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Mardi 17 novembre 2009

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Environnement

Marché des quotas de CO2 et mécanisme d'inclusion carbone aux frontières dans la perspective de la Conférence de Copenhague
Communication de Mme Fabienne Keller

Mme Fabienne Keller. - Entré en vigueur en 2005 à la suite de l'adoption de la directive du 13 octobre 2003, le marché de quotas de CO2 - ou marché du carbone - est un des instruments mis en place par l'Union européenne pour atteindre les objectifs du protocole de Kyoto : baisser les émissions de gaz à effet de serre dans l'Union au cours de la période 2008-2012 de 8 % par rapport aux niveaux d'émission de 1990. Le marché de quotas est un instrument économique qui doit permettre de réduire au moindre coût les émissions de gaz à effet de serre dans l'industrie (métallurgie, cimenterie, production d'électricité, chimie, industrie manufacturière...).

Jusqu'à présent, les quotas sont alloués gratuitement aux principaux émetteurs industriels de CO2 en fonction de leurs émissions passées, ceux-ci pouvant ensuite échanger ces quotas sur le marché secondaire selon leurs besoins. La gratuité des quotas ne signifie pas que le système est sans effet sur les installations concernées. Lorsque ses émissions sont supérieures au total des quotas qui lui sont alloués gratuitement, l'entreprise doit en acquérir sur le marché de quotas. Et lorsque ses émissions sont inférieures à ce total, elle peut les vendre. La gratuité ne neutralise donc pas le jeu incitatif du marché.

En donnant aux émissions de gaz une valeur économique, le système des quotas alloués gratuitement incite en effet les pollueurs à les intégrer dans leurs décisions et à arbitrer entre deux stratégies : soit réduire les émissions et vendre les quotas non utilisés si le coût des investissements pour réduire les émissions est inférieur au coût des quotas équivalents, soit acheter des quotas supplémentaires si les investissements nécessaires à une réduction des émissions sont trop élevés.

Cet instrument économique a été préféré à d'autres, plus classiques : la fiscalité et la réglementation.

Précisons que la création d'une taxe carbone en France est un sujet distinct du marché de quotas qui ne concerne que les installations industrielles importantes. Si la taxe carbone poursuit le même objectif que le marché du carbone - inciter à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre -, cette taxe pèse sur les acteurs économiques non soumis au marché du carbone, c'est-à-dire pour l'essentiel les ménages, les transporteurs, les services, les collectivités territoriales, les agriculteurs... Ces acteurs sont beaucoup trop nombreux et diffus pour que l'on puisse mesurer exactement le volume de gaz à effet de serre qu'ils rejettent et les soumettre au système de quotas qui est mieux adapté aux installations industrielles.

Les nouvelles règles du marché des quotas à partir de 2013

Toutefois, la directive du 23 avril 2009 améliorant et étendant le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, adoptée dans le cadre du paquet « énergie-climat », va profondément changer les règles de fonctionnement du marché de quotas de CO2 pour la période 2013-2020. L'objectif visé est une baisse de 21 % des émissions en 2020 par rapport à 2005.

En effet, à compter du 1er janvier 2013, les modalités d'attribution primaire des quotas d'émission seront différentes. Le principe général sera désormais celui de la mise aux enchères des quotas dès la première tonne de CO2 émise. La directive prévoit certes de nombreuses exceptions à ce principe. Mais il n'en reste pas moins que cette nouvelle règle ainsi que d'autres modifications (diminution linéaire du montant global de quotas alloués chaque année, intégration de nouveaux secteurs économiques dans le système...) vont profondément changer l'organisation et le fonctionnement du marché du carbone. Le coût de ce système pour les secteurs concernés sera donc beaucoup plus important.

Les faiblesses de ce marché

Au cours du premier semestre 2009, la commission des finances du Sénat a créé un groupe de travail sur la régulation des marchés de quotas de CO2 et la création d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières. Ce groupe de travail a rendu ses conclusions dans un rapport d'information en juillet dernier.

Ce rapport dresse plusieurs constats.

Le marché des quotas de CO2 a pris son essor depuis 2005 pour devenir le plus important marché carbone dans le monde, le second étant celui mis en place par dix États du nord-est des États-Unis. La liquidité et la profondeur du marché européen se sont continûment améliorées. Les volumes échangés ont ainsi plus que décuplé. Ouvert à tous les acteurs industriels et financiers, le marché demeure cependant animé par un nombre limité de participants actifs réguliers - environ 300.

Néanmoins, ce marché présente des faiblesses importantes. Il souffre en particulier d'une absence de régulation et d'un cadre normatif très léger. Il en résulte notamment une forte volatilité des cours des quotas, au comptant ou à terme, et des risques de fraude. Le cours actuel tourne aux environs de 13 euros contre 25 il y a un an.

Or, la directive de 2009 qui va étendre considérablement le marché carbone ne prévoit à peu près rien pour encadrer et réguler ce marché. La directive renvoie la définition du calendrier, de la gestion et des autres aspects de la mise aux enchères des quotas à un texte ultérieur, devant être adopté le 30 juin 2010 au plus tard selon une procédure de comitologie. A propos de la régulation du marché proprement dite, après mise aux enchères, la directive dispose simplement que la Commission européenne, dont ce n'est pas le coeur de métier, « surveille le fonctionnement du marché européen des quotas de carbone ». Toutefois, la Commission ne dispose d'aucun pouvoir. Elle doit seulement remettre chaque année un rapport sur le fonctionnement du marché du carbone et examiner « avant le 31 décembre 2010, si le marché des quotas est suffisamment à l'abri des opérations d'initiés et des manipulations de marché [...] ». Elle ne clarifie donc ni le statut juridique des quotas (s'agit-il d'instruments financiers ou de biens physiques ?), ni l'organisation des enchères (quelles procédures suivre ?), ni la réglementation du marché carbone (marché réglementé avec une chambre de compensation ou non, désignation d'une autorité de régulation...).

Ces insuffisances ne sont pas acceptables à plusieurs titres.

Tout d'abord, ce marché de quotas a été conçu dans un but précis : réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il ne répond pas à une simple logique d'offre et de demande émergeant des acteurs économiques. C'est un instrument créé pour atteindre un objectif arrêté au niveau politique. Il n'est donc pas concevable de l'abandonner, une fois créé, à la logique ordinaire des marchés financiers. Pour les industriels soumis au système des quotas, c'est aussi une nécessité. Les décisions des acteurs économiques en matière d'émission de gaz à effet de serre sont des décisions de long terme, compte tenu du montant des investissements en jeu. Il est donc essentiel que le cours du carbone soit suffisamment important et prévisible.

L'importance de ce débat doit être également replacée dans la perspective d'un marché mondial du carbone. Les conclusions du Conseil Environnement du 21 octobre 2009 appellent ainsi à « la création, dès que possible et de préférence d'ici 2015, d'un marché du carbone qui associe tous les pays de l'OCDE, en reliant entre eux des systèmes de plafonnement et d'échange qui sont comparables en termes d'ambitions et compatibles au niveau de leur conception, [...] ces mesures étant des étapes importantes vers la réalisation d'un marché mondial du carbone pleinement intégré ». Le marché européen étant de loin le plus important marché carbone dans le monde, l'Europe ne doit pas laisser passer sa chance de structurer ce marché mondial sur la base de son modèle.

A cet égard, les prochains mois constituent la fenêtre de tir idéale. Le marché européen du carbone est balbutiant, les acteurs peu nombreux. Il est donc encore possible d'imposer facilement des règles contraignantes à l'occasion de la mise en oeuvre de la directive de 2009. Après, cela sera beaucoup plus difficile de remettre en cause des situations établies, même si l'on s'aperçoit de dysfonctionnements graves.

Malheureusement, lors de mon déplacement à Bruxelles, j'ai pu constater que cette position n'était pas partagée par tous nos partenaires européens, notamment l'Allemagne et le Royaume-Uni. Si les réflexions en cours de la Commission européenne sont plutôt favorables à une harmonisation poussée des règles de mise aux enchères des quotas, les partenaires précités pencheraient pour une organisation des enchères à un niveau strictement national. Quant à la réglementation du marché des quotas, il semble que la religion de la Commission ne soit pas encore faite. Ce flottement n'est pas de bon augure alors que la Commission doit présenter sa proposition de règlement sur les enchères avant la fin du premier semestre 2010.

C'est la raison pour laquelle je vous propose, dans le prolongement des travaux de la commission des finances, d'adopter une proposition de résolution afin de réclamer l'encadrement et la régulation du futur marché du carbone ainsi que l'harmonisation des règles relatives à la mise aux enchères des quotas.

Pour un marché carbone organisé au niveau européen

En premier lieu, il convient de préciser la définition juridique des quotas afin de savoir précisément quelle législation s'y applique et, en cas de carence de celle-ci, de la compléter. Actuellement, seuls les quotas à terme sont définis. Ils sont considérés comme des instruments financiers et entrent dans le champ des directives de 2003 relatives aux instruments financiers et aux avis de marché. Toutefois, ces directives ne s'appliquent qu'à la condition que ces quotas soient échangés sur un marché réglementé. Dans le même mouvement, il conviendrait d'harmoniser leur traitement fiscal.

En second lieu, les quotas mis aux enchères ayant vocation à être ensuite échangés sur le marché européen du carbone, les enchères devraient être organisées au niveau d'une plateforme européenne unique. Les quotas seraient ainsi adjugés à un prix unique. Ceci permettrait d'aboutir à un prix unique d'adjudication en Europe et d'éviter les jeux non coopératifs entre États membres. Cette organisation serait sans incidence sur la règle prévoyant que le produit des enchères est entièrement reversé aux États membres, au prorata des quotas leur revenant normalement.

Il convient d'encadrer beaucoup plus le marché, afin de limiter le pouvoir de marché et le risque de contrepartie. A minima, le passage par une chambre de compensation devrait être rendu obligatoire, comme c'est la règle aujourd'hui sur les marchés financiers. De manière plus ambitieuse, une autorité européenne, ou à défaut des autorités nationales existantes comme l'Autorité des marchés financiers en France, devrait être habilitée à surveiller ce marché et à assurer le respect des règles précitées. En outre, un comité de gestion ad hoc devrait être mis en place pour affiner régulièrement les règles du marché en fonction de ses transformations. Il n'est pas possible aujourd'hui de prévoir toutes les hypothèses. Ces autorités devraient être en capacité d'envoyer des signaux pour canaliser le cours des quotas en cas de baisse ou de hausse excessive. Il est intéressant de noter que les États-Unis réfléchissent à un prix plancher et à un prix plafond.

Quel que soit le résultat de la conférence de Copenhague, la question du bon fonctionnement du marché du carbone restera posée et les présentes propositions demeureront valables.

Pour la création d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières

Cette question est aussi liée à celle de l'instauration d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, souvent désigné abusivement comme une « taxe carbone à la frontière ». Il s'agit du second point de la présente proposition de résolution.

Si le principe devient celui de la mise aux enchères des quotas, ce principe connaîtra une exception importante. En effet, parmi les secteurs d'activité entrant dans le champ du marché de quotas, la directive du 23 avril 2009 distingue entre les secteurs selon qu'ils sont exposés ou non à un risque important de fuite carbone. Par « fuite de carbone », il faut comprendre le risque de délocalisations hors de l'Union européenne motivées par le coût du carbone. Ces délocalisations seraient dommageables à un double titre : économiquement et socialement pour l'Union, écologiquement pour la planète. La directive dispose en conséquence que les secteurs exposés à un risque important de fuite de carbone continueront à bénéficier de quotas alloués gratuitement après le 1er janvier 2013.

Par ailleurs, cette même directive prévoit qu'en fonction des résultats de la conférence de Copenhague, une mesure complémentaire pourrait être mise en oeuvre pour éviter les fuites de carbone : l'instauration d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières. Ce mécanisme consisterait à intégrer dans le marché de quotas les produits fabriqués en dehors de l'Union européenne et relevant des secteurs considérés comme exposés à des risques importants de « fuite de carbone ». Les importateurs d'acier par exemple devraient acquérir des quotas dans une proportion correspondant au contenu carbone des produits importés.

Si le principe de ce mécanisme aux frontières existe dans les textes, il n'est pourtant évoqué que du bout des lèvres par les autorités européennes. Les conclusions du dernier Conseil européen sont très prudentes : « Pour préserver l'intégrité environnementale des politiques de l'UE, en fonction du résultat des négociations internationales et des réductions des émissions mondiales de gaz à effet de serre qui pourraient en découler, il est possible d'envisager des mesures adéquates, dans le respect des règles du commerce international ».

En réalité, la stratégie privilégiée consiste à arrêter une très longue liste des secteurs bénéficiant de quotas gratuits. Or, cette stratégie n'est pas sans inconvénient. En premier lieu, elle n'incite pas ces entreprises à développer des méthodes de production peu émettrices de gaz à effet de serre. En deuxième lieu, elle n'incite pas les entreprises extra-européennes non soumises à des contraintes analogues dans leurs États d'origine à réduire leurs émissions. En troisième lieu, pour les États membres, elle réduit considérablement les recettes attendues de la mise aux enchères. En 2013, environ 40 % des quotas seront alloués gratuitement. En dernier lieu, au moment où l'on met en place la taxe carbone qui va peser sur les ménages, il est difficile d'expliquer que les principaux pollueurs recevront des quotas gratuits.

Par conséquent, il serait plus judicieux d'inverser la stratégie en instaurant un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières tout en réduisant simultanément le nombre de secteurs bénéficiant de quotas gratuits. De la sorte, les États tiers qui ne mènent pas de politique volontariste de lutte contre le réchauffement climatique seraient incités à réduire les émissions de leurs industries. Simultanément, du fait de la réduction du nombre de secteurs bénéficiant de quotas gratuits, nos partenaires étrangers percevraient moins le mécanisme aux frontières comme une barrière à l'importation. Enfin, les recettes des enchères seraient plus importantes pour les États membres.

Certes, la Commission européenne apparaît très réticente à mettre en oeuvre ce mécanisme pour des motifs de complexité technique et par crainte de représailles de la Chine ou de l'Inde. A cet égard, je souligne qu'un rapport conjoint du secrétariat de l'OMC et du Programme des Nations unies pour l'environnement conclut à la compatibilité de ce mécanisme avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce.

J'observe que les réticences de la Commission sont paradoxales, puisque le principe de ce mécanisme est prévu très clairement dans la directive de 2009. En outre, si je ne disconviens pas que mesurer le contenu carbone d'un produit complexe reste très difficile aujourd'hui, à l'avenir cela sera certainement plus facile. L'évolution prévisible des réglementations nationales pousse en effet dans ce sens : meilleure étiquetage des produits à l'attention des consommateurs, certification et labellisation, développement des marchés du carbone ou des taxes carbone. Pour conclure, j'ajouterai que ce mécanisme augmentant le champ et la taille du marché de quotas ainsi que le nombre des participants, un marché du carbone bien encadré et régulé sera encore plus nécessaire.

M. Jean Bizet. - Nos concitoyens comprennent mal ces nouveaux instruments. Ils sont perçus avant tout comme de nouvelles taxes, et non comme des incitations à changer leurs comportements.

J'étais sceptique sur la compatibilité entre le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières et les règles de l'OMC. Mais, vous semblez confirmer que c'est bien le cas.

M. Christian Cointat. - Ces sujets sont extrêmement complexes. Je vous fais confiance, mais il faut avouer que les projets européens sont très peu compréhensibles par les citoyens. Cela n'améliore pas l'image du projet européen. Si tout le monde comprend qu'il faut éviter de polluer, le message est brouillé et ce que l'on retient surtout, c'est la création de nouvelles taxes compliquées. La taxe carbone est exemplaire à ce titre. On taxe d'un côté pour expliquer ensuite que l'on sera remboursé.

Nous devons nous efforcer de rédiger la proposition de résolution en des termes aussi clairs que possible et les moins techniques possibles.

Mme Bernadette Bourzai. - Je n'ai pas compris l'articulation entre, d'un côté, des quotas délivrés gratuitement et, d'un autre, des quotas mis aux enchères. Dans quelles conditions une concurrence loyale peut-elle être assurée ?

M. Robert del Picchia. - La simplification est en effet essentielle.

Mme Annie David. - Pourriez-vous préciser qui va payer cette taxe ? et comment combiner des enchères européennes avec un retour des recettes aux États membres ?

Pour ma part, je serais plutôt favorable à un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières. Mais quelles sont les chances que cela aboutisse réellement ?

M. Simon Sutour. - Le débat sur la taxe carbone est devenu incompréhensible. Un travail de pédagogie est essentiel. Je crains enfin que l'argent ponctionné ne soit pas reversé aux plus vertueux, notamment parmi les agriculteurs.

Mme Fabienne Keller. - Je conviens avec vous qu'un travail de clarification est nécessaire.

La réalité du réchauffement climatique est désormais bien établie : la planète connaîtra une température en augmentation de 2 à 5 degrés dans les vingt prochaines années. Ce défi a conduit la communauté internationale à engager des négociations à partir des années 1990. C'est le Protocole de Kyoto, par lequel les pays industrialisés signataires s'engagent à réduire leurs émissions d'au moins 5 % entre 1990 et 2012.

La renégociation d'engagements plus ambitieux et incluant les grands pays non parties au protocole de Kyoto (États-Unis, Inde, Chine notamment) sont les enjeux majeurs du sommet de Copenhague de décembre prochain. L'objectif est de parvenir à contenir le réchauffement climatique en deçà de deux degrés.

En l'absence d'une politique environnementale, les agents économiques ne tiennent pas compte des dommages qu'ils causent à l'environnement. Ces coûts doivent donc être « internalisés », c'est-à-dire intégrés dans la valeur des biens et services. Cela passe soit par la fiscalité, soit par un marché de quotas. L'Europe étant incapable de se mettre d'accord sur une fiscalité commune (règle de l'unanimité), le choix a été fait de mettre en place un marché de quotas pour réduire les émissions de l'industrie. Ce marché de quotas ne concerne que le secteur industriel.

Pour inciter les particuliers, les services, l'agriculture ou les collectivités territoriales à réduire eux aussi leurs émissions de gaz à effet de serre, un autre moyen va être utilisé. Il s'agit de la taxe carbone, qui est prévue dans le projet de loi de finances pour 2010. Elle vise les petits émetteurs, tous ceux qui ne sont pas concernés par le marché de quotas. C'est un autre sujet, distinct de ma communication. En faveur de cette taxe carbone dont on parle depuis la rentrée et qui n'est pas l'application d'un texte européen, j'avancerai l'argument suivant. C'est une façon, en anticipant les hausses futures des prix de l'énergie dues à la pénurie annoncée des énergies fossiles, de s'accaparer la rente pétrolière plutôt que de la verser à des États tiers.

Chaque année, une enveloppe globale de quotas de CO2 est arrêtée. Elle correspond aux émissions de l'ensemble des industries de l'Union. Cette enveloppe est partagée entre les États membres en fonction des émissions des installations industrielles qui se situent sur leurs territoires respectifs.

Je rappelle que les quotas sont délivrés gratuitement chaque année depuis 2005 aux émetteurs. Toutefois, en 2013, cette règle va changer puisque le principe sera désormais celui de la mise aux enchères des quotas alloués chaque année, ces quotas pouvant ensuite être échangés sur le marché des quotas. Si le principe est la gratuité, il connaîtra plusieurs exceptions, la principale concernant ce que l'on appelle les secteurs exposés à des risques de fuite de carbone. Il s'agit des secteurs très exposés à la concurrence internationale. La crainte est que le coût de l'acquisition des quotas pénalise excessivement ces secteurs dans la concurrence mondiale. Pour éviter que les entreprises de ces secteurs ne délocalisent vers des États non membres de l'Union européenne, elles continueront à recevoir leurs quotas initiaux gratuitement. Cela ne les exonère pas de devoir acheter des quotas sur le marché si leurs émissions en cours d'année dépassent le total des quotas alloués en début d'année.

Enfin, je pense en effet que les agriculteurs ne doivent pas être désignés comme des pollueurs. Chaque culture ou élevage est différent.

M. Jean Bizet. - Pour revenir à la compatibilité du mécanisme d'inclusion carbone avec l'OMC, je pense qu'il faut rester prudent et attendre une position officielle.

Quelques réflexions par ailleurs. D'une part, je pense que la taxe carbone a vocation à disparaître à mesure que les émissions de CO2 baisseront. D'autre part, il existe des agricultures très différentes, certaines contribuant même directement à la lutte contre le réchauffement climatique.

M. Christian Cointat. - Ces explications me permettent d'y voir plus clair. Pour réussir, il est fondamental d'obtenir l'adhésion de tous à ce projet. Pour cela, il faut des mesures simples comme le bonus-malus dans l'automobile. Chaque consommateur est face à un choix simple. Il peut arbitrer. A l'inverse, la taxe carbone telle qu'elle est conçue n'offre pas de choix évident.

A propos du marché de quotas, je crains qu'en ouvrant un marché des droits à polluer, on crée des effets pervers, notamment des incitations à ne pas produire pour pouvoir revendre les quotas non utilisés.

Mme Fabienne Keller. - Je ne crois pas que le marché de quotas puisse aboutir à de telles dérives. Je remarque que le montant global des quotas alloués chaque année à compter de 2013 diminuera de façon linéaire. Toutefois, je suis d'accord avec vous sur la nécessité de bien encadrer et piloter ce marché. C'est le sens de la proposition de résolution que je vous soumets.

*

A l'issue de ce débat, la commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu les conclusions du Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009 ;

Vu les conclusions du Conseil « Environnement » du 21 octobre 2009 ;

Vu la directive 2009/29/CE du 23 avril 2009 modifiant la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté ;

Vu la résolution européenne du Sénat n° 18 (2008-2009) du 28 novembre 2008 ;

1. A propos de la mise aux enchères des quotas de CO2 à compter de 2013

Considérant que le marché du carbone a été créé pour répondre à un intérêt public, à savoir réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre de la manière la plus efficiente économiquement et que les premières années de fonctionnement de ce marché ont montré ses faiblesses, notamment un risque de variation erratique des cours ;

Considérant que, si depuis la création du marché du carbone en 2005 les quotas de CO2 sont alloués gratuitement aux principaux émetteurs industriels de gaz à effet de serre, puis échangés sur le marché secondaire, il n'en sera plus ainsi à compter du 1er janvier 2013, la directive 2009/29/CE du 23 avril 2009 posant le principe de la mise aux enchères des quotas ;

Considérant que la directive 2009/29/CE du 23 avril 2009 ne définit pas les modalités de la mise aux enchères des quotas ;

Considérant que cette directive dispose que la Commission européenne arrête, le 30 juin 2010 au plus tard, un règlement concernant le calendrier, la gestion et les autres aspects de la mise aux enchères des quotas ;

- Juge que, pour éviter les distorsions de concurrence et tout risque de perturbation du marché secondaire des quotas, ce règlement devra prévoir l'organisation de la mise aux enchères au niveau d'une plateforme européenne, un prix unique d'adjudication étant ensuite arrêté ;

- Précise que ces modalités d'enchère seraient sans incidence sur la règle prévoyant que le produit des enchères est entièrement reversé aux États membres, au prorata des quotas qui leur sont alloués ;

- invite le Gouvernement à agir pour que le règlement annoncé aille en ce sens ;

2.  A propos du marché des quotas de CO2

Considérant que la directive 2009/29/CE du 23 avril 2009 ne prévoit aucun mécanisme pour réglementer et encadrer le marché des quotas ;

Considérant que le rôle précurseur de l'Union européenne sur le marché du carbone est une opportunité à saisir pour fixer des standards exigeants dans la perspective d'un marché mondial ;

- Juge nécessaire de clarifier le statut juridique des quotas ainsi que leur traitement fiscal ;

- Demande que le marché soit encadré et régulé, afin de limiter le pouvoir de marché, le risque de contrepartie et les manipulations de cours ;

- Estime que cela implique que, a minima, le passage par une chambre de compensation soit rendu obligatoire et que, de manière plus ambitieuse, une autorité européenne, ou à défaut des autorités nationales existantes comme l'Autorité des marchés financiers en France, soit habilitée à surveiller ce marché et à assurer le respect des règles précitées ;

- Juge que l'intérêt public attaché à ce marché justifie des interventions pour corriger les variations de cours excessives ou non cohérentes avec les objectifs assignés à ce marché ;

- Invite en conséquence le Gouvernement à demander à la Commission européenne de proposer rapidement une nouvelle directive ;

3.  A propos de la mise en oeuvre d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières

Considérant que cette directive prévoit la possibilité d'instaurer un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières pour lutter contre « les fuites de carbone », c'est-à-dire les délocalisations hors de l'Union européenne motivées par le coût du carbone ;

Considérant que ces « fuites de carbone » seraient dommageables à un double titre : économiquement et socialement pour l'Union, écologiquement pour la planète ;

Considérant que ce mécanisme consisterait à intégrer dans le système communautaire de quotas les importateurs de produits de secteurs sous quotas afin de mettre sur un pied d'égalité écologique les productions européennes et celles de leurs concurrents mondiaux ;

Considérant néanmoins que la stratégie privilégiée jusqu'à présent pour lutter contre ce risque de délocalisation consiste à maintenir au-delà du 1er janvier 2013 l'allocation des quotas à titre gratuit dans les secteurs menacés ;

- Souligne qu'un tel mécanisme paraît compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce ;

- Demande que le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, tel que prévu par la directive 2009/29/CE du 23 avril 2009, soit mis en oeuvre si, à l'issue de la conférence de Copenhague, le partage de l'effort collectif en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre apparaît inéquitable et incompatible avec une concurrence économique loyale ;

- Estime que la mise en oeuvre de ce mécanisme devrait aller de pair avec une réduction sensible du nombre de secteurs pouvant continuer à bénéficier, par exception au principe des enchères, de quotas gratuits à compter du 1er janvier 2013.

Justice et affaires intérieures

Agence pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle dans le domaine de la liberté, de la sécurité
et de la justice (E 4560 et E 4561)
Communication de M. Robert del Picchia

M. Robert del Picchia. - Nous sommes saisis de deux textes qui ont pour objet de créer une nouvelle agence. Cette agence serait chargée de la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice.

1. Quelle est la situation actuelle ?

Depuis un certain nombre d'années, l'Union européenne s'est dotée de plusieurs systèmes d'information dans le cadre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Le système d'information Schengen (le « SIS ») relie entre eux les États participant aux accords de Schengen. Il est opérationnel depuis 1995. Il constitue la contrepartie de la libre circulation des personnes au sein de l'espace Schengen. Il contient environ 30 millions de signalement. Le SIS est composé d'une partie nationale dans chaque État membre et d'une structure de support centrale, installée depuis l'origine à Strasbourg et dont la gestion technique est assurée par la France pour le compte des autres États membres. Une base de données de sauvegarde est située en Autriche à Saint Johann Im Pongau près de Salzbourg.

Depuis plusieurs années, des travaux ont été engagés pour créer un SIS de deuxième génération qui serait doté de nouvelles fonctionnalités comme les photographies et les empreintes. Je vous ai rendu compte de ces travaux dans de précédentes communications. J'avais eu l'occasion de souligner les retards constatés et les difficultés auxquelles se heurtait ce projet dont la réalisation a été confiée à la Commission européenne. Où en est-on aujourd'hui ? Deux tests ont été programmés. Ils devraient avoir lieu à la fin de l'année et à la mi-2010. En cas d'échec du premier test, le SIS II serait abandonné. Dans cette hypothèse, une solution alternative serait mise en oeuvre en s'appuyant sur le SIS actuel. La France travaille déjà avec la Commission européenne sur ce scénario alternatif.

Le Système d'information sur les visas (VIS) a lui été créé en 2008. Il doit permettre des échanges d'information sur les visas pour les séjours de courte durée, dans le but notamment de simplifier les procédures de demandes de visa, de prévenir le « visa shopping » et de faciliter les contrôles aux frontières. Sa mise en fonction a aussi pris du retard. Elle pourrait intervenir au second semestre 2010.

EURODAC a été créé en 2000. Il permet la comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile afin de faciliter l'application des règles prévues par le règlement dit de Dublin pour déterminer l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile.

D'autres systèmes d'information sont par ailleurs envisagés. Je mentionnerai le système entrées-sorties. Ce système aurait vocation à enregistrer automatiquement le lieu et la date d'entrée et de sortie des ressortissants des pays tiers admis pour un court séjour, qu'ils soient soumis ou non à visa. Il s'agirait d'identifier les personnes n'ayant pas quitté le territoire européen dans les délais prévus. L'interconnexion des casiers judiciaires des États membres est en grande partie opérationnelle. En outre, le projet e-justice est destiné à développer l'accès à la justice à travers l'utilisation des nouvelles technologies de l'information.

De proche en proche, on aboutit ainsi à un foisonnement des dispositifs destinés à l'échange d'informations. Cela pose la question du statut des données transmises et de leur protection. J'y reviendrai. Cela soulève aussi la question de la gestion opérationnelle de ces dispositifs.

Nous avons déjà eu l'occasion d'observer que l'idée de confier à la Commission européenne la gestion d'une base de données telle que le SIS ne paraissait pas souhaitable. Cela ne correspond pas à ses missions essentielles. Elle ne dispose pas des experts pour ce faire, comme semblent l'attester les problèmes de développement du SIS II.

Dans une résolution adoptée en février 2006, le Sénat avait donc demandé au Gouvernement de s'opposer à l'idée d'en confier la gestion à la Commission. Le Sénat avait, en outre, sur la suggestion de la commission des lois et de son rapporteur, notre collègue Richard Yung, proposé une gestion par une agence européenne ad hoc qui devrait être située à Strasbourg.

Cette idée a manifestement fait son chemin. La Commission européenne a été invitée par le Parlement européen et par le Conseil à proposer des solutions applicables à la gestion à long terme des systèmes d'information de grande envergure. Après une étude d'impact réalisée par un consultant externe, la Commission a, en effet, été conduite à proposer en juin dernier la création d'une telle agence.

2. Qu'est-ce qui est proposé et que faut-il en penser ?

Je précise tout de suite que la Commission européenne a dû déposer deux propositions parce que le SIS et le VIS touchent à des domaines ayant pour base légale le premier comme le troisième pilier. Cependant, avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Commission européenne sera appelée à présenter une nouvelle proposition de règlement qui se substituera aux deux textes que nous examinons aujourd'hui et qui intégrera les acquis des discussions en cours au sein du Conseil.

La création d'une agence est de nature à répondre à la préconisation du Sénat dans sa résolution de 2006. Incontestablement, cette solution peut présenter beaucoup d'avantages pour renforcer la gestion opérationnelle des systèmes d'information.

Dans le même temps, nous devons être attentifs au phénomène d'« agenciarisation » de l'Union européenne et aux risques de dérives qu'il comporte. J'observe que la Commission européenne a indiqué n'envisager la création d'aucune nouvelle agence avant qu'une évaluation approfondie ne soit réalisée. Mais elle a pris soin de préciser que les discussions interinstitutionnelles se poursuivraient sur les propositions déjà présentées. Ce qui est le cas de l'agence sur les systèmes d'information.

Dans un récent rapport d'information, notre collègue Denis Badré a dressé un bilan préoccupant sur les agences européennes. Il a posé la question de leurs ressources, de leur suivi et de leur contrôle politique. Nous avons d'ailleurs adopté sur tous ces points une proposition de résolution qui est devenue résolution du Sénat. Ces questions essentielles devront être prises en compte dans la création et le fonctionnement de la nouvelle agence sur les systèmes d'information.

Pourra-t-on aller vers plus de rationalisation dans ce domaine ? En 2006, le Sénat avait demandé que soit étudiée la possibilité de fusionner à terme l'agence dont il proposait la création pour le SIS avec EUROPOL. Mais la nouvelle agence qui nous occupe ne sera pas limitée à la coopération policière. Une telle fusion serait donc problématique.

Selon la proposition de la Commission européenne, cette agence serait un organisme communautaire doté de la personnalité juridique. Elle serait chargée de la gestion opérationnelle du SIS II, du VIS et d'EURODAC. J'ai mentionné précédemment les incertitudes qui demeurent sur la mise en oeuvre effective du SIS II. Si celui-ci ne devait pas voir le jour, la nouvelle agence aurait vocation à prendre en charge à terme le SIS actuel qui aurait été complété par de nouvelles fonctionnalités introduites sous la responsabilité de la France dans le cadre du scénario alternatif.

L'agence pourrait aussi prendre en charge d'autres systèmes d'information à grande échelle dans le domaine « JAI ». Mais il faudra qu'un instrument juridique le spécifie.

La tâche prioritaire de l'agence sera donc la gestion opérationnelle de ces systèmes d'information. Je précise néanmoins qu'elle ne se verra confier que les compétences nécessaires pour gérer les parties centrales des systèmes sans être responsable des données qui y sont introduites. Les États membres resteront responsables de leurs systèmes nationaux.

L'agence devra prendre en charge la formation d'experts du VIS et du SIS II. Elle suivra aussi les recherches menées pour la gestion opérationnelle de ces systèmes et pourra, à la demande expresse de la Commission européenne, mettre en oeuvre des projets pilote.

Les États membres, ainsi que la Commission, seront représentés au sein du conseil d'administration. L'agence sera dotée d'un directeur exécutif nommé pour cinq ans par le conseil d'administration, sur la base d'une liste de candidats proposée par la Commission. Des groupes consultatifs seront chargés d'apporter leur expertise. On a vu dans le cas du SIS que cette expertise pouvait être indispensable. Il faudra donc que ces groupes aient un rôle effectif.

L'agence sera financée par le budget communautaire, à partir des crédits affectés au SIS II, au VIS et à EURODAC par la programmation financière 2011-2013.

J'insisterai tout particulièrement sur l'enjeu de la protection des données. Dans le cadre d'une agence unique, des garanties très fortes doivent être prévues dans ce domaine notamment face au risque d'interconnexions entre des systèmes ayant une finalité propre qui doit être préservée.

Le considérant n° 11 de la proposition précise expressément que « le fait de confier à une agence la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle (...) ne porte pas atteinte aux règles spécifiques applicables à ces systèmes. » Le même considérant ajoute qu'« en particulier, les règles spécifiques concernant leur finalité, le droit d'accès, les mesures de sécurité et les autres exigences en matière de protection des données pour chacun des systèmes (...) sont pleinement applicables. » Cette précision me paraît essentielle car ces dispositifs apparaissent protecteurs. Mais je crois qu'elle gagnerait à être inscrite directement à l'article 25 de la proposition qui concerne spécifiquement la protection des données. Cet article 25 prévoit par ailleurs que le règlement du 18 décembre 2000, qui est relatif à la protection des données personnelles traitées par les institutions et organes communautaires, s'appliquera au traitement des données personnelles par la nouvelle agence. La référence à ce règlement est importante parce qu'elle habilitera en particulier le Contrôleur européen pour la protection des données à obtenir de l'agence l'accès à toutes les informations nécessaires à ses enquêtes.

Là encore, l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui supprime la structure en piliers, aura un impact concret. Dans le cadre du programme de Stockholm, la Commission européenne envisage la création d'un instrument « horizontal » pour la protection des données personnelles qui prendrait en compte les spécificités inhérentes aux systèmes d'information visés par la proposition qui nous intéresse aujourd'hui.

Enfin, je veux évoquer la question du siège de cette nouvelle agence. Un article de la proposition prévoit un « accord de siège » entre l'agence et l'État membre d'accueil. Le choix de celui-ci pourrait être décidé, sous la prochaine présidence espagnole, au niveau du Conseil européen dans le cadre d'un paquet de décisions d'attributions de sièges d'agences.

Toujours est-il que la France a officialisé, en septembre, sa propre candidature. L'Estonie s'est aussi portée candidate, en misant notamment sur les conclusions du Conseil européen de décembre 2003 selon lesquelles priorité devrait être donnée aux nouveaux États membres dans l'attribution de sièges de nouvelles agences. L'Autriche a pour sa part le souci de consolider son site de secours près de Salzbourg. Elle a donc proposé le maintien des sites actuels, principal et de secours. Ce qui est une bonne idée. Elle suggère aussi de dissocier les fonctions de conception et de développement de celles liées à l'exploitation. Ce qui ne me paraît pas réaliste.

Comme le souligne le Gouvernement, cette nouvelle agence prolonge en réalité une activité existante, celle du SIS en l'élargissant à d'autres systèmes. Si l'on ne peut que soutenir les principes retenus par le Conseil européen en 2003, on doit donc néanmoins souligner qu'ils ne sont pas applicables dans ce cas précis.

Le choix de Strasbourg pour l'implantation de cette agence constitue un enjeu essentiel. Compte tenu de son implication très forte et continue dans le développement et les évolutions du SIS, la France a acquis dans ce domaine une compétence d'excellence. Elle a consenti des investissements financiers et humains importants qui doivent être préservés. Dans la continuité de l'existant, le choix de Strasbourg serait donc un gage d'économie et de sécurité. La ville de Strasbourg elle-même a mis à disposition une réserve foncière importante. Elle doit donc pouvoir bénéficier de l'implantation de cette agence qui confortera son statut européen.

*

Pour conclure et en résumé, je veux souligner que si nous devions adopter une proposition de résolution sur ces textes, trois aspects mériteraient d'être relevés :

- d'une part, le rappel, pour ce cas d'espèce, des exigences que nous avions énoncées dans notre résolution sur les agences ;

- d'autre part, la demande impérieuse que toutes les garanties soient réunies en matière de protection des données ;

- enfin, l'affirmation de la pertinence de la candidature de la France pour accueillir cette nouvelle agence à Strasbourg.

Cependant, comme je l'ai dit précédemment, avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Commission européenne sera appelée à présenter une nouvelle proposition de règlement. Je vous propose donc, à ce stade, d'en rester là et de nous réserver la possibilité d'adopter une proposition de résolution sur ce nouveau texte.

M. Hubert Haenel. - Je crois qu'il ne serait pas judicieux d'adopter une proposition de résolution sur des textes qui seront remis en chantier après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Mais, dès que la nouvelle proposition de règlement sera présentée, il faudra revenir sur le sujet pour faire valoir les trois priorités que notre rapporteur vient d'évoquer.

Mme Annie David. - Ce sujet me semble étroitement lié à la prochaine adoption du programme de Stockholm sur l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Le projet de programme est encore appelé à évoluer au cours des négociations qui se déroulent actuellement au sein du Conseil. Lors de la réunion interparlementaire qui vient de se tenir à Bruxelles à ce sujet, j'ai moi-même insisté sur la question de la protection des données personnelles. L'interopérabilité croissante des bases de données pose la question de l'utilisation qui est faite de ces données et de leur protection.

M. Jean Bizet. - Quelles sont les chances de Strasbourg d'obtenir le siège de cette nouvelle agence ?

M. Robert del Picchia. - Je crois que Strasbourg a de bonnes chances. La gestion actuelle du système central du SIS fonctionne bien. Elle fait intervenir des experts de haut niveau et des équipements de grande qualité.

M. Hubert Haenel. - Je l'avais moi-même visité avec une délégation de la commission des finances. Nous avions été frappés par la qualité des équipements et des équipes en place. Par ailleurs, la ville de Strasbourg a consenti des efforts importants. Elle a notamment prévu une importante réserve foncière pour ce projet.

Jeudi 19 novembre 2009

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Énergie

Deuxième analyse stratégique de la politique énergétique (E 4140)
Rapport d'information de Mme Bernadette Bourzai

Mme Bernadette Bourzai. - La Deuxième analyse stratégique de politique énergétique a été adoptée par la Commission européenne le 13 novembre 2008, sous présidence française de l'Union européenne. Elle avait été demandée par le Conseil européen des 8 et 9 mars 2007, qui, dans l'objectif de mettre en oeuvre une politique intégrée en matière de climat et d'énergie, a pris trois engagements importants en la matière, dénommés « initiative 20-20-20 » pour 2020.

Le texte de la Commission est très disparate. Il comprend des considérations générales et d'autres plus ponctuelles, mais présente l'avantage de rassembler dans un seul document les axes d'action de l'Union européenne, avec pour objectif final la sécurité énergétique, qui est « une question d'intérêt commun pour l'UE ». Le coeur du texte est d'ailleurs constitué d'un Plan d'action européen en matière de sécurité et de solidarité énergétiques, qui comprend cinq axes, assortis de nombreuses propositions d'actions ou de révisions de la réglementation communautaire :

1°) promouvoir des infrastructures essentielles à la satisfaction des besoins en énergie de l'Union européenne ;

2°) mettre davantage l'accent sur l'énergie dans les relations internationales de l'Union européenne ;

3°) améliorer le système de stocks de pétrole et de gaz ainsi que les mécanismes de réaction en cas de crise ;

4°) créer une nouvelle dynamique en matière d'efficacité énergétique ;

5°) faire meilleur usage des réserves énergétiques indigènes de l'Union européenne, en donnant la priorité au développement des énergies renouvelables.

Enfin, la Commission propose d'élaborer en 2010 « un agenda politique pour 2030 et une vision pour 2050 », reposant sur l'examen d'objectifs à plus long terme.

Que penser de la Deuxième analyse stratégique de politique énergétique ?

En premier lieu, la priorité accordée par ce texte à la sécurité des approvisionnements constitue une inflexion sensible de la part de la Commission, jusqu'alors essentiellement préoccupée par l'achèvement du marché intérieur de l'énergie. Il s'agit donc d'un changement de perspective indéniable, la Commission reconnaissant la nécessité de sortir de la logique du « tout marché » et de prendre des mesures de régulation.

Le texte, tout en rappelant que le choix des bouquets énergétiques relève de la responsabilité des États membres, illustre également la réflexion engagée sur la manière de diversifier le bouquet énergétique de l'Union européenne, dans lequel les énergies fossiles continuent d'occuper une place prépondérante. Une telle diversification ne sera guère aisée, compte tenu des rigidités qui caractérisent les bouquets énergétiques, en particulier la place occupée par le pétrole, qui sera difficilement remplaçable dans les transports, et par le gaz. De ce point de vue, la Commission reconnaît le rôle que peut jouer l'énergie nucléaire pour atteindre les objectifs énergétiques de l'Union européenne, alors même que cette source d'énergie connaît un regain d'intérêt en Europe et dans le monde.

Ensuite, pour assurer la sécurité énergétique, qui est le fil conducteur de la Deuxième analyse stratégique, la Commission insiste à juste titre sur la nécessité de développer les interconnexions en Europe, qui poursuivent, par d'autres moyens, l'objectif d'achever le marché intérieur. Ces interconnexions concernent à la fois le réseau électrique et le réseau gazier. Le réseau électrique demeure fragmenté. Certaines parties du territoire européen sont mal interconnectées, en particulier la Scandinavie, les pays baltes ainsi que l'Europe centrale. Les réseaux des États membres qui appartenaient autrefois au bloc soviétique sont encore très largement connectés aux réseaux russes. En outre, le développement des interconnexions facilitera l'homogénéisation des bouquets énergétiques nationaux, qui demeurent disparates. Par exemple, l'électricité d'origine éolienne accroît nécessairement le besoin d'interconnexion puisque le caractère intermittent de cette source d'énergie se traduit, dans certains pays ou zones géographiques, par des excédents ou des déficits de production d'électricité qui pourraient être compensés par des pays ou des zones géographiques voisins.

Il convient toutefois de noter que les difficultés d'ordre sociologique tenant à l'acceptabilité sociale de plus en plus réduite de l'installation d'infrastructures lourdes se multiplient et que les solutions retenues pour y répondre sont particulièrement coûteuses, la connexion électrique entre la France et l'Espagne par exemple.

Les débats sur la sécurité énergétique sont surtout focalisés sur le gaz, en raison de la dépendance excessive d'un certain nombre d'États membres à l'égard du gaz russe. L'approvisionnement en gaz est confronté à la capacité du système européen à s'adapter à des situations de crise, comme l'a montré le différend gazier de janvier 2009, qui pourrait fort bien se reproduire, à l'approche des élections prévues en Ukraine au début de 2010.

La Deuxième analyse stratégique met aussi l'accent sur la nécessité de diversifier les voies d'approvisionnement en énergie. C'est également l'une des leçons à tirer de la crise gazière russo-ukrainienne. Grâce à sa situation énergétique, en effet, l'Europe peut tirer parti d'un ensemble de fournisseurs diversifiés, alors qu'elle continuera à l'avenir d'importer une part croissante de l'énergie qu'elle consomme.

Une telle diversification est recherchée notamment par le déploiement d'une « diplomatie des tuyaux », active et particulièrement complexe, dans laquelle la Russie occupe une place ambivalente. Ce pays, en effet, est à la fois un acteur incontournable et un partenaire difficile. La Russie est l'un des plus grands pays producteurs d'énergie. Elle détient également de très importantes réserves énergétiques. Les hydrocarbures représentent plus de la moitié de son commerce extérieur, et sont exportés, pour l'essentiel, vers l'Union européenne. Bien que la Russie ait été un fournisseur fiable pendant des décennies, des évolutions récentes apparaissent. L'énergie est pour elle un puissant instrument de nature géopolitique. C'est pour elle le moyen de retrouver une influence politique.

Pour autant, la situation de la Russie est loin de n'être que favorable. Ses réserves seront de plus en plus difficilement exploitables. Ses infrastructures sont obsolètes. Les normes d'efficacité énergétique y sont très en retard. Par ailleurs, la dépendance des marchés européens envers le gaz russe est à double tranchant. En la matière, la Russie a un besoin vital de l'Union européenne qui représente 70 % des exportations de gaz russe et 80 % de celles de pétrole, d'autant plus que l'économie russe a beaucoup souffert de la crise. Pour l'instant, l'Union européenne est loin de parler d'une seule voix à la Russie, dans ses négociations énergétiques comme sur d'autres dossiers. Elle demeure divisée sur la manière d'aborder la Russie. Plusieurs États membres sont même parties à différents projets de gazoducs potentiellement concurrents. Ces projets sont inégalement avancés. North Stream, qui associe la Russie et l'Allemagne, est aujourd'hui le plus abouti. De nombreuses incertitudes pèsent sur les autres projets, en particulier Nabucco et South Stream. Alors que Nabucco, censé limiter la dépendance à l'égard du gaz russe, est fortement soutenu par la Commission, sa réalisation se heurte à de nombreux obstacles, à commencer par celui de la sécurité de son approvisionnement. En effet, sa viabilité requiert l'accès au gaz des pays riverains de la mer Caspienne, qui est encore loin d'être assuré. Quant à South Stream, qui a pour objectif de faire échouer Nabucco, il associe la Russie et l'Italie, ainsi que la Turquie. D'aucuns considèrent que ce projet ne verra jamais le jour, en raison des difficultés techniques et financières à surmonter. Il aurait toutefois récemment avancé plus rapidement que Nabucco.

La Deuxième analyse stratégique insiste également sur le développement des énergies renouvelables, afin d'atteindre l'objectif consistant à parvenir à 20 % de ce type d'énergies dans la consommation énergétique de l'Union européenne d'ici à 2020. Cet objectif, différencié selon les États membres, s'établit à 23 % pour la France. Des doutes subsistent sur la capacité de l'Union européenne à atteindre l'objectif de 20 % d'énergies renouvelables. En effet, le potentiel de certaines sources d'énergies renouvelables est limité, celui du secteur hydraulique par exemple, qui est déjà fortement exploité.

La biomasse recèle un potentiel important pour atteindre les objectifs d'énergies renouvelables, dans le secteur de la chaleur en particulier. Pour autant, cette ressource n'est pas non plus illimitée et sa mobilisation nécessite de gros efforts d'organisation. Un prélèvement excessif peut avoir des répercussions sur la biodiversité forestière et agricole ainsi que sur la disponibilité des terres destinées aux cultures alimentaires.

Le potentiel de l'énergie éolienne est théoriquement très important. Tant au niveau européen qu'au niveau français, la hausse de la production électrique devrait reposer majoritairement sur l'éolien. Toutefois, les obstacles à son développement sont réels, en France en particulier, où le débat sur l'éolien est généralement polémique. L'installation d'éoliennes est limitée par le respect de contraintes environnementales qui comportent de longs délais compromettant sérieusement la réalisation des objectifs de production d'électricité à partir de l'énergie éolienne d'ici à 2020, alors même que celle-ci doit assurer plus des deux tiers du développement de la filière électrique à cette échéance. Quant à l'éolien en mer, il demeure très coûteux.

C'est également le cas de l'énergie d'origine solaire. Cette source d'énergie s'est certes rapidement développée depuis quelques années, mais sa part dans le bouquet énergétique devrait rester limitée, au moins à l'horizon 2020.

En outre, les objectifs fixés en matière d'énergies renouvelables paraissent difficilement atteignables sans un développement des infrastructures de transport d'électricité. En effet, la localisation de la production de ces types d'énergie, le plus souvent décentralisée, demeure souvent éloignée des centres de consommation. La réalisation de nouvelles infrastructures physiques et le développement de méthodes visant à optimiser l'exploitation de ces réseaux sont nécessaires pour y faire face. Les perspectives de développement massif de l'énergie éolienne et solaire nécessiteront la réalisation de réseaux nouveaux pour collecter et acheminer l'énergie depuis ces zones de production jusqu'aux consommateurs.

Par ailleurs, l'efficacité énergétique, à laquelle la Deuxième analyse stratégique consacre d'importants développements, est un axe d'action fondamental. Elle constitue une condition sine qua non pour atteindre les objectifs que l'Union européenne s'est fixés en matière énergétique et environnementale. Il s'agit de faire évoluer les habitudes et les modes de consommation pour aboutir à une diminution de la consommation d'énergie. Les transports et le bâtiment sont les deux secteurs qui comportent le plus grand potentiel en ce domaine.

Toutefois, en dépit des mesures qui ont déjà été prises, par exemple en matière de performance énergétique des bâtiments ou d'étiquetage des pneus, il ne paraît guère possible de s'en remettre au seul progrès technique pour réaliser les économies d'énergie suffisantes. Seuls de profonds changements socio-économiques pourront les rendre possibles. Mais pourra-t-on y parvenir en une dizaine d'années seulement ? La France ne semble pas particulièrement en avance en la matière. Je rappelle par exemple qu'en Italie, 80 % des foyers sont équipés en « compteurs intelligents » qui permettent de limiter la consommation d'électricité, en l'adaptant pendant les périodes de pointe de consommation.

L'objectif relatif à l'efficacité énergétique, contrairement aux deux autres objectifs fixés par le Conseil européen des 8 et 9 mars 2007, n'est pas contraignant. Le Parlement européen souhaiterait que cet objectif soit rendu contraignant. La Commission, de son côté, a envisagé de fixer des sous-objectifs, mais a finalement renoncé, estimant qu'un dispositif trop prescriptif serait contraire au principe de subsidiarité.

Elle exprime néanmoins son inquiétude à ce sujet et estime que, si les États membres continuent d'avancer au rythme actuel, les objectifs d'efficacité énergétique ne seront pas atteints. C'est pourquoi elle a annoncé de nouvelles mesures en la matière, qui pourraient revêtir une dimension plus contraignante.

Je terminerai en évoquant la question des efforts de recherche qui devront être fournis pour promouvoir un modèle à faible intensité carbonique. Les efforts en matière de recherche-développement seront essentiels et conditionneront la réussite de l' « initiative 20-20-20 ». Ils permettront aussi de soutenir la croissance et l'emploi dans l'Union européenne.

Les champs d'innovation sont très variés en la matière, qu'il s'agisse des énergies renouvelables à expérimenter, développer ou rentabiliser. La recherche portant sur le captage et le stockage de carbone en sous-sol permettra de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la production d'électricité, en particulier pour les États membres qui utilisent encore très largement le charbon, une source d'énergie fossile encore très disponible. De même, le recours à l'énergie nucléaire sera grandement facilité, auprès de l'opinion publique, par des avancées concernant le stockage des déchets radioactifs.

Le développement des technologies à faible intensité carbonique sera coûteux. La Commission l'a chiffré à 50 milliards d'euros supplémentaires en investissements publics et privés d'ici à 2020, soit 8 milliards d'euros par an au lieu de 3 milliards actuellement.

Ces chiffres ne revêtent aucun caractère exhaustif. Ils ne prennent pas en compte les investissements dans les réseaux et les capacités de production d'électricité et de gaz, estimés, respectivement, à 1 000 et 150 milliards d'euros d'ici à 2030.

La question du financement de ce type d'investissements sera naturellement à prendre en compte dans la vaste négociation qui va débuter sur la révision des perspectives financières.

Il convient de rester vigilant pour qu'une part sensible de ces investissements ne soit reportée du fait de la crise économique, alors qu'il s'agit d'enjeux de moyen et long terme conditionnant non seulement la sécurité énergétique de l'Europe, mais plus largement la promotion d'une économie durable.

M. Hubert Haenel. - Je constate que, compte tenu de l'importance des enjeux, l'Union européenne comme la France ont encore de réels progrès à accomplir pour atteindre les objectifs fixés par le Conseil européen de mars 2007. Il me paraît profondément regrettable que divers États membres soient impliqués dans des projets de gazoducs éventuellement concurrents. Les profonds changements socio-économiques qu'implique la réalisation des objectifs de la politique énergétique seront difficiles à réaliser en une dizaine d'années seulement. Enfin, une partie des investissements requis par le passage à une économie à faible intensité en carbone pourrait être financée grâce au « grand emprunt » qui fait actuellement l'objet d'un débat en France.

M. Didier Boulaud. - La Turquie occupe une place centrale dans la réalisation de certains grands projets de gazoducs, en particulier Nabucco et South Stream. Dès lors, j'estime que nous devrions prendre le temps de la réflexion pour définir notre position vis-à-vis de ce grand pays, dans le domaine énergétique comme dans d'autres, et nous défier de comportements à courte vue. Par ailleurs, les relations avec la Russie constituent le « noeud gordien » du dossier énergétique. De ce point de vue, je regrette l'action dispersée des États membres, et je forme le voeu que les dispositions du traité de Lisbonne nous conduisent à parler d'une seule voix avec Moscou. De même, il me paraît inutile de provoquer la Russie lorsque nous évoquons, par exemple, l'élargissement de l'OTAN à la Géorgie ou à l'Ukraine.

La Commission européenne a-t-elle mené des réflexions sur la région arctique, dont le potentiel paraît considérable ? Par ailleurs, où en est le projet allemand d'installer une immense centrale solaire au Sahara ?

M. Jacques Blanc. - Il existe différents projets de construction de centrales électriques fonctionnant à l'énergie solaire. Comment ces projets s'articuleront-ils avec l'anneau méditerranéen de l'énergie, dans lequel la Turquie aura un rôle à jouer ? Ce pays est également très impliqué dans la réalisation des différents projets de gazoducs. Enfin, quelles sont les perspectives de développement de l'énergie nucléaire grâce au projet ITER ?

M. Gérard César. - J'ai récemment effectué, au nom de la commission de l'économie, une mission à Mourmansk, en Russie, où existe un projet, dénommé Chtokman, pour exploiter un champ gazier se situant en mer Arctique. L'exploitation de cette réserve est confrontée à des problèmes techniques considérables, en particulier l'impossibilité de recourir à une plateforme fixe. La solution retenue consisterait à installer une plateforme flottante qui permettrait d'éviter les icebergs. Ce projet implique Gazprom ainsi que plusieurs compagnies européennes, dont Total. Néanmoins, la crise économique actuelle a freiné son développement. Je présenterai le 16 décembre prochain, à la commission de l'économie, un rapport d'information rendant compte de cette mission.

M. Richard Yung. - J'observe que plusieurs pays du nord de l'Europe ne semblent pas équipés en gazoducs et en oléoducs. Cela signifie-t-il qu'ils n'ont pas recours au gaz et au pétrole ? Pourrait-on envisager la création d'une organisation communautaire en matière d'énergie qui permettrait d'harmoniser des politiques énergétiques aujourd'hui relativement dissemblables selon les États membres ?

Mme Bernadette Bourzai. - Lorsque j'ai évoqué, lors de mon déplacement à Bruxelles, l'absence d'une politique énergétique commune, en référence à la politique agricole commune, mes interlocuteurs ont insisté sur la mise en oeuvre progressive d'une telle politique. La prise de conscience de la nécessité d'une politique énergétique commune plus intégrée est aujourd'hui une réalité. L'action de l'Union européenne sera déterminée par la nature des conclusions de la Conférence de Copenhague et sera donc différente selon que celle-ci aura su s'engager sur des objectifs contraignants ou se sera satisfaite d'un « consensus mou ». L'urgence d'une politique énergétique commune a non seulement des fondements économiques, mais aussi géopolitiques. Une telle politique devra être développée dans le cadre de la politique de voisinage, par exemple pour le Partenariat oriental.

La Commission européenne a annoncé la présentation en 2010 d'une communication sur l'anneau méditerranéen de l'énergie, qui devrait décrire les grandes lignes d'un plan destiné à compléter les connexions manquantes. Le projet allemand, dénommé Desertec, d'installer une immense centrale solaire au Sahara est controversé, tant du point de vue de sa faisabilité technique que de celui de son acceptabilité par les populations locales dont la satisfaction des besoins en énergie doit être prioritaire. L'Union européenne demeure prudente sur l'énergie nucléaire car beaucoup d'États membres ont des politiques très différentes en la matière ; si certains lui sont toujours très hostiles, d'autres, comme l'Allemagne, évoluent sur cette question. Le continent arctique présente un intérêt évident du point de vue énergétique ; pour autant, la Commission n'a pas consacré de développements spécifiques à ce sujet dans sa Deuxième analyse stratégique. Les relations de l'Union européenne avec la Russie doivent être, selon moi, marquées par la prise en compte de l'évidence de l'interdépendance énergétique. Certains États membres, les pays scandinaves en particulier, ont d'ores et déjà largement recours aux énergies renouvelables.

M. Didier Boulaud. - L'Union européenne devrait jouer un rôle fédérateur entre les différents États du nord de l'Europe, ainsi que l'Islande et la Norvège, sur la question arctique, au lieu de laisser les États membres agir individuellement. Ce continent, dont l'importance est cruciale en termes de voies d'approvisionnement énergétiques, pourrait à l'avenir être le terrain d'une confrontation avec d'autres puissances, comme la Russie ou le Canada.

À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication de ce rapport d'information, paru sous le numéro 108 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html