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Mardi 3 novembre 2009

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Élargissement

Audition de M. Olli Rehn,
commissaire européen chargé de l'élargissement1(*)

M. Hubert Haenel. - Je vous remercie vivement de votre fidélité à l'égard du Sénat français. C'est en effet la troisième fois que nous nous rencontrons au Palais du Luxembourg depuis que vous êtes en charge de l'élargissement de l'Union. Vous êtes venu une première fois en juin 2006 et nous avons eu alors un premier débat intéressant sur l'élargissement. Vous êtes revenu il y a un an, presque jour pour jour, au lendemain de l'adoption par la Commission européenne de son document de stratégie. Vous revenez aujourd'hui au lendemain du nouveau document de stratégie qui, comme chaque année, définit les objectifs et les perspectives pour l'année à venir et évalue les progrès réalisés au cours de l'année écoulée par chaque pays concerné.

Vous savez que le Sénat français accorde beaucoup d'intérêt au suivi de la stratégie d'élargissement. Nous avons eu l'occasion, il y a quelques mois, d'établir un bilan de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie au regard des questions relatives à l'appareil judiciaire et à la lutte contre la corruption. Cela nous a confortés dans l'idée qu'il convenait de s'assurer, avant l'adhésion d'un nouvel État, qu'il remplissait effectivement l'ensemble des conditions requises.

Parmi les trois pays candidats, la Croatie semble être dans la dernière ligne droite et l'on peut espérer arriver rapidement au terme des négociations. En revanche, les négociations avec la Turquie continuent de présenter quelques difficultés avec notamment le protocole d'Ankara. Quant à l'Ancienne République yougoslave de Macédoine, pour laquelle la Commission recommande que l'on ouvre les négociations, elle continue d'achopper sur la question de sa dénomination. Vous évoquerez aussi certainement les cinq pays des Balkans qui ont une perspective d'adhésion. Enfin, peut-être pourrez-vous nous dire un mot de l'Islande qui a déposé une demande d'adhésion en juillet, mais qui ne figure pas encore dans l'examen annuel de la Commission européenne.

M. Olli Rehn. - A la veille de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, je ne pouvais rêver meilleur moment pour aborder les expériences et perspectives de la politique d'élargissement et le nouvel élan que la politique étrangère européenne tirera des innovations institutionnelles prévues par le traité.

D'une manière générale, la crédibilité de l'Union en tant qu'acteur global repose sur sa capacité à influencer, voire à stabiliser, son voisinage immédiat. Depuis 1989, c'est dans notre interaction avec nos voisins les plus proches - la moitié de l'Europe reste alors de l'autre côté du rideau de fer - que nous avons atteint les résultats les plus remarquables, jusqu'à convertir les dix États post communistes en nouveaux États membres grâce au pouvoir de transformation de l'Union européenne.

C'est aussi dans notre voisinage direct qu'est née, dans les années 90, la politique étrangère et de sécurité commune, issue de l'une de nos expériences les plus traumatisantes, la guerre dans les Balkans. La politique d'élargissement, grâce à la perspective européenne qu'elle véhicule, constitue le principal instrument de stabilisation de la région.

Après des années de stagnation, c'est l'impulsion donnée par la perspective de progrès sur l'agenda européen qui a autorisé la conclusion la plus marquante de cette année, la recommandation d'ouvrir les négociations d'adhésion avec l'Ancienne République yougoslave de Macédoine sur la base des réformes finalement entreprises. J'espère que le gouvernement de Skopje saura voir dans cette recommandation un encouragement clair à résoudre définitivement la question bilatérale du nom du pays. Dans le même esprit, les dépôts de candidature du Monténégro et de l'Albanie, en dépit des difficultés résultant de la crise économique, répondent au pouvoir d'attraction de l'Union.

La candidature récente de l'Islande ajoute pour sa part une nouvelle dimension à notre agenda d'élargissement, celle d'un intérêt géostratégique septentrional particulier combiné à une longue et solide tradition démocratique. Près du but, la Croatie a poursuivi ses réformes politiques et a progressé dans la plupart des domaines, en dépit d'une année de blocage des négociations sur la base de son différend frontalier avec la Slovénie. Les négociations techniques approchent ainsi à présent de leur phase finale après quatre années d'intenses négociations.

Pour être vecteur de stabilité, la politique d'élargissement doit pouvoir procéder sans entraves. C'est pourquoi nous avons tenu cette année à mettre en exergue l'influence des questions bilatérales sur le processus d'élargissement, à l'aune des difficultés majeures expérimentées par la Croatie. Comme je le disais, son différend avec la Slovénie a longtemps bloqué les négociations, avant qu'un compromis puisse être trouvé entre les deux Premiers ministres, en septembre, sur la base d'une proposition de création d'un tribunal arbitral que j'avais contribuée à élaborer avec les deux parties. Un accord devrait normalement être signé demain entre les deux pays. Je tiens à cette occasion à remercier personnellement Robert Badinter pour son soutien dans ce processus.

La possibilité de multiplication de tels différends revêt une sensibilité particulière dans les Balkans. Car, même si les élargissements précédents ont aussi connu des litiges bilatéraux, dans cette région, nous sommes confrontés à ce que je qualifierais de « questions existentielles en matière de politique étrangère bilatérale » - délimitations de frontières non résolues, contestation de souveraineté, identité, histoire ou nationalité. C'est pourquoi nous insistons sur une question de principe, à savoir que les questions bilatérales ne doivent pas bloquer, ni même artificiellement retarder, le processus d'adhésion. Les parties au différend doivent le résoudre bilatéralement, dans un esprit de bon voisinage en gardant à l'esprit l'intérêt général européen.

Un autre sujet transversal de préoccupation susceptible de retarder à terme l'avancée du processus d'élargissement est la nécessité pour les pays de conduire au plus vite les réformes nécessaires pour garantir l'État de droit, sachant qu'il s'agit de réformes difficiles et de long terme auxquelles la Commission attache une importance primordiale.

Cela étant, au-delà de ces deux préoccupations, nous devons reconnaître que des progrès majeurs ont été enregistrés cette année dans l'ensemble de la région. Le plus directement marquant pour les citoyens est indéniablement la proposition de la Commission de libéraliser son régime de visas avec la Serbie, le Monténégro et l'Ancienne République yougoslave de Macédoine au 1er janvier 2010. Et, sous réserve que les réformes nécessaires soient conduites, nous espérons étendre ce régime à la Bosnie-Herzégovine et à l'Albanie dès la mi-2010. Pour que la Bosnie devienne un candidat crédible à l'Union européenne et à l'OTAN, ce qui est notre objectif commun, le pays doit être en mesure de se gouverner seul efficacement, en tant qu'État souverain et fonctionnel, loin du protectorat actuel.

Je dirai enfin un mot sur la Turquie. L'Union européenne partage de nombreux objectifs avec ce pays : la paix au Moyen-Orient, la stabilité dans le Caucase, la sécurité en Afghanistan et au Pakistan, ainsi que la sécurité énergétique. Sur le plan diplomatique, la Turquie a effectué des avancées considérables avec l'Arménie. Sur le plan interne, l'ouverture démocratique à l'égard des citoyens kurdes est également encourageante. Cependant, les négociations d'adhésion ont aujourd'hui atteint un stade plus difficile. Il faut que la Turquie accélère ses efforts de réformes, en particulier dans les domaines de la liberté d'expression, de la liberté de la presse, de la liberté de religion, du droit des syndicats, du contrôle civil des forces armées, des droits des femmes et de l'égalité des chances. Enfin, la Turquie doit normaliser ses relations avec la République de Chypre. Je rappelle à cet égard l'urgence qui s'attache à la mise en oeuvre intégrale du protocole additionnel à l'accord d'association.

Par la stabilité qu'elle exporte dans notre voisinage immédiat, la politique d'élargissement constitue l'un des outils les plus puissants dont nous disposions en matière de politique étrangère. Elle sera en cela un élément naturel de la nouvelle configuration des relations étrangères qui résultera de l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. L'objectif essentiel de celui-ci est de créer une configuration institutionnelle qui nous permette de mieux défendre l'intérêt commun européen. L'enjeu principal est donc de doter l'Union des moyens de conduire une « diplomatie intelligente ». Pour cela, elle doit pouvoir s'appuyer sur une mise en commun des instruments et leviers politiques dont disposent les États membres et les institutions communautaires : instruments légaux, politiques, économiques, culturels et militaires.

Le traité crée la fonction de Haut représentant, qui est aussi Vice-président de la Commission, soutenu par un Service européen d'action extérieure. Il appartiendra au Haut représentant/Vice-président, en tant que Président du Conseil « affaires étrangères » de l'Union, de trouver le juste équilibre pour dégager des orientations politiques claires, et ce avec l'ensemble des États membres. La tâche n'est pas simple et nécessitera sans nul doute une vision stratégique, doublée d'une capacité de persuasion, d'une aptitude managériale et d'un sens du compromis. Le Service européen d'action extérieure est certainement une innovation importante, mais la vraie question reste malgré tout de savoir au service de quoi et de quelle politique il est destiné.

Les commémorations de ce mois de novembre 2009 démontrent à quel point l'Europe et le monde ont changé. La perspective que la Chancelière Merkel célèbre l'armistice du 11 novembre sous l'Arc de triomphe revêt une forte charge symbolique. C'est un bel hommage à la réconciliation franco-allemande, dont le projet européen est issu. La chute du mur de Berlin, dont nous fêterons le vingtième anniversaire ce dimanche, a permis la réunification du continent. C'est donc une Europe forte de 500 millions de citoyens et riche de soixante années de paix qui souhaite aujourd'hui repenser sa politique étrangère.

Les élargissements successifs ont indéniablement accru notre poids sur la scène internationale. L'Union est aujourd'hui la plus grande économie mondiale et un super pouvoir réglementaire. La priorité est maintenant à la consolidation, celle d'une Union fonctionnelle à vingt-sept. La véritable question désormais est d'identifier la place que nous voulons attribuer à l'Europe sur l'échiquier mondial dans les années à venir. Selon moi, l'Union est et doit demeurer leader dans un monde toujours plus multilatéral, en montrant l'exemple, comme ce fut le cas notamment durant la Présidence française et la crise économique.

Notre politique étrangère doit en tout premier lieu reposer sur nos atouts propres : marché unique, ordre juridique, modèle social européen et pouvoir d'attraction. Je pense en particulier à la sécurité énergétique, paramètre essentiel de notre sécurité globale, ou à la politique commerciale que nous pouvons développer au bénéfice d'une compétition saine et d'un commerce équitable. Le renforcement du rôle global de l'Union s'accompagne d'un renforcement de sa responsabilité. Nous devons contribuer à la résolution des menaces planétaires, telles que le changement climatique, la stabilisation de l'Afghanistan ou la question du nucléaire en Iran.

Notre partenariat avec les États-Unis demeure un élément de poids sur la scène internationale. Nous avons besoin d'un partenariat transatlantique fort, fondé sur des valeurs communes et des intérêts partagés, pour affronter les défis globaux. Nous avons aussi besoin d'un nouveau départ avec la Russie, fondé sur une évaluation objective de nos intérêts respectifs, de la Russie actuelle, et de la nature de nos relations. Nous souhaitons un partenariat renforcé dans un nombre important de domaines où nous partageons des intérêts communs, de la sécurité énergétique à la non-prolifération et à la lutte contre le terrorisme. Nous devons atteindre une compréhension mutuelle et une confiance réciproque lorsque nous abordons des sujets fondamentaux pour l'Europe et la sécurité globale. Il est crucial que des événements comme ceux qui ont eu lieu en Géorgie l'année dernière ne puissent plus se reproduire. Grâce à une telle politique d'engagement réaliste, doublée de patience, nous pouvons aider la Russie à devenir un partenaire plus prévisible et fiable à long terme, pour le bénéfice de l'Europe dans son ensemble. La politique d'endiguement ne serait plus possible dans un monde caractérisé par une interdépendance aussi bien économique qu'énergétique. Ainsi, nous ne pouvons accepter l'établissement de sphères d'influence sur notre continent. Nous ne pouvons pas nous permettre d'ériger des barrières politiques en Europe pour remplacer le mur de béton tombé il y a vingt ans.

En conclusion, nous avons devant nous une opportunité historique de renforcer la politique étrangère et le rôle mondial de l'Union européenne. A cet égard, nous devons renforcer nos partenariats avec les autres acteurs stratégiques, tels que les États-Unis, la Russie et la Chine. Cela repose en premier lieu sur la consolidation de nos atouts en tant qu'Union, à travers la mise en oeuvre effective du traité de Lisbonne, mais aussi grâce à un travail d'équipe, associant le Conseil, le Président de la Commission et le Parlement européen, ainsi que le Haut représentant/Vice-président de la Commission. C'est ainsi que nous pourrons vraiment faire la différence pour la paix et la prospérité, pour la liberté et la démocratie, qui restent les valeurs essentielles de l'Union européenne, et certes, de la République française.

Mme Catherine Tasca. - Vous avez évoqué l'entrée en vigueur prochaine du traité de Lisbonne et l'avènement à cette occasion d'une diplomatie communautaire plus efficace. Pouvez-vous nous dire où en sont les travaux de la Commission sur les implications concrètes de la création du Service européen d'action extérieure et sur son articulation avec les diplomaties nationales existantes ? Y-a-t-il déjà une définition des moyens ainsi que des mises en commun humaines et financières ?

Par ailleurs, je souhaiterais revenir sur la Turquie. Je constate que l'on commence toujours par souligner les progrès réalisés par ce pays, avant d'énumérer les carences persistantes. Dans le cadre d'une récente mission en Turquie, j'ai pu me rendre compte sur place du fort désir des élites économiques et politiques d'entrer dans l'Union européenne. En revanche, l'état de l'opinion à cet égard est une autre question. La Commission travaille-t-elle réellement sur les progrès accomplis pour encourager la Turquie dans son processus de réformes ? Pouvez-vous nous dire quelles sont les chances d'aboutir pour ces négociations ?

M. Denis Badré. - De par votre fonction, vous êtes l'un des acteurs qui contribue à écrire l'histoire de notre continent, et je me réjouis de constater que vous mesurez parfaitement le poids de cette responsabilité. Je voudrais notamment rendre hommage à votre action dans les Balkans.

Je m'interroge sur le statut des voisins orientaux, avec qui l'Union européenne a formalisé ses relations dans le cadre du Partenariat oriental, ainsi que sur les relations avec la Russie. Je constate que tous ces pays sont membres du Conseil de l'Europe et que l'on pourrait profiter de ce forum de discussion démocratique pour renforcer nos relations, plutôt que de créer de nouvelles structures.

M. Pierre Fauchon. - Selon moi, deux approches très différentes cohabitent dans la notion d'élargissement. Premièrement, celle, fondée sur les valeurs fondamentales des démocraties occidentales, qui consiste à accepter l'adhésion d'un pays à partir du moment où il respecte ces valeurs. Mais cela pose la question des limites géographiques de l'Union. En France, certains - dont je ne suis pas - pensent que la Turquie ne fait pas partie de l'Europe, sur le fondement de critères géographiques. Ils soulignent que si la Turquie devient membre, on pourra alors accepter des pays comme l'Ukraine ou le Maroc.

Deuxièmement, celle qui repose sur la notion d'Europe géopolitique. A cet égard, j'évoquerai volontiers l'exemple de l'Empire romain, qui permettait d'associer des nations ou des peuples très divers dans un même ensemble géopolitique.

Existe-t-il au sein de la Commission un concept ou un schéma géopolitique de l'Europe ?

Mme Michèle André. - J'étais à Zagreb avec le Président du Sénat, il y a quelques jours. Nous avons constaté que le Président croate, Stjepan Mesic, était très inquiet de la situation en Bosnie-Herzégovine. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Par ailleurs, la Croatie a accompli beaucoup de réformes, même si elle est consciente qu'il reste des progrès à accomplir. Les autorités croates redoutent l'introduction de demandes supplémentaires, liées notamment à la coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Quand peut-on espérer l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne ?

Enfin, dans le cadre de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, j'ai eu l'opportunité de discuter avec des parlementaires macédoniens. J'ai constaté la souffrance que cause dans ce pays la dénomination d'Ancienne République yougoslave de Macédoine. Un tel nom peut en effet difficilement les aider à se tourner vers l'avenir. Quelles sont les perspectives de résolution de ce différend ?

M. Christian Poncelet. - L'Union européenne compte aujourd'hui 27 États membres. Il me semble qu'un préalable est désormais indispensable à tout élargissement futur : l'harmonisation des systèmes sociaux et fiscaux entre les différents États membres, sous peine de créer des distorsions de concurrence et des délocalisations, sources de divisions et de méfiance du citoyen vis-à-vis de l'Europe. Il faut au contraire démontrer la plus-value de l'Europe aux citoyens, dans le contexte de la crise économique par exemple.

Je voudrais également revenir sur la Turquie. Certains pays opposent un veto à son adhésion. Pensez-vous que ce blocage pourra être surmonté ?

Enfin, je souhaiterais avoir votre sentiment sur les perspectives européennes du Kosovo.

M. Richard Yung. - J'ai été un partisan résolu de l'accueil des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Union européenne. Mais j'avoue que, devant les difficultés de fonctionnement de l'Europe à vingt-sept et la dilution du concept européen, je suis aujourd'hui plus sceptique sur la poursuite de l'élargissement. Je pense que nous devons marquer une pause et remettre en avant l'objectif premier de la construction européenne. Pour moi, il s'agit avant tout de créer une Europe puissance. Quelle est votre position à ce sujet ?

Il est vrai que le renforcement des liens avec l'Union européenne est un puissant moteur de réformes pour nos voisins orientaux. Je pense par exemple à la Moldavie. Ne pourrait-on envisager le développement de cercles concentriques, afin d'offrir des perspectives économiques et politiques à ces pays, sans pour autant qu'ils adhèrent à l'Union ?

Je suis convaincu que, du fait de l'élargissement, nous devrons avancer à quelques-uns dans des domaines particuliers, comme c'est déjà le cas pour l'euro.

Enfin, vous avez évoqué les partenariats avec la Chine, les États-Unis ou la Russie. Pourriez-vous nous préciser quel contenu vous envisagez concrètement pour ces partenariats ?

M. Jacques Blanc. - Nous devrons désormais intégrer dans notre réflexion sur l'élargissement la mise en oeuvre - tant attendue - du traité de Lisbonne. La signature historique du traité va enfin nous permettre de dégager de nouvelles perspectives pour l'Union, notamment en ce qui concerne les coopérations renforcées. L'Union à vingt-sept n'a en effet plus rien à voir avec la Communauté européenne des origines. Elle réinvente ses frontières au fil des générations.

Dans ce contexte, je pense qu'il nous faut élaborer un nouveau concept de partenariat ou d'association à l'Union, qui permettrait de répondre aux différentes aspirations européennes de nos voisins. C'est déjà en partie le cas dans le cadre de la politique de voisinage, qui développe des dimensions régionales avec l'Union pour la Méditerranée, le Partenariat oriental ou la Synergie de la Mer noire, voire macrorégionales, à travers la stratégie de la Mer Baltique.

Intégrez-vous dans votre analyse ces différents aspects ?

Enfin, je voudrais aussi dire un mot sur la Turquie : les promesses non tenues peuvent désespérer un peuple. Il faut laisser le temps à la Turquie d'effectuer les réformes attendues, avant de décider si elle pourra adhérer à l'Union.

M. Jean-Claude Frécon. - Nous avons en Europe deux organisations. D'un côté, l'Union européenne, organisation fondée sur des valeurs politiques, des principes économiques et des acquis juridiques, qui compte vingt-sept États membres. De l'autre, le Conseil de l'Europe, organisation de 47 membres qui promeut l'État de droit, les droits de l'homme et les valeurs démocratiques, et qui s'appuie sur la Cour européenne des droits de l'homme pour faire respecter ces principes. Que pensez-vous de cette dualité européenne ? Selon vous, faudra-t-il envisager un jour de faire coïncider la composition de ces deux organisations ?

La Turquie est membre du Conseil de l'Europe depuis 1949. De ce point de vue, il me semble qu'elle a pleinement vocation à intégrer l'Union européenne. Après tout, Chypre en est devenue membre, en étant pourtant situé plus à l'Est, sans que cela pose problème ! Et nous avons intérêt à ce que la Turquie s'arrime à l'Europe. Je crois que nos réactions vis-à-vis de la Turquie ne devraient pas être guidées par des considérations géographiques, et encore moins religieuses. Cela serait dramatique du point de vue de nos principes.

M. Roland Ries. - La question de l'élargissement ne doit pas se poser seulement en termes géographiques, mais également politiques et culturels. Il s'agit avant tout de valeurs communes. Dans cette logique, je crois que rien ne devrait empêcher la Turquie d'entrer dans l'Union européenne le jour où elle respectera pleinement les principes et les valeurs de l'Union.

M. Olli Rehn. - En ce qui concerne le Service européen d'action extérieure, je pense qu'il doit servir l'intérêt commun. Pour cela, nous devrons le rendre aussi influent et efficace que possible, ce qui souligne l'enjeu de sa vocation institutionnelle. Il faudra donc trancher la question de savoir quels services de la Commission et du Conseil doivent y être intégrés. En outre, le Haut représentant aura deux fonctions principales : d'une part, diriger la politique étrangère et de sécurité de l'Union ; d'autre part, coordonner l'ensemble des politiques de relations extérieures de l'Union. A priori, la quasi-totalité de l'actuelle DG Relex de la Commission sera absorbée par le nouveau service. En revanche, la politique commerciale et la politique de développement devraient toujours dépendre de la Commission européenne. De même, je crois que la politique d'élargissement est d'abord une question interne pour l'Union. Toutefois, elle revêt un aspect « politique extérieure », notamment en ce qui concerne les relations avec les Balkans et la Turquie.

Sur la Turquie, je pense en effet que nous devrons mieux tirer parti à l'avenir de notre relation avec ce pays, notamment au regard de la politique étrangère. La Turquie est en effet un partenaire stratégique majeur sur la question du Moyen-Orient, de la stabilité du Caucase, ou encore de la sécurité énergétique. Quant à son avenir européen, le plus important selon moi est le processus d'adhésion lui-même, qui favorise les réformes, qui compte autant que le résultat final. Mais il est important de tenir notre parole.

Sur les valeurs de l'Union et la question des frontières géographiques, je rappellerai simplement que, dans le traité de Nice comme dans le traité de Lisbonne, figure un article quasi identique qui stipule qu'un État européen peut déposer sa candidature s'il respecte les valeurs démocratiques promues par l'Union européenne. Cela ne signifie pas que l'Union européenne doit accepter chaque candidature. Mais il faut laisser la porte ouverte, adopter une démarche inclusive, afin de ne pas créer de nouvelles lignes de division qui excluraient certains pays. Nous travaillons avec les Balkans dans une perspective d'adhésion, ce qui n'est pas le cas pour les pays du Caucase et les pays méditerranéens, qui doivent progresser dans le cadre de la politique de voisinage. Il faut d'ailleurs renforcer cette politique. Selon moi, le travail fondamental de la future Commission sera précisément de combiner le plus efficacement possible la politique d'élargissement et la politique de voisinage.

Au regard de la problématique des coopérations renforcées et spécialisées, je suis convaincu que ce sont les seuls outils capables de concilier l'approfondissement et l'élargissement. Ils permettront par exemple de progresser à quelques-uns dans le domaine des affaires étrangères ou des questions de justice, de sécurité et d'affaires intérieures.

Sur la Croatie, je tiens à préciser que M. Mesic se montre toujours très inquiet à propos de la Bosnie-Herzégovine, et avec raison. La Croatie est un acteur important pour la stabilité des Balkans, et notamment de la Bosnie. La France a aussi un rôle particulier à jouer dans cette région, de par la relation historique très forte qu'elle entretient avec la Serbie notamment. Je pense que ce pays remplit les conditions pour la mise en oeuvre de l'accord d'association, et qu'il nous faut convaincre les Pays-Bas de reconnaître que la Serbie coopère pleinement avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) depuis le départ de M. Kostunica. Ce sont ainsi une quarantaine de personnes qui ont été inculpées. De plus, si le gouvernement serbe perçoit que le pays a un avenir européen, il sera encouragé à convaincre la partie serbe de faire des compromis en Bosnie-Herzégovine.

Sur la Macédoine, la recommandation de la Commission d'ouvrir les négociations d'adhésion doit être comprise comme un appel à résoudre la question du nom. Il existe aujourd'hui un contexte propice qui constitue une opportunité unique, depuis dix-huit ans, de résoudre ce différend, avec l'arrivée au pouvoir en Grèce et en Macédoine de nouveaux gouvernements élus sans ambiguïté.

Enfin, sur la Russie, je voudrais dire que les anciens pays satellites du bloc soviétique ont compris comment vivre en paix avec les Russes, en partie grâce à l'Union européenne. Nous avons besoin d'un nouveau départ dans nos relations, fondé sur une évaluation objective de nos intérêts respectifs. Nous souhaitons un partenariat renforcé dans certains domaines stratégiques tels que la sécurité énergétique, la lutte contre la prolifération et le terrorisme.

La Russie ne sera jamais un membre de l'Union, mais il est possible de conclure un partenariat stratégique plus optimal qu'aujourd'hui. Bien sûr, il reste des problèmes, notamment dans le domaine des droits de l'homme et de la démocratie. De plus, nous éprouvons encore des difficultés à nous comprendre mutuellement. Il faut donc adopter une approche réaliste et pragmatique. A cet égard, je regrette la position du Premier ministre russe qui a décrété que la Russie n'intégrerait l'OMC que dans le cadre d'une union douanière avec le Kazakhstan et la Biélorussie, mais je relève que le président russe est conscient de l'intérêt d'une adhésion de la Russie à l'OMC. Il me paraît donc évident que la prochaine Commission devra accorder encore plus d'attention aux relations de l'Union avec la Russie.

M. Hubert Haenel. - Monsieur le Commissaire, votre témoignage me conforte dans la haute opinion que j'ai des pays du nord, que je qualifie « d'eurosérieux ». Nous tenons à vous féliciter pour votre français impeccable, la clarté de votre propos et votre hauteur de vue, et plus généralement pour le travail accompli au cours de votre mandat. Les propos que vous avez tenus aujourd'hui constituent à mon avis la meilleure feuille de route pour votre successeur.

Mercredi 4 novembre 2009

- Présidence de M. Hubert Haenel -

Institutions européennes

Conclusions du Conseil européen des 29 et 30 octobre
Audition de M. Pierre Lellouche,
secrétaire d'État chargé des affaires européennes

M. Hubert Haenel. - Après le débat de la semaine dernière, nous vous entendons aujourd'hui sur les conclusions du Conseil européen. Je constate d'abord avec satisfaction que ces conclusions sont assez ramassées puisqu'elles tiennent en treize pages.

Le premier point, relatif au traité de Lisbonne, a pleinement abouti et nous permet de mettre un terme à un processus de ratification qui tournait au chemin de croix. Le traité de Lisbonne devrait entrer en application le 1er décembre et la commission pourrait entrer en fonction au début de l'année 2010. Je me suis demandé pourquoi les conclusions du Conseil européen avaient jugé nécessaire de mentionner que « toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres » et que la Charte ne s'adresse aux États membres que « lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union ». Ces dispositions figurent en effet déjà dans le traité ou dans la Charte. J'ai cru comprendre que ces rappels étaient destinés à répondre aux inquiétudes de l'Autriche, de la Hongrie et de la Slovaquie à propos des décrets Benes. Peut-être allez-vous nous donner quelques explications complémentaires à ce sujet ?

Sur le changement climatique, tout ou presque était joué depuis l'échec du Conseil Ecofin qui a précédé le Conseil européen. Même si la rédaction des conclusions est habile et donne un aspect allant à la position de l'Union européenne, on n'a pas le sentiment d'avoir beaucoup progressé. Rien n'a été décidé sur le chiffrage de la contribution européenne. Rien ne figure non plus dans les conclusions sur les modalités du partage de cette contribution entre les États membres. Il semblerait qu'un document non public aborde cette question. Vous allez certainement nous apporter des explications complémentaires sur ce point.

Enfin, vous évoquerez certainement les dispositions relatives à l'immigration et à l'asile et notamment à la possibilité d'affréter des vols de retour communs financés par l'agence FRONTEX.

M. Pierre Lellouche. - Le Conseil européen des 29 et 30 octobre a été très riche et a examiné toute une série de dossiers importants. Sur le volet institutionnel, le Président Václav Klaus a signé hier le traité de Lisbonne après que la Cour constitutionnelle tchèque eut déclaré le traité conforme à la Constitution, ce qui n'est pas une surprise. Il n'y a donc désormais plus aucun obstacle à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. La présidence suédoise avait mené des consultations préalables avec les autorités tchèques afin de dégager les conditions d'un accord satisfaisant pour l'Europe. Le Conseil européen est parvenu à traiter les demandes formulées par le Président Klaus et les dérogations à la Charte des droits fondamentaux, dont le Royaume-Uni et la Pologne bénéficiaient déjà, seront étendues à la République tchèque. Il s'agit du protocole 30 sur l'application de cette charte.

Le Conseil européen a également fait le point des travaux préparatoires à la mise en oeuvre du traité. Il conviendra de désigner les commissaires qui ne l'ont pas encore été ainsi que le président stable du Conseil européen et le Haut représentant pour la politique étrangère. La désignation de ces deux derniers responsables européens devrait intervenir très prochainement, probablement dans la semaine qui suivra les célébrations du 11 novembre. Le Parlement européen aura ensuite à se prononcer sur le choix des chefs d'État et de gouvernement et la procédure devrait être terminée dans le courant du mois de décembre, de telle sorte que le nouveau schéma institutionnel se mette en place à compter du 1er janvier 2010, en même temps que la présidence espagnole. Ainsi, l'Union européenne aura-t-elle enfin achevé un long processus institutionnel, qui n'a que trop duré, et pourra enfin passer à autre chose.

Les chefs d'État et de gouvernement ont également approuvé les grandes lignes de ce que sera le service européen d'action extérieure, c'est-à-dire le futur service diplomatique européen, qui sera le service diplomatique le plus important au monde. La France souhaite que ce service soit ambitieux, ce qui n'était pas évident il y a quelques mois encore. Il devrait permettre une action extérieure plus efficace et plus cohérente. Sous l'autorité du Haut représentant, il permettra un pilotage politique plus cohérent de l'action extérieure de l'Union européenne et une meilleure mobilisation de tous les moyens disponibles, y compris ceux des États membres, au service de ses objectifs politiques. Je rappelle, à titre d'illustration, que l'Union européenne a financé des infrastructures dans les Balkans qui ont cependant été inaugurées par le Secrétaire d'État américain. L'Europe a impérativement besoin de parler d'une seule voix sur la scène internationale. Le Haut représentant, qui agira pour le compte du Conseil et qui sera aussi vice-président de la Commission, devra assurer la cohérence d'ensemble de la politique extérieure européenne. Les grands États membres, en particulier, auront à trancher des questions délicates sur le statut du service européen d'action extérieure et sur les personnels qui le composeront, afin d'asseoir l'influence de ce service. Il va de soi que les personnalités qui seront nommées influenceront le fonctionnement de ces nouvelles institutions. Il me semble toutefois qu'il faut éviter des annonces précipitées qui ne seraient pas suivies d'effet. Pour que les institutions fonctionnent, elles ont besoin d'une pratique et d'une volonté. Nous devrons veiller à assurer la cohérence de l'action du président stable du Conseil européen avec celle de la présidence tournante, qui demeure, ainsi qu'entre l'action du président de la Commission et celle du Haut représentant.

J'en viens maintenant à la question du changement climatique. L'un des enjeux fondamentaux de ce Conseil européen était la préparation de la Conférence de Copenhague, qui se tiendra du 7 au 18 décembre prochain.

Les objectifs à atteindre sont connus, ils ont été définis par les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) : il s'agit d'obtenir une réduction d'au moins 50 % des émissions mondiales de CO2 en 2050, en prenant 1990 comme année de référence, afin de limiter le réchauffement de la planète à moins de 2 degrés par rapport à l'ère préindustrielle. Pour cela, il faut obtenir des engagements chiffrés des pays développés sur des objectifs à moyen terme d'une réduction de 25 à 40 % de leurs émissions d'ici à 2020, ce qui implique un engagement contraignant de leur part sur une réduction chiffrée à moyen terme comparable à l'engagement de l'Union européenne. Il faut également obtenir un engagement des pays émergents sur une déviation chiffrée de leurs émissions à moyen terme.

L'Union européenne a pris très tôt le leadership de cette négociation avec l'adoption du paquet « énergie-climat » sous présidence française, et formulé des propositions ambitieuses de réduction de ses émissions de CO2, soit 20 % d'ici 2020 et 30 % dans le cas d'un accord international global et satisfaisant.

Je vous présente l'état des lieux sur les quatre grands paramètres de la négociation.

Le point le plus délicat portait sur la contribution financière de l'Union européenne à l'effort international des pays en développement, et sur les modalités de calcul de cet effort. Beaucoup de points sensibles étaient sur la table, qu'il s'agisse de l'évaluation des besoins de financements d'ici à 2020, de la contribution de l'Union à ce financement, de la répartition de cette contribution entre pays de l'Union, mais aussi de la possibilité d'utiliser des financements innovants.

Le Conseil européen a, dans ce domaine, principalement pris acte des estimations de la Commission européenne : le surcoût de la réduction des émissions de gaz à effet de serre des pays en développement pourrait s'élever à environ 100 milliards d'euros par an d'ici 2020, à financer en partie par les efforts de ces pays, en partie par le marché international du carbone et en partie par le financement public international. L'importance des financements novateurs en faveur du développement durable, en particulier au profit des pays les plus pauvres et les plus vulnérables, a clairement été soulignée par les chefs d'État et de gouvernement, à la demande de plusieurs États, dont la France.

Le Conseil européen a également convenu que tous les pays, à l'exception des moins développés, devraient contribuer au financement public international sur la base d'une clé de répartition globale et mondiale fondée sur les niveaux d'émission et sur le produit intérieur brut (PIB), le poids des niveaux d'émission devant augmenter au fil du temps. Cette question a fait l'objet de divergences entre États membres, plusieurs d'entre eux, notamment la Pologne, la Hongrie et la Roumanie, ne voulant conserver que la clef de répartition fondée sur le PIB, de manière à réduire leur contribution, leur économie étant encore très dépendante du charbon. Une telle décision serait un mauvais signal adressé à la Chine et à l'Inde. Aucun accord n'a pu encore être obtenu avec ces pays, en dépit des efforts du Président Sarkozy et de la chancelière Angela Merkel, sollicités par la présidence suédoise. Nous sommes toutefois résolus à ne pas céder sur la nécessité d'une double clef de répartition.

Le deuxième paramètre portait sur la définition des conditions dans lesquelles nous pourrions accepter de porter notre taux de réduction d'émission de gaz à effet de serre de 20 % à 30 %. Cet effort supplémentaire est soumis à la double condition que les autres grands pays développés s'engagent de façon comparable, et que les pays en développement s'engagent également sur une déviation chiffrée de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Troisième paramètre, nous devons pouvoir mettre en oeuvre le «  mécanisme d'inclusion carbone », la « taxe carbone » aux frontières, si certains de nos partenaires internationaux refusaient de jouer le jeu à Copenhague. Ce mécanisme, destiné à empêcher les « fuites de carbone », fait partie des options retenues par le paquet énergie-climat adopté sous présidence française. Cette idée a été difficile à faire valoir, mais se retrouve maintenant dans les conclusions du Conseil. Dans une lettre commune, adressée le 18 septembre par le Président de la République et la Chancelière allemande à Ban Ki-Moon, la France et l'Allemagne ont rappelé leur détermination à en user si cela était nécessaire. Je rappelle que nous ne pouvons pas accepter de pénaliser nos industriels en leur imposant des obligations supérieures à leurs compétiteurs qui n'en auraient aucune. L'Europe ne sera pas la variable d'ajustement de la négociation.

Nous devons, enfin, et c'est une question plus générale, mieux porter et faire connaître le message politique de l'Union européenne. Je rappelle que l'Union a réussi à Bangkok le tour de force d'être à la fois la plus ambitieuse dans ses propositions, et la plus accusée par tous ses partenaires. C'est tout l'enjeu d'une communication efficace et d'une visibilité de notre position de négociation : lorsque le négociateur américain quitte la salle des négociations, il organise immédiatement une conférence de presse. Qui incarne aujourd'hui la position de l'Europe dans cette négociation ?

Je ne vous cacherai pas que les négociations sont aujourd'hui difficiles avec nos partenaires. Le mois de novembre sera, de ce point de vue, décisif. Après Bangkok, en octobre, la session internationale de négociation a lieu cette semaine à Barcelone.

Il faut mettre à profit tous les grands événements pour faire avancer nos positions, et je pense au sommet intermédiaire des chefs d'État, que le Président de la République a appelé de ses voeux à Pittsburgh. Je pense aussi aux sommets UE-Inde, qui aura lieu le 6 novembre, UE-Chine, le 30 novembre et, bien sûr, au sommet États-Unis - Chine, ce mois-ci, ces deux pays étant les plus gros pollueurs de la planète. Nous avons besoin, pour réussir, d'un engagement renouvelé de l'ensemble des partenaires de la négociation, et ce au plus haut niveau.

Nous sommes encore loin d'un accord, mais l'espoir est permis car des partenaires importants, comme le Japon ou le Brésil ont déjà commencé à bouger. Côté américain, un vote déterminant du Clean Energy Act est attendu du Sénat avant Copenhague sur les engagements américains de réduction de CO2 en 2020. Les discussions entre Démocrates et Républicains sont en cours, avec une cristallisation des débats sur le financement du nucléaire, la taxe aux frontières, les avantages accordés aux énergies renouvelables.

En ce qui concerne les conclusions du Conseil européen consacrées à la crise économique, la reprise est là, mais reste fragile, comme l'atteste la montée du chômage dans l'Union européenne. Il est donc indispensable de ne pas mettre fin prématurément aux mesures de soutien à l'économie. Le Conseil européen a pleinement soutenu cette approche, en soulignant la nécessité d'élaborer une stratégie coordonnée de sortie des politiques de relance généralisées, une fois la reprise assurée. Le Conseil européen a souligné l'importance de préparer l'avenir en créant de nouvelles sources de croissance. C'est tout l'enjeu, au plan européen, de la révision de la stratégie de Lisbonne et, au niveau national, c'est celui du grand emprunt.

Il faut souligner les bons résultats de la présidence suédoise en matière de supervision financière, qui est parvenue à dégager en octobre une orientation politique sur le volet dit « macrofinancier », qui prévoit la création d'un comité européen du risque systémique, chargé de prévenir l'apparition de grands risques systémiques comparables à ceux que le monde a connus en 2007 et 2008. Sur le volet « microfinancier », qui prévoit la transformation des comités de superviseurs en autorités dotées de pouvoirs contraignants, les négociations se poursuivent, l'objectif étant de parvenir à une orientation politique au Conseil européen de décembre.

Nous espérons formaliser un accord en première lecture avec le Parlement européen aussi rapidement que possible l'année prochaine, la plupart des textes dans ce domaine étant régi par la codécision.

Sur le volet relatif à l'immigration et à l'asile, le Conseil européen était convenu, en juin dernier, de revenir lors de sa session d'octobre sur les réponses apportées à l'urgence migratoire en Méditerranée. Il s'agit pour nous, comme pour tous les États membres méditerranéens, comme le montrent les récentes déclarations du Premier ministre grec, d'un sujet tout à fait fondamental : le Pacte européen sur l'immigration et l'asile a posé des principes. Ils doivent désormais être pleinement mis en oeuvre.

Il y a quelques jours, le Président de la République et le Président du Conseil italien avaient adressé une lettre commune à la présidence suédoise, pour demander que le Conseil européen fixe des orientations concrètes et opérationnelles. Le Conseil européen a entendu cet appel et adopté des conclusions ambitieuses, en demandant par exemple qu'un accord en vue de la création du bureau européen en matière d'asile soit dégagé avant la fin de l'année, ou encore en demandant le renforcement des capacités opérationnelles de l'agence FRONTEX, à partir de propositions concrètes comme la possibilité d'affréter régulièrement des vols de retours communs financés par l'agence, et le renforcement de la coopération entre l'agence, les pays d'origine et les pays de transit.

Le Président de la République a particulièrement insisté sur le fait que le Conseil européen de décembre devra prendre des décisions sur le droit d'asile. Il faut un statut européen de réfugié politique pour qu'il n'y ait plus un système dans lequel il y a autant de droits d'asile que d'États membres.

En ce qui concerne la crise du lait, le gouvernement a pris l'initiative d'une nouvelle régulation européenne du marché du lait dès le mois de juillet.

À l'initiative de la France et du Parlement européen, et non sans mal comme le montrent les efforts déployés par notre ministre de l'agriculture, un signal fort des États membres et de la Commission a été envoyé, en faveur d'une nouvelle régulation européenne du marché du lait.

Lors des Conseils Agriculture et ECOFIN des 19 et 20 octobre, vingt-deux États membres ont obtenu de la Commission :

- la mise en place de mesures supplémentaires, en particulier une amélioration des dispositifs de stockage, une extension du programme de distribution de lait dans les écoles ;

- l'inscription, dans le budget 2010, d'une enveloppe exceptionnelle de 280 millions d'euros, en écho aux propositions du Parlement européen.

Le Conseil européen a pris la pleine mesure du sujet en prenant notamment acte des mesures d'urgence et de stabilisation engagées par la Commission. Le Président de la République, dans son récent discours sur l'agriculture, a rappelé que la crise du lait concernait de nombreux États membres. Les règles de l'OMC et les positions américaines seront à prendre en compte pour la résolution de cette crise.

Ce dossier est très lourd et il est à mettre en relation avec la révision des perspectives financières.

M. Hubert Haenel. - Le traité de Lisbonne prévoit une nouvelle composition pour le Parlement européen qui attribue à la France deux sièges supplémentaires. Connaît-on déjà le dispositif juridique qui sera retenu pour pourvoir ces deux sièges ?

M. Pierre Lellouche. - Il convient d'abord d'intégrer au traité la base juridique relative à la modification de la composition du Parlement européen pour avoir ces deux députés avant 2014, puis de trouver l'occasion de ratifier cette modification. En ce qui concerne le niveau national, il serait possible de demander l'avis du Conseil d'État afin de trouver une solution car il ne me paraît pas raisonnable d'organiser une élection nationale pour élire deux députés européens. Toutefois, il faut reconnaître qu'il aurait été judicieux de régler cette question avant les élections européennes du mois de juin dernier en en subordonnant l'application à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

M. Pierre Fauchon. - Je constate que si toutes les questions ont été mises sur la table du Conseil européen, il n'en a pas été de même avec les solutions et qu'un grand nombre de sujets n'a pas donné lieu à un accord. Sur la question de la lutte contre le changement climatique en particulier, que se passera-t-il si aucun accord définitif n'est trouvé ? Peut-on envisager une solution qui passerait par un accord conclu entre un nombre limité d'États membres.

M. Pierre Lellouche. - Un accord sur la question climatique sera trouvé. Des négociations avec les Polonais sont d'ores et déjà prévues et, compte tenu de la forte pression qui s'exerce, je n'envisage pas qu'un accord ne soit pas obtenu. L'Union européenne sera en ordre de marche en vue de la Conférence de Copenhague et aucune solution de repli n'est envisagée.

M. Jean Bizet. - Un cadre formalisé fixant les relations entre le nouveau président stable du Conseil européen et la présidence tournante existe-t-il ? La « taxe carbone » aux frontières est-elle compatible avec les règles de l'OMC ? Enfin, comment peut-on envisager le redimensionnement de la politique agricole commune (PAC) après 2013 dans un contexte marqué par la prégnance des thèses libérales sur les marchés agricoles ?

M. Pierre Lellouche. - Le président stable du Conseil européen coordonnera l'ensemble des travaux, en particulier les relations extérieures, mais il travaillera nécessairement avec la présidence tournante qui sera compétente pour les conseils techniques. Naturellement, la mise en oeuvre de cette présidence stable sera progressive à partir du 1er janvier prochain.

La « taxe carbone » aux frontières est compatible avec la Charte de l'OMC. Cette question juridique est désormais tranchée. En revanche, il se peut que surviennent des problèmes sur ses modalités de calcul, mais nous n'en sommes pas encore là. De toute façon, l'instauration d'une telle taxe doit être considérée comme une arme dissuasive dans la négociation, en cas d'échec sur un accord. L'essentiel en effet est de disposer de mécanismes contraignants permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de contrôler l'effectivité de ces réductions.

Certains États membres souhaitent clairement en finir avec la PAC. Si la France est le premier bénéficiaire de cette politique, elle est aussi le premier contributeur net au budget communautaire. Je rappelle que le « chèque britannique » coûte 1,5 milliard d'euros à notre pays chaque année. J'ai demandé à Alain Lamassoure, le nouveau président de la commission des budgets du Parlement européen, de nouer des relations avec les parlementaires nationaux en vue de la négociation à venir sur la révision des perspectives financières, afin de nourrir un débat au niveau national, plusieurs scénarios étant envisageables. La question est : comment organiser les aides à l'agriculture ?

M. Jean Bizet. - La crise agricole actuelle fait-elle prendre conscience à certains États membres de l'urgence du redimensionnement de la PAC après 2013 ?

M. Simon Sutour. - Je suis favorable au redimensionnement de la PAC après 2013, mais j'estime que celle-ci doit être plus équilibrée et intégrer les productions méditerranéennes telles que les fruits et légumes et la viticulture, et accorder moins d'importance qu'aujourd'hui aux céréales et à l'élevage. Par ailleurs, il me paraît important que la cohésion territoriale et les fonds structurels ne servent pas de variable d'ajustement à la réforme de la PAC.

M. Pierre Lellouche. - À l'occasion des dernières crises agricoles, et en particulier de la crise laitière, j'ai été frappé par le manque de réactivité du commissaire en charge de l'agriculture. Il n'est pas normal que la Commission ait attendu plusieurs semaines avant de réagir. Certes, l'intérêt supérieur de l'Union européenne doit être pris en compte, mais, en l'espèce, vingt-deux États membres avaient un problème de garantie des prix.

M. Denis Badré. - J'ai toujours regretté que la France se soit laissé enfermer dans l'idée que les agriculteurs français étaient les principaux bénéficiaires de la PAC alors qu'en réalité, elle sert l'ensemble des consommateurs européens. Les négociations sur la révision des perspectives financières vont ouvrir un chantier considérable. Selon moi, l'Union européenne a raison d'être ambitieuse sur la question du changement climatique et de ne pas afficher de solution alternative qui pourrait porter préjudice à l'obtention d'un accord qui ne saurait être conclu que par l'ensemble des États. Enfin, à propos du traité de Lisbonne, je constate qu'il n'y avait pas d'autre solution que de donner satisfaction au Président tchèque pour qu'il accepte de signer, mais, à titre personnel, j'estime que c'est regrettable d'en arriver là.

M. Pierre Lellouche. - J'ai dit la même chose à mon collègue tchèque, même si celui-ci n'avait pas de responsabilité dans cette affaire. Il n'en demeure pas moins que l'Union européenne n'a pas à aborder la question des Sudètes. De même, elle n'a pas à intervenir dans la question du différend frontalier entre la Slovénie et la Croatie. Pour autant, je constate qu'un certain nombre d'États issus de l'ancien bloc communiste n'ont pas entrepris un important travail de réconciliation avec leurs voisins, comme la France et l'Allemagne ont su le faire.

Justice et affaires intérieures

Programme de Stockholm
(Grandes orientations de l'Union européenne en matière
de justice, de liberté et de sécurité pour les années 2010-2014)
Rapport d'information de Mme Annie David,
MM. Jean-Claude Peyronnet et Hugues Portelli

M. Hubert Haenel. -Le Conseil européen du mois de décembre sera appelé à adopter les nouvelles priorités pour l'espace de liberté, de sécurité et de justice en Europe sur la période 2010-2014. Ce programme dit « de Stockholm » succèdera au programme de La Haye, adopté en 2004, qui a lui-même couvert la période 2004-2009.

La définition de nouvelles priorités dans ces domaines revêt une importance cruciale et ce à plusieurs titres. D'abord, parce qu'il s'agit incontestablement de domaines dans lesquels la « plus-value » européenne est clairement perçue par les citoyens. Ensuite, parce que, à l'issue d'une programmation qui a été plus particulièrement axée sur le renforcement de la sécurité, dans le contexte des attentats terroristes, il apparaît nécessaire de rechercher un meilleur équilibre entre cette priorité qui demeure et la nécessaire protection des droits fondamentaux. Enfin, parce que ces domaines concernent les compétences traditionnelles des États membres. Il est donc indispensable, plus que pour tout autre domaine, de s'assurer de la valeur ajoutée d'une action menée au niveau de l'Union européenne.

En vue de l'adoption du nouveau programme pluriannuel, la Commission européenne a rendu publiques, le 10 juin dernier, deux communications qui portent respectivement sur l'évaluation du programme de La Haye et sur la définition de nouvelles orientations qui mettent le citoyen au coeur du nouveau programme. Nous avons entendu le 7 juillet, M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne qui nous a présenté les orientations qu'il propose pour ce futur programme. Le 16 octobre, la présidence suédoise de l'Union européenne a rendu public un projet. Le programme sera soumis à l'adoption du Conseil européen les 10 et 11 décembre. Un plan d'action sera adopté en 2010 sous la présidence espagnole de l'Union européenne.

Nos collègues Annie David, Jean-Claude Peyronnet et Hugues Portelli ont procédé à une série d'auditions tant à Paris qu'à Bruxelles. Ils vont maintenant nous présenter leur analyse de ce programme de Stockholm.

M. Hugues Portelli. - Nous avons effectivement procédé à un grand nombre d'auditions, mais dans une période encore marquée par l'expectative sur le traité de Lisbonne. Le document de la présidence suédoise a lui-même été élaboré en grande partie avant le « déblocage » du traité. Son contenu s'en ressent.

Ce qui est très positif, c'est que la voie est enfin dégagée pour l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, depuis l'accord politique approuvé lors du Conseil européen des 29 et 30 octobre derniers. Cet accord visait à répondre à la demande de la République Tchèque et a permis la signature trop longtemps attendue du traité de Lisbonne par le Président Klaus hier.

Dans notre communication, nous nous attacherons à évaluer la mise en oeuvre du programme de La Haye, dont le bilan apparaît mitigé en dépit de certaines réalisations. Nous vous présenterons ensuite les orientations susceptibles d'être retenues pour le futur programme de Stockholm.

I. Le bilan du programme de La Haye apparaît mitigé

1. Quel en était le contexte ?

Il aura fallu attendre le traité de Maastricht pour que l'Union européenne se saisisse des questions de la justice et de la sécurité qui ont fait l'objet d'une inscription dans un cadre institutionnel spécifique, de nature intergouvernementale : le « troisième pilier ».

Le traité d'Amsterdam a ensuite opéré le transfert des politiques d'asile, d'immigration et de la coopération judiciaire en matière civile dans le « premier pilier communautaire». Le « troisième pilier » regroupe aujourd'hui la coopération policière et la coopération judiciaire en matière pénale. Le processus décisionnel dans le cadre de ce pilier est intergouvernemental, d'où la difficulté de faire aboutir les initiatives dans ce domaine. Le Conseil européen avait adopté à Tampere, en 1999, un premier programme de travail pluriannuel dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Sa mise en oeuvre s'est achevée en 2004.

Dans une communication, présentée en novembre 2004, notre collègue Pierre Fauchon avait jugé décevant le bilan de la mise en oeuvre de ce programme. Il avait notamment souligné le poids des contraintes institutionnelles avec l'organisation « en piliers ».

2. Quels étaient les objectifs ?

Ils étaient divers. Ils portaient sur le respect des droits fondamentaux, l'établissement de garanties procédurales minimales, l'accès à la justice, la protection au titre du statut de réfugié, la régulation des flux migratoires, la lutte contre la criminalité organisée transfrontière et la menace terroriste. Par ailleurs, le programme de La Haye souhaitait mieux exploiter le potentiel d'Europol et d'Eurojust, faire progresser la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et supprimer les obstacles législatifs et judiciaires au règlement des litiges transfrontaliers.

Certes, pendant la période d'application du programme de La Haye, beaucoup d'actions ont été engagées. Elles ont conduit à l'adoption de nombreux textes. Le secteur « JAI » aura représenté près de la moitié de l'activité normative de l'Union européenne, avec un accent tout particulier sur le volet sécurité.

Toutefois, compte tenu des contraintes tenant aux modalités de prise de décision dans le cadre du 3e pilier, l'action dans certains domaines a été considérablement limitée. Les résultats demeurent encore trop faibles sur les aspects opérationnels de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, alors que ce volet opérationnel apparaît indispensable pour la construction d'un véritable espace commun de sécurité et de justice. Malgré des avancées considérables accomplies, le programme de La Haye n'a malheureusement pas été pleinement mis en oeuvre dans chacun des grands domaines intéressant la construction de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

a) D'abord, la citoyenneté et la protection des droits fondamentaux

Le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres n'est toujours pas garanti. La transposition de la directive du 29 avril 2004, qui tend à prévoir les conditions de mise en oeuvre de ce droit fondamental est pas ou mal assurée.

Beaucoup reste à faire pour répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de droits fondamentaux. Selon Eurobaromètre, 72 % d'entre eux sont favorables à un plus grand rôle de l'Union européenne en ce domaine. Dans le cadre de l'application du programme de La Haye, une Agence européenne des droits fondamentaux a vu le jour. D'importantes avancées ont été effectuées en vue de la réalisation complète de l'espace Schengen et pour le renforcement de la protection consulaire des ressortissants des États membres non représentés dans certains États tiers.

La protection des données personnelles et de la vie privée apparaît comme un enjeu majeur. Selon Eurobaromètre, 64 % des personnes interrogées sont préoccupées par la façon dont leurs données personnelles sont utilisées par différents organismes. Or, sous la pression des évènements, l'accent a surtout été mis dans les années récentes sur des mesures « intrusives » pour le citoyen. Dans le même temps, les dispositifs de protection des données personnelles ont connu des progrès beaucoup plus lents. Le dispositif européen apparaît encore trop foisonnant et manquant de cohérence, de sorte qu'il ne permet pas de faire pleinement face aux enjeux majeurs en la matière.

Mme Annie David. - b) L'asile et l'immigration. En matière d'asile, le programme de La Haye avait retenu l'objectif ambitieux d'établir une procédure commune d'asile et un statut uniforme pour les personnes admises au statut de réfugié ou bénéficiant de la protection subsidiaire. De fortes disparités demeurent entre les États membres. Des difficultés considérables se posent actuellement en Méditerranée. On constate aussi de fortes divergences sur les taux d'admission au statut de réfugié, y compris pour des demandeurs de même nationalité.

Au total, les textes ont abouti à un faible degré d'harmonisation en raison de la règle de l'unanimité (remplacée par la majorité qualifiée depuis le 1er janvier 2006). Cette situation explique les très fortes divergences qui persistent dans les taux d'acceptation des demandes d'asile. L'objectif de disposer d'une procédure commune d'asile avant 2010 ne sera pas tenu.

Dans un livre vert présenté en juin 2007, la Commission européenne a suggéré de passer à une deuxième phase et le Pacte européen sur l'immigration et l'asile, adopté sous la présidence française, appelle à la mise en place d'un régime d'asile européen commun. Des propositions  ont été élaborées par la Commission européenne en décembre 2008. Nos collègues Alima Boumediene-Thiery et Robert del Picchia nous les ont présentées dans une récente communication.

En ce qui concerne l'immigration légale, l'accent a surtout été mis sur l'accueil de chercheurs et sur les emplois hautement qualifiés (« carte bleue » européenne). Je vous dirai tout à l'heure ce que je pense personnellement de ce dispositif de « carte bleue » européenne. Au cours de nos travaux, nous avons été sensibilisés au risque, à travers ce Pacte européen, d'une immigration « à deux vitesses » qui, d'un côté, favoriserait l'accès des travailleurs hautement qualifiés et, de l'autre, refuserait l'entrée aux travailleurs semi ou peu qualifiés. En outre, il conviendrait de garantir aux travailleurs migrants un cadre juridique clair en matière d'égalité de traitement avec les ressortissants nationaux pour les conditions de travail.

En ce qui concerne la lutte contre l'immigration irrégulière, une directive a été adoptée afin de prévoir des sanctions à l'encontre des employeurs des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier. Toutefois, au cours des auditions a été mis en exergue le risque que, avec cette directive, les travailleurs migrants vulnérables s'enfoncent encore plus dans la clandestinité. Il conviendrait donc parallèlement de créer des filières légales et des passerelles pour permettre à ces travailleurs de sortir de l'illégalité.

En outre, en décembre 2008, la directive dite « retour » a établi des standards et des procédures communs pour le retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Ce texte est le premier dans ce domaine à être adopté selon la procédure de codécision avec le Parlement européen. Il a suscité beaucoup de controverses. Devant notre commission, le commissaire Jacques Barrot a lui-même estimé que « le délai de 18 mois de rétention prévu par la directive « Retour » pose un vrai problème.»

La gestion des frontières extérieures de l'espace de libre circulation a pris une place croissante. L'Union européenne compte 1 636 points d'entrée sur son territoire. Le nombre de franchissements des frontières extérieures était estimé à 900 millions en 2006 et le nombre d'immigrants illégaux à huit millions. La même année, 500 000 immigrants illégaux ont été appréhendés, dont 40 % ont ensuite fait l'objet d'une procédure de reconduite.

Le « code frontières Schengen » est devenu effectif. Fin 2007, les dispositions de l'acquis Schengen ont été rendues applicables à neuf des dix États ayant rejoint l'Union européenne en 2004. Des évaluations doivent se poursuivre pour la Bulgarie et la Roumanie. Mais on connaît les difficultés pour faire évoluer le Système d'Information Schengen (le « SIS ») qui joue un rôle essentiel.

Dans le même temps, des initiatives ont été prises en vue de mettre en place une politique commune des visas, avec l'utilisation de la biométrie et les échanges de données. La mise en place du nouveau Système d'informations sur les visas (« VIS ») a néanmoins connu des retards. Son entrée en vigueur n'interviendrait pas avant septembre 2010. Dans un souci de préserver les droits à la vie privée et à la protection des données personnelles, garantis par la Charte des droits fondamentaux, il conviendrait néanmoins de s'assurer que l'intéropérabilité des fichiers au niveau européen et leur utilisation soient soumises à un contrôle rigoureux par une autorité européenne indépendante.

La création de l'agence FRONTEX, en octobre 2004, a constitué le second aspect essentiel de la politique européenne de gestion des frontières. FRONTEX a mené 50 opérations conjointes et 23 projets pilotes associant plusieurs États membres entre 2005 et 2008. Mais les États membres ne l'ont pas doté des moyens opérationnels nécessaires. Cependant, la commission « LIBE » du Parlement européen a accepté une augmentation substantielle des moyens de FRONTEX dans le cadre de l'adoption du budget européen pour 2010.

Un règlement de juillet 2007 a créé des équipes d'intervention rapide aux frontières (le Rapid Border Intervention Team (RABIT)). Cependant, la Commission européenne relève dans son évaluation qu'aucun État membre n'a encore demandé la création effective de telles équipes.

Des principes communs ont par ailleurs été établis pour l'intégration des ressortissants des pays tiers. Mais on sait qu'il s'agit d'un chantier immense. Avec les pays tiers, des partenariats de mobilité ont été lancés. Des projets pilotes ont été entérinés en juin 2008 avec la Moldavie et le Cap-Vert.

Le Pacte européen sur l'immigration et l'asile retient plusieurs engagements fondamentaux sur l'immigration dont la traduction en actions concrètes devrait être poursuivie dans le programme de Stockholm.

Au cours des auditions, nous avons aussi été sensibilisés aux effets pervers qu'aurait produit la politique européenne engagée au tournant des années 70-80, qui aurait conduit à fermer l'accès à l'emploi pour les salariés issus des pays tiers. Cette politique aurait, en effet, eu pour double conséquence l'installation durable en Europe de familles immigrées, compte tenu de l'impossibilité d'effectuer des allers/retours avec les pays d'origine, et le développement de l'immigration clandestine. L'évolution a été marquée par de fortes pressions sur les frontières extérieures et, en pratique, peu de substitution entre les ressortissants européens et les personnes immigrées. L'espace de libre circulation s'est ainsi transformé en espace de contrôle des frontières externes. Mais, parallèlement, avec le livre vert de la Commission européenne de 2005, la nécessité de ne pas fermer les frontières face au déclin démographique de l'Europe a été affirmée. Il en résulte un système contradictoire. Le contrôle aux frontières coûte cher et s'avère peu efficace. En outre, la dégradation de la situation des pays d'origine rend la mobilité inévitable. Il conviendrait donc de l'accompagner plutôt que de la freiner en visant la mise en place d'un système qui soit « gagnant » pour les deux parties.

M. Jean-Claude Peyronnet. - c) La sécurité. L'Europe a été durement frappée avec les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2005. Selon le rapport annuel d'Europol, près de 600 attentats manqués, déjoués ou effectivement perpétrés ont été recensés dans onze États membres en 2007.

Conformément à la stratégie de l'Union européenne de lutte contre le terrorisme, arrêtée en décembre 2005, l'action de l'Union s'est focalisée sur quatre objectifs principaux : prévenir, protéger, poursuivre et répondre.

En matière de prévention, le Conseil a notamment amendé la décision-cadre de 2002 sur la lutte contre le terrorisme, afin de permettre l'incrimination spécifique de la provocation publique, du recrutement et de l'entraînement au terrorisme.

Pour lutter contre le financement du terrorisme, des dispositions ont été prises, notamment pour la détection des transactions financières suspectes, la vérification des entrées et sorties d'argent.

En 2008, le Conseil a adopté un plan d'action comprenant 50 mesures destinées à assurer la sécurité des explosifs. Des instruments ont été mis en place pour renforcer la protection des infrastructures critiques (routes, chemins de fer, réseaux d'électricité et centrales électriques). En outre, un livre vert élaboré en 2007 devrait être suivi de mesures pour réduire le risque posé par les menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires.

Les échanges d'informations ont été développés. Ils ont - semble-t-il - produit des résultats efficaces, même si une évaluation précise fait défaut. Mais ces échanges d'informations ont soulevé de vives préoccupations sur le respect de la vie privée et la protection des données personnelles ainsi que sur leur contrôle par les parlements nationaux. On a examiné ici-même, la semaine dernière, à travers l'accord SWIFT, la question des transferts d'informations financières. Le Sénat avait exprimé de vives inquiétudes sur le faible niveau de garanties prévues par l'accord PNR avec les États-Unis. Un PNR européen est envisagé. Dans une résolution de mai 2009, le Sénat a demandé que les garanties soient renforcées sur la protection des données personnelles.

Pour la coopération policière, l'échange d'informations s'est développé. Mais c'est en fait dans un cadre intergouvernemental que, sur une initiative de l'Allemagne, a été négocié le traité de Prüm, qui a ensuite été intégré dans le cadre communautaire.

L'Office européen de Police (Europol) a aussi été intégré dans le cadre communautaire en avril 2009. Ses compétences ont été, à cette occasion, étendues à toutes les formes de criminalité transfrontalière. Le remplacement de la convention de 1995, soumise à ratification parlementaire, par une décision du Conseil soulève une très forte préoccupation sur l'exercice du contrôle parlementaire sur les activités de cet organisme.

L'amélioration de la coopération opérationnelle demeure un enjeu majeur. Une quarantaine d'équipes communes d'enquêtes ont été mises en place. Or, Europol n'a participé effectivement qu'à cinq équipes communes d'enquête et a été associé à trois de ces équipes.

En 2007, la Commission européenne a présenté une série de mesures pour renforcer la coordination de la lutte contre la cybercriminalité. Les défis demeurent immenses dans ce domaine. L'évaluation de la Commission européenne donne trois illustrations : le nombre d'attaques contre des infrastructures d'informations importantes au Royaume Uni est estimé à plusieurs milliers par jour ; le nombre d'images disponibles en ligne représentant des enfants abusés sexuellement a quadruplé dans la période 2003-2007 ; le nombre d'intrusions criminelles infectant des micro-ordinateurs avec un détournement de mots de passe a cru de 93 % dans le seul premier trimestre 2008.

La lutte contre les trafics d'être humains, contre l'exploitation des enfants et contre la pornographie enfantine constitue un autre enjeu majeur. En 2009, la Commission européenne a présenté des propositions sur ces questions.

La lutte contre la corruption est aussi un domaine dans lequel l'Union européenne devrait s'investir davantage. D'après une enquête Eurobaromètre, 75% des citoyens européens considèrent que la corruption constitue un problème majeur dans leur pays. En outre, on estime que 90 % des délits de corruption restent non détectés.

On relèvera qu'Europol et Eurojust sont de plus en plus associés aux enquêtes financières transfrontalières : en 2007, Europol a soutenu 133 enquêtes destinées à identifier des produits du crime ; 30 des 1000 affaires traitées par Eurojust ont porté sur le gel et la confiscation d'avoirs.

M. Hugues Portelli. - d) La coopération judiciaire. Le principe de reconnaissance mutuelle constitue la pierre angulaire de la coopération judiciaire européenne.

Le renforcement de la confiance mutuelle passe avant tout par un rapprochement de la formation des magistrats.  A cet effet, des programmes d'échanges, lancés en 2007, ont concerné quelque 400 juges et procureurs.

La principale réalisation demeure la mise en oeuvre du mandat d'arrêt européen, qui est opérationnel dans les vingt-sept États membres depuis le 1er janvier 2007, ce qui a eu pour effet de réduire sensiblement la durée des procédures par rapport à l'ancien dispositif d'extradition dans les relations entre les États membres de l'Union. Plusieurs autres instruments ont été adoptés. Mais ils ont souvent produit des résultats décevants, notamment parce que trop d'États membres ont omis de les transposer dans leur droit national ou l'ont fait de manière très imparfaite.

Des progrès ont par ailleurs été enregistrés dans les échanges d'informations. En avril 2009, on a institué le système européen d'information sur les casiers judiciaires (ECRIS). Encore faut-il rappeler que l'interconnexion des casiers judiciaires est née en 2003 d'une initiative franco-allemande. C'est donc là encore de l'initiative de quelques États qu'a pu émerger ensuite une solution valable pour l'ensemble de l'Union européenne.

La question des droits des suspects dans les procédures pénales a peu progressé. La proposition présentée en 2004 par la Commission européenne a fait l'objet de trois ans de discussion au sein d'un groupe de travail du Conseil, mais n'a pu être adoptée. En octobre, le Conseil a approuvé un premier texte, de portée plus limitée, sur le droit à l'interprétation et à la traduction. Il a par ailleurs retenu une démarche par étapes à travers une feuille de route. Le livre vert sur la présomption d'innocence, présenté en 2006, n'a été suivi d'aucune initiative législative. Quant au statut des victimes dans les procédures pénales, l'évaluation de la décision-cadre du 15 mars 2001 souligne que sa transposition par les États membres s'est révélée peu satisfaisante.

Le rôle d'Eurojust s'est en revanche affirmé. L'unité de coopération a traité plus de 1 000 cas en 2007 contre 195 en 2002, année de sa création. En décembre 2008, sous présidence française, le Conseil a adopté une décision qui tend à renforcer Eurojust. En dépit de ces avancées, beaucoup reste encore à faire pour ancrer les missions d'Eurojust dans les pratiques judiciaires nationales et aller vers un véritable parquet européen.

En ce qui concerne la coopération judiciaire civile, des progrès ont été accomplis dans la mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle dans des domaines importants pour la vie quotidienne des citoyens : les règles de conflit et la compétence des tribunaux en matière matrimoniale, de responsabilité parentale et de recouvrement des obligations alimentaires. Les règlements « Rome I » et « Rome II » ont déterminé des règles de résolution des conflits de lois dans le domaine des obligations contractuelles et non contractuelles. De nouvelles procédures ont été mises en place pour simplifier et accélérer le règlement des petits litiges ; les modes alternatifs de règlement des litiges ont fait l'objet d'une directive (la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur la médiation). En revanche, le projet de règlement « Rome III » sur les divorces transfrontaliers n'a toujours pas pu aboutir, l'unanimité des États membres n'ayant pu être obtenue en raison du blocage de la Suède. La dimension extérieure de la coopération judiciaire civile a été renforcée avec l'adhésion de la Communauté à la Conférence de La Haye de droit international privé en avril 2007.

M. Jean-Claude Peyronnet. - II. Le citoyen sera au coeur du nouveau programme de Stockholm

En dépit de certaines réalisations, le bilan du programme de La Haye est donc mitigé. L'adoption du programme de Stockholm doit être l'occasion de donner un nouvel élan autour de priorités politiques bien identifiées.

1. Quel a été le contexte d'élaboration de ce programme de Stockholm ?

Je rappellerai que des réflexions ont été conduites au sein d'un groupe de haut niveau dit « groupe du futur », composé du commissaire en charge de ces questions et des ministres compétents des présidences successives de l'Union. La Commission européenne a organisé une consultation publique. Un sondage Eurobaromètre a mis en évidence que la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme et la lutte contre la toxicomanie sont les domaines où les préoccupations sont les plus fortes (80 %). Une forte préoccupation est également exprimée pour la promotion et la protection des droits fondamentaux (78 %). Ce sont dans ces domaines que la valeur ajoutée des interventions de l'Union européenne est la plus clairement perçue.

Le traité de Lisbonne aura un impact direct sur les politiques conduites sur les questions intéressant l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Surtout, les conditions d'adoption des textes dans ces matières sont revues. Ils seront désormais soumis, sauf exception, à la procédure de droit commun. Le renforcement du rôle du Parlement européen sera un réel progrès. Des mécanismes particuliers facilitent le lancement de coopérations renforcées. Ces coopérations renforcées peuvent être un moyen efficace pour faire avancer la construction européenne, comme l'a mis en évidence notre collègue Pierre Fauchon dans un récent rapport d'information.

Plusieurs dispositions concernent l'association des parlements nationaux à la mise en place de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Dès lors, il semble difficilement envisageable que le programme de Stockholm n'intègre pas pleinement les conséquences de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne sur les politiques qui seront conduites.

2. La démarche proposée par la Commission européenne apparaît perfectible

La Commission européenne, a identifié quatre grandes priorités : une Europe des droits ; Une Europe du droit et de la justice ; une Europe qui protège ; une Europe responsable et solidaire en matière d'immigration et d'asile. Sur la forme, la Commission européenne a privilégié une approche transversale qui s'affranchit des délimitations traditionnelles (justice, sécurité, migrations). Il en résulte une certaine confusion qui rend plus difficile une vision globale des grands enjeux.

Or, il est indispensable que le programme de Stockholm énonce clairement les grands objectifs politiques susceptibles d'être partagés par les citoyens. A ce stade, le document de la présidence suédoise, rendu public le 16 octobre, ne paraît pas répondre à cette exigence. Répertoriant les mesures susceptibles d'être retenues, il ne dégage pas une ambition suffisante. Les effets de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne sont insuffisamment pris en compte. En particulier, les conséquences sur le domaine pénal de la suppression de la structure en piliers et la perspective d'un Parquet européen devraient figurer en bonne place dans le programme de Stockholm. Le document de la présidence renvoie par ailleurs le plus souvent au pouvoir d'initiative de la Commission européenne. Or le traité de Lisbonne prévoit dans les domaines qui relèvent actuellement du « troisième pilier » un droit d'initiative partagé entre la Commission et au moins un quart des États membres. Cette spécificité doit être intégrée dans le programme.

En outre, la dimension extérieure aura de plus en plus d'importance au cours de la période d'application du programme de Stockholm. Or, cette dimension est peu ou mal prise en compte.

M. Hugues Portelli. - a) Les droits des citoyens. L'objectif essentiel du programme de Stockholm est la poursuite de la construction d'un véritable « espace unique de protection des droits fondamentaux ». Le traité de Lisbonne incorpore la Charte des droits fondamentaux, à laquelle renvoie expressément l'article 6 du traité UE tel qu'il résulte du traité de Lisbonne (l'article 6 énonce que « l'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, [...] laquelle a la même valeur juridique que les traités »). Le traité de Lisbonne, en général, et la Charte, en particulier, prévoient des éléments de nature à assurer une certaine continuité et une cohérence du système de protection des droits fondamentaux. Mais il est important de rappeler que la Charte, comme la Convention européenne, n'établissent que des standards minima qui ne sauraient priver les droits fondamentaux des protections qui pourraient résulter des constitutions nationales. En outre, l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme emportera une « intégration réciproque » qui soulèvera certaines questions juridiques concrètes comme l'articulation entre les rôles respectifs de la Cour de justice et de la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, l'article 6 du traité UE, dans sa rédaction issue du traité de Lisbonne, prévoit que l'Union « adhère » à la CEDH et que les « Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux.»

Au-delà, c'est dans l'évolution de la législation de l'Union européenne que de réels progrès pourront être attendus pour la protection des droits fondamentaux. A ce stade, le programme se borne à énoncer des orientations assez générales sans qu'elles se traduisent en mesures concrètes.

La Commission envisage la mise en place d'un régime complet de protection des données personnelles. Ce qui est une bonne démarche. De nos entretiens avec les représentants du contrôleur européen des données et des « CNIL européennes » (« G29 »), nous avons retiré la conviction qu'une évolution et un renforcement du cadre juridique en vigueur sont nécessaires. Le programme de Stockholm devra aussi affirmer très clairement le rôle des autorités de contrôle.

Lors de son audition, Jacques Barrot a évoqué d'autres mesures destinées à renforcer les droits des citoyens. Par exemple, le déroulement du vote le même jour, le 9 mai, pour les élections européennes dans l'ensemble des États membres permettrait de conférer une forte valeur symbolique à cette prérogative essentielle des citoyens de l'Union. On ajoutera que la codification des normes en vigueur pourrait être un exercice très utile pour le citoyen.

b) L'Europe de la justice

Le principe de reconnaissance mutuelle restera la pierre angulaire de la construction de l'Europe de la justice. La Commission européenne envisage l'abolition de manière générale de la procédure d'exequatur des décisions civiles et commerciales.

Au cours de nos auditions du professeur Bernard Audit, la réalité des contraintes imposées par la procédure d'exequatur a pu être mise en doute. Depuis le règlement « Bruxelles I » du 22 décembre 2000, la procédure a en effet été très sensiblement allégée pour les litiges relevant de l'espace judiciaire européen. Par ailleurs, le droit commun de la reconnaissance des jugements étrangers s'est considérablement assoupli ces dernières années, de sorte qu'il ne reste en substance que la réserve de la contrariété du jugement étranger à l'ordre public international français, qui devrait être maintenue en tant que garantie minimale du respect des droits de la défense et des valeurs essentielles de notre société. Malheureusement, la qualité des décisions de justice rendues dans certains États membres n'est pas encore tout à fait assurée. Il est donc légitime de maintenir certains contrôles.

En outre, le programme de Stockholm doit prévoir expressément la relance du projet de règlement « Rome III » qui doit permettre de déterminer la loi applicable aux divorces transfrontaliers. Or le document de la présidence suédoise n'évoque pas ce texte. Si nécessaire, une coopération renforcée devrait être mise en oeuvre sur ce dossier, comme plusieurs États membres, dont la France, en avaient exprimé le souhait.

Par ailleurs, des moyens juridiques seront mobilisés pour soutenir l'activité économique. L'idée d'un « 28e régime » en droit des contrats suscite des réserves. En avril 2008, le Conseil a dégagé un large consensus pour limiter le « cadre commun de référence » à un outil non contraignant. Cette option ne paraît pas devoir être remise en cause. Le document de la présidence suédoise réaffirme cette position. Ce 28e régime signifierait d'ailleurs vingt-sept interprétations juridictionnelles différentes dans les États membres !

En matière pénale, la Commission européenne suggère d'appliquer la reconnaissance mutuelle « à tous les stades de la procédure ». La Commission européenne propose par ailleurs de renforcer la confiance mutuelle entre les acteurs du monde judiciaire. La Commission européenne envisage également un renforcement de l'évaluation qui faciliterait une meilleure connaissance des systèmes nationaux afin de dégager les bonnes pratiques.

L'Union européenne serait aussi invitée à se doter d'un socle de normes communes. En particulier, un rapprochement du droit matériel en matière pénale serait opéré, en particulier pour le terrorisme, la criminalité organisée et les atteintes aux intérêts financiers de l'Union. Le traité de Lisbonne permet l'adoption de règles minimales dans ce domaine.

Enfin, la justice pénale sera mise au service de la protection des citoyens. A cette fin, un véritable mandat européen d'obtention de preuves, se substituant à tous les instruments existants, devra être mis en place.

Le rôle d'Eurojust sera renforcé. Mais il apparaît indispensable que les perspectives ouvertes par le traité de Lisbonne soient utilisées. En outre, c'est à partir d'Eurojust que le traité de Lisbonne envisage la création d'un Parquet européen. Un lien devrait donc être établi entre le processus d'affermissement de cette unité de coopération et la perspective de la transformer en véritable Parquet européen, qui marquerait une étape essentielle dans la construction de l'Europe de la justice. Ce renforcement souhaitable d'Eurojust ne pourra être envisagé sans que soient définies parallèlement les modalités de l'association des Parlements nationaux à l'évaluation des activités de cette unité de coopération. Le programme de Stockholm devrait prendre en compte cette exigence et être suivi de mesures concrètes pour la mettre en oeuvre.

Parallèlement, la Commission européenne souhaite renforcer les droits de la défense, à partir du plan d'action retenu par le Conseil en octobre 2009.

M. Jean-Claude Peyronnet. - c) La sécurité. La Commission européenne fait valoir que « l'Union européenne doit concevoir une stratégie de sécurité intérieure. » Le document de la présidence suédoise rappelle que ce devrait être l'une des priorités du Comité de Sécurité Intérieure (COSI) institué par le traité de Lisbonne.

La Commission estime, à juste titre, que la sécurité de l'Union suppose une approche intégrée où les professionnels de la sécurité partagent une culture commune, optimisent l'échange d'informations et s'appuient sur des infrastructures technologiques adéquates.

La Commission reprend l'idée d'un Erasmus policier lancée par la France lors du Conseil JAI informel de Cannes en juillet 2008.

Pour assurer une maîtrise de l'information, la Commission européenne fait valoir que l'Union doit se doter d'un modèle européen d'information. Dans un contexte marqué par la multiplication des canaux d'échanges d'informations (SIS, VIS, Prüm, Europol), cette idée peut ouvrir la voie à une nécessaire rationalisation de ces échanges. Mais la maîtrise des échanges d'informations requiert aussi un équilibre entre le renforcement de la sécurité et la protection des droits fondamentaux.

Pour renforcer la coopération policière européenne, la Commission européenne fait valoir qu'« il convient de mieux exploiter le potentiel d'Europol ». Europol devra être systématiquement informé de la création d'équipes communes d'enquêtes et associé aux opérations transfrontalières importantes. La France a suggéré que soient mis en place des mécanismes de transferts automatiques d'informations vers Europol. Mais cela pose tout le problème des effets de l'interconnexion des fichiers sur la protection des données. On le voit avec le débat autour du projet de la Commission européenne de permettre l'accès des services répressifs à EURODAC.

Les liens avec Eurojust devront être renforcés. Compte tenu de l'importance que peuvent avoir les synergies entre Europol et FRONTEX, mais aussi Eurojust, on peut penser que le Conseil devrait arrêter lui-même les modalités à mettre en oeuvre pour que ces trois organismes développent effectivement des relations étroites et permanentes, dans le respect de leurs missions respectives.

Le renforcement d'Europol ne devra pas s'effectuer indépendamment de l'affirmation du contrôle démocratique sur les activités de cet organisme. Le traité de Lisbonne prévoit en particulier l'association des parlements nationaux au contrôle d'Europol. Là encore, cette exigence doit être prise en compte dans le programme de Stockholm et suivie de mesures concrètes pour sa mise en oeuvre.

La Commission européenne propose par ailleurs de mettre en place une politique européenne de lutte contre la criminalité organisée autour de cinq priorités : la traite des êtres humains, l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie, la cybercriminalité, la criminalité économique et la lutte contre la drogue.

Pour la lutte contre la corruption, on doit souhaiter que l'Union européenne se fixe, dans le programme de Stockholm, des objectifs plus ambitieux que le simple échange de bonnes pratiques ou l'élaboration d'indicateurs. Le document de la présidence suédoise propose des pistes de travail plus concrètes, comme le renforcement des capacités d'investigation financière et de poursuite de l'évasion fiscale et de la corruption privée, qui devront être prises en compte au cours des négociations.

On ajoutera l'enjeu essentiel que constitue la prévention de la criminalité. Le traité de Lisbonne reconnaît à l'Union européenne une compétence d'appui en matière de prévention du crime. Les actions dans ce domaine devront donc être développées.

Enfin, la lutte contre le terrorisme appelle, selon la Commission, trois priorités cohérentes qui s'inscrivent dans la continuité des actions antérieures : la lutte contre la radicalisation, la surveillance des activités illégales sur internet, le contrôle du financement du terrorisme.

Mme Annie David. - d) L'immigration et l'asile. L'approche globale sera consolidée. Une politique concertée, en phase avec les besoins du marché du travail, sera mise en oeuvre. L'Union devra se doter d'un cadre commun sous forme d'un régime d'admission flexible permettant de s'adapter à la mobilité accrue et aux besoins des marchés nationaux du travail. Mais ce cadre commun respectera les compétences des États membres dans la détermination des volumes d'entrées des ressortissants des pays tiers aux fins d'emploi.

La Commission européenne envisage par ailleurs la création d'un observatoire des flux, un code de l'immigration destiné à assurer aux immigrés légaux un niveau de droit uniforme et comparable à celui des citoyens communautaires, des règles communes pour gérer le regroupement familial. Elle soutiendra les efforts des États membres en matière d'intégration. Pour ma part, je considère que la notion d'insertion serait plus adaptée que celle d'intégration.

Pour la maîtrise de l'immigration irrégulière, l'accent devra notamment être mis sur la lutte contre les filières.

Pour la gestion des frontières, le rôle de coordination de FRONTEX sera renforcé. Ses capacités opérationnelles seront développées, notamment à travers de futurs bureaux régionaux. Un système d'enregistrement électronique des entrées et sorties (ESTA) et un programme de voyageurs enregistrés devront être établis. L'éventualité d'un système d'autorisation préalable de voyages devra être étudiée. En matière de visas, l'entrée en vigueur du nouveau code des visas ainsi que le déploiement progressif du VIS devraient donner plus de cohérence et d'efficacité. La création d'un « visa Schengen » européen sera envisagée. Le système de visa européen devra évoluer vers un système de délivrance fondé sur l'appréciation du risque individuel et non de la nationalité. J'observe que l'on veut ainsi consolider un système qui coûte cher dans un contexte de déclin démographique qui justifierait au contraire de ne pas fermer les frontières. Il y a là une contradiction !

En matière d'asile, l'Union devra établir, au plus tard en 2012, une procédure d'asile unique et un statut uniforme de protection internationale. Par ailleurs, la Commission européenne envisage que l'Union européenne formalise avant la fin 2014 le principe de reconnaissance mutuelle de toutes les décisions individuelles d'octroi du statut de protection, permettant ainsi le transfert de protection. Je souligne que cette harmonisation devra se faire « par le haut » et ne pas aboutir à un durcissement des politiques d'asile.

La solidarité avec les pays tiers confrontés à des flux importants de réfugiés est aussi un aspect essentiel. L'accès à la protection et le respect du principe de non refoulement devront être assurés. Un appui sera donné à ces pays pour leur permettre de renforcer leurs capacités pour le développement de leur propre système d'asile et de protection. L'Union devra assurer le partage des responsabilités, y compris par un mécanisme volontaire de réinstallation et un traitement commun des demandes d'asile.

Dans ce domaine de l'immigration et de l'asile, les États membres souhaiteront vraisemblablement mettre en oeuvre les orientations retenues par le Conseil européen, sous la présidence française, dans le Pacte européen sur l'asile et l'immigration. A ce stade, le document de la présidence suédoise lui réserve une place assez faible. En outre, compte tenu de la gravité des problèmes migratoires en Méditerranée, il paraît indispensable que le programme de Stockholm leur consacre un volet spécifique qui permette de bâtir une approche commune et qui établisse une doctrine claire sur le rôle de FRONTEX.

*

En conclusion, il faut souhaiter que le programme qui sera arrêté au Conseil européen de décembre s'attache avant tout à définir des priorités politiques clairement identifiables par les citoyens. Le plan d'action, qui sera débattu au premier semestre 2010 sous la présidence espagnole, devra être examiné avec attention. Doté des nouvelles prérogatives octroyées aux parlements nationaux par le traité de Lisbonne, le Sénat devra être particulièrement vigilant pour veiller au respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Avec les autres parlements nationaux, il devra se saisir de l'ensemble des compétences que le traité de Lisbonne leur reconnaît - en particulier pour le contrôle d'Europol et l'évaluation d'Eurojust.

M. Hubert Haenel. -Vous avez réalisé un travail collectif et substantiel sur un sujet majeur qui répond à de fortes attentes de la part de nos concitoyens.

Dès lors que le traité de Lisbonne va entrer en vigueur, le projet actuel pour le programme de Stockholm apparaît très en deçà de ce qu'il sera possible de faire. Le Sénat restera très vigilant sur la mise en oeuvre des prérogatives que le traité reconnaît aux parlements nationaux. Nous devrons également être très attentifs au contenu du plan d'action qui sera présenté au premier semestre 2010. J'indique que nous pourrons faire valoir nos réflexions lors de la réunion interparlementaire qui se tiendra à Bruxelles les 16 et 17 novembre.

M. Pierre Fauchon. - Je constate que la mise en oeuvre du programme de La Haye n'a pas produit beaucoup de résultats concrets. En outre, le projet de programme de Stockholm apparaît, en l'état, peu ambitieux. Il faut utiliser toutes les nouvelles dispositions issues du traité de Lisbonne.

Je déplore l'impuissance des instances européennes depuis des années sur ces questions de justice et d'affaires intérieures. On nous cite comme exemple de réussite le mandat d'arrêt européen. Or, j'observe que seule la moitié des États membres a bien voulu répondre au questionnaire qui avait été adressé aux États par la Commission européenne sur la mise en oeuvre de cet instrument. En réalité, les résultats apparaissent très inégaux selon les États membres.

Ces questions sont pourtant essentielles. Il s'agit bien souvent de répondre à des souffrances humaines réelles. Je citerai, par exemple, les préjudices causés par la cybercriminalité ou encore les enjeux majeurs pour les personnes dans le domaine de la coopération judiciaire civile. La création d'un Parquet européen est indispensable pour conduire des poursuites pénales. Or, on envisage de doter ce Parquet de compétences limitées aux infractions à la loi européenne.

Je relève aussi le manque d'allant sur l'adoption du projet de règlement « Rome III ». Dans ce domaine, il faudrait avoir un statut conjugal type qui serait conclu entre trois ou quatre États membres. Ces situations sont complexes mais il n'est pas acceptable qu'un seul État membre empêche les autres d'avancer.

M. Hubert Haenel. - Il faudra obtenir de la nouvelle Commission européenne qu'elle engage une coopération renforcée sur cette question. Je rappelle également que le Parquet européen pourra être créé par la voie d'une coopération renforcée entre certains États membres.

Mme Annie David. - Tout en ayant apprécié le travail accompli en tant que rapporteur, je souhaiterais néanmoins exprimer des positions plus personnelles qui sont aussi celles de mon groupe politique sur certaines questions. La « carte bleue européenne » me paraît une création indécente lorsque l'on constate la misère humaine partout dans le monde et le sort réservé aux immigrés clandestins en Méditerranée. Je suis aussi hostile à la notion d'intégration qui me paraît signifier la disparition de l'identité des personnes au sein d'un bloc uniforme. Il me semblerait préférable de retenir l'idée d'insertion.

M. Hubert Haenel. - Qu'est-ce qui vous choque dans cette idée d'intégration ?

Mme Annie David. - Elle signifie la disparition des identités pour les fondre dans un « moule européen ».

Sur la collecte des données, je partage l'objectif de sécurité qui les motive, mais pas au détriment des libertés. Il faut donc être très vigilant sur la durée de conservation des données, les effets de l'interopérabilité et le projet de permettre un accès des services répressifs à EURODAC. Je suis donc réservée sur les évolutions en cours dans ce domaine. Je relève d'ailleurs les craintes qui ont été exprimées par le contrôleur européen pour la protection des données sur l'utilisation qui est faite des données collectées.

Dans le domaine de la coopération judiciaire, je crois qu'il est positif de vouloir progresser dans le sens d'une harmonisation, mais pas au détriment des droits fondamentaux. Il faudrait avoir une clause « la mieux-disante » en matière judiciaire et pénale pour renforcer les droits et libertés.

M. Jean Bizet. - Vous n'êtes pas la seule à avoir des réserves sur cette « carte bleue européenne ». En outre, l'intégration, à mon sens, doit se faire dans le respect mutuel des identités et des spécificités de chacun.

M. Hugues Portelli. - Le document de la présidence suédoise est à la fois trop vaste et pas assez approfondi. Je crois que, pour le plan d'action, nous devrons veiller à sélectionner certains sujets, notamment ceux relatifs au droit pénal européen et à la coopération en matière civile qui concernent des questions concrètes pour la vie quotidienne des citoyens.

Il y a aussi des problèmes politiques majeurs. L'immigration est une question sérieuse. Je peux comprendre certaines réserves. L'Europe est une terre d'accueil. Cependant, il me semble que nous devons veiller à accueillir des personnes auxquelles nous pouvons offrir un logement et un travail.

M. Hubert Haenel. - Je partage votre point de vue sur la nécessité de sélectionner certains sujets qui figureront dans le plan d'action. Nous pourrions envisager de retenir les questions pénales et civiles ainsi que les coopérations renforcées entre États membres. Je souligne à nouveau que le traité de Lisbonne prévoit de nouveaux outils qu'il faut utiliser pleinement. En outre, les parlements nationaux devront veiller à mettre en oeuvre les nouvelles compétences qui leur sont reconnues, en particulier, pour le contrôle d'Europol et l'évaluation d'Eurojust.

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À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication de ce rapport d'information, paru sous le numéro 107 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html


* Cette réunion est ouverte à tous les sénateurs.