Disponible au format PDF (223 Koctets)


Mercredi 20 janvier 2010

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Politique étrangère et de défense

Les parlements nationaux et la politique de sécurité et de défense commune au lendemain du traité de Lisbonne
Audition de M. Robert Walter, président de l'Assemblée de l'UEO, assemblée européenne de sécurité et de défense1(*)

M. Hubert Haenel. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et d'avoir effectué le trajet de Londres à Paris. Vous avez sans doute emprunté l'Eurostar et nous savons que, par cette saison, cela n'est pas sans risque.

Le traité de Lisbonne est un traité qui se caractérise, entre autres, par la place qu'il attribue aux parlements nationaux qui « contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union européenne ». Cette place se caractérise d'abord par le rôle attribué aux parlements nationaux en matière de subsidiarité. Mais le traité de Lisbonne prévoit également plusieurs modalités d'association des parlements nationaux à l'espace de liberté, de sécurité et de justice. En revanche, il reste très lacunaire et imprécis sur leur association à la mise en oeuvre de la politique européenne de sécurité et de défense.

Aujourd'hui, les parlements nationaux ont la possibilité de débattre de la politique de défense européenne au sein de l'Assemblée de l'UEO, même si cette assemblée n'est pas incluse dans les institutions de l'Union européenne, ni prévue dans les traités instituant l'Union européenne. Mais nous savons qu'un certain nombre des dix États membres de l'UEO s'interrogent sur la pérennité de cette organisation dès lors que le traité de Lisbonne est entré en vigueur. On ne peut donc pas exclure que plusieurs de ces États dénoncent le traité de l'UEO et que l'assemblée de l'UEO soit appelée à disparaître.

Dès lors, la question qui se pose à nous consiste à déterminer de quelle manière les parlementaires nationaux des vingt-sept États membres pourraient se retrouver périodiquement pour débattre ensemble de la politique européenne de sécurité et de défense et pour dialoguer avec les acteurs de cette politique.

Déjà, le Parlement européen s'organise pour mener à bien lui-même ce débat et ce dialogue. Si j'ose dire, c'est de bonne guerre, même si une déclaration annexée au traité de Lisbonne prévoit explicitement que ce traité ne confère aucun pouvoir supplémentaire au Parlement européen en ce domaine. Mais de notre côté, nous, parlementaires nationaux, nous devons prendre l'initiative de réfléchir au mécanisme qui nous permettrait le mieux possible de participer pleinement au suivi de la politique européenne de défense. Il serait en effet regrettable que la mise en oeuvre du traité de Lisbonne, dont plusieurs dispositions visent à renforcer l'association des parlements nationaux au fonctionnement de l'Union européenne, se traduise par un recul de leur information et de leur rôle dans le domaine de la politique de sécurité et de défense.

M. Robert Walter. - C'est avec le plus grand plaisir que j'ai accepté votre invitation à prendre la parole devant vos importantes commissions, réunies en session conjointe, pour débattre avec vous d'un certain nombre de points essentiels découlant de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre dernier.

Je remercie les membres de la délégation du Sénat auprès de l'Assemblée du soutien qu'ils m'ont apporté. Josette Durrieu, Vice-Présidente de notre Assemblée, et Yves Pozzo di Borgo, pour ne citer qu'eux, sont parmi les rapporteurs les plus actifs de nos commissions. Mon ami Jean-Pierre Masseret a été mon prédécesseur immédiat au poste de Président de notre Assemblée. C'est sous sa direction énergique que nous avons aligné la composition de l'Assemblée de l'UEO sur celle de l'Union européenne et que nous l'avons transformée en Assemblée européenne de sécurité et de défense. Au sein de cette Assemblée, les parlementaires des vingt-sept États membres disposent de droits de participation et de vote identiques pour assurer le suivi de toutes les questions relatives à la politique européenne de sécurité et de défense.

Notre objectif, au sein de l'Assemblée européenne de sécurité et de défense, est d'oeuvrer, parallèlement au Parlement européen et à nos parlements nationaux et en coopération avec ces instances, en vue de contrôler et de soutenir la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), ou politique de sécurité et de défense commune (PSDC) comme on l'appelle désormais, ainsi que les actions de nos gouvernements concernant les aspects plus vastes de la défense européenne. Nous voulons aussi assurer le lien nécessaire entre l'Union et ses concitoyens, sans ignorer toutefois que le Parlement européen a ses centres d'intérêt propres, qui ne coïncident pas nécessairement avec ceux des parlements nationaux, et nous devons accepter que ses membres agissent en conséquence.

Mes collègues parlementaires et moi-même sommes sensibles à l'intérêt que vous portez au rôle futur des parlements nationaux en matière de sécurité et de défense européennes. Il est essentiel que les parlements nationaux utilisent au mieux les nouvelles dispositions du traité de Lisbonne, tant pour assurer le développement de cette politique que pour garantir le suivi parlementaire adéquat de la coopération intergouvernementale au niveau de l'Union européenne.

Permettez-moi de diviser mon exposé en deux parties : pour commencer, je partagerai avec vous certaines réflexions sur ce qui a été fait et vous donnerai quelques clés concernant les enjeux à surmonter. Je n'ignore pas l'importance qu'a toujours revêtue la politique européenne de sécurité et de défense aux yeux de la France. En fait, la PESD n'aurait pas été couronnée de succès sans l'élan considérable donné par votre pays.

J'examinerai, dans la deuxième partie de mon exposé, les implications de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne pour le rôle futur des parlements nationaux des pays de l'Union européenne dans ce domaine et la responsabilité démocratique des acteurs politiques : la Haute représentante, le Conseil européen et les gouvernements des États membres.

Les innovations du traité de Lisbonne

Les auditions des candidats aux portefeuilles de la nouvelle Commission européenne et les discussions en cours sur la mise en place du Service européen pour l'action extérieure sont parmi les signes les plus patents que la mise en oeuvre du traité de Lisbonne progresse.

Pour la première fois, le traité de l'Union européenne couvre tous les aspects de l'action extérieure grâce à un ensemble de principes et d'objectifs communs. Les responsabilités de la nouvelle Haute représentante, la Baronne Ashton, qui est membre de la chambre haute britannique, la Chambre des lords, ont été élargies en vertu du traité de Lisbonne, afin de permettre une mise en oeuvre plus cohérente de la politique étrangère et de sécurité commune par le Conseil et la Commission. Mais il lui faudra du temps pour s'affirmer pleinement et, pendant cette période de transition, l'impulsion continuera d'être donnée par la présidence tournante, assurée actuellement par l'Espagne, puis par la Belgique à partir de juillet prochain. Nous pouvons nous attendre, je pense, à ce que les présidences continuent d'être un élément dominant dans l'élaboration de l'ordre du jour de l'Union même si la politique étrangère fluctue de plus en plus au gré des événements et est de moins en moins influencée par les initiatives politiques prises par le pays assumant la présidence.

Autre innovation importante découlant du traité de Lisbonne : la possibilité pour les États membres de s'engager dans une « coopération structurée permanente ». Sont appelés à y participer les États membres qui sont dotés de capacités militaires plus robustes et disposés à prendre des engagements plus contraignants en vue de participer à des missions de gestion de crise plus difficiles.

Le rôle joué par la France et le Royaume-Uni pour encourager la coopération en matière de défense au sein de l'Union européenne

Il est clair, notamment pour la France et le Royaume-Uni, que nos pays doivent continuer à jouer un rôle majeur si nous voulons que l'Union demeure un acteur qui compte sur la scène internationale. N'oublions pas que nos dépenses de défense représentent environ la moitié des dépenses de défense des pays membres de l'Union européenne. Ensemble, nous devons constituer le noyau de l'Europe de la défense. Mais, dans nos deux pays, nos aspirations dépassent nos capacités budgétaires actuelles.

Les incidences de la crise économique et financière n'augurent rien de bon pour les forces armées, et l'on constate déjà d'importantes réductions des dépenses de défense en matière d'équipements pour 2010 : moins 3 % en France, moins 5 % au Royaume-Uni et moins 7 % en Italie et en Espagne. Seuls quelques États membres consacrent plus de 2 % de leur PIB à la défense. Et le gouvernement britannique ne cache pas que ses dépenses de défense vont continuer à diminuer. Il est donc parfaitement logique de mieux coopérer entre nous et avec nos partenaires européens.

Je n'ignore pas que des personnes haut placées au Royaume-Uni ont laissé entendre qu'un futur gouvernement conservateur ne voudrait peut-être plus que notre pays joue un rôle de premier plan dans la coopération européenne en matière de défense, s'agissant notamment de l'Agence européenne de défense.

Je voudrais lancer une mise en garde contre l'idée que l'euroscepticisme qui a animé le parti conservateur pendant ses treize années d'opposition continuera de déterminer l'attitude qu'il pourrait adopter au gouvernement. Le discours tenu dans l'opposition n'a rien à voir avec la réalité une fois au gouvernement.

Cela dit, le parti conservateur est convaincu que la pierre angulaire de la défense européenne est l'OTAN ; les charges doivent être mieux partagées et les capacités mieux développées par ses membres européens dans le cadre de la stratégie globale de l'Alliance. Mais si les réalisations de l'Union européenne dans le cadre de la PESD et des missions de Petersberg sont bien perçues, il existe aussi un désir très net de voir la PSDC se développer en harmonie avec l'OTAN.

David Cameron a présenté la semaine passée un document sur notre stratégie de sécurité nationale où il est dit - je cite : « ... le parti conservateur s'efforcera d'accroître l'efficacité des politiques européennes en matière de sécurité et, dans le cadre de l'examen par l'OTAN de son concept stratégique, oeuvrera en faveur d'une meilleure synthèse entre ces politiques et les capacités de planification et les moyens opérationnels de l'OTAN ».

Nous sommes convaincus au Royaume-Uni, et cette idée est partagée par les travaillistes comme par les conservateurs, que nous devons maintenir le niveau le plus élevé possible d'interopérabilité entre nos forces et celles des États-Unis. Mais une coopération étroite avec ce pays n'exclut pas de participer activement aux activités relevant de la PSDC ni de collaborer avec nos alliés européens dans le domaine de la défense.

Pardonnez-moi cette petite digression concernant l'avenir de la politique britannique, mais je pense qu'il est essentiel que le Royaume-Uni et la France se comprennent mieux si nos deux pays veulent progresser sur ce plan.

Le Royaume-Uni a été le pionnier et le moteur de la modernisation du secteur militaire en Europe, et nous savons tous que l'engagement britannique vis-à-vis de la PESD s'est appuyé essentiellement sur des considérations pragmatiques. Le Royaume-Uni tenait en effet à renforcer les capacités militaires européennes pour que l'Europe continue d'être un partenaire stratégique pour les États-Unis en ce qui concerne la sécurité mondiale. Dans les circonstances actuelles, la participation britannique à la PSDC reste pour l'Union une condition indispensable à la réalisation de son ambition d'accroître ses capacités militaires.

La Commission technique et aérospatiale de l'Assemblée européenne de sécurité et de défense s'est félicitée, dans un récent rapport, du rôle de plus en plus important joué par l'Agence européenne de défense comme organisation centrale où s'élaborent les programmes européens de défense et de recherche et développement technologique de défense, mais elle a fustigé à juste titre l'insuffisance des moyens financiers de l'Agence, dont le budget atteint seulement 31 millions d'euros. Ces moyens sont même inférieurs à ceux des plus petits États membres.

La transformation des forces armées afin de les adapter aux différentes opérations est un long processus, et il reste un certain nombre de lacunes majeures à combler. Si les États membres veulent vraiment donner un contenu à la PSDC, il leur faudra fournir les moyens financiers nécessaires.

Dans l'environnement actuel, le « soft power » ne saurait suffire pour transformer le monde qui nous entoure comme nous le voulons. Je ne plaide pas en faveur d'une ligne dure et agressive, mais nous aurons assurément besoin d'augmenter les capacités militaires et nous devons nous préparer à les utiliser en cas de besoin.

La situation géopolitique actuelle est loin d'être rassurante : non seulement le monde ressent toujours l'onde de choc d'une très grave crise financière, mais la guerre se poursuit en Afghanistan et la tension monte dans un certain nombre de régions : le Moyen-Orient, d'importantes parties de l'Afrique et à l'est de l'Union européenne.

Dans cet environnement précaire, il importe que l'Union européenne ait une politique étrangère et de sécurité viable. Ce qui suppose que les États membres aient une analyse politique commune des défis et des menaces auxquels ils sont confrontés ; qu'ils parviennent à déterminer leurs intérêts majeurs communs et qu'ils décident s'ils veulent utiliser la PESC pour répondre à ces menaces et défis. L'UE doit faire maintenant un effort particulier pour réduire le fossé entre le discours sur la PESC et son application concrète.

Les conclusions sur la PESD publiées le 17 novembre 2009 à l'issue de la réunion du Conseil Affaires générales et relations extérieures montrent que, pour l'heure, tout progrès dépend essentiellement des activités d'une multitude de comités d'experts et de groupes de travail. Ils effectuent tous un travail très utile sur un grand nombre de points techniques précis, mais on a le sentiment que le Conseil a besoin d'être encouragé pour exploiter pleinement les opportunités audacieuses désormais offertes par le traité de Lisbonne.

Les parlements nationaux pourraient donner l'impulsion nécessaire et permettre de faire le bond en avant qui s'impose désormais sur le plan politique.

A long terme, l'Union n'a pas d'autre choix que de devenir un acteur engagé et autonome, comme le prévoyaient les documents fondateurs de la PESD approuvés à Saint-Malo, Cologne et Helsinki il y a dix ans. Nous avons besoin d'une Union encore plus déterminée à promouvoir la stabilité dans le monde et à jouer un rôle de plus en plus important pour préserver la sécurité de ses membres.

Les opérations de PESD : l'Afghanistan

Des progrès ont été faits récemment dans un certain nombre de domaines sur le plan pratique : je salue notamment l'accord général auquel sont parvenus les États membres, sous la présidence suédoise, pour améliorer la souplesse et la déployabilité des Groupements tactiques. Les États participant à un Groupement tactique peuvent autoriser le recours à une partie ou à l'ensemble du Groupement, même s'il n'y a pas urgence. Ce recours requerra néanmoins l'unanimité des 27 membres.

Des progrès remarquables ont été accomplis sous la présidence suédoise de l'Union en ce qui concerne la mise en place d'un système de surveillance maritime à l'échelle européenne, allant de la mer du Nord à la Méditerranée. Il est conçu pour répondre à un large éventail de problèmes, du contrôle des frontières à l'intervention d'urgence.

Le Conseil européen a reconnu également le besoin croissant de garantir l'efficacité des missions de PSDC pour la gestion des crises et leur déploiement rapide parallèlement à d'autres instruments. Note positive à signaler : les États membres ont progressé dans la mise en oeuvre de mesures nationales pour faciliter le déploiement de personnel civil.

Le Conseil a créé une direction civilo-militaire intégrée, la direction de la planification de la gestion des crises, qui sera mise en place au sein du Service européen pour l'action extérieure et devrait donner un élan notable aux opérations de PSDC.

Une conséquence logique de la création de cette direction sera la mise en place progressive d'un quartier général civilo-militaire, dont la dimension civile existe déjà.

L'Union européenne a énormément progressé en ce qui concerne le développement de ses capacités en matière de déploiement de troupes pour les missions de PSDC à l'étranger et elle peut s'enorgueillir d'un certain nombre de succès, notamment au Tchad, en République démocratique du Congo ainsi que dans la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes, et dans le cadre de la mission établie de longue date en Bosnie-Herzégovine. Mais nous ne devons pas perdre de vue les lacunes qui restent à combler : l'action civile de l'Union en Afghanistan en fait partie.

La mission de police de l'Union en Afghanistan a rencontré bon nombre des problèmes qui ont plombé d'autres missions civiles : tergiversations politiques à Bruxelles, problèmes logistiques sur ce théâtre difficile et lenteur de la planification et du déploiement en raison de l'hésitation des États membres à mettre à disposition le personnel requis.

La mission EUPOL Afghanistan n'est pas parvenue à mieux encadrer ni à mieux coordonner les tentatives de réforme de la police des États membres, ce qui semblerait la suite logique d'une mission européenne intégrée. Même les relations interinstitutionnelles entre la mission EUPOL, le Bureau du Représentant spécial de l'UE et la Commission européenne se sont révélées complexes.

L'Union européenne a toujours du mal à élaborer une véritable politique commune pour l'Afghanistan ; à la suite de divergences politiques entre ses États membres, son action manque de cohésion.

Ce qui ne relève pas du traité de Lisbonne : la défense du territoire et la défense stratégique

Il importe aussi de souligner à ce stade ce que le traité de Lisbonne ne prévoit pas et ce que la PSDC ne fait pas. La PSDC n'est pas l'Europe de la défense. Le traité ne prévoit pas de politique de défense du territoire ou de défense stratégique et il ne contient pas de clause d'assistance mutuelle contraignante au sens classique du terme. A ce stade de l'histoire européenne, les cultures stratégiques des 27 États membres sont trop différentes pour permettre une telle avancée. Par exemple, l'Union européenne ne souhaite pas engager un débat sur le rôle des forces nucléaires de nos pays pour la sécurité de l'Europe. Naguère, ce type de discussion avait sa place au sein de l'UEO.

Le traité de Lisbonne dispose, à propos de la politique de sécurité et de défense commune, à l'article 42 du traité sur l'Union européenne (TUE), que « la définition progressive d'une politique de défense commune de l'Union » « conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi », ce qui reflète la nature, semble-t-il à jamais, embryonnaire des ambitions militaires de l'Union, qui recourt à une phraséologie qui n'a pas beaucoup changé depuis le traité de Maastricht de 1991.

En fait, pour ce qui est de la défense commune, l'article 42 se réfère précisément à l'OTAN. C'est l'une des raisons pour lesquelles, selon moi, il faudrait se consacrer davantage à l'amélioration des relations entre l'Union européenne et l'OTAN et entre l'Union européenne et les États-Unis. C'est aussi pourquoi je salue la décision de la France de reprendre pleinement sa place dans l'OTAN.

Concernant les relations de l'Union européenne avec l'OTAN, nul ne peut nier qu'elles restent problématiques, ce qui est assez incroyable quand on pense que 21 pays de l'Union sont membres de plein droit de l'OTAN et que quatre autres font partie du Partenariat pour la paix. Ainsi, les accords « Berlin plus » ne constituent pas, à l'heure actuelle, une base satisfaisante pour le développement d'une coopération étroite entre les deux instances, si tant est qu'ils l'aient jamais été.

En raison des problèmes relationnels Union européenne - OTAN, aucun accord général n'a été conclu entre les deux organisations en Afghanistan en vertu duquel la FIAS se chargerait de la sécurité des personnels de l'EUPOL et il n'est pas possible d'échanger des informations classifiées, souvent capitales.

La mission EUPOL en Afghanistan a donc dû conclure des accords individuels avec les nations cadres en charge d'une Équipe de reconstruction provinciale (ERP) et elle a même été obligée de louer les services d'une société privée pour garantir sa sécurité et adopter une politique sécuritaire extrêmement rigoureuse. De plus, la Turquie et les États-Unis n'ont pas conclu d'accords techniques bilatéraux avec elle. Tout cela a ralenti le déploiement de la mission et nui à son effectivité.

Relations avec les États-Unis, la Russie et les pays tiers

Les relations de l'Union européenne avec les États-Unis constituent un autre chapitre très important. Nous devons davantage prêter attention au dialogue que nous menons avec les États-Unis si nous voulons que l'Europe soit considérée comme un partenaire sérieux et l'allié d'un pays qui joue un rôle majeur dans le règlement des problèmes internationaux les plus graves.

Autre aspect important de la PESC : les rapports entre l'Union et la Russie. Jusqu'ici, l'Union n'a pas réalisé son ambition de conduire une politique étrangère cohérente et efficace vis-à-vis de ce pays - partenaire clé pour l'Union et ses membres - en raison essentiellement des désaccords internes qui perdurent sur le traitement à accorder à la Russie. En dépit de nombreux efforts, l'Union n'a pas encore été à même de conclure un nouvel accord de partenariat et de coopération avec ce pays et rien ne pousse à rechercher un cadre de coopération plus solide pour nos relations sécuritaires avec ce pays.

Nous courons le risque d'ignorer le besoin urgent d'approfondir la coopération pratique avec la Russie en matière de sécurité, point particulièrement important compte tenu de la proposition faite par le Président Dmitri Medvedev en vue d'une nouvelle architecture de sécurité européenne et du projet de traité présenté récemment par la Russie lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de l'OSCE à Athènes.

Je suis d'avis que nous devons répondre avec franchise et sérieux à l'intérêt manifesté par le Président Medvedev à débattre de la sécurité européenne, sans oublier que les difficultés rencontrées dans le cadre de l'architecture de sécurité existante pour faire face aux crises et aux conflits ne sont pas en premier lieu institutionnelles, mais s'expliquent surtout par la réticence des pays à l'intérieur de cette architecture à rechercher un compromis.

Groupe de travail avec le parlement russe

Notre assemblée a créé un groupe de travail avec le parlement russe. Il est présidé, pour la partie russe, par Alexandre Torchine, premier Vice-Président du Conseil de la Fédération de Russie, équivalent du Sénat dans le système constitutionnel russe.

Les membres du groupe de travail conviennent que l'accord de partenariat et de coopération qui lie la Russie à l'Union européenne doit être actualisé. La grande dépendance des deux partenaires l'un envers l'autre justifie le développement d'un partenariat stratégique significatif. Ce dont nous avons vraiment besoin, c'est d'une relation aboutie et prévisible, basée sur la confiance mutuelle.

Il est évident que les rapports de l'Union européenne avec la Chine et d'autres puissances telles que l'Inde et le Brésil vont devenir de plus en plus importants mais, pressé par le temps, je vais entamer maintenant la deuxième partie de mon exposé et traiter plus en détail la question essentielle de cette audition : le rôle futur des parlements nationaux dans l'Union en ce qui concerne la politique de sécurité et de défense commune.

Le suivi parlementaire de la PSDC

Pour ce qui est du suivi parlementaire de la PSDC, nous entrons dans une période de transition au cours de laquelle plusieurs options devront être examinées. Il importera d'étudier en quoi notre assemblée pourrait contribuer à combler le fossé entre la situation actuelle - où la PSDC est une politique intergouvernementale et les parlements nationaux sont pleinement compétents pour la contrôler - et l'avenir plus ou moins lointain, où la PSDC pourrait s'être transformée - et je citerai l'article 42.2 du traité de Lisbonne - en une « politique de défense commune de l'Union ». Une telle défense commune impliquerait que la compétence relative à son suivi ait été alors transférée au Parlement européen. Mais nous n'en sommes pas là. Si le traité de Lisbonne confirme quelque chose, c'est bien le caractère intergouvernemental de la PSDC, aucune nation n'étant disposée à transférer à Bruxelles sa propre souveraineté lorsqu'il y va de la vie ou de la mort de ses soldats et de la sécurité de ses citoyens.

Comme je l'ai déjà dit, l'Assemblée de l'UEO a adopté en mai 2008, sous la présidence de mon prédécesseur Jean-Pierre Masseret et en prévision d'autres développements, une nouvelle Charte et s'est transformée en Assemblée européenne de sécurité et de défense (AESD). L'AESD/Assemblée de l'UEO offre désormais les mêmes droits en matière d'information et de participation non seulement aux parlementaires des 27 États membres de l'UE, mais aussi à ceux des pays candidats et des membres européens de l'OTAN, ainsi qu'au Parlement européen. L'AESD attend toujours néanmoins la reconnaissance de jure de l'Union européenne et s'appuie sur le cadre juridique que lui fournit le traité de Bruxelles modifié. Si le traité de l'UEO disparaissait, comme certains le réclament au sein du Parlement européen, les parlements nationaux perdraient immédiatement l'acquis du seul outil interparlementaire éprouvé qui soit disponible pour le suivi de la PSDC.

La ratification et l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne constituent une étape décisive dans la réorganisation institutionnelle en cours de l'Union européenne. Cette réorganisation a été lancée par la déclaration de Laeken (décembre 2001) en vue de rendre l'Union plus démocratique, plus transparente et plus efficace. Le rôle futur des parlements nationaux dans l'architecture européenne s'est dès lors imposé comme l'un des piliers de ce processus de réforme et comme réponse à l'éloignement de nos concitoyens vis-à-vis de l'Union européenne.

Le traité de Lisbonne est le premier traité de l'Union européenne qui prévoit un rôle spécifique pour les parlements nationaux, dont les dispositions figurent dans un protocole spécial qui, comme vous savez, est le protocole N° 1 sur le rôle des parlements nationaux. Alors que le protocole entre dans le détail concernant les parlements nationaux et le principe de subsidiarité, les dispositions sur la prise de décision intergouvernementale, notamment en matière de PESC (politique étrangère et de sécurité commune) et de PSDC (politique de sécurité et de défense commune) sont moins claires. Le processus de réforme mérite donc une réflexion plus approfondie. La mise en oeuvre du traité de Lisbonne va vraisemblablement susciter des développements inconnus à ce stade : évitons de tirer des conclusions hâtives.

Premièrement, les dispositions relatives au rôle des parlements nationaux sont ouvertes à l'interprétation. Deuxièmement, les avis vont vraisemblablement diverger entre les parlements nationaux et le Parlement européen sur la place de chacun dans le système interparlementaire.

L'interprétation concernant les réalisations possibles en vertu du traité de Lisbonne peut être soit timorée, soit audacieuse. Une interprétation timorée conduirait à une participation limitée des parlements nationaux, consistant par exemple en une seule conférence annuelle sur la PESC qui se déroulerait à Bruxelles, en l'absence de rapport écrit des gouvernements et sans aucun mécanisme de suivi. L'interprétation la plus audacieuse conduirait à la mise en place d'un système complet de contrôle parlementaire, prévoyant l'adoption de rapports rédigés et votés en commission. La transparence en serait accrue. La poursuite du développement de la PSDC serait assurée puisqu'elle s'appuierait sur la participation pleine et entière des parlements nationaux. En effet, ce sont les parlements nationaux qui décident des ressources financières et des capacités nationales allouées à la PSDC et ce sont eux qui décident en dernier ressort du déploiement des soldats pour des opérations de PSDC. C'est nous, parlementaires nationaux, et nous seuls, qui sommes comptables des vies humaines sacrifiées.

Nombreux sont ceux qui font valoir que le traité de Lisbonne semblerait promouvoir le modèle de la conférence - en dépit des limites reconnues des conférences pour un suivi parlementaire approprié. L'assemblée et ses membres se sont engagés dans une campagne de communication pour assurer la pérennité du modèle éprouvé de contrôle interparlementaire de type assemblée. Nous pensons que le modèle fourni par l'assemblée sert au mieux les intérêts des parlements nationaux dans ce domaine de la politique intergouvernementale.

Nous avons élaboré un certain nombre d'options sur la manière d'aider les parlements nationaux ainsi que l'Union européenne à mettre en oeuvre le traité de Lisbonne. Je ne vais pas entrer dans le détail maintenant, mais je discuterai volontiers de ces propositions lors du débat qui va suivre.

Il appartient au Conseil de l'Union de décider de la manière de faire avancer la coopération interparlementaire sur la PSDC, en consultation avec les parlements nationaux et le Parlement européen. Je pense que notre assemblée peut contribuer utilement à la mise en oeuvre du traité de Lisbonne et à la coopération interparlementaire en matière de PSDC.

Je suis partisan de doter notre assemblée de la base juridique et financière requise pour qu'elle puisse jouer pleinement son rôle dans le cadre de l'Union européenne. Il faudrait pour cela que le Conseil de l'Union décide de reconnaître le rôle interparlementaire de notre Assemblée et de lui conférer un statut et une assise financière aux côtés du Parlement européen. Ce ne serait pas une deuxième chambre parlementaire européenne, de même que la COSAC, destinée à traiter les affaires communautaires, n'en a jamais été une.

Je n'ignore pas l'existence d'autres possibilités d'associer les parlements nationaux, y compris celle de mettre en place une COSAC de la défense qui serait composée des membres des commissions de défense des parlements nationaux. Bien sûr, la COSAC telle qu'elle existe actuellement devrait être adaptée. Sous sa forme actuelle, il est difficile d'imaginer comment elle pourrait exercer le suivi parlementaire approprié de la PESC et de la PSDC. La COSAC n'a pas de commissions, elle ne vote pas de recommandations et, jusqu'ici, elle n'a produit aucun rapport détaillé sur des questions politiques. Elle s'est occupée essentiellement des pratiques et des procédures. Elle souffre des carences inhérentes à la plupart des instances fonctionnant sur le modèle de la conférence : si elle permet des échanges de vues entre les parlementaires, elle ne prévoit pas nécessairement un dialogue structuré avec l'exécutif de l'Union européenne. Si le Conseil de l'Union était tenu de fournir à la COSAC des rapports oraux ou écrits sur ses activités intergouvernementales, la transparence en serait accrue et le dialogue entre les parlementaires et les gouvernements facilité. Si nous recherchons le meilleur moyen d'aller de l'avant, nous trouverons, j'en suis sûr, une solution pour que ces idées, et d'autres, soient compatibles avec nos suggestions.

Ce qui importe à mes yeux et à ceux de mes collègues, c'est que vous, parlementaires nationaux, soyez au fait de l'expertise que notre Assemblée peut apporter et que vous reconnaissiez qu'elle ne fait pas obstacle à l'application du traité de Lisbonne ; c'est bien au contraire un outil efficace et économique, à la disposition des parlements nationaux.

M. Josselin de Rohan. - Monsieur le Président, je vous remercie pour votre intervention très intéressante et exhaustive qui ne manquera pas de susciter des réactions. Je vous remercie également de nous avoir donné un bref aperçu des idées de votre parti sur la défense européenne. Il y a de fortes chances que les conservateurs soient élus lors des prochaines élections, et il est important pour nous de savoir à quoi nous en tenir. En vous entendant, je me rappelais ce que disait Bismarck : « un socialiste ministre ne fait pas un ministre socialiste ». On pourrait transférer le raisonnement au parti conservateur.

Comme vous le savez, nous avons un certain nombre d'appréhensions, au vu des déclarations qui ont été faites, sur la manière dont un gouvernement conservateur pourrait traiter les problèmes de politique de sécurité et de défense commune. Vous avez très justement montré que, pour l'instant, cette politique n'existait pas. Je voudrais raconter une anecdote à ce sujet. Il y a quelques années, un général français a été élu député européen. Il a tout de suite demandé à être membre de la commission de la défense. Or, il n'y avait pas de commission de la défense au Parlement européen. Aujourd'hui, il n'y a pas encore de politique européenne de sécurité et de défense commune, mais le Parlement européen a décidé de créer une sous-commission qui s'en occupe. Avant, nous avions un général sans commission, et maintenant, nous avons une commission sans politique.

Il apparaît clairement que les parlements nationaux ont un rôle évident à jouer dans ce domaine, et vous l'avez très bien souligné dans votre intervention : ce sont eux qui votent les crédits nécessaires à la politique de défense. Vous avez également souligné à juste titre le rôle majeur de la France et du Royaume-Uni dans l'effort de défense européen. Mais je pense qu'avant de savoir quelles modalités de contrôle nous pourrions mettre en oeuvre, une question préalable indispensable se pose : voulons-nous une politique européenne de sécurité et de défense ? La réponse à cette question dépendra beaucoup de l'attitude de la Grande-Bretagne. Car si elle estime que la seule politique européenne de sécurité et de défense est celle qui est établie dans le cadre de l'OTAN, il y aura peut-être une politique de défense pour l'Europe, mais il n'y aura pas de politique européenne à proprement parler. Vous avez aussi souligné que la France était très attachée à l'existence d'une politique européenne de sécurité et de défense complémentaire de l'OTAN, et non antagoniste.

Avant de laisser la parole à nos collègues, je souhaiterais vous poser deux questions. En tant que parlementaire britannique, êtes-vous favorable à la possibilité, ouverte par le traité de Lisbonne, de recourir à des coopérations renforcées ou à une coopération structurée permanente en matière de défense ? Dans ce cas, quel serait, de votre point de vue, la meilleure forme de contrôle parlementaire de ces coopérations ? Il est en effet difficile d'imaginer un contrôle par le Parlement européen, étant donné que la défense reste un secteur qui relève du domaine intergouvernemental et que le Parlement européen comprend des représentants de tous les États membres. Comment les parlements nationaux pourraient-ils exercer ce contrôle ?

Enfin, en m'adressant davantage au parlementaire britannique qu'au Président de l'Assemblée de l'UEO, je souhaiterais connaître votre opinion au sujet de la création d'un quartier général européen. Comme vous le savez, cette idée se heurte toujours à de fortes réticences de la part du Royaume-Uni, et le nouveau Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, a elle-même fait part de ses réserves à ce projet.

Je pense que la réponse à ces questions préjuge un peu de ce que pourrait être une politique européenne de sécurité et de défense

M. Robert Walter. - Je vous remercie d'avoir posé ces deux questions et je serai assez bref dans mes réponses.

Sur la première question, je constate que nous avons déjà à notre disposition des outils de coopération. Je pense par exemple à l'Eurocorps établi à Strasbourg, qui n'implique pas le Royaume-Uni, et à l'Eurofor qui a son siège en Italie. Or, nous n'avons encore jamais eu l'occasion d'utiliser ces formes de coopération dans une opération européenne. Eurocorps a été utilisée, je pense, dans le cadre d'une opération conduite par l'OTAN. Il existe également les groupements tactiques, mais nous ne les avons jamais utilisés non plus.

Je crois que la coopération structurée devrait être de nature organique, ce qui signifie qu'il reviendrait aux États membres d'être le moteur des progrès dans certains secteurs. Par exemple, le Royaume-Uni et la France souhaitent disposer du meilleur équipement militaire possible et projeter leur politique extérieure au-delà de leurs frontières, mais aucun de nos deux pays n'en a les ressources nécessaires, à cause de la crise. Je voudrais vous citer un exemple éloquent. Mon pays s'efforce actuellement de remplacer ses porte-avions. Or, pour déployer des porte-avions, il faut des avions, et pour atterrir sur ces porte-avions il faut avoir des frégates pour les défendre. Tout ceci coûte très cher.

Les responsables politiques se demandent comment ils vont gagner la guerre en Afghanistan sans tous ces moyens. C'est précisément le type d'occasion que nous devrions saisir pour renforcer notre coopération afin de pouvoir acquérir des équipements de haute valeur et de renforcer notre collaboration dans l'acquisition de ces moyens. Nous savons que nous ne pouvons pas déployer ces moyens militaires sans coopération avec nos alliés, que ce soit dans le cadre d'une mission menée par l'Union européenne ou par l'OTAN. Il s'agit là de coopération organique et je pense que vous trouverez beaucoup de soutien dans la classe politique britannique pour faire avancer ce type de coopération. Par ailleurs, les secteurs de coopération que nous avons déjà instaurés ne doivent pas rester inactifs. Il faut les utiliser.

Sur la question du quartier général européen, la position de mon pays, pour les travaillistes comme pour les conservateurs, est qu'il faut éviter les double-emplois. C'est un général britannique qui détient le poste de chef d'État-major de l'Union européenne. 21 membres de l'Union européenne sont membres de l'OTAN. Je suis d'accord sur la nécessité d'un quartier général européen d'où nous pouvons monter les opérations. Mais je pense, au risque de vous déplaire, que nous devrions commencer par utiliser les moyens militaires existants, en l'occurrence à Mons, dans le cadre de l'OTAN.

Il s'agit plutôt, selon moi, d'européaniser le commandement suprême allié en Europe, le SHAPE. Ce sont des Européens qui oeuvrent au sein du SHAPE, même si les Américains sont toujours impliqués dans l'Alliance. Je suis très sensible aux interrogations du contribuable qui risquerait de se demander pourquoi nous voulons reproduire des États-majors, des quartiers généraux, des structures de communication qui existent déjà et pour lesquelles ils ont déjà payé. Bien sûr, si nous étions totalement anti-américains, il faudrait construire des capacités séparées. L'Union européenne a indéniablement besoin de cet État-major opérationnel, mais il faut faire notre possible pour que celui-ci soit créé dans le cadre des capacités existantes et pour éviter des doublons.

M. Didier Boulaud. - Monsieur le Président, je vous remercie pour la clarté de vos réponses, qui sont sans ambigüité. Comme cela a été dit, chacun s'accorde à penser que les conservateurs remporteront les prochaines élections en Grande-Bretagne, ce qui veut dire que le Royaume-Uni aura un gouvernement conservateur. La France a déjà un gouvernement conservateur. Je rappelle que ce sont deux gouvernements travailliste et socialiste qui ont permis un rapprochement franco-britannique qui donna un élan décisif à la défense européenne, avec le sommet de Saint-Malo.

Pensez-vous que deux gouvernements conservateurs pourront prendre une initiative de la même nature et faire un « Saint-Malo 2 », qui serait à mon avis particulièrement judicieux pour relancer la politique européenne de défense ?

En outre, vous vous êtes félicité du retour de la France dans l'ensemble des structures intégrées du commandement de l'OTAN, mais, parallèlement, vous avez regretté que l'Union et l'OTAN peinent encore à travailler de concert. Selon vous, comment expliquer ce blocage ?

M. Robert Walter. - Sur la question d'un « Saint-Malo 2 », je ne suis pas le porte-parole du parti conservateur sur le sujet et je suis soupçonné d'être pro-européen dans mon parti, mais je crois que David Cameron et Nicolas Sarkozy souhaitent sincèrement coopérer et travailler ensemble pour lancer de nouvelles initiatives. Je le répète, nos deux nations sont actuellement confrontées à de graves problèmes économiques qui impliquent une réduction des dépenses de défense. Si nous souhaitons concrétiser nos ambitions, je pense que nous devrions coopérer beaucoup plus étroitement.

Du fait des contraintes budgétaires, le gouvernement britannique, quel que soit le parti au pouvoir, s'oppose à toute idée de doublon, tout en voulant renforcer la capacité européenne de défense. L'Union européenne est la plus grande alliance de pays au monde, mais elle s'avère encore incapable de construire une défense autonome, faute de moyens, ce qui est absurde. Nous devons développer cette autonomie. Être autonome au sein de l'Alliance signifie aussi apporter davantage de contributions. J'espère donc que nos deux pays oeuvreront pour un « Saint-Malo 2 ».

Sur la question de la France et de l'OTAN, je suis persuadé que c'est en s'impliquant davantage dans l'OTAN que l'Europe pourra développer une vraie défense. Les relations Union européenne/OTAN souffrent de problèmes bureaucratiques et politiques, du fait des désaccords entre Chypre, la Turquie et la Grèce. C'est une spirale sans fin. Pourtant, au niveau opérationnel, les commandements sont tout à fait capables de travailler ensemble. J'ai parlé des problèmes de l'Afghanistan. La mission EUPOL Afghanistan n'a pas accès à la protection des FIAS, ni à ses communications. Il en va de même pour la mission Atalante. Les systèmes de communication de l'OTAN ne sont pas accessibles aux missions de l'Union européenne, car ces missions ne se font pas dans le cadre des accords de Berlin plus. Tout cela est absurde. Nous faisons partie de la même communauté, et ce sont les mêmes contribuables qui financent ces systèmes de communication. Donc, nous devons pouvoir les faire fonctionner.

Mme Josette Durrieu. - Je voudrais saluer très amicalement le Président Walter et le remercier d'être venu porter un double message à des parlementaires français qui, finalement, connaissent peu l'UEO. Nous avons tous conscience qu'il n'existe pas encore de politique européenne de défense commune avec un budget autonome. Le traité de Lisbonne n'a pas forcément beaucoup fait progresser les choses de ce point de vue. La défense relève encore du domaine intergouvernemental. Donc, les parlements nationaux ont évidemment un rôle très important à jouer. Or, on s'achemine peut-être aujourd'hui vers la disparition de l'Assemblée de l'UEO, qui permet précisément aux parlements nationaux d'exercer leurs prérogatives dans le domaine de la défense. Il faut impérativement conserver une assemblée interparlementaire pour discuter de ces questions, quelle que soit sa forme. Il est vrai que l'UEO dépérit depuis longtemps. Soit on lui redonne corps, soit on la remplace par une autre structure de coopération interparlementaire où siègeront des parlementaires nationaux. Mais ce n'est en aucun cas le rôle du Parlement européen. Certains se demandent à quoi servent toutes les assemblées interparlementaires. Elles servent à faire évoluer les choses. On le voit par exemple avec la Russie au sein du Conseil de l'Europe. Il nous faut donc un organe interparlementaire permanent dédié aux questions de défense, qui disposerait d'un statut juridique et d'un budget.

Je voudrais pour finir vous poser une question sur le nouveau Haut représentant, dont les pouvoirs sont renforcés avec le traité de Lisbonne. Quelle pourra être l'influence de cette nouvelle personnalité au Moyen-Orient ? Sur les questions énergétiques ?

Enfin, je m'interroge sur l'avenir de l'A400M. Dans le cadre de la commission technique et aérospatiale de l'Assemblée de l'UEO, nous avons fait beaucoup de missions et de rapports, nous connaissons parfaitement le problème. Quel rôle pouvons-nous jouer pour empêcher l'abandon de ce programme stratégique ?

M. Robert Walter. - Je voudrais rendre hommage au travail accompli par Josette Durrieu au sein de l'Assemblée, notamment sur la politique européenne à l'égard du Moyen-Orient. En ratifiant le traité de Lisbonne, les vingt-sept États membres sont tombés d'accord sur le fait qu'il faut une politique commune de défense, qui doit rester intergouvernementale. Nous sommes tous d'accord aussi que le Parlement européen ne sera doté d'aucune nouvelle compétence dans ce domaine. En revanche, jusqu'ici, la question du contrôle démocratique de ce secteur n'a pas été évoquée. Je crois que l'Assemblée de l'UEO a été par le passé en mesure de s'acquitter de cette tâche.

Sur les projets comme l'A400M, Eurofighter, la frégate Horizon, notre assemblée peut les contrôler, les étudier, améliorer leur visibilité, car ils font partie de la politique européenne de défense. Si nous avons besoin d'un organisme de contrôle interparlementaire regroupant des parlementaires nationaux, c'est bien parce que les décisions relatives aux ressources budgétaires, au déploiement et aux acquisitions de moyens militaires sont prises par les gouvernements et les Parlements nationaux. Ce sont nos contribuables qui les financent, et non pas ceux qui votent le budget communautaire. Sur cette base, nous devons donc trouver un mécanisme de contrôle leur permettant d'évaluer et de surveiller les décisions collectives prises par les gouvernements en la matière.

L'Assemblée européenne de sécurité et de défense est-elle l'enceinte idoine ? Pour le moment, nous n'avons rien d'autre. La COSAC ne pourrait à mon avis pas jouer ce rôle, car elle n'adopte pas de recommandations et n'a pas de commissions permanentes. Certes, on pourrait peut-être réduire le nombre de membres de l'Assemblée, tout comme on pourrait envisager de rompre le lien existant avec le Conseil de l'Europe. On pourrait par exemple scinder la délégation en deux groupes, ou réduire le nombre global de membres, pour réduire les budgets de ces organisations. Quoi qu'il en soit, il nous faudra trouver une solution pour garantir l'implication des parlements nationaux dans le contrôle des gouvernements dans le domaine de la défense, afin que s'applique le principe de responsabilité. Je rappelle qu'en 2009, 100 soldats britanniques ont trouvé la mort. Nos gouvernements doivent rendre des comptes.

M. Daniel Reiner. - Je voudrais vous interroger sur la coopération concernant les gros programmes d'armement. Je constate, tout en le déplorant, qu'il n'y a pas eu de projet de coopération sur de grands systèmes d'armement depuis six ou sept ans, alors que la défense européenne a beaucoup progressé depuis dix ans. Quelle en est à votre avis la raison ?

De telles coopérations sont nécessaires d'un point de vue économique, car elles permettent de mutualiser nos moyens. Cela dit, face aux échecs des projets de coopération actuels, tel que l'A400M, on peut se demander si ceux-ci ne font pas office de contre-exemple et ne découragent pas, au bout du compte, le lancement de nouvelles coopérations industrielles dans le domaine de la défense. Quel jugement portez-vous du point de vue de votre assemblée sur l'efficacité des programmes de coopération en cours ?

M. Robert Walter. - Je vous remercie pour cette excellente question. Nous sommes toujours très prompts à critiquer. Certes, ce type de projets souffre inévitablement de dépassements budgétaires. Il y a beaucoup d'évolution dans les contrats et les marchés publics de défense. Parfois, le contrat est mal rédigé dès l'origine. Mais ce n'est pas un problème spécifique à l'Europe, c'est le cas aussi des programmes américains. Donc, je pense qu'il ne faut pas se focaliser sur ces dépassements budgétaires, même si nous devons nous efforcer de les éviter. Au contraire, il faut poursuivre la coopération et la développer davantage. C'est la seule façon d'avancer. Il y a beaucoup de sociétés internationales, et les sociétés « nationales » tirent la plupart de leurs bénéfices de l'étranger. Je crois donc qu'il nous faut penser à l'échelle internationale et ouvrir nos marchés de défense, car nous avons encore une attitude protectionniste qui nuit au développement de nos capacités de défense. Les Américains refusent d'ouvrir leurs marchés car nous ne sommes pas capables de coopérer entre nous dans le secteur de la défense, chacun cherchant à protéger ses intérêts économiques nationaux. Il faudrait aussi peut-être renforcer les moyens de l'Agence européenne de défense, car elle n'est pas en mesure aujourd'hui de financer ce type de projets et n'apparaît pas comme un acteur crédible dans ce domaine.

M. Hubert Haenel. - Monsieur le Président, après avoir entendu vos réflexions et le débat qui s'en est suivi, je poserai la question suivante : et maintenant, qu'allons-nous faire ? Vous avez parfaitement dressé l'état des lieux de la situation et déjà indiqué quelques pistes. Le Parlement européen, lui, n'a pas attendu. Imperturbablement, il va continuer à affirmer ses ambitions et à avancer dans ce domaine. En conséquence, si de notre côté, nous n'avançons pas, nous ne pourrons que regretter que le Parlement européen se soit emparé d'une compétence qui ne lui appartient pas, car de nature essentiellement intergouvernementale. Il faut donc agir vite pour trouver la forme de coopération interparlementaire la plus adéquate dans le domaine de la défense.


* 1Cette réunion est en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.