Mercredi 9 juin 2010

- Présidence de M. Martial Bourquin, président -

Audition de M. Pierre Dartout, délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale

M. Pierre Dartout. - La désindustrialisation constitue un phénomène avéré, au caractère relatif et qu'il convient de différencier selon les territoires. En effet, le processus de désindustrialisation, bien qu'incontestable, reste difficile à mesurer : l'industrie est certes en déclin, mais l'abandon par certaines entreprises de leurs activités industrielles par un recours à l'externalisation fausse les statistiques. Une entreprise auparavant industrielle va ainsi aujourd'hui relever du secteur tertiaire sous le simple effet de la réduction de la part « industrielle » de son activité globale.

La désindustrialisation a débuté au cours des années 1970 après le premier choc pétrolier, puis s'est accentuée, notamment en raison d'une intensification de la concurrence internationale. Ce phénomène n'est pas propre à la France. La Grande-Bretagne, grande puissance industrielle il y a quarante ans, possède aujourd'hui une situation comparable à la nôtre.

Un parallèle avec le recul du secteur agricole doit être fait. Ce dernier s'est principalement traduit par une baisse de l'emploi agricole, tandis que la production augmentait grâce à de forts gains de productivité. Les pertes d'emplois industriels sont avérées, mais à la différence de l'agriculture, l'industrie n'a pas connu une hausse du même ordre de sa production, en dépit d'une productivité qui s'est, elle aussi, améliorée.

A partir de ce constat, l'apport de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) consiste notamment à fournir un éclairage plus précis de la désindustrialisation en fonction des territoires. En effet, le processus ne produit pas les mêmes effets selon les régions. Dans les régions traditionnellement industrielles, plutôt situées à l'est et au nord de notre territoire, la désindustrialisation est particulièrement forte et s'est aggravée. Il en est ainsi de la Franche-Comté, de la Lorraine, de l'Alsace et de la Picardie. A l'inverse, d'autres régions ont connu des transformations moins sensibles, voire pour certaines d'entre elles, un développement de leurs industries, à l'image de la Bretagne.

Un rapport de l'observatoire des territoires montre l'existence d'une corrélation entre la progression démographique et la progression économique des régions, en distinguant deux sous-groupes. A l'exception de l'Île-de-France qui se situe dans la moyenne, les régions françaises s'ordonnent autour de deux profils :

- des territoires dynamiques, plutôt au sud et à l'ouest ;

- des territoires en plus grande difficulté, au nord et à l'est.

Les écarts territoriaux se sont creusés depuis la crise financière et économique des deux dernières années, comme le montrent les travaux de la DATAR et de l'INSEE.

Face à cette situation, les pouvoirs publics ont mis en place différents dispositifs d'accompagnement et de soutien. Parmi ces derniers, peuvent être mentionnés :

- les « contrats de site ». Suite à des fermetures d'entreprises ou à des difficultés importantes, un territoire donné, le plus souvent de la taille d'une agglomération ou d'un arrondissement, fait l'objet d'un traitement particulier par l'Etat. Seize contrats ont d'ores et déjà été menés à terme et dix-huit sont en cours ;

- les « conventions de revitalisation », qui visent plus directement les territoires frappés par des taux de chômage élevés ;

- le Fonds national de revitalisation des territoires (FNRT). Créé en 2008 et géré par la DATAR avec l'aide de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), ce fonds est destiné aux territoires ne bénéficiant pas de convention de revitalisation. Il intervient par l'intermédiaire d'aides directes et de prêts participatifs ;

- la prime d'aménagement du territoire, qui constitue une aide directe aux entreprises. Elle est soumise à de nombreuses conditions. Toutefois, 15 % de la population française est aujourd'hui potentiellement éligible, le total des primes versées s'élevant environ à 40 millions d'euros par an ;

- l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII), soumise à une double tutelle de la DATAR et de la Direction générale du Trésor. Chargée d'attirer les investisseurs étrangers, cette agence réalise un travail prospectif, la DATAR pouvant lui indiquer les territoires en difficulté et orienter l'investissement sur les zones qui en ont le plus besoin. Ainsi, la restructuration territoriale du ministère de la défense a-t-elle été prise en compte dans la stratégie de l'AFII.

Ces réponses restent cependant insuffisantes. Dans le contexte d'une concurrence internationale intense, le facteur essentiel de réussite est de plus en plus l'innovation, qu'elle soit issue de la recherche et développement (R&D) ou qu'elle concerne des fonctions plus traditionnelles de l'entreprise, telles que le management ou le marketing. Les territoires doivent développer leurs activités en fonction de cet impératif. Deux instruments contribuent à l'accomplissement de cet objectif :

- les pôles de compétitivité. Mises en place en 2005, ces structures cherchent à faire travailler ensemble des entreprises, des universités ou des centres de recherche et les pouvoirs publics, en particulier les collectivités territoriales. Un tel dispositif représente un enjeu essentiel en France, dans la mesure où la sphère économique et le monde universitaire ont traditionnellement des rapports distants. Une région comme la Bretagne a largement profité de cette politique. En effet, les entreprises industrielles qui ont bénéficié ces dernières années d'innovations significatives leur assurant un développement rapide ont bénéficié le plus souvent des recherches conduites au sein des pôles ;

- les grappes ou « clusters ». Compléments des pôles de compétitivité, ces réseaux d'entreprises sont soumis à des conditions de création et de fonctionnement moins strictes mais ne jouissent pas des mêmes aides financières.

M. Alain Chatillon, rapporteur. - Il n'y a pas de vision à long terme de la nécessaire diversification des bassins industriels historiques autrement condamnés au déclin et la vigilance est de règle même sur les secteurs porteurs. La durée de vie des entreprises est-elle différente selon les territoires et le type d'activité ?

M. Pierre Dartout, délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale. - Deux éléments concourent au dynamisme des territoires :

- leur croissance sous l'effet du volontarisme des pouvoirs publics au niveau national, comme en témoigne l'activité aéronautique et spatiale de la région Midi-Pyrénées ;

- la mobilisation de la population autour de projets de développement. Le cas de la Vendée apparaît, à cet égard, exemplaire.

Pour sa part, la Bretagne conjugue aujourd'hui avec succès ces deux facteurs.

S'agissant de la durée de vie des entreprises selon les territoires, je ne dispose pas de statistiques en la matière, mais je suppose qu'il existe un lien entre la durée de vie moyenne d'une entreprise et la spécialisation économique d'un territoire donné.

M. Jean-Jacques Mirassou. - La région Midi-Pyrénées a effectivement fait le pari de l'intelligence. Elle a habilement exploité les secteurs dans lesquels elle bénéficiait d'avantages comparatifs. Le contexte de métropolisation autour de Toulouse pose toutefois la question de la capacité des pouvoirs publics à agir pour maintenir des bassins d'emploi en-dehors de la zone centre. Quel rôle peuvent jouer les collectivités territoriales à ce niveau ?

M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai toujours éprouvé un grand intérêt pour la DATAR et je me félicite qu'elle ait retrouvé son nom cette année. En revanche, je m'interroge sur la signification réelle de certains mots, tels que revitalisation ou encore développement durable. La gravité de la désindustrialisation me semble sous-estimée. La France a ainsi beaucoup plus délocalisé que l'Allemagne dans le secteur automobile et doit aujourd'hui tout faire pour éviter une évolution aussi marquée que celle de la Grande-Bretagne. Celle-ci n'a en effet quasiment plus d'industries sur son territoire. Il s'agit donc d'une urgence absolue pour notre pays.

M. Rémy Pointereau. - Je tiens à souligner l'existence de disparités entre nos territoires. Certaines régions sont mieux dotées en termes d'infrastructures routières, ferroviaires ou fluviales, et de réseaux de communication. La Bretagne s'est ainsi battue pour obtenir des voies rapides, qui se sont révélées très utiles à son développement. Au total, les incitations fiscales ne me semblent pas suffire à rendre attractif un territoire en difficulté.

M. Martial Bourquin, président. - Dans le contexte d'un tarissement des aides communautaires suite à l'élargissement, quels moyens peuvent être mis à disposition d'une stratégie de réindustrialisation ambitieuse ? Par ailleurs, face à la dévitalisation de certains territoires, pourquoi ne pas encourager des démarches de prévention et de diversification, qui pourraient notamment passer par la construction d'infrastructures ? Une telle démarche aurait pu être avantageusement mise en oeuvre en Lorraine.

M. Pierre Dartout, délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale. - Je tiens en préalable à rappeler que mon exposé nécessairement synthétique m'a amené à présenter de manière simplifiée les réalités décrites. Certaines de mes remarques doivent donc être nuancées en fonction des phénomènes contradictoires qui peuvent être observés à un niveau infra-régional. Ainsi, la ville de Lille, métropole parmi les plus dynamiques, se situe dans une région dont le déclin est souvent souligné.

En réponse à M. Jean-Jacques Mirassou, j'observe que Toulouse entraîne des retombées positives pour l'ensemble de la région Midi-Pyrénées. De plus, cette région tire également profit du dynamisme de son secteur agro-alimentaire et de l'industrie touristique. Fidèle à sa vision selon laquelle les territoires, loin de s'opposer, sont complémentaires, la DATAR ne s'intéresse pas qu'à Toulouse, mais à l'ensemble de la région, y compris pour ses territoires en difficulté.

Suite à l'intervention de M. Jean-Pierre Sueur, je rappelle que les aides aux entreprises sont attribuées dans le cadre d'une législation communautaire contraignante, dont la France ne saurait s'affranchir. L'Allemagne est soumise à un régime plus favorable dans la mesure où les Länder de l'est bénéficient d'aides régionales plus importantes. Mais elle connaît, comme la France, des délocalisations, y compris dans le secteur automobile, comme le montre l'assemblage de la Porsche Cayenne en Pologne.

S'agissant de l'interrogation de M. Rémy Pointereau relative à l'impact des infrastructures sur le développement économique, je souligne que le rôle de ces dernières, bien qu'important, n'est pas aussi essentiel qu'il n'y parait. L'essor de la Vendée s'est ainsi effectué sans que ce département dispose d'un réseau d'infrastructures très développé.

En réponse au président Bourquin, je précise que les aides communautaires sont de plus en plus orientées vers l'innovation et la compétitivité. Je considère que la France devrait savoir profiter de cette priorité donnée aux dépenses de recherche : elle est d'ores et déjà plutôt bon élève parmi les Etats membres. J'observe que l'Union européenne utilise l'échelon régional comme zone pertinente s'agissant des seuils d'écarts de richesses, ce qui conduit à masquer des réalités infra-régionales plus complexes. La Haute-Saône se situe par exemple sous le seuil lui permettant de bénéficier de fonds communautaires, mais la région Franche-Comté se situe quant à elle au-dessus de ce seuil.

Je tiens, enfin, à informer la mission du lancement d'une nouvelle démarche de prospective de la DATAR, intitulée « Territoires 2040 : aménager le changement ». Un groupe spécifique sera consacré à la thématique industrielle.

Audition de M. Gilles Le Blanc, professeur d'économie à l'École des mines de Paris

M. Gilles Le Blanc. - Mon champ d'étude concerne depuis quinze ans l'industrie et les politiques industrielles dans leur ensemble, sans se limiter à des secteurs ou à des territoires particuliers.

Les contributions aux états généraux de l'industrie ont montré que les régions ne partageaient pas toutes la même vision de l'industrie. Si la problématique industrielle semblait même absente dans certaines d'entre elles, d'autres, en revanche, ont formulé des propositions concrètes mais qui ne sont pas nécessairement transposables à l'ensemble du territoire.

En effet, si la politique industrielle comporte une dimension nationale et même européenne, je tire de mon expérience la conviction qu'il faut admettre une certaine différenciation des outils et des modes de financement. Traditionnellement, les outils mis en oeuvre concernent certains secteurs ou ont une portée générique : recherche et développement, investissement. Or ces deux fondements sont aujourd'hui moins adaptés.

D'une part, la définition des secteurs suppose l'identification d'acteurs caractérisés par un certain nombre de points communs, ce qui permet de garantir l'efficacité des moyens ciblés vers ces acteurs. Or cette homogénéité n'existe plus, en particulier dans les secteurs porteurs tels que la santé et les nouvelles technologies. Il est donc plus difficile d'orienter les moyens vers ces acteurs.

D'autre part, l'application des outils génériques, outre les quelques effets d'aubaine qui peuvent en réduire l'efficacité, se heurte surtout à des effets de seuil et de proportionnalité. Ainsi, la moitié des PME sont tout simplement trop petites pour pouvoir réellement innover, ce qui réduit l'impact des mesures centrées sur la recherche et le développement.

Nous manquons en fait d'informations suffisamment précises pour orienter correctement les outils et les décisions publiques. Il est très important, même si cela représente un coût, de construire une grille commune d'analyse en mobilisant les agences, administrations et établissements publics qui détiennent aujourd'hui ces informations de manière dispersée.

J'évoquerai ensuite la dimension géographique de l'industrie.

Les délocalisations concernent les activités productives, mais également et de plus en plus les centres de recherche, les laboratoires et les activités de conception, dans les secteurs les plus variés. Il s'agit moins de rechercher le coût du travail le plus bas que d'améliorer l'efficacité de ces activités. Ce type de délocalisation prend plutôt pour cible des pays comme les États-Unis ou Singapour, voire la Russie.

Il s'agit d'une véritable menace, car un enjeu essentiel est celui de la fixation des normes et des standards, qui détermine les caractéristiques des produits qui seront fabriqués dans le monde entier. Or l'Europe est en train de perdre la bataille des standards, y compris dans le domaine environnemental.

Il faut souligner par ailleurs que la recherche ne peut être séparée de l'industrialisation, l'une et l'autre nécessitant des interactions constantes. Toutefois, l'innovation a une particularité par rapport à la production ou la commercialisation : les gains d'efficacité potentiels sont considérables, car seule une fraction des dépenses qui lui sont consacrées ont une application réelle. Une amélioration du rendement de cet effort d'innovation peut donc avoir un effet très important sur les résultats globaux. Or, on constate que, dans certains espaces, l'efficacité des dépenses d'innovation est supérieure.

M. Jean-Pierre Sueur. - De quels espaces s'agit-il ?

M. Gilles Le Blanc. - Ces territoires innovants ne sont pas forcément liés à un secteur donné, contrairement à la plupart des pôles de compétitivité. Ils sont caractérisés par la présence d'entités productives, mais aussi de laboratoires, de financeurs et de personnels administratifs.

Pour prendre l'exemple des nanotechnologies, on a concentré les moyens sur la recherche et le développement, mais sans avoir déterminé précisément quelles seraient les utilisations futures. Il aurait fallu mieux associer un dialogue intersectoriel avec les représentants des différentes industries concernées afin de mieux valoriser les procédés technologiques. Quant au financement, le soutien public doit à un certain moment trouver un relais auprès des investisseurs privés. Enfin, les entreprises doivent également trouver des gestionnaires pour assurer leur développement : or le recrutement d'un directeur des ressources humaines ou d'un directeur financier se fait sur des bases plus locales que celui d'un technicien de haut niveau que l'on peut faire venir de loin.

La dimension régionale est donc essentielle aussi bien au niveau de l'innovation que de la main d'oeuvre. Elle l'est aussi pour l'expérimentation des solutions, qui permet l'adoption et la diffusion des solutions technologiques. Ainsi, dans le domaine de l'environnement, les conditions spécifiques à chaque pays et à chaque territoire supposent la mise en oeuvre de solutions différenciées, au contraire des technologies de l'information pour lesquelles un même produit peut être diffusé dans le monde entier. Ces solutions devront donc être expérimentées et validées au niveau local, en fonction des caractéristiques des territoires.

M. Martial Bourquin, président. - Je vous remercie pour cet éclairage nouveau.

M. Alain Chatillon, rapporteur. - C'est un exposé extrêmement clair qui souligne le rôle de l'innovation. Je rappelle que le rapport de M. Alain Costes sur les nanotechnologies expliquait il y a deux ans que nous sommes en train de rater une occasion parce que nous ne savons pas mettre en oeuvre les innovations proposées.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Vous avez dit d'une part que l'on manquait de la capacité humaine à mettre en oeuvre les innovations et d'autre part que l'innovation profitait de la proximité avec la production. Le risque me paraît donc être que nous perdions, à terme, aussi bien la production que l'innovation !

Mme Christiane Demontès. - Pourriez-vous indiquer ce que vous pensez de l'action des pôles de compétitivité en matière d'innovation ?

Mme Esther Sittler. - Je rejoins vos propos sur la nécessité des liens entre la recherche et la production : je peux ainsi citer le cas d'une entreprise qui a externalisé une partie de sa production en Inde mais en conservant l'autre partie sur notre territoire, au contact de ses activités de recherche.

M. Martial Bourquin, président. - Selon vous, quel est le territoire le plus pertinent pour mener une action en faveur de l'industrie ? Que pensez-vous par ailleurs des politiques tendant à mettre des cadres à disposition des PME ?

M. Gilles Le Blanc. - Je ne crois pas que la production et la recherche industrielles soient condamnées à disparaître : l'industrie a toute sa place dans nos territoires, surtout si nous savons exploiter la dimension locale.

S'agissant des pôles de compétitivité, les PME qui y participent sont en général celles qui sont déjà proches des grands groupes. Les PME isolées sont handicapées par une taille insuffisante pour participer aux pôles.

Le partage de ressources humaines ne peut être une réponse que temporaire pour franchir un cap difficile : l'entreprise doit disposer de ses cadres et de ses techniciens à temps plein sur le long terme. Seul le passage à une taille supérieure permet de trouver les ressources nécessaires pour embaucher les personnes qui permettront de faire de l'innovation. La difficulté à cet égard est de convaincre des entreprises similaires qu'elles doivent se rapprocher.

Concernant l'échelle appropriée pour l'action publique, une logique centralisée est parfois utile, mais il faut sans doute avoir dans ce cas une approche européenne. Ainsi, la voiture électrique aurait dû être développée en commun avec d'autres pays. Au niveau local, l'échelon régional me paraît le plus adéquat. Il faut en effet éviter une spécialisation excessive, qui ne permet pas de réaliser les transferts nécessaires entre les secteurs. Il ne faut pas non plus choisir un champ d'action trop large afin de faciliter la circulation des informations entre les acteurs. La région, qui regroupe souvent plus d'un million d'habitants, permet par sa diversité et sa taille de mettre en oeuvre des expérimentations significatives avec des ressources suffisantes. Je considère en conséquence qu'une grande partie des aides apportées aux entreprises, qui s'élèvent à 60 milliards d'euros environ, devraient être orientées vers des structures plus locales.

L'évaluation elle-même n'est pas possible au niveau national car elle demande une compréhension des enjeux et une collecte des informations que l'on peut obtenir de manière plus efficace au niveau régional.

S'agissant enfin de la gouvernance territoriale, les différents débats en cours sur la réorganisation au niveau régional des différentes structures d'action économique doivent permettre de déterminer comment construire celle qui pourra obtenir les informations et avoir la légitimité pour prendre des décisions et mener des évaluations rigoureuses.

M. Martial Bourquin, président. - Je vous remercie pour votre exposé très intéressant.

Audition de M. Michel Didier, président du Centre d'observation économique et de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises

M. Michel Didier, président du COE-Rexecode. - Je centrerai mon propos sur la problématique de la compétitivité, qui est une question clé. La désindustrialisation dont souffre la France n'est pas un phénomène continu : on observe des pics et des phases de stabilisation. Depuis une dizaine d'années, nos parts de marché à l'exportation connaissent un recul rapide. Dans ce type de comparaison internationale, il faut bien sûr tenir compte des taux de change, pour ne pas confondre baisse des exportations en volume et baisse de la valeur d'échange de la monnaie.

Pour éviter tout biais, nous avons observé l'évolution de la part de marché des exportations française par rapport aux autres pays de la zone euro. La question du taux de change ne se pose pas, puisque nous avons tous la même monnaie, pour longtemps je l'espère, et depuis 1997, date à laquelle les taux de change ont été stabilisés.

Cette part est passée, d'après les chiffres de l'Insee, de 16,8 % en 1998 à 13,5 % en 2009, diminuant à un rythme régulier. Cela représente un énorme recul, si l'on considère que le ratio porte sur toutes les exportations de la zone euro, celles de la France en représentant 20 %. Si nous avions conservé les mêmes parts de marché sur ces dix années, nous aurions cinq points de PIB d'export en plus, ce qui représente 100 milliards... qui nous seraient bien utiles en ces temps de crise.

Si l'on observe la part de notre valeur ajoutée industrielle dans le total de la valeur ajoutée des pays de la zone euro, on constate qu'elle est passée de 17,2 % en 1999 à 13,4 % en 2008. Autant dire que les deux courbes sont fortement corrélées. Mais ici, on mesure véritablement la création de richesse industrielle, dont il faut bien constater qu'elle s'est fortement contractée.

Il est vrai qu'il faut prendre en compte, dans la compétitivité, l'agriculture et les services. Mais l'industrie représente près de 90 % de nos échanges extérieurs, et 95 % de la recherche : elle est fondamentale pour notre économie. On relève d'ailleurs le même recul dans l'agriculture, notamment sur des biens agricoles classiques dont on pensait qu'ils en étaient le fleuron.

L'emploi industriel reflète l'érosion de cette base industrielle française. Il est passé de 4,2 millions en 1990 à 3,1 millions en 2008, soit un recul de 27 %. Il est vrai que l'emploi industriel recule presque partout. Pour l'Allemagne, il faut tenir compte du fait qu'elle a dû, de 1990 à aujourd'hui, résorber les milliers d'emplois en surnombre de l'Allemagne de l'Est. En Italie et en Espagne, le recul n'a été que de 10 %. Deux pays ont connu une forte érosion : le Royaume-Uni et la France. Mais le Royaume-Uni n'a pas perdu son industrie et c'est une idée fausse que de croire qu'il se réduit désormais à une cité financière. Car la recomposition de l'industrie anglaise a été beaucoup plus rapide que la nôtre. Des secteurs entiers de la vieille industrie ont disparu, mais les industries modernes, hautes technologies ou médicament, ont mieux résisté que les nôtres.

Pour autant, nos entreprises ne sont pas restées inertes. Elles ont essayé de résister, mais pour tenter de préserver leur part de marché en volume, elles ont dû accepter des baisses de prix, bien supérieures à celles observées en Allemagne. Ce pourquoi nous sommes plus sensibles à une hausse de l'euro - avec cette contrepartie que nous profitons aussi davantage de sa baisse...

Autrement dit, si nous résistons à l'érosion de nos parts de marché, ce n'est qu'en acceptant une baisse du revenu tiré de nos exportations, qui se répercute sur notre revenu national. Notre PIB par habitant recule davantage que la moyenne de la zone euro Même si nous restons encore 7 % au-dessus de la moyenne, il faut se souvenir que nous la dépassions, autour de 1995, de 12 et 15 %.

Dans une zone unifiée, où les ajustements ne peuvent plus se faire par les taux de change, la perte de compétitivité se paye par une baisse du revenu moyen par habitant.

Quelles explications à cette perte de compétitivité ? On entend souvent dire que la qualité de nos produits serait insuffisante, que nous ne serions pas assez innovants. Or, nous disposons d'une enquête annuelle menée auprès des acheteurs européens, auxquels il est demandé de classer les produits par pays d'origine. La dernière enquête, qui porte sur les biens intermédiaires et les équipements, révèle que ceux-ci ne sont pas mécontents de nos produits. S'ils les considèrent moins sophistiqués que les produits allemands, ils n'estiment pas pour autant que le rapport qualité-prix se soit dégradé.

Comprenons bien que lorsque l'on parle de parts de marché à l'exportation, on vise l'exportation des produits élaborés sur notre territoire. Ce que produit Saint-Gobain en Chine ou ailleurs n'appartient pas à nos bases industrielles. Or, les conditions de production sur notre territoire ont pour effet d'éliminer les entreprises qui ne peuvent maintenir un rapport qualité-prix satisfaisant. Ceci explique et la baisse de nos bases et celle de nos parts à l'export.

Cette analyse est importante à prendre en compte en matière de politiques économiques, car au-delà du catalogue habituel de mesures, qu'au reste je ne conteste pas, la question centrale est celle des conditions de productions sur notre territoire.

Sur la longue période, on observe des phases différentes. On peut grosso modo distinguer quatre périodes de dix ans, au cours de deux desquelles nos parts de marché ont baissé. Au cours de la décennie 1970, nos parts ont augmenté dans l'ensemble européen. C'est que nous avions alors une politique macroéconomique qui a favorisé la stabilité, grâce à une politique industrielle très volontariste. Au cours des décennies 1980 et 1990, on observe deux phases. L'une, qui va de 1980 à 1985-1986, fut désastreuse pour notre compétitivité - et ne voyez dans mes propos aucune coloration politique : les économistes ont un regard d'entomologue. Les augmentations de coûts ont été massives

M. Jean-Jacques Mirassou. - Comme les « délocalisations » de toutes natures...

M. Michel Didier, président du COE-Rexecode. - Je ne parle pas ici d'attractivité du territoire, mais uniquement de parts de marché à l'export.

Entre 1987-1989 et les années 1999-2000, on a connu une période de stabilisation. Puis, depuis 1999, la politique économique engagée, qui a d'autres avantages, a soumis nos bases industrielles à des contraintes d'offre très fortes, qui se sont traduites, au reste, par des hausses de salaires. En fin de période, cependant, on peut relever une note d'espoir, avec une stabilisation, qui n'est peut être que conjoncturelle - puisque l'on constate un rebond industriel beaucoup plus marqué en Allemagne - mais qui pourrait être signe d'une accalmie plus durable - car le rebond spectaculaire de l'Allemagne est aussi dû au fait qu'elle avait beaucoup souffert, durant la crise, du reflux de la demande sur les biens d'équipement. Reste que les trois à quatre points et demi perdus au cours de la décennie nous manquent encore.

La conclusion de mon propos tient en une phrase : il n'y a aucune chance de réindustrialiser l'économie française si l'on n'endigue pas cette érosion de nos parts à l'export et si l'on n'intègre pas la politique macroéconomique dans la réflexion.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Y a-t-il des secteurs qui s'en sortent mieux que d'autres et si oui, cette bonne tenue s'inscrit-elle dans la continuité des périodes de stabilité ?

M. Martial Bourquin, président. - Quand on voit que les petites voitures, les Peugeot 107 ou les Citroën C1, sont produites en Tchécoslovaquie ou ailleurs, il faut bien constater que nos propres groupes alourdissent le bilan négatif à l'export.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Pour l'aéronautique : nous avons été pénalisés par le taux de change avec le dollar.

M. Michel Didier, président du COE-Rexecode. - Je rappelle que les chiffres que je vous ai livrés ne concernent que la zone euro.

La tendance à la baisse des parts de marché s'observe y compris dans des secteurs traditionnellement forts, comme l'industrie du médicament : la recherche part aux États-Unis, la galénique en Afrique du Nord, les essais cliniques en Inde. Chaque maillon de la chaîne de production est soumis à une compétition mondiale.

La compétitivité est une notion complexe, qui repose avant tout sur la compétitivité du territoire.

M. Jean-Jacques Mirassou. - La production va là où sont les consommateurs, dit-on. Mais une partie de la production délocalisée est destinée au consommateur européen. Le poids croissant du coût du transport va-t-il entraîner un rééquilibrage ?

M. Martial Bourquin, président. - Naguère, l'automobile tirait notre commerce extérieur ; aujourd'hui, elle nous met en difficulté !

M. Michel Didier. - La production va là où est la demande : pour pénétrer le marché chinois, il faut des usines sur place. On peut regagner de la compétitivité sur des stades intermédiaires, quitte à ce que l'assemblage final se fasse près du consommateur. Avec l'automobile, le problème est que ces usines alimentent notre propre consommation...

Aujourd'hui, les entreprises mondiales gèrent d'une part un portefeuille d'activités, d'autre part un portefeuille de territoires : les unités d'entreprise, qu'il s'agisse d'une usine ou d'un centre de gestion des brevets, sont implantées dans le territoire le plus efficace. Le sujet n'est pas la compétitivité de nos produits ou de nos patrons, mais bien celle de nos territoires !

Audition de M. Jean-Claude Volot, médiateur national inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance

M. Jean-Claude Volot, médiateur national inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance. - Je réfute le terme de « désindustrialisation », qui sous-entend que la situation de l'industrie française est mauvaise : c'est faux ! Les chiffres des États généraux de l'industrie comme de l'Insee montrent que la réalité ne correspond pas à cette perception pourtant fort répandue, notamment chez les élus. La désindustrialisation est un mythe qui a la vie dure !

Dans mon département de la Haute-Marne, mes amis sénateurs réagissent surtout lorsqu'une usine ferme ou réduit ses effectifs, même si cela ne concerne qu'une petite fraction de l'emploi salarié. La réalité du terrain, c'est une grande mutation. Les industries disparaissent certes parce que certaines sont délocalisées, mais surtout parce qu'elles sont dépassées ! Dans les années 60, les entreprises s'implantaient sous l'impulsion d'un élu, et l'intervention de l'État était déterminante. Aujourd'hui, les critères ont changé : l'efficacité prime, on implante les entreprises le long d'axes structurants, ou dans des zones urbaines équipées.

Les activités sont de plus en plus dématérialisées, avec des conséquences sur l'emploi. L'industrie dite traditionnelle est à l'avant-garde en matière d'investissement, de technologie, de performance. Avec ses gains de productivité, elle a perdu 30% de ses emplois en dix ans, tandis que les volumes produits sur le territoire national restaient stables. Évolution qui concourt à la perception erronée d'une désindustrialisation... Si l'on ajoute la part des services aux entreprises, la situation est loin d'être catastrophique.

M. Alain Chatillon, rapporteur. - Les services aux entreprises industrielles ne représentent que 5% du PIB. Quant aux emplois détruits, ils seraient 550 000...

M. Jean-Claude Volot. - Il faut distinguer les destructions d'emploi dues à la crise et celles liées aux mutations technologiques et aux gains de productivité. Le volume d'activité n'a guère changé. La France conserve sa position parmi les nations industrielles, la Chine mise à part ; elle gagne même sur la Grande-Bretagne. Rapportée au PIB, la part de l'industrie est la même qu'aux États-Unis. L'industrie française, prétendument moribonde, représente plus de 80% de nos exportations !

M. Jean-Jacques Mirassou . - Les personnes que nous avons auditionnées ne rejettent pas toutes le terme de « désindustrialisation », au contraire. Allez expliquer l'avantage des gains de productivité à celui que l'on licencie parce qu'il est devenu inutile ! Molex n'a pas été délocalisée parce que ses produits étaient obsolètes, mais parce son acquéreur a pris son savoir faire pour partir avec ! Il faudra s'interroger sur le sort des laissés pour compte.

M. Martial Bourquin, président. - Sochaux compte aujourd'hui 12 000 salariés, contre 45 000 naguère; pour une production équivalente. Il y a aussi une mutation du système productif : d'un centre de production, on est passé à un centre d'assemblage de pièces dont la moitié est fabriquée hors de France. Le solde négatif est lourd.

L'automobile, qui tirait le commerce extérieur, le plombe désormais. Renault fabrique en Turquie les voitures destinées au marché français !

M. Jean-Claude Volot. - De quel département êtes-vous élu ?

M. Jean-Jacques Mirassou. - De la Haute-Garonne.

M. Jean-Claude Volot. - J'ai un établissement à Toulouse, j'ai créé le réseau Éole 381 qui fédère des entreprises dans les domaines de la mécanique et de l'hydraulique.

Ce n'est pas à cause des destructions d'emplois que l'industrie est en perte de vitesse. Je me bats constamment contre des donneurs d'ordre qui emploient des méthodes de voyous, mais je ne peux critiquer les industriels français qui cherchent à rester compétitifs.

En France - c'est un miracle - nous avons encore Renault et Peugeot-Citroën. Or c'est de celui qui produit le moins en France que l'État est actionnaire ! Les armes du médiateur sont au nombre de quatre : l'État actionnaire, l'État prêteur, l'État censeur, l'État client. Quand la SNCF achète à Alstom des locomotives ou des wagons, c'est à l'État d'exiger que l'on recoure à des sous-traitants français !

Le cas de Molex est à la fois exemplaire et caricatural. À la déliquescence apparente des vielles industries, il faut opposer le développement industriel des nouvelles technologies, dont le plateau de Saclay est un brillant exemple. Les pôles de compétitivité sont un véritable pari sur l'avenir.

Depuis la régionalisation, l'État français a abandonné la stratégie industrielle des grands projets au profit d'un système de boutiquiers, où chaque président de région mène ses projets à petite échelle. Or les succès de la France, ce sont les grands projets ! L'emploi découle de l'économie, qui est une responsabilité de l'État comme des divers niveaux de collectivités locales.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Celles-ci sont désormais privées de taxe professionnelle !

M. Jean-Claude Volot. - C'était une injustice. Le véritable tyran, c'est le consommateur. D'où viennent vos belles chaussures de sport ?

M. Jean-Jacques Mirassou. - Pour la chasse, je porte des bottes Le Chameau, fabriquées en France !

M. Jean-Claude Volot. - Naguère !

En France, l'industrie a une mauvaise image, elle n'attire plus. Dans mon école d'ingénieur, nous étions dix-huit candidats pour une place ; aujourd'hui, on peine à remplir les écoles ! Les ingénieurs préfèrent la banque ou la finance à l'industrie...

L'État a pénalisé la compétitivité française avec des mesures comme les 35 heures ou des règlementations excessives sur l'environnement. On exige désormais un bilan carbone des entreprises qui bénéficient des fonds de France investissement - majoritairement des TPE et PME ! Oui à une prise de conscience environnementale, mais conditionner l'investissement à des mesures obligatoires, c'est nuire à l'emploi et au développement industriel ! À vous d'agir au niveau législatif.

Nous sommes tous fautifs, y compris les industriels honteux. Il y a toutefois des raisons d'espérer, avec les États généraux de l'industrie. Cinquante mille chefs d'entreprise ont défini des axes de travail. Nous allons enfin mettre en oeuvre la notion de filière industrielle, si présente en Allemagne. Je préfère participer à une dynamique positive pour développer l'industrie que multiplier les rapports catastrophistes !

Il faut ré-humaniser les relations. Il faut responsabiliser les leaders de filières, à l'instar de Volkswagen ou Toyota, car la rémunération du capital - essentiellement des capitaux étrangers - est une horreur. L'acier mondial est aux mains de cinq possesseurs, l'aluminium, de trois, les matières plastiques, de cinq : ceux-ci provoquent volontairement la raréfaction des matières premières pour augmenter les prix. Là aussi, il y a une exigence de rémunération excessive du capital, qui pompe des marges sur les strates intermédiaires. M. Ghosn est en retard sur le patron de PSA sur ce point : il n'a pas encore compris qu'il faut un rapport de force !

M. Martial Bourquin, président. - Nous vous remercions pour votre franc-parler.