Mercredi 19 mai 2010

- Présidence de M. François Autain, président -

Audition de M. Ulrich Keil, professeur, directeur de l'Institut d'épidémiologie à l'Université de Münster

La commission d'enquête a tout d'abord entendu le professeur Ulrich Keil, directeur de l'Institut d'épidémiologie à l'Université de Münster.

M. Ulrich Keil a déclaré à titre liminaire que la déclaration d'une pandémie de grippe A (H1N1)v le 11 juin 2009 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) constituait un événement sans précédent.

En mai 2009, l'OMS avait supprimé la sévérité de la maladie dans la définition d'une alerte pandémique de phase 6, n'exigeant plus qu'un unique critère : la diffusion rapide et mondiale d'un nouveau virus contre lequel la population n'est pas immunisée.

Ainsi, pour la première fois, des mesures coûteuses telles que la production de vaccins et des campagnes de vaccination de masse ont été déclenchées dans l'ensemble du monde. Et nous sommes toujours à la phase 6 de la pandémie, bien qu'il n'y ait eu aucune indication d'une menace sérieuse pour la santé du fait du virus A (H1N1) dans les deux hémisphères, et bien que le virus ne soit pas nouveau.

Ni l'OMS, ni les comités d'experts nationaux sur la grippe, ni les gouvernements n'ont informé le grand public que le virus A (H1N1) était connu depuis des décennies. Il a été apporté aux Etats-Unis par les soldats revenant du Viêt-Nam dans les années 70, et était connu sous l'appellation de grippe porcine asiatique. En 1976, une campagne nationale de vaccination contre cette grippe a été lancée à l'initiative du président Gérald Ford, à la suite, en fait, d'une série, à Philadelphie, de cas de légionellose qui est une affection bactérienne et non virale. Quarante millions de citoyens des Etats-Unis ont néanmoins été vaccinés contre la grippe parce que les spécialistes en maladies infectieuses du Center for Disease Control (CDC) étaient convaincus que le virus A (H1N1) était similaire à celui qui avait provoqué l'épidémie de grippe espagnole de 1918-1920, qui a fait vingt-cinq à quarante millions de victimes au sein de populations frappées par la guerre et la faim.

Cependant, la campagne de vaccination a été arrêtée brutalement quand on s'est avisé que le virus n'avait causé qu'une maladie bénigne et sans complications chez seulement cinq cents personnes, et un seul décès. Le vaccin, en revanche, avait des effets secondaires neurologiques sévères, à savoir le syndrome de Guillain-Barré. L'histoire de cette campagne de vaccination a été rappelée par le Washington Post le 27 avril 2009. Dans leur ouvrage « L'épidémie qui n'a pas existé », Richard Neustadt et Harvey Fineberg ont conclu que cinq facteurs avaient affecté le processus de décision de 1976 :

- la confiance excessive des spécialistes dans des théories extrapolées à partir de maigres données ;

- une conviction alimentée par la conjonction d'objectifs personnels ;

- un engagement prématuré de décider plus que ce qui n'avait à l'être ;

- l'absence d'une prise en compte des incertitudes, qui aurait permis de prévoir de revenir en arrière ;

- une mise en question insuffisante de la logique scientifique et des processus de mise en oeuvre.

A l'évidence, on n'a pas tiré les enseignements de l'épisode de 1976. Les effets bénins du virus A (H1N1) ont été observés dans le monde entier, comme ce fut le cas à l'époque. En Allemagne, dix mille morts sont imputées chaque année à la grippe saisonnière, en particulier chez les personnes âgées et fragiles, alors que la prétendue pandémie de grippe A n'y a provoqué que trois cents décès.

A l'évidence, aussi, les personnes les plus âgées étaient évidemment immunisées contre le virus A (H1N1), puisqu'on n'a trouvé quasiment aucune infection chez les personnes de soixante ans et plus. Ce qui indique clairement que ces personnes ont été déjà en contact avec le virus ou avec des vaccins contenant un antigène du virus.

En dépit du caractère contradictoire des données provenant du Mexique et de la faiblesse des preuves peu convaincantes compilées par le CDC d'Atlanta et le Centre européen de contrôle des maladies de Stockholm (ECDC), le directeur général de l'OMS, le docteur Margaret Chan, a déclaré le 12 juin 2009 une pandémie de grippe A (H1N1) qui a déclenché en cascade, dans les différents Etats, les actions qui avaient été préparées dans les années suivant les craintes relatives à des épidémies de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et de grippe aviaire.

En Allemagne, le ministère fédéral de la santé et les ministères des seize Länder ont commandé cinquante millions de doses de vaccins et s'attendaient à vacciner des millions de personnes. Il est intéressant de noter que les contrats contraignants et étendus avec le producteur de vaccins pour l'Europe, GlaxoSmithKline (GSK), avaient déjà été signés en 2007, après l'autorisation d'une maquette de nouveau vaccin pandémique.

L'OMS insiste sur le concept théoriquement dangereux de réassortiment génétique, c'est-à-dire d'une combinaison de deux virus infectant simultanément un hôte qui aboutit à la création d'un nouveau virus hautement pathogène et meurtrier. Ces scénarios de « virus tueurs », qui ont été propagés par les gouvernements, les producteurs de vaccins et leurs experts d'abord pour le SRAS puis pour la grippe aviaire, puis pour la grippe A, assortis de la prédiction de millions de morts, renvoient à des peurs profondément enracinées, liées à des fléaux comme la grippe espagnole. Cependant, il n'y a pas eu en Allemagne un seul décès dû au SRAS ou à la grippe aviaire et la grippe A n'a causé que trois cents morts, bien en-deçà du nombre habituel des victimes de la grippe saisonnière.

Néanmoins, des quantités massives d'antiviraux ont été commandées en Allemagne, trente-quatre millions de doses de vaccins ont été achetées sur cinquante millions commandées par les autorités fédérales et les Etats. Les laboratoires producteurs de vaccins ont gagné plus de 500 millions d'euros du fait de cette campagne de vaccination inutile. Ce coût doit être supporté par le contribuable allemand.

Dans les années récentes, on a assisté à plusieurs campagnes fondées sur la peur, avec le SRAS en 2002-2003, puis la grippe aviaire en 2005-2006 et nous vivons aujourd'hui la soi-disant pandémie de grippe A. Le nombre de morts dues au SRAS n'est cependant que de cinquante-trois dans le monde, et la grippe aviaire n'a jusqu'ici frappé que quatre-cent quatre vingt-seize personnes, tuant deux-cent quatre-vingt-treize d'entre elles. Il est important de se rappeler que la grippe aviaire n'a pu être contractée que par des personnes en contact étroit avec des oiseaux et est restée dès lors une zoonose régionale. Pourtant, la grippe aviaire est devenue le modèle des scénarios de grippe pandémique transformant les stratégies de prévention saisonnière présentées comme inefficaces face à une pandémie. Encore une fois, aucune de ces prédictions ne s'est réalisée.

Au regard des faits, la grippe A apparaît comme une énorme « bulle de marketing ». L'OMS, et ses conseillers nationaux et internationaux ainsi que les autorités nationales doivent révéler leurs processus de décision et tirer les conséquences de leurs erreurs de jugement. Sinon, un mouvement perpétuel mondial d'épidémies imaginaires ne cessera de nous hanter, avec des conséquences financières désastreuses.

Un article publié dans le British Medical Journal du 10 février 2010 a évoqué avec raison le « tour de passe-passe des alertes exagérées ». Il est essentiel de mettre fin à cette série ininterrompue depuis le SRAS et d'éviter de renouveler les mêmes erreurs. Il faut poser les conditions d'une analyse et d'un discours équilibrés sur les pandémies. M. Ulrich Keil a conclu en rapportant que, lors du dernier congrès annuel d'épidémiologie allemande à Münster, il avait demandé au docteur Krause, de l'institut Robert Koch de Berlin, s'il lancerait une campagne de vaccination si l'année prochaine l'OMS déclarait une pandémie d'éternuements. A sa grande stupéfaction, ce dernier lui a répondu par l'affirmative.

M. Alain Milon, rapporteur, a souligné que les auditions menées par la commission d'enquête tendaient à démontrer que l'OMS n'avait pas retenu une définition adéquate de la pandémie, ce qui a eu des conséquences importantes et il a estimé que la préparation d'une pandémie de grippe H5N1 relevait d'une erreur manifeste d'appréciation.

Il a souhaité savoir pourquoi le professeur Keil ne partageait pas l'opinion que le virus A (H1N1) était un virus nouveau issu d'un réassortiment génétique.

M. Ulrich Keil a répondu que les spécialistes de la grippe étaient impatients de commencer une campagne de vaccination, sur le modèle de celle prévue pour la grippe aviaire. Un article du British Medical Journal (BMJ) a comparé avec raison la préparation engagée depuis 2005 pour lutter contre la grippe aviaire à la « surpréparation » militaire qui a été à l'origine de la Première Guerre mondiale. Comme en 1914, un incident a suffi à lancer un processus qui ne pouvait plus être arrêté. Mais cet incident n'a pu survenir que parce que le critère de gravité a été retiré de la définition de la pandémie. Le rôle d'experts comme Roy Anderson a été déterminant à cet égard, alors que le suivi de l'épidémie dans l'hémisphère sud avait montré que la pandémie n'était pas grave. Il est aberrant que la phase 6 n'ait toujours pas été levée par l'OMS.

En ce qui concerne le virus, la preuve qu'il existait déjà est que les personnes de plus de soixante ans n'ont pas été infectées. Il y a en permanence des petites modifications des virus et tout indique que le virus A (H1N1) n'est effectivement qu'une variation mineure d'un virus qui existait déjà.

M. Alain Milon, rapporteur, a demandé s'il fallait déduire de l'exemple de la campagne menée en 1976 aux Etats-Unis que la vaccination de masse n'était pas la réponse la plus adaptée à une pandémie grippale.

M. Ulrich Keil a insisté sur le fait que la médecine aussi doit apprendre de l'histoire - en l'occurrence de l'évaluation précise menée par Harvey Fineberg de la vaccination de 1976. Le recours au vaccin doit être toujours fonction d'un équilibre bénéfice-risque. En 1976, le vaccin causait plus de dommages qu'il n'apportait de protection. Il n'est pas impossible qu'il en soit de même avec le vaccin contre la grippe A. Les autorités sanitaires suédoises, qui sont particulièrement méticuleuses, ont relevé cinq décès du fait de la vaccination. Celle-ci n'était donc pas nécessaire. Il serait utile de mettre en place un suivi plus précis de la grippe, comme on le fait pour les maladies chroniques, et de mieux proportionner la réponse internationale à la diffusion des virus. Le recours à la phase 6 était ainsi excessif.

M. François Autain, président, a demandé au professeur Keil de préciser sa réponse à la question du rapporteur sur l'intérêt du recours à une vaccination de masse pour lutter contre une pandémie grippale.

M. Ulrich Keil a déclaré qu'il n'était en rien opposé à la vaccination qui, sous l'égide de l'OMS, a permis notamment d'éradiquer la variole. Force est cependant de constater que les bases empiriques pour justifier de l'intérêt du vaccin saisonnier contre la grippe ne sont pas claires. La théorie du réassortiment des virus n'est pas, à ce jour, prouvée. On agite toujours l'exemple de la grippe espagnole comme une menace à l'encontre de ceux qui minimiseraient un risque pandémique. On sait cependant que le virus de la grippe espagnole était considérablement moins virulent que les virus saisonniers actuels et que le nombre élevé de morts était dû au fait qu'il avait frappé des populations pauvres, mal nourries, affaiblies par la guerre. Si un tel virus se diffusait à nouveau, 96 % des morts seraient constatées dans les pays du Tiers Monde. Or, ce sont les populations des pays développés qui sont vaccinées.

La ministre polonaise de la santé a refusé la vaccination, soulignant qu'elle ne travaillait pas pour les laboratoires mais pour le peuple polonais.

Ce choix était avisé et la pandémie n'a pas eu plus d'impacts en Pologne qu'ailleurs.

L'utilité du recours à la vaccination antigrippale de masse est problématique, qu'il s'agisse de lutter contre un virus saisonnier ou un virus pandémique.

M. Alain Milon, rapporteur, a demandé pourquoi, si les données indiquaient la faible gravité du virus, les analyses de la majorité des épidémiologues avaient été si alarmistes.

M. Ulrich Keil a estimé qu'il s'agissait là d'un phénomène surprenant. Les données de l'hémisphère sud montraient clairement que le virus était bénin. Il faut cependant se rappeler que l'habitude de bâtir des scénarios catastrophes est ancienne, comme on l'a vu pour l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), le SRAS et la grippe aviaire avant la grippe A. Aucune de ces maladies ne s'est en fait avérée aussi grave que prévu. Il faut également prendre en compte les enjeux personnels et l'aspect valorisant qu'il y a à travailler sur une maladie mortelle. Tout le monde veut être important. Les articles du professeur Osterholm dans le New England Journal of Medecin sont particulièrement significatifs de ce type de démarche.

Il convient de rappeler que, parallèlement à la multiplication des alertes épidémiques, l'espérance de vie a augmenté de trois ans pendant la première décennie de ce siècle.

M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité connaître la réaction du professeur Keil sur les affirmations de l'OMS selon lesquelles la gravité n'avait jamais figuré comme critère de la pandémie.

M. Ulrich Keil a rappelé que l'OMS avait multiplié les affirmations contradictoires. Il est faux de dire que la gravité ne faisait pas partie de la définition de la pandémie. Il est d'ailleurs logique qu'elle en fasse partie. Un rhume banal ne peut être considéré comme une pandémie. Le critère de gravité n'a été supprimé que pour permettre de passer à la phase 6 de déclaration de la pandémie.

M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si, du fait de son expérience en tant qu'expert de l'OMS, le professeur Keil estimait que les conflits d'intérêts y étaient bien gérés. Y a-t-il au sein de l'OMS une influence des laboratoires qui aurait pesé sur la déclaration de la pandémie ?

M. Ulrich Keil a indiqué qu'il ne disposait pas de preuve en ce sens, mais qu'il était de notoriété publique que plusieurs experts de l'OMS qui s'étaient montrés particulièrement alarmistes avaient des liens étroits avec les laboratoires et notamment avec GSK.

L'enjeu économique de la déclaration de la pandémie était majeur pour les laboratoires qui ont fait 18 milliards d'euros de chiffres d'affaires grâce à la vente des vaccins. Il faut empêcher qu'une telle situation se reproduise. En Allemagne, 7 % seulement de la population se sont fait vacciner et les administrations sont pleines de stocks de vaccins inutiles et qui seront perdus.

M. François Autain, président, a rappelé la question du rapporteur sur la gestion des liens d'intérêts au sein de l'OMS.

M. Ulrich Keil a souligné que l'OMS avait très strictement contrôlé les liens d'intérêt dans le contexte de ses travaux de lutte contre le tabac. Elle devrait respecter des règles aussi strictes dans tous ses comités. Il faut donc renforcer les contrôles des liens d'intérêt et interdire aux personnes ayant des conflits d'intérêts de siéger dans les comités.

Mme Marie-Christine Blandin a demandé si les arguments de ceux qui justifiaient le recours à une alerte de niveau 6 comme une nécessité légale pour lancer la production de vaccins et les campagnes publiques de vaccination étaient recevables.

M. Ulrich Keil a répondu que le recours à la phase 6 n'était pas nécessaire car la maladie n'était pas grave. La population n'a d'ailleurs pas cru à la gravité du virus ni à la nécessité du vaccin.

M. François Autain, président, a demandé pourquoi le professeur Keil estimait peu crédible une mutation du virus A (H1N1) vers une forme plus virulente.

M. Ulrich Keil a expliqué que la mutation virale vers des formes plus virulentes n'est qu'une théorie qui n'a jamais encore été prouvée. Il est nécessaire que les épidémiologistes se fondent sur des observations concrètes et sur la réalité des faits. Au risque de se répéter, il a rappelé que l'observation de l'épidémie dans l'hémisphère sud permettait de savoir à quoi s'en tenir sur la gravité de l'épidémie.

M. François Autain, président, a fait état de son hypothèse selon laquelle un virus tueur a nécessairement une diffusion moindre qu'un virus bénin.

M. Ulrich Keil a estimé que cette hypothèse était sensée. En effet, un virus qui tue ses hôtes ne peut se diffuser. Par ailleurs, il faut souligner que la médecine est aujourd'hui beaucoup trop centrée sur les théories infectieuses des maladies et néglige les causes sociales. Les populations bien nourries et en bonne santé des pays développés ont en réalité peu à craindre de virus comme celui de la grippe espagnole. Il est plus important de s'intéresser aux maladies qui tuent des millions de personnes dans ces pays, comme le cancer ou l'hypertension. En ne hiérarchisant pas les priorités et en jouant sur les peurs ancestrales liées à la peste ou à la petite vérole, véhiculées par les médias et certains théoriciens, on perd toute perspective de santé publique. Face à l'allongement de la durée de la vie de deux mois et demi par an en moyenne depuis les années 1840, il est plus important de se concentrer sur les déterminants de la bonne santé que sont la nutrition, les conditions de travail et l'exercice régulier.

M. François Autain, président, a demandé au professeur Keil s'il récusait l'idée que la grippe est un grand fléau de l'avenir.

M. Ulrich Keil a affirmé qu'il contestait clairement cette assertion.

Mme Christiane Kammermann a demandé si les effets secondaires des vaccins étaient connus et s'il n'était pas préférable, face à la pandémie, d'avoir pris trop de précautions que nécessaire que le contraire. Elle s'est par ailleurs dite effarée par l'idée, avancée par le professeur Keil, que certaines personnes pourraient provoquer de fausses alarmes pour satisfaire leurs ambitions personnelles.

M. Ulrich Keil a dit comprendre que les autorités politiques veuillent prendre toutes les précautions nécessaires pour protéger les populations. En Allemagne, le ministre de la santé a dû démissionner à la suite de l'affaire de l'ESB. Il faut cependant se garder de l'hystérie véhiculée par les scientifiques et par la presse. Le courage politique dont a fait preuve la ministre polonaise de la santé, qui est elle-même médecin, est exemplaire. Le risque, en cédant à l'alarmisme, est de décrédibiliser les politiques de santé publique. Il faut mettre un terme à cette série d'alertes infondées. Comme l'a souligné récemment un article du British Medical Journal, voilà trois fois que l'on suscite des peurs infondées. Si un jour, il se passait vraiment quelque chose de grave, les gens risqueraient de ne pas le croire.

M. Michel Guerry a demandé s'il est exact qu'en Pologne la décision de ne pas acheter de vaccins a été prise sur l'avis des académies de science et de médecine et contre celui des instances administratives.

M. Ulrich Keil a noté qu'en Allemagne, les deux institutions publiques de type académique, dont certains membres ont des liens très étroits avec l'industrie, se sont montrées très favorables à la vaccination. De fait, il est très difficile d'avoir recours à des experts indépendants comme le montre l'ouvrage de Marcia Angell, qui fut pendant dix ans rédactrice en chef du New England Journal of Medecine, « The Truth About the Drug Companies: How They Deceive Us and What to Do About It » (« La vérité sur les entreprises pharmaceutiques : comment elles nous trompent et comment réagir »).

M. François Autain, président, a confirmé l'intérêt de cet ouvrage.

M. Michel Guerry a souhaité savoir quelles conséquences auraient les agissements auxquels on a assisté : l'OMS, les experts, les politiques vont-ils changer d'attitude ?

M. Ulrich Keil a espéré que les autorités nationales et internationales seraient désormais attentives aux critiques, et il a considéré qu'il fallait obliger les institutions comme l'OMS à revenir sur leurs erreurs et à mener une action conforme à leur mission. Sans cela, le risque est de continuer à gaspiller de l'argent sans bénéfice pour les populations et de décrédibiliser les politiques de santé.

Une proposition constructive pourrait être de mettre en place de meilleurs systèmes de surveillance épidémiologiques des maladies infectieuses, de mener plus d'études sur le terrain et non plus uniquement des études en laboratoire. Cela permettrait d'éviter des erreurs de jugement.

Mme Christiane Kammermann a réitéré sa question sur les effets secondaires des vaccins pandémiques.

M. Ulrich Keil a jugé que les vaccins adjuvantés utilisés en Allemagne avaient plus d'effets secondaires que les vaccins sans adjuvants utilisés aux Etats-Unis. Cependant, les méthodes de recensement des effets secondaires sont parfois particulièrement restrictives et peu scientifiques, et il est donc difficile de mesurer précisément les effets secondaires des vaccins.

Audition de M. Tom Jefferson, épidémiologiste, membre du réseau Cochrane Acute Respiratory Infections Group

La commission d'enquête a ensuite entendu M. Tom Jefferson, épidémiologiste, membre du réseau Cochrane Acute Respiratory Infections Group.

M. François Autain, président, a remercié M. Tom Jefferson d'avoir remis à la commission d'enquête une note écrite détaillant ses activités et les sources de financement des recherches qu'il conduit dans le cadre du réseau Cochrane.

M. Tom Jefferson a indiqué qu'il présenterait brièvement à la commission, en procédant à l'aide d'une vidéoprojection, un certain nombre de « points-clés » qui lui semblent essentiels pour éclairer le débat sur la grippe A (H1N1)v.

Le premier de ces points est la définition de la grippe.

La grippe au sens strict du terme (en anglais « influenza ») et les maladies de type grippal (en anglais « influenza like illnesses » ou ILI) ne sont pas la même chose, bien que l'une et les autres soient souvent confondues dans les documents publics, par les médias ou de soi-disant experts.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a donné une définition des maladies de type grippal correspondant à des symptômes que nous avons tous connus, car nous avons tous eu ce qu'on appelle communément « la grippe » (en anglais « flu »).

Ces symptômes, ce sont la fièvre, des maux de tête, des douleurs, des problèmes respiratoires...

Mais le problème, c'est que seule une petite minorité (7 à 15 %) des pathologies se manifestant par ces symptômes sont véritablement des grippes, provoquées par un virus grippal A ou B, qui sont les principaux virus grippaux pathogènes pour l'homme.

Les autres peuvent être dues à bien d'autres virus, à des bactéries, voire au stress ou à la pollution.

Sur la base d'observations cliniques et d'études spécifiques, les travaux du groupe Cochrane ont établi que sur une population de cent personnes, on constatera par an, en moyenne, sept cas de maladies de type grippal, dont un seul sera causé par un virus grippal.

Cette proportion d'un septième est à rapprocher des résultats d'une étude d'octobre 2009 publiée dans la revue The Lancet, qui indique que l'on a détecté la présence du virus A (H1N1)v chez 11 % des personnes qui avaient présenté une maladie de type grippal.

La grippe est donc une maladie relativement rare parmi l'ensemble des affections de type grippal que l'on recense à travers les symptômes que déclarent les patients chez leur médecin, les informations recueillies par des systèmes de veille sanitaire. Les outils Internet, comme le logiciel Flu Tracker de Google, qui sont censés permettre de suivre l'évolution des vagues de grippe, montrent en fait l'évolution de l'ensemble des maladies de type grippal.

La définition de la grippe n'est donc pas du tout spécifique.

Si l'on voulait savoir si les personnes qui présentent ces symptômes ont vraiment la grippe, il faudrait procéder à des tests pour savoir si elles sont infectées par un virus grippal.

Cette confusion entre grippe et maladies de type grippal conduit à exagérer l'incidence de la grippe saisonnière.

Cette incertitude sur l'ampleur de la grippe saisonnière explique peut-être celle qui affecte la définition de la grippe pandémique, qu'a modifiée l'OMS : en somme, a souligné M. Tom Jefferson, en abordant ce deuxième point-clé, la grippe pandémique est ce que l'OMS décide qu'elle est.

L'OMS a dit n'avoir pas modifié la définition de la grippe pandémique, mais c'est faux. Un logiciel Internet, Wayback Machine, permet de retrouver les anciennes définitions. De 2003 à 2009, il y a pandémie lorsqu'apparaissent « plusieurs épidémies simultanées à travers le monde avec un grand nombre de décès et de maladies ».

Ce critère lié à la gravité à disparu en mai 2009 de la définition de l'OMS, comme l'a montré un étudiant doctorant à Harvard, Peter Doshi. Le Centre de prévention et de contrôle des maladies (Center for Disease Control and Prevention, CDC) d'Atlanta a également modifié sa définition.

Non seulement la définition de la pandémie a changé avec la disparition des critères de gravité, mais il a également été apporté la preuve que l'OMS a modifié le contenu de ses pages sur Internet sans changer la date affichée, ce que l'on pourrait considérer comme « un faux en écriture », comme le retrace une étude publiée dans le British Medical Journal (BMJ) : Peter Doshi a téléchargé ces documents trouvés grâce à Google, dont les traces ne vont pas disparaître, à la différence des documents de l'OMS. Pour citer une malédiction chinoise, a conclu M. Tom Jefferson, nous vivons une ère intéressante.

Un troisième point concerne les experts, dont les avis ne se fondent pas sur des preuves scientifiques suffisantes.

Il existe une mentalité collective (group think), selon le terme utilisé par Harvey Fineberg à propos de « l'épidémie qui n'a jamais existé », celle de grippe porcine aux Etats-Unis en 1976.

Les experts « leaders d'opinions clés » (« key opinions leaders » ou KOL), comme les appellent les agences de communication, n'apparaissent pas spontanément.

Ils sont recrutés assez jeunes, ils peuvent être « fabriqués » pendant des années. Ces leaders d'opinion sont chargés de faire passer des messages clés.

Certains d'entre eux ont fait carrière au sein des comités responsables de la grippe à l'OMS, y compris du comité d'urgence dont nous ne connaissons que le président, l'Australien M. Mackenzie. Il existe beaucoup « d'experts », réticents à révéler leurs liens d'intérêt, il y en a aussi qui n'ont aucun lien d'intérêt mais ont des motivations de carrière.

Pour illustrer les effets de l'action des « leaders d'opinion », M. Tom Jefferson a cité un extrait de l'ouvrage consacré par le professeur Philip Alcabes à l'ouvrage (« Dread » ou « Epouvante ») qu'il a consacré aux peurs et aux fantasmes associés aux épidémies : « Nous sommes censés être préparés à faire face à une pandémie de grippe d'une sorte ou d'une autre, car ceux qui guettent les grippes, ceux qui consacrent leur carrière à l'étude des virus et qui ont besoin d'un flux continu de subventions pour poursuivre cette étude doivent convaincre les bailleurs de fonds de l'urgence de combattre un fléau à venir ».

Il a ensuite montré des titres et des couvertures de grands périodiques et cité les articles d'experts ou de journalistes de renom consacrés à l'annonce des effets dévastateurs de pandémies grippales futures, observant que certaines présentations relevaient du « terrorisme intellectuel », alors que les menaces à redouter pèsent surtout sur les contribuables, et que l'industrie pharmaceutique trouve toujours de bons journalistes prêts à pister « la prochaine grippe tueuse » qu'évoquait par exemple un titre d'une publication de grande renommée, le « National Geographic ».

Il a également dénoncé les références à la grippe espagnole de 1918, soulignant que les études consacrées à cette épidémie tendent à conclure que ses conséquences ne seraient plus aujourd'hui ce qu'elles ont été à l'époque.

M. Tom Jefferson a enfin soulevé la question de l'efficacité de la vaccination et des traitements antiviraux contre la grippe, dont il a estimé qu'elle n'était pas scientifiquement prouvée.

Pour ce qui est de la vaccination, montrant des diapositives illustrant les données tirées par Cochrane de quarante-deux essais cliniques réalisées sur une longue durée, il a indiqué que l'on pouvait conclure, à partir de ces essais, qu'en moyenne, sur cent personnes adultes vaccinées, une présentera des symptômes de grippes ; sur cent personnes non vaccinées, il y en aura en moyenne deux. Cela revient à dire que vacciner cent personnes ne permet d'éviter qu'un seul cas clinique de grippe. De plus, on n'a pas de preuve que la vaccination permet d'éviter les complications ou un décès, peut-être parce que ces cas graves sont trop rares pour apparaître au sein de l'échantillon considéré.

En ce qui concerne les antiviraux, M. Tom Jefferson a relevé que très peu de données concernant des essais menés par le laboratoire Roche avaient été publiées. On estime que soixante-dix-sept essais ont été réalisés depuis 1997, dont huit seulement ont donné lieu à des publications.

Or, les politiques d'emploi du Tamiflu ont été fondées sur les seuls résultats publiés et non sur l'ensemble des données collectées.

En particulier, les essais publiés ne donnent aucune indication sur les effets du Tamiflu sur les complications de la grippe.

On peut donc se demander si le Tamiflu est plus efficace que l'aspirine, qui coûte beaucoup moins cher et dont les effets toxiques sont mieux connus que ceux du Tamiflu.

Compte tenu de tous ces éléments, que propose l'OMS pour lutter contre la grippe ? Un document d'orientation d'avril 2009 de soixante-trois pages sur la préparation et la réponse à une pandémie de grippe fait apparaître seize citations relatives aux antiviraux et vingt-quatre aux vaccins, tandis que le lavage des mains n'est mentionné que deux fois. Pourtant, on sait qu'il suffit que quatre personnes se lavent les mains plus de dix fois par jour pour éviter un cas de Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), comme le fait apparaitre une méta-analyse à partir de six études de terrain menées en Extrême-Orient en 2003, lors du pic de l'épidémie de SRAS. Ces résultats proviennent d'une analyse Cochrane réalisée à partir de cinquante-neuf études cliniques.

Se laver les mains coûte moins cher que des médicaments. Cette méthode permet d'éviter les gastro-entérites et peut être mise en place dans les pays pauvres à tout moment, permettant de sauver des vies. Par exemple, un bébé dans un bidonville de Karachi peut éviter une pneumonie si la mère et son enfant se lavent les mains. Aussi peut-on s'interroger sur les raisons pour lesquelles le document d'orientation de l'OMS ne parle pas davantage du lavage des mains, en insistant au contraire sur l'intervention pharmacologique.

M. Alain Milon, rapporteur, a estimé que l'expérience de la grippe A (H1N1)v semblait démontrer qu'une définition des pandémies excluant toute référence à leur gravité pose de sérieux problèmes en termes d'organisation des réponses aux crises pandémiques et de perception sociale des risques sanitaires.

Cependant, lors de ses auditions, il a été objecté à la commission d'enquête qu'il était difficile de donner une définition objective et incontestable du critère de gravité qui pourrait permettre de caractériser une pandémie. Que penser de cette objection ? Comment pourrait-on formuler ce critère ?

M. Tom Jefferson a relevé que l'abaissement du seuil d'une pandémie et l'élimination du critère de gravité sont très favorables aux laboratoires qui fabriquent les vaccins, car cela permet de considérer des grippes saisonnières comme des pandémies. L'OMS prétend en effet que la propagation et la nouveauté du virus sont les seuls critères de définition d'une pandémie. Pour l'OMS, d'ailleurs, nous sommes toujours en situation de pandémie.

Si 11 % des personnes qui ont présenté des symptômes de type grippal ont effectivement été atteintes par le virus H1N1, quels facteurs vont être à l'origine des autres pathologies constatées ? Ce sont forcément d'autres virus, d'autres agents pathogènes. Pourquoi personne ne s'intéresse-t-il à ces autres facteurs de maladie ? N'est-ce pas parce qu'on n'a pas d'antiviraux et de vaccins pour lutter contre eux ?

Par ailleurs, il convient de rappeler que le changement de définition de la pandémie est intervenu à un moment déterminant, entre le 1er et le 9 mai 2009, sans qu'on en connaisse la raison.

S'associant à la question du rapporteur, M. François Autain, président, a souligné que plusieurs des personnes entendues par la commission d'enquête avaient reconnu qu'il serait intéressant d'intégrer la gravité dans la définition d'une pandémie, mais qu'il était difficile de se mettre d'accord sur les critères qui permettraient de caractériser cette gravité. Cet argument est-il sérieux ou fallacieux ? Pourrait-on trouver un critère sur lequel tout le monde serait d'accord, de manière à éviter des mesures disproportionnées comme celles que nous avons connues lors de la pandémie grippale ?

M. Tom Jefferson est convenu qu'il était essentiel d'intégrer dans la définition d'une pandémie un critère de gravité, d'autant plus qu'il fallait justifier les dépenses engagées. On ne peut pas soutenir sérieusement qu'il faut organiser un réseau de surveillance de l'OMS pour déceler une épidémie de rhume banal !

Il faut prendre en compte, pour parler de pandémie, du nombre de cas graves et de décès.

Après cela, les raisons qui font qu'il y a beaucoup de cas graves peuvent être différentes. Cela peut être par exemple parce qu'il n'y a pas d'immunité dans la population. Mais il faut envisager le problème de manière pragmatique.

L'éventualité, évoquée par le Président François Autain, d'un agent virulent qui disparaîtrait de lui-même est effectivement possible. Il y en a eu des exemples : ainsi on a connu un cas où le choléra s'était déclaré sur des bateaux à destination de l'Algérie. Lorsque les navires sont arrivés en Algérie, les personnes qui étaient à bord étaient soit mortes, soit immunisées : il n'y avait donc plus de possibilité pour que la maladie ne se propage.

M. François Autain, président, a demandé si le taux de létalité était un critère sur lequel tout le monde pouvait se mettre d'accord.

M. Tom Jefferson a estimé qu'il fallait effectivement prendre en compte le nombre de cas graves, le nombre de décès. Il a rappelé, comme l'a souligné le professeur Keil, qu'on accordait beaucoup d'importance aux variations des virus. Mais ce qui et important, ce n'est pas d'observer le virus au microscope, c'est ce qu'on observe dans la population, au niveau de la santé publique. Peu importe à quoi ressemble un virus. Ce qu'il faut savoir, c'est ce qui se passe dans la réalité, comment il faut agir en se fondant sur des preuves fiables, sur des faits et pas sur des théories.

M. Alain Milon, rapporteur, a noté que l'expérience de la grippe H1N1 enseignait aussi, comme l'ont relevé certains interlocuteurs de la commission d'enquête, que nous ne sommes pas préparés à faire face à une pandémie qui, sauf dans un nombre de cas limité, n'est pas grave, alors que nous avons des chances qu'il s'en produise d'autres du même genre dans l'avenir.

Comment faudrait-il organiser la réponse à une nouvelle crise sanitaire du même ordre que la grippe A (H1N1)v ?

M. Tom Jefferson a répondu que, pour les maladies de type grippe A, la réflexion doit être fondée sur des preuves scientifiques et pas sur des théories. L'expérience montre qu'il y a eu des cas graves, mais qu'ils ont été très rares, alors même qu'on ne sait pas exactement combien de personnes décèdent de la grippe saisonnière. Il faut regarder les choses de près. En tant que médecin, il préconise « une intraveineuse d'honnêteté », avec une bonne dose de transparence et aussi de responsabilité. Il y a des gens qui n'ont pas été responsables, qui n'ont fait aucun cas de ce qui se passait, il faut qu'ils reconnaissent leur erreurs et en tirent les leçons, au lieu de chercher des excuses au changement de définition de la pandémie ou à la façon peu recommandable dont la situation a été gérée.

Pour sa part, il mettrait en place un régime de transparence, d'honnêteté, fondé sur des preuves et pas sur des théories. Il n'y aurait plus de virus tueur.

M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé qu'on avait aussi évoqué devant la commission d'enquête le climat de compétition féroce qui règne dans le monde de la recherche, la course pour l'élaboration de tests, la valorisation de brevets. Tout cela peut conduire les chercheurs à espérer - même inconsciemment - qu'une maladie arrive, et faire qu'objectivement leurs intérêts aillent dans le même sens que ceux de l'industrie.

Peut-on lutter contre ces « convergences d'intérêts » ?

M. Tom Jefferson a reconnu qu'il s'agissait d'une question très difficile, parce qu'elle implique tout le monde, depuis ceux qui publient des articles jusqu'aux décideurs publics.

Il a noté que ce que l'on considérait autrefois comme des phénomènes naturels - la ménopause, la grossesse - étaient considérés aujourd'hui comme des maladies. De même, on découvre « l'andropause », ou le syndrome des jambes sans repos, pour lequel nous avons bien sûr un médicament. On trouve le médicament d'abord, puis la cible dans un deuxième temps.

Il n'est plus possible de continuer ainsi, pour des raisons de viabilité économique.

On constate aussi que les publications scientifiques médicales les plus prestigieuses ont une forte publicité et réimpriment des articles. Elles publient des études sur le vaccin de la grippe, financées par l'industrie pharmaceutique, dans des journaux de renom. On exerce une pression sur les hommes politiques, par l'intermédiaire des médias, pour les amener à agir.

Ces mécanismes, dont il faut prendre conscience, sont fortement enracinés en Allemagne. Par exemple, il existe en Allemagne un comité qui est à l'origine de programmes de vaccination, dont 85 % des membres ont des liens avec l'industrie pharmaceutique. Il existe aussi des groupes de pression, comme le groupe européen sur la grippe, qui sont totalement financés par l'industrie pharmaceutique et qui clament leur indépendance en invoquant le fait qu'ils sont financés par tout le monde... Beaucoup de ces personnes siègent dans les comités de l'OMS. Il faudrait mettre fin à ces pratiques, mais il n'est pas sûr que ce soit possible.

M. Alain Milon, rapporteur, a demandé quels seraient, très concrètement, les études à conduire et les moyens à mettre en oeuvre pour améliorer la connaissance de la grippe - saisonnière ou pandémique- et de ses impacts et pour apprécier l'efficacité de la vaccination antigrippale.

M. Tom Jefferson a répondu que beaucoup d'études pourraient être lancées, à commencer par des essais randomisés sur l'utilisation de masques, le Tamiflu ou encore le lavage des mains, c'est-à-dire sur les moyens permettant d'interrompre la transmission.

Des essais randomisés pourraient également porter sur le Tamiflu, d'une part, et l'aspirine, d'autre part, pour la prévention ou le soulagement des symptômes. Cela pourrait occasionner des surprises.

Enfin, alors que cela n'a pas été fait depuis plus de vingt ans, il faudrait procéder à des essais portant sur des vaccins activés contre la grippe saisonnière, d'une part, et des placebos, d'autre part. D'ailleurs, on ne sait pas si le vaccin contre la grippe saisonnière est efficace. Tout cela ne serait pas très compliqué, mais « l'industrie de la grippe », les laboratoires, les chercheurs, les fonctionnaires, les médias, ont fait en sorte qu'il soit devenu impensable de procéder à de telles études.

Il faudrait aussi mettre en place un système de surveillance des maladies de type grippal qui soit digne de ce nom. Aux Etats-Unis, Peter Doshi a interrogé quarante épidémiologistes responsables chacun du réseau de surveillance dans un Etat américain. Ils ne prennent en compte que les cas positifs de grippe. Ils ne tiennent pas compte de l'ensemble des gens qui ont été malades. Comment alors savoir quelle propension d'entre eux a eu la grippe ? Qu'est-ce qu'on observe ? Rien !

On pourrait aussi mettre en place un dispositif de prévision réaliste. Il faudrait pour cela pratiquer des autopsies et conduire des tests avant le décès. Cela peut être difficile à faire d'un point de vue moral, mais on saurait alors, au sein d'un échantillon, combien de personnes sont réellement décédées de la grippe.

Mais tout cela n'est pas forcément nécessaire compte tenu de la rareté des cas spécifiques de grippes, et des inconnues sur l'efficacité du vaccin.

M. François Autain, président, a indiqué que, lors du déplacement de la commission d'enquête à l'Agence européenne du médicament à Londres, on lui avait indiqué que l'efficacité biologique du vaccin contre la grippe A(H1N1)v avait été évaluée à 70 %, chiffre qui lui avait semblé très élevé.

M. Tom Jefferson a observé qu'il fallait connaître les méthodes de calcul : y a-t-il eu des tests sur des êtres humains sur le terrain, au sein d'une collectivité ou, comme on le fait le plus souvent, de simples calculs de la concentration d'anticorps ? Quelle est la relation entre la réponse des anticorps et la couverture ? On ne la connaît pas. Cependant, les résultats que donnent les vaccins contre la grippe saisonnière ces vingt dernières années ne sont pas très bons.

Et puis il y a aussi la question de l'innocuité des vaccins ou des antiviraux comme le Tamiflu. Il n'y a pas d'examen par des experts indépendants. Mais il y a de bonnes raisons de penser que, dans 10 % à 20 % des cas, il existe des réactions fébriles, comme cela est apparu en Australie. Il y a peut-être eu une vingtaine de morts en Norvège, à la suite de vaccinations antipandémiques. La surveillance des vaccins est un art imparfait, très difficile à vérifier, mais les vaccins ne sont pas sans risques.

M. Alain Milon, rapporteur, a interrogé M. Tom Jefferson sur les spécificités de la grippe H1N1, qui dans la très grande majorité des cas n'a pas été plus grave qu'une grippe saisonnière, mais qui a aussi pu revêtir des formes très virulentes chez des individus qui ne présentaient pas de facteurs de risques particuliers.

M. Tom Jefferson a répondu que, par nature, la grippe est une maladie bénigne pour la majorité des personnes qui la contractent.

Comment alors expliquer qu'il y ait eu des décès ? Le contexte joue sans doute un rôle, mais on peut aussi prendre en compte les postulats de Henle Koch : un agent est équivalent à une maladie ou est assimilable à un symptôme ; ces dernières années, on a ajouté la dernière partie de l'équation, c'est-à-dire une solution. La réalité est plus complexe : il peut y avoir des agents supplémentaires, mais il faut aussi prendre en compte le contexte. Ainsi, les 240 décès imputés à la grippe aviaire sont survenus dans certaines circonstances, les victimes qui étaient des personnes en contact étroit avec des volailles, issues de milieux modestes et ayant un faible niveau d'éducation. De même, en 1918, lors de la pandémie de grippe espagnole, la majorité des décès ont été probablement causés par des bactéries.

M. Alain Milon, rapporteur, a précisé que sa question portait plus spécifiquement sur la grippe H1N1, et sur les décès qui ne correspondent pas à ceux d'une grippe saisonnière.

M. Tom Jefferson a dit qu'il n'avait pas de réponse, n'ayant pu mener aucune investigation sur ce point, mais a proposé une explication qui peut sembler plausible.

Si l'on ne connaît pas le nombre de morts causés à cause de la grippe saisonnière, car il s'agit seulement dans ce cas d'une approximation, fondée sur la circulation des virus et entachée d'un très fort biais, la grippe a, en revanche, cette année, été surveillée de très près. Cela crée un « biais d'évaluation ». Cette année, on a observé précisément ce qui se passait. On a compté quatre cents morts au Canada, par exemple. Peut-être le nombre des décès dus à la grippe n'était-il pas, en fait, très différent les années passées. Mais on ne le sait pas, car on ne les avait pas vraiment comptés, on s'était limité à des évaluations que l'on ne peut pas comparer au décompte plus précis effectué cette année.

M. Alain Milon, rapporteur, a demandé des précisions sur la déclaration d'intérêts écrite remise par M. Tom Jefferson à la commission d'enquête : quel a été l'objet des travaux sur le Tamiflu financés par le laboratoire Roche entre 1997 et 1999, qu'il a mentionnés au titre de ses activités ?

Par ailleurs, lorsqu'ils ont été auditionnés par la commission d'enquête, les représentants du laboratoire Roche ont indiqué que, suite à l'étude de M. Tom Jefferson parue dans le British Medical Journal, ils avaient mis l'ensemble de leurs études à la disposition des chercheurs. Est-ce vraiment le cas ?

M. Tom Jefferson a répondu qu'en 1997 on lui avait demandé d'examiner les aspects économiques de l'introduction du Tamiflu pour le compte de Roche. Il était alors fonctionnaire au ministère britannique de la Défense, et il avait conduit ces travaux avec l'autorisation de son supérieur hiérarchique.

Sur la seconde question, il a précisé que seule une partie des documents internes de Roche ont été publiés, portant sur dix essais, soit 25 % de leurs travaux. Le laboratoire Roche ont envoyé, également, un index : il était donc possible de savoir ce qui avait été communiqué et ce qui ne l'avait pas été. Il y a peut-être des informations précieuses dans ce qui n'a pas été transmis. Les données actuellement disponibles ne portent que sur dix des soixante-dix-sept essais qui ont été menés. Il y a trois jours, des lettres ont été adressées à Roche et à GSK pour leur demander les données non transmises. L'examen du Tamiflu n'est donc pas terminé.

M. Alain Milon, rapporteur, a relevé que les représentants des laboratoires Roche avaient indiqué avoir mis toutes les informations souhaitées sur un site Internet.

M. Tom Jefferson a dit n'avoir eu accès qu'à dix essais, les laboratoires Roche prétendant que ce sont les seules informations nécessaires. Par ailleurs, sur ces dix essais, seuls deux ont fait l'objet de publications.

Audition de M. Michel Setbon, sociologue, directeur de recherche au CNRS, responsable du Centre de recherches sur le risque et sa régulation au sein de l'École des hautes études en santé publique

La commission d'enquête a enfin entendu M. Michel Setbon, sociologue, directeur de recherche au CNRS, responsable du Centre de recherches sur le risque et sa régulation au sein de l'École des hautes études en santé publique.

M. Michel Setbon a rappelé qu'il était sociologue de santé publique et qu'il travaillait depuis le début des années 1980, depuis le VIH, sur l'émergence des maladies infectieuses épidémiques.

Lorsque la pandémie de grippe A a été annoncée fin avril 2009, il travaillait avec son équipe, depuis deux ans, sur l'annonce d'une pandémie de grippe H5N1. Une pandémie grippale, par apparition d'une nouvelle souche de virus, n'est pas très fréquente. Cela se produit tous les 15 à 20 ans. Donc, peu de gens avaient, autour de nous, dans nos instances sanitaires, une expérience en la matière. Et encore moins l'expérience d'une campagne de vaccination en urgence : c'était une première et nous entrions là en terrain inconnu, dans des conditions assez complexes, malgré l'apparente simplicité avec laquelle on a décidé, dès le mois de juin 2009, qu'il fallait organiser une campagne de vaccination universelle en France.

Dans les pays développés, la production et la vente de vaccins sont une « ardente obligation » pour les firmes pharmaceutiques, mais l'utilisation des vaccins est en recul continu. C'est une donnée importante. En France par exemple, seuls 27 % de la population se vaccinent contre la grippe saisonnière, ce qui est un taux un peu plus bas que dans les pays comparables. Les firmes pharmaceutiques ont, naturellement, l'objectif de développer leurs ventes. Mais le vaccin est aussi un outil de politique sanitaire et il y a donc une interdépendance structurelle entre les entreprises et les pouvoirs publics.

Contre la grippe H1N1, les pouvoirs publics et l'OMS ont rapidement - peut-être trop rapidement - présenté le vaccin comme l'arme absolue, sans prendre en considération la gravité réelle de la maladie ni l'acceptabilité potentielle de ce vaccin par la population.

Le vaccin était posé comme le remède universel, sans déterminer les conditions de son utilisation en fonction des données propres à la pandémie.

Précisant qu'il n'avait aucune information particulière sur les négociations qui se sont déroulées entre les firmes pharmaceutiques et les pouvoirs publics, M. Michel Setbon a indiqué que c'était ce cadre général qu'il s'efforcerait d'exposer sous forme d'une série de « questions-réponses » susceptibles de l'éclairer.

- Sur quels fondements cognitifs, d'abord, a été prise la décision de vacciner 80% de la population en juin 2009, alors qu'à cette date on n'avait pas encore de cas de grippe A en France ? Ce programme universel de vaccination était-il fondé sur les données réelles alors inconnues de la pandémie ? Prenait-il en compte l'acceptabilité potentielle du vaccin ? Jusqu'à présent, cela reste un mystère, que l'on a du mal à éclaircir.

- Quels étaient les objectifs d'une vaccination généralisée ? Etait-elle justifiable ? Etait-elle faisable ?

- Troisième question : pouvait-on prévoir le pourcentage de Français qui se vaccineraient volontairement, puisque la vaccination obligatoire avait été écartée d'emblée ? Là, la réponse est oui. On pouvait savoir, dès le mois de juin, avec un intervalle de confiance raisonnable, qui se ferait vacciner et pourquoi, grâce, a précisé M. Michel Setbon, aux deux enquêtes menées par lui et son équipe, la première en juin, la seconde en décembre, au plus fort de l'épidémie.

- Quatrième question : si on avait tenu compte des observations ainsi faites, en temps réel, sur la gravité de la maladie et sur la perception du risque par la population, dès lors des modifications drastiques du programme de vaccination s'imposaient. A condition, bien sûr, de mettre au centre de l'action la connaissance à partir de l'observation des faits, de penser l'action publique comme une stratégie flexible et adaptable, de ne pas se lier les mains par des commandes fermes et massives de vaccins, dont on savait d'ailleurs qu'elles ne seraient livrées que progressivement.

C'était la première fois que l'on avait anticipé un évènement de santé publique. C'est tout à fait exceptionnel dans ce domaine. D'habitude, on réagit a posteriori, quand l'épidémie a commencé de flamber et que les hôpitaux sont pleins.

Cette fois-ci, on avait un plan, des outils, quatre mois avant le déclenchement de la pandémie, qui a atteint la France, selon l'InVS, en septembre. On avait le temps pour observer ce qui se passait en France et ailleurs, pour réfléchir.

Donc, encore une fois, pourquoi se lier les mains avec des commandes massives, même si les firmes le demandaient en compensation de leur effort ?

La dernière question que l'on peut se poser est celle des conséquences du choix d'une stratégie adaptable à la réalité de la situation - l'ampleur de la pandémie, les populations touchées, les formes graves...

Cela aurait d'abord impliqué, selon M. Michel Setbon, de ne plus faire des vaccins la réponse universelle. Les résultats de la vaccination n'auraient sans doute pas été plus mauvais en termes de couverture de la population. En revanche, cela aurait été beaucoup moins coûteux, sans rien changer à la disponibilité des vaccins puisque on n'a vacciné que moins de 10 % de la population avec une seule dose par vaccination.

On peut avancer, à partir de ces observations, trois conclusions :

- un programme qui anticipe une pandémie ne doit pas être déterminé une fois pour toutes ;

- l'anticipation d'une pandémie est une chose, son évaluation en est une autre. On s'est un peu « endormi » sur le fait qu'on avait anticipé et on a négligé la réalité. Pourtant, quand on commence une action, on n'a que des hypothèses, il faut ensuite étudier les faits pour en tenir compte. Mais on n'a lancé aucun programme de recherche au moment de la pandémie ;

- enfin, l'échec du programme de vaccination ne se limite pas à son coût, que l'ont peut pourtant juger exorbitant. Il est aussi la cause d'un discrédit durable des actions de santé publique dans l'esprit de nos concitoyens.

M. Alain Milon, rapporteur, a relevé que l'action contre la grippe H1N1 avait découlé de la préparation contre l'éventualité d'une grippe H5N1, dont on prévoyait qu'elle serait très grave. Les choix faits en matière de vaccination en France, mais aussi dans d'autres pays, le reflètent : le Royaume-Uni avait prévu de vacciner non pas 80 % mais 100 % de se population. Il a ensuite interrogé M. Michel Setbon sur ses travaux : comme il l'a indiqué devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, les deux enquêtes qu'il a menées sur le sentiment des Français face à la vaccination ont été financées par le Service d'information du Gouvernement (SIG). Quelles suites le Gouvernement a-t-il donné à ces enquêtes ?

M. Michel Setbon a précisé que ses contacts avec le SIG remontaient à la préparation à la lutte contre la grippe H5N1. En 2008, lors d'un colloque à Paris auquel participaient l'OMS et Didier Houssin, il avait fait valoir qu'à force d'annoncer une épidémie de grippe aviaire qui n'arrivait jamais, on risquait de ne plus se préparer à affronter une véritable épidémie. Peu après, dans Le Monde, Jean-Yves Nau avait titré un article « Les Français croient de moins en moins à la grippe H5N1 ». Le SIG s'est ému de cet article et de cette incrédulité, mais après cinq ans, faut-il continuer à prédire une pandémie ? Peut-on d'ailleurs prédire l'émergence d'une maladie ?

Il a donc été convié à présenter ses travaux au SIG en février 2009 et a signé avec lui, en mai, une convention pour la création d'un observatoire sur la perception des risques sanitaires en France. La première enquête sur le sentiment vis-à-vis de la vaccination a été lancée en juin, alors que la vaccination venait juste d'être annoncée. Le dépouillement de l'enquête en juillet a fait apparaître que les gens étaient peu inquiets, pas plus que devant la grippe saisonnière, et que ceux qui avaient l'habitude de se faire vacciner contre cette dernière - les plus de 65 ans - étaient les plus enclins à le faire contre la future grippe A.

M. Michel Setbon a indiqué que les résultats avaient été transmis au SIG, au directeur de la santé, et au cabinet de la ministre, pour les mettre en garde, d'autant que les intentions de vaccination diminuaient au fil des jours, passant de 60% en juin à 30% en septembre. Il a également publié ses conclusions dans l'European journal of public health, montrant que si la campagne française de vaccination était un échec, c'est que les Français avaient perçu la grippe A comme la grippe saisonnière.

Que s'est-il passé ensuite ? Rien.

M. Alain Milon, rapporteur, a demandé à quel moment la perception du risque et donc, l'intention de se faire vacciner, avaient été les plus fortes ? Qu'est-ce qui les a fait basculer ?

M. Michel Setbon a répondu que c'est lors de la première enquête de juin 2009 que l'intention de vaccination était apparue la plus forte. Le SIG, de son côté a fait de petits sondages à partir d'août, qui montraient que le pourcentage de ces intentions diminuait pour ne jamais remonter. Il faut savoir qu'un pourcentage d'intention de 60% correspond au mieux à 30% de vaccinations réalisées et, en plus, dans les catégories les plus âgées. Autrement dit, les moins exposés au risque étaient les plus disposés au vaccin. En réalité, il fallait cibler les 20/40 ans mais cela, on ne sait pas le faire. Il fallait soit accentuer le matraquage en faveur du vaccin, soit réviser la stratégie vaccinale et ne plus commander 94 millions de doses.

Mais, a-t-il conclu, on n'a pas voulu savoir, on n'a pas voulu utiliser la connaissance.

M. François Autain , président, a observé qu'apparemment on ne le voulait toujours pas.

Relevant qu'à l'Assemblée nationale, M. Michel Setbon avait dit que l'échec de la campagne de vaccination pouvait être prévu, M. Alain Milon, rapporteur, s'est demandé comment on pouvait expliquer l'adaptation tardive de la stratégie vaccinale à la réalité de la situation.

M. Michel Setbon a répondu en citant les propos d'un député, qui avait demandé si c'était pour « rester droit dans ses bottes ». On ne voulait pas changer de cheval au milieu du gué.

M. Alain Milon, rapporteur, a observé qu'on aurait pu changer de cheval car il n'y avait pas en fait de gué, faute de rivière...

M. Michel Setbon s'est dit déçu que l'on n'ait pas fait le choix, alors qu'on en avait le temps, d'adapter le programme en fonction des enseignements tirés de l'observation de la situation réelle.

M. François Autain, président, a rappelé que les commandes fermes de vaccins avaient été passées dès le mois de mai. Un des objectifs de la commission d'enquête est de savoir pourquoi elles ont porté sur de telles quantités. A cette question la ministre répond par le mot magique d'«éthique ». On a abandonné toute référence aux données scientifiques par souci d'éthique, pour que tous ceux qui demanderaient à être vaccinés puissent l'être. C'est pourquoi, au début, on avait prévu une option pour acheter 130 millions de doses, deux pour chacun des 65 millions de Français. Quelle est la vraie raison de cet achat massif ? Une panique des pouvoirs publics ? On peut comprendre que les accidents sanitaires passés donnent à réfléchir et que mieux vaille en faire trop que pas assez. Mais le principe de précaution, qui est ici invoqué à tort, doit protéger la population, non les décideurs. Dans l'achat de ces vaccins, favorisé par un chantage à la pénurie, le gouvernement, face aux pressions de l'industrie pharmaceutique, a fait preuve de pusillanimité. Il a adapté le risque au plan au lieu d'adapter le plan au risque. C'est pourquoi il a continué dans la dramatisation. La référence à l'«éthique » est un argument qui se veut imparable : quand on a parlé d'éthique, il n'y a plus rien à dire. Mais il reste difficile de comprendre les vraies raisons pour lesquelles le gouvernement s'est engagé dans cet achat massif de vaccins.

M. Michel Setbon a fait remarque que derrière la référence à l'éthique il y a un modèle structurant de la politique de santé publique française. On considère dans notre pays que les problèmes de santé publique concernent tout le monde, alors qu'en réalité, ils ne concernent jamais tout le monde. Notre tendance structurelle est de penser la santé publique en termes d'égalité et, donc, d'assurer la même protection à tous quel que soit leur risque. Cette vision généreuse a une conséquence dévastatrice : elle dispense de voir ce qui se passe en réalité et de savoir qui est vraiment un sujet à risque, elle empêche d'avoir de vraies connaissances en santé publique. Une politique de santé publique ne consiste pas à tuer tous les moustiques ou à fermer toutes les écoles. Son rôle est de comprendre qui est vulnérable et d'ajuster une protection ciblée. En appeler à l'éthique, c'est dénaturer la santé publique, parce que certains ont besoin d'être davantage protégés que d'autres.

Si on vaccine tout le monde, cela dispense de savoir quoi que ce soit. Mais un vaccin, cela s'accepte ou cela se refuse : il fallait donc ajuster la commande à ce que les Français étaient prêts à accepter. Il est stupéfiant qu'on ait passé des commandes fermes dès le mois de juin. Les compagnies aériennes commandent des avions avec cinq ans d'avance, mais ces commandes comportent toutes des clauses de révision.

M. Alain Milon, rapporteur, a souligné que la meilleure protection contre une maladie virale n'est pas obligatoirement la vaccination. Contre le sida et la grippe, ce sont le préservatif et le lavage des mains. Certes, ce sont des méthodes pas chères, et qui ne suffiraient sans doute pas à satisfaire les laboratoires pharmaceutiques...

Mais comment expliquer le décalage dans la perception du risque entre les autorités sanitaires et la communauté scientifique d'une part, la population et les médecins généralistes d'autre part ?

M. Michel Setbon est convenu que cette question le taraude. Les Français ont eu plus de bon sens que les experts en maladies infectieuses.... Un travers de ces derniers, c'est de sauter de joie lorsque leur objet est concrétisé, ils n'ont pas de distance critique par rapport à l'évènement. Pour le Comité des vaccinations, il faut vacciner ! Mais il ne prend pas du tout en compte l'acceptabilité du vaccin pour le public. Il y a là un côté « top-down » qui ne prend pas en compte que la réalité peut être différente. Le décideur final, c'est le public, il ne faut pas l'oublier. Les pouvoirs publics, eux, ne lui font que des propositions.

Mais on peut observer aussi que dans les pays développés, le groupe des professions médicales est celui qui se fait le moins vacciner.

Or, la deuxième enquête, réalisée en décembre, a montré l'impact déterminant du conseil médical sur la décision vaccinale. De mai à décembre, 70% des personnes avaient consulté un médecin ; 55 à 60% l'ont interrogé sur l'opportunité de se faire vacciner : 70% des pédiatres et gynécologues ont recommandé le vaccin, 50% des autres spécialistes, 43% seulement des généralistes et 12% des médecins alternatifs.

M. Claude Domeizel a relevé que M. Michel Setbon avait dit que rien ne s'était passé à la suite de son enquête. Est-ce à dire qu'il n'en a pas été tenu compte ?

M. Michel Setbon a précisé que personne ne l'avait sollicité et qu'il n'avait pas observé de changements.

M. Claude Domeizel s'est demandé si ce n'était pas en raison de la faiblesse des intentions de vaccination, compte tenu de la masse de vaccins commandés, que l'on avait lancé une campagne « au bazooka ». Tous les Français ont reçu une lettre individuelle, accompagnée d'un bon de vaccination. Il a voulu savoir si M. Michel Setbon avait préconisé cette démarche et s'il en avait été informé.

Répondant par la négative, M. Michel Setbon a indiqué qu'il soulignait dans ses conclusions que si le risque perçu n'était pas plus élevé, on ne pourrait atteindre les objectifs de vaccination. L'inquiétude ne se décrète pas ! Il peut y avoir de l'appréhension, mais une fois en situation réelle, les gens regardent autour d'eux. Or ils n'ont rien vu. Même si 30 à 40% de la population a été en contact avec le virus, il n'y a eu que 10% de cas symptomatiques, moins que lors d'une grippe saisonnière.

La décision vaccinale n'est pas anodine. Pour accepter de se faire inoculer quelque chose pour se protéger, il faut être convaincu que cela en vaut la peine. Les Français n'ont pas été convaincus. Dès lors, il fallait soit ajuster le programme de vaccination, soit se lancer dans une campagne terrorisante...

M. Alain Milon, rapporteur, a demandé s'il arrivait que l'on ne perçoive qu'avec retard l'émergence d'un risque. Quel rôle peuvent jouer les virologues ?

M. Michel Setbon a souligné que l'épidémie de chikungunya à la Réunion était un cas typique de réaction à retardement. Pendant huit mois, de mars 2005 à février 2006, les autorités sanitaires ont négligé la situation en arguant de la faible gravité de la maladie. Cela a eu un effet boomerang. Le chikungunya a fait des morts, et 40% de la population ont présenté des symptômes très pénibles. La « gravité » n'a pas le même sens pour les experts et pour la population.

M. François Autain, président, a rappelé que, lors de son audition, la ministre de la santé avait dit avoir prévu un taux d'attrition d'environ 20%, en fonction de ceux constatés pour les vaccinations obligatoires et pour la vaccination facultative contre la méningite, et qu'il lui avait répondu, sous forme de boutade, qu'il aurait mieux valu faire un sondage : les enquêtes réalisées peuvent faire regretter que l'on n'ait pas effectivement choisi cette solution. Quoi qu'il en soit, les modalités de calcul de ces taux d'attrition étaient-elles pertinentes ?

M. Michel Setbon a jugé affligeant de ne pas se fonder sur les facteurs qui déterminent vraiment les comportements. La vaccination contre la méningite est très ciblée, et le critère de gravité majeur. Pourquoi ne s'être pas fondé plutôt sur le taux de vaccination pour la grippe saisonnière, qui est de 27% ? On ne pouvait pas choisir un taux d'attrition sans tenir compte des raisons qui déterminent les gens à se faire vacciner.

M. Alain Milon, rapporteur, a dit avoir constaté que les médecins, s'ils n'avaient pas pu vacciner leurs patients contre la grippe, les avaient beaucoup encouragés à se faire vacciner contre les complications pulmonaires de la grippe et il a demandé à M. Setbon s'il avait également observé cette hausse de la vaccination antipneumococcique.

M. François Autain, président, a noté que certains jugeaient que cette vaccination pouvait être plus utile pour les personnes à risques que la vaccination antigrippale.

M. Michel Setbon a répondu qu'il n'avait pas étudié précisément ce phénomène. Il a indiqué que les études statistiques montraient que les groupes dits à risque ne se sont pas fait massivement vacciner. Sur l'échantillon représentatif qu'il a étudié, le taux de vaccination réelle en décembre était de 7,5%, le taux d'intention de 20%. Il semblerait par ailleurs que ceux qui se protègent spécifiquement avec le vaccin ne soient pas les mêmes que ceux qui privilégient les mesures d'hygiène.

M. François Autain, président, s'est demandé si la volonté de vacciner tout le monde n'avait pas pu conduire à négliger ceux qui auraient dû être prioritaires, et si cet échec de la vaccination avait pu faire reculer la cause de la vaccination et alimenter les thèses des ligues anti-vaccinales.

M. Michel Setbon a dit partager cette dernière crainte. Au-delà du coût, le discrédit va être durable, en termes de prédiction comme de vaccination. Cela peut paraître paradoxal, à l'époque du principe de précaution, mais ce dernier n'exonère pas du principe de réalité ! Encore faut-il être capable de montrer qu'il se passe bien quelque chose. La vaccination volontaire connaît une dangereuse désaffection. Le BCG n'est plus obligatoire ; la vaccination obligatoire n'est plus envisageable, même en cas d'épidémie grave. On ne prend pas assez en considération les facteurs qui déterminent la décision vaccinale.

M. François Autain, président, a noté que les personnes à risque n'avaient pas fait l'objet de campagnes d'information spécifiques. Cela a-t-il pu avoir un impact sur leur décision de ne pas se faire vacciner ?

M. Michel Setbon a fait remarquer qu'il y aurait une contradiction fondamentale à annoncer une vaccination universelle tout en identifiant des personnes à risque.

M. François Autain, président, a ajouté que le volontarisme suppose la mobilisation et que les personnes à risque ne sont pas les plus aptes à se mobiliser.

M. Michel Setbon a souhaité, en conclusion, attirer l'attention du législateur sur la nécessité de conduire des études d'impact avant de prendre des décisions en matière de santé publique, M. Alain Milon, rapporteur, observant que dans les collectivités locales, il y avait systématiquement une étude d'impact avant toute décision coûteuse.

M. François Autain, président, a dit que cette suggestion méritait d'être prise en compte, tout en rappelant qu'il ne suffit pas que le législateur adopte un texte pour qu'il soit appliqué.