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commission des finances

Projet de loi

Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

(1ère lecture)

(n° 385 )

N° COM-45

25 juin 2018


 

AMENDEMENT

présenté par

Adopté

M. de MONTGOLFIER, rapporteur


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 4


Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le VIII de la première sous-section de la section II du chapitre premier du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts est complété par un 8 ainsi rédigé :

« 8 : Régime applicable aux revenus perçus par l’intermédiaire de plateformes en ligne 

« Art. 155 C. – I. – Sont soumis au régime défini au présent article les redevables de l’impôt sur le revenu qui exercent, par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs opérateurs de plateforme en ligne au sens du 2° du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation, une activité dont les revenus relèvent de la catégorie des revenus fonciers, des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices des professions non commerciales.

« II. – 1. Pour les redevables qui relèvent de l’article 32, de l’article 50-0 ou de l’article 102 ter du présent code, le montant cumulé de la réfaction et des abattements mentionnés au 1 des mêmes articles 32, 50-0 ou 102 ter et appliqués au montant brut des recettes annuelles provenant des activités mentionnées au I du présent article ne peut pas être inférieur à 3 000 €.

« 2. Pour les redevables qui ne relèvent pas des dispositions desdits articles 32, 50-0 ou 102 ter, le montant brut des recettes annuelles provenant des activités mentionnées au I du présent article pris en compte pour la détermination du revenu imposable est diminué d’un abattement forfaitaire de 3 000 €, et seule la fraction des frais et charges supérieure à 3 000 € peut être déduite.

« III. – Le présent article est applicable aux seuls revenus mentionnés sur le document prévu au premier alinéa du 2° de l’article 242 bis, et à condition que celui-ci soit adressé au redevable et à l’administration dans les conditions prévues au 2° et 3° du même article. »

II. – Ne sont pas affiliées au régime d’assurance maladie et d’assurance maternité des travailleurs indépendants non agricoles, sauf option contraire de leur part, les personnes dont les recettes annuelles brutes provenant de l’exercice d’une ou de plusieurs activités par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs opérateurs de plateforme en ligne au sens du 2° du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation n’excèdent pas 3 000 €.

Dans le cas où ces personnes sont par ailleurs affiliées au régime d’assurance maladie et d’assurance maternité des travailleurs indépendants des professions non agricoles en application du code de la sécurité sociale, les revenus qu’elles tirent de l’exercice d’une activité ou de plusieurs activités par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs opérateurs de plateforme en ligne sont présumés constituer des revenus à caractère professionnel seulement s’ils proviennent d’activités de même nature que leur autre ou que leurs autres activités professionnelles, ou qui s’y rattachent directement, ou qui sont exercées avec les mêmes moyens que celles-ci.

III. – La perte de recettes éventuelle résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

IV. – La perte de recettes éventuelle résultant pour les collectivités territoriales des I et II est compensée, à due concurrence, par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement.

V. – La perte de recettes éventuelle résultant pour l’État du IV est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

VI. – La perte de recettes éventuelle résultant pour les organismes de sécurité sociale des I et II est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Objet

Cet amendement vise à instituer un abattement forfaitaire minimal de 3 000 euros applicable aux revenus perçus par des particuliers via des plateformes en ligne et déclarés automatiquement par celles-ci à l’administration.

Il reprend une proposition du groupe de travail de la commission des finances du Sénat sur la fiscalité du numérique, notamment dans son rapport du 29 mars 2017, « La fiscalité de l’économie collaborative : un besoin de simplicité, d’unité et d’équité », et dans la proposition de loi du même jour.  Ce dispositif a déjà été adopté plusieurs fois par le Sénat à une très large majorité, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018.

L’amendement poursuit un double objectif :

- d’une part, sécuriser la déclaration et le recouvrement de l’impôt en incitant les utilisateurs à utiliser des plateformes qui mettent en œuvre la déclaration automatique. Prévue par l’article 4 du projet de loi, celle-ci est en principe obligatoire, mais l’administration ne pourra pas en contrôler systématiquement le respect par les centaines de plateformes existantes, et l’application effective des sanctions aux grandes plateformes étrangères est encore incertaine. À cet égard, l’incitation proposée complète utilement l’obligation prévue par le projet de loi ;

- d’autre part, simplifier et clarifier le régime fiscal applicable aux utilisateurs des plateformes en ligne. À terme, la déclaration automatique a vocation à alimenter la déclaration pré-remplie des contribuables. Or, à règles fiscales inchangées et compte tenu des moyens limités de l’administration fiscale, ce système pourrait aboutir à des situations difficilement compréhensibles.

Les règles actuelles prévoient en effet, en matière d’impôt sur le revenu, une imposition au premier euro, sans exception – si ce n’est pour les ventes d’occasion (aux contours très flous) et pour le « partage de frais » (au champ très restrictif).

Dans le monde « physique », ces règles étaient en fait largement ignorées pour les petits échanges entre particuliers, vide-greniers et autres services occasionnels entre voisins. Mais dans le monde « numérique », où les échanges de pair-à-pair sont devenus un phénomène massif (et bien souvent traçable et standardisé), ces règles ne sont plus tenables. Si elles étaient appliquées à la lettre, des millions de particuliers de bonne foi seraient pénalisés. Mais comme elles ne le sont pas, de nombreux « faux particuliers » échappent à leurs obligations fiscales et sociales, créant ainsi une distorsion de concurrence avec les autres professionnels.

Cet amendement propose donc d’instituer un régime fiscal et social simple, unifié et équitable pour l’économie collaborative, fondé sur un seuil unique de 3 000 €, permettant à la fois d’exonérer les petits compléments de revenus occasionnels et de tracer la frontière entre « particuliers » et « professionnels ».

En matière fiscale, les personnes gagnant moins de 3 000 € par an via des plateformes en ligne (soit 250 € par mois, ou 60 € par semaine) seraient exonérées d’impôt sur ces revenus.  Ce seuil s’apprécierait toutes plateformes confondues.

Dans la mesure où il s’agit d’un abattement forfaitaire alternatif à l’abattement proportionnel de droit commun du régime « micro » (50 % du revenu brut pour les services, 71 % pour les ventes), l’avantage fiscal réel serait dégressif et s’annulerait dès que le droit commun deviendrait plus favorable (soit à 6 000 € par an pour les services et 4 225 € par an pour les ventes). Par conséquent, les personnes ayant une activité économique suffisamment significative sur Internet seraient imposées sur l’ensemble de leurs revenus, sans aucune distorsion de concurrence avec les professionnels.

En matière sociale, le seuil de 3 000 € prévu par l’amendement donnerait, pour la première fois, un critère simple et lisible permettant de distinguer un « particulier » d’un « professionnel ». En effet, l’affiliation à la sécurité sociale et le paiement des cotisations sociales repose sur cette distinction… qui n’est à ce jour définie par aucun critère simple et objectif. Concrètement, l’affiliation à la sécurité sociale en tant que travailleur indépendant ne serait jamais obligatoire en-deçà de ce seuil « plancher » – mais elle demeurerait toujours possible pour ceux qui se considèrent comme professionnels et souhaitent bénéficier d’une couverture sociale à ce titre.

L’avantage fiscal serait accordé aux seuls revenus faisant l’objet d’une déclaration automatique des revenus par la plateforme en ligne. Ainsi une juste imposition des activités économiques significatives serait assurée. Par conséquent, bien que le dispositif proposé soit une réduction d’impôt, qui devrait concerner la grande majorité des utilisateurs de plateformes collaboratives, celui-ci n’implique pas nécessairement une perte de recettes fiscales pour l’État et la Sécurité sociale.

Même si elle bénéficierait aux seuls revenus issus d’une activité exercée via une plateforme en ligne (conduisant par exemple à accorder aux revenus tirés d’une location un traitement différent selon que l’activité soit menée via une plateforme ou par petites annonces dans un journal), la mesure proposée n’apparaît pas contraire au principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt.

Tout d'abord, l’avantage proposé n’est pas lié à la nature des revenus mais aux modalités de déclaration, lesquelles seraient bien plus sécurisées qu’aujourd’hui. Il est en cela comparable à l’avantage fiscal accordé aux adhérents à un organisme de gestion agréé (OGA), qui est de même nature économique (non-majoration de l’assiette, et anciennement abattement), et qui ne discrimine pas non plus entre les catégories de revenu.

Ensuite, le principe d’égalité devant l’impôt doit être concilié avec l’objectif de valeur constitutionnelle (OVC) de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales (QPC n° 2016-591), dans le respect du principe de proportionnalité. À cet égard, la mesure proposée apparaît peu dérogatoire au principe d’égalité, dans la mesure où l’abattement est dégressif puis nul au-delà d’un certain seuil, et où la sécurisation des déclarations est très forte puisque les revenus sont directement transmis à l’administration.

Enfin, plusieurs pays ont récemment adopté des régimes similaires, et souvent plus dérogatoires, à l’instar des abattements adoptés par le Royaume-Uni (exonération totale de 2 000 £, cumulative avec les abattements de droit commun) et la Belgique (flat tax de 10 % en-deçà de 6 000 €).