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Direction de la séance

Projet de loi

Projet de loi de finances pour 2024

(1ère lecture)

SECONDE PARTIE

MISSION RELATIONS AVEC LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

(n° 127 , 128 , 132, 134)

N° II-929 rect.

6 décembre 2023


 

AMENDEMENT

présenté par

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

MM. JACQUIN et Michaël WEBER et Mme BLATRIX CONTAT


Article 35 (crédits de la mission)

(État B)


Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements

123 600 000

123 600 000

Concours spécifiques et administration

 123 600 000

 123 600 000

Soutien à la stérilisation des félins

 

 

 

 

TOTAL

123 600 000

123 600 000

123 600 000

123 600 000

SOLDE

0

0

 

Objet

L’écart entre le nombre de travailleurs frontaliers sortants de France (environ 500 000) et ceux entrants (autour de 30 000) est le plus élevé au sein des pays de l’Union Européenne. Dans le Nord Lorrain, ce sont plus de 123 600 travailleurs qui se rendent quotidiennement au Luxembourg au 2e trimestre 2023 selon l'institut statistique luxembourgeois ; et selon plusieurs études cela pourrait atteindre 190 000 d’ici 2040.

Le Nord Lorrain ne compte que 59 emplois pour 100 actifs y résidant (Insee). Ce chiffre est très faible comparé aux moyennes nationale et régionale (92 emplois pour 100 actifs dans le Grand Est) du fait de la crise industrielle et de la désindustrialisation importante du territoire depuis 50 ans et des besoins de main d’œuvre aspirée par le Luxembourg qui apparaît comme la "troisième métropole de Lorraine". Si cette situation est source de grandes opportunités, notamment en termes d’emploi, pour le Nord Lorrain mais il subit dans le même temps subit de nombreuses distorsions de concurrence, fiscales comme sociales, dont les premières victimes sont les communes qui, du fait d’un appauvrissement du tissu économique, deviennent de simples zones résidentielles pour les Français employés au Luxembourg. En effet, la contribution des frontaliers aux finances publiques du Luxembourg s’élève à plus de 2Mds€, soit près 10% du budget de cet État, à travers le coût de la formation initiale des frontaliers, l’impôt sur le revenu, les pensions, l’impôt sur les sociétés des Français implantés au Luxembourg, les taxes et accises sur les produits pétroliers, tabac, la balance des cotisations sociales... Et, selon une étude de l’Institut de la Grande Région, le manque à gagner fiscal local au regard du défaut d’entreprises dans le Nord Lorrain est estimée à plus de 55M€ en 2018.

Ce déséquilibre entraîne une attrition des ressources fiscales pour les collectivités qui ne peuvent plus répondre aux demandes des habitants de bénéficier de services publics de proximité dès lors qu’ils sont à la charge de ces communes et bénéficient davantage aux citoyens qui travaillent et paient des impôts au Luxembourg plutôt qu’aux contribuables français : écoles, crèches, équipements culturels et sportifs, voiries…

Les collectivités locales du Nord Lorrain attendent beaucoup du cadre coopératif instauré entre les deux États. Le « dialogue » demeure toutefois à ce jour très déséquilibré en faveur du Luxembourg. Il est ainsi urgent que l’État français prenne ses responsabilités face aux distorsions de concurrence démesurées qui entrainent un décrochage économique de la Lorraine tant le nombre d’entreprises qui s’installent dans la bande frontalière française est faible, celles-ci préférant avoir une boite au lettre fiscale au Luxembourg. Il s’agit, sans tomber dans le piège de la diabolisation de l’État luxembourgeois, d’arrêter de faire des cadeaux à notre voisin, d’autant plus qu’il s’agit du pays ayant le PIB/hab le plus élevé au monde !

Le scénario d’une rétrocession fiscale, proposé par des centres de recherche et bureaux d’étude et espéré par de nombreux acteurs politiques du Nord Lorrain, n’a jusqu’alors pas été entendu et aucune négociation bilatérale ne semble tendre vers cet objectif. Ses partisans ont pourtant bien raison ! Le codéveloppement nécessite des compensations financières. L’État français doit enfin proposer une rhétorique garantissant "une répartition équitable de l’impôt dans les zones transfrontalières", pour reprendre le titre du rapport du Conseil de l’Europe de 2019 dirigé par Karl-Heinz LAMBERTZ, et tendre vers les promesses passées d’une zone franche fiscale pour que le Nord lorrain ne soit plus qu’une cité-dortoir.

De nombreux dispositifs de compensation financière et fiscale existent au sein de l’Union Européenne pour réduire les déséquilibres fiscaux entre pays voisins. Par exemple, la convention « union économique belgo-luxembourgeoise » (UEBL) prévoit une rétrocession fiscale du Luxembourg vers la Belgique depuis 2022 de 48M€ aux plus de 550 communes belges qui comptent des habitants travaillant au Luxembourg (soit environ 1 070€ par travailleur frontalier). Quant à la compensation financière versée par le canton de Genève à la France au titre de l’Accord sur la compensation financière relative aux travailleurs frontaliers datant de 1973, elle est fixée à 3,5 % de la masse salariale brute des frontaliers. Au titre de cet Accord, le Canton de Genève a versé 343M de francs suisse pour l’année 2022 aux conseils départementaux (Haute-Savoie, Ain), montant redistribué ensuite aux communes au prorata de leur population frontalière (soit environ 3 000€ par travailleur frontalier).

Face au blocage diplomatique et à l’absence, pourtant espérée, de compensation fiscale, il est urgent d’expérimenter la création d’une Dotation de Compensation Frontalière versée par l’État français aux collectivités frontalières françaises. Charge au gouvernement d’aller chercher les sommes correspondantes au Luxembourg s’il le trouve nécessaire. Ce dispositif permettrait de développer des projets de coopération de qualité entre partenaires franco-luxembourgeois, dans le cadre d’un codéveloppement plus juste et solidaire pour les collectivités territoriales du Nord Lorrain sans altérer les indispensables bonnes relations entre la France et le Luxembourg. 

Si cette piste de dotation de compensation sectorisée pourrait parfaitement s’inscrire dans le cadre de la Dotation Globale de Fonctionnement pour les communes, l'auteur propose dans le cadre de cette expérimentation de créer un nouveau dispositif dans le cadre des concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements, à l'instar des dotations communale d'insularité ou d'aménités rurales, pour bien mettre en évidence la situation très particulière du Nord Lorrain. Il propose pour l'année 2023 de porter cet effort budgétaire à hauteur de 123,6M€ soit l'équivalent de 1 000€/travailleur, peu ou proue le montant de l'accord belgo-luxembourgeois.

L’auteur précise dès à présent que son intention initiale était de proposer un équivalent de 3 000€/travailleur, soir l’équivalent de l’accord entre le canton de Genève et les départements frontaliers français. Les règles concernant les lois de finances ne lui permettant pas de prélever assez d’argent pour atteindre ce montant, il est contraint de le minorer. Cette somme servirait ainsi d’effet d’amorçage pour poursuivre les négociations sur ce sujet majeur.

Dans cette perspective, cet amendement minore de 123,6 millions d’euros l’action 01  du programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements » et abonde à hauteur de 123,6 millions d’euros d’AE et CP sur les crédits de l’action 01  du programme 122 « Concours spécifiques et administration ». L’auteur précise qu’il n’a aucunement l’intention de minorer les crédits dévolus aux dépenses de l'action 1 du programme 119 mais est contraint de procéder ainsi pour entrer dans le cadre des articles 40 de la constitution et 47 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) interdisant aux parlementaires d’augmenter les charges publiques et les crédits des missions budgétaires.