Jeudi 27 mai 2010

- Présidence de M. Martial Bourquin, président -

Audition de M. Lionel Fontagné, membre du Conseil d'analyse économique

La mission procède à l'audition de M. Lionel Fontagné, membre du Conseil d'analyse économique (CAE).

M. Martial Bourquin, président. - Nous accueillons Lionel Fontagné, auteur d'un rapport sur la désindustrialisation et les délocalisations en 2005, qui nous donnera un éclairage sur la réalité de ce phénomène en France et son évolution dans le contexte actuel de la crise économique et financière que nous traversons.

M. Lionel Fontagné. - Outre ce rapport sur la désindustrialisation et les délocalisations que j'ai réalisé en 2005 avec Jean-Hervé Lorenzi, le CAE a publié deux autres rapports sur ce sujet : l'un sur les performances à l'exportation de la France et de l'Allemagne, en décembre 2008, l'autre sur les investissements directs à l'étranger et les performances des entreprises, en début d'année. Pour ces deux études, nous avons utilisé des statistiques détaillées et sectorielles collectées à partir des données communiquées par les entreprises. Par ailleurs, je viens d'achever une étude réalisée en partenariat avec la Banque de France et la Banque centrale européenne relative à l'impact de la crise sur les exportations françaises. Cette étude a été présentée au Fonds monétaire international (FMI) et le sera prochainement devant la Banque fédérale américaine (Fed).

Il convient en premier lieu de définir ce que l'on entend par désindustrialisation : c'est la diminution de la part de l'emploi industriel dans l'emploi total. Qu'appelle-t-on emploi industriel ? Doit-on par exemple y intégrer les intérimaires ? Quel champ recouvre le secteur industriel ? Il existe par exemple des sociétés de services qui vendent des produits industriels mais aussi des entreprises manufacturières qui réalisent une grande part de leur chiffre d'affaires en produisant des services. En réalité, ces deux secteurs sont étroitement imbriqués.

Par ailleurs, les entreprises industrielles ont procédé au cours des dernières années à l'externalisation de nombreux services (entretien des locaux, bureaux d'études...), celle-ci entraînant une baisse du nombre d'emplois industriels qui n'est en réalité que relative.

Comment expliquer la réduction de la part de l'emploi industriel dans l'emploi total ? Si une économie dynamique crée beaucoup d'emplois et que le volume d'emplois industriels reste stable, sa part dans l'emploi total diminue mécaniquement. La productivité doit également être prise en compte, la tendance allant dans le sens d'une augmentation de la production avec moins d'emplois. Enfin, on observe une déformation de la structure du panier de consommation des ménages, la part de la consommation de biens industriels ayant tendance à diminuer par rapport à celle des services.

Ainsi, dès lors que le niveau de la consommation de produits industriels ne suffit plus à compenser les gains de productivité, il en découle une perte d'emplois dans ce secteur. On observe d'ores et déjà ce phénomène dans de nombreux pays industriels tels que les Etats-Unis, la France et, plus récemment, la Corée du Sud.

Qu'entend-on par délocalisation ? C'est la fermeture d'une usine en France et sa réouverture dans un autre pays. Certains considèrent que les déplacements d'activité se font principalement vers les pays à bas salaire. En réalité, ce phénomène ne concerne que 20 000 à 30 000 emplois par an, ce qui est relativement faible au regard du nombre d'emplois créés en France chaque année.

En fait, le problème français réside principalement dans la perte de compétitivité industrielle par rapport aux autres pays, et en particulier par rapport à l'Allemagne. La baisse de compétitivité touche également le secteur des services, mais de façon encore plus importante.

Parallèlement, on observe un déplacement de la demande vers l'Asie et l'Amérique latine. Or, les entreprises suivent généralement les clients et s'implantent dans les pays où existe un fort potentiel de croissance. Cela ne se traduit pas forcément par un nombre important de fermetures d'entreprises en France, mais par une forte baisse des investissements. En effet, les groupes français se tournent progressivement vers les pays qui offrent de nouveaux marchés et il parait difficile d'enrayer ce mouvement, qui va en s'amplifiant. Trois chiffres illustrent cette réalité : la faible part de la production française dans le PIB mondial, qui ne représente que 5 % ; la part croissante de la production des groupes français à l'étranger, supérieure à 50 % et la localisation de la demande mondiale, qui se situe à 95 % hors de France.

Pourtant, certains pays européens parviennent à freiner cette tendance : on observe par exemple des mouvements de relocalisations en Espagne, en Pologne et en Allemagne, mais très peu en France.

Autre phénomène inquiétant : les grandes entreprises ne créent plus d'emplois en France, une part croissante de leurs résultats étant désormais réalisée à l'étranger et permettant de maintenir les sites industriels français. De ce mouvement résulte le déclin progressif de la part de la production française dans le marché mondial, les fleurons de notre industrie étant les principaux responsables de cette tendance. Et paradoxalement, nos politiques industrielles sont principalement tournées vers ces champions qui n'irriguent plus le tissu industriel national. Vitrines de notre économie, nos grands groupes ne sont plus créateurs d'emplois en France. Pour contrebalancer cette tendance, il faudrait à l'avenir faire émerger de nouveaux acteurs industriels.

Pourtant, notre économie crée de nombreuses entreprises, mais elle ne parvient pas à les faire grandir. Or, ce sont les PME qui créent le plus d'emplois industriels et qui atteignent une taille critique leur permettant d'exporter. C'est une des raisons pour lesquelles la France a perdu des parts de marché entre 2000 et 2005. Elle se situe d'ailleurs au-dessous de la moyenne des pays de l'OCDE en termes de compétitivité contrairement à l'Allemagne.

Toutefois, la compétitivité allemande ne s'est améliorée que récemment, celle-ci ayant subi, après la réunification, une forte dérive de ses coûts de production. Devant le risque d'une vague de délocalisations massives, les autorités allemandes ont réussi à convaincre les syndicats d'accroître la durée du travail sans augmenter les salaires. C'est ainsi que le modèle allemand a gagné en compétitivité avec des coûts de production très bas qui lui ont permis de gagner des parts de marché.

Ainsi, alors que la France et l'Allemagne sont positionnées, dans 80 % des cas, sur les mêmes secteurs, les différentiels de coûts, de l'ordre de 10 %, sont le plus souvent à l'avantage de l'Allemagne qui a progressivement gagné des parts de marché au détriment de la France. De plus, lorsqu'ils se situent à des prix équivalents, les produits allemands, réputés de meilleure qualité, se vendent mieux que les produits français.

Cette réalité contredit l'idée selon laquelle la France serait un des pays les plus attractifs pour les investissements directs à l'étranger (IDE). La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) a en effet publié des chiffres plaçant la France en deuxième position dans ce domaine en 2008. Or, aucun modèle économique ne peut expliquer ce résultat par rapport à celui de l'Allemagne par exemple, qui a pourtant des coûts salariaux comparables à ceux de la France et qui évolue dans le même contexte économique et financier européen.

Evalués par la Cnuced en 2008 à 66 milliards de dollars, il est apparu que les IDE de la France s'élèvent en réalité à 9 milliards si l'on neutralise la double comptabilisation des opérations financières réalisées par les groupes français avec leurs filiales implantées à l'étranger. Ces données corrigées sont en fait comparables aux montants des IDE allemands qui s'élevaient à 6 milliards de dollars. De plus, parmi les investissements comptabilisés, figure l'achat par des groupes étrangers d'entreprises en difficulté. Mais ces groupes procèdent généralement à une sélection très rigoureuse en ne retenant que les entreprises les plus efficaces et ces rachats se traduisent in fine par des réductions d'emploi afin d'améliorer la compétitivité, mais très rarement par une augmentation de l'activité et des exportations.

M. Michel Teston. - Vous avez dressé un tableau très pessimiste de la situation. Si l'on suit votre raisonnement, il semble que nous n'ayons pas d'autre choix que celui d'opter pour un modèle économique semblable à celui des pays à bas salaires. Et c'est, semble-t-il, faire preuve de naïveté que de se féliciter de l'implantation d'une entreprise étrangère en France si celle-ci n'a en réalité que pour seul but de préempter la demande française et non de développer notre économie et créer des emplois dans nos territoires.

De nombreux exemples illustrent votre théorie : l'implantation de Bombardier dans le Nord ou de sites d'assemblage d'autocars dans l'Est n'ont en effet permis de créer que quelques emplois en France en utilisant des pièces qui viennent de Suisse, d'Allemagne, du Portugal ou de la Turquie. Comment favoriser l'implantation en France d'entreprises qui créent davantage d'emplois ?

M. Jean-Jacques Mirassou. - Plus réaliste que pessimiste, votre analyse conduit à penser que si les usines suivent les clients, la Chine disposera probablement bientôt d'un avionneur compétitif qui concurrencera notre industrie aéronautique. Jusqu'à présent, ce secteur était protégé grâce à son avance technologique, mais je crains que nous perdions progressivement cet avantage. Déjà au niveau européen, la part de la production réalisée en Allemagne s'est accrue au détriment de la France et la situation risque de se dégrader.

M. Martial Bourquin, président. - Concernant les délocalisations, vous avez peu évoqué le transfert de modules entiers de la production automobile vers les pays voisins. Alors que les voitures allemandes sont produites à 70 % en Allemagne, les voitures françaises ne le sont qu'à moins de 50 %. On observe également des différences de modèles selon les entreprises : Peugeot réalise deux tiers de sa production en France tandis que Renault a délocalisé beaucoup plus. Comment expliquez-vous ces stratégies divergentes ?

M. Lionel Fontagné. - En réalité, les deux entreprises ne sont pas comparables : Renault est un groupe franco-japonais avec une stratégie de développement mondial qui privilégie la production délocalisée dans les pays à bas salaire tels que la Roumanie ; à l'inverse, Peugeot est un petit groupe européen dont la capacité d'innovation lui a permis de résister jusqu'à présent à la concurrence mondiale, mais il n'est pas certain qu'il pourra persister dans cette voie.

Concernant Airbus, la politique industrielle française est caractérisée par la priorité donnée à des secteurs, tels que l'aéronautique, les transports ferroviaires ou l'armement, pour lesquelles l'intervention des autorités politiques est souvent nécessaire. Or, l'influence de la France sur la scène internationale étant plus faible qu'auparavant, la situation économique de ces secteurs risque de se détériorer à moyen terme. L'économie allemande est moins dépendante de l'avenir de ces secteurs, car elle possède un tissu d'entreprises moyennes plus développé.

Par ailleurs, je ne crois pas que la sortie de crise se fera par une réduction des coûts salariaux. Je considère au contraire que le niveau des salaires est beaucoup trop bas en France, ce qui incite nos élites, en particulier les chercheurs, à s'exiler aux Etats-Unis où ils se voient offrir des salaires deux à trois fois supérieurs. En outre, le niveau de qualification moyen de la main-d'oeuvre française est relativement bas, ce qui affecte notre capacité d'innovation.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Nous restons tout de même leaders dans le secteur du luxe.

M. Lionel Fontagné. - Oui, mais il faudra néanmoins améliorer le système éducatif si l'on veut garder une longueur d'avance dans le domaine de l'innovation et des savoir-faire. A cet égard, le plan de modernisation des universités engagé par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et l'investissement massif, dans le cadre du grand emprunt, en faveur de la recherche et de l'innovation vont dans le bon sens. Mais nous avons pris du retard sur l'Allemagne où cette évolution a déjà eu lieu : l'université de Munich, par exemple, est devenue un pôle d'excellence qui attire des capitaux importants en provenance de nombreuses entreprises.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Il existe toutefois des secteurs pour lesquels la France garde un avantage compétitif et est relativement protégée de la concurrence internationale.

M. Lionel Fontagné. - Oui. Ce sont des secteurs pour lesquels il est généralement difficile d'exporter, du fait des risques liés au transport des marchandises, tels que la fabrication de plaques de plâtre, de verre plat, etc.

M. Martial Bourquin, président. - Pourriez-vous donner des éléments chiffrés plus précis sur les différentiels de coûts de production observés entre la France et les sites délocalisés ? Il existe des exemples de relocalisation, tels que Faurecia, qui a choisi de rapatrier en France ses chaînes de production de bobinage, après avoir constaté que pour un prix quasi équivalent, elle obtenait des produits de meilleure qualité en maintenant sa production à proximité des chaînes de montage.

M. Lionel Fontagné. - Au-delà des différentiels de coût, il y a également un enjeu lié au risque de déperdition de la technologie. Il est en effet plus difficile de protéger la propriété intellectuelle et de maintenir un haut niveau de recherche et développement lorsque les entreprises qui la mettent en oeuvre sont éloignées.

Enfin, il faut signaler aussi que beaucoup d'entreprises étrangères s'installent en France dans le contexte particulier d'une distorsion de concurrence, à l'occasion d'un marché public par exemple, ce qui explique qu'elles n'ont pas vocation à s'inscrire durablement dans le paysage économique français. Très peu d'entreprises s'implantent en France en dehors de ce cadre particulier, « ex nihilo ». Ainsi, après avoir remporté une partie du marché public du Transilien grâce aux subventions importantes dont elle bénéficie, l'entreprise canadienne Bombardier a été contrainte de s'installer en France, le temps d'achever la réalisation de la commande, mais il est fort probable qu'elle ne s'établira pas durablement.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Existe-t-il néanmoins une spécificité française ou des atouts que nous pourrions développer ?

M. Lionel Fontagné. - Il existe indéniablement des « success stories » qui sont le fait soit de l'innovation, soit d'idées originales, assorties d'une politique de marketing bien menée. Elles mériteraient certainement d'être développées.

Audition de M. Xavier Timbeau, directeur du département « analyse et prévision » de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), centre de recherche en économie de Sciences Po

La mission procède ensuite à l'audition de M. Xavier Timbeau, directeur du département « analyse et prévision » de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), centre de recherche en économie de Sciences Po.

M. Xavier Timbeau. - Je précise en préambule que mon cadre d'analyse général s'inscrit dans une approche macro-économique, inspirée en particulier par la géographie économique. Pour la plupart des économistes, le processus de désindustrialisation résulte de la combinaison de plusieurs phénomènes, ce qui rend difficile le travail d'interprétation. Parmi ces phénomènes, peuvent être relevés les suivants, les trois premiers étant les plus significatifs :

- la tertiarisation, qui se caractérise par un déplacement de la chaîne de création de valeur au profit des services. Ceux-ci font en effet l'objet d'une consommation croissante, y compris au cours des processus de fabrication. La part du travail manufacturé dans le prix des biens de consommation se réduit en effet progressivement, ainsi que l'illustre l'écart de un à cinq entre le coût de fabrication d'un téléphone portable et son prix de vente ;

- l'externalisation, qui correspond à un renforcement de la logique de division du travail. Les services aux entreprises, sous des formes de plus en plus diversifiés, se développent ainsi au détriment du secteur industriel, comme en témoigne l'essor des bureaux d'études. En France, ce mouvement, qui se traduit par une place grandissante accordée à l'intérim, représente environ statistiquement une perte de l'ordre de 700 000 emplois dans l'industrie, ce chiffre devant être soustrait des 2 millions d'emplois perdus dans le secteur industriel. Un tel résultat amènerait donc à nuancer le processus de désindustrialisation ;

- une moindre compétitivité des pays européens vis-à-vis du reste du monde, plus particulièrement des économies européennes traditionnelles à l'égard des économies émergentes des Etats d'Europe de l'Est. La perte de compétitivité de la France est un facteur essentiel de la destruction d'emplois dans le secteur industriel, comme l'illustre son impact statistique, estimé à environ un tiers des 2 millions d'emplois perdus dans l'industrie. Il convient aussi de s'interroger sur les méthodes d'évaluation de la compétitivité. En effet la comptabilisation de l'évolution des parts de marché en utilisant les volumes d'importation et d'exportation apparaît insuffisante et la prise en compte des valeurs ajoutées serait plus significative. Cette méthodologie conduit à surestimer la part de marché des produits allemands, notamment dans l'industrie automobile qui délocalise partiellement la production des véhicules. Une analyse plus fine des économies de l'Allemagne et de la France montrerait que leur différentiel de compétitivité est probablement moins important que ce que laissent penser les statistiques actuelles. Des travaux sont engagés en ce sens au sein de l'OFCE et suscitent par ailleurs un intérêt grandissant de la part des organisations internationales. De plus, la perte de compétitivité de l'économie française doit être relativisée en raison de la place prépondérante de l'Allemagne au sein du marché européen. En effet, les gains de parts de marché enregistrés par l'Allemagne résultent notamment des relations commerciales privilégiées tissées avec les pays d'Europe centrale et orientale. La comparaison avec l'Italie ou l'Espagne démontre que la France n'est pas dans une situation aussi défavorable pour ce qui concerne sa compétitivité en matière de coûts salariaux et de prix. En outre, le modèle de développement allemand présente des points forts spécifiques tels qu'une politique fiscale plus incitative, une adaptation du système de formation et des infrastructures publiques à la réalité industrielle, ou encore un recours massif à l'externalisation (« outsourcing ») dans les pays voisins. La structure de financement de son industrie s'appuie principalement sur les banques, à la différence du modèle anglo-saxon qui combine le financement bancaire et le recours aux marchés financiers ;

- les mutations structurelles des économies occidentales qui, dans le cadre de la division internationale du travail, ont tendance à se spécialiser sur le secteur des services. A cet égard, la France apparaît plutôt compétitive, en particulier dans certains domaines tels que le tourisme, le secteur agricole et agro alimentaire ou, encore, les services aux entreprises. Parmi ces derniers, l'ingénierie, le bâtiment ou les infrastructures urbaines constituent des exemples significatifs comme en témoigne la réussite de Veolia Environnement. Cette spécialisation de notre économie peut induire une valeur ajoutée au moins aussi importante que celle qui résulterait d'une industrie plus dynamique. Ainsi, plutôt que de fabriquer des trains ou des rails, il conviendrait de se spécialiser sur la conduite et l'accompagnement de projets industriels dans le secteur ferroviaire ;

- la géographie économique de la France, qui, en raison de la place prépondérante de l'Île-de-France, se caractérise par une structure monopolaire accentuée. La desserte du territoire national par les trains à grande vitesse (TGV), organisée exclusivement autour d'un centre, en est l'illustration. On constate par ailleurs que les avantages comparatifs relevés au niveau national, le tourisme ou les services aux entreprises en particulier, ne sont souvent que le reflet de l'exploitation des atouts de la région centrale.

M. Michel Teston. - Je suis rassuré par cette présentation nuancée de l'économie française. Sa perte de compétitivité semble surtout révéler les transformations profondes de notre tissu industriel. Dans un tel contexte, quels sont les domaines, notamment parmi les technologies nouvelles, dont il convient de privilégier le développement ? Renault semble ainsi se spécialiser sur les voitures électriques, tandis que Peugeot se concentre sur les véhicules hybrides.

Mme Christiane Demontès. - En tant que membre de la commission des affaires sociales, je m'interroge pour ma part sur les rôles que peuvent jouer la qualification et la formation dans l'accompagnement de ces évolutions économiques, en particulier de la désindustrialisation.

M. Martial Bourquin, président. - Cet exposé particulièrement convaincant appelle à faire preuve de mesure dans l'analyse du phénomène complexe que représente la désindustrialisation. Il démontre notamment que les handicaps de la France en matière industrielle doivent être fortement nuancés. A ce sujet, la relativisation de l'écart de compétitivité avec l'Allemagne apparaît très stimulante et appelle des analyses plus approfondies.

Par ailleurs, les initiatives prises par M. Christian Streiff à la tête de PSA montrent l'importance d'une stratégie d'entreprise. Quelle est la part du volontarisme dans la politique industrielle ?

M. Xavier Timbeau. - S'agissant tout d'abord des points forts sur lesquels la France peut s'appuyer, je mentionnerais :

- le secteur agricole et agro-alimentaire. Nous pouvons profiter de la préservation de nos surfaces agricoles et en saisir les opportunités, dans un contexte de promotion de l'agriculture raisonnée qui invite à consommer mieux en prenant en compte l'ensemble des coûts environnementaux. Au niveau industriel, des opportunités restent à développer pour ce qui concerne les produits protéinés d'origine non animale ;

- la production d'énergies, y compris nucléaire mais pas seulement, représente un atout considérable. Il convient de promouvoir une politique de recherche, qui permettrait de développer une alternative à l'uranium, dont les réserves sont limitées. La France pourrait tirer de grands profits d'une telle spécialisation ;

- l'organisation collective des transports et des villes. La réduction des temps de transport favoriserait de moindres dépenses énergétiques et limiterait la production de gaz à effet de serre, la tonne de CO2 pouvant en effet atteindre, dans les prochaines décennies, le prix de 500 euros.

S'agissant des politiques de formation, la France n'est dotée d'un système efficace que pour la qualification de ses élites. Elle présente en revanche des faiblesses en matière d'enseignement supérieur de masse, à la différence de l'Allemagne. Il apparaît donc prioritaire, dans le cadre de la massification de l'enseignement y compris supérieur, de cibler les politiques d'éducation sur des formations plus qualifiantes, plus adaptées, voire directement professionnalisantes.

Enfin, concernant la place du volontarisme dans les politiques industrielles, il convient de souligner la relative discrétion des pouvoirs publics allemands qui ont fait le choix de déléguer la plupart des décisions stratégiques aux dirigeants des grandes entreprises. Il s'agit d'une caractéristique assez rassurante pour les investisseurs. A l'inverse, la France pâtit plutôt d'une mauvaise réputation à l'international en raison de l'interventionnisme excessif de l'Etat dans l'économie, tout particulièrement dans la sphère industrielle. Comme le montre a contrario l'exemple d'Airbus, l'impulsion d'une politique industrielle par les pouvoirs publics doit déboucher rapidement sur une gouvernance claire de l'entreprise. Il est donc nécessaire de distinguer les responsabilités de l'Etat et des gestionnaires de l'entreprise.

Au total, il semble plutôt préférable d'agir sur l'environnement économique. Ainsi, la construction d'une ligne de trains à grande vitesse (TGV) entre Paris et Toulouse peut apporter plus à notre industrie aéronautique qu'une politique interventionniste étatique. De même, Montpellier a su mettre en place un contexte local particulièrement attractif et propice au développement des entreprises.

Aujourd'hui, les pouvoirs publics devraient se concentrer sur une démarche de ce type et favoriser la transition d'une structure monopolaire vers un système multipolaire, au sein duquel les réseaux de communication, le cadre de vie et les aménagements urbains garantiraient une attractivité accrue de nos territoires.

M. Martial Bourquin, président. - Je remarque que Peugeot a rapatrié un de ses bureaux d'études à Sochaux grâce à la construction de la ligne de TGV.

M. Michel Teston. - L'interventionnisme allemand dans l'économie ne doit pas être sous-estimé. Il est bien réel lorsque l'intérêt national est en jeu, et avec au moins autant de force qu'en France, comme le montre l'exemple de l'offre publique d'achat (OPA) hostile de Sanofi Synthélabo sur Aventis.

Par ailleurs, alors que l'Etat a pendant longtemps porté de grands projets industriels dans différents domaines tels que le nucléaire, le ferroviaire ou, encore, les télécommunications, la décentralisation encourage aujourd'hui une impulsion de la politique industrielle par les collectivités territoriales, comme en témoigne l'exemple de Montpellier.

M. Martial Bourquin, président. - Cette audition a été particulièrement intéressante pour la mission. L'approche originale du processus de désindustrialisation qui a été présentée et les préconisations qui ont été formulées stimuleront la réflexion de la mission. Il conviendra donc de poursuivre les échanges avec l'OFCE.