agriculture périurbaine, une nouvelle organisation au profit des écoles, des hôpitaux, bref, ce que l'on appelle les circuits courts. Si je comprends bien, vous manquez des ressources de savoir pour avancer en respectant les règles ?

M. Vanik Berberian. - Chacun s'efforce d'agir en apportant ses compétences. Nous avons associé les comités santé.

M. François Patriat, président. - Vous voulez créer une plate-forme ?

M. Vanik Berberian. - La chose est complexe, il faut coordonner les commandes organiser l'approvisionnement auprès des producteurs, la distribution. Sont engagées des règles relatives aux marchés publics, des règles sanitaires : cela est lourd à porter. Le moins que nous puissions attendre de l'administration, c'est qu'elle nous fournisse l'information réglementaire. Nous avons aussi besoin de savoir quelle entité juridique pourrait porter le projet.

M. François Patriat, président. - L'intercommunalité ?

M. Vanik Berberian. - Non, car le périmètre est plus large.

M. Raymond Couderc. - Vous avez évoqué cette réunion où l'administration n'avait pas les réponses, mais y en a-t-il eu d'autres ?

M. Vanik Berberian. - Cela fait trois ans que nous travaillons là-dessus. Ne pas avancer devient démotivant, à la longue !

M. Raymond Couderc. - Les DDE et les DDA, qui avaient l'habitude d'assurer la maîtrise d'ouvrage déléguée et souvent la maîtrise d'oeuvre, se recentrent sur le contrôle, parfois un peu tatillon, comme pour se consoler de n'avoir plus la direction des opérations.

M. Vanik Berberian. - Tout dépend du tempérament du fonctionnaire. Les plus anciens sont bien souvent désabusés. On leur impose un cadre auquel ils ne croient pas, qui ne répond pas aux idéaux qui les avait poussés dans la carrière. Ils sont, en esprit, entrés en résistance et continuent de donner un coup de main. Il en est d'autres, en revanche, qui se retranchent derrière les règles. On finit par tout faire pour se passer d'eux. J'ai ainsi eu un litige avec un fonctionnaire des bâtiments de France. Je me suis tourné vers l'architecte des bâtiments de France, qui a reconnu que ses exigences étaient un peu excessives et m'a donné raison non sans devoir se livrer à quelques contorsions, pour ne pas désavouer son chargé de mission.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Mais cela est sans rapport avec la RGPP.

M. François Patriat, président. - Avec les DIRECCTE, les DREAL, on souffre d'un sentiment d'éloignement. Il est difficile d'obtenir le bon conseil lorsque l'on est éloigné de la préfecture de région.

M. Vanik Berberian. - Voilà. La préfecture de la région centre est très lointaine. Le chef lieu de région est Orléans, alors que je suis plus proche de Limoges. Quand je dois aller à une réunion, cela signifie quatre heures de voyage aller-retour. D'où l'importance du relai départemental, proche du terrain.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Ce sentiment d'éloignement a-t-il émergé depuis la mise en oeuvre de la RGPP ou est-il plus ancien ?

M. Vanik Berberian. - Il existait déjà.

M. Raymond Couderc. - Toutes les régions comportent des zones géographiques à la marge. Dans la mienne, je pourrais citer Castelnaudary, plus proche de Toulouse que de Montpellier.

M. Vanik Berberian. - La région est là pour jouer un rôle de coordination, apporter une vision d'ensemble, assumer les compétences structurantes, mais il y faut des déclinaisons locales, de même qu'il faut savoir passer de la réflexion à l'action concrète. Des schémas de cohérence territoriale, d'accord, pour assurer l'harmonie des espaces, mais la mise en oeuvre, la gestion, c'est localement qu'elle se fait. Nous connaissons le terrain, nous sommes plus réactifs. Puisse ne pas se reproduire l'exemple malheureux de la réforme des perceptions, il y a quelques années. Dans mon département, c'est dans le journal que nous avions appris que deux d'entre elles allaient fermer. Quel défaut de psychologie ! Au Trésorier payeur général, chez lequel nous avions déboulé, nous avions alors fait valoir que nous n'étions pas hostiles à une rationalisation, mais qu'il serait bon, afin qu'elle n'ait pas d'incidence sur le fonctionnement des communes, que nous y soyons associés. Nous avions ainsi fait observer que rien n'obligeait à tout ramener vers le chef lieu. Il nous a répondu tout net que nous avions raison, et n'en a tenu aucun compte : au J.O. de fin d'année, neuf fermetures étaient inscrites. Tout cela a fini comme il fallait s'y attendre, en parpaings pour bloquer les portes, et tout le tremblement. Nous savons comprendre que des fermetures sont nécessaires, mais pas les erreurs de stratégie. Celle à laquelle nous nous sommes heurtés n'a su que suivre un couloir : les murs d'Argenton-sur-Creuse ne suffisent plus, donc il faut construire un nouvel hôtel. Et c'est ainsi que l'on a fermé Eguzon et Saint-Gaultier. Et la même chose se passe avec la SNCF. On supprime les arrêts secondaires, moyennant quoi il faut faire cent kilomètres pour aller prendre le train à Châteauroux.

M. François Patriat, président. - La région va rouvrir des lignes.

M. Vanik Berberian. - Encore faut-il que les trains s'arrêtent.

M. François Patriat, président. - Le cadencement fait son chemin.

M. Vanik Berberian. - Sa rythmique n'atteint pas Argenson. Il faut prendre la voiture.

Les turbo trains sont comme les turbo percepteurs : ils n'ont plus le temps. Je ne vous parle pas des TGV. Autrefois, le percepteur venait s'asseoir à la table pour faire avec vous le budget. Aujourd'hui, on vous dit qu'il peut vous consacrer une demi-heure pour regarder ce que vous avez préparé. Je renonce. La demi-heure, je préfère qu'il la consacre à un maire moins armé que moi.

M. François Patriat, président. - Si je résume sans trahir votre pensée, on peut, au bilan, regretter que la RGPP se soit faite sans concertation avec les maires. Ils n'ont trop souvent été informés qu'après coup des décisions prises. La méthode ne répond pas au besoin d'efficience et d'efficacité économique. J'aimerais connaître, à présent, le point de vue de vos administrés. Comment vivent-ils leur relation à la puissance publique ?

M. Vanik Berberian. - Les secrétaires de mairie vous le diraient mieux que moi : ils sont à la peine. Ce sont eux qui sont en première ligne pour débrouiller les problèmes.

M. François Patriat, président. - Quid des compétences obligatoires, état civil, cartes grises...

M. Vanik Berberian. - Tout passe par le secrétariat communal. Il faut bien comprendre que les gens ne distinguent pas entre compétences de l'Etat et compétences communales. Le secrétaire de mairie est leur premier interlocuteur.

M. François Patriat, président. - Le sentiment d'un chef d'entreprise qui a besoin des documents nécessaires à son implantation ?

M. Vanik Berberian. - Il doit s'armer de patience. Les interlocuteurs sont multiples, les délais, énormes.

M. François Patriat, président. - La RGPP les a-t-elle accrus ?

M. Vanik Berberian. - La RGPP les a accrus.

M. François Patriat, président. - Je vous remercie. Et j'espère que nous vous aurons libéré à temps pour ne pas rater le train de Châteauroux.

Audition de M. Daniel Delaveau, président de l'assemblée des communautés de France

M. François Patriat, président. - Nous auditionnons maintenant M. Daniel Delaveau, président de l'assemblée des communautés de France (ACDF), ainsi que M. Christophe Bernard, secrétaire général. Messieurs, quel bilan faites-vous de la RGPP ?

M. Daniel Delaveau, président de l'assemblée des communautés de France. - Pour être vécue diversement dans les territoires, la RGPP fait l'objet de bien des critiques : les élus intercommunaux constatent un désengagement de l'Etat, en particulier pour l'expertise technique, et ils relient souvent ce qu'ils appellent une « déliquescence » des services extérieurs de l'Etat, à une réaffirmation du contrôle étatique, qui devient parfois tatillon. Je crois ne rien vous apprendre par ce constat, qui est aussi fait par le Médiateur de la République. Chacun convient que la modernisation de l'Etat est un défi à relever, mais l'approche seulement financière est trop réductrice pour tenir lieu de politique. Ce qu'il faut faire plutôt, c'est adapter l'administration territoriale aux évolutions de la société, objectif qui ne saurait se contenter du chas de l'approche comptable.

L'intercommunalité est bien souvent l'échelle pertinente de l'action territoriale, mais les institutions intercommunales sont trop souvent décriées au motif qu'elles exerceraient des compétences qui relèveraient de l'Etat lui-même, en le doublonnant, et l'inflation normative ajoute de la difficulté à la bonne administration territoriale. Je crois qu'il faut tirer davantage les conséquences de la décentralisation, en demandant à l'Etat de se focaliser sur ses missions régaliennes et en aidant les collectivités locales, en particulier les intercommunalités, à gérer leurs territoires.

M. François Patriat, président. - Vous dites qu'il y a des doublons, mais l'Etat, selon vous, assume-t-il correctement ses missions régaliennes ?

M. Daniel Delaveau. - Sur ses missions régaliennes mêmes, l'Etat a désormais besoin de ses partenaires territoriaux et il ne saurait leur imposer des décisions. Mais quand il n'assume pas entièrement ses compétences, les citoyens se retournent naturellement vers les collectivités locales, ce qui nous force à agir. On le voit par exemple en matière de droit d'asile : des collectivités mobilisent des logements d'urgence, alors que la compétence est entièrement entre les mains de l'Etat, qui ne le fait pas. De fait, les agents territoriaux de l'Etat déplorent eux-mêmes la déliquescence des services extérieurs de l'Etat, le constat est unanime.

M. Christophe Bernard, secrétaire général de l'ACDF. - La RGPP a directement visé les missions régaliennes de l'Etat - en supprimant des casernes, des palais de justice, des trésoreries -, avec des conséquences évidentes pour les territoires, elle a aussi diminué considérablement les moyens d'expertise de l'Etat, mais celui-ci paraît se faire plus tatillon dans le contrôle de règlements toujours plus nombreux, notamment dans le domaine de l'environnement. C'est cette disjonction que les élus intercommunaux critiquent.

M. Daniel Delaveau. - Nous constatons diverses formes de recentralisation, une volonté de l'Etat de contrôler davantage l'action publique à mesure qu'il diminue sa participation - c'est le cas avec « l'agencification », la multiplication d'agences nationales, par exemple l'ANRU, qui enjoignent aux collectivités d'agir dans telle ou telle direction, définie à l'échelle nationale, ou encore avec des appels à projets, qui font dépendre le soutien étatique de la poursuite de tel ou tel objectif défini sans tenir compte des contextes locaux. Nous avons le sentiment que moins l'Etat a de moyens, plus il paraît vouloir contrôler, tout en tâchant d'accréditer l'idée que les collectivités locales seraient dispendieuses et mal gérées.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Vous nous donnez votre impression, mais nous avons besoin de faits : avez-vous des éléments plus tangibles ? N'est-ce pas contradictoire, ensuite, de dire que l'Etat retire des moyens, et qu'il contrôle davantage ? La décentralisation implique un certain retrait de l'Etat, c'est légitime ; mais l'Etat exerce-t-il correctement ses missions régaliennes ? Considérez-vous que les EPCI aient vocation à remplacer l'Etat dans les missions d'accompagnement et d'assistance à maîtrise d'ouvrage ?

M. Daniel Delaveau. - Pour citer Gilles Deleuze, je dirais que personne n'est jamais mort de ses contradictions, et si je vous dis mon sentiment vis-à-vis de la RGPP, sachez qu'il ne tombe pas des nues et qu'il se fonde sur des réalités. Un exemple : dans un dossier de construction, un fonctionnaire a exigé que le plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) contienne une étude du risque de crues non pas centenaires, comme le prévoient les textes, mais millénaires ! Cet exemple est caricatural, il n'en n'est pas moins bien réel et il démontre que l'Etat entre parfois en contradiction avec les règles qu'il édicte.

Les EPCI jouent déjà un rôle important et peuvent aller bien plus loin. On le voit dans les politiques du logement, où ils sont délégataires de l'aide à la pierre et où les agglomérations mettent souvent plus de moyens que l'Etat lui-même. A côté de cela, dans le cadre de la politique de la ville, on assiste à des réunions pléthoriques pour distribuer de maigres subventions à des associations locales : c'est là qu'on mesure l'effet de la RGPP ! Ne serait-il pas plus simple et plus efficace de déléguer ces subventions aux territoires, en exerçant un contrôle a posteriori ? Les outils contractuels existent, au service d'une nouvelle étape de la décentralisation, qui passe par plus de confiance dans les administrations territoriales et par une meilleure reconnaissance du fait urbain, je songe en particulier à la métropole.

M. François Patriat, président. - Les intercommunalités ont-elles dû créer des services suite à un désengagement de l'Etat ?

M. Daniel Delaveau. - Oui, par exemple en matière d'urbanisme, où nos agences n'ont plus rien à envier aux services de l'Etat. C'est bien pourquoi je crois que la réforme territoriale doit s'appuyer sur des intercommunalités plus fortes, ou, selon les territoires, sur le département, qui peut devenir, comme le déclarait mon prédécesseur Marc Censi, « le Sénat des intercommunalités » et mutualiser bien des outils inaccessibles à chacune d'elles.

M. François Patriat, président. - Vous prônez le couple département-intercommunalités, comme nous prônons le couple Etat-régions...

M. Charles Revet. - Vous paraît-il possible que l'Etat, sans revenir aux missions de conseil et de maîtrise d'ouvrage telles qu'il les assumait il y a quinze ou vingt ans, puisse cependant aider les collectivités locales dans l'élaboration de leurs projets ? Ressentez-vous que les services extérieurs de l'Etat vont au-delà des exigences réglementaires, en particulier pour l'application du Grenelle ? S'agissant des marchés publics, que pensez-vous de l'idée de relever les seuils de déclenchement des appels d'offres, pour se rapprocher de ce que pratiquent nos voisins ? Ne pensez-vous pas que nous avons des progrès à faire sur la gestion même de certains de nos équipements publics ? Je pense à une piscine municipale sur mon territoire : elle est gérée par une association et nous nous en trouvons fort bien ! Enfin, n'y a-t-il pas une certaine redondance entre les départements, les communautés d'agglomération et les métropoles ?

M. Daniel Delaveau. - Je crois que l'Etat doit s'en tenir à exercer ses missions régaliennes et à contrôler la légalité de notre action.

M. Christophe Bernard. - La ligne de partage entre la pédagogie et la prescription est parfois ténue, de même que celle entre l'Etat concepteur et l'Etat accompagnateur.

M. Daniel Delaveau. - Ce qui gêne bien souvent les collectivités c'est l'enchevêtrement des procédures et des prescriptions sur un même dossier, qui fait perdre du temps et de l'efficacité. De fait, le délai de réalisation des projets s'est considérablement allongé.

M. François Patriat, président. - Par manque de moyens ?

M. Daniel Delaveau. - Je dirais plutôt par l'enchevêtrement des procédures.

Mme Valérie Létard. - Les collectivités ont souvent besoin d'une ingénierie à proximité, telle que l'Etat la leur apportait auparavant. Il s'agirait aujourd'hui, en quelque sorte, de coproduire les projets avec l'Etat, avec un conseil en amont, de telle sorte qu'on ne se heurte pas à une opposition qui apparaît en fin de parcours, par le contrôle, et qui nous oblige à revoir tout le dossier. Une telle procédure est-elle envisageable ?

M. Daniel Delaveau. - On parle de l'Etat au singulier, mais les difficultés concrètes tiennent à ce que l'Etat est pluriel : trop souvent, des services n'interprètent pas les règles de la même façon et nous devons recourir à l'arbitrage du préfet.

M. Gérard Bailly. - Mais qui est l'Etat, aujourd'hui ? Le ministre, le préfet, l'attaché de préfecture zélé ? Qui a exigé, dans le dossier que vous citez, qu'on tienne compte d'une crue millénaire ? Pour l'avenir, ne croyez-vous pas que la coordination de l'action revienne à la direction départementale des territoires ?

M. François Patriat, président. - Le Parlement vote la loi, l'administration applique la réglementation, constatez-vous des décalages territoriaux ?

M. Charles Revet. - J'ai décidé de construire une unité de dénitratation des eaux, rendue nécessaire par la réglementation. Mon appel d'offres est terminé depuis trois ans, mais nous commençons tout juste les travaux, ceci parce que nous avons rencontré à chaque étape de nouvelles obligations, dont nous n'avions pas été informés : nous avons besoin d'un mode d'emploi et nous perdrions moins de temps si l'on nous disait les choses en début de projet !

M. Daniel Delaveau. - La crue millénaire, c'était un service de l'Etat, et j'ai dû remonter au Préfet pour régler le problème.

L'Etat a-t-il les moyens de ses politiques ? Je crois que c'est le problème et qu'il est complexe puisqu'il inclut celui de la modernisation de l'action publique. Ce que nous constatons, c'est le dépit des fonctionnaires eux-mêmes, qui nous disent ne plus avoir suffisamment de moyens pour remplir leurs missions, ou encore leur frustration de ne plus être considérés pour leurs compétences.

M. Michel Bécot. - Vous nous parlez de déliquescence technique des services de l'Etat et d'une « recentralisation » via les agences nationales, les appels à projets ou la contractualisation. Cependant, dès lors que la décentralisation se met en place, comment vous donner plus de moyens pour développer vos propres services ?

M. Daniel Delaveau. - De fait, une mutation est en cours, où se définit une nouvelle action publique territoriale. Je crois beaucoup, pour y parvenir, à la contractualisation, dans son sens plein et entier, celui où le contrat rassemble deux partenaires qui respectent chacun les compétences et les responsabilités de l'autre. Les contrats de plan Etat-région ont montré la voie, celle d'un Etat stratège et animateur.

M. Michel Bécot. - Cependant, pour que cela fonctionne, il faut que l'Etat ait une vision à long terme, ce dont il paraît dépourvu actuellement : cette vision à long terme est davantage du côté des collectivités locales.

M. Daniel Delaveau. - L'idée de contrat renvoie au projet, à la définition d'objectifs, non à la notion d'administration courante.

M. Christophe Bernard. - Le contrat est le point de rencontre entre des objectifs nationaux légitimes de l'Etat - ceux définis par le Grenelle de l'environnement par exemple - et la territorialisation assumée par les collectivités.

Mme Valérie Létard. - La contractualisation est très intéressante pour la politique de la ville et l'accompagnement des populations. Or chaque année les dotations aux associations sont remises en question et chaque année l'Etat, les départements, les communes et les intercommunalités déploient des efforts considérables pour fixer à nouveau le budget de ces partenaires. Donnons-leur une sécurité budgétaire ! Nous l'avons expérimenté dans le Nord-Pas-de-Calais sur certains sujets sociaux, c'est parfaitement envisageable.

Avec les intercommunalités, nous réfléchissons à l'aide que nous pouvons apporter aux territoires en difficulté. Nous avons ainsi décidé de créer un pôle métropolitain : en effet, notre communauté d'agglomération est entourée de nombreuses petites intercommunalités dépourvues de moyens, en ingénierie tout particulièrement. Un syndicat mixte sert à mutualiser les moyens. Il faut optimiser l'action des collectivités, d'autant que les bons projets sont ceux qui sont présentés au bon moment... Lorsque l'Etat n'est plus là, une solution souple comme celle du pôle est intéressante.

M. Charles Revet. - Je suis bien d'accord.

Mme Valérie Létard. - Et l'on peut alors vraiment parler de coproduction ; on traite presque d'égal à égal avec l'Etat.

M. Daniel Delaveau. - Les pôles métropolitains ont le grand mérite de renforcer l'approche territoriale sur des sujets où celle-ci est très nécessaire.

M. François Patriat, président. - Quels sont les effets sur les intercommunalités de la réforme des cartes, militaire, judiciaire, scolaire, hospitalière ?

En 1989, j'étais maire d'une petite commune, sur le territoire de laquelle un groupe étranger investissait 300 millions de francs pour ériger un complexe hôtelier de luxe, avec un golf : je sentais que les difficultés allaient s'accumuler à mesure que le projet se développait. Je m'en suis ouvert au préfet de Bourgogne d'alors, Edouard Lacroix. Il a réuni tous les services concernés dans un local de la commune - jeunesse et sports, culture, DDE, DDA - et il nous a annoncé que nous sortirions de ce conclave... lorsque tous les problèmes seraient réglés. Le soir, tout était fini. Cela serait-il encore possible aujourd'hui ?

M. Daniel Delaveau. - J'ai bien connu le préfet Lacroix et cette anecdote ne m'étonne nullement !

Audition de M. Jean-François Monteils, secrétaire général du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

M. François Patriat, président. - Nous avons reçu M. Baroin il y a trois semaines : il a dressé un bilan élogieux de la RGPP. Lors d'une conférence de presse, il a indiqué qu'elle avait produit 7 milliards d'euros d'économies, bientôt 10 milliards. Selon lui, les trois objectifs ont été atteints, moindres dépenses, meilleure efficacité, réaménagement.

Nous avons entendu des élus locaux, maires ruraux, responsables d'intercommunalités, petites villes, départements, régions bientôt... Nous souhaiterions avoir votre sentiment sur les résultats de la RGPP, en particulier l'efficacité du service rendu aux territoires et l'amélioration des performances.

M. Jean-François Monteils, secrétaire général du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement. - La RGPP a concerné l'ensemble du ministère et de ses opérateurs. Les nombreuses réformes ont touché tous les pans de l'action ministérielle. Mais le sujet le plus symbolique fut la réorganisation de l'administration territoriale, qui a eu un impact énorme sur ce ministère.

La réforme était pilotée par le secrétariat général. J'ai effectué de nombreuses visites sur le terrain. Nombre des objectifs sont à présent atteints, mais une marge d'amélioration subsiste, des gains sont encore possibles. Le Sénat, en juin 2000, avait publié un rapport d'information sur l'administration territoriale. Il estimait alors que « l'effet des restructurations est trop limité », que « trop de directions se côtoient dans un même département». Il mettait en avant l'expérimentation menée depuis 1997 dans quelques départements et appelait de ses voeux une simplification et un regroupement autour de quelques pôles : population, santé, sécurité, équipement, économie. Prescience de la Haute Assemblée, car c'est à présent le système en vigueur ! Mais il aura fallu plus de dix ans pour y parvenir.

Le point de départ était intéressant, ciblé sur les missions et non sur les économies de moyens. Je songe au pôle de l'équipement et aux actuelles directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), qui forment l'armature principale de l'administration locale de notre ministère. La dénomination est intéressante également. Elle n'aurait pas été choisie en 1997, mais entre temps, le vocable de développement durable a prospéré.

Les regroupements entre administrations devaient apporter lisibilité, rationalité d'organisation, évolution des missions. Depuis 1997, les enjeux socio-politiques et la demande sociale ont évolué. Avant tout, la réorganisation de l'administration territoriale de l'Etat a eu pour objet et pour effet de permettre au ministère de s'adapter à ses nouvelles missions. Les Dreal comprennent les anciennes Drire, Diren, DRE : mélange de cultures et de traditions difficile à opérer, jamais lancé à pareille échelle. L'effort a été gigantesque pour adapter les structures aux missions.

Le but essentiel de la RGPP et de la réorganisation était de permettre aux administrations de répondre à la nouvelle demande sociale et politique mais aussi d'être capables de répondre, dans l'avenir, à ce que l'on ne pouvait encore prévoir. C'est que les nouvelles structures étaient installées pour au moins trente ans !

Les demandes évoluent constamment. Celles touchant la protection des populations ont connu un bouleversement le 11 mars dernier... La nouvelle structuration en région répond bien à ces sujets. La Dreal de la région Paca, avec le Centre d'études techniques et de nombreux partenaires, vient de mener un remarquable travail sur « la sismicité et le risque nucléaire » : il est le fruit de la transversalité.

M. François Patriat, président. - M. Delaveau nous a parlé des PPRI : l'administration demande désormais que l'on prenne en compte les crues non pas centenaires mais millénaires. Qui l'a décidé : l'Etat ? Un fonctionnaire pris d'excès de zèle ? En Bourgogne, appliquer aux barrages sur les canaux le même type d'exigences a des conséquences terribles pour les collectivités locales, qu'il s'agisse des équipements sportifs, touristiques ou autre !

M. Jean-François Monteils. - C'est le ministre qui décide. Il détient l'autorité politique et décide en fonction des retours d'expérience, des travaux et études menés. La décision est proposée par les services ministériels mais j'hésiterais avant d'affirmer que l'instruction se substitue à l'autorité politique !

M. Gérard Bailly. - Mais un préfet prend sur le terrain une décision contraire à celle du ministre...

M. Jean-François Monteils. - Vous touchez du doigt un problème essentiel, l'articulation entre le préfet et les services territoriaux, la collaboration entre des services auparavant complètement séparés et qui se renvoyaient la balle. A présent, un seul guichet, une seule direction... Votre réflexion soulève la question de l'évolution de la décision. Notre ministère a une culture de discussion et de négociation. Le Grenelle de l'environnement a ainsi défini une gouvernance à cinq, société civile, ONG et associations, partenaires sociaux, élus, Etat. Aujourd'hui, les sujets sont complexes et exigent une fluidité dans la prise de décision et la mobilisation de partenariats.

M. François Patriat, président. - La réorganisation du ministère est pertinente, dites-vous, elle répond aux défis d'aujourd'hui. Dans cette nouvelle organisation, les directions régionales ont-elles les moyens de leurs missions ? Je songe à la délimitation des zones inondables, à une ouverture de carrière par une entreprise : la Drire sollicitée le 11 mars dernier fixe un rendez-vous le 2 mai prochain ! Y a-t-il moyen de répondre dans des délais normaux aux élus et aux acteurs économiques ?

M. Jean-François Monteils. - C'est la question que je me pose au quotidien, celle sur laquelle je devrai être jugé. Mais sans la réorganisation, les moyens humains auraient-ils été mieux adaptés ? Non. Il faut distinguer entre réorganisation et réduction des effectifs, une donnée avec laquelle il faut composer. On a demandé aux chefs de services de construire des directions départementales ou régionales en prenant en compte l'évolution des missions et la réduction des effectifs. C'est à peine imaginable. Mais en France, on ne réforme que lorsque l'on ne peut plus faire autrement.

Les moyens humains ne sont pas seulement quantitatifs. Sur le plan qualitatif, la réorganisation passe par un effort gigantesque de formation. Et une adaptation culturelle... Vous exprimez une frustration devant une attitude que l'on peut, certes, encore rencontrer. Les origines culturelles des agents sont hétérogènes. L'administration de l'équipement, qui avait toujours construit des routes et des ponts, a dû depuis trente ans faire face à un complet changement de missions : elle est déstabilisée.

Le ministère de l'écologie a longtemps compté très peu d'agents, travaillant sur des thématiques auxquelles personne ne croyait. On leur on disait « faites avec ce que vous avez », c'est-à-dire avec pas grand-chose. L'action administrative, pour eux, passe essentiellement par des réglementations coercitives.

Quant aux agents de la Drire, ils ont une culture industrielle, une conception proche de celle du ministère des finances : contrôle et accompagnement. Il faut opérer un mélange entre ces diverses origines pour forger une administration de solutions. Comment y parvenir ? Cela prendra du temps mais la mutation culturelle est indispensable, parallèlement à la réorganisation administrative. La mue concerne d'ailleurs l'Etat dans son entier.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Nos interlocuteurs précédents ont souligné la coexistence de deux mouvements en sens contraires au sein de l'Etat : désengagement et reprise en main. Tous ceux que nous avons interrogés nous ont dit ne pas avoir été associés au projet de RGPP. Actuellement, un fonctionnaire en retraite sur deux n'est pas remplacé. Pourtant, dans votre domaine, on observe une montée en puissance et des besoins, liés à la prégnance croissante des thématiques environnementales... Comment concilier les fonctions de contrôle et les fonctions de conseil ? Quels moyens avez-vous pour assurer l'accompagnement ?

La logique de la RGPP privilégie la région pour assumer la coordination et l'animation. Celles-ci sont confiées aux préfets de région. Mais la réalité budgétaire est différente, les crédits demeurent attribués ministère par ministère. Si sur un territoire un agent de la Dreal s'en va, si le préfet estime que l'on peut prélever un poste sur la Drac, comment faites-vous ?

M. Gérard Bailly. - Les services de l'environnement devraient être proches du terrain. Quand les agents de la Diren doivent se rendre à 120 kilomètres de Besançon sur un site classé, imaginez-vous l'émission de CO2 correspondante ? Pourquoi ces services sont-ils rattachés à l'administration régionale ?

M. Charles Revet. - Cette réorganisation était nécessaire, imposée notamment par les directives européennes. Avoir un interlocuteur unique coordonnant les actions de l'Etat était mon rêve ! Hélas, l'Etat n'assume plus l'une de ses deux principales missions sur le terrain, ayant abandonné l'accompagnement, l'aide à la maîtrise d'ouvrage, pour renforcer le contrôle - ce qui est peut-être une façon de reprendre les choses en mains ?

Les missions de contrôle et de conseil sont-elles incompatibles ? Je suis président d'un syndicat d'eau et d'assainissement. Nous avons voulu construire une unité de dénitritation : trois ans se sont écoulés entre l'appel d'offre et les travaux car l'administration ajoutait sans cesse une nouvelle exigence. Si nous avions été conseillés par l'administration au départ, les choses n'auraient pas traîné ainsi.

M. Jean-François Monteils. - Accompagnement et contrôle : ces deux rôles de l'Etat vous donnent l'impression d'un double mouvement de désengagement et de reprise en main. Il faut faire face à une baisse des effectifs sans que la qualité en souffre, et ce, alors que la nature des missions évolue. L'Etat aujourd'hui n'a plus une mission globale dans les territoires comme il y a cinquante ans. Il ne décide plus seul de l'opportunité d'une opération, de la pertinence d'un tracé ou d'une construction. Les problématiques sociales, environnementales, les questions de voisinage, de nuisances, sont de plus en plus présentes. On pourrait parler de nouvel engagement de l'Etat dans un cadre nouveau. Quoi qu'il en soit, le plus simple pour améliorer la qualité chimique des cours d'eau est encore d'édicter une interdiction : la reprise en main n'est pas forcément condamnable sur ces questions ! Les modes d'intervention continueront du reste à évoluer.

Vous décrivez un fonctionnement qui n'est pas encore optimal. Mais il faut aussi tenir compte du nécessaire apprentissage de l'Etat, confronté à de nouvelles exigences, de nouvelles problématiques. Naguère, s'il fallait installer un éclairage public, l'administration savait tout mettre en place, de la source d'énergie au réverbère. Or aujourd'hui, à peine est-on habitué à une réglementation qu'une nouvelle préoccupation prend le pas. Il importe donc de disposer d'une administration moderne et souple, c'est-à-dire des services regroupés qui sachent tirer le bon fil.

M. Charles Revet. - J'ai eu affaire à des sociétés d'équipement portuaire néerlandaises : en Hollande, lorsqu'un permis de construire est accordé, il est valable pendant cinq ans même si la réglementation change ; en France un changement de règle peut remettre en cause un permis accordé six mois auparavant !

M. Jean-François Monteils. - La durée de validité d'une autorisation est celle inscrite aux articles législatifs du code... Aux parlementaires de décider.

La ministre et le secrétaire d'Etat au logement réfléchissent à une révision du droit de l'urbanisme : le président de la République en a demandé la simplification, ce qui est un travail compliqué.

J'ai vu, dans le cadre d'autres fonctions, le fonctionnement de l'administration dans des pays comme l'Allemagne, les pays nordiques, la Hollande. Et je me félicite qu'une réglementation « tatillonne » nous ait assuré une qualité de vie et un aménagement du territoire que nos voisins nous envient.

L'Etat aurait-il été bien reçu s'il avait voulu être associé à la réorganisation des conseils généraux ?

Mme Michèle André. - Il ne s'en est pas privé !

M. Jean-François Monteils. - En France nous savons fort bien confondre concertation et blocage. Cette réforme était indispensable, elle devait être menée rapidement et énergiquement. Le rythme a été très rapide, les agents ont été bousculés, les habitudes de travail bouleversées. Il a fallu ramer. Mais enfin, la réforme est faite !

Montée des besoins, réduction des moyens, tel est effectivement le défi qui nous est lancé et pour y répondre il faut aborder les choses différemment : proposer des solutions bien bâties, accompagner, contrôler. Je ne dis pas que nous remplissons entièrement ces objectifs. Mais parmi les éléments très encourageants, je veux citer la transversalité dans les Dreal. La réorganisation est partie des structures puis a touché les missions - c'est qu'il est plus difficile de réformer les missions ! Aujourd'hui, il faut une adéquation entre les missions et les moyens et l'Etat s'est résolu à abandonner des missions pour lesquelles il n'avait pas forcément la meilleure légitimité.

La logique régionale de l'administration est-elle en contradiction avec la réforme des collectivités locales ? Je n'en suis pas certain. Les départements conservent au niveau de l'organisation administrative d'Etat une importance majeure. Les régions sont en charge du développement durable. On partait d'une conception simpliste de l'articulation entre la région et le département, « la première pilote, les autres exécutent » - passons sur les états d'âme des préfets. Aujourd'hui, on sait qu'un cours d'eau peut traverser plusieurs régions et que les missions relevant de l'environnement sont de niveau planétaire ; mais, de plus en plus, les départements exercent une vraie mission de proximité à haute valeur ajoutée. Ils ont une connaissance fine du terrain. Leurs cadres de haut niveau, leurs contrôleurs travaillent dans une administration de mission, plus concentrée mais en lien étroit avec le « back-office » régionalisé et mutualisé. La région exerce des missions d'expertise, de pilotage et de coordination, par sa vision d'ensemble elle est à même de donner de la cohérence aux actions menées.

L'administration préfectorale, traditionnellement, a tendance à estimer que tout procède du département mais celui-ci ne peut pas répondre à toutes les questions ; lesquelles exigent à la fois le pilotage par le préfet de département et l'expertise par la région -voire par le niveau zonal pour les questions de sécurité. Il faut poursuivre la réflexion sur l'articulation entre région et département, car le schéma préfectoral exagère la coupure entre les deux. Le préfet de région n'apprécie guère qu'un directeur de mon ministère s'adresse directement à une préfecture de département, mais le lien est pourtant indispensable : nous sommes donc encore loin du schéma ultime.

Les transferts de postes - je ne parle pas ici des agents mais des postes - sont possibles dans le cadre de l'autorisation parlementaire, c'est-à-dire le budget de chaque ministère. La mutualisation ouvre des possibilités mais le changement de périmètre se heurte à cette limite. Quant à l'échange d'agents, il pose une vraie difficulté, dés lors que la réorganisation intervient dans une période de réduction des moyens. Nos schémas d'emploi limitent la venue d'agents d'autres ministères. Cette absence de fluidité est un frein, incontestablement.

M. Charles Revet. - Comment les agences s'articulent-elles avec les nouvelles directions et la nouvelle organisation ?

M. Jean-François Monteils. - Ce ministère compte plus d'une centaine d'opérateurs et d'agences. Ils sont, comme la langue d'Esope, la meilleure et la pire des choses. Une agence, l'Ademe par exemple, c'est une politique publique bien identifiée, dotée de moyens précis. Lorsque le système dépasse la mission, lorsque l'agence devient technocratique, servant à sanctuariser des crédits ou prenant ses décisions hors le pilotage du préfet, des difficultés peuvent apparaître... Une réflexion pourrait être menée sur le pilotage des opérateurs. Mme Corinne Etaix qui m'accompagne aujourd'hui est la directrice du service du pilotage et de l'évolution des services ministériels - sur l'ensemble du territoire. Elle est chargée de coordonner le pilotage des opérateurs. Autrement dit, vos questions vont recevoir des réponses structurelles grâce à la création de ce service.

Mme Michèle André. - Je suis rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat » et je me suis livrée dans ce cadre à un contrôle approfondi du fonctionnement des préfectures. Je me suis rendue dans des préfectures de région, de département, de tailles variables. Chaque fois j'ai tenu à discuter sur place de la réorganisation. Je constate une difficulté des gros départements à admettre l'autorité de la préfecture de région, par exemple en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Dans les différentes directions, les cultures sont très différentes. Le secrétariat général aux affaires régionales (Sgar) ajoute encore une autre problématique. Le ministère de l'intérieur a une culture d'ordre et de sécurité publique : lorsque l'on veut promouvoir un fonctionnement interministériel, est-il judicieux de placer tous les services sous sa tutelle ? Celle du Premier Ministre ne serait-elle pas plus indiquée ?

Dans le Puy-de-Dôme, les services de la Dreal ont mené sans en informer aucunement les élus locaux une étude sur une réserve nationale qui s'installerait sur le territoire Natura 2000. Ce fut un tollé quand la chose s'ébruita ! Le projet fut rejeté d'emblée. Les fonctionnaires de la direction régionale en furent malheureux. Ce fut un beau gâchis. Quand l'Etat intervient dans un cadre incompréhensible, quand on ne sait qui décide, quand un fonctionnaire sur deux disparaît, on cumule toutes les difficultés et cela n'est pas dans l'intérêt public. Reste alors au préfet de région à aller calmer les élus...

M. Jean-François Monteils. - Je partage votre avis à 100% ! Les mutations ne sont pas seulement culturelles. Des répercussions importantes se font sentir sur le fonctionnement même des ministères régaliens. Et l'évolution que vous tracez ne résoudrait sans doute pas tout mais elle poserait le dernier clou de la construction en cours.

J'ajoute que, fort heureusement, ce n'est pas un poste de fonctionnaire sur deux qui disparaît, mais un fonctionnaire partant en retraite sur deux qui n'est pas remplacé. Ce n'est pas la même chose.

M. François Patriat, président. - Je sais le pouvoir immense qu'ont les parlementaires pour faire bouger les budgets...(Sourires)